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N° 132 AUTOMNE-HIVER 2015-2016 Sciences et techniques Une culture à partager

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N° 132 AUTOMNE-HIVER 2015-2016

Sciences ettechniquesUne culture à partager

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2 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

Céleste Boursier-Mougenot, rêvolutions, pour le pavillon français à la 56e Biennale de Venise 2015.Courtesy de l’artiste et galerie Xippas, Paris ; Paula Cooper Gallery, New York ;

galerie Mario Mazzoli, Berlin.

© Laurent Lecat

© ADAGP Paris 2015

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CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 3

Les acteurs mobilisés en faveur de la culture scientifique, technique et industrielle sont mus par

une même philosophie. Par la transmission des savoirs ils contribuent à mieux faire comprendre les

enjeux et les défis sociétaux des sciences et des techno logies. La médiation doit favoriser la création

d’un espace public permettant la rencontre et le débat entre les divers acteurs et leurs publics.

Le ministère de la Culture et de la Communication, disposant à la fois de structures consacrées à

la médiation scientifique et culturelle et de structures consacrées à l’enseignement et à la recherche,

est un acteur public de premier plan. Universcience, opérateur du ministère de la Culture et de la

Communication, en s’adressant au grand public fait découvrir « la science en train de se faire » comme

le disait Jean Perrin, prix Nobel de physique et fondateur du Palais de la découverte, et fait réfléchir

aux relations entre science et société.

Fort de sa longue expérience dans le domaine de l’éducation artistique et culturelle, le ministère

de la Culture et de la Communication souhaite aujourd’hui renforcer son rôle dans le développement

de la culture scientifique, technique et industrielle. C’est vers les jeunes qu’il convient avant tout

d’orienter les efforts, en mobilisant de nouvelles approches pédagogiques et culturelles. Le ministère

de la Culture et de la Communication veut, pour cela, être un accélérateur de partenariats originaux

et profondément innovants.

Comme le soulignent Maud Olivier et Jean-Pierre Leleux dans le rapport qu’ils ont remis au Sénat

en janvier 20141, il s’agit de donner une nouvelle impulsion aux actions menées par les nombreux

acteurs. Il en va non seulement de l’excellence des systèmes d’éducation et de recherche, mais aussi

de la démocratisation de l’accès aux savoirs.

La mise en place d’un Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle renouvelé,

institué par décret le 7 juillet 2014, et placé auprès des ministères chargés de la culture et de la recherche,

contribuera à l’élaboration d’une politique nationale dans un cadre interministériel associant toutes

les parties prenantes.

Cette réorganisation du mode de gouvernance de la culture scientifique, technique et industrielle,

introduite par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, redéfinit

les missions de l’État et des Régions désormais en charge de la coordination des politiques et des

acteurs de terrain dans ce domaine. La culture scientifique, technique et industrielle fait partie des

projets culturels d’aménagement des territoires et de la politique de la ville. Les friches industrielles

transformées en lieu de culture se multiplient et permettent aux citoyens de s’approprier leur passé

industriel dans une société en pleine mutation les amenant vers d’autres horizons.

De nouveaux modes d’action s’inventent aujourd’hui. Le travail en commun des acteurs scientifiques

et techniques et des acteurs culturels permet de développer créativité et imagination. Il est porteur

d’un renouveau de la culture scientifique, technique et industrielle dont le présent numéro de Culture

et Recherche se fait l’écho. ■

CHRISTOPHER MILESSecrétaire généralMinistère de la Culture et de laCommunication

1. Maud Olivier, Jean-Pierre , Faireconnaître et partager les culturesscientifique, technique et industrielle  :un impératif, Rapport Officeparlementaire d’évaluation des choixscientifiques et technologiques,Assemblée nationale, Sénat, 2014

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3 Avant-propos, Christopher Miles, secrétaire général,ministère de la Culture et de laCommunication

6 Un enjeu démocratique,Astrid Brandt-Grau, Thierry Claerret Paul Smith

8-35Sciences et techniques  :un enjeu de société

9 Une politique nationale de la CSTI.Orientations stratégiques,entretien avec Sylvane Casademont

12 La culture scientifique et techniqueen région Île-de-France,entretien avec Isabelle This Saint-Jean

14 Pour une approche sensibledes sciences et techniques,entretien avec Bernard Chevassus-au-Louis

17 Musées et centres de culturescientifique et technique.30 années d’expérimentation,Dominique Ferriot

20 Culture scientifique et territoires,Samuel Cordier

22 Faire de la science un enjeude culture : quels prérequis ? Marie-Françoise Chevallier-Le Guyader

24 Quelle politique culturelledes sciences et techniques ?Lionel Larqué

27 CSTI et éducation populaire,Olivier Las Vergnas

29 La culture scientifique, une culture au masculin ? Christine Détrez et Claire Piluso

31 Les mots des scienceset des techniques, Danielle Candel

33 Vers une conception culturelle desrapports aux savoirs scientifiques,Joëlle Le Marec

AvertissementLa présente publication tient compte des rectificationset recommandations orthographiques approuvéespar l’Académie française et les instances francophonescompétentes, parues au Journal officiel (documentsadministratifs) du 6 décembre 1990.

La rédaction rappelle que les opinions exprimées dans lesarticles n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.

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CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 5

DOSSIER

Sciences et techniques,une culture à partager

Dossier coordonné par

ASTRID BRANDT-GRAUCheffe du département dela  recherche, de l’enseignementsupérieur et de la technologie,MCC/SG, service de la coordinationdes politiques culturelles etde  l’innovation

THIERRY CLAERRChef du bureau de la lecturepublique, MCC/DG des médiaset des industries culturelles,service du livre et de la lecture

PAUL SMITHChargé du patrimoine industriel,MCC/DG des patrimoines,département du pilotage dela  recherche et de la politiquescientifique

36-61Une diversité d’acteurset d’initiatives

37 Universcience au futur,entretien avec Bruno Maquart

39 CSTI et mutations contemporaines,le rôle de l’AMCSTI, Didier Michel

41 Ecsite et les enjeux européens dela culture scientifique, Julie Becker

42 L’OCIM : office de coopérationet observatoire, Sylvie Grange

44 L’Espace Mendès France dePoitiers. Un acteur de la culturescientifique, entre recherche etterritoires, Didier Moreau

46 La CSTI à Toulouse,Francis Duranthon et Francois Lajuzan

48 La Sucrerie de Francières. Un lieu tourné vers l’expérience,Samüel Kauffmann

50 L’Espace des sciences à Morlaix.Reconversion de la Manufacturedes tabacs, Michel Cabaret, Marie-Laure Brandilyet Annie Loneux

52 Le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Un territoireen mouvement, entretien avec Jean-François Caron

54 Le patrimoine industriel,scientifique et technique auministère de la Culture,Jean Davoigneau et Paul Smith

56 Les archives industrielles,Vincent Boully

58 La Folle journée de l’architecture,Lorenzo Diez

60 Chercheurs et jeunes : expériencescitoyennes, Camille Volovitch

61 La médiation en archéologie,Elena Man-Estier

62-71La CSTI à l’heure du numérique

63 Numérique et « crise de lamédiation », Laurent Chicoineau

65 Centres de science nouvellegénération : metteurs en scène dessavoirs et de la relation au public,Thomas Amourous

66 La Maison de la rechercheet de l’imagination à Caen,Bruno Dosseur

68 Planète Sciences et les activitésnumériques, Sophie Guiraudon

69 Médiation scientifique, techniqueet numérique contemporaine,Antony Auffret

70 ExpoNum, Babo Babakwanza

72-83Le livre, les bibliothèqueset  les sciences

73 Partager la science à laBibliothèque nationale de France,Michel Netzer et Isabelle Le Pape

75 La métamorphose dela Bibliothèque des sciences et de l’industrie, Claude Farge

77 Le Laboratoire culturel de Cambrai, David-Jonathan Benrubi

78 La science se livre dans les Hauts-de-Seine, Nadeige Bouvard

79 Dynamiser un réseau de lecturepublique autour d’un thèmescientifique, Amandine Rochas

80 Quelle articulation entre culturescientifique et lecture publique ?Dominique Cartellier et Aude Inaudi

81 Sciences pour tous, entretien avec Sophie Bancquart

84-99Les arts et les sciences

85 Briller comme un plus tard,Marc Boissonnade

87 L’incubateur du Planétariumde Vaulx-en-Velin, Simon Meyer

89 Arts vivants et CSTI : la batailledes imaginaires, Antoine Conjard

91 2015, année de la lumière, entretien avec Michel Menu

93 Lumin-essence, projet artistiqueen lycée agricole, Aude Canale

94 Effleurer l’atmosphère, Marie-Luce Nadal

95 Les matériaux émergents àl’épreuve de l’art contemporain,Dominique Peysson

96 La recherche L’Enfant d’éléphant,Garance Malivel, Fabienne GalangauQuérat, Camille Paties-Villoutreix et Mélanie Bouteloup En couverture

Wim Delvoye, Cloaca Quattro, 2004-2005.Divers matériaux.150 x 205 x 340 cm.Ici, vue de l’installation Cloaca Quattroen 2007 à la Xin Bejing Gallery, Beijing.

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6 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

Pourquoi un dossier consacré à la culture scienti-fique, technique et industrielle et aux relations entrescience et société ? C’est que ce domaine est en pleineévolution et interroge les rapports entre l’État, lescollectivités territoriales et les multiples partiesprenantes.

Comme pour l’éducation artistique et culturelle,le ministère de la Culture et de la Communicationcontribue depuis les années 1980 aux nombreusesinitiatives des acteurs de terrain – institutionnels ouassociatifs – et souhaite aujourd’hui donner denouvelles impulsions favorisant les partenariats etl’expé ri men tation, tout en consolidant les acquis.

Accompagner, qualifier et valoriser les pratiquesculturelles dans le domaine de la culture scientifique,technique et industrielle et réinvestir les enjeux épis-témologiques des sciences, tels sont les grands objec-tifs d’une politique renouvelée au niveau local etnational.

La culture scientifique, technique et industrielle(CSTI) est à la croisée des chemins. La place de la« culture industrielle », qu’il s’agisse du patrimoineindustriel, de la mémoire ouvrière ou du patrimoineimmatériel, est questionnée et, pour certains, « inno-vation » serait un « i » plus approprié à la fin du sigle.Que ce soit dans son approche patrimoniale, artis-tique ou de médiation, nous assistons à un change-ment de paradigme : le passage du dialogue entrescientifiques et profanes à l’appropriation des savoirspar tous, qui met en cause le deficit model ou l’ap-proche descendante.

Ce changement est favorisé par le numérique quiinterroge les modes de médiation actuels, tout enouvrant des perspectives prometteuses. Le numériquesuscite de nouveaux espaces de rencontres et depratiques autour des Fab Labs, des Hackerspaces oudes Living Labs en mettant l’accent sur l’appropriation« par le faire » des sciences et des techniques, indivi-duellement ou collectivement. Pour contribuer à laréflexion sur ces mutations en cours, le ministère de

la Culture et de la Communication a récemment lancéun appel à projets de recherche, « Pratiques scienti-fiques et techniques au regard des politiques cultu-relles : questions et enjeux ».

Dans ce numéro de Culture et Recherche, nousavons voulu donner la parole à un grand nombre d’acteurs. Il s’agit d’une démarche non exhaustive.Au travers des entretiens réalisés auprès de représen-tants institutionnels et des contributions de repré -sentants d’établissements publics, de réseaux, decentres de culture scientifique, technique et indus-trielle (CCSTI), d’associations, de muséums, de biblio-thèques-médiathèques, de structures artistiques, d’éta-blissements d’enseignement, ou de chercheurs, c’estune diversité de points de vue et de pratiques qui sontexposés.

Ce numéro de Culture et Recherche souhaiteouvrir un champ large au dialogue interculturel, caril s’agit bien de deux cultures à réconcilier : celle dessciences et celle des arts et humanités. « Mettre lessciences en culture » comme l’a si bien dit le physi-cien, écrivain et philosophe Jean-Marc Lévy-Leblond,et aussi faire l’histoire culturelle de l’industrie suivantl’ambition de l’Inventaire général du patrimoineculturel, nécessite une ouverture à l’autre, le respectde l’altérité.

Comme beaucoup des contributeurs le soulignent,dans la société du XXIe siècle, fondée sur l’économiede la connaissance et l’innovation collaborative, lepartage des connaissances scientifiques, techniqueset industrielles doit s’ouvrir à l’ensemble de la popu-lation. Parler de l’aventure scientifique et techniquede l’humanité en expliquant la progression des connais-sances et les apports multiples des différentes civi li -sations aide à lutter contre les dérives idéologiques etsectaires de toutes sortes et à donner des racines àchacun.

Dans un esprit encyclopédique, la culture scienti-fique et technique place les sciences et les techniquesau sein de la culture et du débat social. Il s’agit là d’un

ASTRID BRANDT-GRAUMCC / SG, département de la recherche,

de l’enseignement supérieur et de la technologie

THIERRY CLAERRMCC / DG des médias et des industries

culturelles, service du livre et de la lecture

PAUL SMITHMCC / DG des patrimoines,

département du pilotage de la rechercheet des politiques scientifiques

Un enjeu démocratique

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vrai enjeu démocratique. Allons-nous nous orientervers un nouveau « pacte culturel de la connaissance »comme certains contributeurs de ce numéro le réclament ? Des voies sont ouvertes, mais elles restentà préciser.

Culture et citoyenneté sont indissociablement liéesdans un monde où le progrès de la recherche et le déve-loppement des technosciences contribuent à apportertoujours plus de complexité et de fragmentation dessavoirs et des expertises. Porter un regard réflexif sur

notre société hypertechnologique, ses valeurs et sonévolution est plus que jamais nécessaire.

Les acteurs de la culture scientifique, technique etindustrielle se sont structurés autour de valeurscommunes et partagées. Ils s’interrogent aujourd’huisur leurs limites, sur la nécessité d’aller à la rencontred’autres pratiques, d’autres savoirs. La science et lasociété sont en constante évolution, ce qui nécessiteque les acteurs de terrain, tout comme les politiques,en prennent la mesure. ■

Le ministère de la Culture et de la Communication s’inscritpleinement dans une politique renouvelée de la culture scienti -fique, technique et industrielle (CSTI) par ses activités etcelles de ses établissements en faveur de la démocratisationde la culture et du développement des publics.

● La CSTI fait partie intégrante des projets culturels d’amé-nagement du territoire et de la politique de la ville. ● De nombreux musées de France et services d’archives possèdent des collections scientifiques et techniques, ainsique des archives de savants, d’entreprises industrielles, ouse rapportant à l’histoire des sciences.● L’Institut national du patrimoine, établissement public duministère, forme depuis 2007 des conservateurs dans laspécialité « Patrimoine scientifique, technique et naturel ».● Dans le domaine de la création, les rapports entre arts,sciences et techniques sont interrogés de façon constante.Les établissements d’enseignement supérieur du ministèrede la Culture et de la Communication contribuent à ceséchanges dans des domaines aussi variés que l’architecture,les arts plastiques et le design, ou encore le spectacle vivant,le cinéma et les industries créatives. Designers, architecteset artistes explorent les disciplines de la biologie, de la chimie,de la robotique et des nanotechnologies pour créer de

nouveaux organismes hybrides combinant le vivant et lenon-vivant.● La Bibliothèque nationale de France, la Bibliothèquepublique d’information, les bibliothèques territoriales ouencore les associations de développement de la lectureagissent également dans le domaine de la CSTI. Denombreuses bibliothèques participent avec dynamisme auxdifférentes manifestations scientifiques, comme la Fête dela Science.● Les médias sont aussi actifs. Les programmes de France 5contribuent à la découverte et à la compréhension du monde,en s’attachant tout particulièrement aux registres dessciences et techniques, des sciences humaines, de l’envi-ronnement et du développement durable. Le projet culturelet radiophonique de la Maison de la Radio associe la CSTIà son objectif de transmission aux jeunes générations etdonne accès aux archives sonores de l’Institut national del’audiovisuel.

L’enjeu aujourd’hui est de créer et de consolider des relaisfacilitant une approche scientifique et culturelle, ouvrant leschercheurs et les enseignants à la médiation scientifique etculturelle, afin d’accompagner davantage de jeunes dans unparcours tourné vers l’art et la science.

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 7

L’IMPLICATION DU MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION DANS LA CSTI

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8 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

Olafur Eliasson, The weather project, 2003.Lampes monochromatiques, transparent de projection, machine àbrouillard, miroir, aluminium, échaffaudage. 26,7 x 22,3 x 155,44 m.Tate Modern, Londres, 2003.Photo : Andrew Dunkley & Marcus Leith

Courtesy de l’artiste, Neugerriemschneider, Berlin, et Tanya Bonakdar Gallery, New York

© Olafur Eliasson

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Sciences et techniques  : un enjeu de société

Astrid Brandt-Grau : Quelles sont aujourd’hui lesgrandes orientations nationales pour encourager le déve-loppement de la culture scientifique, technique et indus-trielle ?

Sylvane Casademont : Pour parler d’aujourd’hui,il me semble important de rappeler la politique deculture scientifique, technique et industrielle menéeces dernières décennies. Comment faire connaitre àun large public les découvertes scientifiques? Commentfaire comprendre des concepts, des savoirs que deschercheurs ont mis des années à acquérir après delongues études ? Comment le faire de façon simple,pédagogique, à partir d’expériences concrètes ?Comment familiariser le public avec la démarchescienti fique, faite d’observation patiente des faits,d’expé ri men tation, d’analyse critique, de doutes, decontroverse avec les pairs ? En quoi la société a-t-elleaussi des connaissances, des expériences, des mises encause à partager avec ses chercheurs ? La volonté dediffuser des connaissances scientifiques n’est pas chosenouvelle, c’est la manière de considérer le concept quiévolue. Nous ne sommes plus dans le déficit model quia prévalu pendant les décennies passées. La science etla société sont en constante évolution, la culture scienti -fique aussi. Il faut donc que les politiques menéess’adaptent. On le constate bien si l’on fait un peu d’histoire . Au XXe siècle, la culture scientifique étaitlongtemps le fait des musées et des muséums. Puis, lePalais de la découverte a été créé sous le Front populaire,par Jean Perrin, prix Nobel de physique, à l’occasionde l’exposition universelle de 1937. La Cité des scienceset de l’industrie a été officiellement inaugurée par Fran-çois Mitterrand cinquante ans plus tard, en 1986,mettant ainsi en œuvre la décision de Valéry Giscardd’Estaing. La diffusion des connaissances scientifiquesaffirmée comme telle, auprès de tous les publics etpartout sur le territoire est l’œuvre d’Hubert Curien,qui avait été, avant d’être ministre de la Recherche,premier président de l’AMCSTI en 1882. En 1992, ilcrée une manifestation encore aujourd’hui embléma-tique : la Fête de la science. Parallèlement, des scienti-fiques se sont spontanément préoccupés de diffuserleurs connaissances scientifiques. Les organismes derecherche et les universités, en tant qu’institutions, s’yintéressaient peu : ils produisaient de l’information

scientifique et technique tandis que les actions vers legrand public étaient laissées à l’initiative de leurs ensei-gnants- chercheurs motivés. C’est seulement lorsquedes directions de la communication ont été créées dansces établissements, à partir de la fin des années 1990 -début des années 2000, que la spécificité de la diffusionde la CSTI a été mieux prise en compte, que des actionsde médiation scientifique et une réflexion sur cettemédiation ont été mises en place au sein des établisse-ments. On a alors vu un foisonnement d’initiatives,tant du côté des professionnels de la médiation quedu côté des chercheurs. Le paysage de la CSTI s’estenrichi, diversifié. Sur le terrain, le besoin d’une syner-gie, d’une organisation d’ensemble, d’une coordinationa alors été exprimé. En 2009, des parlementaires del’OPECST se sont emparés du sujet. Et par le décretdu 24 avril 2012, l’État a confié à Univer science la coor-dination de l’ensemble des actions de CSTI sur le terri-toire, et institué un Conseil national de la culture scien-tifique, technique et industrielle. Ce conseil était chargéd’émettre des avis sur de grandes orientations natio-nales. Des pôles territoriaux de référence (PTR) ontété créés, avec la mission de coordonner et de labelliserles actions et les acteurs dans chaque région. Enfin, desforums régionaux et nationaux invitant tous les acteursà partager leurs expériences ont été organisés avecsuccès.

En 2013, le Parlement et l’État reprennent l’initia-tive sur la CSTI. La ministre en charge de la Recherche,Mme Genevière Fioraso, en fait une des priorités deson agenda stratégique France Europe 2020 (propo -sition 6 : « S’approprier la culture scientifique, tech-nique et industrielle »). La députée Maud Olivier etle sénateur Jean-Pierre Leleux préparent le rapportde l’OPECST « Les cultures scientifiques, techniqueset industrielles » comportant un tableau exhaustif dudomaine et quatre-vingts propositions d’amélioration.La loi du 22 juillet 2013 sur l’enseignement supérieuret la recherche inscrit la CSTI parmi les missions del’enseignement supérieur et de la recherche, et enchange la gouvernance en décentralisant aux régions« la coordination des actions de CSTI sur leur terri-toire » – sous réserve toutefois des missions de l’État(article 19). La gouvernance de la CSTI en est profon-dément modifiée. Quel est le sens de cette réforme ?

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 9

Une politique nationalede la CSTI Orientations stratégiques

Entretien avec Sylvane Casademont, directrice de cabinet, Direction générale de larecherche et de l’innovation, ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignementsupérieur et de la Recherche.

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1. Sondages Ipsos-Le Monde-La  recherche, 2013-2015.

2. « Les CSTI, un investissementd’avenir », 14 novembre 2013,

musée des Arts et Métiers, Paris.

Elle est fondée sur le principe de subsidiarité en arti-culant la gouvernance à trois niveaux. Tout d’abord,il s’agit de laisser les acteurs de terrain mener lesactions qu’ils jugent les plus adaptées à leur contextelocal, à leur public, aux compétences qu’ils peuventmobiliser. Ainsi, certains acteurs évoluent dans desmétropoles universitaires où les laboratoires et lesdisciplines de recherche foisonnent et où les publicssont variés ; d’autres vivent dans des régions plusrurales où les scientifiques sont peu nombreux. Onne peut pas leur demander de mener les mêmesactions, avec un niveau de qualité qui serait labellisépar Paris ! En revanche, nous les invitons à poursuivreet développer les échanges d’expériences déjà engagéslors de forums régionaux et nationaux, et à coopérersur des projets, comme cela a été le cas pour les appelsd’offres CSTI du PIA Égalité des chances, et commel’Europe en offre l’opportunité. Pour cela, ils ontbesoin d’une coordination. Tous les acteurs ne parvien-draient pas à s’auto-organiser. Par ailleurs, les éluslocaux et régionaux ont un intérêt direct à développerla CSTI sur leur territoire. D’abord parce que celle-cia une vocation citoyenne forte : on sait, depuis Condor-cet, que l’obscurantisme et le fanatisme séduisent plusfacilement ceux qui n’ont pas acquis l’habitude dequestionner, d’observer, d’analyser, de vérifier, decomparer. Partager les connaissances et la démarchescientifique, c’est encore et toujours œuvrer pour unesociété de citoyens éclairés. Il y a aussi des raisonséconomiques : partager la culture technique et indus-trielle, c’est le moyen d’attirer les jeunes vers les métierstechnologiques et les entreprises. Et enfin des raisonsde politique publique : les récents sondages parrainéspar le MENESR1 nous apprennent que plus des deuxtiers des Français interrogés (65 %) font confiance àla science pour améliorer la vie des générations futures.Les scientifiques leur apparaissent comme un recours(à près de 60 %) pouvant apporter des réponses auxproblèmes rencontrés. Mais plus de la moitié souhai-tent être mieux informés, mieux comprendre les choix,mieux y être associés. La Région est donc mieux placéeque l’État pour piloter les actions de CSTI sur les terri-toires, parce qu’elle est au plus près des acteurs, qu’elleles connait, et qu’elle y a intérêt. Le colloque organiséavec l’ANRU en novembre 20132 a d’ailleurs montré

que c’était déjà largement le cas, il a mis en évidencele dynamisme de beaucoup de régions : par exempleMidi-Pyrénées avec la Novela à Toulouse (du moinsjusqu’en 2014) ; la Bretagne avec l’Espace des sciencesimplanté au cœur de Rennes, dans un bâtiment conçupar l’architecte de Porzamparc, où tout le monde entrelibrement ; l’Aquitaine avec Cap Science à Bordeaux,subventionné par la région et par la ville ; ou encorela Franche-Comté, avec un petit centre très dynamique,à Montbéliard, qui travaille en lien avec l’université.Les régions Picardie, Centre, les deux Normandie, leNord–Pas-de-Calais, etc. soutiennent fortement laculture scientifique, en lien avec les CCSTI… Je nepeux les citer toutes, qu’elles me pardonnent ! La loiencourage donc les régions, en leur déléguant quelquescrédits de fonctionnement, à coordonner la CSTI età maintenir des pôles de coordination des acteurs terri-toriaux, quelle que soit la dénomination qu’on leurdonne. Par ailleurs, la loi Fioraso, qui encourage ledéveloppement de la culture scientifique dans lesuniversités et les organismes de recherche, met larecherche universitaire en situation de coopérer avecles médiateurs : car c’est dans les laboratoires qu’ilsdoivent venir puiser la science vivante.

A.B.-G. : Quel est le rôle du nouveau Conseil nationalde la CSTI? Quelles sont ses priorités et ses objectifs ?

S.C. : Au niveau de l’État, il s’agit non plus d’êtrejacobin, mais d’être stratège et d’impulser les initiatives– le président François Hollande a très clairementdécrit ce rôle stratégique de l’État dans son discoursde lancement du concours mondial de l’innovationen décembre 2013 : il s’agit, pour l’État, de « donnerle cap, fixer les priorités, créer un environnement favo-rable, faire émerger et encourager les initiatives, accom-pagner les actions, faire réussir les acteurs ».

Ainsi, le Conseil national de la CSTI rénové a pourrôle de produire une stratégie nationale de la CSTI, àpartir d’une vision bottom up, en tirant les leçons dece qui se passe sur l’ensemble du territoire. Afin derenforcer le dialogue avec les régions et avec l’ensembledes organismes concernés, le conseil a été élargi : ilréunit aujourd’hui trois vice-présidents de région, despersonnalités qualifiées nommées par les régions, unsénateur, un député, ainsi que des représentants des

«La volonté de diffuser desconnaissances scientifiques n’est paschose nouvelle, c’est la manière deconsidérer le concept qui évolue. »

Sciences et techniques  : un enjeu de société

10 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

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associations d’éducation populaire, d’un musée(musée du quai Branly), des ministères chargés de laculture, de la recherche, de l’éducation nationale, duCNRS, de la Conférence des présidents d’université(CPU), du Conservatoire national des arts et métiers(CNAM), d’organismes de recherche, et enfin des chercheurs , un industriel, la directrice de l’Institutdes hautes études pour la science et la technologie(IHEST), ainsi qu’un expert de la CSTI.

Il s’agit d’articuler une approche bottom up et uneapproche top down. Le ministère chargé de larecherche est invité dans les forums organisés réguliè-rement en région ou au niveau national, nous avonsdes contacts fréquents avec les acteurs du terrain : toussont demandeurs d’une stratégie nationale, attendantde l’État qu’il joue un rôle de régulateur. Début 2015,j’ai participé à un groupe de travail organisé par l’As-sociation des régions de France (ARF) qui a réuni unedouzaine de correspondants en charge de CSTI enrégion, afin d’évoquer notamment les questions budgé-taires. Il a été proposé que ce groupe soit en interactionavec les régions et les trois représentants de région quisiègent au Conseil national, l’ARF jouant le rôle d’in-termédiaire. Il y a aussi le niveau de l’État déconcentré,représenté par les directeurs régionaux de la rechercheet de la technologie (DRRT) : ils assurent l’articulationavec la région et organisent la Fête de la science. Lacoordination entre ces derniers et les régions est leplus souvent très positive.

Ainsi, le Conseil national de la CSTI pourra travailler directement avec le groupe de l’ARF, avecles DRRT, et aussi avec les directions régionales desaffaires culturelles (DRAC), afin de garantir une bonnearticulation entre les stratégies de niveau nationalmenées par l’État et celles, spécifiques, des régions.

A.B.-G. : Quels sont les moyens de cette nouvelle poli-tique ?

S.C. : En France, si l’on compte – et on doit lescompter ! – les subventions pour charge de servicepublic des musées, des muséums, d’Universcience, desétablissements publics du MENESR et du MCC, c’estplusieurs centaines de millions d’euros qui sont consa-crés à la culture scientifique, technique et industrielleau sens large. Et si tous les personnels de ces éta blis -

sements ne vont pas vers tous les publics, nous devonsles encourager à le faire. La Direction générale de larecherche et de l’innovation, au MENESR, veille à ceque les établissements publics de recherche sous satutelle inscrivent les relations avec la société dans leurscontrats d’objectifs avec l’État, et ouvre la recherchesur la société.

De plus, des moyens incitatifs, environ 3,6 M€, ontété délégués en région en 2014 et en 2015 ; ce sont descrédits « fléchés » qu’il est prévu de maintenir pour2016. Enfin, le ministère disposait en 2015 de 2 M€pour soutenir des initiatives : près de la moitié est attri-buée aux DRRT pour la Fête de la science, le restepermet d’une part de soutenir une quinzaine deprojets que nous adressent de façon spontanée desassociations, d’autre part d’accorder des subventionspour des opérations « science et société » à forte visi-bilité, dont l’impact nous parait être important :colloques, conférences, débats, etc. Cette année, à l’occasion de la COP 21, nous avons financé deuxgrandes opérations qui rassemblent la recherche fran-çaise sous une bannière commune (« la Recherche semobilise sur le climat ») : le Train du climat, lancé àl’occasion de la Fête de la science à l’initiative de cher-cheurs climatologues toulousains et réalisé grâce aupartenariat avec Train Expo SNCF, qui s’arrêtera dansdix-neuf villes entre le 6 et le 25 octobre 2015 ; et dansle cadre de l’opération « Solutions COP 21 », à l’ini-tiative de quinze organismes de recherche, un standqui va promouvoir la recherche française mobiliséesur le climat, du 4 au 11 décembre.

A.B.-G. : Dans ce contexte de nouvelle stratégie, laFête de la science va-t-elle évoluer ?

S.C. : Une réflexion est en cours. Cet évènementattire environ trois millions de personnes chaqueannée, ce qui est très bien, mais nous pensons qu’ildevrait intéresser bien davantage de gens. Pour cela,il nous faut développer de nouvelles méthodes demédiation, notamment recourir aux outils numé-riques : les réseaux sociaux, des forums et des jeuxen ligne, des sites participatifs pourront très certaine-ment attirer de nouveaux publics. Nous présenteronsun projet en ce sens au cabinet du secrétaire d’Étatpour 2016. ■

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CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 11

Le Train du climat s’est arrêtédans 19 villes de France entre le 6 et le 24 octobre 2015  : à son bord,une exposition, des conférences, et une quarantaine de chercheurs qui se sont relayés pour échanger avec les visiteurs.

Entretien réalisé le 20 juillet 2015.

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Astrid Brandt-Grau : Quelles stratégies ont été misesen œuvre par les régions depuis la promulgation de laloi sur l’enseignement supérieur et la recherche du22 juillet 2013 ?

Isabelle This Saint-Jean : Les régions françaisessont très hétérogènes en ce qui concerne la rechercheet l’enseignement supérieur. L’Île-de-France estatypique, elle couvre 40 % du potentiel scientifiquedu pays. Le premier marqueur de différentiation del’Île-de-France, avant même le marqueur économique,avant sa culture, avant son attractivité touristique,c’est la concentration des forces de recherche, qui enfait la première région européenne dans ce domaine.De plus, s’y concentrent aussi un grand nombre d’opé-rateurs nationaux. On sait que la culture scientifiqueet technique et le dialogue science et société se fontavec la communauté scientifique. Par conséquent, lesstratégies ne peuvent être les mêmes dans toutes lesrégions.

Ce qui, en revanche, me semble commun à l’ensemble des régions, c’est la volonté de s’emparerde nouveau du sujet. Elles ont manifesté avec forceleur intérêt pour une délégation de compétence surla question du dialogue science et société. Pourquoi ?Parce que si une stratégie nationale impliquant lesministères chargés de la Culture, de la Recherche, maisaussi de la Santé, de l’Écologie et de l’Agriculture –face aux problématiques du développement durable– est indispensable, nous savons que la culture scienti -fique nécessite une proximité, pour s’adresser à l’ensemble du corps social de façon différenciée, pourprendre en compte la très grande diversité des acteurs,des scientifiques, des élus, des citoyens. Ce n’est pasau niveau national que nous sommes en capacité demener au mieux ce dialogue mais au niveau territorial.La responsabilité en est confiée aux collectivités terri-toriales et en particulier aux régions qui ont un rôled’aménageur du territoire et d’acteur de proximité.Elles sont aujourd’hui renforcées dans leur action, cequi est une bonne chose. J’espère que les nouvellesrégions garderont cet engagement, fondamental pourla démocratie, pour la vitalité de notre pays, pour ledynamisme de la recherche.

A.B.-G. : En quoi la CSTI peut-elle être regardéecomme un facteur de développement économique, socialet culturel pour les territoires ?

I.T.S.-J. : Faire vivre le dialogue science-CSTI-société est une nécessité. En premier lieu, il en va del’attractivité des carrières scientifiques. Si nous voulonsconserver la force de notre recherche, il faut attirer lesnouvelles générations vers la science, et cela passe parla CSTI. La région Île-de-France a porté le projet deMaison d’initiation et de sensibilisation aux sciences(MISS)1, sur le campus d’Orsay, un lieu où les enfantsde 8 à 14 ans, accompagnés par leurs enseignants, sontinitiés à la démarche scientifique, côtoient des chercheurs de l’université Paris-Sud et des laboratoiresde Saclay. Ce projet est parrainé par Jamy Gourmaud,animateur de l’émission C’est pas sorcier, et WendelinWerner, mathématicien lauréat de la médaille Fields.Mettre la culture scientifique dans les laboratoires estun moteur très fort de transmission. Les enfantssortent de la MISS avec des étoiles dans les yeux !Rappelons aussi que lorsque le Palais de la découvertefut menacé, le comité de soutien fut rejoint parnombre de prix Nobel et de grands scientifiques quidisaient : « C’est là qu’est née notre vocation !»

Par ailleurs, beaucoup de nos décisions politiquesrelèvent aujourd’hui de la science. Sur des questionsliées au climat, à l’énergie, à la santé... nous ne pouvonsprendre de décisions sans un minimum de connais-sances, sans consulter les scientifiques. La politiquen’est pas un métier, c’est une responsabilité. Commentreprésenter nos concitoyens si eux-mêmes ne sont pasinformés et ne nous mandatent pas ? C’est en cela queje considère le dialogue science et société comme abso-lument vital pour la démocratie. C’est une responsa-bilité du politique de faire en sorte que les conditionsde l’apprentissage soient mises en place. Nos conci-toyens ont un vrai appétit pour la science, qui fascineet inquiète. Les émissions les plus podcastées à la radiosont les émissions scientifiques. Il faut répondre àcette demande.

Ce dialogue est par ailleurs très stimulant pour lemilieu scientifique lui-même. L’interpellationcitoyenne, sur certains sujets, peut être à l’origine de

1. www.ladiagonale-paris-saclay.fr/nos-actions/miss/

Sciences et techniques  : un enjeu de société

12 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

La culture scientifiqueet technique en régionÎle-de-FranceEntretien avec Isabelle This Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France, en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche.

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nouveaux questionnements. On connait le rôle desassociations de malades en médecine. C’est un enri-chissement mutuel.

Enfin, la recherche et l’enseignement supérieursont essentiels pour le dynamisme économique dupays. La science et la CSTI sont créatrices d’emplois.Il n’y a pas d’innovation, pas de développement écono-mique durable sans la recherche, sans la qualificationdes jeunes, sans la formation des jeunes aux métiersde demain.

Les mathématiques françaises sont les premièresmathématiques du monde. 15 % du PIB sont directe-ment issus des laboratoires de mathématiques. Uneuro investi dans une université produit quatre eurosen retour pour le pays. Investir dans la recherche etl’enseignement supérieur, faire en sorte que la sciencedialogue avec l’ensemble du territoire et de nos conci-toyens sont des effets de levier évidents.

A.B.-G. : Comment articuler stratégie nationale etstratégies régionales pour maximiser cette politique ?

I.T.S.-J. : Je suis convaincue qu’il faut une réflexionnationale et que nos opérateurs nationaux doiventporter des politiques ambitieuses. Je pense notammentaux scientifiques, qui sont de formidables médiateurs.Une personnalité scientifique fascine. Lorsqu’elle s’implique dans le dialogue science et société, elle estd’une grande efficacité. Et pourtant, un chercheur quis’engage dans la diffusion de la culture scientifique lefait souvent au détriment de sa carrière. Il me sembleimportant que cet engagement soit reconnu. Danscertaines universités, les doctorants consacrent unsemestre à la diffusion de la culture scientifique. C’estle cas à Paris-Sud, avec le programme « Mission docto-rale ». Je suis pour encourager financièrement lesprogrammes de ce type.

Je pense aussi à Universcience. La Cité des scienceset de l’industrie et le Palais de la découverte sont desoutils magnifiques, mais qu’il faut rénover, repenser.Pour cela une stratégie nationale et des moyens sontindispensables.

Parallèlement, chaque territoire travaille avec sesspécificités et ses propres acteurs. Il est donc nécessaireque l’État et les régions articulent leurs stratégies. Parexemple, la région Île-de-France lance des appels àprojets en coordination thématique. Ainsi cette année,avec la COP 21, un appui privilégié a été donné auxopérateurs impliqués sur les questions de l’air et duclimat. Les collectivités territoriales peuvent mettreleur force au service d’actions portées nationalement,sans pour autant négliger la diversité et le soutien auxassociations sur d’autres thèmes. De même, dans lesterritoires, associations et opérateurs nationauxdoivent articuler leurs actions. Certains le font déjà,il faut que cela se multiplie.

Le milieu de la diffusion de la culture scientifiqueet technique est divers, morcelé, mais doit se mobilisercollectivement, dans l’intérêt général, avec des objectifsmajeurs. Et cela passe par une coordination menée parl’État et les régions. Rappelons que les régions sontreprésentées au Conseil national de la culture scienti-fique, technique et industrielle, dont je suis membre.

A.B.-G. : Quelles sont, en termes de CSTI, les prioritésdes prochaines années pour la région Île-de-France ?

I.T.S.-J. : Je vais vous donner mon point de vuepersonnel, car nous sommes à l’aube d’une nouvellemandature. À mon sens, la première priorité est depoursuivre la politique très ambitieuse que nous avonsmenée sur ce secteur. D’abord financièrement. Plusde 10 millions d’euros y ont été consacrés, avec unengagement très marqué dans le contrat de plan État-Région (CPER) que nous venons de signer. Pour larégion Île-de-France, l’enseignement supérieur et larecherche est le deuxième poste d’intervention aprèsles transports. Dans le nouveau CPER, beaucoup dedossiers relèvent de la culture scientifique et techniqueet du dialogue science et société. Par exemple, nousintervenons sur l’observatoire de Meudon, sur leMuséum national d’histoire naturelle (galerie de lapaléontologie). Nous avons aussi, avec d’autres dispo-sitifs de financement, consacré plus de 3 millionsd’euros aux associations, et pour la MISS à Orsay, pasloin de 6 millions d’euros. Je souhaite donc que l’ambition de cette mandature se prolonge.

La seconde priorité me semble être de continuerà soutenir une diversité d’actions et d’acteurs. Il nes’agit pas de saupoudrage mais de la conviction quel’efficacité passe ici par la diversité.

Mon troisième souhait serait de voir se multiplierles MISS sur l’ensemble du territoire national. Cetteinitiative cible les enfants de 8 à 14 ans ; à cet âge sepassent des choses déterminantes. Elle suscite unemobilisation collective : des scientifiques, des média-teurs, des personnels enseignants. De plus, la réflexionmenée avec les enseignants autour du projet participeà leur formation. C’est une opération qui mérite d’êtrepoursuivie. De même que le rapprochement entrescientifiques et associations, que nous avons initié parle biais d’un dispositif de projets portés ensemble, avec3 millions d’euros dédiés, sur des thématiques trèsvariées.

Et bien sûr, il faudrait que le dialogue entre les structures nationales, les associations et l’ensembledes acteurs dans leur diversité soit renforcé. Les régionsayant un rôle de coordonnateur, elles réfléchissentaux moyens de mieux organiser ce dialogue sur leurterritoire. Plusieurs rencontres ont déjà eu lieu surcette question qui avait été soulevée lors des assisesde la recherche et de l’enseignement supérieur. ■

Sciences et techniques  : un enjeu de société

Entretien réalisé le 23 septembre 2015.

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 13

«La culture scienti fique nécessiteune proximité, pour s’adresser à l’ensemble du corps social de façondifférenciée, pour prendre encompte la très grande diversité desacteurs, des scientifiques, des élus,des citoyens. »

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Astrid Brandt-Grau : Peut-on dresser un premierbilan de l’appel à projets Culture scientifique, techniqueet industrielle (CSTI) du Programme d’investissementsd’avenir (PIA) en matière de promotion de l’égalité deschances et de la diversité ?

Bernard Chevassus : Nous avons sélectionné unequarantaine de projets, dont un quart cible cette question de l’égalité des chances (beaucoup d’autresl’évoquent). Ces projets analysent les attentes d’unepopulation particulière et essaient d’y répondre. Parexemple « Astronomie vers tous »1 relève deux défis :parler d’astronomie avec des non-voyants en utilisantdes techniques d’impression en trois dimensions,afin qu’ils puissent toucher les phases de la lune parexemple, et permettre à des personnes handicapéesmoteur, en fauteuil roulant ou sur un lit d’hôpital,de manipuler un télescope, ce qui nécessite de modi-fier les optiques. Des projets itinérants concernentles populations rurales, il s’agit d’expositions conçuespour être déplacées et montrées dans des mairies oudes cafés de petites communes rurales. Par exempleen Guyane, des expositions en langue locale sont

transportées en pirogue pour atteindre des villagesisolés. Car on sait que les habitants des campagnesse déplacent peu vers les centres de culture scienti-fique et technique des grandes villes.

Plusieurs projets concernent le décrochage scolaireet proposent des méthodes alternatives d’apprentissagedes fondamentaux que sont la lecture et la numération.

D’autres s’intéressent aux filières professionnelles etaccompagnent « l’ambition de réussir ». On constateen effet un comportement d’autocensure vis-à-vis desétudes d’ingénieur. Dans les quartiers défavorisésnombre de jeunes suivent des formations technolo-giques. S’ils réussissent bien, ils envisagent un BTSmais ne visent pas plus haut. Le diplôme d’ingénieur,symbole de réussite, leur semble inaccessible. Leprogramme « Passeport ingénieur » se proposed’accom pagner, avec un coaching individuel, des élèvesde première et de terminale pour faire passer l’idéequ’être ingénieur est possible.

L’accès des filles à la culture scientifique, techniqueet industrielle est aussi pris en compte. Je citerai l’exemple d’un laboratoire de fabrication, ce qu’onappelle un Fab Lab, où l’on peut fabriquer toutessortes de choses avec des imprimantes numériques,des découpes laser, etc. : des filles venues pour lapremière fois voulaient fabriquer des bijoux, sinonelles préféraient repartir. La première réaction desanimateurs a été de dire « mais non, fabriquer desbijoux c’est sexiste », puis ils ont accepté. L’objectifest d’intéresser les jeunes en partant de ce qu’ilsconnaissent.

Dans le cadre scolaire, « La main à la pâte » s’estdéveloppée avec succès dans le primaire. Notre appeld’offres a permis de soutenir sa mise en place aussiau collège. On a observé que les enseignants duprimaire ont, pour la plupart, une formation plutôtlittéraire et appréhendent parfois de parler de science.D’autant plus que les sujets d’actualité, le changementclimatique ou la biodiversité par exemple, ne sont passimples à expliquer. Nous finançons aussi « Météo etclimat », une proposition de Météo France dont l’objectif est d’aider les enseignants à expliquer lesphénomènes météorologiques, la climatologie.

Les porteurs de ces projets sont très divers : desCCSTI, des muséums, des associations telle l’asso -ciation des botanistes amateurs qui a développé labotanique participative, des institutions commel’INRIA ou Météo France, des municipalités, des

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14 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

Pour une approchesensible des scienceset techniquesEntretien avec Bernard Chevassus-au-Louis, normalien naturaliste, inspecteurgénéral honoraire de l’agriculture, président du comité d’experts de l’appel àprojets pour le développement de la culture scientifique, technique et industriellegéré par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) dans le cadre duProgramme d’investissements d’avenir (PIA).

«La culture scientifique ettechnique est une culture du douteet de la modestie – mais pas duscepticisme! »

1. Projet porté par Planète Sciences avecle soutien du Collectif Astro vers tous

(Observatoire de Paris, association Desétoiles pour tous, Observatoire populaire

de Laval, Institut national des jeunesaveugles).

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universités, des opérateurs privés... Souvent, ils sontconstitués en réseaux ou consortiums.

Le bilan de cet appel est-il positif ? Il est trop tôtpour le dire, un programme d’évaluation est en cours,qui analyse notamment cette question de la progres-sion de l’égalité des chances. On sait que la fréquen -tation des établissements de culture scientifique ettechnique (CCSTI, muséums...) reste l’apanage d’unefrange de la société éduquée et sensibilisée. Ce sontdes espaces publics, gratuits, mais il y a encore beaucoup à faire pour en élargir l’accès. La scienceimpressionne, tout particulièrement en France où,à l’école, les matières scientifiques sont sélectives.

Je voudrais néanmoins d’ores et déjà signaler unéchec, ou plutôt une déception de notre appel àprojets : l’absence de la culture industrielle. Il y asur tout le territoire nombre de petits musées qui conservent des savoirs industriels passés. Ces muséessont fragiles, ils sont le fait de quelques personnesqui ont conservé la mémoire de savoir-faire, sauvédes machines. On aurait aimé les voir répondre àl’appel d’offres, le musée des Arts et Métiers auraitpu fédérer des projets... Nous n’avons reçu quequelques projets de mise en scène de lieux indus-triels, que nous n’avons pas retenus car ils nemettaient pas suffisamment en avant une « culture »industrielle.

A.B.-G. : Selon vous, comment la CSTI peut-ellecontribuer au vivre ensemble ?

B.Ch. : Un des atouts de la CSTI est qu’elledemande moins de connaissances culturelles que laCulture avec un grand « C ». Il faut connaitre les codespour comprendre ce qui est représenté sur un portailde cathédrale. Tandis qu’il suffit d’un bâton et du soleilpour expliquer à un enfant comment les Grecs avaiententrepris de calculer la taille de la Terre. On peut partirde récits, d’histoires qui montrent comment les gensse sont posé des questions et ont essayé d’y répondre.Il faut rendre humaine l’aventure des sciences et destechniques.

En France, on a tendance à présenter les connais-sances scientifiques et techniques telles qu’elles sontaujourd’hui, sans expliquer comment on en est arrivélà, de quelle manière elles ont été construites, avecdes aléas, une histoire. On connait tous la parabolede la pomme de Newton, mais sait-on ce que celasignifie ? Sait-on qu’il s’agit de l’intuition géniale deNewton, qui a compris que les forces qui régissent lachute d’un corps sur Terre régissent aussi la gravi -tation des astres dans le ciel, et donc qu’en expéri -mentant sur Terre on peut déduire des lois, la fameuseconstante de l’attraction universelle, qui permettentde décrire le fonctionnement de l’univers ?

Il est nécessaire aussi de dire qu’il y a une histoiredes sciences et une histoire des techniques, qui ne sontpas inféodées l’une à l’autre mais qui se rencontrent,souvent avec des décalages dans le temps. Ce n’est pasla thermodynamique qui a inventé la machine àvapeur, les Grecs avaient déjà fabriqué l’éolipyle, unsystème qui utilise la vapeur d’eau pour faire tournerune boule. Puis au XVIIIe siècle, Cugnot réussit à faireavancer un véhicule ; c’est alors que les savants ontdéveloppé une théorie de la vapeur, pour améliorerles performances du système. Ces deux histoires trèsriches, celles des sciences et des techniques, on peutles raconter avec un langage très quotidien.

Autre atout majeur, la culture scientifique et technique met en lumière l’apport de toutes les civili -sations. Raconter l’origine de l’algèbre, expliquerque le mot algorithme dérive du nom d’un savantperse, parler de l’astronomie des Mayas et desChinois, de la domestication des plantes et des

Sciences et techniques  : un enjeu de société

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 15

Parler d’astronomie avec des non-voyants  : les phases de la Lune, cartesthermoformées.

Handiscope, un télescope dédié auxpersonnes à mobilité réduite, conçupar  l’association Des étoiles pour touset Axis Instruments.

«Il faut rendre humaine l’aventuredes sciences et des techniques. »

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animaux par différents peuples... Toutes les civi li -sations dont nous sommes héritiers aujourd’hui ontparticipé à cette aventure, ont fait avancer les choses.La CSTI favorise le respect de toutes les cultures, lareconnaissance de leur richesse. Ajoutons que parlerde l’aventure humaine, de ceux qui ont fait progresserla connaissance, c’est aussi donner des racines.

Enfin, je suis très sensible au fait que la culturescientifique et technique est une culture du doute etde la modestie – mais pas du scepticisme ! La sciencetrès sûre d’elle du XIXe-début XXe siècle a prisconscience de ses limites, on a démontré qu’il y avaitdes choses définitivement indémontrables. Aujour -d’hui la science interroge, essaie de comprendre, remeten cause alors que, à l’opposé, on constate la montéede dogmatismes de toutes tendances qui poussent àne pas penser par soi-même, qui veulent imposer unevérité. La science est un domaine de responsabilité etde liberté. Partager la CSTI, c’est aussi aller à l’encontredes « marchands de certitudes », c’est montrercomment on construit patiemment, pour essayer derendre le monde intelligible, c’est échanger sur ce quel’on sait maintenant, qui n’est peut-être pas tout à faitvrai et que l’on appréhendera sans doute autrementdans quelques années.

A.B.-G. : Des projets arts et sciences ont-ils été finan-cés dans le cadre de cet appel à projets ?

B.Ch. : Nous avons retenu peu de projets arts etsciences. J’en mentionnerai deux : « PASS », propo -sition de la compagnie de danse Hallet-Eghayan quia noué un partenariat avec l’école normale supérieurede Lyon pour des conférences dansées. Les danseursdiscutent avec les chercheurs sur un sujet, par exemplele big bang, puis chacun travaille en parallèle. Lesconférences se composent de deux volets, l’un parlé,l’autre dansé. Le second projet, « Science-musique »,initié par Chroma-Zebrock, une asso ciation demusique populaire, est porté par Simplon, une entre-prise de l’économie sociale et solidaire, école decodeurs2. Il prend pour point de départ la musiqueque les jeunes aiment. Dans un laboratoire de neuro-biologie du CNRS, ils découvrent comment leur

cerveau réagit lorsqu’ils écoutent cette musique. Alorson peut aborder la perception des sons, expliquercomment fonctionne le casque qui permet de capterles informations, montrer comment est faite une parti-tion... Ensuite les jeunes réaliseront une applicationmobile et un objet connecté pour rendre compte detout cela. Biologie, mathématiques, informatique...on part des pratiques des jeunes pour parler descience et de technique.

A.B.-G. : En introduisant le sensible, est-ce qu’onhumanise la science et la technique, est-ce qu’on les rendplus compréhensibles ? Comment interroger les rapportsentre la science et l’Homme ?

B.Ch : C’est un vrai défi pour demain. La sciences’est complexifiée, elle est de moins en moins intui-tive. Pensons aux efforts du CERN pour parler dubozon de Higgs : qui a compris ? De même, on vaconstruire de grands modèles qui vont faire tournertous les ordinateurs du monde pour produire desprévisions sur le climat, mais qui comprendcomment marchent ces grosses boîtes qui font desmilliards de calculs par seconde ? Il me semble aussique la science a un peu trop théorisé le vivant. Jepense qu’il faut renouer avec une perception sensiblede la science, partir de l’expérience, du contact. Jedonne souvent l’exemple de la lutherie du XVIIIe sièclequand je parle de la biodiversité. Le XVIIIe c’étaitencore l’ère glaciaire, les arbres poussaient très lente-ment autour des grands lacs italiens, et les luthiersvenaient chercher ces bois de qualité exceptionnellequi donnent aux instruments de cette époque unesonorité unique. Le réchauf fement du climat nousprive peut-être à jamais de cette lutherie. Uneapproche sensible de la science aide à susciter l’intérêt .On sait que l’engagement, l’envie, la motivation,précède l’apprentissage. Tous les enseignants le savent,il faut faire naitre l’envie. ■

2. www.simplon.coPartenaires du projet  :

– CNRS (Groupe IRIS Vision et motricitébinoculaire, Neurosciences, Université

Paris Descartes),– IRCAM (Laboratoire sciences et

technologies de la musique et du son),– Id6 (International Développement

Système: éducation et innovationpédagogique),

– Musicovery (start-up technologique),– Orange, Direction des services

innovants Ile-de-France,– Académie de Créteil.

Sciences et techniques  : un enjeu de société

16 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

« Sciences-musique », un projetassociant entreprise, association etlaboratoire du CNRS. Ici, une image

extraite d’un film de la collection duCNRS « La vie des labos ».

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Entretien réalisé le 16 juillet 2015.

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Arts et techniques : une relation féconde« Travailler dans les friches, dans les lisières, dans

les marges, c’est là qu’est la vie, que sont les germes ».En reprenant les propos de Marcel Mauss sur les« terres en friche », Marcel Evrard, fondateur dumusée de l’Homme et de l’Industrie, qui deviendraen 1973 l’écomusée du Creusot-Montceau-les-Mines,affirmait une ambition d’interdisciplinarité et unevolonté d’inno vation, promouvant une « nouvellemuséo logie » inscrite dans des territoires mais, grâcenotamment à l’ICOM/Conseil international desmusées, profondément ouverte aux échanges et à l’international.

À l’origine de l’écomusée, une association, leCRACAP (Centre national de recherche, d’anima-tion et de création pour les arts plastiques), quipermet à des artistes en résidence dans la région duCreusot-Montceau de développer leurs pratiques etpropose des expositions sur l’art populaire mexicaincomme sur les jardins ouvriers ou la représentationdu travail. La relation entre arts et techniques estfondatrice. Chris Marker salue la naissance d’un« musée de questions », Jean Clair affiche le marteau-pilon du Creusot en couverture de ses Chroniquesde l’art vivant en 1974. Dès lors les initiativesporteuses d’avenir se multiplient et la prise encompte du patrimoine industriel sous toutes sesformes devient la marque de l’écomusée qui contri-bue activement en 1979 à la création d’une associa-tion nationale baptisée CILAC. Le CILAC (Comitéd’information et de liaison pour l’archéologie,l’étude et la mise en valeur du patrimoine industrielen France) réunit des historiens, des architectes, desgens d’entreprises et des muséologues soucieux deprendre en compte « l’histoire non écrite d’un longpassé de travail qui s’inscrit dans notre sol »1. En1981, le CILAC organise entre Lyon et Grenoble la

4e conférence internationale pour le patrimoineindustriel. Après Ironbridge, Bochum et Stockholm,cette 4e édition, parrainée par un Comité internatio-nal TICCIH2 créé à la même époque, reconnait lesinitiatives et réalisations pionnières en France. Ilfaudra attendre 2015 et le XVIe congrès de TICCIHpour que la France organise à nouveau, en régionlilloise, cet évènement marquant pour la reconnais-sance du patrimoine de l’industrie.

Un ouvrage collectif récemment paru3 donne laparole aux acteurs de ces années pionnières. Le « i »de industrie, plus tard le « u » de universités peinentà s’inscrire parfois dans le mouvement de « populari-sation de la science » porté par de grandes figures denotre communauté scientifique telles Hubert Curien,Pierre Gilles de Gennes ou Pierre Piganiol.

Un Palais pour la découverte et une politique nationaleLe Palais de la découverte, créé en 1937 sous la

forme d’une exposition temporaire dans le cadre del’« exposition internationale des arts et techniquesappliqués à la vie moderne », s’est installé durablementau Grand Palais et dans la communauté des profes-sionnels de musées de par le monde. Ses directeurssuccessifs sont des militants actifs pour l’ICOM et sonComité international pour les musées de sciences ettechniques, le CIMUSET. Surtout ses « chargés d’exposés » inventent des modes de médiation quiseront repris par les Science Centers qui se multiplientoutre-Atlantique, avec bientôt un nouveau « modèle » :l’Exploratorium que le physicien Frank Oppenheimerdéveloppe à San Francisco en 1969. Aujourd’hui l’Exploratorium, présenté comme « a museum ofscience, art and human perception » explore à nouveaules chemins croisés entre sciences et arts à travers diffé-rents outils de création et d’éducation pour des publics

1. Maurice Daumas, L’Archéologieindustrielle en France, 1980.

2. TICCIH  : The International Committeefor the Conservation of the IndustrialHeritage.

3. Une mémoire pour demain  : 30 ans de culture scientifique, techniqueet industrielle en France, L’Harmattan,2014.

Sciences et techniques  : un enjeu de société

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Musées et centresde culture scientifiqueet technique30 années d’expérimentation

De l’écomusée du Creusot-Montceau-les-Mines, « musée de questions », au musée des Arts et Métiers, qui met en valeur l’objet technique, en passantpar le musée des Arts et de l’Industrie de Saint-Étienne ou celui des Confluencesà Lyon qui réfutent l’opposition entre culture technique et culture artistique,Dominique Ferriot évoque ces musées de sciences et techniques qui « facilitentl’exercice de la mémoire comme celui de l’imagination ».

DOMINIQUE FERRIOTProfesseure des universités, ancienne directrice du musée des Artset Métiers

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de tous âges. Les réseaux de musées de science nord-américains (ASTC) et européens (Ecsite, cf. p. 41) sesont ouverts à d’autres types de musées privilégiantune approche par les publics résolument interdiscipli-naire et participative.

En France, dès les années 1980 la « vulgarisationdes sciences » a fait place à une politique nationaledite de « culture scientifique et technique » qui a pourambition de « mettre les sciences en culture » (Jean-Marc Lévy-Leblond)4. Galilée était un homme descience mais aussi un musicien, un observateur auxmultiples talents dont des qualités de dessinateurqu’il a mises au service de ses observations des phasesde la lune. Comment comprendre la fracture entre« sciences » et « culture » aux siècles suivants ? Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien, écrivain et philosophe,place à nouveau la science au sein de la culture et dudébat social. Le ministre de la recherche HubertCurien lui confie en 1985 la direction, avec Jean-Claude Pecker, d’un « programme mobilisateur pourla culture scienti fique et technique ». Parmi lesmesures phares de cet ambitieux programme, desopérations nationales, « Passeport pour la Recherche »,« 1 000 classes 1 000 chercheurs » font des jeunes despublics prioritaires pour des actions qui visent àdonner le goût des sciences et à encourager l’enga -gement professionnel dans les métiers de la recherche.La Fête de la science, manifestation annuelle lancéeen 1992, contribue à faire des chercheurs des citoyensqui, en ouvrant leurs laboratoires, affirment la respon-sabilité sociale des scientifiques. Cette idée n’est pasnouvelle. Déjà en 1972 l’OCDE et la DGRST (Délé-gation générale à la recherche scientifique et tech-nique) avaient, à l’initiative de Hubert Curien et Jean-Jacques Salomon, organisé à la Fondation Maeght àSaint-Paul-de-Vence un colloque « Science et société »filmé par Roberto Rossellini. « La science, si elle estun puissant levier de croissance économique, doitégalement garantir la prééminence des universaux :la liberté de pensée et la solidarité, qui sont lesmoteurs de la démocratie5. »

La politique nationale de culture scientifique, technique (et industrielle) est par principe interminis-térielle. Les différents ministères tentent de coordonnerleurs actions et contribuent aux initiatives, nombreuses,des mouvements associatifs. Les associations d’édu -cation populaire comme les réseaux de musées(AMCSTI créée en 1982 puis Fédération des éco -musées et musées de société) mettent en valeur lesinitiatives en région, souvent antérieures à la créationdu nouvel établissement implanté à Paris sur le sitedes anciens abattoirs de La Villette. Le rapport deMaurice Lévy pour la création d’un musée nationaldes sciences, des techniques et des industries est remisau gouvernement fin 1979. La Cité des sciences et del’industrie ouvrira en 1986.

Centres de culture scientifique ettechnique et/ou musées En 1981 il n’y a pas clairement d’opposition entre

centre de culture scientifique et technique et musée.La définition proposée par le rapport de Yves Malécot6

remis au délégué à l’Aménagement du territoire insistesur « les fonctions de recherche, d’étude, de conser -vation et de présentation d’éléments de culture tech-nique » des CCSTI existants ou à créer qui s’appuieront « le plus souvent pour cela sur un patri-moine constitué par des bâtiments, des collections,des documents relatifs à une ou plusieurs activitéstechniques ou industrielles dans une région donnée ».L’oppo sition perceptible plus tard entre des centressans collection et des musées de site et/ou d’objetsrelève davantage de conflits de compétence entre admi-nistrations que du débat d’idées. Ainsi le Centre histo-rique minier de Lewarde implanté en 1982 à l’initiativedes Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calaissur le carreau de l’ancienne fosse Delloye revendi -quera d’être aussi un « centre de culture scientifiquede l’énergie ». Aujourd’hui la proximité géographiquede Lewarde avec le Louvre Lens pourrait susciter descolla bo rations nouvelles sur les thèmes porteurs quesont les relations entre création et patrimoines.

4. Jean-Marc Lévy-Leblond, La science enmal de culture, Futuribles,

novembre 2004.

5. Hubert Curien, in Le Progrèsscientifique, revue de la DGRST, n°  160,

janvier 1973.

6. Culture technique et aménagement duterritoire  : pour un réseau de centres

régionaux, La Documentation française,avril 1981.

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Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne  :

À dr.  : exposition « Les enrubannées »(2006)  : robe créée pour l’exposition

par Eymeric François, réalisée avecdes  rubans fabriqués dans la région

stéphanoise.À g.  : deux passementiers bénévolesdevant un métier à tisser les images

tissées (métier Jacquard, Saint-Étienne,fin XIXe).

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Autre exemple, la mise en valeur du patrimoinetechnique à Saint-Étienne et la re-création du muséed’Art et d’Industrie de la ville7. Ce cas d’école démontre que l’opposition entre culture « technique »et culture « artistique » n’a pas lieu d’être et que lesinnovations sont dans tous les domaines ; ainsi lemusée a joué pleinement son rôle de médiateur entreanciens passementiers et chefs d’entreprise pour déve-lopper des innovations dans le domaine de la ruba-nerie et contribuer à trouver de nouveaux publics.

Autre exemple encore, le projet de réhabilitationconduit par l’Espace des sciences de Rennes à la Manu-facture des tabacs de Morlaix (cf. p. 50). En couverturedu numéro 46 de la revue L’archéologie industrielle enFrance paru en juin 2005 et pour illustrer notammentl’article de Michel Melot « Comment la beauté vientaux usines », le CILAC avait choisi les moulins à râpertoujours conservés à Morlaix dont les formes seprêtent à raconter des histoires multiples. Le nouvelEspace des sciences à la « Manu » de Morlaix sera bienun CCST « I ».

Arts et métiers : une collection retrouvéeMusée de l’innovation technologique, le musée

des Arts et Métiers (alors appelé musée national desTechniques) restait à la fin des années 1980 une collec-tion oubliée au sein du Conservatoire national desarts et métiers. Il a fallu l’inscription de la rénovationdes musées de l’Éducation nationale au titre desGrands Travaux de l’État et l’engagement détermi-nant du maitre d’ouvrage, Émile Biasini, pour quela rénovation des espaces occupés par ce musée soitengagée. Après la création de la Grande Galerie del’Évolution au Museum national d’histoire naturelle,cette rénovation se poursuivra durant une décennie.La collection bicentenaire ne pouvant être exposéeque très partiellement, la première étape a été laconstruction à Saint-Denis d’une réserve accessibleaux chercheurs et aux publics spécialisés, avec unmode de rangement qui rend visibles les instrumentset les machines conservés. L’équipe projet pour lemusée des Arts et Métiers rénové affiche clairementson option d’une muséologie fondée sur la mise envaleur de l’objet technique et propose un parcoursdans les galeries thématique et chronologique quipeut se lire comme un ou plusieurs récits.

Michel Serres l’a dit mieux que d’autres : « Voicipresqu’un siècle, Bergson demandait un supplémentd’âme à une civilisation qui s’enfonçait à ses yeux dansla matière ; devrons-nous demander à notre cultured’images, de messages et d’information un supplémentde corps ? Lorsque les réseaux, en effet, se chargent dusavoir et du travail, le bien le plus rare dont, bientôt,le prix montera au zénith, devient son expérience.Notre nouvelle culture se définit donc par cette inver-sion des anciens rapports de l’esprit et du corps. »

Prononcés en référence aux vols habités à l’occa-sion du 40e anniversaire du Centre national d’étudesspatiales (CNES), ces propos peuvent s’appliqueraux musées qui restent un lieu irremplaçable pourfavo riser et enrichir l’expérience sensible du visiteur.

Musées d’art, de sciences ou de techniques ou unpeu tout cela, comme le Centre des sciences de Barcelone CosmoCaixa inventé par le physicienJorge Wagensberg ou le musée des Confluencesrécemment créé à Lyon.

L’irruption du numérique n’est pas en contra -diction avec la place unique de l’objet dans les muséesde sciences ou celle non moins essentielle du média-teur qui fera revivre les belles expériences de l’aventurescientifique; ceci est d’autant plus vrai dans les muséesuniversitaires qui ont pour atout la présence dansleurs établissements d’enseignants-chercheurs dontles compétences devraient pouvoir contribuer à l’étudeet à la mise en valeur des collections de l’université.C’est l’objectif affiché par le Comité international del’ICOM pour les collections et musées universitaires,ICOM/UMAC, créé en 2001, qui milite activementpour la reconnaissance du patrimoine matériel etimmatériel des universités. Premier « musée » desciences, l’Ashmolean Museum est construit en 1683pour abriter et exposer la collection d’objets rares etcurieux donnée à l’université d’Oxford par EliasAshmole. Aujourd’hui devenu musée d’histoire de lascience, cet édifice conserve une collection exception-nelle d’instruments scientifiques. L’avenir des muséesde science n’est certes pas dans leur passé, mais lareconnaissance de l’intérêt des collections universi-taires est la marque d’un véritable projet culturel dansles établissements d’enseignement supérieur et derecherche.

« Eppur si muove ! »Ce titre de l’exposition créée au MUDAM-musée

d’Art moderne Grand-Duc Jean8 à Luxembourg enpartenariat avec le musée des Arts et Métiers renvoieà Galilée mais aussi au pendule de Léon Foucault quidémontre expérimentalement la rotation de la terre.Le pendule peut être un objet de fantasmes ; ainsiMichel Carrouges dans ses Machines célibataires estinspiré par la nouvelle d’Edgar Poe, Le Puits et lePendule. Andrea Bruno, l’architecte de la rénovationdu musée des Arts et Métiers, en installant un penduleau fond d’un puits sous le parvis d’entrée du musée,faisait explicitement référence au roman d’UmbertoEco, Le Pendule de Foucault, paru en italien en 1988.Le roman donnera au Conservatoire des arts et métiersune notoriété nouvelle et contribuera à l’intérêt portéà ce lieu singulier, ancienne abbaye devenue« Panthéon des techniques ».

L’exemple des Arts et Métiers est révélateur de lacomplexité des choses et de la diversité des regardsportés sur l’objet technique ou l’expérience scienti-fique. « Le monde des objets, qui est immense, estsouvent plus révélateur de l’esprit que l’esprit lui-même » nous dit François Dagognet. Les musées etcentres de culture scientifique et technique, en faci -litant l’exercice de la mémoire comme celui de l’ima-gination, ont ainsi toute leur place dans cette « culturescientifique et technique » qui reste fondée sur uneculture de l’observation, au plus près de l’ingéniositéde l’homme, de sa capacité à découvrir le monde et àinventer des formes et des idées nouvelles. ■

7. Histoire que retrace longuementNadine Besse, conservateur de cemusée, dans l’ouvrage collectif déjà citénote 3 Une mémoire pour demain,30 ans de culture scientifique, techniqueet industrielle en France, p. 29-39.

8. Exposition du 9 juillet 2015 au16  janvier 2016  : www.mudam.lu/fr/expositions/details/exposition/eppur-si-muove/

Sciences et techniques  : un enjeu de société

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 19

L’Art et la Machinedu XVIIIe

au  XXIe siècle

Musée des Confluences, Lyon13 octobre 2015 – 24 janvier 2016

Le regard des artistes sur lamachine et l’évolution destechnologies industrielles etmécaniques, depuis les planchestechniques de l’Encyclopédiejusqu’à aujourd’hui. Cetteexposition présente 170 piècesremarquables issuesde 44 musées en Europe, dontMéta-Maxi, œuvre gigantesquede Tinguely mise en mouvementà cette occasion.

Un colloque organisé du 15 au17 octobre 2015 par le musée d’Artmoderne et contemporain deSaint-Étienne Métropole, le CIEREC(EA 3068 de l’université de Saint-Étienne) et le musée desConfluences a exploré les relationsambivalentes à la machine dansl’art des XXe et XXIe siècles.

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De la création du premier CCSTI à Grenoble à lafin des années 1970 à l’ouverture de la Maison de larecherche et de l’imagination (MRI) à Caen enseptembre 2015, les acteurs de la culture scientifiqueet technique n’ont cessé d’innover pour conquérirde nouveaux territoires. Depuis 2011, deux évè -nements conditionnent fortement l’évolution dupaysage de la culture scientifique et technique : d’unepart l’émergence de projets soutenus par leProgramme d’investissements d’avenir (PIA) etd’autre part la mise en œuvre de l’acte III de la décen-tralisation, prévoyant notamment d’accentuer le rôledes régions dans la mise en place d’une nouvellegouvernance1. Cette évolution se poursuivra avec lacréation des nouvelles grandes régions début 2016.

Dans ce contexte, comment analyser l’évolutionactuelle de la place de la culture scientifique, techniqueet industrielle dans les territoires? Une mise en perspec -tive historique parait essentielle, non pour glorifierun « âge d’or », mais pour comprendre les dynamiquesactuelles.

Les années 1970 ouvrent une période au cours delaquelle émergent des initiatives visant à rapprocherles publics des centres de production du savoir. Cesmutations résultent d’une interrogation des chercheurs sur leur place dans la société, de la mobi-lisation d’acteurs culturels souhaitant s’investir dansune médiation entre science et citoyen, mais aussi dechangements économiques et politiques. Pour AndréeBergeron, ce mouvement trouve son origine dans la« rencontre, principalement autour de la décennie1970, entre une critique interne à la science et l’émer-gence en France d’un courant Science, technologie,société (STS) […]2 ».

En 1973, à l’occasion d’un congrès internationalorganisé à Aix-en-Provence, deux physiciens ima ginent« Physique dans la rue », une animation autour d’ex-périences de physique générale et nucléaire pré sentées dans la rue. « Cette démarche reposait sur la juste prisede conscience par les chercheurs qu’il fallait informer(et écouter !) le public, en particulier celui qui ne vapas dans les musées, et sur le besoin de se justifier surla légitimité d’une recherche scientifique non finalisée(les manifestations impliquaient presque exclusivementdes chercheurs de sciences de base)3. » L’année suivanteest fondé le Groupe de liaison pour une action cultu-

relle scientifique (GLACS), une structure destinée àl’accompagnement d’actions culturelles en sciences,qui contribuera largement – avec l’Association natio-nale sciences techniques jeunesse (ANSTJ) – à l’émer-gence en France d’une corporation de la CSTI4.

Des « Boutiques des sciences » ouvrent égalementleurs portes dans plusieurs universités. « Ces struc-tures recevaient des demandes concrètes de la sociétécivile (associations, entreprises), les formulaient enlangage scientifique, trouvaient les interlocuteurscompétents pour y répondre ou pour mener lesrecherches nécessaires5. »

Parallèlement, les mouvements d’éducation popu-laire développent des pratiques hors les murs. Ellesinvestissent autant les zones urbaines intermédiairesque le milieu rural, pour aller à la rencontre denouveaux publics. Par exemple, l’Association nationaledes clubs scientifiques (créée en 1962 et qui deviendraPlanète Sciences) va à la rencontre des jeunes et leurpropose des activités scientifiques notamment dansles domaines de l’espace et de la robotique.

Dès le début des années 1970, une prise deconscience politique accompagne le mouvementmilitant des chercheurs et des acteurs culturels. Ainsi,plusieurs initiatives sont prises par l’État : « La créa-tion en 1972 du Bureau national de l’informationscientifique et technique (BNIST) ; le lancement en1979 par Valéry Giscard d’Estaing du projet de LaVillette reprenant l’idée des Sciences Centers amé -ricains et permettant – grâce au prestige de la science– de sortir de façon honorable des scandales immo-biliers sur le site ; la transformation, cette mêmeannée, du BNIST en mission interministérielle(MIDIST)6. »

En 1979, le premier centre de culture scientifiqueet technique (CCST) ouvre ses portes à Grenoble dansles locaux de la Casemate, mis à disposition par la ville.Comme le rappellent Étienne Guyon et BernardMaitte : « En 1966, à l’occasion de la préfigurationd’une Maison de la culture à Grenoble, un groupe descientifiques défend l’idée d’y intégrer une animationscientifique, au même titre que les autres activités,musicales, théâtrales, cinématographiques7… » La création de lieux dédiés à la culture scientifique dansles régions est étroitement liée à l’entrée de la sciencedans les espaces culturels. Pour Andrée Bergeron,« conformément au projet d’André Malraux, les

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Culture scientifiqueet territoiresAvec l’affirmation des métropoles et la loi relative à la délimitation des régions,un nouveau rapport aux territoires se dessine pour les acteurs de la culturescientifique, technique et industrielle.

1. Loi du 22 juillet 2013 relative àl’enseignement supérieur et à la

recherche.

2. A. Bergeron, « Patrimoine et culturescientifique  : sur l’inscription culturelle

des savoirs », in  : S. Boudia,A. Rasmussen et S. Soubiran dir.,

Patrimoine et communautés savantes,Presses universitaires de Rennes, 2010,

p. 209-223.

3. E. Guyon et B. Maitte, « Le partage dessavoirs scientifiques. Les centres de

culture scientifique, technique etindustrielle », La Revue pour l’histoire du

CNRS, n° 22, 2008. En ligne  :http://histoire-cnrs.revues.org/8322

4. Cf. O. Las Vergnas,« L’institutionnalisation de la “culture

scientifique et technique”, un fait socialfrançais (1970-2010) », Savoirs, 2011/3

(n° 27), p. 9-60. (p. 15). En ligne  :www.cairn.info/revue-savoirs-

2011-3-page-9.htm

5. E. Guyon et B. Maitte, op. cit.

6. E. Guyon et B. Maitte, op. cit.

7. E. Guyon et B. Maitte, op. cit.

SAMUEL CORDIERDirecteur du Pavillon des sciences –

CCSTI de Franche-Comté

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maisons de la culture s’ouvrent sur des projets cultu-rels polyvalents qui, le plus souvent, prennent encompte la thématique scientifique8 ».

Le début des années 1980 marque un nouveaudépart. « C’est l’arrivée de la gauche au pouvoir en1981 qui va donner l’occasion au mouvement de s’épanouir, de se structurer et de s’exprimer poli ti -quement9. » D’une part les lois Defferre participentà une décentralisation. D’autre part, le ministre dela Recherche et de la Technologie, Jean-Pierre Chevè-nement, dote la MIDIST de moyens, organise lesAssises de la recherche et favorise le développementd’un réseau régional de culture scientifique10.

Pour Étienne Guyon et Bernard Maitte, « les assisesrégionales sont un temps où les militants du partagedu savoir peuvent se regrouper, trouver l’écho néces-saire, formuler de nouveaux projets, à l’image de celuique forme à Nice le physicien Jean-Marc Lévy-Leblondqui fonde l’Anaïs et théorise le mouvement des CCST.Ceux-ci devront « mettre la science en culture », demanière à « atteindre des objectifs économiques, poli-tiques et sociaux, culturels et éducatifs, intellectuelset scientifiques fondamentaux ». Ils offriront diversespaces spécialisés (expositions, exploratoire, docu-mentation, salles d’actualités, lieux de débats et deconfrontations, planétarium…) afin de s’adapter à ladiversité des motivations des citoyens11 ».

Le mouvement se développe sous l’influence deHubert Curien qui succède à Jean-Pierre Chevè -nement et sera notamment à l’origine de la Fête de lascience en 1992. Avec le soutien de ministères, de collec-tivités locales, et la mise en place des contrats de planÉtat/Régions, plusieurs centres de culture scientifique,technique et industriel (CCSTI)12, généralementdépourvus de collections et marqués par une volontéd’éducation, sont alors créés. Le projet ne vise pasuniquement à « populariser les sciences », mais bienà contribuer à l’évolution du rapport sciences-citoyensdans un territoire donné. Lieux de médiation culturelle,ils se focalisent sur des muséographies didactiques etplusieurs de ces centres s’implantent là où sont leurspublics potentiels.

Au cours des années 1980, « la plupart des CCSTIentrent en scène (Abret en Bretagne, Rennes, Marseille,Poitiers, Strasbourg, Toulouse…)13. » Dès lors, le sigleCCSTI recouvre une hétérogénéité de configurationssingulières en termes de taille, de statuts et de sourcesde financement. En 2008, le ministère de l’Ensei -gnement supérieur et de la Recherche décerne pourla première fois un label « Science et culture, inno -vation » – gage de qualité pour des structures localesassurant un rôle de médiateur dans le dialogue science-société – à vingt-six centres de culture scientifique,technique et industrielle14.

Pourtant, la seconde décennie des années 2000 estmarquée par des difficultés pour les acteurs de la CSTI,liées à leur mode de financement par les collectivitésterritoriales mais aussi à leurs missions.

Depuis 2011, le Programme d’investissements d’avenir, avec les appels à projets pour le développe-ment de la culture scientifique et technique et l’égalitédes chances, a favorisé l’émergence de propositions

innovantes. Plusieurs projets lauréats visent à mettreen place des actions sur le territoire national ou auniveau interrégional, d’autres visent à renforcer unestructuration régionale, à l’échelle d’une ville ou d’uneagglomération, de l’offre en matière de culture scien-tifique. Parmi les projets à dimension régionale,« Construire ensemble une région de la connaissance »ambitionne de constituer, à l’échelle de la Lorraine,un maillage territorial fin en fédérant la plupart desacteurs rassemblés au sein du projet Hubert Curien.De même, « Parcours en sciences et techniques pourla réussite des jeunes ligériens » a pour objectif l’accèsdes jeunes des Pays de la Loire à la culture scientifique,technique et industrielle tout au long de leur parcoursde vie, afin de leur ouvrir des perspectives profession-nelles. « C’est dans l’aire - Territoires de la CSTI », àvocation interrégionale, s’oriente davantage vers lespublics des territoires à dominante rurale, générale-ment éloignés des lieux de diffusion traditionnels. Et« Innovation pour la médiation dans les territoires(Inmediats) » a pour objectifs de « réduire les distancessociales, culturelles et géographiques en proposantdes modes d’accès innovants à des contenus scienti-fiques ». Pour dynamiser le territoire, ce projet a faitde la participation et de la créativité des objectifs cultu-rels majeurs. Il contribue notamment au développe-ment de Fab Labs, de Living Labs et, à Caen en Basse-Normandie, à la Maison de la recherche et del’imagination (MRI) (cf. p. 65-67).

La question des territoires est au cœur de laréflexion actuelle sur de nouveaux schémas de gouver-nance nationale et régionale. L’histoire montre qu’ilest nécessaire de maintenir une continuité avec despratiques développées depuis trente ans par les acteursde terrain pour travailler avec des publics dits « éloi-gnés ». Ces savoir-faire, alliés au développement denouveaux outils faisant notamment appel aux tech-nologies numériques, s’avèrent efficaces contre lesdisparités sociales et territoriales.

Dans le cadre des futures régions, les acteurs de laCSTI auront à organiser de nouvelles formes demutualisations entre acteurs ruraux ou urbains, etentre réseaux associatifs, publics, universitaires ouindustriels. Le développement de liens avec les acteursd’autres politiques publiques du territoire, liés parexemple à la santé ou à l’alimentation, parait égale-ment essentiel. ■

Sciences et techniques  : un enjeu de société

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 21

8. A. Bergeron, op. cit.

9. E. Guyon et B. Maitte, op. cit.

10. A. Bergeron cite le « Discours declôture au colloque national sur laRecherche et la Technologie » de Jean-Pierre Chevènement, janvier 1982, in  :Actes du colloque national Recherche etTechnologie, Paris, Seuil, 1982, p. 204.

11. E. Guyon et B. Maitte, op. cit.

12. En 1983, le IXe plan, dans sonprogramme prioritaire d’exécution n° 3,indique dans le paragraphe « Promouvoirla culture et l’information scientifique ettechnique »  : « Un réseau de centre deculture scientifique et technique seramis en place dans les régions, articuléavec le musée de La Villette ». C’est alorsque la MIDIST ajoute le «  i  » de«  industriel » aux CCST.

13. M. Sabourdy, «  Il était une fois laCCSTI », 23 avril 2011,www.knowtex.com

14. Bulletin officiel n° 29 du 17  juillet2008 et n° 30 du 24  juillet 2008  :décision d’attribution du label « Scienceet culture, innovation ».

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Dans le parc du Près la Rose àMontbéliard, les animateurs du Pavillondes sciences vont à la rencontredes publics  : ici, une animation liée auxprincipes physiques à l’origine desdifférents types de ponts.

Le véloconférence est l’outil dont s’estdoté le Pavillon des sciences àMontbéliard pour faire découvrir, l’été,les objets scientifiques répartis dansles parcs du Près la Rose et de l’Ile enMouvement. Cl

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Partager la science, en faire un objet de culture,est un enjeu majeur. Les débats sur la science ou danslaquelle la science est convoquée ont en effet prisune place croissante, dont il faut bien prendre lamesure. La rationalité scientifique s’y confronte àd’autres types de raisonnement, parfois la défiance,des stratégies de manipulation, d’influence et dedoute. Ces débats portent par ailleurs sur des objetscomplexes et évolutifs, mettant en évidence la dimen-sion sociale et culturelle des sciences et des techno-logies. Qu’on songe à un exemple dont l’actualité estbrulante : le changement climatique. Cette questiona évolué au cours des dernières années d’une problé-matique de recherche fondamentale prise en chargeà l’origine par des communautés diverses, vers unsujet aux multiples facettes qui nous interpelle tantdans la manière d’en parler, de le définir que dansles défis qu’il pose pour l’action, qui interroge enprofondeur nos modèles économiques et sociaux deréférence, et suscite de multiples controverses au-delà de la réalité du processus, reconnue par toutela communauté scientifique.

Qu’il s’agisse du nucléaire, des OGM, des stocksde poissons, des gaz de schiste, des électrosensiblesou encore de la vaccination, l’actualité nous montrecombien les controverses sont fréquentes et contri-buent à la perception sociétale des sciences et destechnologies par leur mise en scène dans leurcontexte économique, culturel ou encore politique.L’enjeu est bien alors de distinguer l’objet réel descontroverses et les valeurs mises en jeu dans le débatdes acteurs.

La complexité croissante de la fabrique même dela science, démultipliée par l’explosion des techno-logies numériques et des big data, la spécialisationinéluctable des disciplines, qui s’accompagne de lacréation d’autant de langages spécialisés, la confusiondans le sens des mots – par exemple entre recherche,expertise et innovation, représentent autant de diffi-cultés pour traduire les sciences vers tout un chacun :comment s’étonner que la perception qu’ont nos

concitoyens du progrès lié aux sciences et aux tech-nologies soit confuse ? Qu’une distanciation se soitprogressivement instaurée entre le monde scienti-fique et technique, et la société. La notion de progrèsest remise en cause, et le débat sur l’impact de lascience et des technologies sur nos sociétés, sur l’in-novation est loin d’être apaisé.

Afin de garantir à chacun une capacité pour parti-ciper au débat sur les choix scientifiques et technolo-giques, il parait indispensable de passer d’un discoursdes sciences à un discours sur les sciences, de croiserles regards, changer de postures, d’anticiper les débatsen amont des débats, de reconnaitre les normativitéset les temporalités des acteurs et des parties prenantes.Faire de la science un enjeu de culture doit être l’ho-rizon du débat science-société. Culture et citoyennetésont indissociablement liées dans un monde marquépar la complexité et la fragmen tation des savoirs. Ellesle sont également au regard d’une démocratie qui neconsiste pas à supprimer les conflits mais à leurdonner une visibilité et à inventer des procéduresdestinées à les arbitrer. Cette dimension est au cœurde l’activité de l’Institut des hautes études pour lascience et la technologie (IHEST) qui s’attache à lapenser, la rendre visible et lui donner du sens, en orga-nisant concep tuel lement les rapports entre scienceet société autour de trois piliers.

Le premier est de développer une capacité à éla -borer des normes ensemble autour des enjeux socio-techniques. Construire des normes est une activitésociale majeure, qu’il s’agisse des normes techniques,éthiques, juridiques et politiques. Or, par défaut deconfrontation des normativités de façon régulière,dans des enceintes accessibles, les sciences et lestechno logies sont convoquées dans la société à lafaveur des crises. C’est ainsi que nous évoluons decrise en crise, à l’image de l’économie, de bulle enbulle. Pour gérer cette situation, les scientifiques onttout un travail à effectuer en permanence non seule-ment avec les juristes, mais aussi avec tous les acteursde la société qui se préoccupent d’éthique.

Sciences et techniques  : un enjeu de société

22 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

Faire de la scienceun enjeu de culture : quels prérequis ?L’Institut des hautes études pour la science et la technologie est un lieu de formation, d’échanges et de réflexion qui promeut un débat éclairé sur les sciences, les technologies, l’innovation et leurs impacts sociaux. Sa mission est de participer au renouvellement du rapport de confiance entre science et société.

MARIE-FRANÇOISE CHEVALLIER-LE GUYADER

Directrice de l’Institut des hautes étudespour la science et la technologie (IHEST)

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Le deuxième est celui du débat public. Trois Amé -ricains sur cinq ne croient pas aux théories de l’évo-lution, pays dans lequel les clivages politiques portentdes clivages scientifiques, où des juges ont étéconduits, lors de procès célèbres, à définir la sciencedans le cadre du tribunal, pour mieux l’opposer àses avatars créationnistes. Le rôle de la science est deplus en plus mal compris, la vertu démocratique dudébat public étant d’engager les acteurs de la sociétédans des processus de prise de parole, de délibération,de responsabilité et de représentation.

Le troisième est celui du partage de la science.Nous sommes très souvent démunis parce que nousn’avons pas gardé une maitrise suffisante de ce qu’onnous a enseigné, et que nous sommes atteints de cettescientific illiteracy, qui n’est pas un déficit d’infor -mation mais une incapacité à la gérer, la hiérarchiser,l’utiliser dans des circonstances de la vie. Commentmieux répondre aux attentes des usagers et permettre

à chacun d’entre nous d’accéder en temps utile à dela formation, et bien sûr à de l’information, ad hoc ?Une formation tout au long de la vie doit être un desenjeux majeurs sous-jacents à la capacité d’évolutiondes sociétés qui misent sur la connaissance pour leurprogrès.

La science, la technologie et l’innovation sont plusque jamais mises en avant pour résoudre lesproblèmes auxquels les sociétés sont confrontées.Derrière cette « rationalité » se cache un enjeu beau-coup plus profond, qui touche à la culture, à lacitoyenneté et à la démocratie. C’est pourquoil’IHEST a été créé en 2007, pour pallier l’absenced’un lieu en France où des responsables issus de tousles milieux profes sionnels, quelle que soit leur culture,puissent venir se former et prendre en compte, dansleurs sphères respectives, les dimensions écono-miques et culturelles du développement des scienceset de l’innovation. ■

Sciences et techniques  : un enjeu de société

Clôture de l’appel  : 10 décembre 2015 Plus d’information (texte de l’appel,dossier de réponse)  : www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Recherche-Enseignement-superieur-Technologies/Actualites

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 23

À lire

Plusieurs ouvrages sont publiéspar l’IHEST dans la collection« Questions vives » (coéditionIHEST-Actes Sud) :

La Science en jeu, 2010.

L’Économie, une science qui nousgouverne ?, 2011.

La Science et le débat public,2012.

Partager la science. L’illettrismescientifique en question, 2013.

Science et société, les normesen question, 2014.

Au cœur des controverses.Des sciences à l’action, 2015.

PRATIQUES SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES AU REGARD DES POLITIQUES CULTURELLES :QUESTIONS ET ENJEUX Appel à projets de recherche 2015

Le ministère de la Culture et dela Commu nication a lancé le6 octobre 2015 un appel à projetsde recherche avec l’objectif demieux connaitre les questionsposées par les pratiques dessciences et des techniques auregard des politiques culturelleset d’en cerner les enjeux.

Cet appel à caractère incitatif et explo-ratoire concerne les institutions, les asso-ciations et les équipes de recherche quiont pour domaine les sciences et tech-niques (muséums, centres de culturescientifique et technique, équipes derecherche spécialisées) ainsi que cellesqui peuvent ouvrir de nouveaux ques-tionnements, des pistes de recherchesous l’angle des pratiques scientifiqueset techniques à partir de leurs domainespropres (patrimonial : musées, centresd’archives, bibliothèques/médiathèques,services de collectivités locales ;culturel : artistique, littéraire…).

ObjectifsLe premier objectif est de dégager despistes de réflexion et d’action entermes de politiques culturelles dansdes territoires de nature et de dimen-sion variées. Cet appel s’inscrit dans

une volonté de souligner le rôle primor-dial des sciences humaines et socialespour contribuer à une théorisationdes pratiques scientifiques et tech-niques dans leurs relations avec lespolitiques culturelles dans les sociétéscontemporaines. Il vise à combler desmanques constatés dans la recherche,mais aussi à traiter des points aveugles,des impensés, des zones d’ombredécelés dans les pratiques des institu-tions, des associations, des labora-toires de recherche.

Partant du fossé trop souvent constatéentre professionnels des institutionsculturelles et chercheurs, il a enfin pourobjectif d’encourager de nouvellesmanières de faire de la recherche surce domaine culturel, et plus particuliè-rement de réarticuler recherche etaction au niveau des territoires.

Cet appel est donc une invitation àcréer des occasions de rencontres, deconvergences, d’alliances, tout enpermettant à des institutions cultu-relles d’ouvrir, sur leurs chantiers prio-ritaires, des travaux de recherche.Quatre entrées sont proposées :– la collecte et la valorisation des collec-tions, fonds et documents,

– le territoire, la territorialisation,– les acteurs des pratiques scienti-fiques et techniques,– la langue, les langues, la traduction.

Cet appel vise en priorité des recherchesliées à des projets scientifiques et/outechniques et/ou patrimoniaux déjàengagés ou en émergence. Il entendainsi être un catalyseur d’intuitions, deréflexions, de dynamiques dans cesprojets et processus.Les recherches peuvent être de diffé-rentes natures : – état des lieux des pratiques, à n’im-porte quel stade du processus, pouren dégager les limites et les potentiels,– recherches qui entrent en dialogueavec des projets ou chantiers scienti-fiques ou techniques,– recherches qui sont parties prenantesd’expérimentations lancées par desacteurs scientifiques, techniques, patri-moniaux, culturels...

Afin de permettre une réflexionpartagée, le suivi des recherches seraorganisé par l’Office de coopération etd’information muséales (OCIM). ■

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Depuis des décennies, les sciences et techniquespeinent à prendre leur pleine place au sein de l’éven-tail des politiques culturelles, tant en France qu’enEurope. À l’inverse d’autres pratiques culturelles « demasse », comme les pratiques artistiques ou sportives,les pratiques scientifiques et techniques n’ont pasfranchi clairement la barrière de la démocratisation,malgré de multiples tentatives. S’agit-il d’une fatalité ?D’une spécificité ? D’un déficit de travail conceptuel ?D’un déficit de pensée et d’action politique et admi-nistrative ? Le colloque-forum qui s’est tenu enjanvier 2015 à l’Espace Pierre Cardin à Paris, à l’ini-tiative de l’Alliance Sciences Société, visait à contri-buer à ces débats, mais surtout à proposer aux acteurs,dans leur diversité, d’apporter des réponses et despropositions. Mais en quoi la situation des rapportsculturels et institutionnels aux sciences et aux tech-niques est-elle si singulière ?

Ceci est d’abord dû à un amalgame, entretenu defaçon continue par l’ensemble des institutions scienti -fiques du monde entier, entre pratiques et productionsscientifiques ; un peu comme si pratiques et produc-tions artistiques se confondaient. Tout le monde trou-verait cet amalgame curieux, y compris dans le troi-sième champ des pratiques culturelles « de masse »que sont les pratiques sportives. Le mélange perma-nent entre le champ « de l’excellence » (sportive, artis-tique et scientifique) et celui des pratiques sociales nedemeure vivace, curieusement, que dans le domainedes sciences. En d’autres termes, les politiquespubliques ne reconnaissent comme pratiques socialesdes sciences (et donc ne valorisent) que la productiond’articles scientifiques et le dépôt de brevets. Tout lereste n’existe tout simplement pas, n’a pas de senspour les institutions et politiques actuelles, sinon à lamarge de la « vulgarisation ». Ceci peut se comprendrequand on dirige une institution scientifique, mais nerésiste pas à une analyse approfondie dès lors que l’onse place sur un plan anthropologique, d’où l’on peut

mieux appréhender les rapports, denses et multi-formes, qu’entretient toute société, depuis des tempsimmémoriaux, à la scientificité de pratiques sociales(bien avant leur professionnalisation), aux techniquesou aux technologies.

Cette réduction analytique s’explique essen tiel -lement par le fait que du point de vue de l’État, la poli-tique scientifique et technique se réduit à sa dimensionde puissance. Ce que l’on peut qualifier sur une échellehistorique de « lente dynamique de laïcisation et desécularisation des pratiques et démarches scientifiqueset techniques1 », qui touche à la quasi-totalité duspectre des disciplines de la connaissance, n’a pastrouvé de signification au sein des puissancespubliques, pas plus que pour la plupart des espacesinfra ou supranationaux. Nous demeurons encoredans l’attente d’une vision de l’aménagement cultureldu territoire du point de vue des pratiques culturellesscientifiques et techniques. Le champ est énorme,enthousiasmant, porteur de sens, de repères et decohésion sociale.

Cette situation insatisfaisante perdure depuisl’avant-guerre et l’ouverture du Palais de la découverte.Elle n’a pu ni su être infléchie par la création de la Citédes sciences et de l’industrie et des différents CCTSIau milieu des années 1980. Le primat malracien de lamonstration persiste, malgré de nombreuses tentativesd’évolution cette dernière décennie – au travers essen-tiellement des pratiques numériques, et de la cohortede Fab Labs, Hackerspaces et autres espaces et inter-faces territorialisés. Mais demeure toujours dans notrepays cette curiosité nommée « culture scientifique ettechnique ». Celle-ci tire ses racines d’une logiqueexclusive de défense et de promotion de la place dessciences et techniques comme porteuses de progrès.De nombreux auteurs ont démontré en quoi elle tiraitsa logique du concept du deficit model qui postule :1) l’ignorance a priori des habitants (et non leur goût,leur adhésion, leur intérêt et leurs savoirs a priori quetous les observateurs attestent continument) ; 2) une

1. Laïciser  : soustraire une organisationhumaine de l’influence religieuse.

Séculariser  : faire entrer dans le domainedu pouvoir civil des fonctions qui étaient

un privilège du clergé.

2. Dans le seul attendu de la loi de 1982où s’énonce un lien avec la société, il est

dit que « c’est au prix d’une vasteentreprise de diffusion des savoirs […]

que nous pourrons faire reculer certainspréjugés contre la science et latechnologie, tenir en lisière les

mouvements antiscience et mettre enmesure les citoyens de mieux cerner

l’importance des enjeux scientifiques ettechniques ».

Sciences et techniques  : un enjeu de société

24 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

Quelle politiqueculturelle des scienceset techniques ?Pourquoi les politiques culturelles des sciences et techniques restent-ellesinsuffisamment opérantes ? Quelles conditions pourraient en assurer la réussite ?Quels postulats faut-il repenser ? Dans le prolongement du colloque « Réinventerl’alliance Sciences Société » tenu en janvier 2015, Lionel Larqué nous livre ici sonanalyse.

LIONEL LARQUÉSecrétaire exécutif

de l’Alliance Sciences Société

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tendance à l’irrationnel de la part des habitants (idéeexplicitée dans les attendus de la loi de 1982 sur larecherche2) ; 3) une défiance envers « la » science quigrandirait (discours répété en boucle que démententles études sur le sujet).

L’Alliance Sciences Société a démontré depuis troisans les erreurs logiques et les inconsistances à l’originede ces préjugés tenaces dans certains cercles, en d’au-tres termes la fausseté de ces trois postulats et, consé-quemment, l’incomplétude des politiques des scienceset techniques depuis plus d’un demi-siècle. Cette asso-ciation – qui fédère des associations de ladite sociétécivile et des institutions d’enseignement supérieur etde recherche – propose d’enrichir tant les politiquesde recherche et d’enseignement supérieur que des poli-tiques culturelles et scientifiques en ces domaines, sansréduire la réflexion aux seules sciences dites impro -prement participatives3.

En effet, la situation est désormais connue : nousassistons à une prolifération et une démultiplicationde pratiques scientifiques et techniques, bien au-delàde l’ancienne figure canonique de « l’amateur ». Celles-ci sont aussi massives qu’invisibles. Invisibles car, enpremière lecture, inintéressantes du point de vue desstratégies des principales institutions d’enseignementsupérieur et de recherche, puisqu’elles sembleraientn’avoir que peu de liens avec les enjeux économiquesou de puissance. Mais même de ce point de vue, lecalcul comme la perspective sont faux. Plus la basesociale des praticiens s’élargit, plus le « stock » danslequel puiser de l’excellence s’étend mécaniquement.En d’autres termes, et par analogie avec les pratiquesartistiques, plus il y a de conservatoires, d’éducateursartistiques naviguant dans un champ professionnelsocioéducatif reconnu pour son utilité sociale et tech-nique, plus l’excellence se diversifie et se nourrit. Cecisignifie que les ambitions d’excellence ne sont nicontradictoires (en termes de ressources ou de démo-graphie) ni parallèles aux pratiques sociales. Bien aucontraire, elles se nourrissent les unes les autrescomme on peut le constater depuis les années 1930dans les pratiques sportives, et depuis les années 1970pour les pratiques artistiques. Faut-il rappeler ici ceque les arts de la rue et le renouveau du cirque ou ladanse contemporaine doivent, respectivement, à l’action des réseaux d’éducation populaire des années1970 et 1980, et à l’émergence du hip-hop dans lesannées 1990 en France? De nombreux autres exemplespourraient, à profit, être convoqués.

La dernière raison de la faiblesse des politiquesculturelles scientifiques et techniques est conceptuelle.Elle réside dans le déficit récurrent de réflexion sur« les techniques » dans un pays dominé par les tradi-tions néoplatoniciennes et positivistes, et par incidence,par la prééminence de l’idée sur le faire et l’action. Cetropisme français est connu, réel, et pèse sur denombreux interstices sociaux, culturels, politiques etéconomiques. Il reviendrait donc aux politiques cultu-relles des sciences et techniques d’accompagner, dequalifier, de valoriser de façon beaucoup plus proactiveles pratiques sociales des sciences et techniques, proba-

blement en établissant des analogies avec ce que lesdomaines des pratiques artistiques et sportives ontopéré en un demi-siècle. Ainsi pourrions-nous aiderde larges pans des acteurs à se repositionner, sereine-ment mais résolument.

Le dernier enjeu qui justifie une prise en comptede ces défis concerne les crises écologiques, écono-miques et démocratiques qui secouent nos pays. Unrapport à la connaissance largement soutenu sans apriori ni condescendance des institutions « d’excel-lence », permettrait d’accompagner les initiatives denos concitoyens sur des défis aussi cruciaux que lasanté, la gestion des écosystèmes et de la biodiversité,les pratiques de jardinage et de production caloriquemicrolocale, les échanges de pratiques et de savoirslocaux essentiels à la vie des gens, l’appropriation detechnologies modernes – au premier rang desquellesles mondes numériques. Enfin, il permettrait dedéployer un réel secteur socioéconomique, normé,stabilisé et reconnu, des pratiques sociales des scienceset techniques, avec ses diplômes (comme ceux d’édu-cateurs artistiques et sportifs), ses institutions sociales(comme les conservatoires qui ne visent pas uni -quement l’excellence, mais aussi la diffusion despratiques de musique, de chant ou de danse dans lapopulation). Au sein de ce beau chantier républicain,il convient de constater que l’expérience des « labels »tels qu’ils sont développés au sein du ministère de laCulture n’offre pas un cadre administratif appropriéeu égard à la problématique ici discutée. Ils constituentune modalité administrative d’allocation de fonds,liée à une politique publique ainsi qu’à des lignesbudgétaires clairement définies. En matière de poli-tique culturelle des sciences et techniques, notre

propos est de dire d’un côté qu’elle ne peut se réduireà une surannée « politique de CSTI », qui fut le fruitde réflexions couvrant la période 1930-1980, et del’autre qu’on ne peut « penser des labels » qu’une foisune politique publique conceptualisée, ce qui n’estpas encore le cas. Qui plus est, les labels ne couvrentpas tous les enjeux. Certes, ils peuvent accompagneret rassurer des établissements sous convention, unefois un cahier des charges établi par les acteurs concernés, mais ils ne permettent pas de penser lespectre des enjeux éducatifs et formatifs du domaine.Quid des équivalents des conservatoires de musique

3. Une recherche (au sens d’unetrajectoire d’investigation) peut êtreparticipative, dans le double sens duterme (fournir des données aux institutsde recherche, ou participer de façon plusapprofondie à de véritables partenariatsde recherche entre professionnels etsociété civile) ; mais une « science » nepeut être qualifiée de participative,citoyenne, située, contextualisée, action.En revanche vouloir qualifier,sociologiquement, les parties prenantesd’une recherche est pertinent. C’est lesens, nous pensons, de la nécessité demaintenir les adjectifs de citoyennes ouparticipatives aux logiques de recherchequi peuvent avoir des ambitions deproduction scientifique, ou pas.

Sciences et techniques  : un enjeu de société

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 25

«[...] le déficit récurrent de réflexionsur “les techniques” dans un paysdominé par les traditionsnéoplatoniciennes et positivistes,et par incidence, par la pééminencede l’idée sur le faire et l’action. »

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en matière de politique culturelle des sciences et tech-niques ? Quid d’un véritable statut d’éducateur depratiques scientifiques et techniques (et d’une filièreafférente) ? Quid d’une stratégie visant, par compa -raison avec les pratiques artistiques ou sportives, à« couvrir » le territoire français non pas de 30 maigrescentres, mais de 2 000 lieux de pratiques ? Quel seraitl’équivalent des lieux de répétition musicale degroupes amateurs en matière de politique culturelledes sciences et techniques ? Les espaces de travail colla-boratif et autres tiers lieux préfigurent-ils cette proli-fération et cette reconnaissance de lieux de pratiquesdéjà existants ? C’est à cela que devrait servir une poli-tique publique culturelle des sciences et techniques,démontrant en quoi elle constitue un levier de déve-loppement local, régional, national et européen.

Ces constats posés, nous ne partons pas de rien,loin s’en faut. C’est ce qu’a su montrer le colloque-forum du 7 au 9 janvier 2015, intitulé « Réinventerl’alliance Sciences Société »4, qui s’est déroulé enprésence d’un millier de participants, dont 40 % issusdu monde de la recherche et 60 % issus des acteurssociaux, associatifs, citoyens, de l’entreprise et de lafinance. De la genèse à la réalisation du projet, toutesles phases de la construction du colloque-forum ontété coélaborées par le monde de la recherche et desacteurs sociaux (temporalité, choix des thèmes, desintervenants, des méthodes d’échange et de capitali-sation). Du Conseil général de l’économie, de l’indus-trie, de l’énergie et des technologies, en passant parATD Quart Monde, AIDES, l’Institut francilienRecherche Innovations Société ou encore Les Petitsdébrouillards ou l’ANIS (entre autres 120 associationset institutions), la coconstruction a constitué unecondition de la réussite et de la pertinence. 334 inter-venants se sont exprimés au sein de 60 ateliers surtrois jours. La diversité des acteurs présents et repré-sentés (de France, d’Europe et du reste du monde) està noter. Le colloque ambitionnait de réunir, plus quedes individus, des institutions, car les enjeux que nousaffrontons les impliquent : du monde de la banque,de l’entreprise, des mouvements citoyens et sociaux,en passant par le parlement (l’Office parlementairede l’évaluation des choix scientifiques et techniques[OPECST]), la Commission européenne et, enfin,l’admi nis tration – les « parties prenantes », comme ilest coutume de dire – ont contribué. Une grande

qualité des échanges et des relations entre catégoriesd’acteurs, la capacité à entrer dans le vif du sujet sans« coût cognitif insurmontable », un déficit de défi -nition des métiers d’intermédiation dans le domainedes coopérations recherche-sciences-société, unprofond malaise dans les métiers de la médiation, l’absence de stratégie institutionnelle visant à qualifier,accompagner et promouvoir les interactions recherche-sciences-sociétés, la nécessité d’assoir une stratégieéconomique et financière de ces interactions sur unmodèle complémentaire de la subvention ou de l’inves -tis sement capitalistique (bref, une troisième voie), telssont les principaux enseignements de ces trois journées .

Les conclusions présentées le 17 novembre 2015au Conseil économique, social et environnementalfournissent un large éventail de suggestions, toutesportées par une ambition partagée et affirmée par lesparticipants, à savoir de ne pas en rester à uneapproche superficielle, et d’affronter la complexitédes situations et des contraintes des uns et des autres.

Alors que la loi de juillet 2013 intègre, et ce pourla première fois, dans ses articles 6, 8 et 50, le besoinde « promouvoir, accompagner et développer » les« interactions sciences société », le ministère chargéde la recherche peine à se saisir de ces enjeux. Toutefoisla ministre, Mme Valaud-Belkacem, et le secrétaired’État à l’enseignement supérieur et à la recherche,M. Mandon, ont confié à François Houllier, PDG del’INRA, une mission sur les « sciences participatives ».Et l’OPECST a accepté d’accompagner la propositionfinale du colloque-forum, à savoir l’élaboration, dès2016, d’un livre blanc « Recherche, Sciences, Société ».Bref, il semble que nous assistions à un frémissementen ces matières, preuve que la puissance publiquecommence à saisir en quoi un nouveau « pacte culturelde la connaissance » est à la fois souhaitable et acces-sible. Le ministère de la Culture acceptera-t-il de jouersa partie, résolument ? ■

4. Ce colloque a reçu le soutiendu ministère de la Culture et de

la Communication.

Sciences et techniques  : un enjeu de société

26 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

«Quid d’une stratégie visant,par comparaison avec les pratiquesartistiques ou sportives, à “couvrir”le territoire français de 2000 lieuxde pratiques? »

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Musées techniques et centres de sciences, revueset collections de vulgarisation, évènements nationauxcomme la Fête de la science ou les Nuits des étoiles,cafés ou théâtres scientifiques, projets participatifssur la biodiversité, clubs ou réseaux sociaux théma-tiques, Fab Labs, autant d’activités associées au quali-ficatif de « culture scientifique, technique et indus-trielle » (CSTI). Cette appellation regroupe en effetaujourd’hui la plupart des actions de mise en culturedes sciences ou technosciences et un large consensuss’accorde pour affirmer qu’il faut en faire une « prioriténationale ».

Au dire de leurs bénéficiaires et commanditaires,ces actions se montrent en grande majorité pertinentesau niveau local et à l’échelle des petits groupes1. Enrevanche, force est de constater rétrospectivement queles programmes de CSTI ne semblent pas avoirproduit les effets attendus au niveau national ; preuveen est la répétition de discours officiels alertant surune présumée « désaffection des sciences ». Annéeaprès année, depuis quatre décennies, experts et poli-tiques renouvellent, dans une rhétorique de prophétiesociale, une injonction à la « CSTI pour tous » commeun impératif incontournable, seul capable d’éviterque la connaissance scientifique soit perçue commeéloignée des intérêts de la majorité des citoyens,éludant toujours le fait qu’ils ne répètent là qu’uneénième variante d’un vain plaidoyer.

Certes, tous ces discours ne sont pas parfaitementidentiques : ces dernières années, l’idée d’une désaf-fection des filières de formation scientifiquecommence à être questionnée et est mise en regardde la pénurie de plus en plus criante de postes offertsaux chercheurs ; en parallèle, s’est accrue la place accor-dée à une « nouvelle donne » qui résulterait de la« société de la connaissance numérique » ou de « parte-nariats profanes-professionnels », mais celle-ci resteprésentée comme « d’une portée contrastée », en parti-culier en raison de différentes « fractures numériques ».

Si les discours se répètent, c’est en partie à causede leurs ambigüités : ils ne définissent pas ce que« scientifique et technique » désignent. Mais c’estsurtout à cause d’une forme de déni dans lequel ilstiennent les effets sociaux de l’organisation des filièresscolaires : ils ne prennent pas en compte le fait que,dans nos sociétés contemporaines, la relation globaleà la science résulte majoritairement de la façon dontl’éducation initiale la définit et l’enseigne.

Les experts et politiques qui tiennent ces discoursimaginent des programmes de CSTI susceptiblesd’améliorer, dans un même mouvement, la détectionde l’élite et le partage des savoirs. Ils en oublient quec’est le système d’enseignement secondaire françaisqui est calibré pour catégoriser – de par la volumétriechoisie pour les filières – chaque classe d’âge en unquart de scientifiques (les bac S et assimilés) et troisquarts de non-scientifiques (les autres). Ils oublientaussi que cela se fait majoritairement par l’adminis-tration de mauvaises notes de nature à produire unsentiment d’inefficacité personnelle. Et qu’est ainsiajouté aux obstacles cognitifs individuels un obstaclemotivationnel ou « conatif » lié à la conviction de neplus être capable de s’intéresser aux sciences. Ensuite,la mémoire du vécu des programmes scolaires renforcela catégorisation actée par le clivage des baccalauréats.

Les injonctions nationales à la « CSTI pour tous »ne pourront avoir de répercussions de masse que sil’invariant auquel elles se heurtent, cette catégorisationproduite par l’enseignement secondaire, est modifié.Les politiques de CSTI pour adultes sont plus orientéesvers l’organisation d’un dialogue entre scientifiqueset non-scientifiques que vers la lutte contre cette caté-gorisation. Leur feuille de route est de bâtir « un lienentre la science et la société », or, à l’exception decertaines activités de « sciences participatives »2, cesprogrammes s’intéressent plus aux dialogues entre les« opinions » des non-scientifiques et les « connais-sances » scientifiques qu’aux partages de savoirs. Cettedivision étant vue comme un fait intangible et noncomme un construit social, il faudrait se contenterd’apprendre à l’accepter.

Pour autant, ce constat qui pourrait paraitre trèscritique pour les actions de CSTI ne doit pasconduire à juger celles-ci vaines et inutiles. D’unepart, on peut supposer que « cela » serait pire si ellesn’existaient pas. D’autre part, nous l’avons rappeléplus haut, la CSTI est efficace localement et singuliè-rement. Photographier les aurores boréales ou leséclairs, se prendre de passion pour les fouilles archéo-logiques, le théâtre scientifique ou les ondes Marte-not peut modifier le destin de tout un chacun, entermes de vie professionnelle comme d’épanouisse-ment dans les loisirs. Les souvenirs de vie denombreux animateurs scientifiques sont émaillés devéritables inflexions de trajectoire, et certains non-scientifiques scolaires s’autorisent à s’approprier des

1. Plus particulièrement, lesorganisations de l’éducation populairepermettent chaque année dans cechamp scientifique et technique, « à plusd’un million de jeunes, de développerleur curiosité, leurs savoirs et leur espritcritique mais aussi à des millionsd’adultes et de familles par le biaisd’actions de formations, de festivals, demanifestations publiques, de clubs, dedébats. […] De telles pratiques actives,leur permettent de clarifier les opinions,de les formuler et de savoir lesconfronter à celle des autres tout autantqu’aux phénomènes observables ».Extrait de : « Manifeste de Montsouris.Pour la reconnaissance des pratiquesd’activités scientifiques et techniques »,2011.http://manifeste.montsouris.org

2. Dans lesquelles les non-scientifiquessont reconnus comme des partenairescapables de partager des connaissancesempiriques ou populaires.

Sciences et techniques  : un enjeu de société

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 27

CSTI et éducationpopulaire« Dans nos sociétés contemporaines, la relation globale à la science résultemajoritairement de la façon dont l’éducation initiale la définit et l’enseigne. »

OLIVIER LAS VERGNASPrésident de l’Association françaised’astronomieProfesseur à l’Université des sciences ettechnologie de Lille (laboratoire Trigône-CIREL)

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savoirs qu’ils reconnaissent eux-mêmes comme scien-tifiques pour résoudre des problèmes, voire pourcontribuer à leur production.

Deux visions de la CSTI coexistent. Unepremière organise un dialogue entre scientifiqueset « profanes », ne remet pas en cause la fabricationde ce clivage mais l’institue plus encore. La secondepromeut a contrario l’appropriation de savoirs etde méthodes qui transgressent cette catégorisationscolaire et le clivage socioculturel qui en découle.Cette vision est illustrée par exemple par desgroupes de personnes qui s’organisent pour tirerparti des savoirs expérientiels liés à des maladieschroniques afin d’en assurer l’autoclinique, ou quis’engagent dans des activités de veille militante,d’« épidémiologie populaire », ou encore qui s’épa-nouissent dans la pratique d’un loisir scientifiqueou technologique. Cette seconde approche véhiculeles valeurs émancipatrices et d’empowerment del’édu cation populaire, donnant aux habitants lapossibilité de chercher par eux-mêmes des réponses.Elle pourrait être qualifiée de little science, expres-sion créée par Derek Price pour différentier les inves-tigations à taille humaine du XVIIIe siècle de larecherche scientifique actuelle ou big science, impen-sable sans gros investissements.

De ce point de vue, l’actuelle institutionnalisationhégémonique de la recherche scientifique comme bigscience ne doit pas empêcher de considérer lespratiques réflexives plus individuelles ou locales quiont nourri la little science comme méritant aussi l’appel -lation de « scientifique » : une conception rénovée dece qui définit des investigations scientifiques doitinclure l’impure science, c’est-à-dire, selon Steven

Epstein3, une science nourrie de multiples copro -ducteurs de savoirs.

Ces questions sémantiques confirment qu’un desproblèmes centraux de la CSTI réside dans les repré-sentations sociales de qui ou de quoi l’on souhaite voirqualifier de scientifique au baccalauréat, dans lesmédias, dans la société... Or, s’impliquer dans la miseen culture de la science, c’est contribuer à construireune représentation sociale de la science et non passimplement rendre compte de ce que serait la « VraieScience ». Il est légitime de considérer que la réflexivitéet les phénoménologies pragmatiques de chacun méritent d’être vues comme une forme scientifiquedès lors qu’elles s’organisent autour de la recherchede faits, de preuves et de confrontations sceptiques4.

Ainsi, dans une perspective d’éducation populaire,la CSTI doit coconstruire l’usage du terme « scienti-fique » comme une perspective accessible à tous, aumême titre que la perspective « artistique », commeun moyen pour tout un chacun de regarder et d’inter-roger son environnement, de photographier des étoilesfilantes ou des lépidoptères, de s’interroger sur unfilm de science-fiction ou sur une série TV sur l’archéo -logie, de partager des savoirs et de l’expérience surune maladie orpheline ou encore de réparer son accor-déon dans un Fab Lab.

Tel est bien un des enjeux essentiels du champ dela CSTI. ■

3. Steven Epstein parle d’impure scienceà propos des incursions des

communautés de malades du SIDA dansla clinique de leur maladie.

4. Comme l’indique le Manifeste deMontsouris «  Il est [d’ailleurs] illusoire

d’espérer un partage plus démocratiquedes décisions scientifiques et techniques

en se contentant de chercher à comblerun présumé déficit d’informations des

non-spécialistes. Il le serait tout autantde vouloir recueillir des opinions

citoyennes pertinentes sans favoriserdes appropriations de méthodes, de

raisonnement et de résolution deproblèmes. »

Observateurs lors des Nuits des étoiles.

Sciences et techniques  : un enjeu de société

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L’enquête menée par Christine Détrez et ses collaborateursen 2012 a comporté plusieurs volets  : le premier, financépar Universcience, consistait à ana lyser sous l’angle dugenre des expositions présentées à la Cité des sciences etde l’industrie (CSI) et au Palais de la découverte. La mêmeproblématique, dans le cadre d’un séminaire mené à l’Écolenormale supérieure de Lyon, a été élargie ensuite à d’autrescorpus  : des dessins animés présentant des personnagesscientifiques, des émissions de télévision de vulga ri sationscientifique (C’est pas sorcier), une sélection de manuelsscolaires, et le magazine Science et vie Junior. Le deuxièmevolet, financé par le ministère de la Culture et de la Commu-nication, a pris la forme d’une enquête par entretiens afind’interroger le rapport à la science des enfants et desadolescents, en croisant le genre et l’appartenance declasse. Sont présentés ici deux extraits de la contribution de Christine Détrez et Claire Piluso à l’ouvrage Questions degenre, questions de culture, édité sous la direction de SylvieOctobre dans la collection « Questions de culture » du minis-tère de la Culture et de la Communication (DEPS). Lepremier extrait analyse la présence/absence de figuresféminines dans les expositions de la CSI et dans la revueSciences et vie Junior. Le second dresse les conclusionsdes résultats des deux volets de l’enquête.

DE L’INVISIBILITÉ DES FEMMESL’ensemble des corpus analysés témoigne de l’invi-

sibilité dans laquelle sont cantonnées les femmes dansles dispositifs de médiation de la culture scientifique,qu’il s’agisse d’expositions ou de journaux de vulgari-sation scientifique.

Dans les expositions, le langage employé, et notam-ment la prédominance du terme « homme », ou desadjectifs et articles déclinés au masculin, témoigneque l’on est bien loin de la prise en compte d’unlangage épicène, et concourt d’emblée à l’effacementdes femmes, qu’il s’agisse des titres de certaines expo-sitions (« Des transports et des hommes », « L’hommeet ses gènes », « Les Gaulois »…), ou des panneauxet explications ponctuant les visites, où dans unemême exposition (par exemple « L’Homme et ses

gènes »), le glissement s’opère entre « l’Homme »,« les Hommes », et « les hommes ».

Par ailleurs, comme il l’a été montré récemmentpour les manuels1, la sous-représentation des femmes(et des filles) est manifeste. L’effacement est ainsi parti-culièrement efficace car il opère de plusieurs façons.Premier aspect, les métiers scientifiques se conjuguentau masculin. Ainsi, dans l’exposition « Origine de lamatière », la légende « Les chercheurs du CEA, ensei-gnants, citoyens » est associée à une photo qui repré-sente un homme et un petit garçon, et tout au longde l’exposition, on entendra ou lira ainsi : « les chercheurs… ils se sont aperçus… » (stand « Corauxsolitaires, paroles de corail ») ; « le géologue » assortid’une image de géologues hommes (film « Montagneau labo ») ; «… avec les yeux d’un astrophysicien… »(stand « Au-delà de la terre ») ; « savants, mathé ma -ticiens, physiciens », suivis de sept scientifiques…hommes (Aristote, Galilée, Copernic, Newton,Lagrange, Maxwell, Kepler, « Les lois de la physiqueclassique »). Les exemples de ce type sont récurrentsdans toutes les expositions analysées. Les femmes,dans l’exposition « Lumière », n’apparaissent ainsique sous la forme d’un hologramme, d’une mainbaguée (celle de la femme du scientifique allemand,prix Nobel de physique en 1901, qui découvrit lesrayons X), d’une photo de femme avec les cheveuxdressés sur la tête ou encore d’une illustration d’œilde femme maquillé pour illustrer les expériences deFaraday.

Ainsi, non seulement la plupart des femmes quiont pourtant marqué l’histoire d’une discipline sontoubliées, mais les conditions sociales de leur évictionde ces mêmes disciplines ne sont pas plus mentionnées,un silence qui contribue à normaliser leur absence2.

Quant aux femmes qui, malgré tout, sont repré -sentées, elles le sont dans des rôles minorés socia -lement : si elles sont expertes et scientifiques, elles viennent davantage des sciences sociales ethumaines ; si elles sont représentées dans le quotidien,elles sont souvent cantonnées dans des rôles et desattitudes stéréotypés. Ce sont ainsi les femmes quisont représentées en situation hiérarchique inférieuredans les mondes scientifiques professionnels (assis-

1. Centre Hubertine-Auclert, « Histoire etégalité femmes-hommes  : peut mieuxfaire ! La représentation des femmesdans les nouveaux manuels d’histoire deseconde et de CAP », 2011 ; « Lesreprésentations sexuées dans lesmanuels de mathématiques determinale », 2012 ; « La représentationdes femmes dans les manuels scolairesde français. Les manuels scolaires defrançais se conjuguent au masculin »,2013 (www.centre-hubertine-auclert.fr/publications#manuels).

2. Afin de rendre manifeste cetteabsence et de rompre ainsi l’évidence, ilne serait sans doute pas très compliquéde placer un cartel à la fin d’une frisebiographique masculine, en signalantcette écriture de l’histoire au masculin.

Sciences et techniques  : un enjeu de société

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 29

La culture scientifique, une culture au masculin?La culture scientifique est encore souvent ignorée par les enquêtes sociologiques.Et pourtant s’y croisent des problématiques diverses, qu’elles proviennentde la sociologie de la culture, de la sociologie de l’éducation, ou encore du genre.Il est primordial de réencastrer la science dans la société qui lui est contemporaine,et d’en étudier la construction et la diffusion.

CHRISTINE DÉTREZMaitresse de conférences en sociologieCentre Max-Weber, École normalesupérieure de Lyon

CLAIRE PILUSODoctorante en sociologieCentre Max-Weber, université LumièreLyon 2

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tantes, étudiantes), quand les hommes sont maireset professeurs (films dans « Océans », ou à l’entréede l’exposition « Le grand récit de l’univers »).

Pourtant des exceptions existent à cette règle deminoration des représentations des femmes. Ainsi,dans l’exposition « Les Gaulois », si les Gauloises sontquasi absentes de l’exposition, en revanche les femmessont bien représentées dans la scénographie et laprésentation des métiers liés à l’archéologie. Parmiles photographies d’archéologues se trouvent autantde photos d’hommes que de femmes, et les femmessont aussi « spécialistes » que les hommes. La « paly-nologue » fait ainsi pendant au « céramologue ».Concernant les métiers associés à l’archéologie, autantde femmes que d’hommes sont représentées dans despostures scientifiques, en laboratoire, manipulantdes microscopes ou utilisant un langage scientifique.Mais ces exceptions restent limitées. Dans cette mêmeexposition, les chantiers de fouilles présentés dansles vidéos sont le plus souvent animés par deshommes, de même que dans les jeux interactifs propo-sant de se placer « dans la peau d’un archéologue »,une voix off masculine débute par « Bonjour, je suisLoïc le responsable du chantier ». Car si les assigna-tions sont visuelles, elles passent par les images et lesmots, mais également par les voix employées : voixmâle et grave pour les explications scientifiques, voixféminines quand il s’agit des consignes à respecterpour les multiples jeux interactifs présentés dans lesexpositions.

Dans la même perspective, la recension de l’inté-gralité des articles de huit numéros consécutifs deScience et vie Junior révèle que la représentation mascu-line domine dans les trois quarts des cas (74 %d’hommes pour 26 % de femmes), avec des variationsselon la sphère de représentation : 71 % d’hommeset 29 % de femmes dans la sphère professionnelle,70 % d’hommes et 30 % de femmes dans la sphèrehistorique, 64 % d’hommes et 36 % de femmes dansla sphère scientifique, 63 % d’hommes et 27 % defemmes dans la sphère relevant des loisirs. Enrevanche, les représentations sont moins déséquili-brées en ce qui concerne la sphère domestique,comme si l’effort ne portait que sur les stéréotypesles plus flagrants, comme le remarquait déjà SylvieCromer : « Si les stéréotypes les plus flagrants et lesplus récurrents, comme la mère en tablier, le père etson fauteuil ou la petite fille à la fenêtre, semblents’être estompés, non seulement ils n’ont pas disparu,

mais on est loin de s’être défait du genre : commedans la réalité, les rapports sociaux de sexe imaginairesse recom posent3. »

Les couvertures de Science et vie Junior illustrentde façon flagrante cette absence des femmes : les deuxseules occurrences de femme en couverture sont…une statue de l’Atlantide, et un robot, dans unemagnifique réinterprétation du mythe de Pygmalion,puisque la couverture met en scène un homme épousant une robot habillée en mariée. L’analyse destitres des couvertures, outre la suprématie du masculin,décrit une science performante, une « super-science »,renforçant également le stéréotype du masculin : « Lessuper-pouvoirs de l’ADN » « Les super-pouvoirs dela lumière » sont en légende d’illustrations présentantdes super-héros4. Alors que le dernier exemple auraitpu faire l’objet d’une symbolisation féminine (« la »lumière), il est frappant de constater que la couvertureest illustrée par un homme. ■

NÉCESSITÉS ET DIFFICULTÉS D’INTERROGERLES ÉVIDENCESSi l’enquête montre que les stéréotypes et croyances

coriaces prennent racine dès l’enfance, la culturescientifique, telle qu’elle est diffusée, contribue, d’unecertaine façon, à la conforter, par l’invisibilité desfemmes, non interrogée, non critiquée, non encadrée,et donc naturalisée et normalisée. Enfin, les entretiensmontrent aussi l’importance de ne pas extraire le genredes autres caractéristiques sociales, comme la positionsociale, l’âge ou la situation scolaire.

Est-ce vraiment un hasard si la majorité des fillesredoutent les mathématiques, si les garçons et fillesde milieux populaires n’envisagent pas la sciencecomme un choix possible, si les garçons des classesmoyennes et supérieures adorent la science et si cesont les filles issues de classes supérieures dont lamère a connu une trajectoire estudiantine et profes-sionnelle scientifique qui souhaitent s’orienter versdes filières et métiers scientifiques ? Non seulementla possibilité de passer de la fréquentation d’uneforme de culture scientifique – ensemble depratiques, de goûts, d’intérêts liés à la science – à saconversion scolaire ne se fait pas de façon aléatoire,mais elle est naturalisée et essentialisée chez la plupartdes enfants.

On voit bien alors quel pourrait être le rôle desexpositions, des musées, de la culture scientifique diffu-sée par les institutions : l’absence des femmes est fina -lement tellement normale et banale, qu’elle est invi -sible, alors que ce pourrait être le lieu, au contraire,de l’interrogation de ce qui fait de cette science unesuper-science, science de héros et de performance,conjuguée au masculin. Certes, la mise en évidencede ces assignations n’est pas simple, d’autant que règne,comme le rappelle Lawrence Levine, citant Marc Bloch,« la pudeur singulière qui, aussitôt sortis de l’atelier,semble nous interdire de mettre sous les yeux desprofanes les nobles tâtonnements de nos méthodes5 ».Mais elle vaut d’être tentée. ■

3. Sylvie Cromer, « Le masculin n’est pasun sexe  : prémices du sujet neutre dans

la presse et le théâtre pour enfants »,Cahiers du genre, n° 49, 2010.

4. Concernant l’émergence de ce modèlede la science, voir  : Derek J. Price de

Solla, Little Science, Big Science, NewYork/Londres, Columbia University

Press, 1963.

5. Lawrence W. Levine, Culture d’en haut,culture d’en bas, Paris, La Découverte,

2010 [1988 pour éd. Originale], p.  16.

Sciences et techniques  : un enjeu de société

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À paraître

Christine Détrez, Les femmespeuvent-elles être de Grands

Hommes, Paris, Belin, à paraîtreen 2016.

Science et Vie Junior hors-série, n°  102,oct. 2013 (les supers pouvoirs de lalumière) et n° 285, juin 2013 (Vivre

heureux avec les robots).

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Un linguiste ayant pour objectif de faire connaitreou de promouvoir des mots et des définitions a natu-rellement besoin, dès lors qu’il se penche sur destermes de spécialité, d’experts des domaines dont relèvent ces termes. Un travail mené en commun avecles spécialistes offre un cheminement d’une extraor-dinaire richesse. Le rappel de deux grandes expériencesinstitutionnelles ayant pour but la diffusion et l’enri-chissement de la langue française, l’une achevée etl’autre toujours en cours, permet d’en décrire lesgrandes lignes et d’en souligner des caractéristiquesreprésentatives.

Il s’agit d’abord du grand dictionnaire de la languefrançaise des XIXe et XXe siècles réalisé dans le cadredu CNRS, le Trésor de la langue française (TLF)1. C’estun dictionnaire de l’écrit. Pour la première fois, deslexicographes ont à leur disposition – outre les diction-naires et fichiers préexistants – un vaste corpus infor-matisé : 70 millions de mots, dont 20 % relèvent desdomaines scientifiques ou techniques (et dès 1978 lesrédacteurs ont eu le loisir d’ajouter, en cas de besoin,des termes plus contemporains que ceux offerts parle corpus). De cette base de données sont extraits lestermes à introduire dans le dictionnaire, suivant unjeu de consignes. Ces textes écrits tiennent lieu de« contact » avec les spécialistes des sciences et des techniques. C’est par le biais de leurs écrits que lesexperts des domaines sont présents. Mais c’est au rédac-teur généraliste qu’il revient d’évaluer l’importancedes termes à retenir, la teneur des définitions à propo-ser ainsi que le choix des exemples les plus instructifs.Une fois sa sélection opérée, il recourt, pour traiterde ces mots de spécialité, aux marqueurs que sont lesindicateurs de domaines et de sous-domaines (chaquearticle comporte en outre des données sur l’origineet le parcours des termes et de leurs sens et valeursd’emploi). Le TLF atteste par exemple d’utiles secteurstransversaux comme « Techn. » et « Technol. », et unriche ensemble de domaines scientifiques et

techniques plus ciblés. En « Nucléaire », il atteste ainsiles termes blindage, bouclier biologique, bouclier ther-mique, chaud, chaussette, conversion, diffusion gazeuse,dose absorbée… Des explications métalinguistiquessont fournies, soulignant des innovations lexicales,comme en physique nucléaire sous pile-piscine : l’en-semble du milieu multiplicateur étant immergé dansune grande quantité d’eau jouant le rôle de protectionbiologique, d’où le nom de piles piscines donné à cesinstallations2.

L’activité lexicographique décrite, bien que fondéed’une manière inédite, et largement saluée par lacommunauté scientifique, sur un imposant corpusquantitativement déterminé, demeure partiellementsubjective, qu’il s’agisse de la teneur des définitions àrédiger, ou des nuances sémantiques, stylistiques ousociales à exprimer. Car le « ressenti » du lexicographeface aux mots et à leurs usages joue un rôle non négli-geable, même s’il est, dans le cas du TLF, largementatténué par l’exploitation systématique de ce vastecorpus textuel.

Mais qu’en est-il des usages en terminologie offi-cielle ? L’attitude descriptive du lexicographe laisseplace à l’attitude prescriptive du terminologue officiel.

Les recommandations officielles visent le plussouvent à évincer les anglicismes. Elles sont publiéesjusqu’en 2015 au Journal officiel de la République française3. Les dix-huit commissions de terminologieet de néologie, devenues « collèges d’experts » en 2015,gérées par le ministère de la Culture et de la Commu-nication (délégation générale à la langue française etaux langues de France), couvrent notamment lessecteurs de l’automobile, de l’ingénierie nucléaire, del’industrie pétrolière ou gazière, des sciences et techniques spatiales, de l’économie, de l’informatique,de la chimie, de la santé, de la Défense ou de la diplo-matie. Les gestionnaires du système, les lexicographes,terminologues, traducteurs, les représentants des

1. Trésor de la langue française (1971-1994), 16 vol., Dictionnaire de la languefrançaise du 19e et du 20e siècle (CNRS),Paris, Klincksieck, puis Gallimard. TLFi :atilf.atilf.fr/tlf.htm

2. D. Candel et V. Tombeux, « Aspects dela néologie de spécialité en lexicographiegénérale  : à propos du nucléaire dans le“Trésor de la langue française” », in J.-F. Sablayrolles Néologie etterminologie dans les dictionnaires,Paris, H. Champion, 2008, p.  101-125.D. Candel et M. Calberg-Challot,« Analyser la néologie dans le domainede l’ingénierie nucléaire », in P. Dury etal., La néologie en langue de spécialité.Détection, implantation et circulationdes nouveaux termes, Lyon, Univ.Lumière Lyon 2, 2014, p.  121-140.

3. FranceTerme, base de données destermes publiés au Journal officiel par laCommission générale de terminologie etde néologie.www.culture.fr/franceterme

Sciences et techniques  : un enjeu de société

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Les mots des scienceset des techniquesDu généraliste aux experts des domaines

Dans le domaine des sciences et techniques, l’apport des linguistes est précieux,qu’il s’agisse de définir les termes scientifiques et techniques, de rendre compte del’évolution de leurs usages, ou bien de proposer des mots français « socialementacceptables » pour limiter l’emploi des anglicismes ou pour répondre à desexigences industrielles.

DANIELLE CANDELChercheur CNRS honoraireLaboratoire d’Histoire des théorieslinguistiques (CNRS / Université ParisDiderot)

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domaines diplomatiques, universitaires, littéraires,juridiques, de l’Institut de France ou de l’AFNOR etles correspondants francophones, collaborent avec lesprofessionnels des domaines pour proposer des termeset leurs définitions. C’est une exceptionnelle variétéde spécialistes qui travaillent autour des mêmes termes,l’Académie française, « gardienne de l’usage de lalangue », ayant le dernier mot.

Voici quelques exemples de résultats obtenus, destermes de l’automobile officiellement recommandés(2000-2014), avec leurs formes en anglais : citadine(city car), monospace (minivan, multi-purpose vehicle,MPV, people carrier), affichage tête haute (head-updisplay, HUD), aide au stationnement (parking aids),stationnement automatique (full park assist), réduction(downsizing). En publiant leur vocabulaire, lesConstructeurs français d’automobiles précisent leursmotivations industrielles (« les nouvelles énergiespour l’automobile »), mais édictent aussi leursconsignes prescriptives : système de mise en veille, miseen veille doivent remplacer Stop and Go et Stop andStart, « noms déposés [qui] ne doivent pas êtreemployés »4.

Il reste que les choix retenus, bien qu’en principeconsensuels, ne sont sans doute pas toujours les meilleurs – par exemple lorsqu’une habitude a déjàété prise par les professionnels du domaine et que l’ons’écarte de leurs usages. C’est que tous les décideursimpliqués ne réagissent pas forcément de la mêmemanière, quoi de plus normal. Et l’on a finalementtout lieu de rester positif quant à la qualité et au dérou-lement des travaux. En effet, si certains choix peuventêtre contestés (était-il judicieux de « corriger »raccourci clavier en raccourci au clavier, et de proposerarme de défense à balles souples et DBS pour Flashball ?),les bons exemples sont toujours bons à rappeler : logi-ciel (software), vélo tout terrain, VTT (mountain bike),covoiturage (car pool), ou encore zone euro (Eurozone).

L’expertise linguistique ou terminologique est utileaux scientifiques, aux techniciens, aux industriels, surdes fronts variés, puisqu’il s’agit de comprendre lestermes et de pouvoir s’exprimer en français. Aussi est-il fait appel aux experts de la langue et des termes dans

divers chantiers scientifiques, techniques ou industriels(nous avons pu l’expérimenter dans les domaines dela santé, de l’enseignement des sciences, de la norma-lisation internationale, ou dans les sphères du domainesensoriel liées aux applications industrielles). L’art dela définition y est de première importance.

Nous avons évoqué plus haut les nuances socialesperceptibles dans l’activité lexicographique. La question se pose de la même manière dans le circuitde terminologie officielle. Disons que les résultats del’activité néologique et terminologique se doiventd’être « socialement acceptables ». Et s’il semble que,plutôt que d’« acceptabilité sociale » l’on parle davan-tage, aujourd’hui, dans le monde socioéconomique,de « faisabilité sociotechnique », la terminologie estsans aucun doute soumise, elle aussi, à ces mêmesmouvements. ■

4. Commission spécialisée determinologie et de néologie de

l’automobile (avec le concours de laDGLFLF), Des mots & des autos, Paris,

Comité des constructeurs françaisd’automobiles, 2014.

www.ccfa.fr/des-mots-et-des-autos

Sciences et techniques  : un enjeu de société

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À lire

Publications récentes de D. Candel

« Dénommer et définir en lexicographie et en terminologie », in Quelleslangues pour quels savoirs ? L’Archicube, n° 9, déc. 2010, p.  114-121.www.archicubes.ens.fr/la-revue/anciens-numeros/

« Vers une didactique de l’« enrichissement du français » (le processus duvocabulaire officiel, France 2014) », in M. Lebreton, La didactique des langueset ses multiples facettes, Paris, Riveneuve éditions, 2015.

Sous presse, « Prescription and tradition in French official scientificvocabulary (1997-2014) », in C. Percy et I. Tieken, Prescriptivism and tradition,Bristol, Multilingual Matters.

Sous presse, « Traduction et création terminologique en français médical(1997-2012) », in P. Phillips-Batoma et F. Zhang, Translation as Innovation:Bridging the Sciences and the Humanities, Victoria, Texas, Dalkey ArchivePress.

«Les résultats de l’activiténéologique et terminologiquese doivent d’être « socialementacceptables ».

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Le 2 juin 2015, une partie des membres du comitéscientifique du colloque Hubert Curien Science & Yououvrait la manifestation en proposant une communi-cation commune (l’appel de Nancy)1 dénonçant lesentraves à la liberté d’exercice des journalistes scienti -fiques et appelant à garantir la liberté de consciencedes professionnels de la culture et de la commu ni -cation scientifique.

Cette initiative était issue des réunions au coursdesquelles les membres, chercheurs et acteurs dudomaine dans des pays très divers, avaient développéun dialogue approfondi qui les rendait sensibles auxcauses que chacun pouvait défendre dans des contextespolitiques et culturels très différents (France, Inde,Afrique du Sud, Grande-Bretagne, Chine, etc.).

En France et en Europe, nous aurions sans douteplus besoin de garantir une libre critique des scienceset des politiques de recherche, plutôt qu’une libreexpression du goût pour les sciences. Mais lesréunions du comité scientifique ont créé au fil desmois un espace de débat transnational et un autreenjeu commun : ce qui caractérise la culture scienti-fique et qui traverse les frontières est un rapport auxvaleurs d’émancipation, qu’elles soient portées parles sciences, ou bien menacées au nom de celles-ci(par exemple lorsqu’il s’agit de rendre non discuta-bles les modèles de développement basés sur lespromesses techno scientifiques)2. Il peut donc y avoirà la fois désaccord sur la nécessité de promouvoirsoit la science soit la critique des sciences, maisaccord de fond sur la nécessité d’assumer les valeurs,profondément culturelles, qui sont au cœur desrapports aux sciences. L’évo lution des formes queprend l’articulation entre sciences et valeurs est aussiune manière de faire retour sur nos conceptions dela culture : comment assumer à la fois la remise encause de l’universalisme (en dépit des injonctionspermanentes à la « globalisation ») et la possibilitéde se penser ensemble malgré tout ?

Universalisme et internationalisationLa culture et la communication scientifiques ont

donné lieu depuis longtemps à la structuration decommunautés internationales de chercheurs et deprofessionnels qui se retrouvent et échangent réguliè-rement, comme dans le réseau PCST (Public Commu-nication of Science and Technology) et la mani fes -tation Science and You ou encore, plutôt destinéesaux chercheurs en études de sciences, les rencontresde la Society for Social Studies of Sciences. Cetteéchelle d’emblée internationale de la culture scienti-fique est presque une tradition du domaine, qui redou-ble la dimension universalisante de la science, de seslangages, de ses normes et de ses modes de communi-cation. Mais c’est sans doute la régularité des échangeset des rencontres qui a permis de revenir peu à peusur la vision naïvement enthousiaste d’une culturescientifique engagée dans la promotion d’une scienceinternationale3. Ces échanges ont construit des espaceset des temps où se sont révélés des engagements, desvaleurs, des causes qu’il a toujours été impossible decontenir dans des tendances, des formes ou dessynthèses générales qui définiraient de « grandsenjeux » de la culture scientifique. Par contre c’estsans doute la professionnalisation croissante de lamédiation et de la communication qui a été un facteurd’homogénéisation des pratiques, mais dans une perspective qui est celle d’un rôle majeur de la commu-nication dans tous les secteurs de l’activité sociale(institutions, entreprises, associations) qui peuventne pas être nécessairement culturels ou scientifiques.Simultanément, les savoirs et les points de vue sur lascience qui ont été construits et dégagés par les scienceshumaines et sociales sont venus accroître la conscienced’une forte hétérogénéité du domaine. Depuis lestravaux de Baudouin Jurdant sur la vulgarisationscienti fique comme nécessité anthropologique de« parler » la science, ceux de Bernard Schiele sur lesressorts politiques de la communication scientifique,

1. www.science-and-you.com/ ;la déclaration : www.science-and-you.com/sites/science-and-you.com/files/users/documents/abf_resolution_nancy_2015gauharmbjlmhdp_nancy_final_2_june_2015.pdfLe colloque Science & you a été soutenupar le ministère de la Culture et de laCommunication.

2. Sur ce régime de la promesse, voirla conférence de Pierre-Benoit Joly« Science-society relations seen throughthe prism of technology promises », dansB. Schiele, J. Le Marec et P. Baranger(eds), Science Communication Today.Current strategies and means of action,Presses universitaires de Nancy, 2015.

3. L’uniformité des centres de culturescientifique et technique à travers lemonde, avec leurs mêmes thématiques,leurs mêmes manipulations, les mêmesmuséographies, est une des expressionsles plus saisissante de cette promotiondes sciences internationales.

Sciences et techniques  : un enjeu de société

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 33

Vers une conceptionculturelle des rapportsaux savoirs scientifiques« L’évolution des formes que prend l’articulation entre sciences et valeurs est aussiune manière de faire retour sur nos conceptions de la culture : comment assumerà la fois la remise en cause de l’universalisme […] et la possibilité de se penserensemble malgré tout ? »

JOËLLE LE MARECUniversité Paris 4, CELSA, GRIPIC

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ceux d’Yves Jeanneret sur la vulgarisation commeproduction culturelle autonome, d’Igor Babou, deSuzanne de Cheveigné4 sur les liens entre discoursmédiatiques à propos de science et « visions dumonde » (ou représentations sociales) et de tant d’autres auteurs qui ont exploré les pratiques, lesproductions et les espaces des « sciences en société »,il n’est plus guère possible de penser la culture scien-tifique comme un simple prolongement des scienceset techniques.

C’est pourquoi il est fort difficile de rendre comptede l’évolution de la réflexion contemporaine, ensciences, et par conséquent, dans la culture scientifique,sans évoquer la contradiction entre d’une part lapromotion continue d’une forme internationale dela culture scientifique au nom de l’universalisme dessciences et de la mondialisation de la communication,et d’autre part le développement d’épistémologiestrès sensibles aux contextes politiques et culturelsconsidérés comme les ancrages vivants des questions,des savoirs, des engagements. La promotion del’interna tio na li sation est bien sûr fortement défenduepar les professionnels du management des institutions,mais elle est également induite par l’imprégnationdes conceptions de la culture, y compris en anthropo-logie, par la pensée des économistes. Marc Abelès dansAnthropologie de la globalisation, emprunte ainsi auxéconomistes les termes de sa réflexion : « Les gens etles lieux de par le monde sont aujourd’hui exten si -vement et densément connectés les uns aux autres enraison des flux transnationaux croissants de capitaux,de marchandises, d’informations, d’idées et d’êtreshumains5. » Abélès propose de poser un regard anthro-pologique sur les espaces et les pratiques humaines,mais à partir du substrat de cette nouvelle « réalité »que sont les flux des êtres, des capitaux, des marchan-dises. Comme si l’anthropologie renonçait à sa préten-tion, historique, à définir elle-même les faits culturels.

D’autres auteurs de la discipline renoncent éga -lement à cette prétention, notamment dans les travauxrelevant d’une anthropologie qui revisite la frontièreentre nature et culture (Philippe Descola et TimIngold6), mais, nous y reviendrons, dans une toutautre perspective que celle qui consiste à déléguer àla pensée économique la réflexion sur les relations etles flux. La fascination pour une science universalisantea en effet facilité l’idée selon laquelle il faudrait déve-lopper une vision globale des activités et des espaceshumains, idée qui a donné sa puissance à la croyancedans la pensée économiste. Non seulement le savoirscientifique s’est construit comme un idéal de média-tion universelle et intemporelle entre l’homme et lanature (une Raison commune, un langage et desénoncés valides en tous lieux et en tous temps), maisles technos ciences ont structuré un mode de dévelop -pement par l’économie du progrès et par le modèlepolitique de bonne gestion du « fonctionnement »des sociétés humaines.

A contrario, Tim Ingold, à la fois biologiste etanthropologue, introduit une attention au biologiquedans des phénomènes culturels mais sans importerdans le même temps les idéaux scientistes qui ont

fasciné dans les sciences de la nature (notamment l’obsession pour les modèles et les mécanismes). Toutau contraire, il importe dans le regard sur la natureune vision profondément marquée par l’attention auxsituations et à sa propre position, qui lui viennent dela culture.

Plus généralement, les études de sciences mettentl’accent sur des transformations d’une partie dessciences de la nature : elles intègrent la dimensionfondamentalement culturelle et politique des questions qui sont privilégiées, des méthodes et desapproches mises en œuvre. Elles tolèrent la contin-gence, et introduisent la singularité culturelle dans laréflexion sur les conditions de production du savoir.Les sciences de l’environnement ont été parti cu liè -rement concernées par cette attention à la dimensionculturelle et politique de toute pratique scientifique,mais elles ne sont pas les seules. Il existe des zonesfrontières nature/culture où l’on peut tout particuliè-rement suivre le développement d’épistémologiessensibles, contre les modèles très normatifs qui ontpourtant fait la fortune des sciences de la nature. Lesétudes sur le monde animal sont une de ces frontières :elles deviennent une interdiscipline qui questionneles recherches qui ont été effectuées pendant des sièclescomme étant l’expression d’une ontologie parmi d’autres (Descola) : nous nous sommes efforcés demontrer sans relâche la continuité biologique et ladiscontinuité psychique avec les animaux. Cetteconstruction scientifique fait eau de toutes parts, etles éthologues intègrent désormais, dans la connais-sance du monde animal, l’analyse critique, réflexivedes dispositifs scientifiques qui ont été mis en œuvre,dispositifs irrémédiablement « culturels ».

Finalement, on assiste à une sorte de chassé-croisé :au moment où une partie des sciences de la natureentre en culture par l’épistémologie (en intégrant àla recherche le caractère irréductiblement cultureldes rapports aux savoirs, l’universalisme étant une dimension culturelle du projet scientifique), la cultureet la communication scientifiques sont parfois tentéesde suivre, dans leur fonctionnement même, le projetd’un universalisme rabattu sur une standardisationinternationale des modes d’organisation et de produc-tion. Elles sont en effet doublement prisonnièresd’une fidélité à l’idéal universalisant des sciences, etd’une fascination malheureuse pour une conceptionde la culture colonisée par le scientisme, commeformes de gestion rationnelles des flux et des échangeshumains dans un monde globalisé.

Face à cette tension, il me semble que le milieude la culture scientifique a mieux à faire que de sestructurer à partir de visions des sciences, et de laculture, qui sont certes puissantes mais dépasséesau plan épistémologique. La culture scientifique et technique est portée par une communauté,ancienne, qui s’est historiquement structurée autourde valeurs. Elle peut à son tour revenir à ce qui l’aconstituée, explorer ses fractures, son hétérogénéitéfondamentale, pour développer une forme deconnaissance à propos des rapports à la science àpartir de ses propres questions. ■

4. Voir notamment  : – Baudouin Jurdant, Les problèmes

théoriques de la vulgarisationscientifique, Éditions Archives

contemporaines, 2009 (coll. Études desciences). Réédition de sa thèse,

pionnière dans ce domaine.– Suzanne de Cheveigné,

L’environnement dans les journauxtélévisés. Médiateurs et visions du

monde, Éditions du CNRS, 2000.– Daniel Jacobi et Bernard Schiele dir.,

Vulgariser la science, le procès del’ignorance, Éditions Champ Vallon, 1993.

- Yves Jeanneret, Écrire la science.Formes et enjeux de la vulgarisation,

PUF, 1994– Joëlle Le Marec et Igor Babou, dossier

« Sciences, médias et société », RevueCommunication et Langages, n° 138,

Armand Colin, 2003.– Joëlle Le Marec et Igor Babou dir.,

Sciences, médias et société. Actes ducolloque, Lyon, ENS LSH, 15-17 juin 2004.

Lyon : http://sciences-medias.ens-lyon.fr/article.php3?id_article=55– Dominique Pestre, Introduction aux

Science Studies, Paris, La Découverte,2006.

5. Marc Abelès, Anthropologie de laglobalisation, Paris, Payot, 2008, p.  17.

6. Voir, en première lecture  : PhilippeDescola, Tim Ingold, Être au monde.Quelle expérience commune ? Lyon,Presses universitaires de Lyon, 2014

(coll. Grands débats  : mode d’emploi).

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Aéroplane Esnault-Pelteriesuspendu dans la nef de l’égliseSaint-Martin-des-Champs (muséedes Arts et Métiers).

Aéroplane de Clément Ader,dit  « avion n° 3 » (1897), suspendudans l’escalier d’honneur du musée des Arts et Métiers.

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Yinka Shonibare MBE, Space Walk (détail), 2002. En collaboration avec The Fabric Workshop and Museum, Philadelphia.Fibre de verre, sérigraphie sur satin de coton et cotonbrocardé, plastique. Dimensions variables selon les installations.Cl. Aaron Igler

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 37

Astrid Brandt-Grau : Universcience est le premieropérateur français de la CSTI. Quelle est aujourd’huivotre ambition pour ce grand établissement ?

Bruno Maquart : Je voudrais au préalable rappelerqu’Universcience est l’un des plus anciens opérateursde la culture scientifique, technique et industrielle(CSTI), évidemment loin derrière les jardins bota-niques et les muséums. Le Palais de la découverte fêterases quatre-vingts ans en 2017, la Cité des sciences etde l’industrie ses trente ans l’année prochaine. Notonsque si la Cité était créée aujourd’hui, nous l’appelle-rions probablement « Cité des sciences et de l’inno -vation ». En effet la science et l’innovation irriguentaujourd’hui les activités industrielles mais aussi lesactivités de service.

La CSTI a beaucoup évolué ces vingt dernièresannées et le moment est sans doute venu d’interrogerce concept. On peut moins que jamais considérer laCSTI comme une catégorie du savoir isolée des autres.Parler de science ou de technique nécessite de convo-quer des disciplines et des champs d’intervention cultu-rels variés, pour leur rendre leur complexité anthro-pologique, les contextualiser et trouver de nouveauxmoyens de diffusion. Cela nécessite aussi de promou-voir l’interdisciplinarité dans la science, comme del’interroger de manière plus transversale. Je note qu’ungrand nombre de centres de CSTI expé ri mentent desréponses originales, adaptées à leurs écosystèmes régio-naux. Fort de son histoire, Uni verscience doit être l’undes maillons actifs entre science et société contempo-raines, entre chercheurs et citoyens.

Dans ma réflexion sur les orientations à donnerpour Universcience, je n’oublie pas que j’ai été nommédurant cette année 2015. Les attentats de janvier condui-sent les institutions culturelles à réfléchir à leur contri-bution à la vie collective. L’obscurantisme comme larémanence d’une certaine irrationalité, conjugués à lamise en cause du progrès, interrogent profondémentla science et nous préoccupent. La réticence face auvaccin en est un exemple : dans le pays de Pasteur, despétitions peuvent recueillir en quelques semaines desmilliers de signatures contre la vaccination.

Face à cela, comment les centres de sciencespeuvent-ils contribuer à éclairer le débat ? Notre rôleest d’aider à fournir des clefs de compréhension dumonde qui nous entoure pour développer l’espritcritique et donner à nos concitoyens la capacité departiciper aux débats qui traversent notre société. C’estune exigence première pour une institution publique.Elle l’est d’autant plus qu’il n’y a jamais eu autant descience autour de nous ; nous sommes environnésd’objets scientifiques et techniques, à commencer parnos téléphones. Pourtant, nous ignorons tout de leur

fonctionnement… Déchiffrer le monde dans le butde le rendre intelligible, c’est un beau programme.

Pour compléter cette construction d’une opinionpublique éclairée, nous devons également réinvestirles enjeux épistémologiques des sciences, revenir surles origines du savoir et faire ainsi comprendre que lascience est une école de la contradiction et du doute.Le doute méthodologique est une posture importantedans une société démocratique.

En outre, il est indispensable que nous soyons àmême de nous adresser à tous, tandis que nos visiteurschangent et que les modes d’usage de nos éta blis -sements évoluent. Nous constatons par exemple queles 15-25 ans ne viennent pas spontanément, maislorsque nous trouvons des moyens de nous adresser àeux, ils sont nombreux à se déplacer. À l’heure de l’im-médiateté et de l’abondance continue d’informations,les centres de sciences peuvent être des écoles du tempslong, le temps de l’explicitation, nécessaire pour remet-tre les informations en perspective et leur donner dusens, notamment pour les jeunes visiteurs.

Enfin, comme animateur de la mission « Vivreensemble », Universcience est attentif à ce que sesétablissements soient des institutions inclusives. Maisqui est éloigné de la culture ? Ceux qui habitent toutprès du Palais de la découverte et qui ne vont jamaisau musée ? Les publics du champ social ? Lespersonnes d’origine étrangère, qui ont parfois unniveau d’étude très élevé ? La question est complexe,mais nous devons être les plus ouverts possible, sortirde nos murs et participer au combat contre les idéesreçues. Tout le monde a vocation à pousser les portesde nos établissements.

A.B.-G : Quel est l’impact des technologies numé-riques sur les relations entre votre établissement et lepublic ?

B.M. : Il est difficile d’imaginer ce que nous réservele numérique qui induit une évolution extrêmementrapide de la société. Des pans entiers de l’activité écono-mique sont redéfinis, l’« ubérisation » de la sphèrepublique comme de la sphère privée n’en est qu’à sesdébuts. L’accès aux connaissances, lui-même, estcomplètement bouleversé. Le smartphone est devenuun outil aux multiples possibilités de relation auxautres. Qui l’aurait prédit il y a quinze ans ? Le numé-rique réinvente le monde, les rapports entre leshommes et donc nos sociétés, sur un mode plus hori-zontal, ou latéral, que vertical.

Comme les musées, nos établissements sont issusde la philosophie des Lumières ; ils diffusent un savoirà caractère plutôt descendant, dispensé à un publicpris comme un tout indistinct. Cela fonctionne de

Universcience au futurEntretien avec Bruno Maquart, président d’Universcience.

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moins en moins. Des initiatives intéressantes existentdéjà, comme les Fab Labs, ces ateliers de bricolageparticipatif du XXIe siècle. On y offre un envi ron -nement cognitif et matériel propice au développe-ment d’une curiosité appliquée pour les techniqueset les sciences. C’est une manière totalement diffé-rente de proposer des apprentissages et donc d’ap-préhender notre champ d’intervention. Nous avonsà la Cité un Carrefour numérique constitué justementd’un Fab Lab et d’un Living Lab, ou laboratoired’usages. Il s’adresse à des personnes ou des groupesqui s’inté ressent à un sujet, un héros, une technique,une zone géographique, un média, un outil... Nousne nous adressons plus de manière indifférenciée àtous mais plutôt, sans tourner le dos à notre vocationuniverselle, à des publics qui préexistent ou se créenten interrelation avec notre offre ; cette dernière jouealors un rôle social d’un nouveau genre. Cela n’estpas sans conséquence sur la manière dont nous conce-vons nos métiers ; demain nous demanderons peut-être aux publics de réfléchir avec nous à la program-mation, selon des méthodes qui restent largement àinventer.

À l’occasion des anniversaires du Palais et de la Cité,nous allons d’ailleurs lancer une enquête pour savoircomment le public perçoit notre proposition culturelleet ce qu’il attend de nous pour les années qui viennent.Les réponses pourront nous surprendre ; l’image quenous avons de nous-même ne coïncide peut-être pasavec celle que les visiteurs ont de nous. Bien sûr, noussavons que nos maisons ont leur place dans le paysageculturel ; après l’incendie qui nous a contraints à demeu-rer portes closes à la Cité pendant plusieurs semaines,pas moins de 63000 visiteurs sont venus sur nos deuxsites pendant les trois jours de la Fête de la science,preuve que nous attirons toujours un public nombreux.Les voir venir dans notre établissement est toujoursune grande satisfaction, mais nous voulons aussi savoirce qu’ils ont envie de voir ou de faire chez nous.

Cette prise en compte plus forte des attentes desvisiteurs implique également de réfléchir autant à cequ’on fait qu’à la manière dont on le fait. Je suisconvaincu qu’on ne peut pas montrer la science duXXIe siècle avec les seuls outils du XXe. Mon ambitionest ainsi de faire émerger progressivement un Uni -verscience 3.0. Notre établissement va profondémentse métamorphoser dans les dix années à venir.

J’ajouterai cependant que si cette adaptation auxnouvelles technologies est nécessaire, elle ne doit paspour autant être un substitut à l’humain, et en parti-culier à la médiation humaine. Le Palais de la décou-verte a popularisé les « exposés », des rencontres entreun groupe de personnes et un médiateur scientifiqueautour d’un sujet. Le public peut poser ses questionset avoir aussitôt des réponses, ce qui est un atout dansle monde numérique.

Le numérique ne signifie pas que l’humain seraremplacé par la machine ou que les activités sur site– dont les expositions – vont disparaitre. Le numériqueféconde déjà puissamment la muséographie dans nossalles. L’interaction humaine de qualité, celle qui prendle temps, garde tout son intérêt, et nous avons, j’ensuis certain, un futur « physique » : nous ne seronspas totalement dématérialisés. Nous aurons toujoursdu plaisir à être ensemble, pour discuter de vive voixou confronter nos idées, et cela restera une compo-sante de la société numérique de demain.

A.B.-G. : Quel développement international de votreétablissement envisagez-vous pour les prochaines années?

B.M. : Depuis la loi Fioraso de 2013, Universciences’est vu libéré de la charge de la distribution descrédits nationaux et de l’animation de la gouvernancenationale. Nous allons donc pouvoir nous attelerdésormais à développer des coopérations profession-nelles, autour de pratiques et de contenus, avec despartenaires qui sont nos égaux et dont je salue la vita-lité. Nous avons déjà, grâce aux investissements d’ave-nir, retissé des relations d’échanges avec certainsd’entre eux sur le sujet de la médiation numériqueau travers du programme Inmédiats. Continuonsdans cette voie. Ma conviction est qu’Universciencea autant besoin des centres de science en région queceux-ci d’Universcience. Je veux placer l’établissementdans une position ouverte aux collaborations de toutenature, qui permettent à chacun d’y trouver soncompte.

Une diversité d’acteurs et d’initiatives

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«L’obscurantisme comme la rémanenced’une certaine irrationalité, conjugués à la miseen cause du progrès, interrogent profondémentla science et nous préoccupent. »

«Mon ambition est de faireémerger progressivement unUniverscience 3.0. »

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

L’AMCSTI (Association des musées et centrespour le développement de la culture scientifique,technique et industrielle) a été créée en 1982. Lavolonté des fondateurs a été de mettre en place unespace de discussion et d’échange entre les différentesfamilles de la culture scientifique, technique et indus-trielle (CSTI) : des muséums aux musées techniques,en passant par les organismes de recherche, les univer-sités, les collectivités, les associations d’animationscientifique, les centres de sciences/CCSTI, les parcszoologiques, les jardins botaniques et les aquariums.Ainsi, depuis plus de 30 ans, la diversité des acteursest représentée, présente et active au sein del’AMCSTI.

La culture scientifique, technique et industriellesont un fondement de la culture citoyenne. Elles sontau cœur des enjeux de société et ouvrent la curiosité,accompagnent la créativité, s’intègrent dans différentes

politiques : culturelles, éducatives, économiques, touris-tiques, sociales... Engagée dans un travail fédératif,l’AMCSTI accompagne les acteurs sur les nouvellespratiques et les nouvelles opportunités.

Pour les trois années à venir, nous avons engagéune stratégie au service de nos adhérents afin de lesaccompagner vers les nouveaux paysages qui se dessinent dans le champ de la CSTI. Ces changementsliés aux évolutions des pratiques, aux évolutions desterritoires d’intervention d’un point de vue géogra-phique, virtuels ou réels, invitent inévitablement àrepenser les méthodes de travail et les collaborations.

Pour cela l’AMCSTI s’appuie, entre autres, surquatre actions : – un congrès annuel, organisé en collaboration avecun acteur d’un territoire ;– le Bulletin de l’AMCSTI, papier et numérique, afinde partager les actions sur les territoires ;

C’est à l’échelle internationale qu’Universciencea toute sa place pour jouer son rôle d’opérateur del’État. Il peut être un agent de la diplomatie d’in-fluence, aider à ce que l’excellence française, intellec-tuelle et technique, soit connue et reconnue. Parexemple, nous mettons en ce moment à la dispositiondes alliances et des instituts français à travers lemonde notre exposition sur le climat, qui voyage àcoût très réduit car les contenus en sont dématérialisés.Universcience a une longue tradition d’itinéranced’expositions ; celles-ci voyagent dans le monde entier,car elles marient à la fois excellence scientifique etattractivité pour les publics. Nous développons enoutre, pour les mêmes raisons, des coproductionsd’expositions à l’échelle européenne. Une Europe ausein de laquelle nous entendons renforcer notreprésence, en répondant aux appels à projets demanière plus dynamique.

Au-delà, l’établissement a développé une expertiserecherchée en matière d’ingénierie, notamment fondéesur la Cité des enfants. Nos atouts sont nombreux car

nous mettons l’ambition intellectuelle au premierrang de nos préoccupations. Ces quinze dernièresannées, nous avons réalisé en moyenne un projet paran de valorisation de notre savoir-faire. C’est un axeque je souhaite privilégier durant mon mandat ; j’entends donner à cette activité une dimension accrue.Nous faisons face à une demande croissante des paysd’Europe de l’Est, d’Asie, du Moyen-Orient et d’Amé-rique latine. Là où le niveau de vie monte, la demandeet l’offre de loisirs culturels s’accroissent. Ces paysveulent développer la formation de leurs jeunes : lesoutils ludo-éducatifs participent d’une formation àêtre citoyen du monde.

Enfin, nous voulons prendre rang dans les cerclesprofessionnels internationaux, qui regroupent lesacteurs de notre champ. Universcience doit retrouvertoute sa place dans le concert mondial. Ainsi, nousallons organiser en 2016 un colloque sur la muséologiescientifique, car je tiens particulièrement à ce que noussoyons un lieu de production, de capitalisation et detransmission du savoir. ■

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 39

DIDIER MICHELDirecteur de l’Association des muséeset centres pour le développementde  la culture scientifique, techniqueet  industrielle (AMCSTI)

Entretien réalisé le 13 octobre 2015.

CSTI et mutationscontemporaines,le rôle de l’AMCSTIL’Association des musées et centres pour le développement de la culture scientifique,technique et industrielle accompagne les acteurs de la CSTI dans l’évolution desmétiers, des pratiques, des collaborations, et dans leur participation au programmeeuropéen Horizon 2020.

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

– un prix Diderot pour valoriser les initiatives et lesactions sur les territoires ;– l’animation du point de contact national « Scienceavec et pour la société » du programme européenHorizon 2020, afin d’accompagner les acteurs fran-çais vers plus de coopération européenne (cf. ci-dessous).

Ainsi, l’AMCSTI conduit sa stratégie d’accompa-gnement des acteurs au regard des transformationsqui s’opèrent, telles les mutations profondes induitespar le développement du numérique amenant unnouveau rapport aux savoirs, ou bien les transfor -mations associées à des mesures d’économie dras-tiques, tant nationales que locales, qui rendent néces-saire une redéfinition collective de nos orien tationset de notre stratégie.

Par ailleurs, une nouvelle gouvernance se met enplace avec le transfert aux régions de la compétenceCSTI, de nouvelles organisations territoriales appa-raissent, en même temps que doivent se redéfinir lescontours d’une nouvelle « Europe de la CSTI ». Entant qu’acteurs de la culture scientifique, techniqueet industrielle, nous avons la mission incontournabled’accompagner ces évolutions.

Repenser nos métiers, nos positions, nos actionsau sein d’un écosystème riche et fort de sa diversitéest indispensable. L’AMCSTI, par la compositionmême de ses adhérents, est le reflet de cette diversité ;elle représente ainsi le réseau professionnel des

acteurs de la CSTI (publics et privés). L’AMCSTImet en partage et mutualise les savoir-faire. Elle doitouvrir d’autres chantiers et accueillir de nouveauxinterlo cuteurs du champ de la CSTI. Dans cecontexte, l’AMCSTI pose comme principe d’accom-pagner les acteurs vers de nouvelles pistes de travailtout en affirmant l’atout spécifique de son milieu :des actions au plus près des citoyens par un fort mail-lage du territoire. ■

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L’organisationDans le cadre d’Horizon 2020, programme-cadreeuropéen pour la recherche et l’innovation, laCommission européenne requiert de chaque Étatbénéficiaire ou associé au programme, la miseen place d’un réseau de points de contacts natio-naux (PCN).En vue de soutenir les porteurs de projets d’H2020établis en France, le ministère de l’Éducation natio-nale, de l’Enseignement supérieur et de laRecherche (MENESR) déploie, pilote et anime ceréseau de PCN chargé de porter le programmed’action du MENESR en faveur de l’améliorationde la participation française au programme euro-péen.

Les missions● Informer : le PCN intervient régulièrement dansdes réunions d’information sur les opportunitésde financement de projets d’Horizon 2020, dansle but de promouvoir le programme et de sensi-biliser les équipes.● Communiquer : le PCN partage les actualités duréseau et les évènements à venir sur le portail nationaldédié au programme (www.horizon2020.gouv.fr)● Conseiller : le PCN aide, conseille et forme lesporteurs de projets aux modalités de fonctionne-

ment du programme, notamment concernant lesrègles de participation. Il peut également lesorienter vers d’autres sources de financements(européens et nationaux) susceptibles de mieuxrépondre à leurs besoins, et vers les servicessupports de ces finan cements.● Mise en réseau : le PCN aide à la recherche departenaires et favorise la mise en réseau desporteurs de projets.● Accompagner : le PCN guide les porteurs deprojet dans la constitution, la relecture et le dépôtdu dossier.

Le réseau européenSiS.net (www.sisnetwork.eu/) est le réseau interna-tional des points de contact nationaux pour lathématique transversale « Science avec et pour lasociété » d’Horizon 2020. Le réseau réuni plus de70 représentants provenant des pays parti cipantsau programme-cadre (États membres et associés)ainsi qu’un certain nombre de PCN de pays tiersnon européens.

Le programme transversal « Science avec et pour la société »Une coopération efficace entre la science et lasociété est nécessaire pour recruter de nouveaux

talents dans ce domaine et unir l’excellence scien-tifique à la sensibilisation et à la responsabilitésociales. La thématique « Science avec et pour lasociété » est identifiée dans les appels dédiés duprogramme, ainsi que dans les appels à projetsrattachés aux piliers « Primauté industrielle » et« Défis sociétaux ».

Les axes de travail ● Intégrer la société dans les processus derecherche et d’inno vation.● Développer la gouvernance pour l’avancementde la recherche et de l’innovation responsablespar tous les acteurs.● Développer l’accessibilité et l’utilisation desrésultats de la recherche publique.● Promouvoir l’égalité des genres dans la rechercheet l’inno vation.● Rendre l’éducation aux sciences et les carrièresscientifiques attrayantes pour les jeunes.● Améliorer les connaissances sur la communi-cation scienti fique et le partage des activités.

Pour contacter le PCN :Didier Michel : [email protected] Gallou, [email protected]

LE POINT DE CONTACT NATIONAL « SCIENCE AVEC ET POUR LA SOCIÉTÉ »

Sept enjeux pour  l’AMCSTI

● S’engager pour faire reconnaitre l’importance de la culture scientifique,technique et industrielle (CSTI) au cœur des enjeux de société.

● Fédérer les acteurs concernés par la CSTI et mener des actions de lobbying.

● Contribuer au renouvellement des pratiques de médiation en liennotamment avec les usages du numérique.

● Développer des actions au service des professionnels, dans une perspectived’accompagnement, de questionnement et d’ouverture de la CSTI.

Pour :

● Participer à la réflexion et à la mobilisation des citoyens contre lesobscurantismes.

● Stimuler l’esprit d’innovation et de progrès, dans un contexte deresponsabilisation collective.

● Favoriser l’accès aux savoirs et à la connaissance pour tous, dans tous lesterritoires.

www.amcsti.fr

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Ecsite, le réseau européen des centres et musées descience1, est né en 1989 grâce à l’impulsion de vingt-trois centres de culture scientifique européens – dontla Cité des sciences à Paris, qui en accueillit la réunionconstitutive2. En 25 ans d’existence, le réseau s’estétoffé pour regrouper aujourd’hui plus de 380 orga-nisations et réunir un millier de professionnels lorsde sa conférence annuelle.

Cette croissance correspond à une multiplicationet à une expansion géographique des centres de culturescientifique, mais aussi à une diversification desacteurs : outre les musées et CCSTI, le réseau rassemble parcs zoologiques, aquariums, universités,entreprises, festivals, laboratoires, planétariums, collec-tivités territoriales, sociétés savantes… œuvrant tousà une mission d’animation de la culture scientifique(ou science engagement en anglais).

En tant que réseau, Ecsite a un rôle catalyseur :partage des bonnes pratiques, représentation auprèsdes institutions européennes, innovation en matièrede médiation scientifique… Ecsite agit en dialogueavec de nombreuses associations nationales commel’AMCSTI en France3, et compte une demi-douzainede réseaux homologues sur la planète4.

Les membres d’Ecsite partagent la vision d’unesociété européenne dans laquelle ils encouragent lacréativité et la pensée critique, donnant envie auxcitoyens de s’intéresser à la science (“Ecsite’s vision isto foster creativity and critical thinking in Europeansociety, emboldening citizens to engage with science”).Les valeurs communes du réseau sont : coopération,diversité et inclusion, intégrité et professionnalisme,créativité et innovation, citoyenneté active.

Cette vision et ces valeurs reflètent l’accession àune certaine maturité sociale et politique des acteurseuropéens de la culture scientifique, et une évolutionde fond des paradigmes qui sous-tendent leur action.Schématiquement : nous sommes passés d’un modèlede diffusion des connaissances scientifiques top downà celui d’un dialogue citoyen bottom up sur les enjeuxde la recherche scientifique et d’une « mise en ébul -

lition » horizontale de la culture de l’innovation. Parmiles nombreuses métaphores employées par lesmembres d’Ecsite pour décrire leur rôle et leur action,on entend : forum de discussion, plateforme departage, atelier, vecteur d’expériences, boite à outils…

Les attentes des institutions et des décideurs euro-péens vis-à-vis des acteurs de la culture scientifiquese situent bien à ce point de jonction entre recherchescientifique et dialogue social. Horizon 2020, leprogramme de financement des sciences adopté fin2013, comporte trois priorités : excellence scientifique,leadership industriel et défis sociétaux, ainsi que deuxobjectifs spécifiques, dont « la science avec et pour lasociété » (Science with and for Society).

La Commission européenne est notamment attachée à la diffusion de la recherche et de l’inno -vation responsables (Responsible Research and Innova-tion, ou RRI). La RRI se base sur l’idée que puisquela recherche et l’innovation ont un impact social, leschercheurs et la communauté scientifique doiventendosser une responsabilité sociale, voire sociétale.Réciproquement, les citoyens, les politiques et les indus-triels ne peuvent se contenter de laisser reposer cettecharge sur les épaules des chercheurs : tous doiventjouer un rôle actif dans la définition de notre projetde société – et participer à l’élaboration desprogrammes de recherche qui nous permettront d’at-teindre ces buts5.

Comment ces priorités européennes peuvent-ellesse traduire concrètement pour les acteurs de la CSTI?Les projets européens pilotés par Ecsite, auxquels sontrégulièrement associés les membres du réseau,donnent quelques pistes : sortir dans l’espace publicpour mieux comprendre les attentes des citoyens faceaux nanotechnologies (nanOpinion) ; être un relailors de la première consultation citoyenne qui a direc-tement influencé les programmes de recherche euro-péens (VOICES) ; animer des réseaux locaux autourdu concept de « ville européenne de culture scienti-fique » (PLACES) ; ou encore se positionner en incu-bateur d’innovation art & sciences (KiiCS)6. ■

Une diversité d’acteurs et d’initiatives

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 41

JULIE BECKER Responsable communication etévènements Ecsite (Bruxelles, Belgique)

Ecsite et les enjeuxeuropéens de la culturescientifique Ecsite, réseau européen des acteurs de la CSTI, participe à la mise en œuvre despriorités du programme-cadre Horizon 2020, à la diffusion d’une recherche etd’une innovation responsables et à la construction d’une citoyenneté active.

1. www.ecsite.eu ; l’abonnement aumagazine web mensuel Spokes estgratuit et ouvert à tous.

2. Pour une brève histoire des centres deculture en Europe et du rôle catalyseurd’Ecsite, voir  : Lipardi, « The Evolutionand Worldwide Expansion of ScienceCentres », in Bruyas and Riccio eds.,Science Centres and Science Events - A Science Communication handbook,Springer, 2013, p. 49-61.

3. Pour un tour d’horizon des réseauxnationaux de musées et centres descience en Europe, voir J. Becker,« Mapping European scienceengagement networks », in Spokes #5,2014, p. 6-15  : www.ecsite.eu/sites/default/files/spokes5_0.pdf

4. Voir www.ecsite.eu/about/sister-organisations

5. Pour une introduction plus pousséeau concept de RRI, voir A. Troncosoet J. Becker, « RRI for beginners »,in Spokes #10, août 2015  :www.ecsite.eu/activities-and-services/news-and-publications/digital-spokes/issue-10-0

6. Pour un aperçu de ces projets  :www.ecsite.eu/activities-and-services/projects

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1. www.ocim.fr

2. Florence Belaën, Fabien Lacaille etJean-Louis Lacroix, « Génèse de

l’Observatoire du Patrimoine et de laCulture Scientifiques et Techniques », La

Lettre de l’OCIM, n° 126, 2009, p.  15-23.L’auteur remercie Fabien Lacaille pour sa

relecture avisée.

En septembre 1980, à l’occasion de l’année du patri-moine, se tenait à Marseille le premier colloque natio-nal sur les techniques d’exposition, d’animation et deprotection du patrimoine d’histoire naturelle conservédans les musées, ouvert à l’ensemble des métiersconcernés (taxidermistes, techniciens, photographes,assistants, mouleurs, animateurs...) et non aux seulsconservateurs. À cette occasion, ce regroupement seconstituait en commission nationale des naturalistes-muséographes et rédigeait une motion qui, au-delàde questions d’ordre financier et statutaire, appelaità la création d’une mission interministérielle d’étudesur les questions posées par la notion de patrimoineen histoire naturelle. Celle-ci verra le jour au sein dela toute nouvelle direction des bibliothèques, desmusées et de l’information scientifique et technique(DBMIST) du ministère de l’Éducation nationale. Ellesera confiée à Robert Jullien qui, au sein d’un largecollectif, avait joué un rôle majeur : il avait été lacheville ouvrière de la rencontre de Marseille – il étaitalors responsable du musée d’histoire naturelle – etil est désigné pour étudier la faisabilité d’un « centretechnique coopératif » – aujourd’hui OCIM, Officede coopération et d’information muséales – dont ildevint le premier directeur en 1985.

Les fondamentaux de l’OCIM sont posés : unemission nationale, confiée à l’origine par le seul minis-tère de l’Éducation nationale, en premier lieu pourles muséums (et musées conservant des collectionsd’histoire naturelle, dits musées mixtes), installée enrégion, en cotutelle avec une université, d’abord àMontpellier, puis à l’université de Bourgogne à Dijondès 1988. L’état d’esprit de partage du début – créeret mutualiser des outils, et mettre en commun savoir-faire et connaissances acquises du terrain pour quechacun en tire bénéfice – va de fait élargir le cercledes usagers d’un service public bien au-delà de sesbases institutionnelles. Cette création, profondémentoriginale dans un pays centralisé comme la France,répondait – répond toujours ! – à un très fort besoin.

L’OCIM prend d’emblée une triple orientation detravail, avec une constante montée en puissance. Lesservices offerts aux usagers-acteurs de terrain s’inscrivent ainsi dans trois domaines : information-documentation, activité éditoriale, formation conti-nue1. La très grande diversité de ses usagers confèreà l’OCIM une légitimité très large, y compris au-delàdes institutions, services et associations « attendus »que sont les muséums, laboratoires de recherche,universités, centres de science, mais aussi les ani -mateurs et médiateurs, les personnels de musées desociété, d’histoire, voire les individuels (bénévoles,intervenants privés…).

Le modèle coopératif qui a servi de principe direc-teur à l’OCIM, avec ce qu’il présuppose d’exercicecollégial et de prise en compte équanime des acteurs– et partant de valorisation des prétendus plus petitsd’entre eux par la surface institutionnelle, mais souventpas les moins inventifs ! – a perduré, y comprislorsqu’une nouvelle mission lui a été confiée à compterde 2007 : créer un observatoire du patrimoine et dela culture scientifiques, techniques et industriels(PCSTI). La question du périmètre à prendre en consi-dération a suscité plus d’interrogations2 que la métho-dologie, assez vite retenue : poursuivre dans un axeprivilégiant le faire ensemble, le faire avec et non unmode surplombant ; observer certes, mais ne pasévaluer. C’est ainsi qu’ont pu être mises en équationde grandes familles d’acteurs : les muséums, les univer-sités, les jardins botaniques, les centres de culturescienti fique et assimilés. Ce dernier vocable ne dissi-mule pas la difficulté de l’exercice. Comment rendrecompte d’un champ d’activités dont le périmètre nepeut se satisfaire d’une seule approche institutionnelle?

Aujourd’hui, quelles leçons tirer de la premièresalve de données recueillies ? Il y a lieu probablementde poursuivre la collecte sur les muséums et les univer-sités en l’appréciant de deux manières différentes selonle type de données : sur un rythme quinquennal pour

Une diversité d’acteurs et d’initiatives

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SYLVIE GRANGEConservateure en chef du patrimoine

Directrice de l’OCIM (Université deBourgogne/MENESR)

L’OCIM : office de coopérationet observatoire L’Office de coopération et d’information muséales (OCIM) mutualise des outils,met en commun des connaissances et des savoir-faire acquis du terrain pour quetous les acteurs de son champ d’action en tire bénéfice. En 2007 lui a été confiéela mission de créer un observatoire du patrimoine et de la culture scientifiques,techniques et industrielles.

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les fonds/collections qui varient peu, a fortiori aprèsl’énorme effort produit pour le récolement décennal,obligation liée au statut de musée de France conférépar le ministère de la Culture et de la Communicationà 66 muséums sur les 68 existant sur le territoire3.Toutes les autres activités scientifiques et culturelles,y compris dans leur incidence fonctionnelle(ressources humaines, données financières) gagne-raient probablement à être ramassées sous une formequantitative resserrée de chiffres clés, intégrant d’autresinstitutions ou groupements d’acteurs du domaine.L’idée serait de donner à voir, de manière macroéco-nomique, tout un secteur : non seulement ce qu’ilproduit mais aussi ce qu’il génère, à l’inverse de l’imageconvenue du seul volet de charge que le service publicreprésenterait pour la société. Les modalités de recueilrestent à définir mais l’enjeu le mérite.

Une forte approche territoriale est développéedepuis peu, prenant la suite de trois premières expé-riences en Bourgogne, Champagne-Ardenne et Haute-Normandie, interprétant des données collectées pard’autres. Désormais chaque année verra une problé-matique développée sur une ou plusieurs régions (afortiori dans un paysage qui est en grande évolution),selon une orientation correspondant à une logiqueet une approche construites avec les territoires concer-nés. En 2015, une étude quantitative et qualitative aété conduite en Centre-Val de Loire, en partenariatavec le CCSTI Centre.Science : comment se structu-rent les acteurs de cette région ?

Par ailleurs, un certain nombre d’états des lieuxsur des thématiques spécifiques pourraient venirnourrir la réflexion collective : comment les mouve-ments d’éducation populaire, très difficiles à saisirinstitutionnellement parlant, mais très actifs, contri-buent-ils à la culture scientifique et technique ? Ausein des métiers exercés aujourd’hui, celui de média-teur est particulièrement exposé : quelle est sa spéci-ficité, y compris dans la diversité des formes et desniveaux de responsabilité qu’il recouvre4 ? Des parte-nariats sont en cours de montage avec des équipes derecherche et d’acteurs, en privilégiant un questionne-ment non pas académique, mais pluriel5.

Au plus près des pratiques et des attentes de sesacteurs familiers, l’OCIM, depuis 30 ans qu’il existe,constitue un extraordinaire socle d’expertise au servicede son réseau, un véritable observatoire du champ dupatrimoine et de la culture scientifiques, techniqueset industriels (PCSTI). Le temps est venu de capitaliser,de croiser les faisceaux de connaissance de chacunpour encore mieux les partager demain, au serviced’une large communauté mêlant culture et scienceavec la société. ■

3. Sylvie Grange, Joël Clary, NathalieMémoire et al., « Le récolement dans lesmuséums », La lettre de l’OCIM, n° 153,2014, p. 4-93. Ce numéro a été conçu enpartenariat étroit avec la conférencepermanente des muséums de France(CPMF), et plus particulièrementNathalie Mémoire.

4. Cf. « Médiateur  : comparer pourcomprendre », in  : Science & You, actesdes sessions du colloque, juin 2015,Nancy, table ronde #12, p. 535-549.En  ligne  : http://science-and-you.com/sites/science-and-you.com/files/users/sy2015_sessions_proceedings.pdf

5. Au sein du projet d’investissementd’avenir (PIA) sur le réseau del’Expérimentarium(http://experimentarium.u-bourgogne.fr/) que l’OCIM a contribué àporter et dont il est partenaire, l’apporten observation porte notamment surl’ingénierie de formation acquise au seindu service.

Une diversité d’acteurs et d’initiatives

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 43

«L’OCIM, depuis 30 ans qu’il existe,constitue un extraordinaire socled’expertise au service de son réseau,un véritable observatoire du champdu patrimoine et de la culturescientifiques, techniques etindustriels. »

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Centre.Science, CCSTI du Centre-Val deLoire (Orléans).

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

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« La science est une belle province de la culture ».Derrière cette affirmation en forme de manifeste del’académicien Yves Quéré se profilent des questionssur le lien entre notre société et une conception duprogrès, entre experts et citoyens. Le divorce entretechno sciences et « humanité », décrit depuis long-temps par Edgar Morin, montre quel travail de recom-position reste à faire. Dans ce contexte, la place de laculture scientifique a été trop longtemps et tropsouvent limitée à un ensemble d’animations, d’inter-ventions ou de production de supports, hésitantsouvent entre éducation et communication. Cettevision restreinte pose rétrospectivement problèmeface à l’ampleur des questions encore à traiter.

Le projet de l’Espace Mendès France (EMF), issud’une décennie d’expérimentations, s’inscrit dans cequestionnement permanent, avec une volonté d’adap-tation constante, entre offre et demande. Il ancre sescomposantes dans une relation forte avec la commu-nauté scientifique et éducative, largement impliquéeet présente : « il n’y a pas de culture scientifiquecontemporaine sans présence des scientifiques ». L’asso -ciation place son projet au-delà d’une simple propo-sition d’animations didactiques, privilégiant dans lecontact avec le public la mise en situation et la prisede parole. Cette préoccupation a été étoffée au fil desannées et des expériences sur le terrain, à deux niveaux.D’abord en élargissant les approches, les formats etles présentations avec une présence voulue des sciencesde l’homme et de la société et avec la promotion d’uneculture de la complexité. Ensuite en allant au-delàd’une offre scientifique et culturelle classique – audemeurant toujours indispensable et attendue – pours’ouvrir aux attentes, aux préoccupations, auxdemandes, même informelles, des publics.

Le déploiement territorial volontariste engagé dès2001 traduit cette volonté : « Il n’y a pas de culturescientifique populaire sans les acteurs des territoires. »C’est le sens même du projet de l’EMF que de créerces ouvertures cardinales par la mobilisation d’acteurs

locaux, de prescripteurs, intermédiaires vers denouveaux publics. La question des réseaux d’acteursde la culture scientifique et des produits est devenuesecondaire au regard de l’impérative nécessité detrouver de nouveaux partenaires susceptibles d’intégrer la culture scientifique comme moteur deleur projet. C’est vrai pour les institutions territoriales,le monde économique et social, mais aussi le mondeassociatif.

L’environnement institutionnel est en mutation,la période économique difficile. Il a paru essentiel àl’EMF de concevoir un modèle de développementadapté aux nouveaux enjeux. Ce processus dynamiquese déploie via trois pôles étroitement liés.

D’abord le site de Poitiers avec un lieu architectu-ralement fort et controversé en centre-ville qui, 25 ansaprès son ouverture, même avec ses problèmes deconception, permet d’offrir une programmation quoti-dienne riche, en permanence renouvelée, des rendez-vous multiples, tenant compte des temporalités desdifférents publics, composant entre année scolaire etweek-ends dotés d’une programmation spécifique.C’est devenu le lieu de rendez-vous des Poitevins. Cetravail intramuros se fait dans le cadre de la conventiond’objectif signée avec la ville de Poitiers en 2009.

Ensuite un pôle éditorial et numérique, avec unlieu de création et de rencontre, le Lieu Multiple, dontle programme culturel dédié au numérique s’appuiesur des résidences d’artistes, des ateliers, des rendez-vous et des temps forts expérimentaux. Avec la revueL’Actualité Poitou-Charentes qui depuis 25 ans valorisel’innovation et la création dans la région. Avec lamaison d’édition Atlantique (une trentaine d’ouvragespubliés en 20 ans), et un ensemble de sites Internetdevenu la médiasphère de l’EMF.

Enfin, une plateforme de diffusion régionale, soutenue par la région et des crédits FEDER : près de800 lieux de tous types ont ainsi accueilli des actionsen 10 ans. Ce déploiement de l’EMF extramuros resteune singularité en France. Avant tout centré sur la

DIDIER MOREAU Directeur général

de l’Espace Mendès France (Poitiers)

L’Espace Mendès Francede PoitiersUn acteur de la culture scientifique,entre recherche et territoires

Les actions de l’Espace Mendès France répondent à deux priorités : privilégierdans le contact avec le public la mise en situation et la prise de parole,et développer sur l’ensemble du territoire régional des collaborations avecde multiples partenaires.

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 45

recherche permanente d’intermédiaires, il favorise larencontre avec de nouveaux publics et des groupessociaux. L’essentiel étant de garantir la mise en œuvred’opérations dans des conditions déontologiques etde diffusion fiables et crédibles.

Ce processus s’appuie sur un groupe de recherche« Sciences Innovations et Territoires », cœur dusystème. Bien en amont des projets, ce groupementpermet d’accompagner le développement de territoiresautour de préoccupations d’acteurs intégrant les questions scientifiques et techniques, d’environnement,de technologies, de santé publique, etc. La program-mation régionale se décline ensuite entre une offreclassique et diversifiée avec un catalogue accessible enligne1, destiné essentiellement aux publics du mondeéducatif et du loisir scientifique, et d’autre part desactions labellisées fédérant un important réseau terri-torial issu de la Fête de la science. Ce sont des centainesd’intervenants qui y participent depuis 23 ans : « LaScience se livre » se déroule au premier semestre dechaque année dans les médiathèques, bibliothèqueset centres de documentation de collèges et lycéesautour d’un thème conjointement défini ; « Imagesde sciences, sciences de l’image » propose en novembreune quarantaine de projections de films commentéset débattus avec un intervenant du monde scientifique.La présence est significative sur l’ensemble de la région.En 2014, ce déploiement aura permis de toucher prèsde 60 000 personnes, dont 28 000 scolaires, sur400 communes différentes dans le cadre de1100 actions. La programmation intramuros accueillequant à elle 55 000 visiteurs dont la diversité est lemaitre mot.

On aura compris que le projet de l’EMF est essen-tiellement collaboratif, ceci bien avant la mode actuelle.Il est le fruit de multiples partenariats de contenus(300 intervenants en 2014), de multiples réseaux dediffusion, mais également, pour le primordial voletéducatif, d’un lien fort avec la communauté éducativerégionale. Le processus mis en place reste constam-

ment attentif aux remontées du terrain et aux attentesdu monde économique et social. C’est là que s’exprimeune réelle demande de compétences issues de lacommunauté scientifique sur des thèmes et desréflexions ancrées dans la recherche de solutions alter-natives pour l’avenir.

Pour les prochaines années, l’EMF se positionneplus que jamais comme animateur d’un flux deprojets, catalyseur d’un déploiement de contenusscientifiques fiables, validés, renouvelés et porteursd’échanges. Il s’agit d’engager des actions ouvertesau public favo risant une offre adaptée et un dialoguepropice aux coopérations novatrices, inscrites dansle temps. C’est un cadre territorial renouvelé quiarrive avec l’entrée dans une nouvelle région à unifieret une refonte profonde des relations aux publics. Lesannées à venir seront placées au cœur d’une recom-position sans précédent dans laquelle le lien entresciences et citoyens sera bouleversé. Tout reste à fairesous peine de voir émerger et s’installer des tendancesdémagogiques, prosélytes, ou des dérives médiatiquesproli férant sur un mode irrationnel. Science et cultureont une œuvre à construire, sous le signe du débatet de l’expression collective. Des sujets d’importanceseront mis en lumière : la santé pour tous, le vivant,la connaissance, l’unicité de l’espèce humaine, l’éner-gie, l’éducation ouverte, tous parties prenantes denotre bien vivre.

Le passage de la compétence pour la diffusion dela culture scientifique de l’État aux régions peut secomprendre, il correspond à une réponse adaptée àun contexte particulier. Pour autant, dans les confron-tations à venir, l’absence de l’État dans ce débat radicalqui concerne la société tout entière serait incompré-hensible. En la matière, des alliances restent àconstruire, le lien avec l’État à réinventer. ■

1. http://emf.fr/catalogue/catalogue-des-animations/

Rencontre entre la lutherie sauvage et ledocumentaire sonore, la musiqueimprovisée et la mise en parole,l’installation sonore et le spectaclevivant, « Nuages » explore les différentesfaçons qu’a l’homme d’entretenir sonrapport au ciel et aux nuages.

«  Images de sciences, sciences del’image » propose de mieux comprendreun grand thème d’actualité où l’imageapporte une dimension nouvelle auxproblèmes que les sciences tentent derésoudre. Chaque projection de film estsuivie d’un débat avec un chercheur ouun réalisateur. Thème de l’édition 2015 :Renoncer au progrès ?

L’Actualité Poitou-Charentes n° 110,2015, dossier spécial sur les assisesrégionales de la culture scientifique.

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Toulouse mène depuis plusieurs décennies une poli-tique féconde en matière de culture scientifique, technique et industrielle. Il est vrai que les ressourcesde la métropole et de sa région favorisent uneconscience aigüe des rapports entre science et société.L’industrie et la recherche, qui dynamisent le territoiretoulousain, font l’objet d’un important travail de sensi-bilisation et de médiation, une démarche vers lescitoyens engagée par des établissements embléma-tiques (Muséum, Cité de l’espace, Aéroscopia, LeBazacle...) et par des associations très impliquées(Science Animation, Les petits débrouillards, PlanèteSciences...). L’université fédérale Toulouse Midi- Pyrénées organise, quant à elle, de nombreuses activi-tés de CSTI grâce au réseau des universités, des orga-nismes de recherche et des écoles d’ingénieurs.

Pour construire cette société de la connaissancedont on sait la nécessité, voire l’urgence, deux lieuxapparaissent aujourd’hui incontournables : le Muséumd’histoire naturelle de Toulouse, qui fête ses 150 ans,et le Quai des Savoirs qui ouvrira ses portes début2016.

CSTI et muséumSi la structuration de la CSTI remonte aux années

1970, les muséums en sont des acteurs historiques

bien antérieurs qui, paradoxalement, n’ont été quepeu identifiés dans le cadre des politiques publiquesd’aide au développement de la CSTI. Ils en sont pour-tant des acteurs essentiels en ce début de XXIe siècleoù la montée des questions climatiques et environne-mentales leur donne une nouvelle légitimité auprèsdes publics.

Rénové en 2008, le muséum de Toulouse se posi-tionne non seulement comme un lieu patrimonialavec ses collections, mais aussi comme une plateformeculturelle sur les questions de sciences et de société.À travers ses actions, il explore les relations homme-nature-environnement. Le muséum accueille aujour -d’hui 300 000 visiteurs par an, et ses expositions itiné-rantes, aux thématiques variées, circulent dans lemonde entier.

En partenariat avec le CNRS, il organise chaquetrimestre des « Kiosques-Actus » qui ont lieu le week-end : des « manips », des démonstrations, des rencontresavec des chercheurs mettent en avant le travail des labo-ratoires toulousains sur des questions aussi variées quele handicap, la génétique, le vieillissement...

Pour diffuser la culture scientifique, technique etindustrielle, deux stratégies sont possibles : soit attirerle public dans les équipements par une program -mation choisie et des expositions de qualité, soit aller

1. Vigie-Nature est un programmede sciences participatives porté par

le MNHN qui propose à chacun decontribuer à la recherche en découvrant

la biodiversité qui nous entoure.http://vigienature.mnhn.fr/

Une diversité d’acteurs et d’initiatives

46 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

FRANCIS DURANTHONDirecteur du Muséum de Toulouse

FRANCOIS LAJUZANChargé de projet Quai des Savoirs

La CSTI à ToulouseLe muséum d’histoire naturelle de Toulouse est depuis longtemps un acteurreconnu de la diffusion de la culture scientifique et technique. Il s’est aujourd’huiimpliqué dans le projet toulousain du Quai des savoirs, centre « nouvellegénération ».

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Muséum d’histoire naturelle de Toulouse,un « kiosque-actu ».

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 47

à sa rencontre sur son terrain. À l’heure où les sciencesparticipatives deviennent un leitmotiv pour nombred’institutions culturelles qui cherchent à mobiliser lepublic pour aider les chercheurs à acquérir denouvelles données, le muséum de Toulouse a choisi,tout en participant à certains programmes de Vigie-Nature1, une approche complémentaire en mobilisantses équipes scientifiques autour d’amateurs passionnésafin de contribuer à l’encyclopédie libre Wikimedia.Il y a ainsi déposé des milliers d’images haute réso -lution de ses collections et participe activement à l’écri-ture d’articles ou de notices biographiques dans l’ency -clo pédie Wikipédia, sous le contrôle de ses équipesde conservation. Cette démarche s’inscrit dans la philo-sophie du muséum : mettre le public au cœur de sesactions.

Le Quai des SavoirsLe muséum de Toulouse est aussi très largement

impliqué dans le développement du projet de Quaides Savoirs. Ce projet se veut le « navire amiral » d’uneMétropole des Savoirs, s’appuyant sur le contextetoulousain particulièrement riche en ressources dansles domaines de la recherche et de l’industrie.

Centre de CSTI « nouvelle génération » situé aucœur de la ville, dans les bâtiments rénovés de l’ancienne faculté des sciences, le Quai des Savoirsouvrira ses portes début 2016. Il proposera une saisoncomprenant une grande exposition interactive, denombreux évènements, des « cafés-savoirs », un centrede loisirs, des « manips » et expériences à destinationdu grand public, des dispositifs de réalité augmentée...Une attention toute particulière sera portée aux jeunesde moins de 7 ans auxquels sera destiné le Quai desPetits, avec salle d’exposition, ludothèque et salle despectacles en petite jauge.

Cette saison se déroulera aussi hors les murs, carle Quai des Savoirs a une vocation métropolitaine affirmée. Ainsi, un vaste réseau de « Relais Savoirs »accueillera expositions, ateliers, camion sciences etconférences sur les trente-sept communes deToulouse Métropole. Ce réseau alimentera égalementle Quai des Savoirs en propositions remontant desterritoires.

La plus grande originalité du Quai réside sansaucun doute dans son mode d’organisation parti ci -patif. Cet équipement rassemble un grand nombred’acteurs de la CSTI fédérés autour d’un projet collectif : « Construire l’avenir ». Science AnimationMidi-Pyrénées (et le projet Inmédiats) côtoiera auQuai des Savoirs l’Université fédérale, Les petitsdébrouillards, Planète Science, les équipes du muséum,les associations de CSTI, les laboratoires de recherche,les clubs d’entreprises, et tous les univers de l’économienumérique avec La Mêlée (La Cantine, Le Labo desusages, la French Tech...). De nombreux projets sontdéjà à l’étude pour mutualiser toutes ces ressourceset compétences : résidences de création artiste/ chercheur/ingénieur, filière de recherche appliquéeen médiation de la CSTI, production d’outils éducatifset jeux sérieux (serious game)... Ils seront développésdans les espaces dédiés à la recherche et l’expérimen-tation.

Le Quai des Savoirs sera tout à la fois l’outil d’unepolitique de CSTI en direction des habitants et l’ambas -sadeur de Toulouse dans le monde entier. Il porterales valeurs de partage, de découverte, d’éveil à la curio-sité et à l’imaginaire, de science participative, tout enexpérimentant un nouveau modèle économique etorganisationnel basé sur la coconstruction, sur lamutualisation des moyens et le partage des initiatives...Entre la ruche, le cluster et le phalanstère... ■

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Muséum d’histoire naturelle de Toulouse,le mur des squelettes. Nuit des musées2015.

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La Sucrerie, située en Picardie, près de Compiègne(Oise), est la seule fabrique de sucre de betteraves àêtre inscrite Monument historique. Pourtant, plus de500 établissements du même type ont existé à la findu XIXe siècle en France. Ce qui la distingue tient àson ancienneté, puisque sa création remonte à 1829,ainsi qu’à la durée exceptionnelle de son activité,140 ans, qui témoigne de la volonté constante desindustriels qui la dirigèrent d’être à la pointe de l’inno -vation technique et de s’adapter au marché. Crespel-Dellisse, l’un des pionniers de l’industrie sucrière enFrance, ou Marguerite Benoit, une des rares femmesdirigeantes au début du XXe siècle, sont deux desfigures emblématiques qui ont eu à cœur de faire decette sucrerie l’une des plus importantes de la région.

Après sa fermeture en 1969, le site connut unelongue période d’abandon qui aurait pu lui être fatalsi une poignée de passionnés ne s’était pas mis en têtede le sauver. Grâce à des séances de débroussaillage, demise hors d’eau, de réparations diverses, de rechercheshistoriques dans les archives de l’entreprise pour révélerl’exceptionnel destin industriel et humain de ce siteremarquable, l’action bénévole de l’Asso ciation desauvegarde pour la sucrerie de Francières permit defaire reconnaitre ce qui avait encore l’allure d’une frichecomme un véritable élément du patrimoine. Protégéeau titre des Monuments historiques en 1999, la sucrerien’a amorcé sa reconversion que dix ans plus tard, enaccueillant un centre d’interprétation dédié à la culturescientifique, technique et industrielle du sucre et del’avenir des industries agroressources. Après plusieursétudes de faisabilité, le projet a obtenu en 2009 lesoutien financier de l’Europe, des collectivités localeset de partenaires privés.

Après son inauguration en décembre 2012 parClaudie Haigneré, alors présidente d’Universcience,la Sucrerie est confiée à Planète Sciences Picardie, uneassociation de culture scientifique reconnue pour la

qualité de ses animations et ses interventions en direction du jeune public. Rapidement, l’associationdéfinit trois thématiques d’animation visant à faire comprendre l’histoire du site, l’articulation des diffé-rents bâtiments qui le composent, mais aussi le proces-sus de fabrication du sucre de betteraves ainsi que lesenjeux actuels de l’industrie agro-ressources.

Pour chacun des thèmes, le maître mot est « expé-rimentation ». Le visiteur est amené à expérimenterle fonctionnement d’une sucrerie au XIXe siècle, à seconfronter concrètement à la vie de ses ouvriers. Ilpeut aussi endosser la blouse blanche du chimiste delaboratoire pour reproduire le processus de fabricationdu sucre, pour mesurer la présence et les taux de sucresdans les différents produits transformés issus de l’agri-culture. Enfin, il est sensibilisé à l’état de la connais-sance, de la recherche et de l’innovation sur les agro-ressources, en cherchant des substituts aux énergiesfossiles. Avec les médiateurs qui le guident, il fabriquedes matériaux biosourcés, tels que les plastiques biodé-gradables ou les colles élaborées à partir de fécules depomme de terre.

Parallèlement, la Sucrerie devient le lieu où toutce que l’agriculture produit directement ou indi rec -tement est exposé.

Ces expériences originales que le public expéri-mente sont le fruit de multiples collaborations avecdes laboratoires de recherche universitaires ou desinstituts spécialisés, mais aussi avec le pôle de compé-titivité Industries et Agro-Ressources (IAR) et l’institutpour la transformation énergétique Picardie Inno -vations Végétales Enseignement et Recherches Techno -lo giques (ITE PIVERT). Elles font par ailleurs l’objetd’une expertise auprès d’un conseil scientifique consti-tué spécifiquement pour la Sucrerie. Présidé, jusqu’àsa disparition en mai 2014, par le professeur DanielThomas, cette instance réunit des enseignants- chercheurs, des industriels et des représentants d’insti -tutions. Elle est complétée par un comité pédagogiquequi regroupe des enseignants, des animateurs et despédagogues de terrain.

La multiplicité des approches du lieu exige le recru-tement de médiateurs aux profils variés. Ils sont histo-riens, architectes, épistémologues, biologistes,chimistes, microbiologistes ou physiciens ; ils pren-nent plaisir à partager entre eux leurs connaissanceset accroissent ainsi leur polyvalence lors des interven-tions. Les visites sont adaptées à chaque public et,

Une diversité d’acteurs et d’initiatives

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SAMÜEL KAUFFMANN

Directeur de Planète Sciences Picardie

La Sucrerie de Francières Un lieu tourné vers l’expérience

Cette ancienne fabrique de sucre de betteraves implantée en Picardie estaujourd’hui un centre d’interprétation dédié à l’industrie sucrière mais aussiaux enjeux actuels des agro-ressources.

«La multiplicité des approchesdu lieu exige le recrutementde médiateurs aux profils variés. »

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La Sucrerie de Francières, un lieud’exposition et d’expérimentation.En bas, l’espace Industries et agro-ressources.

Une diversité d’acteurs et d’initiatives

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 49

dans le cas de public scolaire, élaborées avec le respon-sable du groupe ou de la classe, afin que les thèmesabordés ou les expériences réalisées puissent êtrecomplétés et approfondis1. L’objectif est aussi dedonner l’envie de revenir pour traiter d’autres sujetsconnexes.

L’adaptation permanente au public est une néces-sité pour un lieu situé en milieu rural qui, de ce fait,souffre d’un manque de visibilité. C’est aujourd’huil’un des enjeux de la Sucrerie, qui poursuit son déve-loppement en proposant, au-delà des visites, desateliers hebdomadaires qui fidélisent le jeune public,le mettent en relation avec la recherche et les indus-triels du secteur, pour éventuellement « faire de lapassion des jeunes, un métier ». ■

1. La Sucrerie accueille toute l’annéeles groupes sur réservation et le publicindividuel un week-end par mois etchaque week-end durant l’été. www.la-sucrerie.picardie.fr

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«L’adaptationpermanente au publicest une nécessité pourun lieu situé en milieurural qui, de ce fait,souffre d’un manquede visibilité. »

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L’Espace des sciences de Rennes, CCSTI le plusvisité en régions, innove aujourd’hui en matière deréflexion et d’expression de ce qu’est la culture indus-trielle en ouvrant une antenne dans l’ancienne Manu-facture des tabacs de Morlaix. L’architecture et l’histoire de la manufacture, fermée depuis 2004 maisdont les murs ont gardé la trace de 250 années detravail, en font un site d’interprétation exceptionnel.L’État et les collectivités locales se sont relayés etfédérés pour repenser l’usage de ce site industriel touten sauvegardant la mémoire de sa fonction première.Porté par Morlaix Communauté, ce projet s’inscritdans un programme global de reconversion des30 000 m2 d’un ensemble de bâtiments organisésautour de cours reliées les unes aux autres par despassages couverts.

Trois siècles d’histoire socialeet d’évolution des techniquesDe prime abord, le bâtiment force le respect : conçu

sur le modèle des grands palais érigés au XVIIIe siècle,à la composition symétrique et équilibrée, aux lignesclaires et harmonieuses, l’ensemble architectural estremarquable1. La configuration particulière des lieux,la présence de cours, galeries, passages, escaliers monu-mentaux, sont propices à la réalisation de parcoursde découvertes et de partage des connaissances.

L’évolution physique de cette manufacture depuissa création témoigne de la façon dont les grandesétapes des progrès technologiques ont marqué l’histoire des constructions industrielles. Les bâtimentsprincipaux datent du milieu du XVIIIe siècle ; des halles,des fours et des ateliers leur ont été ajoutés au débutdu siècle suivant et dans la deuxième partie du sièclesont intervenus les bouleversements liés à l’avènementdes machines à vapeur. Le visiteur sera invité à décou-vrir les machines préservées sur le site et à comprendrel’évolution des surfaces d’exploitation.

À la veille de la Révolution française, avec déjàcinquante années d’expérience, la Manufactureemploie jusqu’à 750 personnes. Un siècle plus tard,1 750 ouvriers s’activent dans les ateliers ! Dans uneville bretonne de 16 000 habitants vivant essen tiel -lement de l’économie de l’agriculture et de la pêche,

la « Manu » fait figure de modèle de progrès socialavec sa crèche, sa caisse maladie et des pensions pourles retraités. Majoritairement masculine à ses débuts,la force de travail va se féminiser avec le choix d’uneproduction essentiellement tournée vers la fabricationde cigares exigeant des mains expertes, voire des« petites mains » puisque les enfants y travaillent dèsl’âge de douze ans. Les guerres passées, les veuves etleurs enfants bénéficient d’emplois réservés.

Certes, ouvriers et ouvrières bénéficient d’unecertaine sécurité de l’emploi mais leurs conditions detravail ne sont pas idéales pour autant : bruit desmachines, vapeurs et poussières nocives, ateliers malchauffés et humides, discipline parfois quasi militaire...

En 2004, les derniers employés ferment les portesde leur Manufacture. Réunis en association desAnciens de la Manu depuis 1995 dans l’intention deprotéger, d’entretenir, de sauvegarder et de faire découvrir ce patrimoine exceptionnel à travers unparcours muséal, ils poursuivent une œuvre entreprisedès les années 1980 avec la création d’un petit musée.C’est dire l’attachement et la considération qu’inspirela Manu. Une quinzaine de machines ont été conser-vées : paqueteuse, écôteuse, hachoir, massicot... Dansle parcours muséographique, elles participent de lamémoire technique, industrielle et sociale des manu-factures de tabac. En effet, la Manufacture est un véri-table concentré de principes mécaniques caractéris-tiques de la fin du XIXe siècle : vis d’Archimède, noriasde godets, transmission par poulies, arbres à conver-sion et surtout une extraordinaire batterie de moulinsà poudre. La salle des moulins peut être considéréecomme un objet à part entière conservé tel que conçuen 1870. Classé Monument historique, son excellentétat de conservation en fait le joyau de la Manufacturedes tabacs de Morlaix, et plus largement du patrimoineindustriel français. La salle entière est occupée parune machine conçue dans son ensemble pour unefonction bien précise : râper le tabac haché pourproduire du tabac à priser. Mis au point par EugèneRolland2, ingénieur en chef du service central, ce dispo-sitif est mû par une machine à vapeur, puis par l’élec-tricité. Cette machinerie, fleuron de la mécanisation,est désormais unique en France.

1. Ordonnée par Louis XV en 1736,la construction de la Manufacture

de Morlaix se fera sous l’équerrede Jean-François Blondel.

2. L’ingénieur Eugène Rolland (1812-1885) était à la tête du service central

des constructions de la directiongénérale des manufactures de l’État

(direction chargée de l’exploitationindustrielle du monopole des tabacs).

3. Pierre Nora, membre de l’Académie française.

4. Citation extraite de  : Une mémoirepour demain  : 30 ans de culture

scientifique, technique et industrielle enFrance, Paris, L’Harmattan, 2014.

Une diversité d’acteurs et d’initiatives

50 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

MICHEL CABARETMembre fondateur et directeur de

l’Espace des sciences de Rennes

MARIE-LAURE BRANDILYChargée de projet

à l’Espace des sciences

ANNIE LONEUXÉlue en charge du projet

à Morlaix communauté

L’Espace des sciencesà MorlaixReconversion de la Manufacturedes tabacs

En installant une antenne à Morlaix, l’Espace des sciences de Rennes s’ouvre à la culture et à l’innovation industrielles.

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Valorisation de la culture industrielleLieu de documentation de l’histoire mais aussi de

diffusion et de promotion de la culture scientifique,la nouvelle antenne de l’Espace des sciences envisagele devenir patrimonial « en tant qu’héritage du passémais aussi en tant que construction du présent3 ».C’est donc dans cette démarche que le visiteur pourra découvrir et explorer dans une galerie de l’innovation,véritable « salon-vitrine », les actualités scientifiques

et les innovations industrielles du territoire. Lieu derencontre et d’échange entre chercheurs et acteurséconomiques associant le public, elle constituera unexemple démonstratif du rôle de l’industrie en tantque moteur de l’évolution sociétale.

L’Espace des sciences de Rennes, d’une compétencereconnue et appréciée en matière de diffusion de laculture scientifique, s’ouvre ainsi à un champ nouveau,la culture industrielle, confirmant la définition d’unCCSTI proposée par Yves Malécot dès 1981 : « UnCCSTI est une institution assurant les fonctions derecherche, d’étude, de conservation et de présentationd’éléments de culture technique, jusque dans sesaspects les plus actuels en vue de leur mise en valeurpour contribuer à la transmission des connaissancesscientifiques et techniques et favoriser l’innovationdans le cadre d’actions pédagogiques complètes. Ils’appuie le plus souvent pour cela sur un patrimoineconstitué par des bâtiments, des collections, des docu-ments relatifs à une ou plusieurs activités techniquesou industrielles dans une région donnée4. » ■

Une diversité d’acteurs et d’initiatives

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 51

La Manufacture des tabacs à Morlaix, unquartier en devenir  : s’y développent un

pôle administratif avec le siège del’agglomération, un pôle d’enseignementsupérieur et un pôle culturel comprenant

cinéma, théâtre, musique et sciences.

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La Manufacture des tabacs à Morlaix  :la salle des moulins à râper le tabac,

conservée en l’état, exceptionnellebatterie de douze moulins désormais

unique en France.

«La Manufacture estun véritable concentré deprincipes mécaniquescaractéristiques de la findu XIXe siècle... »

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Paul Smith : Le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais a été inscrit sur la liste du patrimoine mondialen 2012. Trois ans après, peut-on évaluer les premièresretombées de ce classement en termes de développementdu territoire ?

Jean-François Caron : Il est difficile de distinguerce qui relève du classement Unesco et ce qui relève duLouvre Lens, car les deux sont arrivés la même année :l’inscription Unesco en juillet 2012, le Louvre en décem-bre. Ces deux « marques » mondiales ont produit deseffets convergents, dont le plus évident est un change-ment d’image extraordinaire. Quel que soit le lieu dansle monde où l’on obtient un label de ce niveau, celaaméliore l’image. Dans une région comme la nôtre quiavait un énorme déficit d’image, ce changement estencore plus spectaculaire, ce label de qualité nous sortd’une vision misérabiliste et triste. Ce qui renforcebien évidemment l’attractivité de notre territoire ; celadonne envie de venir découvrir ce qui s’y passe...

Il y a aussi des retombées économiques, directes etindirectes. Là encore il est impossible de faire la partentre le Louvre et l’inscription au patrimoine mondial.Par exemple en termes de tourisme : les offices detourisme ont vu une augmentation de leurs visites, lesPays d’art et d’histoire aussi. Un touriste vient retracerl’histoire de la Grande Guerre, visiter le Louvre, cher-cher un bon restaurant, visiter la cité minière... Ce n’estpas uniquement corrélé à l’Unesco, mais l’inscriptionest citée par les gens. Des études, notamment cellesfaites par Euralens, montrent cette progression de lafréquentation. Ce n’est toutefois pas considérable, car

notre territoire n’était absolument pas adapté à l’accueiltouristique. Les gens viennent une journée, nousvoyons beaucoup de camping-cars, mais la région n’estpas encore une destination touristique. Nous ytravaillons, nous venons d’obtenir un Contrat de desti-nation, validé au niveau national, pour le développe-ment du tourisme international. Il faut aussi noter queles investisseurs ont attendu de voir la fréquentationdu Louvre pour entreprendre. L’hôtel lerie quatre étoilescommence aujourd’hui à s’installer, mais il a fallu troisans pour que les travaux soient lancés.

On constate également des effets économiquesinduits, liés au changement d’image du territoire, doncà une perception plus qualitative. Pour beaucoup d’acteurs, le Bassin minier n’est plus perçu comme untrou noir, venir s’y installer n’est plus considéré commeringard. De la même manière, grâce à l’initiative Eura-lens mise en œuvre pas la région, qui est une turbineà faire émerger des projets depuis l’arrivée du Louvreet l’inscription Unesco, on a labellisé en quatre anssoixante projets de culture, d’aménagement urbain, dedéveloppement économique, de trame verte... Le Louvreet le label Unesco ont remis le territoire en innovation,ont permis de relever la tête, de retrouver de l’estimede soi et de la capacité d’entreprendre1. C’est difficile àchiffrer mais c’est très important. Nous avons entreprispar exemple la rénovation de « cités pilotes » avec desfinancements exceptionnels, ce qui n’aurait jamais étéobtenu sans le classement Unesco : la cité Taffin à VieuxCondé, la cité Thiers à Bruay-sur-Escaut, les cités Lemayet Sainte-Marie à Pecquencourt, la cité Bruno à Dourgeset la cité des Électriciens à Bruay-la-Buissière.

L’inscription Unesco et le Louvre facilitent doncl’obtention de financements. Le président de la Répu-blique a annoncé, le 4 décembre 2014 à Lens, un dispo-sitif spécial de l’ANRU pour le Bassin minier, soit prèsde 175 M€. Il a évoqué le classement Unesco, la respon-sabilité de l’État concernant l’avenir des cités minières,tant pour les populations qu’en termes de patrimoine.Nous avons aussi obtenu auprès du ministère du loge-ment un certain nombre de dispositifs financiers spéci-fiques pour le suivi Unesco. Amélioration de la qualitéde vie, travail pour les entreprises locales : la dyna-mique Unesco est en mouvement.

1. Euralens publie une synthèsesur  l’impact du Louvre Lens et de

l’inscription Unesco, « Louvre Lens,chiffres-clés et impacts », disponiblesur son site web  : www.euralens.org

(espace ressources / plateformed’intelligence collective Euralens).

Une diversité d’acteurs et d’initiatives

Le Bassin minier du Nord-Pas-de-CalaisUn territoire en mouvement

Entretien avec Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle, conseiller régionalNord-Pas-de-Calais et vice-président du Bassin minier, porteur de la candidaturepour une inscription sur la liste du patrimoine mondial.

«Le Louvre et le label Unesco ontremis le territoire en innovation,ont permis de relever la tête,de retrouver de l’estime de soi etde la capacité d’entreprendre. »

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 53

P.S. : La campagne de protection des éléments du Bassinminier au titre des Monuments historiques en vue deconstituer le dossier pour l’Unesco a été très importantepour la région comme pour le patrimoine industriel enFrance. A-t-il été possible, autour de protections MH oud’autres dynamiques, d’entretenir l’immense enthousiasmequi a encouragé et accompagné la candidature Unesco,ou bien avez-vous vécu un « blues » post-inscription?

J.-F.C. : En effet, nous avons connu un petit « creux »,car je n’avais pas voulu anticiper sur l’inscription, fairecomme si on était sûrs de l’obtenir, donc rien n’étaitprévu. Après l’inscription, nous avons pris un tempspour en profiter, nous avons été très sollicités par lesmédias, la couverture médiatique en France et dans lemonde entier a été considérable. Nous avons continuéde mobiliser les habitants, et travaillé sur la mise enœuvre du plan de gestion. Mais, c’est seulement enseptembre 2015 que nous avons posé le premierpanneau officiel d’inscription, en entrée de ville. Eneffet, il a fallu d’abord lancer une étude, élaborer uncahier des charges, informer les services de l’Unesco, seconcerter avec les services de l’État, avec les Monumentshistoriques, et mettre en réseau tous les acteurs. Il fallaitune réflexion de fond sur la manière de signaliser leBassin minier qui est un ensemble hétérogène.

Le label Unesco est géré par la Mission Bassin minier.Depuis 2012, des rencontres avec les acteurs qui avaientsoutenu la candidature ont été organisées à denombreuses reprises, on a aussi publié de petitsouvrages. En septembre dernier, à la rencontre organi-sée par la Mission à Oignies, au Métaphone2, sontvenus les institutions, l’ensemble des services du conseilgénéral, les services du tourisme, des agglomérations...On assiste à une appropriation par les institutions dela nouvelle donne engendrée par le classement Unesco.Cela va des panneaux d’autoroute et de ville qui serontinstallés pour le marquage du territoire à la mise enréseau des stratégies des offices du tourisme à l’échellede l’ensemble du territoire. Les aménageurs, les bail-leurs sociaux étaient présents. Aujourd’hui, le classe-ment Unesco devient un moteur, une stimulation pourune démarche qualité qui fait se rencontrer tous lesacteurs. Pour nous qui étions dans une logique dedescente aux enfers, c’est très positif.

P.S. : Quelles sont les initiatives mises en place pourpartager la culture industrielle avec la population, pourpartager une culture qui a façonné tout le paysage devotre région ?

J.-F.C. : Nous constatons aujourd’hui une attentionportée à ce patrimoine, un intérêt grandissant pourla culture industrielle et pour la culture sociétaleautour de l’activité industrielle. Dans chaquecommune inscrite, la presse locale a publié des articlessur les richesses du patrimoine industriel. Centsoixante communes sont concernées, dont 89 inscrites,je ne peux donc vous parler dans le détail de toutesles initiatives dans ce tissu diffus. Dans le cadrescolaire par exemple, des classes suivent des initiationssur les terrils avec le CPIE Chaîne des terrils3. Cetteasso ciation organise aussi des circuits de visite, demême que les offices de tourisme. La Mission Bassinminier a mis en place des évènements sportifs qui sedéroulent sur tous les sites : le Raid Bassin minier, leTrail des pyramides noires... Et puis chaque annéenous fêtons le classement au patrimoine mondial, unévènement qui dure quinze jours pendant lesquelsnous mettons à l’honneur les initiatives autour dupatrimoine minier. Cette année il y a eu énormémentde portes ouvertes, des randonnées, des créationsculturelles... Par ailleurs, les quatre grands sites de lamémoire, la fosse Delloye, la fosse d’Arenberg àWallers, la fosse du 9-9bis à Oignies et la fosse du 11-19 à Loos-en-Gohelle, ont connu d’importanteshausses de fréquentation. Rappelons que ces sites ontbénéficié de crédits européens ou État-Région venantsoutenir les projets de reconversion spécifiques àchacun d’eux. Ainsi la fosse Delloye à Lewarde a béné-ficié d’importants travaux pour le Centre historiqueminier. La fosse d’Arenberg accueille un centre decréation cinématographique. Oignies est tournée versles musiques actuelles et populaires, avec la créationdu Métaphone, à la fois salle de spectacles et instru-ment de musique, inauguré en juin 2013. Pour le sitedu 11-19 sur ma commune de Loos-en-Gohelle, enfin,l’accent est mis sur la culture, avec la scène nationaleCulture commune, et sur le développement durable.À Loos, d’ailleurs, j’envisage de lancer une opération« Grand site »4. ■

2. Rencontres du Bassin minierPatrimoine mondial, 30 septembre2015  : www.missionbassinminier.org/menu-haut/actualites/detail/article/rencontres-du-bassin-minier-patrimoine-mondial.html

3. L’association Chaîne des terrils est un« centre permanent d’initiatives pourl’environnement » (CPIE).www.chainedesterrils.eu/

4. www.developpement-durable.gouv.fr/Les-Operations-Grands-Sites.html

Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais).À g.  : la base 11-19. À dr.  : visite guidéedes terrils jumeaux.

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Entretien réalisé le 5 novembre 2015.

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

Le patrimoine industriel, scientifique et technique au ministère de la CultureC’est à partir des années 1980 que l’étude, l’inventaire et la protection du patrimoineindustriel et scientifique ont pris leur essor. Différents dispositifs ont été créés parl’État pour conserver et valoriser ces « nouveaux » patrimoines.

54 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

On pourrait faire remonter au début des années1970 la prise en compte du patrimoine industriel,scienti fique et technique (PIST) par les services duministère chargé des affaires culturelles1. La loi du23 décembre 1970, modifiant celle du 31 décembre1913 sur les monuments historiques, envisage pourles objets mobiliers du domaine public la possibilitéd’une inscription sur un inventaire supplémentairelorsque ceux-ci présentent « au point de vue de l’histoire, de l’art, de la science ou de la technique » unintérêt suffisant pour en rendre désirable la préser -vation. En réalité toutefois, il faut attendre les années1980 pour voir les premières protections d’objets mobiliers techniques, essentiellement, en l’occurrence,du matériel roulant ferroviaire.

Le patrimoine de l’industrieC’est davantage par le biais du patrimoine de

l’industrie que ce faisceau de « nouveaux » patrimoinesrentre dans les politiques d’une direction du patri-moine mise en place en 1978 et rassemblant alors lesservices de l’archéologie, des monuments historiqueset de l’Inventaire général. La même année est fondéeen France une association nationale consacrée àl’archéo logie industrielle, suivant l’inspiration despionniers britanniques sensibilisés depuis une décennie déjà aux patrimoines de la Révolution indus-trielle. La création de cette association – le Comitéd’information et de liaison pour l’archéologie, l’étudeet la mise en valeur du patrimoine industriel – est dueen grande partie à l’historien des techniques MauriceDaumas, auteur en 1980 d’un ouvrage précurseur L’Ar-chéologie industrielle en France. C’était à l’invitationdu CILAC que fut tenu à Lyon et Grenoble, en 1981,le quatrième congrès de l’organisation internationaledu patrimoine industriel, The International Commit-tee for the Conservation of the Industrial Heritage(TICCIH)2. Puis, toujours en ces débuts du premier

septennat du président François Mitterrand et sousl’égide du ministre Jack Lang, est instituée en 1983,au sein de l’Inventaire général (service de recherchecréé par André Malraux en 1964), une petite celluledu patrimoine industriel, chargée de coordonner desenquêtes dans ce champ encore peu arpenté.

Les premières recherches s’attachaient d’une partà la documentation de secteurs industriels notoi -rement et visiblement en voie de disparition − l’extraction houillère dans le Nord-Pas-de-Calaisou en Lorraine, les usines de construction automo-bile en banlieue parisienne… − et, d’autre part, àdes thématiques où des enquêtes de terrain pouvaientfaire la preuve de l’apport de l’archéologie indus-trielle. Ainsi, par exemple, un travail de longuehaleine, et dans une perspective de longue durée, acherché à repérer et à étudier les vestiges physiquesde la sidérurgie ancienne, secteur ô combien straté-gique. Une autre enquête s’intéressait à l’énergiehydraulique, prédominante en France jusque dansles années 1880 ; l’identification et l’analyse des sitesconfortaient une interprétation inédite d’une « voiefrançaise » vers l’industrialisation. Vers 1986, etconformément à une recommandation du Conseilde l’Europe, ces études thématiques furent mises decôté au bénéfice d’une opération de repérage systé-matique du patrimoine industriel français, toussecteurs confondus et prenant en compte tous lessites existant au moment de l’enquête, qu’ils soienten activité ou non. Sous l’égide dorénavant desconseils régionaux, depuis la décentralisation del’Inven taire général du patrimoine culturel en 2004,et sous des formes renouvelées mais fondées encoresur la méthodologie mise au point dans les années1980, ce repérage du patrimoine industriel se poursuit de nos jours.

En 1986, parallèlement au lancement de ce repé-rage, une nouvelle section fut instituée au sein de la

1. Pour une étude plus approfondie, voirMarina Gasnier, Patrimoine industriel et

technique, perspectives et retour sur30 ans de politiques publiques au service

des territoires, Lyon, Lieux Dits, 2011(Cahiers du Patrimoine, 96). Toujoursdans un esprit rétrospectif, le derniernuméro de Monumental est consacré

au patrimoine industriel.

2. Le seizième congrès du TICCIH vientd’avoir lieu à Lille, au mois de septembre

2015, toujours à l’initiative du CILAC.

JEAN DAVOIGNEAUMCC / Direction générale des

patrimoines, mission inventaire généraldu patrimoine culturel

PAUL SMITHMCC / Direction générale des

patrimoines, département du pilotage de la recherche

et de la politique scientifique

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 55

À lire

La reconversion des sites et des bâtiments industrielsIn Situ, revue des patrimoines,n° 26, 2015En ligne  :http://insitu.revues.org/11744

Le patrimoine industrielMonumental, revue scientifique ettechnique des monuments historiques,2015-1. Paris, Éditions du patrimoine,2015. 128 p., 318 ill.

La lunette équatoriale coudée del’observatoire de Lyon à Saint-Genis-Laval. Mise en service en 1888, elle  fututilisée jusqu’en 1949 etclassée Monument historique en 2007.

Bataville, un bâtiment de l’ensembleusine-cité-jardin construit dans lesannées 1930 pour la fabrication deschaussures Bata. (Inscription MH 2014).

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commission supérieure des monuments historiques,spécia lement chargée de l’instruction de dossiers rele-vant des patrimoines industriel, scientifique et tech-nique, domaines où le nombre de demandes de protec-tion allait croissant. Et pour donner une vraiecohérence à la protection de ce nouveau champ patri-monial, le législateur octroya à cette section la capacitéde statuer à la fois sur la protection d’immeubles etd’objets immobiliers. Le plus grand nombre desprotections au titre immeuble regroupa usines et sitesde production, alors que les protections mobilièresse concentrèrent sur le matériel roulant ferroviaire,puis le matériel flottant, les machines de productionindustrielle ne faisant qu’une entrée timide dans cecorpus.

Le patrimoine scientifiquePour le patrimoine scientifique, même si depuis

1946, la loi avait étendu la protection des objets mobi-liers aux collections scientifiques, seules deux collec-tions entomologiques avaient été classées en 1948 et1950 (tout de même riches de 35 000 spécimens), l’intérêt ne fut longtemps porté que sur des objetsexceptionnels : le phare de Cordouan présent sur laliste des monuments historiques de 1862, l’Observa-toire de Paris classé en 1926, le laboratoire Eiffel en1984. Au mitan des années 1980, le regard patrimo-nial change, s’étend, les scientifiques eux-mêmess’adressent au ministère de la Culture. C’est au seinde la communauté des astronomes que la questionde la préservation des traces matérielles de la pratiqueastronomique est apparue. Un groupe militant, fortdu constat d’une grande méconnaissance des astro-nomes du patrimoine de leurs observatoires, de sarichesse et des menaces qui pesaient sur lui, s’adres-sèrent à leur ministère de tutelle. Cette demandeaboutit à la signature d’un protocole de rechercheentre le ministère de la Recherche et le ministère de

la Culture en 1995. Un travail d’inventaire pour la(re)connaissance de ce patrimoine fut mené en unedizaine d’années dans plus de 14 établissements derecherche. L’étude conjointe des patrimoines mobi-lier et immobilier menée avec la méthodologie duservice de l’Inventaire général permit, outre l’inven-tion de ce patrimoine, l’élaboration d’un vocabulairede désignation de l’instrumentation scientifique. Lesprotections Monuments historiques suivirent, lapossibilité de présenter à la même commission lalunette astronomique sur son pilier dans sa coupoletrouvait tout son sens.

Dans le même temps et utilisant les mêmes outilsméthodologiques, un intérêt se faisait jour au seindes établissements scolaires et universitaires pour lescollections d’instruments scientifiques de démons-tration et d’objets pédagogiques très souvent mena-cées, voire déjà mutilées. C’est la protection dequelques-unes de ces collections grâce à l’opiniâtretédes enseignants et des directeurs d’établissement(lycée Hoche à Versailles, 1994 ; lycées Duruy etChaptal à Paris, 1995) qui entraîna une meilleureprise en compte de ces collections et leur étude aucours des années 1990. Cet intérêt porté au patri-moine scientifique se traduisit par de nombreusesprotections d’objets propriétés des universités ou desgrandes écoles : en 2003, 90 instruments des collec-tions de l’École polytechnique et 25 objets de l’obser-vatoire de Marseille ; en 2004, 5 000 objets provenantde plusieurs collections anatomiques de différentesuniversités de médecine (les écorchés de Fragonardet d’autres pièces [37 items] de l’école vétérinaire deMaisons-Alfort avaient été protégés dès 1984) ; en2007, les instruments des observatoires de Lyon etBesançon. Les protections se succèdent, nourries parles sérieuses et nombreuses études que l’explosionde ce nouveau champ patrimonial suscite. ■

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

Une prise en compte tardive des archivesindustrielles en FrancePar opposition aux archives publiques de l’État et

des collectivités territoriales, il faut attendre le sortirde la Seconde Guerre mondiale et le renouveau del’économie française marquée par la nationalisationde plusieurs secteurs industriels pour que l’État s’inté -resse à la question des archives économiques et sociales.L’année 1949 constitue en effet un tournant dans cetteprise en compte patrimoniale des archives des entre-prises, notamment celles du secteur industriel alorsprépondérant. Sont créés d’une part la sous-sectiondes archives économiques, archives privées et du micro-film au sein des Archives nationales, et d’autre part,le Comité de sauvegarde des archives économiquespar arrêté du 14 février 1949. À ce comité participentquelques grands capitaines d’industrie, des dirigeantsd’entreprises publiques (SNCF, Charbonnages deFrance), des historiens et des professionnels desarchives. De plus, à la demande de Charles Braibant,directeur général des Archives de France, le Conseild’État émet, le 29 novembre 1949, un avis soumettantl’ensemble des entreprises nationalisées à la procédurede versement de leurs archives, au même titre que lesautres administrations et établissements publics.

Si le rôle du comité s’avère limité, la sous-sectiondes archives économiques, archives privées et du micro-

film prend une importance accrue en 1970 avec lacréation d’une section dédiée aux archives d’entre-prises, de presse et d’associations. Avec la crise écono-mique née du choc pétrolier de 1974 et le mouvementde désindustrialisation qui s’ensuit, l’importance deprotéger le patrimoine industriel sous toutes sesformes (monuments, savoir-faire et archives) se faitd’autant plus prégnante que la loi sur les archives du3 janvier 1979 et plus encore la loi sur les natio na li -sations du 11 février 1982 font entrer dans le champdes archives publiques de nombreuses entreprisesindustrielles. De ce contexte économique, social etculturel nait la volonté politique de créer cinq centresinterrégionaux d’archives du monde du travail, chacunlocalisé dans une grande région industrielle. Dans unecommunication du 21 septembre 1983 en Conseil desministres, Jack Lang rappelle « l’importance culturelled’un patrimoine jusqu’ici négligé, celui du monde dutravail […], celui des entreprises, publiques et privées,de l’industrie, du commerce et de la banque […] aussicelui des organisations patronales ou ouvrières, dessyndicats, des associations créées dans le cadre de lavie professionnelle ». Seul le projet pour la régionNord–Pas-de-Calais, appuyé par Pierre Mauroy, seconcrétise avec la décision, en décembre 1984, d’installer un Centre des archives du monde du travail,aujourd’hui Archives nationales du monde du travail,à Roubaix, dans l’ancienne filature Motte-Bossut.

Des sources pour documenter des sitesindustriels patrimoniaux et pour l’histoireéconomique et socialeDestiné à évoluer au fur et à mesure des mutations

techniques et au gré de la vie de l’entreprise qui l’occupe puis l’abandonne, le bâtiment industriel estconçu pour être fonctionnel. Sa valeur patrimonialeapparait a posteriori, lorsque ce processus de destruction créatrice s’interrompt. Dès lors, lesarchives trouvent leur intérêt : documenter l’histo-rique de l’activité industrielle du site et l’évolutionde son appareil productif, en somme contribuer àune réalité augmentée du site industriel par rapportà son état présent visible. Les sources iconogra-phiques sont nombreuses dans les fonds d’archivesd’entreprises industrielles. Par exemple, les reportagesphotographiques commandés par des entreprisesmontrent l’état des installations à un instant donné,

VINCENT BOULLYConservateur du patrimoine

Archives nationales du monde du travail

Les archives industriellesSi l’exposition « Au fil des archives. Le travail, c’est tout un monde ! » a été l’occasion, en 2014, de célébrer les vingt ans des Archives nationales du monde du travail, service à compétence nationale installé à Roubaix, le souci de l’État de conserver les archives industrielles dans une perspectivepatrimoniale remonte en fait au milieu du XXe siècle.

Les quatre usines Motte-Bossut dont lebâtiment actuel des Archives nationalesdu monde du travail (en haut à gauche) :

détail d’une lettre de change à entête,année 1890 (ANMT, fonds Motte-Bossut,

dépôt 1988 puis don 2012).

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 57

le personnel à l’œuvre dans le bâtiment ou posantdevant l’usine, ou encore des dommages subis, enparticulier lors des deux conflits mondiaux. Albumset catalogues de produits, lettres à entête et autressupports de communication présentent aussifréquemment des vues d’usines.

Plus encore, les archives produites par des entre-prises industrielles ou relatives aux activités indus-trielles présentent un grand intérêt pour la rechercheen sciences sociales. Depuis le renouveau historio-graphique porté par l’École des Annales, les archivesdes entreprises se sont affirmées comme des maté-riaux des plus utiles pour l’histoire économique etsociale : des registres, fichiers et états récapitulatifsdu personnel salarié pour des enquêtes sociolo-giques ; des registres de procès-verbaux d’assembléesgénérales ou des délibérations des conseils d’admi-nistration et autres instances dirigeantes d’une société

commerciale, dans une perspective d’histoire dumonde des affaires (business history) ; ou encore desregistres de comptabilité, des dossiers d’affaires rela-tant le suivi de relations commerciales ou l’exploita-tion de tel site industriel, et parfois des échantillonsde produits, pour une histoire des techniques ou deséchanges... Autant de traces de l’activité passée d’uneentreprise industrielle, autant de documents pouren écrire l’histoire.

Ainsi les documents d’archives sont-ils, au mêmetitre que les bâtiments ou les témoignages oraux réalisés après la fermeture de l’usine, une compo-sante indis pensable pour garantir la mémoire del’activité d’un site industriel. De la complémentaritédes trois approches, paysagère, ethnologique et docu-mentaire, dépend la bonne préservation du patri-moine industriel. ■

Ouvrier des forges de Douai au travaildevant une presse mécanique :photographie de l’album« établissements Arbel Douai Paris »,années 1950 (ANMT, fonds PhilippeArbel, don 2014).

Atelier d’usine des automobilesDelahaye : photographie de l’album« souvenir du catalogue » dédicacé àCharles Weiffenbach, 1908 (ANMT, fondsDelahaye, acquisition 2014).

«Avec la crise économique née du choc pétrolierde 1974 et le mouvement de désindustrialisationqui s’ensuit, l’importance de protéger le patrimoine industriel sous toutes ses formes se fait prégnante. »

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

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La question de la culture scientifique, technique etindustrielle est ancienne et néanmoins bien vivantedans la majorité des vingt écoles nationales supérieuresd’architecture françaises. Elle est inscrite dans leursmissions statutaires depuis leur création au début desannées 1970. Malgré les changements de tutelle minis-térielle, les écoles d’architecture sont restées très atten-tives à cette question qui, dans le champ disciplinaireparticulier de l’architecture, s’articule finement auxenjeux de l’éducation artistique et culturelle.

À Nancy, profitant d’une culture de médiation déjàlargement installée, notamment parmi le corps ensei-gnant, l’école d’architecture s’est engagée dans unprojet stratégique de développement de ses actionsde CSTI. Aujourd’hui elle mène avec des partenairesvariés différentes actions : ateliers de sensibilisationen milieu scolaire, cordées de la réussite, résidencesd’architectes en collèges, workshops participatifs horsles murs, et enfin la Folle journée de l’architecture(FJA)1, action phare de cette politique dynamique.

Créée en 2009 dans le cadre des 50 ans du minis-tère de la Culture et de la Communication, la Follejournée de l’architecture poursuit un objectif simple :permettre à tout un chacun de « jouer à l’architecte »l’espace d’une journée. Chaque année, au mois d’octobre, dans le cadre de la Fête de la science, lebel édifice qui abrite l’école, œuvre de l’architecteLivio Vacchini, se transforme et propose plus detrente ateliers pédagogiques gratuits à un publiccomposé essentiellement d’enfants et de leursfamilles. Les ateliers sont imaginés en lien avec lathématique annuelle de la Fête de la Science. Ilsproposent, par le jeu et la participation, de solliciterles sens, les sciences et l’imagination de tous. Jeuxde constructions interrogeant la statique ou les maté-riaux, maquettes – parfois en pain d’épices – travail-lant sur les notions d’échelles, parcours en fauteuilsroulants, Fab Labs et espaces numériques immersifs,mais aussi ateliers en lien avec d’autres domainesartistiques (littérature, danse, musique) agissent

1. http://fja.nancy.archi.fr. La JFA estorganisée avec le soutien du ministère de

la Culture et de la Communication.

LORENZO DIEZDirecteur de l’école nationale supérieure

d’architecture de Nancy

La Folle journéede l’architecture Chaque année lors de la Fête de la science, l’école nationale supérieured’architecture de Nancy organise des ateliers ouverts à tous. Jeux, constructions,parcours... initient aux fondements de l’architecture.

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Folle journée de l’architecture 2014.À g.  :  « Habiter la façade » de l’écoled’architecture de Nancy ; sur le parvis,tissage d’une enveloppe et parcoursspatial réalisé en collaboration avecle  lycée Emmanuel-Héré-de-Laxou.À dr.  : construire un habitat avecun matériau-module tubes de carton ;atelier « Habiter ça cartonne » à l’écoled’architecture de Nancy.

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comme une pièce à assembler et un défi à releverpour creuser les fondements de l’architecture.

Si le public, notamment les enfants, sont les prin-cipaux acteurs de cette Folle journée de l’architecture,il est important de souligner le rôle qu’y jouent lesétudiants-architectes et les jeunes diplômés de l’école.En effet, considérant qu’il y a lieu aujourd’hui en archi-tecture d’être autant acteur que médiateur de sonmétier, les étudiants de l’école, qu’ils soient en licenceou en master, participent à la mise en œuvre et à l’ani-mation de la journée. Par ailleurs, le commissariat dela journée est confié chaque année, au travers d’unconcours d’idées, à une équipe de jeunes architectesdiplômés de l’école. Cette année, la 7e Folle journée aeu lieu le 10 octobre et c’est le collectif Cuadrada,constitué de quatre jeunes diplômées, qui en a assuréla mise en œuvre sur la base d’un projet en lien avecl’année internationale de la lumière : « Lumière à tousles étages ». Avec le recul, la Folle journée de l’archi-tecture apparait peu à peu comme un tremplin profes-

sionnel pour les jeunes architectes lauréats. Ainsi, lecollectif Archisanat (FJA 2014) vient de participer auFestival des architectures vives de Montpellier 2015 ;le collectif Studiolada (FJA 2012) est quant à lui lauréatdes AJAP2 2014.

Après sept années, la Folle journée de l’architectureréunit de nombreux acteurs de l’éducation et de l’archi -tec ture de la région parmi lesquels on trouve l’univer-sité, le Conseil régional et la communauté urbaine duGrand Nancy, le rectorat, l’ESPE, le réseau Canopé, laMaison de l’architecture de Lorraine, la Cité de l’archi -tec ture et du patrimoine, plusieurs lycées profes -sionnels, la Fédération française du bâtiment Lorraineainsi que de multiples acteurs économiques. Ces parte-nariats favorisent une pluralité d’approches et permettent de toucher des publics très divers. ■

2. Album des jeunes architecteset paysagistes  :http://ajap.citechaillot.fr/fr

«Il y a lieu aujourd’huien architecture d’être autant acteurque médiateur de son métier »

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

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Parler de culture scientifique c’est déjà en soiévoquer la nécessité d’une médiation sciences-sociétéqui réponde à un contexte et des enjeux bien parti -culiers. Si l’on considère l’enseignement des sciencesaujourd’hui comme un socle commun de culturescienti fique, plusieurs études1 soulignent que lessciences à l’école sont vécues par les élèves comme unfacteur de sélection scolaire puis sociale.

Les acteurs français de la médiation scientifique,des associations aux institutions, s’accordent sur lefait qu’au-delà de la transmission de connaissancesspécifiques, la culture scientifique sert le déve lop -pement et l’émancipation des individus. Le sens del’observation et l’esprit critique, que sous-tend ladémarche scientifique, aident tout un chacun à seforger une opinion personnelle2. Les sciences, à l’égaldes arts et des lettres, contribuent ainsi à la culture età l’émancipation de tous les citoyens.

Or, dans l’histoire récente et face à certains usagesdes avancées scientifiques, citoyens et scientifiques ensont parfois venus à s’opposer radicalement. Mais est-ce la science qui doit être remise en question ou bienson utilisation ? Ce sont plutôt ses applications spéci-fiques qui doivent être débattues pour favoriser undialogue démocratique. C’est en ce sens que, depuis1982, « la diffusion de l’information et de la culturescientifique » fait partie des missions des chercheurs.Cependant, l’accélération de la recherche en sciencesa apporté davantage de spécialisation que d’approfon-dissement du savoir3, alors même que le chercheurest aussi chargé de « (re)mettre la science en culture »4.

L’expérience au cœur des pratiques de médiationL’Arbre des connaissances5 est une association de

chercheurs dévolue à la médiation scientifique qui,depuis 2004, promeut auprès des jeunes le dialogueentre sciences et société en privilégiant l’expérimen-tation. Pleinement conscients de leurs missions demédiateurs, les scientifiques engagés dans l’associationont choisi d’intéresser les adolescents aux sciences parla pratique : en laboratoires avec « Apprentis cher-cheurs »6, et en médiathèques ou en milieu scolaireavec « Jouer à débattre » (cf. p. 74).

Dans les centres de recherche, Apprentis chercheurspermet l’accueil de binômes (un collégien, un lycéen)dans les laboratoires, un mercredi par mois, tout aulong de l’année scolaire. En fin d’année, les jeunes,

médiateurs à leur tour, présentent leurs travaux devantleurs camarades et leurs familles lors de congrès dansles différents centres de recherche qui ouvrent leursportes au public à cette occasion. Accueillir dans leurslaboratoires des jeunes qui sont volontaires, de touthorizon social, quelle que soit leur réussite scolaire,prendre du temps pour expliquer mais surtout fairefaire, c’est pour les chercheurs une façon de partagerle plaisir des sciences, mais aussi l’opportunité d’inscrire leurs recherches dans la vie de la cité.

Pour toucher plus largement les jeunes, l’asso ciationa conçu une action autour de la pratique du débat.« Jouer à débattre » les sensibilise aux multiples impli-cations des choix scientifiques dans leur vie quotidienne.Ces jeux visent à replacer les sciences dans la culture età donner ainsi aux jeunes, futurs citoyens, la légitimitéde s’intéresser aux questions sciences-société.

Le manque de temps pour l’expérimentation enclasse, l’exigence de mémorisation au détriment du sensont été soulignés comme facteurs importants du désin-térêt croissant des jeunes pour les filières scienti fiques7.Menées avec des établissements scolaires, ces deuxactions de l’association aident les jeunes à s’approprierles connaissances et la démarche scientifique. Apprentischercheurs, qui se déroule hors du cadre scolaire, peutredonner du sens aux sciences à l’école, quand Jouer àdébattre offre une autre façon de valoriser la démarchescientifique et de développer l’esprit critique en classe,par le jeu. Ces deux initiatives invitent à un véritableéchange qui vise à modifier le rapport à la culture scienti -fique des jeunes en leur donnant des clés de compréhen-sion du monde et des enjeux sociétaux contemporains.Elles incitent aussi les scientifiques à sortir de leur ultra -spécialisation pour retourner vers l’histoire de leurrecherche, ses enjeux passés et actuels. ■

CAMILLE VOLOVITCHChargée de mission « Jouer à débattre »

L’Arbre des connaissances

Chercheurs et jeunes :expériences citoyennesL’association L’Arbre des connaissances réunit des chercheurs engagés dansla médiation des sciences auprès des jeunes. Ses actions privilégient l’expérienceen laboratoire et la pratique du débat.

1. PISA, Program for InternationalStudent Assessment. Étude qui, tous les

trois ans, fait le point sur les systèmesscolaires des pays de l’OCDE.

2. Voir www.deuxieme-labo.fr/article/evaluer-la-csti-note-

biblio/

3 .Michel Vancassel, « À la découvertede  la culture scientifique » Rennes,

janvier 2006. http://cst.univ-rennes1.fr/digitalAssets/292/292531_CST_

Vancassel.pdf

4. Selon l’expression de Jean-Marc Lévy-Leblond.

5. www.arbre-des-connaissances-apsr.org

6. www.jeudebat.com

7. « L’enseignement scientifiqueaujourd’hui  : une pédagogie renouvelée

pour l’avenir de l’Europe »,Michel Rocard, Rapport de la

Commission européenne, 2007.

« Apprentis chercheurs », lycéenet collégien dans un laboratoire

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Une diversité d’acteurs et d’initiatives

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 61

L’archéologie est une discipline scientifique dontl’objectif est la sauvegarde et l’étude d’une partie dupatrimoine culturel. Elle s’intéresse aux vestiges dupassé, qu’ils soient enfouis ou en élévation et prendautant en compte les objets eux-mêmes que leurcontexte. Elle s’attache à mettre en évidence l’évolu-tion et le fonctionnement des sociétés humaines dansleur environnement naturel, matériel et spirituel.Basée sur une pratique de terrain, l’archéologie neconstitue pas pour autant un ensemble d’opérationsexclu si vement techniques. Au contraire, parce qu’elleassocie l’opérationnel et le conceptuel, elle permetune approche à la fois concrète et raisonnée du passé.

En tant que domaine patrimonial et au même titreque d’autres secteurs du patrimoine culturel, commeles monuments historiques, l’archéologie doit êtregarante à la fois de la conservation des vestiges et dessites pour les générations futures et de leur valorisationauprès des citoyens. Ceci est d’autant plus essentielque l’archéologie bénéficie d’une audience très favo-rable dans la société.

Mais la médiation en archéologie n’est pas unediscipline facile. Parce que l’objet à mettre en scèneest dans la plupart des cas lacunaire et interprétatif,elle nécessite une vulgarisation adaptée. En effet,comment faire admettre que la connaissance d’unvestige est un subtil mélange de ce que l’on en voitencore et de ce que la méthode scientifique a permisde comprendre? Faire appel à l’imaginaire du visiteurest indispensable, alors même que l’archéologie estune science rationnelle, maniant des concepts issusdes sciences dures ou des sciences humaines. Parailleurs, la médiation de l’archéologie porte autantsur les données issues de travaux passés, sur lesrecherches en cours que sur les méthodes spécifiquesà la discipline.

Pour mieux comprendre les difficultés inhérentesà ce domaine, il faut s’intéresser aux différentes situations d’accompagnement des publics vers ledomaine archéologique. Dans les lieux dédiés à laculture scientifique ou historique, il est bien sûrnaturel de bâtir une démarche de médiation en l’appuyant sur des collections (en musée) ou desthématiques (en centre d’interprétation). Il en va demême pour les musées de site ou même pour dessites archéologiques ouverts au public. Il sembleglobalement plus évident d’adosser un discours à un

objet, aussi vaste ou monumental soit-il. Dans tousces cas, la médiation se positionne sur les vestigesvisibles, palpables en quelque sorte. Elle peut êtreensuite complétée par une approche plus sensible,ludique ou scientifique. Ainsi, en fonction de ladémarche de l’institution de médiation et du propreparcours du médiateur, son rôle apparaitra soitcomme celui d’un expert, soit comme un passeur deconnaissances, bénéficiant d’un contact privilégiéavec le domaine scientifique. Cette oscillation sur laplace du médiateur est patente dans la disciplinearchéologique. Si la communauté scientifique s’accorde à reconnaitre l’importance de la démarchede vulgarisation de la recherche, rares sont ceux quisouhaitent ou qui parviennent à la mettre systéma-tiquement en pratique. Le médiateur, qui sait parexemple adapter un discours complexe pour lerendre intelligible à tous, a donc un rôle central.

De plus, la médiation de l’archéologie ne prendpas uniquement place dans des lieux conçus pour cela.À l’occasion d’évènements locaux (portes ouvertes...)ou nationaux (Journées nationales de l’archéologie1),le public peut être invité à découvrir la science archéo-logique hors de lieux classiques. Il est alors nécessairede faire vivre le lieu, notamment en proposant unaménagement physique ou conceptuel qui permet lacompréhension du site. Cela peut aller d’une signalé-tique spécifique lors des visites de chantier à l’inven-tion de nouveaux modèles de valorisation (fêtes théma-tiques, utilisation des réseaux sociaux...). Ces momentsde contacts entre le scientifique et le public, in situ,sont une occasion unique d’expliquer la démarchearchéologique. Sur le terrain, celle-ci ne se fonde quetrès peu sur les « beaux objets », tels ceux qui sontprésentés dans les vitrines des musées. Elle s’appuiesurtout sur des structures à la lecture complexe ouencore sur des traces fugaces dont seule une étudemenée dans un second temps permettra de saisirl’impor tance.

Il apparait aujourd’hui indispensable que lacommunauté scientifique se saisisse de l’a priori positifdont elle jouit pour faire comprendre les enjeux et lescontraintes de l’archéologie. Elle doit encore améliorersa pédagogie pour mieux pénétrer dans toutes lessphères de la société (notamment en milieu scolaire)et parvenir à montrer qu’elle produit du savoir béné-fique pour tous. ■

1. Organisées par l’Institut nationalde  recherches archéologiquespréventives pour le compte du ministèrede la Culture et de la Communication,elles ont lieu chaque année le 3e week-end de juin.

ELENA MAN-ESTIERConservatrice du patrimoine MCC/DG des patrimoines/sous-directionde l’archéologie

La médiationen archéologieLe médiateur, jalon entre l’archéologue et le public, décrit, commente, fait revivreles gestes du passé, explique ceux des scientifiques. Il transmet des savoirs etassure l’apprentissage du respect du patrimoine archéologique.

Journées nationales de l’archéologie2015  : une démonstration sur le sitepréhistorique d’Auneau (Eure-et-Loir).

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62 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

Stéphane Sautour, Fight Club, 2002.Deux chiens Aibo (Sony) peints et programmés.Dimensions variables.Ed. n° 1/3. Collection privée. Courtesy galerie Loevenbruck, Paris.Photo Stéphane Sautour.© ADAGP Paris 2015.

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À la fois champ de recherches scientifiques, d’inno -vations technologiques et industrielles, ensemble desavoir-faire pratiques et empiriques, moteur detransfor mations économiques et sociales, source denouvelles pratiques expressives, artistiques et cultu-relles, ce qu’on appelle « le numérique » recouvre denombreux domaines de nos activités humaines. Substantif à tendance fourretout – « Le numériqueest devenu en quelque sorte un mot ambivalent signifiant à la fois une chose précise et des activitésvariées » constate l’historien Milad Doueihi1 – il sefait aussi adjectif pour qualifier, de la révolution autsunami en passant par la fracture, l’ampleur du chan-gement social qu’il accompagne. Ce faisant, le numé-rique suscite nombre d’espérances, au premier rangdesquelles la découverte de nouveaux gisements d’emploi, ou encore la promesse d’une démocratieréellement citoyenne, dans laquelle chacune et chacunpourrait s’exprimer – et être entendu-e – et contribuerainsi à la bonne marche de la Cité. C’est le côté « face »de la médaille digitale ; côté « pile », certains se méfient,voire se défient, du numérique, de ses technologies etde ses promesses de lendemains qui chantent.

Avec le numérique, nous sommes au cœur desproblématiques éthiques, sociétales, politiques et écono-miques qui accompagnent la diffusion des sciences etdes nouvelles technologies dans la société. Le numé-rique est le terrain par excellence d’observation, dequestionnement, et d’expérimentation des diversesformes d’appropriation des sciences et techniques parla société. Il traverse tous les savoirs, toutes les disci-plines – on parle même « d’humanités numériques »– offre de nouveaux modes d’apprentissage et derecherche, génère de nouvelles opportunités, denouveaux emplois ou de nouvelles formes de créationde valeur ; il n’en questionne pas moins le fonction -nement de notre démocratie en bousculant – voireen reconfigurant – nos droits fondamentaux tels quele droit à l’information, à la liberté d’expression, ouà la vie privée. Comme les sciences du vivant ou de lamatière, les sciences du numérique nécessitent le déve-loppement d’une « recherche et innovation respon -sables » (responsible research and innovation, notiondiffusée sous l’abréviation RRI), pour reprendre

l’expression forgée par la Commission européennedans la définition de la stratégie « sciences dans etpour la société » de son programme Horizon 2020. Lenumérique constitue donc un sujet de choix pour lesacteurs de la culture scientifique, technique et indus-trielle (CSTI). Comment s’en emparent-ils ? Quellesstratégies numériques développent-ils dans leurmission de médiation culturelle des sciences et destechniques ?

D’avril à décembre 2014, j’ai rencontré 162 profes-sionnels issus de diverses structures de CSTI2, danstoute la France. Ils ont bien voulu participer à l’enquête sur leurs pratiques numériques dans lechamp de la CSTI ainsi qu’à des tables rondes orga -nisées dans cinq régions françaises pour explorercollectivement ces pratiques et faire émerger desrecommandations. Ces dernières ont fait l’objet d’unrapport de mission, commandité par GenevièveFioraso, secrétaire d’État à l’Enseignement supérieuret à la Recherche jusqu’en février 20153. Cette enquêtede terrain montre d’un côté des médiateurs fortementconscients de l’intérêt, voire de la nécessité pourcertains, de s’emparer de la thématique « numérique »,tant dans ses technologies, ses outils, que dans lesenjeux qu’elle soulève. Ceci se traduit, par exemple,par l’intégration en CDI des personnels en chargedes communications numériques pour plus de 70 %des structures interrogées, ou bien par le nombreélevé de ces mêmes structures qui ont déjà ou sonten train de réaliser un projet de médiation exploitantdes technologies ou outils numériques (83 %). D’unautre côté, ils sont 68 % à mener une réflexion surleur stratégie numérique tout en estimant, à une trèslarge majorité de l’ensemble des répondants (88 %)ne pas maitriser totalement les enjeux. Lorsqu’on leurdemande de classer les thèmes prioritaires à leursyeux (des réseaux sociaux à la data visualisation enpassant par la fabrication numérique ou encore l’ou-verture et le libre partage des données), tous lesthèmes arrivent quasiment à égalité – on observe justeune légère avance pour les thématiques associées auxdonnées. Ainsi, une des premières demandes collec-tives des professionnels de la CSTI concerne la forma-

1. M. Doueihi, Qu’est-ce que lenumérique ? Paris, PUF, 2013.

2. Services médiation ou communicationdes universités et centres de recherche,enseignants du primaire et dusecondaire, enseignants-chercheurs,associations d’éducation populaire,musées et muséums d’histoire naturelle,centres de science (CCSTI) etcollectivités territoriales.

3. Ce rapport, non publié pour l’instant,est à l’étude dans les servicesde Thierry Mandon, secrétaire d’Étatà  l’Enseignement supérieur et laRecherche depuis juin 2015.

LAURENT CHICOINEAU

Directeur de La Casemate, CCSTI de Grenoble

La CSTI à l’heure du numérique

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 63

Numérique et « crise de la médiation »Comment les acteurs de la CSTI s’emparent-ils du numérique ? Quelles stratégiesnumériques développent-ils dans leur mission de médiation culturelle dessciences et des techniques ? Laurent Chicoineau a mené une enquête sur lespratiques numériques dans les centres de CSTI, et proposé un ensemble derecommandations.

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La CSTI à l’heure du numérique

4. Intervention de M. Gauchetle 22  février 2007 au colloque public

« L’avenir du livre » organisé par le Centre national du livre.Texte disponible en ligne  :

http://gauchet.blogspot.fr/2007/04/les-crises-de-la-mdiation.html

5. M. Doueihi, op. cit.

64 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

tion au numérique dans sa dimension communica-tionnelle et culturelle ; au-delà d’une simple maitrisedes outils tels que Twitter ou Facebook par exemple,qu’est-ce que leur mise en œuvre dans un cadre departage des cultures scientifique, technique et indus-trielle change ? Comment articuler médiationhumaine et médiation numérique ? Les acteurs de laformation professionnelle, comme l’OCIM oul’AMCSTI, sont déjà mobilisés sur ces enjeux – resteà les démultiplier sur l’ensemble du territoire nationalet interagir avec d’autres communautés de médiateursculturels qui font face aux mêmes questionnementset expérimentations (comme le milieu des biblio-thèques médiathèques par exemple).

Car le numérique bouscule les médiateurs. Pourreprendre les termes du philosophe Marcel Gauchetà propos d’Internet, le numérique renforce la « crisede la médiation » parce que, selon lui, « Internet estle média absolu, la médiation qui supprime toutesles autres médiations, qui les rend inutiles4 ». Ledomaine de la CSTI n’échappe pas à la désintermé-diation qui touche de nombreux domaines dont lejournalisme, l’édition ou l’éducation. Désormais, leschercheurs peuvent s’adresser directement et massi-vement au public à travers blogs et réseaux sociaux,sans passer par un média professionnel ni par uneinsti tution culturelle. Souvent animés par de jeunes chercheurs, doctorants et post-doc, les blogs scienti-fiques se sont démultipliés sur le web depuis unedizaine d’années, tout comme les chaines YouTubethématiques, ou les comptes Twitter éditorialisés parde jeunes scientifiques (dont certains sont encoreétudiants). Se développe ainsi toute une sphère demédiation des sciences en société sans véritable inter-action avec les institutions et réseaux traditionnelsde CSTI. D’un côté, ces jeunes scientifiques commu-nicants qui renouent, d’une certaine manière, avecles pratiques classiques de la vulgarisation, sontconfrontés à la pérennisation de leur activité, carnombre d’entre eux souhaitent franchir le pas de larecherche à la communication scientifique ; d’un autrecôté, les institutions de médiation culturelle dessciences cherchent à s’inspirer et s’approprier denouvelles manières de faire qui rencontrent un publicnombreux en ligne, tout particulièrement les 15-

25 ans, si difficiles à mobiliser à travers expositions,conférences-débats et ateliers pédagogiques.

Réciproquement pourrait-on dire, ce mouvements’accompagne de plus de participation citoyenne àcertaines recherches scientifiques. Là encore, parconnexion directe sur le web, des chercheurs peuventcompter sur la mobilisation d’un grand nombre decitoyens à travers des programmes de science partici-pative. Souvent gamifiés (c’est-à-dire mis en scèneselon les règles du jeu vidéo), ces programmes visentà mobiliser des individus amateurs, souvent passion-nés, pour réaliser des tâches de dénombrement, repé-rage, observation à partir d’images scientifiques(Galaxy Zoo, par exemple) ou in situ (Vigie Nature,initié par le Muséum national d’histoire naturelle).

Enfin, la transition numérique dans la médiationscientifique suscite l’émergence de nouveaux espacesde rencontre et de pratique. Il s’agit des Fab Labs, desHackerspaces, ou encore des Living Labs, à l’intérieurou hors des institutions de CSTI, portés par le mouve-ment des Makers en pleine expansion ces dernièresannées. Ces nouveaux espaces, qu’on peut qualifierde tiers-lieux de la CSTI, ne proposent ni visite d’expo -sition ni activités pédagogiques ; ils offrent l’appro-priation par le faire, seul (Do-it-yourself) ou collecti-vement (Do-it-with-others), la démarche projet, lacollaboration entre pairs.

Cette enquête de terrain a montré que les acteurscommencent à s’approprier l’idée qu’au-delà desoutils, le numérique change la relation aux savoirs.Partout en France, des expérimentations sont menées,sans hélas beaucoup de mutualisation ni transfert ouvalorisation d’un acteur à l’autre. Partager les culturesscientifique, technique et industrielle à l’ère numé-rique ne se résume évidemment pas à l’apprentissagedu code informatique par les médiateurs maissuppose de s’en approprier les usages et les enjeux.Ceci implique une réflexion sur la médiation scienti-fique en tant que telle qui nécessite à la fois d’accom-pagner les acteurs historiques au changement et d’élargir le champ à de nouveaux acteurs et pratiques.« Il ne suffit plus de savoir lire et de savoir écrire, ilnous faut maintenant d’autres savoirs et d’autres péda-gogies. Des savoirs issus du numérique, de ses critèresémergents et de ses repères propres5. » ■

«Désormais, les chercheurspeuvent s’adresser directement etmassivement au public à traversblogs et réseaux sociaux. »

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Vu l’engouement que suscitent les innovationstechno lo giques, notamment chez les digital natives, leconsortium Inmédiats aurait pu se contenter de mettreau point quelques dispositifs spectaculaires et inviterle public à les manipuler. La démarche engagée parles équipes des six centres de science partenaires d’Inmédiats1 est tout autre. Elle consiste à déployer lenumérique non comme une fin mais comme un outilaidant à changer de logique dans la diffusion desconnaissances scientifiques et techniques, à adopterune approche moins didactique, moins « scolaire ».Dans un centre Inmédiats, le chercheur – ou le média-teur – n’est plus « celui qui sait » et l’usager « celui quiapprend » : chacun apprend de l’autre et devient co-constructeur d’un tiers savoir.

Cette approche oblige à repenser l’architecture descentres, la démarche de médiation et la feuille de routeconfiée aux équipes. Une véritable révolution. Mais lejeu en vaut la chandelle : de temples de la culture scienti -fique, les centres Inmédiats se réin ventent, devenantincubateurs au service de l’innovation, lieux trans -versaux, à la fois réels et virtuels, où se rencontrent visi-teurs, étudiants, chercheurs, professeurs d’université,concepteurs, créateurs, entre preneurs, internautes…De fait, dans ces centres « nouvelle génération », lesavoir n’est plus seulement diffusé, il est discuté, scéna-risé, connecté, mis en réseau, mis en perspective parune multitude de contributeurs. Les propositions sontélaborées de façon à prendre en compte les potentialitésde chacun. Concrètement, il s’agit de créer les condi-tions pour que le visiteur éprouve du plaisir à échangertout en intégrant des connaissances de façon à ne pasrester extérieur à l’œuvre scientifique.

Instaurer une nouvelle relation avec le publicAu quotidien, cette nouvelle donne implique une

nouvelle relation au public. Avec un corolaire de taille :le visiteur n’entre plus dans un centre de science pourvisiter une exposition ou assister à un évènement ; il

vient vivre une expérience immersive. Mais il doitaussi pouvoir l’anticiper et la prolonger – chez lui ouen mobilité. Chaque évènement peut ainsi être préparé,scénarisé, « ludifié »2 grâce à une palette de formats,d’outils et de dispositifs numériques qui, de la puceRFID au simulateur, en passant par les jeux sérieux(sérious games), les mondes virtuels ou les réseauxsociaux, doivent permettre au public de s’approprierles contenus scientifiques les plus pointus. Une expo-sition sur le cerveau, les dinosaures, l’archéologie oules déplacements du futur le met désormais en situation d’expérimenter, d’interagir, de réfléchir, voirede participer à un projet plus large (workshop créatif,hackhaton, évènement artistique…) ou de s’impliquerdans une démarche de recherche et développementdans le cadre d’un Living Lab. De même, s’il faut luiparler robotique ou connectique, point de vitrine oude panneaux explicatifs : le visiteur est invité à franchirles portes d’un Fab Lab dans lequel il apprendra àmonter un module Arduino ou à fabriquer son proprerobot à l’aide de machines à commande numérique.Incidemment, tout est mis en œuvre pour susciterchez lui l’envie de rejoindre une communauté colla-borative, de type CYou1 à Bordeaux ou Echosciencesà Grenoble, afin de tisser avec ses membres une relation significative et durable.

Recherche et innovation responsables, unnouveau positionnement pour les centres?Une telle démarche ne peut fonctionner en vase

clos. Profondément ancrés dans leur territoire, lescentres Inmédiats développent de nombreux réseauxqui les inscrivent dans un écosystème culturel, social,économique et touristique, riche de multi-partena-riats. Cette implication leur permet non seulementde disséminer leurs outils de médiation culturelle etd’accompagner les porteurs de projet dans l’éla bo -ration et l’aboutissement d’une idée qui fera peut-être l’innovation de demain, mais aussi de se posi -

1. Le consortium Inmédiats associe CapSciences (Bordeaux, Aquitaine), Espacedes Sciences (Rennes, Bretagne), LaCasemate (Grenoble Agglomération),Relais d’sciences (Caen, Basse-Normandie), Science Animation(Toulouse, Midi-Pyrénées) etUniverscience (Paris, Île-de-France).

2. La « gamification » ou « ludification »consiste à transposer les mécaniquesdu  jeu vidéo dans un autre domaine pourimpliquer l’utilisateur/joueur à des finspédagogiques, informatives,communicationnelles, de marketing,idéologiques ou d’entrainement.

La CSTI à l’heure du numérique

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 65

THOMAS AMOUROUS

Coordinateur général du programmeInmédiats

Centres de sciencenouvelle génération :metteurs en scène des savoirs et de la relation au public

Lancé et soutenu par les Investissements d’avenir depuis 2012, le programmeInmédiats est le fruit d’une coopération entre six centres de science fédérés parune ambition commune : rendre la recherche et l’innovation accessibles au plusgrand nombre grâce à de nouveaux outils numériques. Ce qui implique unchangement de logique dans la diffusion des connaissances et la relation au public.

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tionner en tant qu’acteur-clé dans un chantier ouvertpar la Commission européenne : la recherche et l’inno -vation responsables (RRI). La nouveauté de la RRIréside dans la notion de responsabilité comprise désor-mais comme partagée entre tous : scientifiques,acteurs de la vie économique, membres de la commu-nauté pédagogique, responsables politiques et citoyens.Désormais aussi importante que la durabilité enmatière de développement, la RRI est un concept fédé-rateur englobant des théories concernant la bonnegouvernance, l’engagement public, ainsi que le libre

accès et la transparence. De ce point de vue, les centresInmédiats disposent d’un véritable atout. Forts deleur expertise en matière de méthodologie de la parti-cipation et de la mobilisation des communautés, fortsde leur aptitude à reformuler, scénariser et adapterdes contenus en fonction des publics, ils sont en capa-cité d’accompagner les acteurs de la RRI dans la réali-sation de leurs objectifs... Présentée à l’AMCSTI enjuin 2015, la RRI pourrait bien représenter l’axe decollaboration future des centres de sciences avec leschercheurs et les entreprises. ■

1. www.relais-sciences.org/mri

2. Ou modèle Knowledge-Social-Business (R. Santoro, A. Bifulco -

PRO-VE- 2005).

La CSTI à l’heure du numérique

66 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

BRUNO DOSSEUR Directeur de Relais d’sciences

et de la MRI

La Maison de la rechercheet de l’imagination à CaenLa MRI a ouvert ses portes à Caen en septembre 2015. Ce centre de sciences se veutun tiers-lieu pour la recherche et l’innovation ouverte. Il est né du programmeInmediats qui s’est donné pour ambition de repenser la médiation scientifique ettechnique à l’heure du numérique.

Relais d’sciences, centre de culture scientifique, technique et industrielle de Basse-Normandie, dispo-sait de plusieurs avantages au début du programme Inmediats (cf. p. 65). Il n’était pas installé dans un lieupermanent ouvert aux publics et pouvait donc propo-ser une démarche entièrement nouvelle. Il travaillaitdepuis des années hors les murs avec des formatsd’inter vention essentiellement de type ateliers, et avecun réseau de partenaires très diversifié. Son publicétait peu captif et plutôt composé d’adultes.

Le programme Inmediats a donc été, pour l’équipede Relais d’sciences, la suite logique d’une démarcheengagée depuis plusieurs années pour renouveler larelation avec les publics et le territoire, en s’inspirantdes expériences menées par et avec les cinq autresCCSTI associés à Inmediats. Premier bâtiment se reven-diquant intégralement de la démarche d’Inmediats,la Maison de la recherche et de l’imagination (MRI),érigée au centre de Caen, a ouvert en septembredernier1.

En matière d’innovation, la MRI est fondée surquatre piliers qui ont déterminé sa réalisation, de sonarchitecture à son modèle économique : la cocons-truction de la gouvernance et de la programmation,la participation récurrente et active des jeunes adultes,un lien permanent avec les industries créatives etnumériques, un bâtiment agile voire intelligent.

À propos de coconstructionLa MRI s’inspire des modèles d’organisations

fondés sur l’intelligence collective et l’innovationouverte. Avant de les proposer comme démarche cultu-relle aux publics, elle tente de les appliquer elle-mêmedans sa gouvernance programmatique. Ainsi, aux décla-rations d’intention énoncées au début du projet succèdent aujourd’hui des méthodes collectives dedécision au sein même du bâtiment. Une résidencede projets de 600 m2 regroupe une vingtaine de struc-tures partenaires tentées par l’aventure. Au travers deséances de travail ouvertes (That camp), denombreuses questions de fonctionnement interne etde décisions programmatiques sont résolues collégia-lement, la décision sur ces points ayant été déléguéepar la direction de la MRI. De même, les opérationsdestinées aux publics seront progressivement sélec-tionnées par le modèle de création de valeur CSA(Connaissance, Social, Affaires2) utilisé par le groupeLiving Lab d’Inmediats. Ce modèle CSA est un outild’aide à la décision dans le choix des projets dévelop-pés à la MRI : il postule que la création de valeur peutêtre constituée par des apports en chiffre d’affaires (A)mais également par un partage de connaissances (C)ou la mise en place de relations sociales fortes (S). Unbon projet pour la MRI est un projet composé de cestrois dimensions.

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Des publics coproducteursÀ l’image des dynamiques de Living Lab et de Fab

Lab, fers de lance de sa programmation, la parti ci -pation active dans les projets de la MRI est un objectifculturel premier. La MRI a fait des jeunes adultes sonpublic prioritaire en travaillant l’accessibilité du lieu(pas de billetterie) et la convivialité (possibilité des’installer durablement dans le lieu, présence d’un bar,opérations festives, intégration des cultures pop etnumériques…), afin d’encourager une participationrécurrente de ces publics. La présence concomitantede professionnels de la recherche et de l’innovationest systématiquement recherchée pour favoriser lesprojets communs entre professionnels et particuliers.Ces publics sont invités à contribuer à la vie du lieuen laissant une trace de leurs projets, de leurs avis, deleurs envies...

Un lieu d’innovation ouverteToutes les réalisations collectives de la MRI sont

disséminées en open source (sources ouvertes) pourfaciliter une réappropriation permanente et exogène.Mais la MRI souhaite aller plus loin en s’impliquantdans les démarches de recherche et d’innovationresponsables (RRI)3 prônées par l’Union européenne,axe de travail majeur des années à venir avec la commu-nauté universitaire et les entreprises technologiques.

La désignation de la MRI comme bâtiment totem dela French Tech Normandy à Caen est un signal fortpour inviter à y inventer, avec la population, les usagesnumériques et les innovations de demain.

Un bâtiment agileL’architecture du lieu est très originale pour un

centre de science. On n’y trouve ni salle d’exposition,ni salle de conférence, mais trois duplex modulaires,un toit terrasse et un parvis construits pour les work -shops, les rencontres en groupes créatifs, l’Internetdes objets… La prise en compte d’un modèle de fonc-tionnement peu coûteux a conduit à dessiner desespaces sobres dans l’aspect mais très techniques dansles fonctionnalités. Le bâtiment peu ainsi devenir lui-même un lieu d’expérimentation.

Créer la MRI est devenu un projet de médiationen soi. L’objet est, in fine, insolite dans son architecture,sa classification, sa programmation, son économie. Ilconstitue un tiers-lieu qui place l’innovation et l’ima-gination au cœur de sa proposition culturelle et de sarelation au territoire. ■

La CSTI à l’heure du numérique

3. Responsible Research and Innovation(RRI)  : cette notion implique l’intégrationet l’engagement des acteurs sociétauxdans les processus de recherche et dedéveloppement, grâce notamment à desapproches participatives et inclusives.

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Un hackathon à la MRI, parrainé parCesar Harada, avec des élèves de l’ESIXNormandie (école d’ingénieurs del’université Caen Normandie).

La Maison de la recherche et del’imagination (MRI) à Caen.

«Les opérations destinées auxpublics seront progressivementsélectionnées par le modèle decréation de valeur CSA (Connaissance,Social, Affaires) utilisé par le groupeLiving Lab d’Inmediats. »

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Association d’éducation populairefondée en 1962, Planète Sciences apour objectifs de favoriserl’intérêt, la découverte etla pratique des sciences et des techniques chez les jeunes de8 à 25 ans, et d’aider lesenseignants, les animateurs,les éducateurs, les chercheurs etles parents dans leurs activitésavec les jeunes. L’associationpropose aux jeunes de participerà un projet éducatif global, avecune approche ludique favorisantla pratique expérimentale dessciences et des techniques dansdifférents domaines : environ -nement, astronomie, robotique etespace.Les activités de Planète Sciencess’inscrivent dans des actionsportées par des collectivitésterritoriales, par l’Éducationnationale, par différents

ministères, par des organismes derecherche, des entreprises et desfondations. Organisée en réseau,l’association comprendneuf délégations régionales,soixante-dix salariés, et s’appuiesur la participation de millebénévoles. Chaque année, environcent mille jeunes participent auxactivités qu’elle organise.

Depuis sa création, PlanèteSciences propose aux jeunesd’acquérir et de mettre en œuvre,entre autres, des compétencesen mécanique, en électronique,en informatique… Il était doncnaturel qu’elle s’intéresse auxnouvelles technologiesnumériques.

L’impression 3D et le Fab LabAprès l’avoir adoptée en internepour ses besoins matériels,l’association a décidé de proposeraux 12-25 ans des activités autourde l’impression 3D. Au-delà del’inévitable effet de mode et del’aspect spectaculaire, cettetechnique offre de réellesopportunités en termes éducatifset pédagogiques, et s’accorde avecle projet éducatif de l’associationbasé sur la démarcheexpérimentale. Elle permetnotamment de s’approprierles notions de « 3D », de repéragedans l’espace, de passage de la 2Dà la 3D, et d’apprendre à utiliserdes logiciels de CAO (conceptionassistée par ordinateur)… pourcréer et imprimer des pièces detoutes sortes. Ce qui est misen avant n’est donc pas la finalité(imprimer un objet), maisla démarche et l’acquisition denotions et de savoir-faire.Au cours de l’année scolaire 2014-2015, grâce au soutien financierdu conseil départemental de l’Essonne, des ateliers pilotes ontété animés avec quatre classes ducollège Albert Camus, enpartenariat avec les professeurs detechnologie et en concordanceavec les programmes scolaires.En quatre séances, les élèves ont

acquis les fondamentauxthéoriques et pratiques del’impression 3D. Fort de ce succès,Planète Sciences entenddévelopper à plus grande échellece dispositif.L’association travaille en effetdepuis 2013 à l’ouver ture d’unFab Lab à Ris-Orangis (Essonne).Apparus aux États-Unis il y a unedizaine d’années, les Fab Labs(fabrication laboratory)promeuvent la conception et lafabrication d’objets personnalisésdans des espaces collaboratifset ouverts au public, en mettantà disposition un ensemble demachines numériques :imprimantes 3D, découpeuseslaser, machine-outil à commandenumérique (CNC). Le processusde création numérique à l’œuvredans les Fab Labs relève donc dela vulgarisation scientifique ettechnique, en permettant au plusgrand nombre de fabriqueret produire avec des techniques etdes équipements venus du mondeindustriel et de la recherche. Avec le soutien des ministères dela Culture, de la Recherche,de la Jeunesse et celui du conseilrégional d’Ile-de-France, PlanèteSciences a pu s’équiper enmachines et financer du tempssalarié sur ce projet. Son Fab Labouvre en novembre 2015, au seinde son Espace des sciences à Ris-Orangis, avec le soutien dela municipalité. Ce nouveau lieuaura pour vocation d’accueillirdes scolaires, des jeunes de centresde loisirs mais aussi le grandpublic intéressé par les nouvellestechnologies. Il entend devenirrapidement une référence dansce domaine sur le territoire sud-francilien, au sein de l’actuellecommunauté d’agglomérationd’Évry-Centre Essonne puis,à terme, de l’ensemble des vingt-quatre communes constitutivesde la future agglomération. ■

www.planete-sciences.org

Conception assistée par ordinateur aucollège Albert Camus de Ris-Orangis.

Animation autour de l’impression 3Dau  festival Futur en Seine.

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SOPHIE GUIRAUDON Directrice de Planète Sciences

PLANÈTE SCIENCES ET LES ACTIVITÉS NUMÉRIQUES

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La CSTI à l’heure du numérique

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 69

ANTONY AUFFRET Attaché de directionLes petits débrouillards Grand Ouest

Atelier numérique devant un camiondu « Science Tour » à Dieppe.

1. www.lestaxinomes.org

2. www.wikidebrouillard.org

Depuis 20 ans, l’humanité déploieInternet sur toute la planète.Les débits augmentent, de mêmeque les capacités de stockage et detraitement de l’information. Avecl’avènement du Web 2, chacunpeut être producteur de contenu,et si nous ne sommes pas tous rédacteurs de blog ou contributeurs de Wikipédia, la plupart desutilisateurs de l’Internet y laissedes traces sous forme de photos,de commentaires, etc.

Qu’est-ce qui attire le regardde l’éducation populaire dansle numérique ?Les changements sont énormes.La technologie et ses usages sontqualifiés de « disruptifs » et denouveaux « objets » apparaissent : – innovation sociale : Wikipédia,Open Street Map…;– nouvelles formes de sociabilité :communautés d’intérêts, réseauxsociaux;– traitement humain etautomatisé de l’information,y compris de l’informationmassive : big data, datavisualisation;– innovation économique :économie du partage, monnaiescomplémentaires, monétique,désintermédiation (la fameuse« uberisation ») ;– innovation culturelle : remix,« mêmes », partage, créationnumérique, réactivation des bienscommuns de la connaissance ;– sciences participatives : depuisla mutualisation de ressourcesjusqu’à la participation actived’individus réalisant desinventaires ou résolvant desproblèmes complexes ;– innovation juridique : licenceset logiciels libres, sources ouvertes(open source) ;– lieux de fabrication connectés :Fab Labs, recycleries, etc.

Le numérique est un« pharmacon » : à la fois remèdeet poison, il est puissant etprovoque des transfor mationsréelles. Il est également porteur de

techno-imaginaires, du techno-messianisme autechno-catastrophisme.Il convient, pour se forger uneopinion éclairée, d’aller y faire untour, une incursion par lessciences, un science tour ! Lessciences s’acquièrent par lapratique, et pour en favoriserl’appropriation sociale, il fautmultiplier les lieux de pratique.Afin de pallier le manque de lieux,Les petits débrouillards GrandOuest se sont inspirés desbibliobus et ont conçu le « ScienceTour » : douze camions équipésen matériel de médiationscientifique, connectés à Internetet animés par des médiateursscientifiques rompus auxpédagogies actives des sciences etdu numérique. À la croisée dulaboratoire de science et del’atelier de fabrication, cescamions vont à la rencontre despublics les plus éloignés, dans lescampagnes ou les quartierspopulaires. L’objectif est detoucher ceux qui ne fréquententpas les établissements culturels ouéducatifs, de s’adresser aux« fracturés » numériques, qu’ils’agisse de fractures d’âge,d’équipement, de pratiquesculturelles ou d’isolement social.

De la médiation scientifiquenumériquement enrichieà la médiation numériqueLe numérique change tout et nechange rien : un livre numériquese lit comme un livre, les réseauxsociaux numériques sont desréseaux sociaux, le harcèlementdes cours d’école se retrouve surFacebook, et quand on veutconnaitre quelque chose, onouvre une encyclopédie. Lessociologues ont montré que lespratiques culturelles serenforcent : de la téléréalité àl’Internet de la téléréalité, dumusée à l’Internet du musée.Ainsi, c’est presquenaturellement que les pratiquesde médiation scientifique se sonttrouvées « numériquement

enrichies » et que l’on passeaujourd’hui de l’utilisationd’outils existants à la création d’outils adaptés. Par exemple LesTaxinomes1 est un site webpermettant de participer àl’inventaire de la biodiversité, enuti lisant des tablettes ou dessmartphones, mais aussi desmicroscopes USB, des filets àpapillons et des livresd’identification des espèces.Citons aussi Wiki débrouillard2,une encyclopédie participativede science amusante, sorte deWikipédia d’expériences à faireà la maison ou en animation.Les petits débrouillardsproposent éga lement d’autressites web, un sac à dosnumérique, des mallespédagogiques (cf. encadrép. 70)...Nous avons parallèlementdéveloppé la médiationnumérique en nouant despartenariats avec l’INRIA,

MÉDIATION SCIENTIFIQUE, TECHNIQUE

ET NUMÉRIQUE CONTEMPORAINE

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Télécom Bretagne, desassociations, des Fab Labs,afin de partager des savoirsdans différents domaines : – éducation au codeinformatique ; – fabrication numérique(découpe vinyle, découpe laser,impression 3D, scan d’objet etconception par ordinateur etc.) ; – électronique programmable ;

– enrichissement de projetscollaboratifs : Open Street Map,Wikidébrouillard, etc. ; – Web TV, radio numérique ; – et bien sûr les classiques de laculture informatique : réseaux,protocoles, code HTML, binaire. L’enjeux éducatif n’est pas latechnologie seule, mais ce qu’onen fait. Les rapports du Conseilnational du numérique3

le rappellent : il est impossible demaitriser toutes les technologieset tous les usages du numérique,et de ce fait nous sommes touscondamnés à « l’illec tro nisme ».Dans cette ère de l’apprentissagenécessaire tout au long de la vie,l’avènement de l’Internet desobjets et du corps connecté ouvre des perspectives de questionnement et de positionnement citoyen. ■

La CSTI à l’heure du numérique

70 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

3. Rapport sur l’inclusion numérique :www.cnnumerique.fr/inclusion,

et  rapport Jules Ferry 3.0, Bâtir une école créative et juste dans

un monde numérique  :www.cnnumerique.fr/education-2

1. www.cirasti.org

2. www.exponum.com

BABO BABAKWANZA

Chef de projet numérique CIRASTI

[email protected]

Sites web● lestaxinomes.org (participer à l’inventaire de labiodiversité),● wikidebrouillard.org (encyclopédie participativede science amusante),● lesciencetour.fr (des projets de science partagés),● lesexplorateurs.org (Wiki, photo mystère, portraitde chercheur),● coteacote.org (le littoral en questions),● trektic.org (des balades multimédias),● lesexpertsduquotidien.org (valorisation desexpertises de chacun, professionnelle mais aussiassociatives, personnelles, etc.),

● labonneexperience.org (partage et ressourcespour les étudiants engagés dans la réussiteéducative et l’accompagnement scolaire). ● Et beaucoup de blogs créés selon les besoinspédagogiques.

Sac à dos numériques● Sac à dos web TV (éducation à l’image) : un guidepédagogique, des tablettes, des micros et unordinateur pour faire de la télé.● Sac à dos Taxinomes (découvrir la biodiversitéet la classification du vivant)  : un guide pédagogique,un ordinateur, des appareils photos, un livred’identification des espèces, des loupes, des

aspirateurs à insecte, un filet à insecte, un parapluiejaponais, des bouteilles à herboriser.

Malles pédagogiques● Ordi éclaté (comprendre le fonctionnement del’ordinateur) : un guide pédagogique, les différentscomposants d’un PC à assembler (carte mère, carteson, clavier, écran, souris).● Mallette TIC (apprendre à coder) : un guidepédagogique, des robots thymio, des kits raspberrypi (nano-ordinateur à monter), des kits Arduino(électronique programmable), un pico-projecteur,une webcam, un routeur wifi.

Les petits débrouillards et la médiation numérique

Les exposciences rassemblentchaque année, en France et dansle monde, des milliers de jeunespassionnés et motivés quis’engagent dans la mise en œuvred’un projet afin de chercher àcomprendre le monde qui lesentoure et à se questionner surla place des sciences dans la viequotidienne. Elles occupent uneplace originale dans le monde de la culture scientifique et technique et sont à l’intersection entrel’éducation guidée et autonome.Le CIRASTI1, mouvementfrançais des exposciences, proposeaujourd’hui la plateformecollaborative Exposciencenumérique, dite « ExpoNum »2.ExpoNum est une plateforme2D/3D axée sur l’innovationpédagogique et la culture libre. Elle permet aux jeunes de créer des projets scientifiques et techniquesdans une logique collaborative etde promouvoir leurs réalisationsauprès d’un public large.

Elle comprend deux modulesprincipaux : la « fabrique deprojets » et le « kiosque à projets ».La « fabrique de projets » permetaux jeunes de développer leursprojets et d’expliquer leursdémarches scientifiques à traversun cahier d’expériencescollaboratif et interactif. Cesjeunes pourront également êtreaccompagnés et tutorés par deschercheurs, des enseignants etdes médiateurs scientifiques.La fabrique de projets est aussiune base de ressourcesdocumentaires, alimentée pardes contributeurs membres dela communauté des exposciences.Le « kiosque à projets » est uneapplication web3D temps réelproposant une expérience vidéo-ludique immersive et intuitive,permettant la valorisation etla diffusion des projets dansdes stands virtuels créés etaménagés par les jeunes en totaleautonomie.

À terme, le kiosque à projetsregroupera également toutes lesexposciences. Il permettra auxcollectifs organisateurs de toucherles publics les plus éloignés de laculture scientifique et technique,de prolonger la mémoire desexposciences, mais aussi etsurtout de participer à la diffusionmassive de contenus multimédiasde culture scientifique, techniqueet industrielle.À côté de la plateforme numérique, le CIRASTI développe une réellecommunauté de partage portéepar des acteurs du monde del’éducation en France et àl’international (Canada, États-Unis, Algérie, Tunisie, Républiquetchèque, Slovaquie, Brésil, Italie,Belgique). ■

EXPONUM,

UNE PLATEFORME COLLABORATIVE D’EXPOSCIENCE

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La CSTI à l’heure du numérique

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Stéphane Sautour, Gunnm, 2004.Graphite sur papier.8 x 11 cm.Collection privée. Courtesy galerie Loevenbruck, Paris.Photo Fabrice Gousset.© ADAGP Paris 2015.

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Camille Henrot, Grosse Fatigue, 2013.Vidéo (couleur, sonore), 13 min.Musique originale de Joakim.Voix  : Akwetey Orraca-Tetteh.Texte écrit en collaboration avec Jacob Bromberg.Producteur : kamel mennour, Paris ; avec le soutien du Fonds de dotationFamille Moulin, Paris.Production : Silex Films.

Lion d’argent - 55e Biennale de Venise 2013.

Projet développé dans le cadre du Smithsonian Artist Research Fellowship Program,

Washington, D.C.

Remerciements particuliers aux Smithsonian Archives of American Art, au Smithsonian

National Museum of Natural History, et au Smithsonian National Air and Space Museum.

Courtesy de l’artiste, Silex Films and kamel mennour, Paris.

© Camille Henrot.

© ADAGP Paris 2015.

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CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 73

Le livre, les bibliothèques et les sciences

La question de la médiation des collections estprimordiale pour la Bibliothèque nationale de France,dont une des missions fondamentales, inscrites dansson décret fondateur, consiste à « assurer l’accès duplus grand nombre aux collections » qu’elle détient.Cette mission s’exerce notamment à travers la numé-risation des fonds patrimoniaux et leur mise en lignesur Internet dans la bibliothèque numérique Gallica,riche aujourd’hui de 3,5 millions de documents dontprès de 400000 livres consultables librement ;18 % deces livres se rapportent aux sciences fondamentales etappliquées, médecine incluse. Par ailleurs, des actionsde partage des connaissances ayant trait à la culturescientifique, technique et industrielle permettent d’accueillir le public le plus large autour de rencontres,conférences et évènements.

Documents patrimoniaux et médiation numériqueSi les documents patrimoniaux sous forme origi-

nale ne sont consultables que dans les salles de lecturede la bibliothèque de recherche, la salle C de la biblio-thèque du Haut-de-jardin, ouverte à tout public àpartir de 16 ans, offre en accès libre un fonds d’ouvrages d’étude et de vulgarisation dans toutes lesdisciplines scientifiques. Des ouvrages patrimoniauxy sont régulièrement exposés et des bibliographiescouvrant divers domaines scientifiques et techniquessont diffusées. En outre, un centre de ressources surle développement durable propose dans la même salleprès de 2 500 ouvrages portant sur de nombreusesthématiques (biodiversité, énergie, environnement,économie verte, modes de vie…) ainsi que des docu-ments audiovisuels. En complément, le portail Déve-loppement durable1 présente une sélection deressources disponibles sur le Web.

Afin de donner des repères à l’internaute quinavigue dans Gallica, un travail d’éditorialisation descontenus de la bibliothèque numérique a été entrepris.Des corpus structurés de documents sont virtuel -lement créés sur des thématiques choisies, ainsi dans

le domaine de la CSTI : « Les essentiels des sciencesnaturelles »2, « Se soigner par les eaux », « Les jardins »,« La presse scientifique et médicale »… Prochainementsera mise en ligne une valorisation autour du chevalet du patrimoine équestre (élevage, zoologie et étho-logie du cheval, médecine vétérinaire, équitation…).L’animation de « rencontres Gallica » autour de cesthèmes, ou d’autres, participe de la même démarchepédagogique. Par ailleurs, les billets de blogs (blogGallica, blog lecteurs) ainsi que la présence de la BnFsur les réseaux sociaux favorisent aussi la médiationautour de questions techniques et de découvertesscienti fiques. Les modalités d’approvisionnement eneau des jardins du château de Versailles sousLouis XIV3, par exemple, ont suscité de nombreuxcommentaires sur les réseaux sociaux (2 000 partageset 6 000 « j’aime »). Une médiation numérique estégalement indispensable lorsqu’il s’agit de faciliterl’accès aux archives du Web, que la BnF collecte autitre du dépôt légal. Un parcours guidé a été créé à ceteffet sous le titre : « Le Web scientifique : de la vulga-risation aux sciences participatives ».

Conférences et colloquesIntitulé « Un texte, un mathématicien », le cycle de

quatre conférences annuelles organisées depuis 10 anspar la BnF et la Société mathématique de France meten contact le grand public, notamment des enseignantsdu second degré, des lycéens et des étudiants, avec deschercheurs qui relatent la manière dont les textes ontinfluencé leurs recherches. Le conférencier sélectionneun texte de mathématiques classiques qui l’a particu-lièrement influencé et montre comment des problé-matiques anciennes peuvent rejoindre des recherchesactuelles. Précédées d’un accueil coordonné par leservice de l’action pédagogique et l’associationAnimath, ces rencontres favorisent l’approche desmathématiques à travers des récits personnalisés. Parailleurs, le colloque « Physique, interrogations fonda-mentales », organisé tous les deux ans avec la Sociétéfrançaise de physique, est ouvert à tous les publics qui

MICHEL NETZER Conservateur général des bibliothèques,directeur du département scienceset  techniques, Bibliothèque nationalede France

ISABELLE LE PAPEConservatrice des bibliothèques,adjointe au chef du service de l’actionpédagogique, Bibliothèque nationale deFrance

1. http://bnf.libguides.com/developpementdurable

2. http://gallicalabs.bnf.fr/html/und/sciences/essentiels-des-sciences-naturelles

3. http://blog.bnf.fr/gallica/index.php/2015/05/06/lapprovisionnement-en-eau-des-jardins-de-versailles-sous-louis-xiv/

Partager la science à laBibliothèque nationalede FranceLa BnF conserve un patrimoine documentaire de première importance dans lesdomaines scientifique, technique, industriel et médical. Son département scienceset techniques est en charge de l’enrichissement des collections imprimées etnumériques dans ces domaines et de leur valorisation auprès d’un large public, encollaboration avec de nombreux chercheurs et acteurs professionnels.

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Le livre, les bibliothèques et les sciences

74 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

souhaitent rencontrer des physiciens et échanger aveceux de manière transdisciplinaire autour d’un sujet.En 2014, le thème était la « Science et l’impossible »,avec la participation du prix Nobel de physique SergeHaroche. Sont également organisées des manifestationsponctuelles à l’occasion d’un anniversaire ou d’unévènement d’actualité. Cet automne 2015, c’est autourde la célébration des 100 ans de la théorie de la relativitégénérale que le public peut débattre avec des historiensdes sciences et des physiciens (cycle de conférences« Les mécanos de la Générale : Einstein, 100 ans de rela-tivité générale », du 6 octobre au 8 décembre 2015).D’autre part, en marge de la 21e Conférence desNations unies sur le climat, un colloque met en pers-

pective la notion de changement climatique, examinéeà la fois à travers le prisme de l’histoire des sciences etsous un angle prospectif (« Penser le changement clima-tique : passé, futur, ici, ailleurs », 21 novembre 2015).

L’accueil des jeunesLa médiation de la culture scientifique, technique

et industrielle s’adresse également au jeune public,notamment aux collégiens, lycéens et apprentis, quele service de l’action pédagogique reçoit à travers desactions élaborées en partenariat avec le départementsciences et techniques, le service du multimédia ou ledépartement des moyens techniques. Ainsi, unecentaine d’apprentis en formation aux métiers du bâti-ment ont pu visiter les coulisses de la BnF et son archi-tecture avec des spécialistes des questions techniquesliées au bâtiment. Ils ont suivi un atelier autour dupatrimoine livresque, découvert des documents patri-moniaux en lien avec leur filière d’étude et pris connais-sance du portail « Passerelle(s) » qui leur est destiné.Auprès de ces jeunes publics, la découverte de la Biblio-thèque nationale de France, de son architecture et deses ressources se conjugue à des rencontres avec lesmétiers de la BnF, qui leur ouvrent de nouvelles pers-pectives, croisant art et technique, histoire du livre etculture scientifique. ■

Illustration représentant une installationde chauffage centrale du XIXe siècle,

dans  : Philippe Picard, Traité pratique duchauffage et de la ventilation : principes,

appareils, installations, cheminées,poêles, calorifères, chauffages à air

chaud, à eau chaude et à vapeur..., Paris,1897. (Conservé à la BnF)

Visite d’un groupe d’apprentis du BTPà  la BnF.

En juin 2015, un premier rendez-vous de médiation scienti -fique a été coorganisé par le service de l’action pédagogiquede la BNF et l’association L’Arbre des connaissances. Deslycéens de 1re de l’École technique supérieure de laboratoirede Paris (ETSL) ont été accueillis pour « jouer à débattre ».Au cours d’un jeu de rôle, était interrogée la notiond’« humain augmenté » en se projetant en 2050 et en parti-cipant à un procès imaginaire concernant des implantsoculaires. Les jeunes se positionnent comme jurés, avocat

de la défense ou partie civile, et sont amenés à poser desquestions sur les avantages que procurent les avancéesscientifiques, mais aussi sur les problèmes qu’elles suscitentet plus largement sur leur impact pour l’environnementet la société. La partie se prolonge par des échanges entreanimatrice, élèves et enseignants, puis par une visite dela salle de lecture et une présentation des collections. Cette nouvelle façon d’aborder les collections et d’envisagerla relation à la science sera poursuivie en 2016.

JOUER À DÉBATTRE À LA BNF

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Le livre, les bibliothèques et les sciences

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 75

Ce site Internet est ouvert à tous mais dédié plus particu-lièrement aux apprentis du BTP et aux jeunes en insertionprofessionnelle. Conçu par le service multimédia de laBNF en partenariat avec la Fondation BTP PLUS et le CCCA-BTP (Comité de concertation et de coordination de l’appren -tis sage du bâtiment et des travaux publics), il s’appuiesur une démarche de médiation innovante visant à diver-sifier les publics. Il invite à découvrir les métiers du BTPainsi qu’une chronologie de quelque 70 bâtiments pharesà travers des plans, des illustrations, des vidéos ou desprésentations sonores ; et à les replacer dans leur contextehistorique, culturel et scientifique. Passerelles permettraaussi bientôt de créer des albums et des diaporamas àpartir des ressources pédagogiques du site.

LE PORTAIL PASSERELLEShttp://classes.bnf.fr/passerelles

La métamorphose de la Bibliothèque dessciences et de l’industrieFort des récentes expérimentations menées dans l’évolution des pratiquesd’apprentissage, Universcience souhaite aujourd’hui faire évoluer sa bibliothèquepour créer au cœur de la Cité des sciences et de l’industrie un dispositifd’acculturation aux sciences novateur.

CLAUDE FARGE Directeur des éditions et du transmediaet directeur de la bibliothèque et desressources documentaires,Universcience

LAËTITIA STAGNARA Adjointe au directeur de la bibliothèqueet des ressources documentaires,Universcience

Bénéficiant du flux de visiteurs de l’un des plusgrands musées de France (cf. p. 37) pour une fréquen-tation annuelle de près de 500 000 visiteurs par an, laBibliothèque des sciences et de l’industrie (BSI) consti-tue par son réseau de partenaires, par ses importantesressources documentaires et par ses nombreux espacesd’accueil, un terreau très riche pour accueillir uneprofonde transformation.

Déployée actuellement sur 8 126 m² d’espacespublics avec 902 places assises se répartissant sur troisplateaux de 2 700 m² chacun, elle donne accès à unfonds documentaire de 75122 titres de monographies,1 484 titres de périodiques, 629 titres de cédéroms,1 928 titres d’e-books, 2 747 titres d’audiovisuels enconsultation, ainsi que de nombreuses bases dedonnées sur la santé, sur les métiers, sur les sciencesmodernes, et des bases plus généralistes.

Les thématiques sont les sciences de la vie, les géo -sciences, la physique, la chimie, les mathématiques,

l’astronomie ; on y trouve aussi un fonds jeunesse, d’histoire des sciences et des techniques ainsi que desoffres d’apprentissage spécifiques (informatique etfabrication 3D, santé, métier, entreprise et vie profes-sionnelle). À côté des ressources produites par lesbibliothécaires et les médiateurs, les fonds regroupentdes ouvrages scientifiques de tout niveau, avec unedominante d’ouvrages de vulgarisation.

Le nouveau projet s’appuie sur les compétences del’équipe de 120 agents (médiateurs, bibliothécaires,documentalistes agents d’accueil) tout en proposantune évolution dans leurs métiers, dans la mesure oùles outils numériques, la recherche partenariale et larelation au public sont appelés à devenir le nouveaubarycentre des activités de la BSI.

Universcience souhaite inscrire pleinement la BSIdans son territoire, renforcer son rôle social et citoyenet la positionner comme une véritable plateforme

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Le livre, les bibliothèques et les sciences

76 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

d’échanges entre les différents acteurs d’Ile-de-France,notamment du Nord-Est parisien (public de proximité,associations, collèges et lycées, sociétés innovantes,incubateurs d’entreprise, etc.). Cette démarche d’ac-compagnement personnalisé aux usagers (carte d’abon-nement profilée, communication individualisée...)pourra prendre des formes multiples : la conceptiond’un prototype, la réalisation de projets de recherchescolaire tels que des travaux personnels encadrés(TPE), du soutien scolaire, la création d’entreprises,permettant à chacun d’être acteur de la recherchescientifique en testant et en expérimentant un produitou un service en cours de conception ou encore encollaborant à un sujet de recherche scientifique et àde nouvelles formes d’apprentissage.

Afin de réussir sa mutation et de susciter la colla-boration et la créativité, la BSI, en association étroiteavec des réseaux de partenaires, a mis en place quatreoffres de services structurantes.

● Le Fab Lab, espace de fabrication partagé ouverten janvier 2014, met à disposition du public un ensem-ble d’équipements (découpeuses laser, imprimantes3D, découpeuse vinyle, fraiseuse à commande numé-rique, postes informatiques, etc.) et de logiciels deCAO, libres pour la plupart (Blender, Ubuntu, Solid-works, Catia, etc.). Une équipe de médiateurs assistele public pour les sensibiliser à la fabrication assistéepar ordinateur, aux machines-outils, et aux pratiquescollaboratives caractéristiques des Fab Labs, mais aussipour les former à la prise en main autonome d’outilset de logiciels de CAO, et à la réalisation de projetsindividuels ou collectifs.

● Le Living Lab éducation et robotique, qui a ouvertses portes en même temps que le Fab Lab, dispose d’espaces modulables et complémentaires d’environ1200 m² et d’un important plateau technique incluantnotamment des équipements informatiques (classemobile de 30 PC, jeux vidéo, etc.). Ouvert à tous les

créateurs, chercheurs et professionnels souhaitanttravailler avec des utilisateurs dans l’élaboration deleurs offres, produits et services, dans une démarched’innovation ouverte et sociale autour de projets rele-vant de la robotique éducative, des jeux vidéo et de lagamification, il propose des résidences de chercheurs,de créateurs, d’entreprises, souhaitant intégrer diffé-rentes catégories de publics, futurs usagers, à la concep-tion de leurs projets.

● La Cité des métiers, créée pour sensibiliser lespublics aux transformations technologiques de l’em-ploi, est un espace de conseils et de ressources docu-mentaires au service de tous et répond aux préoccu-pations d’ordre professionnel, en collaboration avecune douzaine d’organismes partenaires.

● La Cité de la santé s’adresse plus spécifiquementà des patients, des proches de malades, ou encore desadolescents s’interrogeant sur leur sexualité. En colla-boration avec des médecins, des animateurs de préven-tion, des professionnels de santé, des proches demalades et patients experts, des bibliothécaires spécia-lisées, elle répond à toutes les préoccupations d’ordremédical.

Au sein d’un même établissement cohabiteront, auterme de cette mutation, plusieurs dispositifs d’ap-prentissage complémentaires : expositions, activitésde médiation et également, désormais, plateforme deressources cognitives, sociales et techniques.

En parfaite articulation avec le projet Inmédiats(cf. p. 65), cette mutation, qui aura mûri dans lesespaces de la BSI, a vocation à être largement diffusée,notamment dans les médiathèques, centres de culturescientifique, cyberbases, etc., afin d’assurer la dissémi-nation la plus large possible des méthodes, des proces-sus et de l’ensemble des pratiques et usages qui aurontpermis l’émergence de ces projets. C’est notre missiontelle que nous l’entendons : à l’écoute et au service –public – de nos concitoyens. ■

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La Cité des métiers à la Cité des scienceset de l’industrie.

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Le livre, les bibliothèques et les sciences

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 77

Le Laboratoire culturelde Cambrai En réponse au divorce entre lecture publique et culture des sciences, la médiathèque de l’agglomération de Cambrai a intégré la médiation scientifique parmi sescompétences.

1. Avec l’inté gration d’un Centred’interprétation de l’architecture et dupatrimoine (CIAP), dans le cadre du labelVille et Pays d’art et d’histoire.

DAVID-JONATHAN BENRUBIDirecteur de la médiathèqued’agglomération de Cambrai

Ouvert au public en 1974, l’actuel établissementde lecture publique de Cambrai fut le premier enFrance à adopter le nom de « médiathèque ». Quatredécennies plus tard, le bâtiment est obsolète. Les élusinterrogent les techniciens : quelles orientationspeuvent faire de la future nouvelle médiathèque unétablissement qui, sans se satisfaire de se caler sur desmodèles (« un endroit où il y a des bouquins »), deseffets de mode confondant les fins et les moyens (lejeu vidéo) ou des slogans (le « troisième lieu »),réponde à une double exigence d’innovation et deprise en charge de besoins propres au territoire ?

La réponse, placer la culture scientifique au cœurdu projet, a suscité l’engouement nécessaire à sa solution dans une volonté politique. Elle s’appuyaitsur une conviction professionnelle de portée généraleet sur un constat local. La première est que le divorceflagrant entre la CSTI et le monde des médiathèquesest une double aberration, tant en matière d’aménage-ment culturel (scientifique) du territoire, qu’au regarddu projet scientifique (culturel) des médiathèques.

Le second est qu’à Cambrai, comme dans la majo-rité des villes petites et moyennes, il n’existe pasd’offre de culture scientifique à la fois continue etgénéraliste. Avant même de réfléchir en termes tech-niques de conquête de nouveaux publics, de change-ment d’image, de renouvellement des modes demédiation, etc., avant même de rappeler les objectifspolitiques fondamentaux, assignés de façon communeet mutuellement ignorés, aux acteurs de la CSTI etde la lecture publique (fabrication du citoyen libreet informé, éducation artistique et culturelle...), unconstat très simple s’impose. Si j’ai trente ou quaranteans, si je veux relire un roman de Gide, refaire dusport, entendre de nouveau des conférenciers meparler d’histoire ou de sociologie, me replonger dansles mondes sensibles de la politique des arts, réap -prendre l’anglais, faire de la musique, je peux le faireà deux pas de chez moi. Mais si je veux m’immergerà nouveau dans les nombres, réaliser des manipula-tions expérimentales, je suis obligé de prendre mavoiture (budget), de faire une heure de route (budgetet budget-temps), de payer une entrée dans un muséede sciences (budget). Mon désir ne sera satisfait quedans le cadre d’une culture de sortie, avec les péageset le sursaut d’investissement que celle-ci suppose. Ilrisque donc de ne l’être pas souvent. Dès la phase dediagnostic, les témoignages de plusieurs animateurs

du territoire œuvrant dans l’éducation populaire ontconfirmé que ce manque affectait aussi nos structurespartenaires.

Le principe a été adopté, dans le cadre d’un projetscientifique et culturel remis au ministre de la Cultureen 2011, que le futur « Laboratoire culturel » de laCommunauté d’agglomération de Cambrai intègrerait,sans les juxtaposer, quatre composantes de la politiqueculturelle : lecture publique, patrimoine écrit (en tantque « bibliothèque municipale classée »), inter pré -tation de l’architecture et du patrimoine1 et enfin CSTI.Dès avant l’ouverture du chantier, l’actuelle média-thèque d’agglo mé ration de Cambrai (MAC) s’attache-rait à la mise en place d’une offre en matière de CSTI,tant pour expé ri menter l’intégration sciences/média-thèque que pour initier une dynamique territorialeavec l’aide de ses partenaires historiques (écoles,centres sociaux, autres structures culturelles...).

À cet égard, l’option technique préconisée a été dene pas se limiter à la logique de la collaboration inter-champs – logique qui a systématiquement présidé,depuis trente ans, aux tentatives d’excursion des média-thèques sur le terrain de la culture scientifique – mais,au-delà de la recherche indispensable de partenairesen amont, d’intégrer la médiation scientifique parmiles compétences du personnel. D’une part, une conven-tion-cadre a été signée au printemps 2014 entre la MACet le Forum départemental des sciences, CCSTI dudépartement du Nord. Cette convention affirme les objectifs communs, et encadre l’aide technique apportéepar le Forum en matière de formation, de locationsd’expositions, etc. D’autre part, un médiateur dessciences a été recruté pour occuper, au sein du serviced’action culturelle de la MAC, un poste de responsablede la culture scientifique. Ce collaborateur est pleine-ment intégré à l’ensemble des activités d’une média-thèque : constitution de collections, expositions, ateliershebdomadaires, accueil du public, programmation deconférences... Son action agit aussi comme effet levier :une formation interne a permis à l’équipe des biblio-thécaires jeunesse de proposer, chaque jour de l’été, l’ate-lier « Un jour, une expérience ». Enfin, pour assurerune meilleure visibilité à cette politique, un rendez-vousannuel, le « Février des sciences », coordonné par laMAC, fédère un nombre conséquent d’acteurs (culturels,socioculturels, éducatifs, mais aussi économiques) dési-reux de participer à un effort du territoire en faveur dela culture scientifique et technique. ■

Médiation des sciences à la médiathèquede Cambrai.

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Le livre, les bibliothèques et les sciences

78 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

Affiche pour « La Science se livre 2015 ».

Cette manifestation entend rendre la science acces-sible à tous. Elle s’inscrit dans les politiques de déve-loppement de la lecture publique et d’accès du plusgrand nombre à la culture. Les questions scientifiquessont abordées comme des enjeux de société suscep -tibles de provoquer le débat.

Chaque année, le département coordonne un largeprogramme d’animations scientifiques gratuites dansles bibliothèques et autres lieux culturels du territoire,partenaires de l’opération. La thématique, choisiecollectivement, doit être suffisamment ouverte pourque chaque lieu puisse la décliner.

Le dialogue constructif entre les partenaires arécemment permis d’organiser une matinée de sensi-bilisation ouverte à tous les bibliothécaires des Hauts-de-Seine. Rencontrer des scientifiques en amont, expli-citer le thème choisi et montrer comment les questionsscientifiques sont liées au reste de la vie sociale parais-saient indispensables.

Les « Prix de La Science se livre »Cinq ans après la première édition, le conseil dépar-

temental des Hauts-de-Seine a souhaité renforcer sonaction de promotion de l’édition scientifique et tech-nique à destination du grand public en créant les« Prix de la science se livre ».

Deux prix récompensent un ouvrage récent de lalittérature scientifique et technique dans deux caté -gories : « adultes » et « adolescents 11-15 ans ». Les livreslauréats sont offerts à l’ensemble des bibliothèquespartenaires ainsi qu’à tous les CDI des collèges desHauts-de-Seine pour la catégorie « adolescents ». Lesouvrages sont sélectionnés selon « l’originalité des sujetsabordés, la qualité scientifique du contenu de l’ouvrageainsi que les qualités de médiation vers le grand public ».

Un travail de présélection est effectué par la commis-sion science de l’association BIB92 (regroupant les biblio-thèques des Hauts-de-Seine), par la bibliothèque de laCité des sciences et de l’industrie, par le départementdes sciences de la Bibliothèque nationale de France etpar le Centre national de la littérature pour la jeunesse-La Joie par les livres. Réunis en amont, un comité depilotage regroupant l’ensemble des partenaires retientles cinq titres adultes et les cinq titres adolescents quiseront présentés au jury. À Clamart, bibliothécaires etgroupes de lecteurs adultes et adolescents confrontentalors leurs regards sur les dix ouvrages en lice.

Regards croisésLe jury se compose d’une majorité de scientifiques

impliqués dans la diffusion des connaissances, dejourna listes spécialisés et de professionnels du mondedu livre. Cette mixité a permis aux scientifiques d’êtresensibilisés à l’objet livre. Pierre-Henry Gouyon, biolo-giste spécialisé en sciences de l’évolution, professeur auMuséum national d’histoire naturelle, a participé au juryen 2009. Cette participation, dit-il, « relève d’au moinsdeux des cinq missions des professeurs, à savoir l’expertiseet la diffusion. […] Cela me permet de rencontrer despersonnes qui ont des points de vue autres, un regarddifférent. Le regard des bibliothécaires est intéressant surle contenant pour lequel je me déclare incompétent. Pour-quoi un livre peut attirer l’intérêt en dehors de soncontenu scientifique reste, pour moi, assez mystérieux. »

Et Virginie Bonnallié-Noël, directrice de rechercheau CNRS, qui dirige les débats du jury, d’ajouter : « Leregard croisé scientifique/bibliothécaire donne unevision complémentaire : la participation des scienti-fiques permet d’apporter une caution sur le contenudes ouvrages alors que les bibliothécaires connaissentbeaucoup mieux le grand public. Nous sommesparfois surpris de l’engouement ou du peu d’attraitsuscité par certains ouvrages. Le fait que le jury soitmixte permet d’avoir des échanges sur différentsaspects de la lecture et la perception d’un ouvrage.Ces points de vue permettent de sélectionner lesouvrages avec des critères variés ».

Car si l’intérêt du grand public pour les livres devulgarisation scientifique est réel, il faut pour l’entre-tenir des idées nouvelles et des livres attractifs. Et poursusciter la curiosité des adolescents, la présentationdoit être dynamique voire audacieuse.

Le département des Hauts-de-Seine, situé auxportes de Paris, a la particularité d’héberger sur sonterritoire plusieurs centres de recherche ainsi que desentreprises de pointe, ce qui favorise la possibilité d’inviter des chercheurs qui sont aussi des conféren-ciers de talent. Nous serions tentés de faire une plusgrande place à ces laboratoires dans nos programmes,mais nous sommes sensibles à la mise en garde dePierre-Henry Gouyon sur l’entrée des technosciencesdans « La Science se livre » : « méfions-nous dudiscours orienté de ces sociétés ou sachons organiserde vrais débats avec des personnes capables de donnerdes points de vue autres » précise-t-il avec raison.

NADEIGE BOUVARD Conservateur en chef, directrice du

réseau de médiathèques de ClamartVice-présidente de l’association BIB92

et membre du jury de La Science se livre

La science se livre dansles Hauts-de-SeineDepuis 1996, le conseil départemental des Hauts-de-Seine soutient « La science selivre », une manifestation qui promeut la culture scientifique et technique afin desusciter des vocations et de développer des fonds d’ouvrages scientifiques dans lesbibliothèques et médiathèques.

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Le livre, les bibliothèques et les sciences

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 79

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AMANDINE ROCHASDirectrice adjointe Bibliothèque départementalede  l’Essonne

DYNAMISER UN RÉSEAU DE LECTURE PUBLIQUE AUTOUR D’UN THÈME SCIENTIFIQUE

Sur un territoire fortement marqué parla présence de plusieurs universités,grandes écoles et centres de recherche,en particulier à Évry et sur le plateaude Saclay, le département de l’Essonnea depuis de nombreuses années fait dessciences un enjeu fort de ses politiquespubliques. Le contrat territoire-lecture(CTL) signé en 2014 entre l’État et ledépartement s’inscrit dans ce cadre.Piloté par la bibliothèque départemen-tale (BDE), il a pour objectif d’accompa-gner le développement d’un réseau ruralde médiathèques situées dans le quartsud-est du département, autour d’unethématique scientifique et technique etd’un projet d’action culturelle commun. Un premier temps fort a été initié aumoment de la Fête de la science. Autourd’un thème choisi avec ses partenaires(la botanique en 2014, la lumière en 2015,dans le cadre de l’Année internationale

de la lumière, et l’espace en 2016), laBDE décline une programmation d’ani-mations culturelles telles que des confé-rences, des ateliers scientifiques, desateliers avec des auteurs ou des illustra-teurs, ou encore des spectacles, qui sedéroulent à son annexe située à la Ferté-Alais. Cette programmation se poursuitensuite pendant tout l’automne dans lesdix-sept médiathèques des communesvoisines, mais aussi dans les écoles, lesrelais assistante maternelle, les centresde loisirs, les maisons de retraite, oumême dans les mairies des communesne disposant pas d’équipement delecture publique. La BDE complète cetteprogrammation par l’acquisition deplusieurs expositions et outils d’anima-tion qui sont proposés aux communesdu CTL : en 2014, une exposition sur lesplantes médicinales par exemple, ouune malle de DVD documentaires et de

fiction sur le thème des plantes, accom-pagnée de panneaux explicatifs. Ellemet aussi à leur disposition des collec-tions thématiques destinées à renforcerles fonds scientifiques des bibliothèques.En 2016, la programmation culturelledevrait s’étoffer, notamment dans lecadre d’un partenariat avec le réseaudes médiathèques du plateau de Saclay. Ainsi, l’ambition de ce contrat territoire-lecture est double : initier dans le réseaudes médiathèques une action culturellesusceptible d’être pérennisée après2016, afin d’améliorer le service renduà la population en matière d’accès àl’information scientifique et techniqueet, plus généralement, au livre et à lalecture. ■

En savoir plus : https://bde.cg91.fr/medias/medias.aspx?INSTANCE=exploitation&PORTAL_ID=portal_model_instance__ctl_essonne_la_science_se_raconte.xml

La médiathèque La Buanderie à Clamart,installée dans un ancien bâtimentindustriel réhabilité, inscrit au titre desMonuments historiques en 2003.

Échanger avec les scientifiques a permis au person-nel de la lecture publique de gagner en légitimité,d’améliorer leurs outils de travail et d’enrichir leurregard sur les collections. L’appréhension d’autrefoisa disparu et les bibliothécaires sont désormais associésà tous les niveaux de la sélection des prix. Des acqui-sitions plus pertinentes et un travail de médiation onteu pour effet d’augmenter les prêts et de fidéliser desusagers. Les médiathèques deviennent ainsi des lieuxprivilégiés d’échanges autour de ces savoirs.

Rendez-vous désormais incontournable, la mani-festation fédère les bibliothèques et rassemble25 000 visiteurs par an. Elle est soutenue par le minis-tère de la Culture et de la Communication, le minis-

tère de l’Éducation nationale, de l’Enseignementsupérieur et de la Recherche, et préparée en partena-riat avec Universcience, la Bibliothèque nationale deFrance, le CNRS, l’Observatoire de Paris, le CEA etl’association BIB92.

Du 23 janvier au 13 février 2016, le réseau desmédiathèques de Clamart proposera conférences,animations et documents sur deux thématiques :« Demain la ville » et « L’Homme du futur » qui s’inscrivent dans la thématique plus large retenue pourles 20 ans de La Science se livre : « Demain la Science ».Les conférences se tiendront à la médiathèque La Buan-derie à Clamart, un bel exemple de réhabilitation debâtiment industriel, l’un des seuls de ce type ayantsubsisté en région parisienne. ■

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Cet article présente de façonsynthétique les premiers résultats d’une

recherche portée par l’AMCSTI dans lecadre du programme de recherche

« Pratiques interculturelles dans lesprocessus de patrimonialisation » du

ministère de la Culture et de laCommunication. L’ensemble des

résultats sera disponible dans le rapportfinal diffusé par l’AMCSTI.

1. Nous avons rencontré plusieursacteurs : responsables de la

médiathèque de Cambrai, directeur deSciences Animation, directeur du Forum

des sciences à Lille, bibliothécaires deCambrai et de la région, de Toulouse et

de l’agglomération, responsablesd’associations intervenant dans la CSTI

(Délires d’encre à Toulouse, FermatScience), des médiateurs scientifiques,une élue, une éditrice, les tutelles (MCC

et MESR).

2. Le rapport du Conseil supérieur desbibliothèques (CSB) faisait déjà ces

constats en 1992.

Le livre, les bibliothèques et les sciences

80 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

L’hypothèse principale de notre recherche est quela place des sciences et du livre scientifique en biblio-thèques de lecture publique doit être envisagée en rela-tion avec les transformations de la culture scientifique,aussi bien en termes de moyens et d’outils, en parti-culier numériques, que de pratiques de médiation oude politiques publiques, dans un contexte d’évolutiondes bibliothèques-médiathèques et plus globalementde questionnement sur leurs missions au XXIe siècle.

Cette recherche s’est effectuée sur deux terrainsprésentant deux situations inverses de l’articulationentre CSTI et lecture publique. D’une part, la média-thèque de Cambrai qui, bénéficiant d’un soutien poli-tique fort, notamment au niveau local, a pour projetd’intégrer la CSTI au sein de son offre. D’autre part, l’as-sociation Science animation Midi-Pyrénées qui animeun réseau régional d’acteurs de la CSTI en étroite colla-boration avec les associations partenaires de Midi-Pyré-nées (Réseau Science animation Midi-Pyrénées).

Pour chacun, nous avons précisé le rôle des différentsacteurs1, leur positionnement et leurs pratiques profes-sionnelles en questionnant les représentations et lesformes de diffusion de la science auxquelles ils se réfè-rent. L’idée de divorce entre lecture publique et CSTIsemble relever, en partie, de la persistance de modèlesstructurants. De fait, nous avons repéré des points deconvergence entre les différentes formes d’actions cultu-relles et de médiations et mis en exergue des pistes pourune meilleure articulation entre les deux champs.

Des constats antérieurs persistants2

Si la place du livre de science en bibliothèque estincontestable, elle reste fragile. Les sciences sonttoujours peu familières aux bibliothécaires. Sont princi -pa lement en cause les formations initiale et continue :les sujets des concours de recrutement s’adressentavant tout à des étudiants issus des sciences humaineset sociales, la formation aux métiers des bibliothèquesrecrute principalement des élèves issus des filières litté-raires, la formation continue intègre à la marge laculture scientifique.

De plus, la politique d’acquisition dans le champdes sciences est plus que jamais en tension avec lesattentes des usagers, à la recherche d’ouvrages forte-ment présents dans l’espace médiatique. La difficulté

est de pouvoir y répondre tout en préservant la logiqueencyclopédique du lieu.

Enfin, les secteurs et les acteurs de la CSTI et de lalecture publique restent relativement étanches l’un àl’autre. La méconnaissance est respective aussi biendans les structures (CCSTI et bibliothèques) que dansles formations qui préparent aux métiers de bibliothé-caires et de médiateurs scientifiques.

Des pistes d’évolutionLes deux terrains étudiés et les multiples expéri-

mentations qui se développent en France montrentnéanmoins des évolutions. D’une part, les biblio-thèques (et leur tutelle) affirment leur légitimité àintervenir dans le champ de la CSTI. Elles convoquentpour cela leur mission première, à savoir donner accèsà la connaissance et à la culture via le livre et les diffé-rents moyens à disposition aujourd’hui, mais aussivia des actions de médiation (animations, ateliersnumériques, expériences, expositions). Notons quela science n’est pas le seul domaine où les bibliothé-caires se sentent parfois en manque de légitimité ;raison, parmi d’autres, de partenariats avec des tiersexperts, par exemple avec un CCSTI pour organiserun « café scientifique » (médiathèque de Tournefeuilleet Science animation), ou avec un éditeur pour faciliterla sélection de livres scientifiques (partenariat avecSciences pour tous à Cambrai [cf. p. 82]).

De fait, les bibliothèques-médiathèques, les CCSTIet les éditeurs scientifiques tendent vers davantage d’in-teractions, chacun apportant ses compétences propres :forte présence territoriale et connaissance des publicspour les bibliothèques, médiation dans le domaine dessciences et en direction des publics jeunes notammentpour les CCSTI, valorisation et diffusion d’une produc-tion éditoriale présélectionnée pour les éditeurs(Sciences pour tous). À un moment où les budgets setendent, où les publics sont l’enjeu de multiples sollici-tations, où les vecteurs d’accès à la connaissance se multi-plient via le numérique, entrainant de fait le contour-nement des acteurs traditionnels dans l’accès au savoir,il s’agit pour les bibliothèques et les CCSTI de se repo-sitionner et de clarifier leurs missions à travers ces coopé-rations qui apparaissent globalement fructueuses, touten restant à inscrire dans la durée. ■

DOMINIQUE CARTELLIER et AUDE INAUDI

GresecUniversité Grenoble Alpes

Quelle articulation entre culture scientifique et lecture publique ?Dominique Cartellier et Aude Inaudi ont observé la place des sciences et du livrescientifique au sein des bibliothèques-médiathèques et mis en évidencedes conditions susceptibles de renforcer leur rôle en matière de CSTI.

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1. sciencespourtous.org

Le livre, les bibliothèques et les sciences

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 81

Thierry Claerr : Vous avez créé la maison d’éditionLe Pommier, et vous êtes membre du groupement d’édi-teurs « Sciences pour tous ». Comment sont nés ces deuxprojets ?

Sophie Bancquart : Architecte de formation, j’aidécouvert les sciences grâce à une rencontre, celle deMichel Serres, philosophe et historien des sciences. Ilm’a permis de comprendre qu’un novice peut accéderaux délices de l’intelligence du monde et m’a intro-duite auprès des scientifiques, auteurs qui ne rêventque de partager leurs savoirs. Ce qui m’a finalementamenée à fonder les éditions Le Pommier en 1999.Mais j’ai aussi découvert que les sciences pouvaientsusciter crainte et même rejet, notamment auprèsd’un public naturellement littéraire, celui des libraireset des bibliothécaires. En effet, la plupart de ces profes-sionnels sont venus au livre par amour de la littératureou des sciences humaines. Ils ont souvent même vécula science comme un outil de sélection à leur encontre !Or il existe un public, beaucoup plus nombreux qu’onne le pense, qui s’intéresse à ces domaines. On le voitlors des salons où l’on rencontre ces lecteurs curieuxet gourmands de sciences.

En 2004, pour accompagner le plan de déve lop -pement de la culture scientifique lancé par les ministres de la Culture et de la Recherche, quelqueséditeurs se sont réunis pour fonder le groupe« Sciences pour tous », au sein du Syndicat nationalde l’édition. Le nom de « Sciences pour tous » estimportant. Il est je crois une alternative efficace auxmots « vulgarisation » (assimilé au vulgaire, désignantpéjoratif du peuple), « popularisation » (traductioninélégante de l’anglais) et « culture scientifique » (quilaisse supposer que les sciences ne feraient pas partiede la culture). « Science pour tous » dit exactementce que nous voulons faire : des sciences pour tous lespublics. Ce qui ne veut pas dire que tous les livress’adressent à tout le monde, mais qu’il existe des livresqui s’adressent à chaque public, depuis les enfants dequatre ans jusqu’aux scientifiques dans des domainesautres que le leur.

Nous nous sommes donc associés pour montrerqu’il existe en sciences des livres agréables à lire, àdécouvrir, à comprendre, pour casser l’image du livrescientifique réservé aux professionnels ou auxétudiants. Et montrer du même coup qu’il est possiblepour des éditeurs de différentes entreprises, de groupeset de sociétés concurrentes, de partager et de construireune politique au service du livre de sciences.

Th.C. : Quelles sont les actions de Sciences pour touspour développer la lecture des livres de science grandpublic ?

S.B. : Nous avons commencé par accompagner unsalon initié par le Centre national du livre à la Citédes sciences, et nous avons à cette occasion constituéune base des ouvrages, nouveautés et fonds, sous laforme d’un site1 et d’un catalogue. Et là, premièresurprise : nous avons identifié seulement 2 500 livresmais de plus de trente éditeurs ! Ce site constitue uneformidable vitrine de la production des éditeurs français, alors même que ces livres sont parfois disper-sés en librairie dans des rayons divers : sciences (leplus souvent professionnelles ou universitaires),pratique, sciences humaines, actualité, voire littérature,et bien sûr jeunesse. C’est un outil pour les librairescomme les bibliothécaires, qui peuvent effectuer desrecherches afin de répondre à la demande d’un lecteur,se constituer des listes thématiques ou se tenir infor-més des dernières nouveautés pour le grand public. Ilest mis à jour tous les mois et recense tous les ouvragesqui répondent à la définition suivante : ouvrage descience dite « dure » destiné à un grand public, adulte

ou jeune. Un comité formé de volontaires se réunittous les mois pour examiner les livres parus et sélec-tionner ceux qui correspondent à cette définition. Dece site, nous avons extrait, par deux fois, un cataloguedes 700 puis des 900 livres de base.

Depuis, nous avons développé d’autres actions.Nous avons accompagné les prix organisés par lesrectorats de Bordeaux et de Rouen, nationalisés pourla première fois cette année sous le titre « Prix Sciencepour tous lycée et collège », dont l’objectif est de fami-liariser les élèves de seconde et de quatrième à lalecture de livres de sciences en leur demandant d’élireleur préféré parmi une sélection thématique annuellede dix opus. La remise officielle a eu lieu cette annéeà l’Académie des sciences, à Paris.

Sciences pour tousEntretien avec Sophie Bancquart, directrice générale déléguée des éditionsLe Pommier, présidente du groupe « Sciences pour tous », Syndicat nationalde l’édition.

«Nous nous sommes associéspour montrer qu’il existe en sciencesdes livres agréables à lire. »

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Le livre, les bibliothèques et les sciences

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Nous avons, en collaboration avec l’Association desmusées et centres de culture scientifique, technique etindustrielle (AMCSTI) et avec le soutien de la Sofia, créédes kiosques qui sont proposés aux centres et muséesde science en région, en collaboration avec un librairelocal, pour vendre des livres en accom pa gnement d’uneexposition ou d’une conférence. Ces kiosques vontaujourd’hui être proposés à des bibliothèques qui souhai-tent développer des animations autour des sciences.Toujours avec l’AMCSTI, nous avons répondu à unappel d’offres du ministère de l’Éducation nationalepour une étude sur la possible collaboration d’un centrede science et d’une médiathèque. Une expérimentationa eu lieu à Cambrai pendant un an et a montré, notam-ment, que l’uti li sation d’un kiosque Sciences pour touspouvait augmenter la rotation des livres de plus de 30 %.Également avec l’aide de la Sofia, qui a compris l’impor-tance de soutenir le rôle de passeur des auteurs scienti-fiques, nous organisons des rencontres avec le publiclors du Salon du livre depuis quatre ans.

Nous avons aussi entamé une révision de la classi-fication des livres de sciences au sein de la CLIL(Commission de liaison interprofessionnelle du livre)avec pour double objectif de pouvoir mieux cernerl’activité des sciences pour tous, en la séparant dessciences dites STM (universitaires et professionnelles)et des sciences humaines ; et de mieux promouvoiren librairie des livres qui s’adressent naturellement àun vaste public et qu’il est préjudiciable de cantonnerdans des rayons trop spécialisés.

Parmi les nombreuses actions auxquelles noussongeons encore, il nous faut aider à développer laformation des libraires et des bibliothécaires autour dulivre de sciences pour tous. Et, même si, sur le papier,cela est déjà inscrit, il faudrait davantage intégrer lesactions en faveur de la diffusion des connaissances scien-tifiques dans l’évaluation pratique des chercheurs. ■

«Il nous faut aider à développerla formation des libraires etdes bibliothècaires autour du livrede science pour tous. »

Catherine Vadon, Le monde lumineux desocéans, Belin, 2010, lauréat du prix du

livre Sciences pour tous des collégiens2015.

Le kiosque Sciences pour tous à lamédiathèque de Cambrai.

Carlo Rovelli, Anaximandre de Milet ou lanaissance de la pensée scientifique,

Dunod, 2e éd., 2015. Un livre d’histoiredes sciences pour public motivé.

Alain Schuhl et Hélène Maurel, Le labodes sons et des lumières, Le Pommier,2010, lauréat du prix du livre Sciences

pour tous des lycéens 2015.

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CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 83

Pour mieux comprendre les principes de la perspective, les visiteurssont invités à entrer dans la chambre d’Ames (du nom de son inventeur,Adelbert Ames), ici présentée au Pavillon des sciences à Montbéliard,dans le cadre de l’exposition «  Illusions » (exposition itinérante du Palaisde la découverte). Cl. Pascal Viennet, Pavillon des sciences

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84 CULTURE ET RECHERCHE n° 124 hiver 2010-2011 – Diversité des langues et plurilinguisme

Jean-Luc Moulène, Body Versus Twizy, Guyancourt, 2011.Mousse de polyuréthane, résine de polyester, peinture, vernis.140 x 230 x 100 cm.Kunstverein Hannover.© ADAGP Paris 2015

Au second plan  : Jean-Luc Moulène, Moonface, Paris, 2014,

Cibachrome sur aluminium, 60 x 48 cm.

84 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

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Les arts et les sciences

Entre certains représentants de la culture scienti-fique et technique (CST) et le ministère de la Culture,la situation est tendue. D’une part, au niveau dubudget, la part allouée à la CST par le ministère et lesDRAC a diminué de manière catastrophique. D’autrepart, dans le suivi effectif du ministère, les partenairesartistiques « classiques » semblent absorber toutes lesénergies.

Or, dans la tradition culturelle française, le minis-tère disposait d’un « temps libre » qui lui permettaitde rester un « chercheur ». Mais alors que l’immédia-teté du rapport entre art et culture est ce qui sembleprévaloir aujourd’hui dans l’observation, la margecritique que représentait l’attitude du « chercheur »se trouve diminuée : elle est pourtant plus que jamaisnécessaire au vu, notamment, des problèmes contrariés entre la création contemporaine et lesapproches dites « culturelles » des sciences. Actuel -lement, s’il existe un fourmillement d’initiatives, ellesse trouvent le plus souvent « à la base », c’est-à-direau sein de petites unités de CST : c’est là que sontconduites des expériences neuves métamorphosantet le rapport aux sciences et la relation à la culture età la création. Cette situation est à la fois importanteet problématique. Importante, parce que cesdémarches se développent localement et qu’ellespeuvent remonter par la suite ; elles ne sont pas définies en « haut ». Problématique, parce qu’il y aune parcellisation d’expériences souvent trop petitespour avoir des moyens suffisants. Et comme chacunsait, au-delà d’un seuil marqué par une limite finan-cière et une reconnaissance institutionnelle, unerecherche a du mal à se poursuivre et ne peut pas – outrès difficilement – s’articuler sur d’autres : elle existe,ici et là, et puis, très vite, elle disparait et s’éteint.

Aujourd’hui, lorsque la CST décrit les rapportsqu’elle envisage avec la « Culture » au sens artistique,elle se fait assez précise : elle parle de complémentaritéet de provocation réciproque, d’échanges intenses, decirculation, de coopération. Pour préciser encore, laCST est capable de détailler un positionnement artis-tique assez singulier : la présence de l’art est indisso-ciablement coprésence, elle est participation à unecollectivité de Culture scientifique pour laquelle

l’essentiel du travail porte sur le déplacement de cettefrontière entre l’art et le monde des sciences ; l’art estvolontairement circonscrit, de manière à l’inscrireavec cohérence comme un système dynamique dansun environnement tout aussi dynamique (celui de laCST) ; les artistes ont la possibilité de croiser desdemandes différentes qu’ils auront à transformer enopportunité d’expé ri men tation et d’exploration, etc.En prenant soin de rappeler quelques-uns des traitsqui semblent caractériser l’approche artistique menéepar certains opérateurs de CST, il ne s’agit pas ici d’invoquer une extériorité, encore moins d’inscrirede la rivalité entre ces opérateurs et les autres lieuxde l’art. Bien au contraire, cela part du constat qu’ilreste beaucoup à faire, malgré tout, pour que les initia-tives de la CST servent à d’autres acteurs du champde l’art et que cela donne lieu à la naissance d’unespace ouvert aux essais, aux explorations, aux rencontres et aux débats.

La difficulté des problèmes que cette contributionessaie d’analyser tient au fait, peut-être, que l’indé -cision quant à la limite n’est pas simplement entre laculture artistique et la culture scientifique, entre lesensible et l’intelligible. Cette indécision tient à lalimite même qui sépare par exemple, l’art de n’importe quoi ou la science de n’importe quoi. Unmême texte, une même analyse, un même regard,peut dans des situations différentes appartenir tantôtau champ artistique, tantôt au champ scientifique,tantôt au champ du quotidien ou de l’éducation. Parconséquent ce n’est pas la lecture interne d’un élémentqui permet de lui assigner tel ou tel champ. Dans desconditions différentes et compte tenu d’autres conven-tions, le même élément peut être un simple objet dedescription ici, puis un fragment artistique là, ou unexemple savant encore ailleurs. Tout cela tient au faitque la détermination d’un champ, et qui plus est culturel , n’est jamais décidable à partir de l’expérienceinterne de l’un de ses objets, mais à partir d’une situation dont les limites elles-mêmes sont difficilesà reconnaitre car très changeantes. D’où la difficultépermanente pour répondre aux questions : qu’est-ceque la culture scientifique, qu’est-ce que la cultureartistique ?

Briller comme un plus tard« Il ne s’agit pas ici de dénoncer les rendez-vous manqués – pour ne pas direl’absence de relations – entre le ministère de la Culture et la culture scientifique,car même si cela parait nécessaire, cela ne suffit pas. Il reste aussi à comprendre,et tel est mon cas, comment les uns et les autres en sont venus, assez facilementmême, à sortir de leurs frontières communes. »

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MARC BOISSONNADEDirecteur de F93

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C’est peut-être cela, en définitive, qu’il faut inter-roger au moment où le ministère de la Culture,associé à quelques organismes de CST, tente d’y voirclair au sujet des relations entre la culture scientifiqueet l’art. Et c’est sans doute cela que certains opérateursont pressenti quand, pour tenter de décrire leurs acti-vités, ils ont recouru à la notion de « parages ». Cettenotion signifie une forme de voisinage, cela nommeun voisinage à une distance difficile à mesurer, ce quin’est ni proche ni lointain, comme une parenté, uneproximité, mais sans que l’un arrive à l’autre. Dansl’esprit de ces concepteurs, ce qui est déterminantavec les parages, c’est l’expérience que l’on peut enavoir, et, dans leur cas, il s’agit de l’expérience descultures de l’art et des sciences. Cette expériencesuppose pour eux la mise en place de protocoles derencontre, de réception, de perception, mais aussi etsurtout cela suppose le mouvement de la traversée.Dans ces initiatives, faire l’expérience, c’est avanceren traversant ; et en traversant par conséquent unelimite ou une frontière. Comment entendre cette expé-rience des parages, des parages de l’art et de la science,et comment cette expérience peut-elle devenircommune aux acteurs de la CST et au ministère dela Culture ? À ce sujet, il faut bien admettre que leministère de la Culture, pour assurer ses missions,doit nécessairement se doter d’une conception unpeu ferme de l’art, et que celle-ci, liée à une histoiredéterminée, fait que, à un moment donné, il devientdifficile pour l’institution de dissocier l’idée de l’artde la définition qu’elle s’en donne. Or l’idée de parage,ainsi formulée, implique de faire davantage appel àl’expérience multiple de l’art. Autrement dit, pour leministère, d’accepter que sa conception de l’art nesoit qu’une conception parmi d’autres.

Ces dernières années, un changement d’importances’est manifesté au sein d’un tout petit nombre

d’acteurs de la CST. Afin de se trouver portés vers descontrées différentes, ils ont accepté d’être traverséspar des pratiques différentes, des pratiques qui n’appar -te naient pas à leur domaine ou à ce qu’ils croyaientêtre leur domaine. Placée entre les mains de ces opé -rateurs, la CST a assumé l’idée qu’aucun domaine nelui était donné d’avance. Ainsi, et progressivement,elle est devenue une pratique, une recherche, qui nonseulement n’est pas à rapporter à un domaine de questions déterminées mais qui ne doit pas non plusse laisser d’entrée de jeu enfermer dans une régiondu discours ou dans une région du savoir (fût-ellescientifique ou technique). Mobilisée pour transgresserde nombreuses frontières, la CST s’interrogeaujourd’hui sur ses propres limites. Ne sachant plusvraiment quelle est sa destination, elle peut désormaisaller, parfois aveuglément, quelquefois aussi avec laplus grande liberté possible, à la rencontre d’autrestypes de pratiques, de savoirs, de pensées (commeavec l’art, par exemple). Dans ce cadre, apprendre àreconnaitre les initiatives qui, d’ores et déjà, saventfaire cohabiter, savent greffer, dans un même projet,des motifs, des registres, des voix qui sont hétérogènes,permettrait de stabiliser ce nouvel élan. Naturellement,il ne s’agit pas de s’enthousiasmer à propos desdémarches dont le propos vise simplement à fairecohabiter des choses incompatibles ou à créer desconfusions. Il s’agit de porter attention à celles qui lefont en essayant d’articuler des registres différents, quis’essaient à composer, en quelque sorte, une propo -sition culturelle, afin que l’articulation entre les diffé-rentes ressources donne à la fois à penser un problème,mais donne aussi à penser la relation entre différentesaires culturelles.

Si l’on veut tenter de comprendre comment cesdémarches arrivent à renouveler l’articulation entrela « culture scientifique et technique » et la « créationartistique », il faut considérer les repères que la CST

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Exposition « Mirages » (19 juin 2015 -27 mars 2016), Cité du design,

Saint-Étienne. Conception F93.

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s’était patiemment forgés en la matière et que cesdémarches ont abandonnés : la CST a longtempsentretenu avec la création artistique une relation quisemble assez paisible et assez sédentaire, car baséesur une conception assez particulière de l’artiste, nonpas tant académique ou conventionnelle, mais d’uncertain classicisme. De là, les collaborations entre lesdeux domaines ne faisaient pas suffisamment bougerla conception de l’art ; elles n’initiaient pas un véri-table corps-à-corps avec la création, notamment enne sachant pas entretenir une relation davantageturbulente avec l’artiste. En conséquence, denouvelles conceptions sont apparues en lieu et placede ces principes. Parmi celles-ci on peut en résumerdeux dont les effets sont davantage attendus. D’unepart, il y a cette attitude qui fait que certains concep-teurs en CST se mettent à développer pour la créa-tion artistique une passion plus inquiète et plus tour-mentée. Derrière cette expression, il faut considérerune façon de toucher à l’art, ou de se laisser toucherpar lui, qui n’était pas forcément le cas jusqu’à

présent : on observe chez eux une attention nouvelle,plus fournie, plus cultivée, en particulier pour lemouvement même de la création, pour le travail –non pas du Beau ou du Sensible – mais de la pensée,de la recherche, de la composition, de la destination,de la visibilité. D’autre part, il y a cette volonté dene plus séparer la conjonction « culture scientifiqueet culture artistique » de la requête d’une créativitépartagée, entendons d’une active participation de« tous » aux représentations communes, et de la ques-tion du déplacement qui s’opère, toujours selon cesmêmes concepteurs de CST, entre ce qui se dit, cequi se fait et ce qui se montre. En conclusion, je mepermettrai de souligner que ces interrogations quantà la possibilité de nouer différemment les savoirsscientifiques et techniques et les représentations sontà rapprocher de la question formulée quelquesannées plus tôt par le critique de cinéma SergeDaney : « Nous mesurons à quel point il est devenudifficile d’imaginer ce dont, pourtant, nous sommesinformés. » ■

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Le Planétarium, équipementculturel de la Ville de Vaulx-en-Velin, propose dans le cadre de saprogrammation un dispositifinnovant de résidences croiséesréunies sous l’appellation« incubateur ». Il s’agit d’inviter chaque année un petit grouped’habitants de la ville à entrer aucœur d’un processus créatif Art etScience en résidence avec unartiste, un scientifique et lesmédiateurs du Planétarium sur leterritoire de la ville. Une desfinalités de l’incubateur est laréali sation d’une productionartistique à partir d’une questionscientifique émergente mise en« incubation » durant plusieursmois. Ce projet offre ainsil’occasion de transmettre endirection des publics des savoirsscientifiques nouveaux, maiségalement de les initier à la

création d’une œuvre d’art avecun artiste, présentée ensuite dansles espaces d’exposition duPlanétarium.

L’ensemble du projet s’articuleautour d’une expériencescientifique que reproduisent lesparticipants à leur domicile ensuivant un protocole défini avec lescientifique. L’artiste, lescientifique, les médiateurs et leshabitants se retrouventrégulièrement pour en suivrel’évolution. De nombreuses visitessont éga lement organisées dansles établissements de recherche dela région mais aussi dans les lieuxartistiques (musées, centresd’art...) et au Planétarium. Savoirset pratiques circulent ainsi entreles différents groupes en résidence,qui s’enrichissent mutuellement.Les participants acquièrent des

SIMON MEYER

Directeur du Planétarium de Vaulx-en-Velin

« L’incubateur est une expérience collaborative dans laquelle circuleun pari : comment une question de recherche pour le scientifique, uneénigme pour le public non spécialisé peut se transformer en matériaude création pour l’artiste… » Laurent Mulot, artiste, cocréateur du concept Incubateur

L’INCUBATEUR DU PLANÉTARIUM DE VAULX-EN-VELIN

Marc, l’un des portraits des participantsà l’Incubateur #1, dans l’exposition« Entre//Mondes » (octobre 2014-janvier 2015, Planétarium, Vaulx-en-Velin).

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connaissances, mais aussi descompétences.La forme finale de l’œuvrerésultant de ces échanges estdéterminée par l’artiste encollaboration avec les autresrésidents, et présentée dansl’espace d’exposition duPlanétarium à l’automne(d’octobre à décembre). Plus de30000 visiteurs viennent chaqueannée découvrir ce travail original.L’incubateur est donc, sur leterritoire de Vaulx-en-Velin, undispositif pluriculturel où sedécouvrent, s’apprennent et sedévoilent les processus de créationà l’œuvre dans l’Art et la Science.Il est l’opportunité d’un dialoguesensible et transdisciplinaire entredifférentes personnalités, autourd’un projet de médiationparticipatif et collaboratif.

Sophie Pouille, artiste« En dehors de tout l’intérêt depouvoir partager avec AntoineCazes et les familles notrecuriosité et notre fascination faceà l’étrangeté d’un objetexpérimental (une chambre à

brouillard), c’est la visite des unitésde recherche (laboratoire deModane...) qui m’a profondémentmarquée. Le rapport d’échelleentre l’objet infinitésimal recherchéet le gigantisme de la technologieutilisée m’a durablementinterrogée dans ma pratique. Cedispositif fascinant m’a amenéeà travailler sur ma première piècemultimédia, Effluence, et redoublemon intérêt pour de nouvellescollaborations avec le mondescientifique. »

Antoines Cazes, physicien à l’Institutde physique nucléaire de Lyon« La relation mise en place avecles familles est particulièrementenrichissante. J’ai beaucoupapprécié leur investissement, leurcréativité. C’est une manière trèsoriginale de parler de science, quim’inspirera sans aucun doute àl’avenir. L’autre aspect trèssingulier de l’incubateur tientdans cette rencontre entreun scientifique et une artiste.La confrontation entre deuxfaçons d’imaginer le monde donneune autre dimension à mestravaux, permettant parfois, trèsétonnamment, de les comprendredifféremment. »

Monique G. et Gilles B., participants à l’Incubateur #2« C’est la curiosité qui nous apoussés à participer àl’incubateur : nous n’avons pas étédéçus ! Tout d’abord, nous avonsréalisé une véritable expériencescientifique : ce qui nous auraitauparavant semblé inimaginables’est révélé à notre portée. Ensuitenous avons côtoyé une artiste et

un chercheur avec qui nous avonspartagé, discuté, questionné, àpropos de l’expérience elle-même,mais aussi de la recherche, de l’artcontemporain… Nous neconnaissions pas du tout ces deuxunivers. Cette découverte, ceséchanges ont modifié l’image quenous en avions, ils nous semblentdésormais plus accessibles, plusproche de nous. » ■

Incubateur #1, saison 2014/2015Scientifique : Thierry Stolarczyk (CEA Saclay)Artiste : Laurent MulotExpérience : électroscopeExposition : ENTRE//MONDES

Incubateur #2, saison 2015/2016Scientifique : Antoine Cazes (IPNL Lyon)Artiste : Sophie PouilleExpérience : chambre à brouillardExposition : BOITES NOIRES, Empreintes dumonde et paysages intérieur

www.incubateur-art-et-science.com

Séance de travail au Planétarium.

Bénédicte, Alice et leur électroscope.

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1. www.ez3kiel.com/exposition/

2. www.palais-decouverte.fr/fr/au-programme/expositions-temporaires/

Les arts et les sciences

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 89

Si, il y a une dizaine d’années, le nombre de projetsartistiques s’appuyant sur les nouvelles connaissancesou sur les nouvelles technologies était relativementrestreint, il en va tout autrement aujourd’hui. Quece soit dans les centres dramatiques, dans le réseaudes scènes nationales ou dans les plus modestescompagnies de théâtre de rue, les projets foisonnentqui intègrent les nouvelles connaissances, qui utilisentles dernières technologies, qui font du rapport auxsciences leur raison d’être, nourrissant le répertoire,suscitant de nouvelles écritures.

D’autre part, les réseaux de la culture scientifiqueet technique, réseaux inventifs et opiniâtres, en quêteconstante de nouvelles formes d’adresses aux publics,construisent de plus en plus de projets en faisant appelà des artistes, avec plus ou moins de fortune dans l’accompagnement de ces projets.

Les enjeux éducatifs, sociaux, culturels, les enjeuxde développement humain et de développement écono-mique des territoires sont tels qu’on ne peut laisser laréussite de ces connexions à cette seule fortune.

Plusieurs éléments viennent fragiliser la réussitede ces projets :

● Le prima éducatif : si la poésie est le plus sûrdétour vers la réalité, son instrumentalisation la faitimmédiatement disparaitre et réduit à néant les effortsde constitution d’un projet qui serait tout orienté versl’explication d’un phénomène. Comme nous avonspu le constater avec l’exposition des Mécaniquespoétiques d’EZ3kiel1 créée à l’Atelier Arts Sciences,présentée au CCSTI de Grenoble puis au Palais de ladécouverte, ou avec XYZT, les paysages abstraits2, instal-lation d’Adrien Mondot et Claire Bardaine visible auPalais de la découverte jusqu’en janvier 2016, lesœuvres, quand elles conservent leur intégrité tant dansla création que dans leur présentation, ont une formed’efficacité incomparable pour le développement dela curiosité, de l’appétence pour les sciences, pour ledéveloppement d’un rapport gratuit à la découverte,cette chose mystérieuse qui pousse l’artiste comme lescientifique à poursuivre un projet.

● La diversité des domaines : au gré des projets, lesacteurs de la CSTI accompagnent des chorégraphes,des plasticiens, des gens de théâtre, des artistes du net...Or, on ne travaille pas de la même manière avec unplasticien, un chorégraphe ou un metteur en scène ;chacun a ses méthodes de travail, sa culture. Devantla complexité de chacun des domaines, la cocons -

truction avec les structures spécialisées du territoiredevient un gage de réussite.

● Le manque d’outils adaptés : bien que le mouve-ment des CCSTI soit né au sein des maisons de laculture, il ne garde pas dans sa mémoire collective unrapport aux œuvres construit et étayé. Ses modes d’action restent largement surdéterminés par la fonction première des CCSTI : socialiser les scienceset techniques et construire le débat sociétal autourdes sciences. En découle une difficulté à prendre enconsidération les particularités de l’accompagnementdes œuvres en train de se faire, à prendre en compteles conditions de la présentation des œuvres (maitriserle son, la lumière, l’image...). Et bien que la pratiquede l’exposition construise un savoir-faire certain dansla présentation d’un discours scientifique et technique,le respect des conditions d’apparition de la poésiedans les performances et les arts vivants reste encoretrop souvent fragile.

Pourtant le monde de la CSTI perçoit très bien lanécessité de collaborer avec le secteur des arts vivants,ne serait-ce que pour la capacité qu’un artiste déve-loppe à s’adresser au public. Compétences que lesmédiateurs des musées ou des centres de sciencesdoivent pouvoir eux aussi développer. Mais couperces compétences techniques de l’essence de leur fonction, l’apparition de la poésie, ne rendra pas àl’expo sition scientifique la vigueur souhaitée. Le gestesera vidé par l’instrumentalisation : alchimie complexe.

ANTOINE CONJARD

Directeur de l’Hexagone - Scènenationale Arts Sciences (Meylan)

Arts vivants et CSTI : la bataille des imaginairesComment concilier message scientifique et poésie ? Quelles conditions doiventêtre réunies pour qu’une action soit à la fois artistique, scientifique et technique ?

EZ3kiel, L’orgue à flacons,verrophone à air, 2009.Soulever les bouchons libère les sonsdes flacons.www.ez3kiel.com/download/MecaniquesDoc/orgueaFlacons.pdf

DR

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Les arts et les sciences

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De nouveaux modes d’action s’inventent donc quiempruntent aux deux mondes, celui des arts et celuides sciences et techniques. Et ce n’est là que résonanceavec la réalité des pratiques culturelles. La culture auXXIe siècle est tout à la fois artistique, scientifique ettechnique.

En découle une action artistique scientifique ettechnique nouvelle qui prend en compte les troisdimensions : intermédiale (un même projet s’exprimeau travers de médias différents), interdisciplinaire(un même projet se construit avec des disciplinesdifférentes), transversale (un même projet se construitavec des filières et des réseaux différents). Du pointde vue de la réception comme du point de vue de laproduction, ce contact avec les nouvelles connais-sances va nourrir de manière particulière les acteursde cette culture artistique scientifique et technique.Les nouvelles connaissances concernant le cerveauferont aborder l’éducation populaire sous un anglenouveau. La prise en compte de l’individuationpsychique et collective, les logiques de transindivi -duation dans un milieu massivement technologique,toutes choses que l’éducation populaire traditionnellen’a para doxa lement presque jamais prises en compte,permettent d’envisager des dispositifs de constitutiond’une éco logie de l’attention au cœur des enjeuxactuels. Et l’on redécouvrira que nous avons besoinde construire un registre esthétique connecté au

champ politique pour trouver une forme de laïcitétechnologique, c’est-à-dire construire du libre arbitre,une citoyenneté planétaire émancipée des courantsde pensée superstitieux, purement économistes oupost-humains, voir anti-vivant. Tout en faisant la partde ce qui relève de la fable, de ce qui relève dedémarches scientifiques – en déjouant le senscommun, art et science s’appuient sur des « logiquesdifférentes » – le détour par l’art permet de remettreen jeu les représentations rigides d’un monde changeant perpétuellement et rapi dement. Commele montre Frédérique Aït Touati dans Contes de laLune 3, Kepler utilise la fable pour permettre à sescontemporains d’ouvrir leur imaginaire à d’autrespoints de vue construits par les nouvelles connais-sances scientifiques de l’époque. Nous avons besoinde nouveaux contes de la Lune pour faciliter notrecompréhension des nouvelles connaissances et notreappropriation individuelle et collective des enjeuxcontemporains.

Faire travailler ensemble les réseaux des arts vivantset les réseaux de la culture scientifique et techniqueest un enjeu majeur d’une éducation artistique scienti -fique et technique du XXIe siècle qui doit s’avérercapable de répondre à la mondialisation des idées, àla transition numérique, au devenir à la fois local etplanétaire de la bataille des imaginaires. ■

3. Frédérique Aït Touati, Contes de lalune. Essai sur la fiction et la science

modernes, Paris, Gallimard, 2011.

Une installation de l’exposition « XYZT,les paysages abstraits », imaginée,

conçue et réalisée par la compagnieAdrien M / Claire B. Palais de la

découverte, juin 2015-janvier 2016.

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1. www.light2015.org

2. Galerie Jaeger Bucher, Paris,mai-juillet 2015.

3. Les vidéos des interventions de cettejournée inaugurale sont en ligne :www.lumiere2015.fr/ressources/videos-ceremonie-de-lancement-2015-annee-de-la-lumiere-en-france

4. Atelier dans le cadre de lacollaboration franco-suisse SMYLE entre l’université de Franche-Comté - FEMTO-ST et l’École polytechniquefédérale de Lausanne - Institut demicrotechnique.

5. www.fr-doeblin.cnrs.fr

6. « La lumière au prisme d’AugustinFresnel entre arts et sciences (1790-1900) », auditorium du Louvre.

7. www.mudam.lu/fr/expositions/details/exposition/eppur-si-muove

Les arts et les sciences

CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager 91

Astrid Brandt-Grau : 2015 est l’Année internationalede la lumière. Comment s’est organisé cet évènement enFrance ?

Michel Menu : L’Organisation des nations unies(ONU) a proclamé 2015 « Année internationale de lalumière et des techniques utilisant la lumière ». Cettedécision est l’aboutissement des travaux d’un consor-tium d’acteurs de la recherche, de l’enseignement, destechnologies, du monde associatif et du secteur privé,en partenariat avec l’UNESCO. L’objectif est de faireprendre conscience du rôle majeur de la lumière dansnotre vie quotidienne et pour le futur, de mieux saisirson impact sociétal, économique et écologique, desensibiliser les citoyens à son importance dans lesdomaines de l’énergie, de l’éducation, de l’agriculture,de la santé et de la culture.

L’Année internationale de la lumière célèbreplusieurs dates de l’histoire de la recherche, j’en citeraiquelques-unes. Le savant arabe Alhazen (Ibn Al-Haytham) écrit en 1015 un grand traité d’optique. En1815, Augustin Fresnel est lauréat du prix de l’Aca -démie des sciences pour ses travaux sur l’optique ondu-latoire ; avec le soutien d’Ampère et d’Arago, il a réussià convaincre les académiciens des sciences, newtoniensfarouches jusqu’alors partisans de l’optique corpuscu-laire. Il y a aussi la découverte de la transmission parfibres optiques en 1965, et la même année la mise enévidence du rayonnement cosmique fossile, consé-quence du Big Bang...

Le lancement de l’Année internationale de lalumière1 a eu lieu le 19 janvier 2015 à l’UNESCO. EnFrance, l’année est parrainée par Claude Cohen-Tanoudji et Serge Haroche, tous deux prix Nobel dephysique. Un comité national présidé par CostelSubran, personnalité éminente dans le domaine del’optique, coordonne les évènements en lien avec descomités régionaux. Le comité national comprendplusieurs commissions spécialisées : astronomie,culture, éducation/jeunesse, éclairage/vision, santé. Jeparticipe à la commission culture, avec Costel Subran,Éric Lambouroud, directeur de la communicationd’OpticsValley, et l’artiste Éric Michel. Nous sommeschargés de labelliser les propositions qui nous sonttransmises chaque semaine. Nous choisissons aussichaque mois un « coup de cœur ». Les initiatives dansle domaine culturel sont très diverses : expositions,lectures de poèmes liés à la lumière, pièces de théâtre,feux d’artifice, etc. Par exemple, en juin 2015, notre

coup de cœur était une exposition de l’artiste alle-mande Evi Keller, intitulée « Matière-Lumière »2. Unautre exemple : le son et lumière « À la belle étoile »au Pont du Gard du 17 juillet au 16 août, qui s’insèredans le programme culturel du 30e anniversaire del’inscription de ce monument au Patrimoine mondial.Les actions labellisées sont répertoriées sur notre siteweb : www.lumiere2015.fr. Parallèlement, la commissionculture est chargée de réfléchir à l’événement final,prévu début 2016 à Paris.

A.B.-G. : Qu’est-ce que la culture apporte à cet évè -nement? En quoi le fait que le secteur culturel soit associéà cette Année de la lumière peut-il changer la perceptiondu public ?

M.M. : La journée inaugurale de l’Année de lalumière en France, le 8 janvier 2015 à la Sorbonne3,a d’emblée mis en avant la dimension culturelle dela lumière. Vincent Delieuvin, conservateur au dépar -tement des peintures du Louvre, a évoqué ladémarche à la fois scientifique et artistique deLéonard de Vinci qui a consacré de nombreusesannées à étudier l’incidence de la lumière sur un corpsopaque et le passage de la lumière à l’ombre. ClaudineTiercelin, philosophe, professeur au Collège de France,a centré sa communication sur les idéaux desLumières au XVIIIe siècle. Et l’écrivaine Hélène Cixousa lu un très beau texte, « Écrire la nuit », inspiré parla mort de Goethe.

On sait que la lumière est un matériau artistique,pensons à Victor Vasarely, promoteur de l’art optique,et aux artistes du GRAV (Groupe de recherche en artvisuel, 1960-1968).

Jusqu’au XIXe siècle, la culture n’était pas dissociéedes sciences, cette séparation est récente. L’Année dela lumière promeut une approche pluridisciplinaire :plusieurs colloques croisent les arts et les sciences, parexemple « Les Lumières de la vie » à l’université ParisDiderot, un atelier à la Saline royale d’Arc-et-Senans4,les journées de l’optique à Nice5, le colloque organiséà Paris avec Gérard Mourou (phycicien, École poly-technique) et Monica Preti (musée du Louvre) ennovembre 2015, sur les découvertes de Fresnel et surles évolutions, au siècle suivant, de la représentationde la lumière en peinture, du romantisme à l’impres-sionnisme6. Une remarquable expo sition au Mudamà Luxembourg7, « Eppur si muove » (« Et pourtant elletourne », célèbre expression de Galilée) fait dialoguer

Le ministère de la Culture et de laCommunication a soutenu « 2015 Annéede la lumière en France ».

2015, année de la lumièreEntretien avec Michel Menu, chef du département recherche au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF).

À lire

● Photonique, la revue dessolutions optiques, hors série n° 1,janvier-février 2015 : dossierAnnée de la lumière.

● Technè, revue du C2RMF : – n° 4, 1996 : La couleur et sespigments– n° 9-10, 1999 : Couleur etperception– n° 12, 2000 : L’art et l’électricité– n° 15, 2002 : La vision desœuvres

● Lumière-Couleur, Dialoguesentre art et science, catalogue del’exposition, Cloître des Cordeliers(15 juin-15 juillet 2005), Paris,éd. C2RMF, 2005.

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des objets scientifiques sortis des réserves du CNAMet des œuvres contemporaines. Une autre, « L’œilphénomène », à la Fondation Vasarely8, questionnela perception visuelle, avec des œuvres du GRAV etde Michel Paysant. Cet artiste dessine à l’échelle nano-métrique, ces œuvres ne peuvent être vues qu’à l’aided’un microscope électronique à balayage (MEB).

Le Centre de recherche et de restauration desmusées de France (C2RMF) est un lieu où travaillent

historiens de l’art, archéologues et physico-chimistes,un lieu à la croisée des disciplines. Lorsque nousavons ouvert le centre au grand public pour la Nuitdes musées, nous avons dû refuser du monde, signede l’intérêt suscité par nos recherches. La Francecompte aujourd’hui moins de scientifiques qu’il y aune vingtaine d’années, mais il me semble que ledialogue art-science peut contribuer à réenchanterla science. ■

8. 19/06/2015-20/09/2015,www.lumiere2015.fr/evenement/exposition-loeil-phenomene-les-

artistes-du-grav-michel-paysant/

Les arts et les sciences

92 CULTURE ET RECHERCHE n° 132 automne-hiver 2015-2016 Sciences et techniques, une culture à partager

Olafur Eliasson, Colour square sphere, 2007. Laiton chromé, verre filtrant, miroir, acier inoxydable, aluminium. Ø 125 cm Studio Olafur Eliasson, 2007

Photo : Jens Ziehe.

Courtesy de l’artiste, Neugerriemschneider, Berlin,

et Tanya Bonakdar Gallery, New York.

© Olafur Eliasson

Entretien réalisé le 21 juillet 2015.

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Les référentiels d’éducationsocioculturelle de l’ensei gnementagricole préconisent de réaliser enterminale bac pro, quelle que soitla filière, un projet artistique. Ledomaine artistique retenu pour leprojet fait l’objet d’une étudepréalable puis une trentained’heures sont dédiées dansl’année pour réaliser et évaluer ceprojet.Cette année, avec les élèves determinale bac pro CGEA(conduite et gestiond’exploitation agricole), j’aisouhaité aborder la photographied’une manière différente, plusludique, tout en donnant un échoà l’initiative internationaledécidée par l’ONU : « 2015,année de la lumière et destechniques utilisant la lumière ».Pour ce faire, j’ai choisi latechnique du lightpainting, quiconnait un vif succès cesdernières années. L’Année de lalumière offrait de plusl’opportunité de lier despratiques artistiques à des thèmestechniques de l’agriculture : laphotosynthèse et l’impor tance dela lumière dans l’élevage desanimaux. Les élèves pourraientdonc facilement y trouver unintérêt. Je voulais enfin que cetravail aboutisse à une expositionoù la réalisation, la scénographieet l’accueil du public fassentégalement partie du projet et del’évaluation.Rapidement, l’idée que ce thèmedépassait le seul cadre des coursd’enseignement socioculturel afait son chemin et d’autresdisciplines sont venues s’y greffer :la zootechnie, les travauxpaysagers, l’agro nomie, laphysique… Un projet plus global,que nous avons intitulé Lumin-essence, a été présenté au conseild’administration du premiertrimestre de l’année scolaire 2014-2015 afin de solliciter unesubvention de la région Ile-de-France.

Ainsi, tout au long de l’année, lesélèves de filière agricole ontabordé en cours des questions enlien avec le projet. Et pour lesinitier au lightpainting, nousavons contacté l’artiste GuilhemNicolas, alias Jadikan, qui aaccepté de participer à cetteaventure et que nous avonsaccueilli lors de plusieurs sessionsdans notre lycée. Les élèves se sont essayés à cettetechnique photographique et, trèsrapidement, y ont trouvé duplaisir et de l’inspiration,fabriquant même des outils pourcréer leurs photographies. Lelightpainting s’opère dans le noir,avec des temps de pose longsnécessaires pour insérer deséléments lumineux. C’est une technique qui n’autorise pas lesretouches, la photo doit êtrepensée et réalisée en une seule fois,telle un tableau. La photosynthèse(processus par lequel la matière sefabrique grâce à l’énergie solaire),évoquée en classe, avolontairement été retenue pourêtre détournée : les prises de vuese déroulant la nuit, en extérieur,les élèves ont dû créer leur propresource d’énergie pour faire« pousser leur création » aucontact des éléments naturels.Cette première étape du projet aabouti à une série dephotographies.La seconde étape a été lapréparation de l’exposition,baptisée « Obscuresphotosynthèses », présentée le24 mai 2015 lors de la journéeportes ouvertes du lycée, véritableanimation rurale sur le territoire.Outre l’expo sition dephotographies, les élèves ontaménagé des saynètes florales surle thème, et réalisé uneprésentation de l’influence de lalumière sur les éléments végétauxet animaux. Plongées dans le noir,avec des reconstitutionsd’éléments naturels et la présencede quelques néons colorés, les

photographies prenaient unedimension presque magique,irréelle. Certains visiteurs ont étéjusqu’à penser qu’« en plein jour,rien ne se voit ». Pour le publicextérieur, le projet Lumin-essencea constitué une découverte à lafois artistique, scientifique etludique.Les élèves ont ensuite été évaluéssur leurs connaissances dans ledomaine artistique retenu maisaussi sur leur implication dans leprojet. Outre la découverte d’unetechnique artistique, ils ontacquis une véritableméthodologie de projet,développé une bonne cohésion degroupe mais aussi de l’estime desoi, et ils ont amélioré leurscompétences en communication.Pari réussi donc pour cette« obscure photosynthèse ». ■

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AUDE CANALEEnseignante d’éducation socioculturelleLycée d’enseignement professionnelagricole La Bretonnière

Le projet sur youtube :https://youtu.be/FqQbkOim5Is

LUMIN-ESSENCE,  

PROJET ARTISTIQUE EN LYCÉE AGRICOLE

Projet Lumin-essence  : deux desphotographies réalisées avec latechnique du lightpainting par les élèvesdu lycée d’enseignement professionnelagricole La Bretonnière.

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1. Doctorat SACRe (Sciences, Arts,Création, Recherche)  : www.univ-

psl.fr/fr/main-menu-pages/3379/

2. Laboratoire de recherche de l’Écolenationale supérieure des arts décoratifs

(www.ensadlab.fr).

3. Eduardo Wesfreid, directeur derecherche émérite au CNRS, PMMH,

ESPCI, Nadeije Laneyrie-Dagen,Professeure d’Histoire de l’Art, DHTA,

ENS

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MARIE-LUCE NADAL Architecte et artiste plasticienne,

doctorante SACRe (Paris Scienceset Lettres)

EFFLEURER L’ATMOSPHÈRE

Mes travaux se conçoiventcomme autant de propositionsjouant de l’ambivalence desprincipes d’immanence etde disparition. Les questions dechangement climatique ont valeurde support pour chacune de mesrecherches, et l’atmosphère estle point de départ d’une rêverieesthétique qui envisage notrerapport à la nature. J’envisage ceconcept, l’atmosphère, commeune structure spatiale de référenceassurant une forme d’immunité àtout être humain et exerçant surlui réciproquement une action.Formées de substances diffuses,les atmosphères sont d’échelles etde consistances variables et leursstructures se modifient au coursdu temps. De même, les limites et

contours d’une atmosphère sontdifficilement saisissables. Pourtantla qualité de sa composition influesur les individus qui y évoluent.Le doctorat SACRe1, que je mènedans le cadre de l’EnsadLab2 àPSL Research University, est undoctorat en art par la pratique,codirigé par un physicien et unehistorienne d’art3. Il s’inspire desprocessus scientifiques que j’ai puobserver en laboratoire et dontj’ai détourné les usages au profitde la métaphore, de la poésie ou encore de l’enquête épistémologique.Je travaille sur la notion decontrôle et je m’attache à captureret cultiver les substances quiforment l’atmosphère, qu’ellessoient physiques ou alchimiques.Chaque production est une

nouvelle expérimentation pourtenter de comprendre d’unefaçon sensible notre rapportà l’atmosphère. Les Apparencesdu hasard (2012) est la miseen exergue des effets d’élémentsnaturels et météorologiques surun lieu, par des installations.La Fabrique du vaporeux (Palaisde Tokyo, 2015) est unlaboratoire portatif duquel sontextraites des essences de nuageset d’orages provenant dedifférents endroits du monde.La Grâce et la Nature, montréecette année dans l’exposition« Le Parfait Flâneur » à Lyon etinitiée avec l’Institut Curie(EpiGeneSys) est une expériencede maitrise d’une populationde mouches dans un système clos.L’un des objectifs de cettedomestication d’insectes réputéssauvages est de mettre enévidence la volonté – abusive –et la possibilité – éventuelle –d’un contrôle absolu du monde.Mais dans quelles mesures, à partir de ces expérimentations esthétiques effleurant l’atmosphère, est-ilpossible de capter et restituer lafragilité et la consistance de celle-ci ? Saisie de la météorologie d’uninstant (Palais de Tokyo, 2015)tente d’en retranscrire le spectre.Cette capture de captures est unprotocole (ou rituel) visant àrestituer chaque expérienceexposée sous une forme tangiblequi ne se réduise pas à unenregistrement visuel(photographie ou vidéographie)ou sonore (enregistrement audio) et ne relève pas de la retranscription verbale (sondage ou récit).L’expérience – autrement narrative – d’un instant se présente sous la forme de plaqueschromatiques chimiquementrévélées, appelées atmogrammes,qui restituent l’atmosphèrecénesthésique : autrement ditles matières et substancesimpalpables mais pourtantprésentes qui constituent uneatmosphère sensible. ■

Vue de l’exposition « Le Parfait Flâneur »,en résonance avec la Biennale de Lyon.

Exposition hors-les-murs du Palaisde Tokyo (10 sept. - 4 oct. 2015). Dans le

cadre des modules FondationPierre Bergé - Yves-Saint-Laurent.

Vue de l’exposition personnelle« La  fabrique de nuages », Dans le cadre

des modules Fondation Pierre Bergé -Yves-Saint-Laurent, Palais de Tokyo.

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LES MATÉRIAUX ÉMERGENTS

À L’ÉPREUVE DE L’ART CONTEMPORAIN

Ma recherche porte sur lesnouvelles formes de rencontre dessensibilités entre l’homme et lamatière. La matière émergenteconçue aujourd’hui dans leslaboratoires est astucieusementefficace : les scientifiquess’inspirent des agencementsintelligents que la matière vivantea optimisés au fil des générations,ou structurent l’infiniment petitpour atteindre des propriétésjusque-là inimaginables. L’artiste sculpte non pas la formeextérieure mais les sous-structuresinternes de la matière, non pasl’objet mais ses propriétés.Prenant acte de son passage parle monde des idées, la matièrese pose comme présence à la foistangible et immatérielle, matière

et matière grise. Une matière dontle toucher – de l’effleurementpoétique à la tactilité contenante,de l’enlacement amoureux àl’écrasement destructeur – peutnous toucher au plus profond.Une substance performeuse,puisque performante et active,

dont l’intense présence et lacapacité d’étrangéisation du réeléveillent des sentimentsesthétiques d’une grande richesse.Elle se fait responsive pour donnercorps à des œuvres interactivesd’un autre genre, avec lesquellesnous entrons en relationdirectement par le langage de lamatière, sans passer par lenumérique.

Programmer la matièreMon travail artistique prendla forme d’installations quiconvoquent les hautestechnologies sans faire appel aunumérique. Toutes tendent versce qui constitue ma quête ultime,la limite de plus en plus ténueentre le matériau inerte et

la matière vivante, entre le naturelet l’artificiel. Le questionnementde ce que serait un matériauhybride, mi-inerte mi-vivant.La matière émergente que j’utilise,extraordinairement présente cardifférente des matières de notrequotidien, y est mise en scène au

sens propre comme au figuré.Propriétés hydrophiles/hydrophobes (dans Hydrophilyet Couleur métal), circulationmicrofluidique (Trafic),impression 3D d’ADN (PremièreImpression), génération deprotocellules (Proto-Historictrafic) : mes travaux nécessitentd’acquérir à chaque fois un savoir-faire que je demande auxchercheurs des laboratoiresde m’offrir. L’interactivité entrele public et la matière de mesdispositifs est directe et mepermet de poser les questions quim’importent, sur notre être aumonde et sur nos pouvoirsdangereusement sans limites surla matière et sur la vie. ■

DOMINIQUE PEYSSONArtiste plasticienne, chercheure post-doctorale à l’École nationale supérieuredes arts décoratifs

Dominique Peysson, Trafic,décembre 2014.Installation art et science microfluidique.Design avec Adrien Bonnerot.Conseil scientifique Patrick Tabeling etFabrice Monti, laboratoire MMS, ESPCI.Dans le cadre du programme ReflectiveInteraction/EnsadLab.Avec le soutien de Paris 1 PanthéonSorbonne et de PSL.

Dominique Peysson est aussi docteur enarts et sciences de l’art, docteur enphysique et ingénieure de l’Écolesupérieure de physique et chimieindustrielles de Paris. Son travail articulerecherche en art, science des matériauxet pratique artistique.

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Fascinée par le besoin des hommes de façonnerun monde organisé et d’en tirer un discours unifié,l’artiste Camille Henrot s’est attachée à collecter diffé-rents récits et représentations tendant à synthétiserles connaissances en un seul objet. Étudiant commentdes savoirs hétérogènes peuvent être compilés, s’enrichir ou se contredire, elle a entrepris de carto-graphier certains systèmes et pratiques qui tendentà véhiculer une histoire singulière de l’univers. En2012, Camille Henrot a pu, grâce à une bourse derecherche, travailler à la Smithsonian Institution deWashington, accéder aux collections et y rencontrerdes chercheurs. L’institution muséale, qui constitueelle-même une tentative de synthèse organisée dumonde, lui a permis « d’avoir accès à beaucoup d’infor -mations. » Tel que l’artiste le formule, ce projet « étaitun peu une justification de ma propre curiosité dansla mesure où j’avais envie de tout regarder1 ». Lesprocessus de sélection d’objets destinés à la conser -vation, et le mode de classification rationalisée d’unecollection, l’intéressent en ce qu’ils participent à laconstruction d’une image organisée et intelligible dumonde – manière à la fois de le comprendre et/ou dele maitriser. Sa démarche à la Smithsonian Institutions’est traduite par la réalisation d’un film, Grosse fatigue,récompensé par un Lion d’argent à la Biennale deVenise en 2013. Invitée à poursuivre ce travail et à leprésenter cette fois sous forme d’exposition au Centred’art et de recherche Bétonsalon – engagé depuisplusieurs années dans un questionnement lié à laproduction et aux usages du patrimoine – CamilleHenrot a été accueillie au Muséum national d’histoirenaturelle dans le cadre d’une convention établie entreles deux institutions2. En mettant en action le principede « perméa bilité » des structures culturelles, les deuxpartenaires voyaient dans ce projet la possibilité detester les pratiques de coproduction, de penser denouveaux environnements d’exposition et de créerdes dispositifs culturels innovants.

Au Muséum, Camille Henrot souhaitait notam-ment observer ce qu’elle n’avait pas pu voir à la Smith-sonian Institution, pour continuer à creuser la question de l’accumulation, de la dénomination etdu classement. Au cours de ses rencontres avec les chercheurs (arachnologue, ethnologue, paléonto-logue…), elle a posé de nombreuses questions

traduisant à la fois sa découverte des sciences duvivant et sa très grande curiosité des pratiques de larecherche scientifique et de la collecte. Avec les chargésde collections, elle a visité des réserves et leurs collec-tions (zoothèque, galerie de paléontologie, herbiersdu Muséum…). Elle s’est plus tard exprimée sur cesvisites : « Face à cette question de la culpabilité dumusée dans son rapport à sa propre boulimie, j’aitrouvé que les responsables des collections auMuséum d’histoire naturelle de Paris avaient beau-coup réfléchi à ce sujet ; c’est quelque chose qui leshantait beaucoup3. »

L’accès privilégié à la plateforme de taxidermie luia également permis d’approfondir sa connaissancedes pratiques et de l’histoire de la taxidermie, ainsique du rôle de la subjectivité et des représentationsdu taxidermiste dans la réalisation d’un spécimen.Camille Henrot a beaucoup photographié, s’arrêtantsur l’insolite, le détail d’une naturalisation en cours,la multiplicité des matériaux nécessaires au travail detaxidermie, le contraste brutal entre un cadavre et lamain délicate en train de le disséquer. Enfin, l’agen -cement des espaces de travail a également suscité sonintérêt, à la surprise de leurs « habitants » : la façondont les bureaux sont peuplés d’éléments liés de prèsou de loin à la pratique de celui ou celle qui l’habite,parle tout autant de la personnalité du chercheur quede l’influence de son champ d’activité sur sa manièred’investir un espace.

Dans le processus de création de l’artiste, sontravail de documentation doit être précisé du fait desa singularité. Celui-ci repose en effet largement surl’usage d’outils numériques, qui permettent de collecter et de compiler une grande diversité de maté-riaux de sources variées. Camille Henrot a ainsi crééun index intitulé Atlas of the Atlas, véritable colonnevertébrale de l’ensemble de son projet artistique,qu’elle enrichit régulièrement et qui regroupe ses réfé-rences artistiques, scientifiques, et ses réflexionspersonnelles. Les matériaux qu’elle a collectés auMuséum (documents communiqués par les chercheurs, photographies prises par elle-même,recherches dans les archives et la bibliothèque duMuséum…) ont par ailleurs été rassemblés en unebase de données partagée pour l’étude, la sélectiondes « objets » et la réalisation de la production à Béton-salon. Tel que le dit elle-même Camille Henrot,

1. Conversation publique entre CamilleHenrot et l’anthropologue Monique

Jeudy-Ballini, Muséum nationald’histoire naturelle, 24 septembre 2014.

2. La recherche de Camille Henrot, enlien avec le MNHN et Bétonsalon, a été

soutenue par le ministère de la Culture etde la Communication dans le cadre de

l’appel à projets 2013  : « Pratiquesinterculturelles dans les institutions

patrimoniales ».

3. Ibid note 1.

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FABIENNE GALANGAU QUÉRATMaitre de conférences, Muséum

national d’histoire naturelle (MNHN)

GARANCE MALIVELCommissaire associée, Bétonsalon -

Centre d’art et de recherche

CAMILLE PATIES-VILLOUTREIXChargée de recherche (projet MeLa,

FP7-SSH), vacataire au MNHN

MÉLANIE BOUTELOUPDirectrice de Bétonsalon -

Centre d’art et de recherche

La recherche L’Enfant d’éléphantLa recherche L’Enfant d’éléphant est née de l’association du Muséum nationald’histoire naturelle et du Centre d’art et de recherche Bétonsalon autour d’unprojet artistique de Camille Henrot.

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« j’aime bien quand je ne comprends pas tout et jene prétends pas avoir une méthode scientifique. J’aima propre méthode. Mes procédés sont erratiques4 ».Cette méthode de travail intuitive, moins cadrée, plusinstinctive, moins structurée et normée que lapratique scientifique, a certainement limité l’usagecollaboratif de la base de données et son appro -priation par les chercheurs à qui il était proposé d’yréagir.

À la suite de ses visites au Muséum, l’artiste aétabli une liste d’objets à emprunter, pour être présentés dans l’exposition au même titre que lacollection hybride qu’elle avait constituée en amont,au fil de ses recherches à la Smithsonian. Le choixdes spécimens qu’elle a établi au Muséum s’est faitselon différents critères. Ainsi, des œufs de manchotroyal collectés sur l’ile de la Possession ont été sélec-tionnés pour l’ironie évidente de leur provenance,qui renvoie à une interprétation partielle du projetde collecte par les musées ; la peau de pangolin pourla capacité de cet animal à se replier sur lui-mêmeen une spirale parfaite, motif présent dans beaucoupdes domaines explorés par l’artiste ; les moulages dedents de morse et de narval permettaient, eux, d’évo-quer la notion d’original et de reproduction, ainsique les objectifs de « conservation » qui l’accompa-gnent. L’artiste a également emprunté certains desobjets trouvés dans l’environnement de travail deschercheurs : affiches, plumes, dessins d’enfants,coquilles d’oursin, badge du Muséum... Les moda-lités d’emprunt des objets issus des collections onttoutefois été complexes. La question des différentesvaleurs autour des objets et de leur présentation aété le point de discussion le plus palpable : unecrainte s’est fait sentir d’une part sur le fait que

l’artiste puisse véhiculer une image dissonante dumusée, associée à des collections inertes et inutilisées,et d’autre part en raison du prêt d’objets patrimo-niaux à une institution non patrimoniale. À la Smith-sonian Institution, Camille Henrot avait rencontrédes difficultés du même ordre, là où selon elle, « il yavait une certaine peur du regard de l’artiste sur cescollections, qui serait un regard sentimental, quiimmédiatement projetterait un jugement et unecritique5 ». Cette réserve observée dans les deuxétablissements muséaux quant à l’usage des objetsa rendu visible l’une des tensions qui existe autourde l’identité profonde du musée, entre conservationet transmission.

Suite à la phase de recherche collaborative menéepar Camille Henrot au Muséum, l’exposition intitulée« The Pale Fox » a été présentée à Bétonsalon du20 septembre au 20 décembre 2014. Elle emprunteson titre à l’ouvrage des ethnologues Marcel Griauleet Germaine Dieterlen, et au personnage du renardpâle, à la curiosité insatiable, qui incarne dans la cosmo-logie Dogon un principe à la fois créateur et destruc-teur. Ce dispositif était pensé comme une expériencevisuelle et sonore jouant à la fois sur l’effet d’accumu-lation et sur la création d’une narration à travers lajuxtaposition d’éléments divers, présentés davantagecomme une chambre en désordre que comme unecollection dans un musée. À la manière dont la muséo-logie de la rupture questionne le statut et le devenirdes objets, ceux empruntés au Muséum étaient iciexposés parmi des objets hétéroclites rassemblés parCamille Henrot au fil de ses deux années de recherche.Ainsi photographies des collections visitées, imageset articles issues de magazines scientifiques, artefactsempruntés à des institutions patrimoniales, objets

4. Entretien des auteures avecCamille Henrot, janvier 2014, Muséumnational d’histoire naturelle.

5. Ibid.

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Camille Henrot, The Pale Fox, 2014. Détail de l’installation exposéeà Bétonsalon – Centre d’art etde  recherche, Paris.

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trouvés, objets et livres achetés sur eBay, récits mytho-logiques, etc., ont été mis en dialogue au sein d’une« énorme machinerie de notions, de schémas, deconcepts et de références savantes6 ». Cette installations’est structurée autour des quatre axes fondateursd’une mythologie personnelle créée par l’artiste :chacun des quatre murs de l’exposition correspondantà une orientation cardinale, un âge de la vie, unélément naturel, et un principe philosophique deLeibniz, cette suprastructure nourrie de sources et decultures variées avait pour vocation de produire à sontour ce que l’artiste appelle une « histoire de l’histoirede l’univers ». « Je ne veux pas laisser croire qu’il y aquelque chose de précis à comprendre. Ce serait tropavare, trop restreint, trop petit. Je voulais au contrairequelque chose de généreux qui puisse être vu un grandnombre de fois avec des idées et des connexionsnouvelles. Je préfère être accusée de gratuité que dedidactisme. » Dans cette perspective, le travail deCamille Henrot rappelle les mots de Jean Marc Levy-Leblond, et semble à voir comme « une ressource derelativité et d’altérité : la preuve qu’il est possible, autrement que par la science, non seulement de perce-voir le monde (c’est une banalité), mais aussi de lecomprendre7 ».

Au final, cette expérimentation et observationde l’intérieur de nouvelles pratiques co-curatorialesentre deux structures en bien des points différentes(objets, dimension, histoire…) a permis de réaliserune exposition questionnant les tentatives d’ordon-

nancement du monde. Cette installation complexeet originale a été visitée par un public large et saluéepar la critique. Au-delà des diverses interrogationsque l’œuvre peut susciter, son processus de réalisa-tion a permis d’interroger encore une fois le phéno-mène patrimonial, la place des musées, l’image etles usages interculturels du patrimoine. Il a en parti-culier fait ressortir les écueils liés aux usages etvaleurs des collections, ainsi qu’aux différentes repré-sentations (de la part des artistes et professionnelsdes insti tutions culturelles) associées aux muséesd’histoire naturelle et aux structures d’art contem-porain. Il aura certes souligné des méthodes detravail spécifiques (différentes cultures profession-nelles et formes d’engagement à l’œuvre, induisantparfois des tensions ou résistances), mais les aurafait évoluer, et aura permis de mieux préciser lessouhaits et attentes de chacune des deux structuresen matière de mise en place de projets interculturels.Ce projet aura finalement ouvert la porte à denouvelles collaborations, et contribué à la pérenni-sation de pratiques transdisciplinaires au sein desdeux institutions. ■

6. « Camille Henrot, prêtresse duchaos ». Philippe Dagen, Le Monde,

12-13 octobre 2014.

7. J.-M. Levy-Leblond, La science n’estpas l’art. Brèves rencontres.

Paris, Hermann, 2010.

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Camille Henrot, The Pale Fox, 2014.Détails de l’installation exposée

à Bétonsalon – Centre d’art etde  recherche, Paris.

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Céleste Boursier-Mougenot,chorégraphie, 2012Galets de gave, dimensions variablesInstallation réalisée à l’occasion de l’exposition Céleste

Boursier-Mougenot, commissaire François Quintin,

galerie Xippas, Paris (8 septembre-20 octobre 2012).

Photographie F. Lanternier, Courtesy galerie Xippas,

© Céleste Boursier-Mougenot

© ADAGP Paris 2015

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CULTUREETRECHERCHE | N° 132 | AUTOMNE-HIVER 2015-2016 | SCIENCES ET TECHNIQUES, UNE CULTURE À PARTAGER |

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Secrétariat de rédaction : DOMINIQUE JOURDY,SG / SCPCI / DREST [email protected]

Conception graphique : MARC [email protected]

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14-18

N° 130 hiver 2014-2015

La recherche dans lesécoles supérieures d’art

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N° 127 automne 2012

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N° 126 hiver 2011-2012

Patrimoines des outre-mer

N° 125 automne 2011

Pour des états généraux du multilinguisme enoutre-mer

CULTUREETRECHERCHE informe sur la recherche au ministère de la Culture et de la Communication dans toutes ses composantes : patrimoines,création, médias, industries culturelles, développements technologiques appliqués au secteur culturel.Dans chaque numéro, un dossier thématique apporte un éclairage sur un axe prioritaire de l’action du ministère. CULTUREETRECHERCHE rendcompte de travaux d’équipes de recherche que le ministère ou ses partenaires soutiennent, de projets européens concernant le secteurculturel, de sites Internet et publications scientifiques produits par le ministère et ses partenaires. Pour s’inscrire sur la liste de diffusion, ou pour tout renseignement : [email protected]

CULTUREETRECHERCHE est disponible au format pdf sur le site Internet du ministère de la Culture et de la Communication : www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Recherche-Enseignement-superieur-Technologies/La-recherche/La-revue-Culture-et-Recherche

Pourquoi un dossier consacré à la culture scientifique, technique et industrielle ?Parce que ce domaine est en pleine évolution et interroge les rapports entre l’État,les collectivités territoriales et les multiples parties prenantes. Le ministère de la Cultureet de la Communication souhaite aujourd’hui renforcer son soutien aux nombreusesinitiatives des acteurs de terrain, favoriser les partenariats et les expérimentations. Accompagner et valoriser les pratiques culturelles dans le champ de la culturescientifique, technique et industrielle, réinvestir les enjeux épistémologiquesdes sciences, tels sont les grands objectifs d’une politique renouvelée au niveau localet national.Ce numéro donne la parole à de nombreux acteurs : chercheurs, représentantsd’institutions, d’associations, de centres de culture scientifique, technique et industrielle(CCSTI), de médiathèques, de structures artistiques... Il expose une diversité de pointsde vue et de pratiques qui rendent compte d’une nouvelle dynamique du dialoguesciences-société dans laquelle la culture trouve désormais toute sa place.