2
~DITORIAL Scl rodermie syst mique et cancer P.Y. HATRON* Rev Med Interne 1991 ; 12 : 331-332. L'incidence ~lev6e de nOoplasmes au cours de certai- nes connectivites est une rEalit~ maintenant bien dOmontrEe par de nombreuses Etudes ~pid~miologiques. Du point de vue chronologique, deux ~ventualit~s bien diff(~rentes sont ~a oppo- set : Dans la premiere, les diagnostics de cancer et de con- nectivite sont fairs de fa~:on simultan6e ou presque faisant alors discuter le caractEre paran(~oplasique de la maladie system ique : c'est le cas de certaines dermatopolymyosites, d~j~ envisag~ dans cette revue (1), et ~galement de rares vascularites, ou beaucoup plus exceptionnellement encore de certaines polyarthrites (2). -- Dans la seconde, le n~oplasme survient aprEs plusieurs ann~es d'~volution de la con nectivite, apparaissant comme une complication. Le syndrome de Sj6gren est sans aucun doute la dOmonstration la plus convaincante de cette rela- tion entre maladie auto-immune syst~mique et n~oplasme, I'incidence des Jymphomes non hodgkiniens, souvent de haut malignitY, y ~tant en effet quarante fois plus ~lev(~e que dans la population gOnOrale (3). Des faits analogues ont ~t~ Ogalement d~crits pour la po- lyarthrite rhumato'ide mais le risque de lymphome n'y est que deux h trois fois sup~rieur h celui de sujets contr61es (4). II est vraisemblable que I'hyperstimulation et la prolif&ation des lymphocytes B existant dans ces maladies favorisent la transformation maligne d'un clone lymphocytaire. L'augmentation ou une dysr~gulation de I'expression de certains proto-oncogEnes pourraient ~galement jouer un r61e d~terminant dans cote ~volution (5). Le cas de la scl~rodermie, envisag6 dans les deux articles de ce num~ro, est sensiblement diff&ent. En effet, les nOoplasmes dont I'incidence appara?t pl us ~lev~e au cou rs de cette con nectivite sont des tumeurs solides et singuliErement, pulmonaires : d~j~a suspect,s par la publication de nombreuses observations isol~es, revues en 1980 par Talbott et coil (6), ces faits ont (~t~ confirmOs par deux ~tudes ~pid~miologiques r~centes, portant sur un nom- bre important de patients, respectivement 71 et 262, surveill~s de fa~:on prolong~e (7, 8). Les r~sultats sont relativement concordants : la premiere rapporte un risque de cancer pulmonaire au cours de la sclOrodermie multipli~ par 4,4 par rapport aux sujets contr61es, dans la seconde Je risque appara?t multipli~ par 16,5. Les types * Service de M~decine Interne A ; HOpital CI. Huriez ; CHU ; 59037 LILLE C~dex. histologiques les plus fr~quemment rencontres ~taient des adOnocarcinomes ou des cancers ~ petites cellules. La classique pr~pond&ance du bronchiolo-alv~olaire, qui ~tait le cas de 26 observations des 41 col lig~es par Talbott et coll., n'~tait donc pas confirm6e par ces deux (~tudes. Ces derniEres concordent ~galement sur le fait que le cancer pulmonaire survient toujours sur une fibrose pulmonaire prO-existante, Ovoluant depuis plusieurs ann~es, et qui repr~sente pour ces patients le seul facteur de risque significatif, ~ I'exclusion du tabac ou des traitements im- muno-suppresseurs. 11 appara?t donc vraisemblable que I'inci- dence ~lev~e des cancers observes au cours de la scl&odermie soit en fait en relation directe avec la fibrose pulmonaire, que le cancer n'en soit qu'une complication et on salt d'ailleurs que la fibrose pulmonaire primitive est ~galement un facteur de risque n~oplasique ou que les m~canismes immun s g~ne~rant la fibrose favorisent ~galement la carcinog~nEse. La physiopathologie n'en est en effet qu'au stade des hypotheses : diminution de la clai- rance des carcinogEnes consequence des alt&ations de I'ar- chitecture pulmonaire, transformation maligne favoris~e par I'hyperplasie ~pith~liale caract&isant la fibrose pulmonaire (4). La su rvenue de cancers d'autres Iocalisations (sein, oesophage), d~couverts de fa~:on simultan~e ou au cours de I'~volution de la connectivite, a ~galement ~t~ rapport~e (9). Cependant, aucune ~tude ~pid~miologique n'est venue jusqu'~a prOsent confirmer la r~alit~ de ces associations, les 262 cas ~tudi~s ~a Pittsburg (8) montrent bien que si I'incidence du cancer est effectivement pl us ~lev~e au cours de la scl~rodermie, elle est uniquement le fait du cancer du poumon. La fr(~quence du cancer du sein, Iocalisation la plus souvent citOe en dehors du poumon, n'apparaissait pas diff~rente de celle de la population t~moin. II n'est donc d~montr~ jusqu'~a present que la scl&oder- mie n'augmente que le risque de cancer du poumon, et seule- ment Iorsqu'elle se complique de fibrose pulmonaire. Cepen- dant nombre d'incertitudes demeurent pour les n~oplasmes d'autres Iocalisations. Ceci impose au minimum une vigilance du clinicien dans la surveillance de ces malades et pourrait certainement justifier, ~ I'~poque des ~tudes multicentriques, la constitution d'un registre des associations cancer et scl~roder- mie. ReCu le 16-5-1991 Acceptationd~finitivele 06-7-1991 1991 - Tome XII ScIdrodermie syst~mique et cancer 331 Numdro 5

Sclérodermie systémique et cancer

  • Upload
    py

  • View
    218

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Sclérodermie systémique et cancer

~ D I T O R I A L

Scl rodermie syst mique et cancer P.Y. HATRON*

Rev M e d Interne 1991 ; 12 : 331-332.

L'incidence ~lev6e de nOoplasmes au cours de certai- nes connectivites est une rEalit~ maintenant bien dOmontrEe par de nombreuses Etudes ~pid~miologiques. Du point de vue chronologique, deux ~ventualit~s bien diff(~rentes sont ~a oppo- set :

Dans la premiere, les diagnostics de cancer et de con- nectivite sont fairs de fa~:on simultan6e ou presque faisant alors discuter le caractEre paran(~oplasique de la maladie system ique : c'est le cas de certaines dermatopolymyosites, d~j~ envisag~ dans cette revue (1), et ~galement de rares vascularites, ou beaucoup plus exceptionnellement encore de certaines polyarthrites (2).

- - Dans la seconde, le n~oplasme survient aprEs plusieurs ann~es d'~volution de la con nectivite, apparaissant comme une complication. Le syndrome de Sj6gren est sans aucun doute la dOmonstration la plus convaincante de cette rela- tion entre maladie auto-immune syst~mique et n~oplasme, I'incidence des Jymphomes non hodgkiniens, souvent de haut malignitY, y ~tant en effet quarante fois plus ~lev(~e que dans la population gOnOrale (3). Des faits analogues ont ~t~ Ogalement d~crits pour la po- lyarthrite rhumato'ide mais le risque de lymphome n'y est que deux h trois fois sup~rieur h celui de sujets contr61es (4). II est vraisemblable que I'hyperstimulation et la prolif&ation des lymphocytes B existant dans ces maladies favorisent la transformation maligne d'un clone lymphocytaire. L'augmentation ou une dysr~gulation de I'expression de certains proto-oncogEnes pourraient ~galement jouer un r61e d~terminant dans cote ~volution (5).

Le cas de la scl~rodermie, envisag6 dans les deux articles de ce num~ro, est sensiblement diff&ent. En effet, les nOoplasmes dont I'incidence appara?t pl us ~lev~e au cou rs de cette con nectivite sont des tumeurs solides et singuliErement, pulmonaires : d~j~a suspect,s par la publication de nombreuses observations isol~es, revues en 1980 par Talbott et coil (6), ces faits ont (~t~ confirmOs par deux ~tudes ~pid~miologiques r~centes, portant sur un nom- bre important de patients, respectivement 71 et 262, surveill~s de fa~:on prolong~e (7, 8). Les r~sultats sont relativement concordants : la premiere rapporte un risque de cancer pulmonaire au cours de la sclOrodermie multipli~ par 4,4 par rapport aux sujets contr61es, dans la seconde Je risque appara?t multipli~ par 16,5. Les types

* Service de M~decine Interne A ; HOpital CI. Huriez ; CHU ; 59037 LILLE C~dex.

histologiques les plus fr~quemment rencontres ~taient des adOnocarcinomes ou des cancers ~ petites cellules. La classique pr~pond&ance du bronchiolo-alv~olaire, qui ~tait le cas de 26 observations des 41 col lig~es par Talbott et coll., n'~tait donc pas confirm6e par ces deux (~tudes. Ces derniEres concordent ~galement sur le fait que le cancer pulmonaire survient toujours sur une fibrose pulmonaire prO-existante, Ovoluant depuis plusieurs ann~es, et qui repr~sente pour ces patients le seul facteur de risque significatif, ~ I'exclusion du tabac ou des traitements im- muno-suppresseurs. 11 appara?t donc vraisemblable que I'inci- dence ~lev~e des cancers observes au cours de la scl&odermie soit en fait en relation directe avec la fibrose pulmonaire, que le cancer n'en soit qu'une complication et on salt d'ailleurs que la fibrose pulmonaire primitive est ~galement un facteur de risque n~oplasique ou que les m~canismes immun s g~ne~rant la fibrose favorisent ~galement la carcinog~nEse. La physiopathologie n'en est en effet qu'au stade des hypotheses : diminution de la clai- rance des carcinogEnes consequence des alt&ations de I'ar- chitecture pulmonaire, transformation maligne favoris~e par I'hyperplasie ~pith~liale caract&isant la fibrose pulmonaire (4).

La su rvenue de cancers d'autres Iocalisations (sein, oesophage), d~couverts de fa~:on simultan~e ou au cours de I'~volution de la connectivite, a ~galement ~t~ rapport~e (9). Cependant, aucune ~tude ~pid~miologique n'est venue jusqu'~a prOsent confirmer la r~alit~ de ces associations, les 262 cas ~tudi~s ~a Pittsburg (8) montrent bien que si I'incidence du cancer est effectivement pl us ~lev~e au cours de la scl~rodermie, elle est uniquement le fait du cancer du poumon. La fr(~quence du cancer du sein, Iocalisation la plus souvent citOe en dehors du poumon, n'apparaissait pas diff~rente de celle de la population t~moin.

II n'est donc d~montr~ jusqu'~a present que la scl&oder- mie n'augmente que le risque de cancer du poumon, et seule- ment Iorsqu'elle se complique de fibrose pulmonaire. Cepen- dant nombre d'incertitudes demeurent pour les n~oplasmes d'autres Iocalisations. Ceci impose au minimum une vigilance du clinicien dans la surveillance de ces malades et pourrait certainement justifier, ~ I'~poque des ~tudes multicentriques, la constitution d'un registre des associations cancer et scl~roder- mie.

ReCu le 16-5-1991 Acceptation d~finitive le 06-7-1991

1991 - Tome XI I ScIdrodermie syst~mique et cancer 331

Numdro 5

Page 2: Sclérodermie systémique et cancer

BIBLIOGRAPHIE 1. Herson S. Dermatomyosite-polymyosite et syndrome paran6oplasique. Rev

Med Interne 1987 ; 8 : 245-6.

2. Hatron PY, Gosset D, Savinel P, Devulder B. Manifestations syst6miques des cancers, in : Les maladies syst~miques, 1081-114. MF Kahn, AP Pel- tier, O Meyer, JC Pierre. Ed FLAMMARION M~decine-Sciences, Paris 1991.

3. Kassan SS, Thomas TL, Moutsopoulos HM el coll. Increased risk of lymphoma in sicca syndrome. Ann Int Med 1972 ; 89 : 888-92.

4. Sela O, Shoenfeld Y. Cancer in auto immune diseases. Semin Arthritis Rheum 1988 ; 18 : 77-87.

5. Boumpas DT, Eleftheriades EG, Molina R, Barez S, Atkinson J, Older SA, Ba- low JE, Tsokos GC. C-MYC proto oncogene expression in peripheral blood

mononuclear cells from patients with primary SjOgren's syndrome. Arthritis Rheum 1990 ; 33 : 49-56.

6. TalbottJH, BarrocasM.Carcinomaofthelunginprogressivesystemicsclerosis : a tabular review of the literature and a detailed report of the roentgenographic changes in two cases. Semin Arthritis Rheum 1980 ; 9 : 191-216.

7. Peters-Golden M, Wise RA, Hochberg M, Stevens MB, Wigley FM. Incidence of lung cancer in systemic sclerosis. J Rheumato11985 ; 12 : 1136-9.

8. Roumm AD, Medsger TA. Cancer and systemic sclerosis. An epidemiologic study. Arthritis Rheum 1985 ; 28 : 1136-40.

9. Forbes AM, Woodrow I t , Verbou JL, Graham RM. Carcinoma of breast and scleroderma : four further cases and literature review. Br J Rheumatol 1989 ;

28 : 65-9.

332 P.Y. HATRON La Revue de M~decine Interne

Septembre - Octobre