se_connaitre_soi-meme_-_MF_Hirigoyen_-_150912.doc

8/12/2019 se_connaitre_soi-meme_-_MF_Hirigoyen_-_150912.doc

1/11

Marie-France Hirigoyen

Peut-tre allez-vous considrer que je suis hors sujet mais je vais surtout

parler de la difficult de la connaissance de soi, dans notre monde

moderne. Au fond, notre socit actuelle moderne accorde une grande

importance la singularit du sujet, sa libert, son autonomie mais

est-ce qu!elle lui donne pour autant la possibilit de se raliser, d!tre lui-

mme, de se conna"tre lui-mme # $ une poque individualiste, l!individu

est au centre du monde, mais il est seul parce qu!il est un pion dans une

multitude de semblables. %n lui demande de penser comme les autres,

d!appartenir un rseau, de ne pas sortir du troupeau. &l vite donc de

se remettre en question, de se confronter au' autres, d!affronter les

conflits ( ce que l!on voit de plus en plus, c!est le refus du conflit (, mais

en mme temps il chappe toute profondeur et, toute connaissance

de soi. )ous sommes dans un monde d!apparences et que ce soit pour

chercher un emploi ou chercher l!*me s+ur, il faut sduire, tre en

forme, heureu', panoui, performant il faut performer . e culte de

l!image s!est tendu tous les domaines. /ans le monde du travail, ce

qui importe dsormais n!est pas ce que l!on est mais ce que l!on donne

voir. &l ne suffit plus de travailler, d!apporter de bons rsultats, il faut se

montrer, se faire apprcier, faire marcher son rseau. 0e qui compte,

c!est la visibilit plus que le rendement et l!efficacit. 1n carnet

d!adresses bien rempli plus que le talent. Partout, on privilgie la voierapide qui consiste avancer plus par la dbrouille que par l!effort plus

par la triche que par le travail. %n ne construit plus sa pense mais on

zappe avec les ides des autres. /ans tous les domaines il faut aller

vite, obtenir des rsultats immdiats. 2ais ce monde rapide ne nous

laisse pas d!espace pour rflchir et avoir une vision de sa vie long

terme. $ force de s!agiter, de se no3er dans le travail et la


2/11

communication, l!homme s!est coup de lui-mme. &l craint d!affronter

ses peurs et son vide intrieur. &l refuse de voir qu!il est seul et mortel.

)otre socit e'alte la performance, le management de soi, et cela

puise les personnes qui ont l!impression qu!une charge trop lourdep4se sur leurs paules et dveloppent ce qui a t appel par Alain

5hrenberg les pathologies de l!insuffisance . 5n particulier le burn-out

dont on parle partout, tous les jours, et la dpression. 6ue ce soit au

travail, en famille ou dans la vie sociale, les gens craignent de ne pas 3

arriver, de ne pas tre la hauteur. 2ais cette socit narcissique, loin

d!tre jo3euse ou libratrice, am4ne souvent un repli sur soi et despeurs. %n a peur de l!autre, du ch7mage, des agressions, de la maladie,

de la vieillesse et surtout peur de ne pas tre conforme. 8ussir sa vie

professionnelle avec le risque de perdre son emploi, russir son couple

avec les ruptures qui peuvent advenir, lever correctement ses enfants

qui n!en font qu! leur tte, tout cela est source de doute et d!inquitude.

2ais dans notre monde moderne il ne faut surtout pas montrer sesdoutes. 0omment trouver un emploi quand on n!a pas l!air suffisamment

battant # 0omment rencontrer un partenaire si on a l!air dprim # Alors

il faut feindre, faire semblant. %n dveloppe ainsi un fau' self-adaptative,

c!est--dire un mode de fonctionnement destin convenir au' dsirs

des autres plut7t qu! ses propres dsirs ou ses sentiments. es gens

deviennent ainsi h3per adapts au monde moderne, mais perdent aussi

le contact avec leurs vritables sentiments intrieurs, ce qui les am4ne

vivre une e'istence dpourvue d!authenticit.

0e changement de la socit est venu affecter la ps3chopathologie des

personnes qui n!ont jamais t aussi d9ues et dsenchantes et qui

cherchent dsesprment rehausser leur estime de soi - pas l!amour

de soi : l!estime de soi. es ps3chiatres de ma gnration ont pu


3/11

constater le passage des tats nvrotiques dcrits par ;reud des

pathologies de caract4re, en particulier des pathologies narcissiques,

c!est--dire les troubles ps3chosomatiques, les dpressions, les

addictions et aussi les fonctionnements pervers. /e fait, nous assistonsactuellement une nette augmentation des ces pathologies, car ce t3pe

de personnalit est h3per-adapte au monde moderne. es demandes

d!aide ps3chologique ont beaucoup chang : on ne demande plus une

thrapie de permettre de mieu' se conna"tre, mais beaucoup plus

d!aider lutter contre l!inconfort du prsent. )os patients viennent avant

tout se plaindre de la duret du monde e'trieur, et au lieu d!e'primerune vraie interrogation sur l!origine de leur souffrance, ils nous

demandent plut7t de rparer leur machine afin qu!elle fonctionne mieu'.


4/11

pas subordonner ses besoins et ses intrts ceu' d!autrui. !objectif

du coaching est au dpart d!accompagner une personne pour lui

permettre de dvelopper son potentiel. %n promet chacun d!tre plus

performant , sans passer par de longues annes d!apprentissage oude thrapie. &l s!agit de s!adapter au' travers de notre socit en

s!vitant toute remise en question trop drangeante.

$ travers ces mthodes rapides, on apprend s!aimer suffisamment soi-

mme pour n!avoir plus besoin des autres, mme si on reste dpendant

de leur regard approbateur. Partout on nous parle d!estime de soi mais,

fascin par son propre corps, l!homme est confront son impuissance.

a plupart des nouvelles thrapies nous entretiennent dans l!illusion de

la facilit du toujours plus. %r, un vrai travail thrapeutique devrait tre

de nous amener nous accepter simplement comme des humains

imparfaits et fragiles, admettre que nous ne sommes pas des

surhommes.

/ans notre monde contemporain il est tr4s difficile d!tre soi-mme. %n

vient nous dire ce que nous devons penser, comment nous devons vivre.

0ertes le conditionnement est tr4s subtil, mais il en est d!autant plus

efficace. 2me s!il est duqu et cultiv, l!individu moderne, parce qu!il

est devenu incertain, est minemment influen9able et manipulable. &l

cherche se rassurer, donner du sens son e'istence par des vrits

toute faites. &l aspire une vie facile et sans souffrances, mais il est

impossible d!avoir une vie sans anicroches ni difficults mme si, dans

notre poque de certitudes, les mdias nous font souvent croire le

contraire. $ rechercher en permanence le bonheur perptuel, on risque

de se priver galement de toute joie relle. =eaucoup de personnes se

plaignent d!tre seules, de ne rien recevoir des autres pour recevoir il

faut s!ouvrir, se rendre disponible au' autres.


5/11

Alors, pour savoir qui l!on est vraiment et ce que l!on veut faire de sa vie,

il faut accepter de se poser, refuser pendant un moment l!agitation du

monde afin de se regarder lucidement. &l faut bien s>r du courage pour

oser se regarder en face et accepter ses vulnrabilits, ses fragilits etne pas avoir peur d!une ventuelle dpression.


6/11

0ompl4tement. %n est no3 dans la communication, toutes nos

conne'ions sont satures, on n!a plus d!espace pour penser, plus

d!espace pour tre soi-mme, et ce culte de la performance ( il faut

fournir sans arrt ( am4ne littralement les personnes se perdre./!ailleurs le terme burn-out,signifie qu!on se grille de l!intrieur fournir,

vouloir tre conforme ce que la socit attend de nous. 0e que la

socit attend de nous : pas seulement le monde du travail mais aussi

les e'igences du monde actuel, avec les mdias qui nous demandent

d!tre comme 9a, sinon on n!est rien.

Jacques Paugam

?ous voulez dire que c!est un monde de la reprsentation et pas un

monde de l!tre, dans tous les domaines. 0!est cela #


0ompl4tement. 0!est un monde de la reprsentation et d!ailleurs cette

pathologie, ce fonctionnement de fau' self-adaptative@ r4s clairement,

il n!3 a plus de nvross notre poque ou tr4s peu mais par contre, on

a de plus en plus ce qu!on appelle des tats limites , des gens qui

sont borderline, qui sont toujours la limite. 2ais au fond, ce sont des

personnes qui sont en reprsentation et qui ne sont pas elles-mmes.

5lles sont ce qu!elles pensent que le monde e'trieur attend d!elles.

Jacques Paugam

, vous nous prsentez comme des victimes mais est-ce que dans

cette situation-l, nous ne sommes pas, tout de mme, des complices #


=ien s>r qu!on est complice, mais en mme temps il faut beaucoup decourage pour oser dire : Be ne joue pas ce jeu de la socit C


7/11

Jacques Paugam

&l faut un c7t Antigone , en quelque sorte #



8/11


%ui, et en tous cas il 3 a des lieu' de rfle'ion, tout de mme 9a e'iste :

mais je pense qu!il 3 a beaucoup faire, l!enjeu est norme.

Jacques Paugam

Be vais me faire l!avocat du diable. &l 3 a des gens qui vont dire : %ui, la

connaissance de soi c!est tr4s bien, mais comment 9a se passe, la

plupart du temps # %n flatte son go, on se fait des illusions sur soi-

mme, le tri de la conscience est tout fait slectif. &l 3 a cette phrase

merveilleuse de a 8ochefoucauld : )otre orgueil s!augmente souvent

de ce que nous retranchons de nos autres dfauts. Autrement dit, on

fait le tri et on se prend pour quelqu!un de bon. Alors, qu!est-ce que vous

rpondez 9a # Parce que finalement, il n!3 a que les saints qui ont

mauvaise conscience, aujourd!hui@


Be vais plus loin : je pense qu!on est une poque oD on ne tend ne

voir que soi-mme. Be suis victimologue, je peu' en parler : une

poque oD tout le monde se sent victime des autres. %n se sent victimes

des autres aussi parce qu!on se place tellement au centre de la

problmatique et en mme temps il 3 a une telle mfiance de l!autre

que de ce fait, on a l!impression que l!autre vous veut du mal et que siquelque chose vous arrive de ngatif, 9a ne vient pas de vous, 9a vient

de l!autre, forcment.


Be pense que c!est une des problmatiques de notre poque - ce c7t

un peu parano, on pourrait dire h3per susceptible ou sensitif, c!est

quelque chose qui se dveloppe notre poque.


9/11

Jacques Paugam

?ous avez beaucoup tudi les perversions ps3chologiques : est-ce

qu!on peut dire qu!un travail de connaissance de soi peut vraiment aider

ma"triser ce t3pe de perversions et de pulsions destructrices de soi et

des autres #


&l faut faire des distinctions, et ce serait peut-tre un peu long

dvelopper, mais des distinctions entre ce que sont des fonctionnements

pervers, et des structures perverses. Be crois qu!il faut chaque instant

s!interroger sur sa part de responsabilit dans les vnements qui nous

arrivent. 0!est--dire qu!effectivement, un des travers de notre poque,

c!est la dresponsabilisation, et je crois qu!il faut chaque instant

s!interroger sur en quoi suis-je pour quelque chose dans ce qui se

passe #

monde de performance, ce n!est pas tr4s vident de se dire que l!ontn!est que quelqu!un de mo3en, quelqu!un de quelconque, un individu

comme les autres, puisque notre socit nous e'horte tre tout le

temps au top .

Jacques Paugam

%u donner l!apparence du top , c!est 9a #


%ui, mais force de donner l!apparence on voudrait bien 3 croire, et

c!est vrai que quand on se rend compte que l!on n!est qu!un pion parmi

d!autres, parce qu!on est 9a aussi, et que c!est difficile de le voir, alors on

se rehausse en permanence. Be crois qu!accepter de n!tre qu!un

individu mo3en, avec des bonnes choses et des choses pas glorieuses (


10/11

mais enfin on est ce qu!on est, on est des humains, on n!est pas des

dieu' (, il est tr4s important pour pouvoir se mettre en relation l!autre.

Parce que si chacun se sent au-dessus de l!autre ou essa3e de se

mettre au-dessus de l!autre, il n!3 a plus de communication. 5n fait, onparle beaucoup de communication mais il n!3 a plus de vrai change.

Parce que, d!abord, il n!3 a pas le temps mais aussi parce que chacun

est enferm en lui-mme, ce qui est plus grave.

Jacques Paugam

2ais est ce que ce sentiment-l n!est pas nourri par le fait, vous le ditesd!ailleurs vous-mme souvent, que nous nous sentions sept milliards

d!individus : comment tre singulier quand on est sept milliards, et dans

un monde oD tout est identique, partout # Avec en plus le formatage des

sries-tlvision amricaines et autres.


%ui, c!est ce qui am4ne au fonctionnement pervers, au fond. 0!est--dire

que comme tout le monde est dans du mme, que tout le monde fait la

mme chose, sur le plan mondial cela se diffuse, on est dans une sorte

de formatage absolu et donc, pour essa3er d!e'ister diffremment, on

sort des limites et on va dans des fonctionnements pervers.

Jacques Paugam

0!est ce qui s!est pass en )orv4ge, je crois ( le fou , c!est 9a # 0!est

e'actement le cheminement que vous indiquez. Be dis fou mais d!ailleurs

il n!est pas fou, c!est cela qui est terrible.


%n n!en sait trop rien mais il est vrai que se dveloppe actuellement, cen!est pas uniquement lui@ Bustement, la difficult est qu!on est plus


11/11

dans des fonctionnements pervers que dans de la vraie pathologie

ps3chiatrique.

Jacques Paugam

2ais vous e'pliquez bien la dmarche qui am4ne 9a.


%ui, c!est qu!on essa3e de se dmarquer du monde par des actes

e'trmes mais surtout sans aucune responsabilisation : on n!est

coupable de rien. 0!est le s3st4me qui veut 9a, donc on n!est coupable

de rien.

Jacques Paugam

)i coupable, ni responsable,


%ui, et c!est cela qui est le plus inquitant, c!est cette

dresponsabilisation actuelle.

EF.FG.HIJ Jacques Paugam

2erci.

Documents

se_connaitre_soi-meme_-_MF_Hirigoyen_-_150912.doc