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Séduire et conquérir tome 1 - ekladata.comekladata.com/5-7k2TKB7gtwpOQoofs7UBl4eCg/Seduire_et_Conquerir_… · Prologue Plonger dans le vide Elianor lâcha un long et douloureux

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ElisiaBlade

Séduireetconquérir

Tome1

NishaEditions

Copyrightcouverture:ISBN978-2-37413-223-5

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@NishaEditions

NishaÉditions&ElisiaBlade

www.nishaeditions.com

TABLEDESMATIERES

Présentation

Prologue:plongerdanslevide

Règlenuméro1:apprendredeseserreurs

Règlenuméro2:affrontersesennemis

Règlenuméro3:s’avouervaincue

Règlenuméro4:luttercontrelepassé

Règlenuméro5:combattrelanostalgie

Règlenuméro6:rendrelesarmes

Àparaître

«Laséductionn’ajamaisétéaussidouce-amère.»

TristanKane

Prologue

Plongerdanslevide

Elianorlâchaunlongetdouloureuxsoupirenrepliantl’enveloppequ’elleavaitentrelesmains.Ellecaressaduboutdel’index,lelogodelabanque.Unebanquequiluirappelaitgentimentleséchéancesdesdifférentscréditsqu’elleetsamère,Dafne,devaientrembourser.

Plusellefaisaitd’effortpouréconomiser,plusellesemblaitsenoyersouslesdettes,songea-t-elleenfourrant la lettreau fonddesonsacàmain.D’un regardmaussade,elleobserva lepaysage londoniendéfileràtraverslesvitresdubus.Quandellepensaitautaudisquileurservaitd’appartement,elleentradansunecolèresourde.Lepapierpeintcommençaitfranchementàsedécoller,lesboiseriesdesfenêtress’effritaient et le parquet était gondolé.Mais à Londres un studio, aussi insalubre etminuscule fût-il,coûtaitunepetitefortune.Etl’étatdeleursfinancesneleurpermettaitpasd’espérermieux.

Épuisée, Elianor ravala un bâillement. Ce matin, elle n’avait eu le temps que d’avaler un café enquatrième vitesse, espérant qu’il l’aiderait à rester éveillée pour la longue journée de travail quil’attendait. Dans moins de quinze minutes, elle arriverait à Pearl Inc. où elle était employée en tantqu’assistanteadministrative.Untitretrèshonorifiqueassociéàunsalairedemisère.Sonrôle?Rangeràlongueur de journée les archives de cette grande entreprise du secteur de lamode.Mais elle ne s’enplaignaitpas,c’étaitleseulemploistablequ’elleavaitréussiàtrouverquinerequéraitpasunelistedediplômesaussilonguequelaTamise.Desdiplômesqu’elleétaitloind’avoir.

Àl’âgededix-huitans,justeaprèsledépartdesonpère,Elianoravaitdûarrêtersesétudespouraidersa mère. Pourtant, tout le monde s’était accordé à dire qu’elle possédait un véritable don pour levioloncelle.Undonqu’elleavait jetéauxoubliettes.Délaissersapassionavaitétéunvéritablecrève-cœur. Quand elle avait dû renoncer, c’était comme si elle avait pris la décision d’être amputée d’unmembre…ou d’un organe, laissant un trou béant dans sa poitrine.Mais lamusique ne payait pas lesfacturesetremplissaitencoremoinslesventres.Alorspourarrondirleursfinsdemois,Elianorcumulait,avec son poste d’assistante administrative, un job de femme de ménage de nuit dans une banqueinternationale. Il luiarrivait égalementde jouer les serveusespourun traiteur lesweek-ends.Car, auxdifférentes dettes auxquelles elle devait faire face, s’ajoutaient les frais médicaux que la maladiecardiaquedeDafneluiimposait.

Elianorselevapourdescendreàl’arrêtdebusleplusprochedePearl.Aprèsunecourtemarche,ellefranchit enfin le seuil. Elle se laissa happer par l’effervescence des lieux. Dans le grand hall, lesemployés pressés lui donnaient l’impression de s’être engouffrée dans une fourmilière. Les genscourraient presque, paraissaient plus stressés que d’habitude et pour cause : le dernier PDG de

l’entreprise, David Matthews, avait décidé de démissionner suite à son mariage avec ElizabethHarrington.Leurhistoireétaitunvéritablecontedeféesàencroirelapressepeopleetlesemployés.Laviedel’entrepriseenavaitétécomplètementchamboulée.Lesréunionsentreactionnairessemultipliaientet il semblait qu’enfin, ils aient statué sur le nom de celui qui allait prendre les rênes de Pearl. Sonidentitérestaitsecrèteetl’ambiancegénéraleétaitsurvoltée.Chaqueemployéyallaitdesonpronosticettousspéculaientsurlepatronymedunouveaudirigeant.

Elianornecomprenaitpascetengouement.Maiscequi l’agaçaitplusque toutétait l’attitudedesescollèguesdesexeféminin.DavidMatthewsétaitconnupoursoncharmeirrésistibleetsesairsde top-modèle.Toutesespéraientqueleprochainsoitàlahauteur,physiquementparlantbiensûr.Commesisamusculatureallaitlesaideràamasserdesprofits.

Pressant le pas, elle s’engouffra dans un ascenseur bondé et appuya sur le bouton du niveau -1,directionlesarchives.Lessous-solsétaientpoussiéreuxetrenfermés,maisElianorappréciaitlaquiétudedeslieux.Souffrantd’unetimiditéexcessiveetpashyperbiendanssesbaskets,elleétaitsouventmalàl’aisefaceauxétrangers.Saréserveétaitparfoisprisepourdumépris,cequiexpliquaitqu’elleavaitpeud’amisparmisescollègues.

—MademoiselleDenton,voicivosdossiersdujour,luiindiquasaboss,PetraMason,enpointantdudoigtunepilevertigineused’archivesàinventorierpuisàranger.

Petraétaitune femme très exigeante, froideethautaine.Elleprenaitunmalinplaisir àdonnerà sesemployéscorvéesurcorvée.Sadiquedenature,elleaimaitlesvoirsouffrir.

Inspirant profondément, Elianor se mit rapidement au travail sans rechigner. Tous sans exceptionavaientvuleurchargedetravailaugmenteràcauseduchangementàlatêtedeladirection.Elledevaitacceptersonsortenattendantquelecalmerevienne.Deuxheuresplustard,lesépaulesrouilléesetlecoucourbaturé,Elianorn’avaitqu’uneseuleenvie:monteraudernierétagedubuildingeteffectuerlesautdel’ange. Elle jeta un coup d’œil découragé à la pile qui ne semblait pas diminuer, mais au contraireamplifier. Plus elle tentait d’aller vite etmoins elle se sentait productive. Et dire que certains de sescollèguess’amusaient,songea-t-elleavecamertumealorsqu’auloin,elledistinguaitdesvoixmasculinesetdeséclatsderire.

—MademoiselleDenton,tenez-vousdroite!hurlasachefendéboulantdanssonbureau.Etparpitié,arrangez-moivotretenue.LePDGestdanslescouloirs!

Surprise,Elianor tressauta sur son siège.Ainsi donc, le nouveau directeur était à l’origine de cetteanimationsubite.Pourquoivenait-ilvisiterlesarchives?Quelintérêtyavait-il?Elianoravaittoujourspenséquepoursonpremierjour,cethommeauraitétéprisdansuntourbillonderéunions,etcertainementpasqu’ilseseraitoffertunepromenadedesantédanslescatacombesdePearl.

Avecunemoueagacée,elleseredressasansmontrerl’enthousiasmequianimaitlestraitsdePetra.Sa

supérieureseserait-elleégalemententichéeduPDGmystère?Ellebaissalesmanchesdesonchemisier,tirasurlespanspourenlisserl’étoffeavantderéajustersajupedroitebleumarine.Certes,ellebossaitdansuneentreprisedemode,maisjamaisellen’auraitcruquel’apparencephysiquepouvaitavoirautantd’importance.

Avecseslongscheveuxbrunsetfins,sesyeuxmarronetsonteintpâle,Elianorn’étaitpascequel’onpouvaitqualifierde jolie.C’étaitunfaitqu’elleavait finiparaccepter.Ses formesétaientunpeu troprondespourcorrespondreauxcanonsdebeautéactuels.Mêmesielleétaitloind’êtremoche,ladernièrechosedontelleavaitenviec’étaitd’attirerl’attentiondelagentmasculine.

—Nousdevonsnousrendreensallederéunion.Suivez-moi,annonçasachefd’untonsec.

Entraînantlapatte,elleemboîtalepasdePetrajusquedanslasallederéunion.Ellesefaufilatoutaufondalorsquesescollèguestrépignaientlittéralementd’impatience.Elleavaitl’impressiond’attendrelavenue d’une rock star à sa dédicace. Imperméable à l’agitation générale, elle resta dans son coin,observantavecimpassibilitélesvisagesanimésautourd’elle.Touteslesfemmesprésenteschuchotaiententre elles, redoublant de détails quant au physique du PDG. Une carrure impressionnante. Des yeuxélectriques.Unevoixsensuelle.Unsourireenvoûtant.Etun«cul»àcroquer.

—Ridicule,soupira-t-elleenregardantsursadroite.

Petra,laboucheencœur,tenaitd’unemainunpetitmiroiretdel’autreuntubederougeàlèvresdoréquiportaitl’inscriptionYSL.

Ilnemanquaitplusqueça,songea-t-elle.Mêmesachefs’ymettait.SiElianorn’étaitpastellementpressée de se remettre au travail, elle trouverait cette situation hilarante.Toutes les filles se toisaientdiscrètementcommepourjaugerlaconcurrence.UneconcurrencedontElianorétaitloindefairepartie.Combiend’entreellesespéraienttaperdansl’œilduPDG?Dansquelbut?Unepromotioncanapé?

—Bonsang!OùestMadameGomez?grognaunePetraagacée.Leprésidentnedevraitpastarder.MademoiselleDenton?

—Oui?réponditimmédiatementElianor.Jemecharged’allerlatrouver,proposa-t-elle,tropheureused’avoirenfinunprétextepours’éloignerdecebouillond’œstrogènes.

Madame Mason acquiesça, le regard sévère. Pas question d’articuler ne serait-ce qu’un mot deremerciement.MaisElianornes’enformalisapas.Elleexploralescouloirsetouvrittouteslesportessursonpassageenappelant sacollègue.MariaGomezétaitbien la seuleemployéequ’Elianorappréciait.Sincèreetamicale,ellenesesouciaitguèredesonrangsocialoudesonrevenuannuel.

—Parici,Eli!

Unepetitevoixl’interpelladanslapièced’enface.Avançantrapidement,elledécouvritMariaaufonddelasalle,accroupiepourramasserdesfeuilles.Ellesouffraitd’unesciatiqueetElianorsavaitqu’illuiétaittrèspénibledes’abaisser.

—Laisse,lastoppa-t-elle,compatissante.File,onnousattendensallederéunion.Jemedépêche.

—Tuessûre?l’interrogeasacollègue,nevoulantpasqu’Elianorsefassesermonneràcaused’elle.

Après une longue hésitation, Maria la remercia chaleureusement avant de rejoindre les autres. Enquinzeminutes,Elianor avait réussi à tout ranger.Elle s’épousseta les genoux puis courut en salle deréunion.Ellegrimaçaen imaginantdéjà le regardassassinque lui lanceraitPetra.Un rappelà l’ordreseraitinévitable,maisceneseraitpaslapremièrefois.

Uncalmeabsolurégnaitdanslessous-solsetseulsretentissaientunevoixgraveetsestalonsmartelantlesol.Essoufflée,ellearrêtanetsacoursejustedevantlaporteentrouvertedelapiècepourarrangersescheveux fébrilement. Elle n’avait pas anticipé que le PDG serait aussi rapide à arriver en salle deréunion.Habituellement,quandon faisaitvisiter les lieuxàunhautdirigeant,celaprenait toujoursuneéternité.Demanièreplusclaire,elledistinguacettevoixgrave.Unevoixgrave,rauque…etétrangementfamilière.Lesmainsdanslescheveux,ellesuspenditsonmouvementalorsquesonsangseglaçait.

Non!Impossible!

Gorgesèche.Mainsmoites.Sueursfroides.Dessymptômesqu’elleneconnaissaitquetropbien.Soncœur,quantàlui,avaitsubitementcessédebattre.Carjustederrièrecetteporteentrebâilléesetrouvaitsonpirecauchemar.

Règlenuméro1

Apprendredeseserreurs

Sixansplustôt.

L’odeur de la colophane imprégnait ses vêtements. Dans un énième soupir, Elianor réaccorda soninstrument.Laconcentrationétaitdemise.L’auditionapprochaitetelleseraitdécisivepoursonavenirentantquevioloncellisteprofessionnelle.À l’âgededix-huit ans, elle avait la chance inestimabled’êtreautoriséeàpostulerpouruneboursedelaRoyalAcademyofMusicdeLondres.Uneécoleprestigieusequiavaitformélesplusgrandsmusiciensdumonde.

Ilétaitpresqueminuit.Soncouétaitdouloureux,lapulpedesesdoigtsendolorieetelleaccumulaitlesfaussesnotes.Savuesebrouillaquandelleposasonregardsurlapartitionduconcertopourvioloncelleen mi mineur Op. 85 d’Edward Elgar. Un morceau particulièrement difficile qu’elle avait choisisciemmentdanslebutd’impressionnerlejuryparsatechnicitéetlasensibilitéaveclaquelleellepouvaitjouer.

Lasalledeconcertétaitvide,plongéedansuneobscuritépresquelugubre.Remuantsesépaulespoursedétendre,ellefitcraquersesdoigtstelunboxeurprêtàmontersurleringavantd’attrapersonarchetpourentamerlespremièresnotes.

Lemondeautourd’elles’effaçaetseuleslescordesvibrantessoussesdoigtsexistaient.Elleselaissabercerparladoucemélodie.Ellenejouaitpasseulement,maisvivaitpleinementlemorceau.Focaliséesursapartition,elleenchaînalesmesures.

—Merdeetre-merde.Cinqfaussesnotes!grogna-t-elleenlaissanttombersonarchet.

Démotivée,ellegémitalorsqu’elleselaissaitallercontresachaise,sonvioloncelletoujourscontresoncœur.

Clap,clap.Desapplaudissements…

Parfait!songea-t-elle.Ilnemanquaitplusqueça.Lafatigueavaiteuraisond’elleetelleétaitvictimed’hallucinations auditives. Fabuleux ! Qui l’aurait cru ? L’excès de répétitions rendait vraiment fou.Elianordevaitnéanmoinsconcéderquecespetitsclapsétaientpersistantsetsemblaienttrèsréels.

—Félicitations,c’étaitabsolumentépoustouflant.

Samain s’abattit contre sa poitrine et elle se relevabrusquement au sonde cette voixmasculine etinconnue.Sachaisetanguadangereusementderrièreellealorsqu’elleécarquillaitlesyeuxsouslecoupdelapeur.Elletenaitsonvioloncellecontreelle,commeunbouclierprotecteur.L’homme,quijusque-làavait continué d’avancer vers elle, s’arrêta en constatant son trouble. Et quel trouble ! Il étaitminuitpassé.Elleétaitseuleavecuntypequ’elleneconnaissaitnid’Èvenid’Adametquilacomplimentaitsursaprestation.Ilyavaitdequoiêtreenpanique!

—Navré,jenevoulaispasvouseffrayer.

L’effrayer ?Mais elle était tétanisée, soncœurbondissait dans sapoitrine,desbonds si hautsqu’ilatteignaitsagorge.Elle lesentait, là, justeà labasedesoncou,effectuerdes triplessaltos. Ilavançaencore,jusqu’àêtrebaignéparlalumière.

Choc.Stupeur.Extase.Toutescesémotionsgrisantesàlafois.

Labouched’Elianors’entrouvritetsespupillessedilatèrent.Soncœurdéjàaffolérepartitsubitementaugalop.Sesmainsdevinrentmoites.Cethommeétaitjuste…

Sielledevaitchoisirunmotpourledécrire,ceserait…waouh!Justewaouh…

Ilétaitàtomber.Sexyendiable,ilétaitsibeauqu’ellesedemandasiellen’avaitpassombrédansunsommeil profond, car seul un rêve pouvait offrir un être aussimagnifique.Une peau légèrement hâléecontrastaitmerveilleusementavecdesyeuxd’unvertunique.Unprofilpatricienetuneboucheauxlèvressensuelleset tentatricescomplétaient le tableau.Descheveuxbrunsdécoiffésbrillaient sous les spots.Elianors’imaginauninstantyenfouirsesdoigts.

Sesyeuxglissèrentlelongdesasilhouette…Auvisageparfaits’ajoutaituncorpsd’athlèteàsepâmer.Cethommesemblaitavoirétécréépourtourmenterlagentféminineetrendreenvieuselagentmasculine.

Ilémanaitdeluiunecertainearrogance.UneconfianceenluiévidentequitroublaunpeuplusElianor.Elle eut l’impression d’entrer en combustion spontanée et réprima son envie de s’éventer le visage.C’étaitbienlapremièrefoisqu’unhommelaretournaitautant.Ilarquaunsourcilinterrogateuretsalèvrese retroussa avec amusement. Sans doute la prenait-il pour la dernière des cruches. Ou il étaitparfaitementconscientdel’effetqu’ilavaitsurelle.

Elianorrejetalesépaulesenarrièreavantdes’éclaircirlavoix.

—Merci.

Avecunsourirecrispé,elleramassaarchet,partitionetvioloncelleàlavitessedel’éclairavantdesefaufilerdanslescoulisses.Lecœurtambourinantdanssapoitrineelletrouvarefugedanslalogeoùelleavait laissé ses affaires. Les bras chargés, elle s’apprêtait à filer à l’anglaise quand cettemême voixmasculinel’interpellaànouveau.Cemecl’avaitsuivijusquedanslesloges.Queluivoulait-ilàlafin?

—Écoutez,vraiment,jenesouhaitaispasvouseffrayeràcepoint.

Elianor fit volte-faceunpeu trop rapidement et sa tête lui tourna…oualors était-ce les symptômesnormauxpourunefemmeensaprésence?Larespirationqu’ellen’avaitpaseuconsciencederetenirluiéchappa.Elle voulut parler,mais sa langue semblait paralysée et son cerveau engrève.Comment unetelle situation pouvait-elle devenir plus embarrassante ? Jamais elle ne s’était sentie aussi ridicule etstupide.Pourtant,elleavaitbeauconjurertoutessesfacultésintellectuelles,rienn’yfitetsaboucherestaentrebâillée.Quedésirait-il?

—Vousêtesextrêmementdouée.Jevousaientenduejoueretj’aitoutdesuiteétéattiréparlamélodie.Ilestrared’entendrequelqu’uninterpréteraussifinementduEdwardElgar.

Interloquée,Elianorledévisageaunpeuplus.N’avait-ilriendemieuxàfairequedediscutermusiqueenpleinmilieudelanuit?Oupeut-être…Était-cesatechniquededrague?C’étaitridicule.Iln’yavaitriendesexychezelle : tropderondeurs,unteintpâle,descheveuxfoncés,unvisagebanal,unepetitetaille.Riendebienaffriolantpourunhommecommelui.Unhommequidevaitfairetournerlestêtessursonpassageetdontlesex-appealvousdonnaitenviedeserrerlescuisses.

Ce n’était pas un musicien, car Elianor ne l’avait jamais vu auparavant. Sinon, elle s’en seraitsouvenue.Unfinmélomane?

Destalonsmartelantleparquetaufonddelasalledeconcertrésonnèrent.Bientôtlasilhouetted’unegrandeetbelleblondeapparutauxcôtésdujeunehomme.

—Tristan?appelaauloinunevoixdecrécelle.

Une voix qu’elle reconnut immédiatement. Elle appartenait à la seule, l’unique, la sublime TanisRutherford.Commedansunescèneauralenti,ellevitleursbouchessepercuterdansunéchangesuggestifet langoureux. Surpris, le jeune homme ne s’était visiblement pas attendu à un tel étalage. Cela nel’empêchapourtantpasderesserrersonétreinte.

***

Toutesavie,ellesesouviendraitdelapremièrefoisoùelleavaitposésesyeuxsurlui.Pourtant,elleavait tout fait pour l’oublier, mais difficile d’effacer de sa mémoire son premier amour. Malgré lestourments,latrahison,lapeineetlarancœur…Tristandemeuraitunsouvenirimpérissable,unemarquesur son cœur aussi indélébile que douloureuse.Croire qu’il aurait pu l’aimer avait été sa plus grosse

erreur. Il n’y avait pas de place pour les sentiments dans lemonde de Tristan. Seuls les transactionsfinancières et les pions bienplacés importaient. Il était froid, calculateur,manipulateur, sans remords,mais surtout immunisé contre tout ce qui s’apparentait de près ou de loin à la panoplie des émotionshumaines.Quandilméprisaitquelqu’uncommeilméprisaitElianor,mieuxvalaitnepascroisersaroute.

Ellerebroussacheminjusqu’àsonbureauoùelles’enfermaàdoubletourpourlerestedelajournée.DetouteslespersonnesaptesàreprendrelesrênesdePearlInc.,ilavaitfalluqueTristansoitl’heureuxélu.C’étaitunecoïncidencedesplus amusantes, si ellen’étaitpas aussi cruellepourElianor.Quellesétaientseschancesdes’ensortirindemne?Aucune.Travaillerici,parcourircescouloirs,discuteravecses collègues sans jamais le rencontrer ? Impossible. Pourtant, elle ne pouvait s’accorder le luxe dedémissionner.L’opération chirurgicaleprévuepour samère était en jeu.Alors,même si cela semblaitimpossible,elleallaitycroire.Elleavaitbesoindegarderespoir,c’étaittoutcequiluirestait.

Versvingtheures, elle retrouvasacollègue Irinapourentamer sa seconde journéede travail.Aprèsavoirenfilésonuniforme,ellessedirigèrentversl’étagedugrandbâtimentquileuravaitétéassignépourlasoirée.L’unes’occupaitdunordducouloir,l’autreceluiausud.Unerépartitionéquitableetquileurpermettaitd’êtreplusefficacessanssemarcherdessus.

Elianor ne pouvait pas dire qu’elle se sentait très à l’aise entre ces murs. Elle ne portait pasfranchementlesbanquiersdanssoncœur.Ceuxqu’elleavaitrencontrésétaientdénuésd’humanitéetseulslesprofits et bénéfices les intéressaient.Entrant dansunepremièrepièce, elle comprit immédiatementqu’il s’agissait du bureau d’un haut dirigeant. Un grand mur complètement vitré offrait une vueimprenablesurlacapitale.Unbureaunoiretblancd’unmodernismecertaintrônaitaumilieudelapièce.Le parquet était stratifié. Un lieu froid et impersonnel, à l’image de son occupant, c’était à n’en pasdouter.Ellevidalapoubelle,passauncoupdechiffonsurlebureaupuislesvitresavantdes’attaquerauxdifférentesétagères.Hautperchéesurunechaise,elleentenditlaportederrièreelles’ouvrirpuissefermer.

—Tuasencoreoubliétonspraypourlesvitres?semoqua-t-ellegentiment.

Maisquandsacollègueneluiréponditpas,elleregardapar-dessussonépauleetdécouvritunhommed’aumoins1mètre90,auxyeuxchocolatetàlacarrureimpressionnante.Sonpieddérapasurlerebordde la chaise et ses fesses entrèrent en contact avec le parquet dur et froid. Un long silence suivit sadégringolade.Unsilencependant lequel,ellen’osapas regarder l’intrusdepeurde trouverunsourirepétrid’hilaritésursonvisage.

—Vraimentdésolé!Est-cequeçava?s’enquit-ilenseprécipitantpourlarelever.

Savoixétaitparticulièrementgrave.Gravenaturellementougraveparcequ’ilseretenaitderiretantbienquemal?Aunomdupeudedignitéquiluirestait,ellenepréféraitpaslesavoir.Ignorantsamaintendue, elle se redressa sur ses genoux avant de prendre appui sur la chaise pour se relevercomplètement.Méfiante, elle le regarda droit dans les yeux. Il arborait un petit sourire dévoilant unefossette.Toutcequ’ilyavaitdepluscharmant.

—C’estmoiquisuisdésolée,dit-elled’unevoixglaciale.Jenepensaispasquevousétiezencorelà.Jerepasseraiplustard.

Elleluiadressaunpetithochementdetêtepuisamorçasasortie.

—Mademoiselle…Denton?Vousavezlaissétomberça.

Décontenancéed’entendresonnomdanssabouche,ellesetournaetvitsonbadgeprofessionnelcoincéentrel’indexetlemajeurdel’inconnu.

—Merci,Monsieur.—KarlCunningham,seprésenta-t-ilaveccourtoisie.—MonsieurCunningham,répétaElianoravecunsourirecrispé.—Auplaisirdevousrevoir,lança-t-ilalorsqu’ellequittaitprécipitammentlapièce.

Dequelplaisirparlait-il?songeaElianorensecouantlatête.Pensait-ilqu’onéprouvaitunquelconqueplaisiràpasserlebalai?Fortheureusementpourelle,sarencontrefortuiteavecKarlCunninghamfutlaseuledesasoirée.

***

Aprèsunsommeilagité,ponctuépardesrêvesdont laconclusioncommuneetfataleétaitunface-à-faceterrifiantavecTristan,Elianorseréveillaauxaurores.ElledécidadeserendreàPearlplustôtqued’habitudeen tentantdedomptersesnerfsà fleurdepeau.Sonstressdisparut lorsqu’elleatteignitsonbureausansencombrenirencontrefâcheuse.Tristanoccupaittoutessespensées,alorspourréfléchiràunautre sujet, elle s’attela directement à la tâche. Plus elle restait concentrée sur son travail,moins ellesongeait à la situation impossible dans laquelle elle se trouvait. Mais elle ne devait pas dramatiserinutilement.Avecplusdequatorzeétages,sanscompterlessous-sols,lesprobabilitésdeseretrouvernezànezavecluiétaientrelativementfaibles,voirenulles.

Unrireamer luiéchappa.Si sixansplus tôt,on luiavaitpréditcetavenir,elleenaurait riàgorgedéployée. Malheureusement, sa situation actuelle n’avait rien d’une plaisanterie. Encore aujourd’hui,lorsqu’ellefermaitlesyeux,qu’ellerelâchaitsonattention,elledistinguaitparfaitementlamélodiedesonvioloncelle,lasensationduboiscontresapeau,descordessoussesdoigts.Ellepouvaitencoreressentirl’oscillation des notes quand son archet frottait. Chaque mesure vibrait contre elle et semblait seréverbérerdanssoncorpscommesilamusiquel’avaitmarquéeàjamais.Quen’aurait-ellepasacceptépouravoirlachancederejouer?Lavien’étaitqu’unesuitedesacrificesetc’enétaitunqu’elleavaitchoisi,carlaprésenced’unemèren’avaitpasdeprix,quelquesoitl’amourqu’elleavaitpuporteràsoninstrument.Quandelleavaitchoisid’abandonner lamusique, sadécisiondeneplus jamais toucherunvioloncelledesavieavaitétéirrévocable.Celaavaitétéunefaçondeseprotéger,desepréservercontrelanostalgie,d’éviterdese tortureravec l’imagefantasméede l’artistequ’elleneserait jamais. Ilétait

aussiinutilepourelledejouerd’uninstrumentquiétaitàprésententachédespiressouvenirsdesavie.

Elianor jeta un coup d’œil à sa tasse de thé complètement refroidie. Son travail l’avait tellementaccaparéequ’ellen’avaitmêmepasprislapeinedeprendreneserait-cequ’unepetitegorgée.Leliquideétaitdésormaisimbuvable.

Unefoisdanslasalledepauseauboutducouloirdesarchives,ellevidasatassepuislalavaavantdeserefairechaufferdel’eau.Lesarchivesétaientétrangementcalmes,notaElianorenreprenantlechemindesonbureau.Lescouloirsétaientmêmedéserts…enfinpresque.Unejeunefemmeauxcheveuxblondssi brillants, qu’elle donnait l’impression de tourner une publicité, déambulait dans les couloirs. PetraMason,alertéeparlebruitdesestalons,émergeadesonbureau.

—Madame,puis-jevousaider?— Excusez-moi, répondit la jeune femme d’une voix mielleuse. J’aurai besoin d’un dossier pour

TristanKane.

Sonvisagecachéauxtroisquarts,Elianorneréussitpasàmettreunnomsurcettevoix.Pourtant,cettefaçond’articulersonprénométaitàlafoisatypiqueetfamilière.

—Biensûr.MademoiselleDenton?l’apostrophaPetraenlavoyantarriver,satassedethéfumanteenmain.

Chaquepoilqu’ellepossédaitsehérissa.Unedéchargeélectriquepartitduhautdesoncrânepoursepropagerjusqu’àsesorteils.Cettefaçondeprononcer«Tristan»…Unepetitenotedepossessivité,del’admirationetunecertainefiertéaussi.Rienquedanscesseptpetiteslettres.Celaauraitdûlamettresurla voie, car il n’y avait qu’une seule personne qu’elle connaissait qui avait cette façon si abjecte deparler.

Labileluimontaàlagorgealorsqueleursyeuxentraientlittéralementencollision.Lajeunefemme,toujoursaussiblonde,toujoursaussigrande,toujoursaussibelleavançaverselleenladévisageant.Lechoc était tout aussi grand de son côté. Avec horreur, Elianor recula d’un pas. Elle hésitait encore.Devait-elle fuir ou se battre ? Mais pouvait-on réellement se battre contre un ennemi aussi puissantqu’elle?

—Ohnomde…soufflalajeunefemmetoutenesquissantunsourirepervers.C’esttropdrôle!Jamaisjen’auraiscruterencontrerlà…Elianor.

Règlenuméro2

Affrontersesennemis

Elianorclaqualaportederrièreelleenrevenantdelabanque.Sontraumatismeétaittoujoursprésent.De toutes lespersonnesquidevaientdécouvrir saprésenceau seindePearl, il avait falluquece soitTanis.

La haine que la grande blonde ressentait pourElianor lui était parvenue par vagues.Des vagues sihautesetviolentesqu’elleavait l’impressiond’êtreenpleinnaufrage,aumilieude l’océan,sansautrealternativequedeselaissersubmergerpourfinirnoyée.Tétaniséecommeunlapinprisparlesfeuxd’unevoiturejusteavantd’êtreviolemmentpercuté,Elianorn’avaitplusétéenmesuredebouger.Sonvisageétaitdevenuexsangue, sespaumesmoites, sa respiration irrégulière, sapeauétonnammentglacée.Soncœuravaitmanquéplusieursbattements,jusqu’àcessercomplètementdebattre.

Sa vie, son futur s’étaient écroulés tout autour d’elle comme un château de cartes balayé par unebourrasque.Sesprojets,l’opérationdesamère,leurnouvellevieàtouteslesdeux…toutétaitpartienfuméejustesoussesyeux.Cen’étaitpastantlefaitd’êtreconfrontéeàTanisquil’effrayait.Non,etloindelàmême.Maisc’étaitcequecelaimpliquait.Elianorallaitseretrouversansemploi.Elleétaitsûreque Tanis n’allait pas perdre une seconde avant demettre Tristan au courant. Et alors là… ce seraitvraiment la finpourelle.Pourelles, songea la jeune femmeen jetantuncoupd’œil aucorps frêledeDafnequis’agitaitdanslacuisinepourluiréchauffersondîner.

—Maman,laisse.Jem’encharge.—Eli,jenesuispasensucre.

Lagorged’Elianorseserra.Non,samèren’étaitpasensucre.Elleétaitbienplusfragilequecela.Lamaladieavait laissédesmarquessur sonvisageet soncorps.Les jouescreusées, le teintblafard,unerespirationlaborieuse,desquintesdetouxàvousrendremalade.Pirequedeperdresonemploi,elleneseraitplusenmesuredesauverDafne,carlesmédecinsavaientétécatégoriques:unseulespoirnonpasdevivreunevienormale,maisdecontinueràvivretoutsimplement,étaitdesubirdetouteurgenceunechirurgie novatrice dont le protocole était encore expérimental. Une chirurgie dont le coût étaitmonstrueux.Seulement,plus les jourspassaient, etplus leschancespour samèred’obtenirun résultatpositifàl’issuedecetteopérations’amenuisaientetlesprobabilitéspourqu’ElianoratteigneunjourcebutultimeavaientdisparudesonhorizonquandTanisavaitposélesyeuxsurellecematin.

Ellesesouvenaitencoredecetteatmosphèrelourdequiavaitcrépitéautourd’elles.Elleenavaiteulachairdepoule.

—Ne me dis pas… Oh non, c’est la meilleure ! s’était esclaffé Tanis, les mains posées sur seshanches.NemedispasquetutravaillesàPearl?

Brusquement,Tanisavaitcesséderireetfixédesesyeuxbleuélectriquelevisaged’Elianor.

—Tu osesmettre les pieds ici, avait-elle lancé d’une voixmenaçante, son indexmanucuré pointéagressivementverslajeunefemme.Aprèstoutcequetuasfait…Es-tucomplètementstupide?J’imaginequeTristanne sedoutepasde taprésence ici.Qu’espères-tu accomplir envenant travailler àPearl ?Tenter de reconquérir le nouveau PDG ? Son rejet ne t’a donc pas suffi ? Mon Dieu, ce que tu espathétique!Fais-toisoignermapauvre!Combiendefoisdevrais-jetelerépéter?Tristannet’aimerajamais.

Lesous-entenduavaitétébienlà.Tanisnecesseraitdoncjamaisderetournerlecouteaudanslaplaie.Mais la façon dont Tristan l’avait traitée quand elle lui avait avoué ses sentiments était gravée pourtoujoursdanssamémoire.L’humiliationavaitétételleque,duhautdesesdix-huitans,elleavaiteuenviedemourir.Rienne luiavait faitaussimal.Encoreaujourd’hui, soncœurenportait lescicatrices.Descicatricescertesinvisibles,maisd’autantplusdouloureuses.Fréquenter,faireconfiance,sedonneràunhomme lui avait été impossible après ça. Alors non, Tanis avait tort, car cette seule fois lui avaitlargementsuffi.Sonuniqueconsolationavaitétédepouvoirlarembarrercommeelleauraitdûlefaireilyabienlongtemps.

—Contrairementàtoi,Tanis,j’aiévoluéetsurtoutmûripendantcessixannées.J’ailaisséTristanloinderrièremoiauxcôtésdesbéguinsetautresstupiditésd’adolescente.

Elianor toucha du bout des doigts sa joue encore douloureuse. La réaction de Tanis avait été à lahauteurdelablessurequecessimplesmotsavaientprovoquéechezelle.Sesyeuxluiavaientlancédestorpillesetelleavaitdégainéaussisec.Elianorn’avaitpaseuletempsd’esquivertantsagifleavaitétérapide.

—Onsereverrabientôt.Bienplustôtquetunelecroisd’ailleurs,l’avait-ellemenacé.N’oubliepastaplaceicietqu’ilmeseraittellementfaciledeterendrelavieimpossible.

Nuldoutequ’elleseraitconvoquéeauservicedesressourceshumaineslelendemaindèslapremièreheure.ElleimaginaparfaitementTanisregagnerlebureaudeTristanaupasdecoursepourluiapprendrelanouvelle.SoncontratàPearltouchaitàsafin.Ladernièremenacedelagrandeblondeavaitétésanséquivoque. Que pouvait-elle bien avoir d’autre en tête que de lui faire mordre la poussière en larenvoyant sans cérémonie ? Ne l’avait-elle pas déjà évincé de la compétition six ans plus tôt parcequ’Elianoravait été tropprochedeTristan?Tanisétait toujoursaussi stupide : iln’yavait jamaiseuaucunechancequeTristanetelleviventunequelconquehistoire.Iln’étaitpascapabled’aimeretElianorn’avaitjamaisétéunemenacepourTanisnipouraucuneautredesespetitesamies.

—Tontéléphonevientdevibrer,luiindiquasamèreenleluiapportant.—Merci,Maman.

Balayantcessouvenirsd’unreversdemain,elleenglobalesdoigtsfinsetlégèrementtremblantsdesamère.Illuiétaitdifficiledenepass’appesantirsurunpasséquimalgrétousseseffortslahantaitencore.

ElledéverrouillasonportableetdécouvritunSMSdesonmeilleurami.

Alex:[SalutEli!Tuseraisdispodemainpourundéjeuner?J’aiuneoffreàtefairequetunepourraspasrefuser.Bises,A.]

Auvudesonfuturlicenciement,Elianorcraignaitbienqu’elleaitàl’avenirtoutletempsdumondeàconsacreràsonami.Sanstarder,ellepianotasurl’écrandesontéléphonepourluirépondre.

Elianor:[SalutAlex!Avecplaisir.12h30,mêmecaféqued’habitude?E.]

Elle lâcha un long soupir de démotivation. Ces six dernières années n’avaient été qu’une suite debatailles.Desbataillesquisemblaienttoutesperduesd’avance.Malgrésondésespoir,ellenepouvaitsepermettredebaisserlesbras.

***

C’étaitétrange.Étrangeetinquiétant.Personneneluiavaitpassédecoupdefilmenaçant.Personnenel’avait sommédese rendreà l’étage.MêmePetrane luiavait faitaucuneallusionquand le lendemainmatin,Elianorétaitvenuebossercommed’habitude.Toutétaitsinormal, tropnormal aupointqu’ellepensaavoirrêvésarencontreavecTanislaveille.

—Merde!C’estquicemeccanon?s’exclamaunedesescollèguesdanslecouloirenfacedesonbureau.—Ca-non,c’estletermeeneffet.Tucroisquec’estundesmannequinsqu’onemploieici?s’extasia

Sara,l’unedesassistantesdePetra.—Ildoits’êtreperdu,lepauvre!Maisjeveuxbienl’aideràretrouversonchemin.

Blasée,Elianorlevalesyeuxauciel.Incroyablecommesescollèguespouvaientselaissergouvernerparleurshormones.Ayantbesoindeconcentration,elleserelevapourallerfermersaporte.Lamainsurlapoignée,elles’arrêtanetquandellereconnutlasilhouettequierraitcommeuneâmeenpeine,sansbut,danslescouloirs.

— Tu veux dire que tu adorerais en faire ton quatre-heures ? railla une autre employée qui, parcuriosité,étaitsortiedesonbureau.

Habituéauxregardsinsistantsdelagentféminine,Alexn’yprêtaitmêmeplusattention.Avecsonmètrequatre-vingt-huit,sahautestatureattiraitlagentfémininecommelesabeillesétaientattiréesparlemiel.Sesyeuxvertprofond,sonnezfin,seslèvresrosesetcharnuesfaisaientdeluiunbourreaudescœurs.Commesicen’étaitpassuffisant,ilavaitunepeauparfaite,unemâchoirecarréeetvirile,dessourcilsbiendessinésetdescheveuxchâtainsraidescoiffésnaturellementenbrosse.Biensûr,lesgensàl’espritmal placé présumaient qu’Elianor et lui étaient bien plus que de simples « copains ». Malgré cesallégationsdouteuses,lesdeuxamissavaientparfaitementqueleurrelationétaitbientropprécieusepourlagâcheravecunehistoiresuperficielleetquinedureraitqu’untemps.GarderdesrapportsplatoniquespourElianorétaitchoseaisée,carmêmesiAlexanderétaitlerêvedenombreusesfemmesenraisondeson physique, elle avait cessé de rêver d’entretenir un lien charnel avec un homme, aussi beau fût-il,depuisbienlongtempsdéjà.

Lejeunehommes’arrêtaitdevantchaquebureauetypassaitlatête,espérantcertainementlatrouver.Jamais son meilleur ami ne s’était aventuré dans les sous-sols de Pearl pour venir la chercher.D’habitude,ill’attendaittoujourssurleparking.Elianorjetauncoupd’œilàsamontreetdécouvritqueMonsieuravaitunebonnetrentainedeminutesd’avance.Leursregardssecroisèrentetlesyeuxd’Alexprirentunplirieur,commes’iltrouvaitcettesituationparticulièrementamusante.

—Qu’est-cequetufichesici?mima-t-ellepournepasattirerl’attentiondesescollègues.

Cefutunéchectotalquandtoutessuivirentladirectionqu’avaitpriseleregarddesonmeilleurami.Vissantunsourirecharmeuràseslèvres,ilavançad’unpasdécidéverselle.Avecunairqu’elleneluiconnaissait pas, il lui fonçadroit dessus, tel unmissile téléguidé, l’attrapa par la taille, plaquant soncorps contre le sien, suggérant à un œil extérieur une intimité entre eux qui n’avait jamais existée.Alexander obligea Elianor à suivre son mouvement tout en reculant dans son bureau. Cette scèneprovoqua lesmurmuressurexcitésdesescollègues.Sansdoute,d’iciunevingtainedeminutes, tout lemondeseraitaucourantqu’unhommes’étaitenferméavecMademoiselleDentondanssonbureau.

—Tuascomplètementperdulaboule!soufflaElianortoutenréprimantunéclatderire.—Désolé. J’espèreque jene t’aipasmisedansunesituationembarrassanteavec toutça,maisces

fillesn’arrêtaientpasdemecollerauxbasques.Ducoup,pourqu’ellesperdentespoir,jemesuisditquetuseraisl’excuseidéale.Etpuisétantdonnécequetum’asracontésurcespimbêches,leurrabattrelecaquetenlespersuadantquenousavonsuneliaisonm’asembléêtreparfait.Enfin,dumomentqueçanetecréepasdeproblèmes…

ÀpeineAlexandereut-ilfinisaphrasequelaportedubureaud’Elianors’ouvritsubitement,laissantapparaîtrenulleautrequePetra.Sonexpressionpeuaffablelaissaitdevinerqu’ellen’étaitpasdebonnehumeur.Dumoinsjusqu’àcequ’ellecroisefurtivementleregardd’Alex.Elle luiadressaundeuxièmecoupd’œilplusprononcé.Sesyeuxglissèrentsursasilhouette.Unsourireappréciateurétiraseslèvres.Il était évidentque sachef, elle aussi,n’étaitpasdu tout insensibleauxcharmesde sonmeilleurami.Instantanément,laridedecontrariétéentraversdesonfrontsedéplissaetellelançaaujeunepompierunregarddesplusaguicheurs.Elianorneputsecontenirdavantageetunpetitreniflementluiéchappaquidénotaitunamusementcertain.Lecamouflantentoussotant légèrement,elleplaquaunlégersouriresur

seslèvres.

—MadameMason,vousmecherchiez?s’enquitinnocemmentElianor.—Euh,non,non…, réponditcelle-cidemanièredistraite.Enfin, jeveuxdire,oui !Une réuniondu

personnelaura lieudemainmatinet je…Jenecroispasquenousayonseu leplaisird’êtreprésentés,enchaîna-t-elleabruptementenadressantunsourireàmillemégawattsendirectiond’Alex.

Les yeux de sa patronne firent plusieurs allers-retours entre elle etAlexander.OK, donc les ragotss’étaientdéjàpropagés.Dumoinsassezvitepourquecelaarrivejusqu’auxoreillesdePetraquin’avaitpus’empêcherdevenirvérifiersilesdiresdesdifférentesemployéesdesarchivesétaientvrais.Yavait-ilréellementunhommeaussisexyqu’ellesleprétendaientdanslebureaudelavilaineElianor?Est-cequetouteslesfemmesagissaientainsiavecAlex?

—Enchanté,lasalua-t-ilavecunsourirepoli.Elichériem’abeaucoupparlédevous.

Elichérie?serépéta-t-ellesilencieusement,toutenravalantunricanementsarcastique.

—MademoiselleDenton,vousnem’aviezpasdit avoiruncompagnon…aussi charmant.Êtes-vousmannequin?s’enquitsabossdebutenblanc,sesyeuxsepromenantlibidineusementsurlecorpsd’Alex.—Non,jesuispompier.Lemondedelamodenem’ajamaisintéressé.Enfin,si,depuisquemonpetit

cœurtravailleici,répondit-ilenpinçantavecaffectionleboutdunezd’Elianor.

Sanss’arrêteràcepetitgestequiauraitplusétéplusadaptéàunenfantdecinqans,Alexpressaseslèvrescontresatempe.

—Àcepropos,es-tuprêtepournotredéjeunerenamoureux?

Elianorluiadressaunsourirecrispé.Ilexagéraitvraimentdanslerôledepetitami.Était-ilaussi…aussiamoureuxavecsescopines?

—Oui…euh,poussin,lâchaElianorquieuttouteslesdifficultésàluitrouverunpetitnomàlahauteurdupetitcœurridiculedontill’avaitaffublé.MadameMason,vousm’excuserez,j’aipromisàAlexqu’ondéjeuneraitentêteàtête.—Oui,ehbien.Allez-y,jenevousretienspas.

Elianor ne releva pas, mais au haussement de sourcils d’Alex, elle sut que l’aigreur dans sa voixn’avaitpaséchappéàsonmeilleurami.Surleparkingvisiteurs,ellerepérad’embléelaFordKugagrised’Alex,uneespècede4x4quin’étaitabsolumentpasutilepourlesruesbiengoudronnéesdelacapitaleanglaise.

AprèsavoirgarélebolidedeMonsieurdansunparkingsouterrain,ilss’installaientàunetabledansun

petit bistrot du quartier deSoho, à l’ouest deLondres.Aidés par le charmemagnétique d’Alex, leursplatsnetardèrentpasàarriver.Ilsdiscutèrentdetoutetderien,enprofitèrentpourparlerdeleurtravail,delaviesentimentale–etchaotique–dujeunehommeetdesamisqu’ilsavaientencommun.Elianorsesentait toujours de bonne humeur lorsqu’elle était en sa compagnie. Il avait l’art et lamanière de luirendre lesourireavecsafaçonsiuniquederacontersesdéboires.Àl’écouter,elleavait l’impressionquesestracasétaientlointainsetlavieperdaitcettenuancedegrispourseteintersubitementderose.

—Tiens,tantquej’ypenseetc’estsurtoutpourçaquejet’aiinvitéàdéjeuneravecmoi,lançaAlexentredeuxbouchées.TuterappellesClaudia,unegrandeblack,tatouée,avecdescheveuxblondplatine?— Euh, Claudia ? répéta Elianor en plissant ses yeux, concentrée. Ce n’est pas l’organisatrice de

réceptionsassezhuppées?Cellequiétaitàtapendaisondecrémaillère?—Bingo ! J’ai été surprisquandellem’aappeléhier soir.Elleorganise la réceptionde l’annéeet

plusieursdesesserveurssonttombésmalades.C’estunpeulacrisepourelle.Ellesesouvenaitquetuavaisdel’expériencedanslesréceptionsdemariageentantqueserveuseetaide-cuisinière.Jemesuispermisdelui laisser tescoordonnées.J’aipenséquetuneseraispascontre,vuquec’est leweek-endprochainetquetunecrachespassurquelquescentainesd’eurosenplus,n’est-cepas?—Quelquescentainesd’euros?s’exclama-t-ellesceptique.—C’estTHEsoiréedel’annéeapparemmentetj’imaginequesoncachetseraenconséquence.Jeme

suis aussi proposé comme intérim, comme ça, tu ne seras pas toute seule, renchérit-il avec un sourirecomplice.Jen’aipastropdiscutédesdétailsavecelle,maiselledevraitnouscontacterenfindejournéeoudemainmatingrandmax.

Elianorn’avaitcertesjamaiscachésesproblèmesfinanciersàAlexandernilasituationdanslaquellesetrouvaitsamèrevis-à-visdesasanté,maisdel’entendreenparlerainsietprendrelesdevantspourl’aider était quelque peu embarrassant. Néanmoins, elle ne pouvait s’empêcher de lui en êtrereconnaissante, car quand on était pauvre comme elle et que l’adversité était son quotidien, la fiertén’avaitplusvraimentsaplace.Avecunsourirecontrit,elleleremerciaetnotasurunpetitcalepinqu’elleextirpadesonsaclenumérodelafameuseClaudia.

Lecœurunpeuplusléger,ElianorretournaauxbureauxdePearlInc.pouryterminersestâches.Sasemaine suivit cemême rythmemonotone.Elle fut heureuse de remarquer, en se rendant pour faire leménageàlabanque,quesonplanavaitparfaitementfonctionnéencequiconcernaitKarlCunningham.Endemandant à sa collègue Irina d’échanger leur couloir, elle n’avait pas croisé une seule fois le jeunebanquier,cequiréussitàladétendrequelquepeu.PourcequiétaitdeClaudia,lajeuneorganisatricedesréceptionslesplusbranchéesdeLondresnemanquapasdel’appelerassezrapidementpourluiproposerunjob.Elianoravaitaccepté,presquedans lasecondequiavaitsuivi l’offre :unesommemirobolanteétait à la clef. Une réception était organisée en l’honneur d’une personnalité éminente de la sociétéhuppée londonienne.Servirdescocktails, coupesdechampagnesetpetits canapés,Elianor l’avait faitdescentainesdefoisetpourmoinsquecequ’onluiproposait.Elleétaitdoncheureused’accepterunjobqui lui paraissait bien trop payé pour la tâche qu’elle devait accomplir. Cette somme d’argent iraitdirectementsurlecompteépargnequ’Elianoravaitouvertafind’yplacerseséconomiesdansl’optiquedefaireopérersamère.Cetteréceptionserait lecoupdepoucequ’ellen’avaitoséespérer.Lachancesemblait enfin lui sourire, car à ces bonnes nouvelles s’ajoutait le fait qu’on ne l’avait toujours pas

licenciéedePearl.D’ailleurs,ellen’avaitaucunenouvelledeTanis,cequiétaitàlafoismiraculeuxetterrifiant.

Alors le samedi suivant, avec enthousiasme, habillée d’une chemise blanche, d’une cravate et d’unpantalonàpincenoir,elledescenditaupieddesonimmeubleoùl’attendaitletout-terraind’Alex.Unefois saceinturedesécuritéattachée, ilsneperdirentpasuneminutedepluset filèrentendirectionduDorchester’s où la salle de réception devait être décorée pour l’événement de l’année. L’hôtel enquestionétaitsituédanslequartierdeMayfair.EtmêmesiElianorn’avaitpasl’habitudedecegenredemilieu,ellesavaitparfaitementlegenredepersonnalitésquifréquentaientcetendroit.

La tensionmonta d’un cran quand elle découvrit la magnificence de la salle de bal réservée pourl’occasion.Desmarchesenmarbremenaientàuneplateformeausolsilustréqu’ilenparaissaitneuf.Lesmurs blancs étaient immenses.Desmoulures d’époque décoraient le plafond et les lustres étaient toutaussiimpressionnants.

—C’estcarrémentgrandiose,luichuchotaAlex.

Ellehochasimplementlatête,totalementconquiseparledécorquis’offraitàelle.Undécoridyllique,dignedesplusgrandscontesdefées.QuandClaudiaarrivapourlesguiderjusqu’encuisine,Elianorseconcentra.Elleétaitlàpourtravailleretnonpouradmirerleslieux.Ellen’appartenaitpasàcemonde.Ellel’avaitdéjàcôtoyéparlepasséetlepeud’aperçusqu’elleenavaiteuslorsdesesreprésentationsen tant que violoncelliste ne lui en avait pas laissé une très bonne impression. C’était un milieu oùl’hypocrisiefaisaitrage,laperfidieétaitreineetlaméchancetéatteignaitdessommetsinsoupçonnés.LesouvenirdeTanisetdeTristansuffitàluiprouveràquelpointelleavaitraison.

Alex et elles rejoignirent une véritable armée de serveurs. On leur expliqua le déroulement de lasoirée.Toutétaitchronométréàlaminuteprèsetpasunseulfauxpasneseraittoléré.Claudiaétaitsoustension,songeaElianorenladétaillantducoindel’œil.Lasoiréedel’année.Toutlegratinlondonienallaitbientôtdébarquer.Ilyavaitdequoiêtrestressée.

Sans tergiverser davantage, elle noua un tablier blanc autour de sa taille, signe distinctif qu’elleappartenaitàlaclassedesserveurs.Lesfeuilletésetdiversmetsétaientprêts,Elianoretsescollèguesn’avaientplusqu’àlesdisposerselonunplanbienprécissurlesplateaux.

QuandElianorselançadanslabataille,lamajoritédesconvivesétaitdéjàarrivée.Tousétaienttirésàquatre épingles. Des œuvres d’art contemporaines avaient été placées çà et là dans la pièce, ce quicontrastaitparfaitementaveclechicclassiquedel’hôtel.Lamusiqueàlamodeétaitforte.Desrideauxétaienttirésdechaquecôtéd’unescèneinstalléecommesiunorchestreallaityprendreplace.Depetitestablesavaientétédisposéesunpeupartoutdanslasalle,permettantainsidedéposercoupedechampagneouamuse-bouche.

Lespremièresminutesde son servicecommencèrent tranquillement, les invités semblaientdebonne

humeur.Évidemment,Elianoressuyaquelquescritiques,ainsiquedesremarquesdéplacées,maisellenes’en soucia guère. Après tout, elle n’était qu’un plateau vivant déambulant parmi la haute sociétébritannique.

Auloin,elleaperçutAlexquiluiadressaunpoucelevé.Elleluiréponditdelamêmefaçonpourluisignifierquedesoncôtétoutallaitbien.Elletrouvaçaparticulièrementmignonettouchantdevoiràquelpointilpouvaitsesoucierd’elle.

Au détour d’un rassemblement de top modèles, son épaule cogna violemment le bras d’un hommeétonnammentgrandetmuscléàen jugerpar ladouleurqui irradiadanssonépauleaprès l’impact.Leslumières de la salle s’éteignirent subitement alors que son plateau lui échappait des mains. Seul unprojecteurdepoursuiterestaitalluméetpointaitendirectiondufonddelasalle.Toutlemondesemitàapplaudirl’entréedel’invitéd’honneur,couvrantlefracasduplateaueninoxqu’Elianorlaissatomber.Aussitôt,elles’accroupitpourramasserlespetitsfoursquiroulaiententrelesjambesdesinvités.

—Toutesmesexcuses,jeneregardaispasoùj’allais,lançaElianorsansprendrelapeinedecroiserleregardsansdouterévoltédel’hommequ’ellevenaitdebousculer.

Maislesjambesdujeunehommefléchirentdevantelle.Allait-illagifler?sequestionnaElianoraveccrainte.Lesyeuxplissésetlesdentsserrées,Elianortentaitderentrersatêteentresesépaulesquandelleaperçutsonvisageducoindel’œil.

—Riendecassé?s’enquit-ilaprèsavoirétudiésapostureplusqu’étrange.

Cettevoix…C’étaitcellede...Elletournavivementlatêteetplongeasesyeuxdansdesirisambrés…DesirisambrésquiappartenaientàKarlCunningham.

—Qu’est-cequevous…

Elle se redressa et sa voix se perdit dans un murmure quand des confettis argentés tombèrent duplafond. Au loin, Claudia munie d’un micro monta sur scène alors que le projecteur suivait ledéplacementd’unhommequiétait sansdoute la raisondecettecélébration.Lecœurd’Elianor fituneembardée derrière ses côtes. Le micro venait d’être confié à une jeune femme aux cheveux blondsétonnammentbrillants.Et toujours leprojecteursedéplaçaitenserapprochantde lascène.Bientôt,unhommeexcessivementbeaularejoignitsurscène.Lesyeuxécarquillésd’épouvante,sûrequesoncerveauluijouaitdestours,ellereculad’unpas,prêteàprendrelafuite.Sonvisagesedécomposasouslechocetlastupeur.

C’étaitimpossible…cenepouvaitêtre…

Non…Non ! articula-t-elle sans qu’aucun son ne sorte de sa gorge alors que sa main se plaquaitviolemmentcontresabouche.

—Tristan, tous tes amis etmoi-même sommes réunis ce soir pour te souhaiter unbon retourparminous.BonretouràLondres!clamaTanisavecunsourireradieux.

Règlenuméro3

S’avouervaincue

Elianor, le cœur battant à tout rompre, avait trouvé refuge sur l’un des balcons bordant la salle deréception. Ses mains tremblotantes étaient agrippées aux rambardes de fer forgé comme si sa vie endépendait. La situation avait dépassé le stade de « critique ». Une véritable épée de Damoclès étaitsuspenduejusteau-dessusdesatête.

Tristanétaitlà.Justelà,àcôtéd’elle.Unfrissondésagréablelafittressaillir.

—Bonsang,Eli!Claudiatecherchepartout,qu’est-cequetufous…

Elle reculad’unpas en sursaut.Enobservant l’expressionapeuréede sonamie, le tond’Alexanders’adoucitimmédiatement.

—Qu’est-cequis’estpassé?Est-cequequelqu’unt’a…—Non,toutvabien.Jeprenaisunpeul’air,mentit-elle.—Tuesunepiètrementeuse.

Ellevoulutsourireoulecontredire,maisellenes’ensentitpaslaforce.Commentmettredesmotssurlasituationdanslaquelleellesetrouvait?SielledevaitexpliqueràAlex,illuifaudraitremontersixansplus tôt,aucommencement.Maisest-ceque lui relater lesévénements lesplushumiliantsdesavie lasoulagerait?Plusimportantencore,aurait-ellelecrandemettredesmots,aprèstantd’annéesetd’effortspour oublier, sur les événements qui s’étaient enchaînés durant la journée au cours de laquelle sa vieavaitbasculé?Desévénementsquil’avaientmarquéeàjamais.Savies’étaittransforméeencauchemar.Toutsonmondes’étaitécroulécommeunchâteaudecartesenpleinetempête.Safamille,sesrêves,sonfutur… tout avait volé en éclats. Son père, Tanis et Tristan y avaient tenu les rôles principaux, seremémoraElianoravecunegrandesouffranceetunprofondcynisme.

—Tusaisquetupeuxtoutmedire,hein?insistaAlexenrelevantsonvisageverslesien.

Ellesemordillalalèvreinférieure,tirailléeentrel’enviedeseconfieretcelledesetaireàjamais.Mais c’était Alex, l’une des seules personnes en qui elle pouvait avoir confiance. Face à l’attenteemplissantlesyeuxdesonmeilleurami,ElianorrassemblatoutsoncourageavantdeselancerdansunrécitdouloureuxetplusquesuccinctsursonpassécommunavecTanisRutherfordetTristanKane.Elleabordaévidemmentsesannéesdesolfègeet son talentpour levioloncelle.Elle luiconta leplusbeau

jour de sa vie, quand son professeur de musique lui avait annoncé qu’elle était sélectionnée pourcandidateràlabourseRutherforddelaRoyalAcademyofMusicdeLondres.EllementionnalerôlequejouaTanisdansladestructiondesonrêveleplusprécieux.EllefutplusévasivesurTristan,mêmesielleluiexpliquaqu’elleavaitnourriunamouràsensuniquepourlui.Ellenelaissariendecôté,commesienparlerpourlapremièrefois,mêmesommairement,avaitétéledéclic.Lesmotsfranchissaientseslèvres,commesiplusaucunebarrièrenelesretenait.

Àlafindesonrécit,Alexsepassaunemainsurlanuque.Unsoupirluiéchappaalorsqu’ilencaissaitcequesameilleureamievenaitdeluirévéler.Ilétait loindesedouterqu’Elianoravaitétéuneétoilemontantedelamusiqueclassique.

—Jamaisjen’auraispuimaginerque…Enfinjeveuxdire,tudevaisêtresacrémentdouée,non?—Ilyatoujoursmeilleurquesoi.Disonsjustequejemedébrouillais,répliquaElianorquiétaitloin

d’êtredecellesquisecomplaisaientdansleséloges.—Bon,sijerésumebien,tuveuxàtoutprixleséviter.C’estça?

Elianorhochasimplementlatête.

—OK,jevais tenterdefairediversion.Pourlerestedelasoirée,soishypervigilanteetcontournescrupuleusementl’emplacementdeceTristanTrucmuche.Çamarche?

Quandelleacquiesça,Alexsemblarassuré.

—Resteiciencorequelquesminuteshistoiredetecalmer.Jeprendslerelaispourtoi.

Il déposaunbaiser sur ses cheveux avantde s’éclipser.Lanuit était fraîche et unvent légervenaitfouettersonvisage.Latranquillitédeslieuxcontrastaitsingulièrementaveclebrouhahaàl’intérieuretlamusiqueassourdissantequebalançaitunDJrenomméengagépourl’occasion.Elianorn’avaitjamaisétél’unedeces fêtardes,passant sesnuits àmettre le feuaudancefloorpour s’effondrerdans son lit auxpremièreslueursdujour.Non,savieétaitbienplustranquilledececôté-làetcemondenel’avaitjamaisattiré.

Uneporte-fenêtresituéeà l’autreboutdubalcons’ouvrit lentement, lui laissantassezde tempspourreculerdanslapénombre.Entantqu’employée,ellen’étaitpascenséeprendredepausecommebonluisemblait. Mais dans l’angle où elle se trouvait, personne ne pouvait deviner sa présence. Soulagée,respiranttoutdesuitemieux,elleavançaàtâtonsdanslenoir.Sursadroitesetrouvaitlaporte-fenêtrepar laquelleelleétaitentrée.Ellese faufilaenrasant lemurpouratteindre l’uniquesortiedesecours.Ellenedistinguaitabsolumentrienetlorsquesatêtecognaunesurfaceparticulièrementdure,ellerévélasaprésence.Retenantunjuron,Elianorgrimaçaenportantsamainàsonfrontdouloureux.

—Quiestlà?s’enquitunevoixmasculinetapiedanslapénombre.

Samainvints’abattrecontresoncœuraffolé.Cettevoixautimbregravesiparticulier,cettefaçonsisingulière de s’exprimer avec une diction parfaite…Mais ce fut surtout les sensations l’assaillant enréponseàcettevoixrauqueetsexyquiladéroutèrent.Etellen’eutplusaucundoutequantàl’identitédeson propriétaire. C’était un véritable appel du cœur, un appel au danger. Un danger qu’elle frôlaitsérieusement.Unedéchargeélectriqueparcourutsondosquandils’avançaetquesonvisagefutbaignéparunhalodelumière.Elianorréalisaalorsquesixansdansunevienereprésentaientabsolumentrien.Sixansnesuffisaientpasàl’effacer,nilui,nisonvisageetencoremoinstoutelapanoplied’émotionsqu’il suscitait en elle. Un vertige qu’elle avait aimé, qu’elle avait espéré, qu’elle avait désiré, maisqu’ellehaïssaitàprésent.

Sixansauparavantetencoreaujourd’hui,lasimpleproximitédeTristansuffisaitàlamettreenémoi.Fascinéecommeunecollégiennefaceàsonpremieramour,lecœurmartelantdanssapoitrine,sesyeuxparcourantavidementsonvisage,neserassasiantjamaisduspectacledelaperfectiondesestraits,delamasculinitéde sa silhouette…Oui,Elianoravait longtemps réagi ainsi.Mais aujourd’hui, si soncœurmenaçaitd’imploser,sisagorgedevenaitsèche,lesraisonsn’auraientpuêtreplusdifférentes.Dumoins,c’était cedont elle étaitpersuadée. Il étaitbien loin le tempsoùTristanpouvait ladérouterd’un seulregard.

Paniquéeàl’idéed’êtredécouverte,ellesetapitunpeupluscontrelemurdanslestupideespoirdepouvoirfusionneraveclesbriquesderrièresondos.Siaucunsonnetraversaitseslèvres,alorspeut-êtreque Tristan finirait par croire à une hallucination auditive. Après tout, la musique assourdissanteprovenantdelasalledebalauraitpul’induireenerreur.

—Qui…est…là?répétaTristanenserrantlesdents.

Ses yeux la transpercèrent quand il fronça les sourcils en visant l’emplacement exact où elle setrouvait. Il soupira avec ce qu’il sembla à Elianor être de l’exaspération. À croire que ce genre desituationsluiarrivaitdemanièrerécurrente.

—Cegenredejeunem’amuseplusdepuisbienlongtemps,explicita-t-ilenportantunverred’alcoolàseslèvres.

Ildescendit le liquided’une traite.Dequel jeuparlait-il?songea-t-elle.Àquoifaisait-ilallusion?L’attitudedeTristanétaitparticulièrementétrange,dumoinscen’étaitpaslecomportementqu’onétaitendroitd’attendredelapartdel’invitéd’honneurd’unesoiréeaussiluxueuse.Quefabriquait-ilàl’écartdetous?N’était-ilpascenséjouerleshôtesparfaitsetsemélangeràtouscesgensquis’étaientdéplacéspourlui?

—J’ailaissélesaventuresd’unsoirderrièremoidepuisl’université.Uncoupvitefaitcontrecemurn’estpasdutoutdansmesprojets.

Mais…dequoi…CettedernièredéclarationfinitdescotcherElianor.Jamaisellenel’avaitentendu

s’exprimer aussi crûment. Est-ce que les femmes qu’il fréquentait avaient recours à ce genre destratagème ? Pourquoi ?Avoir la chance de se taper TristanKane ? Par réel désir ou parce qu’ellesespéraientqu’unepartiedejambesenl’airavecluileurserviraitdetremplin?C’étaittellementlugubrequ’Elianorneput réprimerunegrimacededégoût. Inclinant la tête sur le côté, elle l’examinadanscesilence troublant.De touteévidence, il avaitdéjàbienbu.Samaingaucheétait resserréeautourde larambarde en fer forgé et ses articulations apparaissaient blanchies tant ses doigts exerçaient une fortepression.Latensionquiémanaitdeluiétaitsiélectriquequ’ellesemblaitcrépiterautourd’eux.Tristansemblaitsi…si…mélancolique…bizarre.Sonvisageétaitfermé,maisElianorleconnaissaitassezpourpercevoiràquelpointsesémotionsétaientàfleurdepeau.

Unpincementaucœurfurtiflatrahit.Qu’est-cequiluicausaitautantd’inquiétude?Pourquoiavait-ill’airsitristequandtouscélébraientsonretouràLondres?

Quanduneondedecompassionfaillitlasubmerger,Elianorseressaisitensefustigeantd’êtreunréelcœur d’artichaut.Avait-il réellement le droit à son empathie ?Non, parce qu’elle n’oublierait jamaisavecquellefroideur,avecquelméprisill’avaittraitéesixansplustôt.Iln’avaitpasprissonparti;ill’avaitaccusée,jugée,condamnée.Pasdeprésomptiond’innocencepourelle.Non.Jamais.Tristanétaitunjugequinetransigeaitjamais.

Lesmembrestremblantsouslepoidsdelarancœur,etavantderéellementsetrahir,Elianormittouteprécaution de côté en ouvrant violemment la porte-fenêtre. Sa silhouette baignée par la lumière, ellel’entrebâillajusteassezpourpouvoirpasser.Elleeutàpeineletempsdeposerunpiedàl’intérieurquelavoixdeTristanlastoppadanssonélan.

—La voilà ! s’exclama-t-il avec un rire dénué de toute joie. C’est amusant, poursuivit-il d’un airabsentcommesiluiaussiétaithappéparlesréminiscencesdupassé.Etsurtouttrèstroublant.Vousmerappelezquelqu’un…quelqu’unqui…

Larespirationsubitementlaborieuseetdouloureuse,ellefutfrappéeparlepassé.

«Tun’esrienàmesyeux.Absolumentrien.»

Ces mots avaient encore le pouvoir de lui broyer le cœur. Chaque fois qu’elle se les répétait, sarespirationsebloquaitcommesionluiavaitassenéuncoupenpleinplexus.EtElianorsedétestaitdeleurdonner,encoreaujourd’hui,autantd’importance.Elleavaittournélapage,maiselleauraitsouhaitétout effacer, oublier pour toujours.Sonamertumeétait si grandequ’elle avait l’impressionque jamaiselle ne serait capable d’avancer. Pourtant, songer à son histoire avec Tristan était un luxe qu’elle nepouvaits’octroyer.

Ilyasixans,duhautdesesdix-huitans,elleavaitcomprisquelavieétaitloind’êtred’unbeauroseuniforme,maisunesuccessiondenuancesdegrisplusoumoins.Pourtant,ellerefusaitdesedémotivermalgrélesobstaclesquisedressaiententraversdesonchemin.Poursasantémentale.PourDafne.

EtTristanétaitdéfinitivementunobstaclequ’elledevaitcontournercoûtequecoûte.

Ellehâtalepaspourretrouverlescuisinesetreprendresonservice.Ensuivantlesconseilsd’Alex,ellepouvaits’ensortir.Elledevaits’ensortir.Ellen’allaitpaslaisserTanisgagneraussifacilement.Unefois par le passé, elle l’avait laissée détruire son rêve.C’était une fois de trop.Aujourd’hui, elle nebaisseraitpaslesbrasaussifacilement.

Elle se souvenait encore du nombre d’heures qu’elle avait passé à répéter. Toutes ces heures quiavaient été réduites ànéant.De la jalousie,unedispute,uneblessure.Voilà les ingrédientsqu’il avaitfallupouranéantirtoussesespoirs,pourpulvériserd’unreversdemainleseffortsqu’elleavaitfourniscesdixdernièresannées.

Mêmesi toutes leschancesavaientétédesoncôté, jamaisellen’auraitpudécrocher saplacedanscetteécoledemusique.ParcequeTanis,héritièredel’empireRutherford,enavaitdécidéautrement.Etquand on était la fille des généreux donateurs de la bourse Rutherford, on était prête à tout pourneutraliserlamoindrecontrariété.Unecontrariété,c’étaitcequ’Elianoravaitété.Parcequ’elleensavaittrop, parce qu’elle était dangereuse pour la pérennité de son couple. Un rire amer lui échappa. Saufqu’ellen’avaitjamaisétéunemenacepourTanis…pourêtreunemenace,ilauraitfalluqueTristanaitressentiquelquechosepourelle.

Elle se frotta machinalement le poignet comme si la douleur était aussi atroce qu’à l’époque. Àquelquesjoursdel’audition,alorsqu’ellerépétaitencoretrèstard,ElianoravaitsurprisTanisdanslesbras du cousin de Tristan. Sa première erreur avait été de confronter la jeune femme à ce sujet lelendemainmatin.

—Tuétaisenbonnecompagniehiersoir,luirévéla-t-elleaudétourd’uncouloir.—Jetedemandepardon?

Sesyeuxseplissèrentsouslasuspicionetellepinçasaboucheavecsévérité.Desonmètresoixante-quinze,elledominaitElianord’unebonnetête.

—ToietChristian,vousaviezl’airtrèsproches,insinuaElianorsansjouerdanslasubtilité.

Tanisserapprochalamenaçantdetoutesahauteur.

—Jenesaispascequetusous-entendsparlà,maisilvaudraitmieuxquetut’arrêtesimmédiatement.—Commentoses-tufaireçaàTristan?Letromperaprèscequetu…,chuchotaElianoravecurgence.

Samainpartitsivitequ’ellen’eutpasletempsd’esquiversagifle.L’impactcontresajoueavaitétésifort qu’elle avait le tournis.Ellemassa sapommettepour atténuer la sensationdebrûlure.Loinde se

démonter,elleancrasesyeuxdanslespupillesglacéesdeTanis.

— Si tu crois que je ne vais pas lui révéler que tu couches avec son cousin parce que tu m’asfrappée…

Elle n’eut pas le tempsde finir sa phrase que la grandeblondeprit sonpoignet avec force pour latraînerdansunedessallesdecoursvide.ElleclaqualaportederrièreellesavantdeplaquerviolemmentElianorcontrelemur.Lapressionautourdesonarticulationétaitsifortequ’elleavaitl’impressiond’êtreprisedansunétau.Elletentadesedéfaire,maisTanisresserrasesdoigtsdesortequesonpouceyexercaunedouleurpresqueinsoutenable.

—Tuneluidirasabsolumentrien,l’intimida-t-elle.—Turacontesàquiveutbienl’entendrequeTristanestlemecparfait.Qu’enplusdeça,iln’amême

pas vingt-cinq ans et qu’il est déjà à la tête de son entreprise. Alors, pourquoi le tromper avec soncousin?—Laferme!—Tumefaismal,soufflaElianorenessayantdesedégager.

Tanislatorpillaitduregard.Uneflammeangoissantedansaitaufonddesesyeuxcommesielleétaitpossédée.

—Àquelpointtiens-tuàcettebourse?Unmotàmesparentsettun’aurasplusjamaisl’occasiondejouerdansn’importequelleécoledemusique.C’estcequetusouhaites?

Elianorsavaitquecen’étaitpasdesparolesenl’air.Lepouvoiretl’influencequ’exerçaitlafamilleRutherfordétaientconnusdetous.Mêmesicelal’effraya,l’amouretlaloyautéqu’elleressentaitenversTristanlapoussèrentàfairepreuvedetémérité.Peuimportelesmenaces.

—Lâche-moi!grondaElianorententantderetirersonbras.

Leslarmescommençaientàluimonterauxyeuxtantladouleurétaitatroce.IlluisemblaquelaragedeTanisdécuplaitsaforce,aucunmouvementnepouvaitladétacherd’elle.Alorsavantqu’elleneluibroielittéralementlepoignet,Elianorluiattrapaviolemmentsalonguechevelurequ’elletirad’uncoupsecetfranc.Tanispoussauncriperçantet lui agrippa saqueue-de-cheval.Dansunecolèrenoire, elleavaitrelevéleursmainsjointesau-dessusdelatêted’Elianor.Lechocdesonpoignetcognantlechambranlede la porte provoqua une douleur si vive qu’un voile noir avait recouvert ses yeux. Ses jambes sedérobèrentsoussonpoids,soncorpss’affaissasurleparquetalorsqu’ungémissements’échappaitdesabouche. Elle ne sut pas si son acte était prémédité ou non,mais lesmots qu’elle avait prononcés enl’observant sangloter, son bras plaqué contre sa poitrine lui avait prouvé qu’elle ne ressentait aucuneculpabilité.

— On dirait bien que tu ne pourras finalement pas participer à ton audition. Peut-être l’annéeprochaine?

Sonriredénuédetouthumouravaitencorelepouvoirdeluihérisserlespoils.Àtraversseslarmes,ellel’avaitvueréajustersontopensoie,rejetersescheveuxenarrièreavantdeclaquerlaportederrièreelle.

Lediagnosticauxurgencesavaitétésansappel.Unpoignetfouléàquelquesjoursdel’auditionavaitétésuffisantpourlarayerdelalistedescandidats.Définitivement.

Règlenuméro4

Luttercontrelepassé

Ellepliaàplusieursreprisessesdoigtspourlesdétendre,ladouleurrevenantquandellesongeaitàcetépisode.C’étaitridicule,carsonpoignetétaitenparfaitétatàprésent.Malgrétout,ellesesentaitcommeundecessoldatsamputéssouffrantd’unmembrefantôme.LapressionécrasantedesdoigtsdeTanisavaitétésipuissantequ’Elianoravaitl’impressiond’enporterlesmarquesàjamais.

Unemainjaillitdenullepart.Delongsdoigtsfroidsseresserrèrentautourdesonavant-bras.Commelerefletexactdelagrippedeglacequientourasoncœur.Propulséeavecforcesurlecôté,Elianorsesentitrebondircontrelasurfacedured’unmur,satêtecognantlégèrementlebéton.

Elle respirait péniblement, ses yeux rivés sur la main qui l’empêchait de bouger. Outre le chocphysique,lapremièrechosequilatroubla,cefutl’odeurdesoneaudeCologne.Unmélangesubtildecèdre,decitronetdesantal.Lesarticulationsdesesdoigtsétaientblanchies.Sonsoufflechaudetrapidelui chatouillait le sommet de la tête. Son large torse recouvert d’une chemise d’unblanc immaculé selevaitetsebaissaitaurythmedesarespirationirrégulière.Avait-ilpiquéunsprintpourlarattraper?Oubienétait-cedûà toute cette colèrequ’il essayait de contenir ?Son regard remonta jusqu’à sonnœudpapillonentourantunegorgepuissante.Sapommed’Adams’élevapuiss’abaissaquandildéglutit.Sonmentonétaitfier,samâchoirecarréeetrobusteoùlesmusclessecontractaientsouslatension.Lentement,très lentement, son regard se posa sur une bouche aux lèvres pleines dont les commissures étaienttournéesverslebasavecdédain.Unnezdroit,unprofilpatricien.Ellehésitapluslonguementàreleverla têtepour l’observerdroit dans lesyeux.Despupillesbleuvert, la couleur exacted’unemer agitéereflétantlatempêtequigrondaitenlui.

De la colère, dumépris,mais aussi de la surprise et de l’incrédulité. Se rappelait-il leur dernièrefois?SouslechocElianorfermaobstinémentlesyeux,avantd’êtrebrusquementhappéeparlepassé.

Tristan venait de s’asseoir à côté d’elle alors qu’elle reposait son archet sur son pupitre. Faisantbasculersonvioloncelle,elleledéposaàterresurlecôté.Àpeinearrivéàl’écoleetsansavoirprisletempsdechercherTanis,ilétaitvenudirectementlavoir.Elleetpersonned’autrequ’elle.

Elianorn’étaitpasprésomptueuseaupointdesecroireplusimportantequelapetiteamiedeTristan,loindelà.Quelquescamaradesqu’ellefréquentaitavaientremarquélecomportementassezatypiquedujeunehomme.Certainesfilles,quidétestaientTanis,luiavaientracontéquelejeunehommepréféraitsacompagnieàcelledesapetiteamie.Étrangepourcegarçonqu’elledécrivaitcommelepetitamiparfaitetraidedingued’elledesurcroît.

Dèsqu’ilvenait, ilsavaientpris l’habitudedediscuterde toutetderien.Saproximitéaccélérasonrythme cardiaque. Elianor était sûre que les puissantes vibrations étaient visibles au niveau de sonsternum.Jamaisellenes’étaitsentiesiexcitée,siexaltée,siheureusedetoutesavie.LavoixgravedeTristanétaittellementmélodieusequ’elleauraitpul’écouterparlerpendantdesheuressanscomprendreun seul mot qui sortait de ses lèvres. La jeune femme tentait tant bien que mal de reprendre unerespirationnormalemalgrél’émotionquil’accablaitdèsqueTristansetrouvaitprèsd’elle.Chaquejour,elleattendaitavecuneimpatiencepresqueobsessivelemomentoùellereverraitenfinlejeunehomme.Elle prêtait attention à la façon dont elle s’habillait, elle se surprenait même à accorder un soinparticulieràsescheveuxetcommençaitàappliquerdelégèrestouchesdemaquillage.

Audébutde leur relation, il étaitvenu l’écouter joueren silence, échangeantquelquesmotsetpuis,quandElianors’étaitsentieunpeuplusàl’aise, ils’étaitassisàcôtéd’ellepourdiscuter.Leursbrefséchangess’étaientrapidementtransformésenlonguesconversationsdurantlesquellesilsavaientapprisàseconnaître.Ilsparlaientmusique,deleursétudes,deleursrêves,deleurspeursaussi.DeséchangesquiavaientfaitsombrerElianordansunamourinconditionnel.ChacundestraitsdecaractèredeTristanlafascinait.Outre le faitqu’il était excessivementbeauet charmant, c’était aussiunhomme intelligent etpassionnant.Converseravec luiétaitunréelplaisir,débattresurunquelconquesujetétaitunvéritableamusement.

—Jevais finir par croire qu’il y a quelque chose qui cloche chezmoi,murmura-t-il alors que seslèvresesquissaientlentementunsourire.

Détachant ses yeux de sa bouche, elle ramena brusquement son regard vers ses deux remarquablesprunellesvertes.NuldoutequeTristanl’avaitpriseenflagrantdélitdereluquage.Sentantunehorriblerougeurremonterdesoncouàsonvisage,Elianorpriapouravoirsoudainlafacultédeseterrerdansuntroudesouris.

—Q-Quoi?bégaya-t-ellelamentablement.

Cequiétaitsûrpourlajeunefemme,c’étaitqu’ellen’allaitpasimpressionnerTristanparsafinessed’esprit.Aucunhommen’avaitjamaistrouvélesbégaiementsintempestifsséduisants.

—Turecommences,sourit-ilfranchement.

Bonsang,seslèvres!songea-t-elledistraitementavecextasesanspourautantcomprendredequoielles’étaitrenduecoupable.

—Quoiencore?précisaElianorens’éclaircissantlavoix.—Tumeregardesfixement…encore.—Ah.Oh.Euh…

Ah ?Oh ? Euh ? Participait-elle à un concours d’onomatopées ? Avec une grimace trahissant sonprofondembarras,Elianordétournavivementlatête.Ilavaitdoncremarqué?Avait-elleouvertlaboucheenmêmetemps?S’était-ellemiseàbavercommeunchienauraitsalivédevantunmorceaudeviande?Lesouci,c’étaitqu’Elianorn’avaitaucuneidéedelamanièredontons’yprenaitpourséduireunhomme.Et malgré ses efforts, elle ne réussissait qu’une seule chose : multiplier les situations grotesques etembarrassantes.

—Désolée,réussit-elletoutdemêmeàbaragouiner.Jepensaisàautrechose.

Sonvisagechauffaittellementqu’onauraitpuycuireunœufauplat.

—Donctufaisaissemblantdem’écouter.Jesuisennuyeuxàcepoint?

Avecunpeutropdevigueur,Elianortournalatêteversluipourdémentircequ’ilavaitl’airdecroire.Quelquesmèchesdecheveuxvinrentalorssecollercontresajouesansqu’ellenes’enaperçoive.Pouréviterdetrahirsessentimentsàfleurdepeau,ellefixalesmainsdeTristancroiséesdevantlui.

—Maisnon,jamais,souffla-t-elleavecunpeutropd’émotion.Jeveuxdirequenon,pasdutout,secorrigea-t-elleenprenant–dumoinsellel’espérait–unevoixdétachée.

Pouvait-on réussir à se montrer plus niaise ? se demanda-t-elle avec désespoir. Elianor avaitl’impressiondes’enfoncerquoiqu’ellefasseoudise.PourquelleespècedenunucheTristanallait-il laprendre?Qu’ilsoitencoreàsescôtésrelevaitdumiracle,conclutlajeunefemme.

—Tues…si timide,déclaraTristanpluspour lui-mêmequepourelle. Innocente,même,ajouta-t-ilavecunairlointain.

Etcettefois-ci,pensaElianor,cen’étaitpasellequilefixait,maisbienlecontraire.Ravied’êtreleseuletuniqueobjetdesonattention,elleselaissacomplètementtransporteretprofitadecemoment,carellesavaitquejamaisplusellen’expérimenteraitunsentimentd’exaltationsipuissant.

—Timideetinnocente,chuchota-t-iluneénièmefois,commepourserappeleràl’ordre.

Le silence les enveloppa complètement.Un silencequi pulsait d’une subite tension.L’air se bloquadans la gorge d’Elianor et elle se surprit à retenir sa respiration.C’était comme si quelque chose dedécisifétaiten traindeseproduireetellecraignaitdebouger, respirermême,depeurque lemoindregestenebriselamagiedumoment.

LamaindroitedeTristans’approchadesonvisageavecunelenteurappuyée,commes’ildonnait letempsàElianordereculeretainsiévitertoutcontactphysiqueaveclui.Maisc’étaitauxantipodesdecedontelleavaitenvie.Elleselanguissaitdumoindrefrôlementetelleeuttouteslespeinesdumondeàse

retenir de pencher son visage vers cette main tendue et de s’y frotter comme un chat l’aurait fait enronronnant.

Lorsque les doigts de Tristan entrèrent enfin en contact avec la peau de son visage, Elianor fermabrièvementlesyeux,contenantdejustesseungémissementdeplaisir.Enfin,songea-t-elle.Oui,enfin.

Avecunedélicatesseprononcée,ilrepoussadesonindexlesquelquesmèchesdecheveuxsursajoue.Sondoigts’attardamalgrélui,alorsquesonpoucecaressaitavecunedouceurinfiniesamâchoire,puisson menton. Avait-il l’intention de prodiguer les mêmes attouchements à ses lèvres ? se questionnaElianoralorsquesoncorpsréagissaitdemanièreétrange.Ellesesentaitfrémiretelleavaitextrêmementchaud. Sa poitrine était légèrement douloureuse, sa respiration erratique et son cœur tambourinaitderrièresescôtes.Sescuissesseresserrèrentsansqu’elleenanalyselaraison.C’étaitunmomentd’uneraresensualité, intenseetpourtant tropbref.Tristanétait leseulhommepourquielleavait ressentidudésirsexuel.Cequi lachoquaet l’effrayaà lafois.Maiscen’étaitpasTristanqu’ellecraignait.Non,c’était surtout lapeurde l’inconnu. Jamais aucunhommene l’avait regardéecomme lui. Jamais aucunhomme ne l’avait touchée comme lui. Elle rouvrit subitement les yeux pour chercher une quelconqueréponsedansson regard.Etcequ’elley lut finitde labouleversercomplètement.Elle futcombléedevoirlesprunellesdeTristans’assombrir.N’était-cedoncpaslapreuvedudésirqu’ilressentaitpourelle? Il l’observait comme s’il voulait la posséder tout entière. Son souffle devint plus profond, pluslaborieux,commesi luiaussiavaitdesdifficultésà respirer.Sesdoigtss’étaient figéssursapeau.Samâchoireétaitdouloureusementcontractée.

Auloin,desbruitsdetalonsmartelantleparquetlesséparèrentabruptement,leslaissantpantelantsetdésorientés.C’était comme s’ils avaient franchi une sorte de limite, unebarrière qu’ils avaient érigéeentreeuxpouréviter toutdérapage.Maisyavait-ilréellementeudérapageoun’était-cequ’unevuedel’esprit, un produit de l’imagination trop fertile d’Elianor ? Elle s’était posé la question un nombreincalculable de fois pendant les six longues années qui les avaient séparés, sans jamais trouver deréponse.

Maiscelan’avaitpluseuaucuneespèced’importanceàprésent.Seschancesdepasserl’auditiondelaRoyalAcademyofMusicdeLondress’étaientenvolées.Enplusdesablessurehandicapante,sonpèreavaitdécrétéqu’ilsdéménageraientpouruneraisonobscure.EllenereverraitdoncplusjamaisTristan.Quandill’avaitinvitéeàsafêted’anniversaire,malgrél’étatdedéprimedanslequelelleétait,elleavaitaccepté.Ellesedevaitdeprofiterdecettesoiréepourgraveràjamaisdanssamémoireletimbredesavoix,latexturedesescheveux,leplisiparticulierqueprenaientsesyeuxquandilriait,sonsourire…C’étaitprobablementsonsourirequiallaitleplusluimanquer.Oulafaçondontilprononçaitlesurnomqu’illuiavaitdonné,Elia.Savoixsisuaveetrauquequiavaitledondelafairefrissonner.

Dèsqu’ellepassaleseuilduliving-room,ungrandblondinetvêtud’unridiculeshortdebainàgrossesfleursluiplantaunverredanslesmains.

—Cocktailmaison!claironna-t-ilavecunclind’œilséducteur.

Sansseposerdequestionetparcequ’ellesesentaitnauséeuseetpresquedépressive,ellelebutd’unetraitesurunestomacvide.Ellenes’attendaitpasàcequecetteboissonauxingrédientssecretsluibrûlelagorge.Toussotantdiscrètement,elleposasongobeletsurlecomptoird’unbar.

Lesmurstremblaientàcausedelamusiqueassourdissante.Ellenesesentaitpasdutoutàsaplace.LesamisqueTristanavaitinvitéssemblaientfairepartiedesonmonde,partageantsonmilieusocial,sesintérêts, sa façon de vivre.Tout était démesuré pour elle.Les lieux, lamusique, le comportement desgens.Elleavaitchaudetdéjà,latêteluitournait.Soncocktailyétaitsûrementpourquelquechose.Quandlamusiquechangeaderythmeetquedescouplesseformèrentpourentamerdesdansespluslasciveslesunesquelesautres,Elianorn’ytintplusetouvritunedesportes-fenêtresmenantaujardin.

Lafraîcheurluifitleplusgrandbien.Unelégèrebriseluifouettaitlevisageetellefermalesyeuxpours’accorder quelques instants de tranquillité. Ses paupières se rouvrirent pour découvrir l’ampleur dujardinquis’offraitàelle.Lapelouses’étendaitàpertedevue,oupeut-êtren’était-cequ’uneimpression?Elianorretiraseschaussurespourpouvoirmarcherpiedsnussurl’herbe.Ellevoulutsepencherpourlesramasser,aulieudequoi,ellefaillit tombertêtelapremière.Serattrapantdejustesseàunbuissonplanté là,Elianor–pas lemoinsdumondeembarrassée–abandonnaseschaussuressur la terrasseetentamaunepromenadedont lessouvenirsétaientencoreflousaujourd’hui.Lesol tanguaitétrangement.Elle avait l’impression d’être sur un bateau qui gîtait franchement avant la tempête. D’ailleurs, elleentendaitlebruitdel’eauauloin.

Quandellecontournaunehaiecomposéed’arbustesexotiques,elleconstataqu’ils’agissaitenréalitéd’unepiscine.Ungloussementridiculeluiéchappa.SoneuphoriefutdécupléequandelleaperçutTristancachépardesfeuillagesetuntasdefleurs.Ilétaitassissurunedeschaiseslongues,unebièreàlamain,levisagerésolumentfermé.Ilavaitl’airgrave,cequiétaitauxantipodesdecequ’ilétaitcenséressentirlejourdesonanniversaire.Pourquoin’était-ilpasparmisesamisàboireets’amuser?Pourquoiavait-ilressentilebesoindes’isoler?

—Tristan,chuchotaElianor,lesyeuxsubitementembuésparl’émotion.

Bientôtjenelereverraiplus,songea-t-elle.

Iltournasubitementlatêtedanssadirection,alorsqu’elles’avançaitverslui.Elianorluifitunsignedelamain.Ilesquissaàsontourunsourire,avantquesonexpressionsefige.Lessignesavaientétébienprésentsetentempsnormal,elleauraittournélestalonspourlelaisserseul.Maisaidéeparunedosedecourageenbouteille,ellepritplaceàcôtédelui.Sonattitudeétaitétrangementdistante.Elleauraitvoululeréconforter,pourtantlafroideurquiémanaitdeluil’enempêcha.Alors,elleseterradanssonmutisme.S’ilvoulaitseconfieràelle,discuterdesesproblèmes,illeferait.Desoncôté,elleprofiteraitdecesderniersmomentsensacompagnie.Delonguesminutess’écoulèrentsansquenil’unnil’autren’articuleunseulmotetElianordevintsubitementtrèsnerveuse.

Avantdepartir,elles’étaitjuréd’avouertoutcequ’ellesavaitàTristan.Ilfallaitàtoutprixqu’elleévitequ’ilsouffreàcausedeTanis.Tanis,safiancée,quiletrompaitavecsonproprecousin.

—Tuesvenue,murmura-t-ilfinalement.Jenepensaispasquetuviendrais.

Elianornecompritpasréellementlesensdesaphrase.Pourquoil’avait-ilinvitées’ilpensaitqu’ellen’accepterait pas ? Était-ce par pure politesse ? Le doute et la crainte avaient alors commencé àlentements’immiscerdanssonesprit.Elleleregardadenouveauquandellel’entenditricaner.

—Pourquoin’es-tupasavectesamis?s’enquit-ellepourtenterdediminuerlasubitetensionqu’ilyavaitentreeux.—Qu’ya-t-ilàfêter?—Unquartdesiècle,c’estunévénementàmarquer,répliquaElianorenconcluantsaphraseparun

hoquettrèssonore.

Embarrassée, elle plaqua sa main contre sa bouche, alors que Tristan l’observait désormais avecsuspicion.

—Tuessaoule?

Était-ellesaoule?Unechoseétaitcertaine:l’alcooll’avaitétourdie.Ellesecouaalorslatêteensignededénégation,cequiluidonnainstantanémentletournis.Illacontemplaencorequelquesinstantsavantde soupirer longuement. Son regard devint lointain et il détourna les yeux, pensif et tourmenté. Unnouveausilences’installaentreeux,maisElianornes’enplaignitpas.Elleauraitvoulupouvoirresterassiseàsescôtésindéfiniment.Malheureusement,sontempsétaitcomptéetbientôtelleseraitobligéedepartirpourneplusjamais lerevoir.Elianorexpirapuis inspira longuementavantdese tournervers lejeunehomme.

—Tristan,ilfautabsolumentque…cafouilla-t-elle,peinantàtrouverlesmotsjustes.

Ellegrimaçatoutenseprenantlatêteentrelesmains.Ellenesesouvenaitplusdutextequ’elleavaitmisdesjoursetdesjoursàpréparer.L’alcooln’aidaitpassamémoireetellesentaitsapeaudevenirdeplusenplusmoite.

—C’estprobablementladernièrechancequej’aideteparleralorsjedois…—Tadernièrechance?Commentça? rétorquaTristan,unplibarraitdésormais l’espaceentre ses

deuxyeux.—Parfoisleschosesnetournentpasforcémentennotrefaveur.Certainesnedoiventpasseproduire,

mêmesionaconsacréunegrandepartiedenotrevieàça…parcequec’estcequelesgensappellentledestin… pour moi, c’est juste… cruel, et… maintenant je ne sais plus, je me sens perdue… j’ail’impressiondecouleretpersonnen’est làpourmesauver…C’était toutemavieetmaintenantjen’aiplusrien.—Dequoiest-cequetuparles?s’enquit-ilenl’attrapantparlesépaules.

L’alcooldéliait les langues, c’était une certitude.Mais ellen’était pas censéeparlerd’elle.Ellenevoulait pas accabler Tristan avec ses propres problèmes, il en avait déjà assez de son côté. Elle nevoulait pas ajouter un poids à son fardeau et pourtant elle n’avait pas trop le choix si elle voulaitpréserversonbonheurfuturetluiéviterunechuteencoreplusgrande.Ellerejetalesépaulesenarrière.Lediscoursqu’elleavaitpréparéluirevintpeuàpeuenmémoireetelleputainsidébutersonrécit.Elleluiavouaquesafiancéeetsoncousinvoulaient l’évincerdesasociété.Elle lui raconta toutdepuis ledébut :desarépétition,auxconfidencesentreTanisetChristian,enpassantpar leur intimitéévidente.Rienneluifutépargné.Pendanttoutcetemps,ellen’osapasleregarderenface.Ellesesentaitincapabled’êtretémoindesapeine.Quandelleeutfini,unlongsilencel’accueillitettoujoursellegardaitlesyeuxrivéssurl’eaudelapiscine.

—Pourquoim’avouertoutçamaintenant,Elia?

La voix de Tristan était calme et douce, etmalgré cela elle pouvait percevoir une certaine raideurderrière chaquemot.Déconcertée,Elianor le regarda cette fois-ci droit dans les yeux.Elle fronça lessourcils,désorientée.Ellenesavaitpascequ’elledevaitrépondre.Elleessuyanerveusementsesmainsmoitessursonjean.

—Pourquoi aujourd’hui ? continua-t-il. Elianor Luttrell… J’ai découvert aujourd’hui que ton pèretravaillaitpourlemien.Drôledecoïncidence,n’est-cepas?

Elianornevoyaitpascequ’ilyavaitdedrôledanstoutçaetellenecomprenaitpasdutoutlerapportqu’ilpouvaitbienyavoirentresonpèreetcequ’ellevenaitdeluiconfier.Ilyavaitdelasuspiciondanssavoix.Maiscequilarenditencoreplusnerveusec’étaitlaréaction…ouplutôtlemanquederéactiondeTristanfaceàsesdernièresrévélations.N’était-ilpascenséseleveravecfureuretmarcheràgrandesenjambéespourconfronterTanisetsoncousinàcequ’ilsavait?

—Pourquoim’avouertoutçamaintenant,Elia?réitéra-t-ilcalmement,tropcalmement.

Lagorgesèche,Elianorsesentitpaniquersansraisonaucune.Elleobservasesmainstremblantes,puisrepoussa une mèche de cheveux qui collait à présent sur son front. Il la poussait dans ses derniersretranchementsetellenevoulaitpasluiconfierquesielleluiavaitrévélécequ’ellesavait,c’étaitparcequ’elleétaitéperdumentamoureusedelui.Luiavouersessentimentsàprésentneserviraitstrictementàrien,carrienn’avaitété,n’étaitetneseraitjamaispossibleentreeux.Elianorn’avaitjustepassaplaceàsescôtésetelleavaitfiniparl’admettre.

Son regard s’attarda sur la bière qu’il tenait à lamain. Sa gorge était réellement sèche. La tête luitournait.Sansréfléchirunesecondedeplus,elleluipritlabouteilledesmainsetenbutplusieursgorgéessousleregardébahideTristan.Ellefrémitenavalantleliquidedontl’arômen’étaitpasvraimentàsongoût.

—Jepensequetuasassezbucommeça,déclara-t-ilenrécupérantsonbien.

Il la grondait comme on grondait un enfant capricieux. Mais Elianor se sentait mieux après cesquelquesgorgées.Elleprotesta,encoreassoiffée,puisdécidadeluireprendreunenouvellefoissabière.L’alcooll’avaitrendueplusintrépideetaudacieuse.TristancachaalorslabouteillederrièresondosetElianorn’hésitapasàseplaquercontreluipourrécupérerl’objetdesesdésirs.Ilsluttèrentdanscettepositionpendantdelongsinstants.Ellen’étaitpasvraimentconscientedufrottementdeleursdeuxcorps,mais sentir la chaleur deTristan la rendit fébrile.Quand elle réalisa que sa poitrine était compresséecontresontorseetquesesmainsentouraientsataille,ellesefigea.Affligée,ellerelevasubitementlesyeuxverslessienspourserendrecomptequeleursdeuxvisagesn’étaientqu’àquelquescentimètresl’undel’autre.

Cela aurait pu passer pour une situation complètement anodine, comme un frère et une sœur sechamaillant,silevisaged’Elianorn’étaitpasdevenurougeécarlate.Elleavaitl’impressiond’êtreunetorche vivante tant ses joues étaient en feu.Maismalgré sa gêne, elle ne put empêcher son regard des’attarderunedernièrefoissursestraits.N’était-cepasl’occasionrêvéepourelledegraverchaquepetitdétaildesonvisagedanssamémoire?Elles’arrêtalonguementsurseslèvres.Deslèvresqu’elleavaitimaginéesunmilliarddefoisembrasser.Alorssansvraimentcomprendrepourquoi,ellesehissaversluiavecunelenteurpresqueridiculepourpressersabouchecontrelasienne.

Règlenuméro5

Combattrelanostalgie

Par-delàsonespritembruméparl’alcool,ellesentitlesmainsdeTristansecrisperautourdesesbras.Ses lèvresnebougeaientpaset toutsonêtresemblaitparalysé.Peuàpeu, la raisonrepritsaplaceet,accablée,Elianorinitiasonretrait.

Mais aumêmemoment, lesmains deTristan s’étaient déplacées pour prendre sonvisage en coupe.Allait-illagifler?Larepousseravecaversion?Luihurlerdessus?Non,loindelà.Ilinclinalatêteetentreprit de luidonner leplusbeauet langoureuxdesbaisers.Ses lèvreshappèrent les siennes, tantôtdouces,tantôtplusanimales.Illesluimordillapuissalanguevintlataquiner.

Il l’embrassait. Il l’embrassait ! IL L’EMBRASSAIT. Ses lèvres étaient possessives, tentatrices,séductrices.Sa langue, enivrante telle unepuissantedrogue. Il l’embrassait comme s’il cherchait à luilaisserunemarqueindélébile,commepourluiprouverqu’elleétaitsienneàjamais.EtElianorn’avaitjamaisétéaussiheureuse.Elles’étaitsentiedécollerversleseptièmecielàlavitessegrandV.Sachutefuttoutaussibrutalequesonenvoléevertigineuse.Lerushd’endorphinesquiavaitperfusésesveiness’écrasacommelabourseenpleincrash.LesmainsdeTristanentourèrentfermementsesépaulespourlarepousserbrutalement.Elleécarquillalesyeuxdepeur,alorsqu’ungémissementdeprotestations’échappaitdesagorge.LeregarddeTristans’assombritetsespaupièresseplissèrentd’incompréhensionetdecolère.

—Alorsc’étaitça,tonplan?rugit-ilsoudainement.—Quel…quelplan?balbutia-t-elle,effrayéeparcequ’ellepouvaitliredanssonregard.

Ils’étaitlevéetmarchaitdelongenlarge,commeunlionencage.Ilserraitlespoingssifortquesesarticulationsavaientblanchi.Ellene l’avait jamaisvusi tendu, siencolère…sienragé.Désemparée,Elianorselevaetplaçasamainsursonbraspourqu’ill’écoute.

—Tristan,jenecomprendspas…jene…— Pourquoi ? Pourquoi ? cria-t-il en retirant violemment sa main, comme si ce simple contact le

dégoûtait.

Ellereculad’unpas.Est-cequ’unsimplebaiseravaitsuffiàluifaireperdrelaraison?Ellesecoualatêtealorsquesesyeuxs’embuaientrapidement.Ilnelacroyaitpas.Toutcequ’elleluiavaitconfié…iln’ycroyaitpas.

—Tu pensais sérieusement qu’accuser Tanis et mon propre cousin suffirait à masquer tes actes ?Vraiment ?Elle n’avait aucune raisonde te blesser, c’était un accident…Par jalousie ?Qu’a-t-elle àt’envier?Peut-êtrequetudésiresquelquechosequ’ellea…moi,parexemple?Ouest-cequetuvoulaismevolerquelquechoseàmoi?—Tunemecroispas?C’estellequim’afrappée,protesta-t-ellealorsquedeslarmesperlaientau

coindesesyeux.Ellenet’aimepas,Tristan!—Ellen’aaucuneraisondetevouloirdumal!Alorsquetoi…tudoisluienvierpasmaldechoses,

non ? lui dit-il d’une voix froide etmenaçante.Mais, tu ne…Tu n’es rien. Tu n’es rien àmes yeux.Absolumentrien,tum’entends?

Commentpouvait-ilêtreautantaveugléausujetdeTanis?Saréputationdegarcen’étaitplusàfaire,personne ne l’appréciait à l’école demusique. Était-ce possible d’ignorer sa vraie nature ? Le désirqu’elleluiinspiraitlerendait-ilstupide?

Sapoitrineétaitdouloureusementcompressée.Sadernièrephraseeutl’effetd’unpuissantuppercut,luicoupant littéralement le souffle. Deux larmes dévalèrent ses joues, alors que son cœur se brisaitlittéralement. Elle était certes consciente que jamais Tristan ne tomberait amoureux d’elle, maisl’entendredesaboucheétaitlapiredestortures.Ellereculaentrébuchantsurlesmiettesdesoncœur.

—Je…Jenet’aijamaismenti…Sijet’aitoutavoué…tout…c’estparceque…parceque…sanglotaElianorendirigeantversluidesyeuxmeurtrisparlapeine.—Pourquoi?répéta-t-ilensepositionnantjustedevantelle,l’airagressif.

Iln’yavaitpasuneoncedecompassionchezlui.Parcequ’elleneréponditrien,tropoccupéeàessayerdesecalmer,Tristanl’attrapaparlesépaulespourlasecouer.Doucementd’abord,puisavecunpeuplusde force, ses mains la compressant douloureusement. Les narines de Tristan frémissaient, alors qu’ils’appliquaitàcontenirsacolère.Siellen’étaitrienpourlui,pourquoiétait-ilsifurieux?songea-t-ellealors.Lesmusclesdesamâchoiresecrispèrentsouslatensionquil’habitaitdésormais.Larespirationd’Elianorétaitsaccadéetantelleétaiteffrayée,maissurtoutpeinée.

—PourquoiElianor?Pourquoi?poursuivit-ilpourlaénièmefois.—Tumefaismal,souffla-t-elle,àprésentapeuréeparunTristanqu’ellenereconnaissaitpas.—Pourquoi?Réponds-moi!

Pourquoi,iln’avaitquecemotàlabouche.Savoixmontaitcrescendoetsonexpressiondevenaitdeplus en plus glaciale alors que sesmains pressaient ses épaules. Elianor commença alors à vraimentpaniquer. Tristan semblait comme possédé. Jamais elle n’aurait cru le voir basculer dans une colèrepareille.Pireencore,jamaisellen’auraitpenséquecettehaineseraitdirigéecontreelle.

—Pourquoi?Tumeledemandesréellement?Tudoislesavoiretdepuislongtempsdéjà.Pourquoi?

Parceque…c’eststupide,mais…parcequejet’aime,finit-elleparlâcher.

Tristan la repoussa avecaversion.Siviolemmentqu’elleperdit l’équilibre et atterrit sur les fesses,s’écorchantsérieusementlesdeuxcoudes.Taniss’étaitmatérialiséeàleurscôtés,essouffléeetunpeusurles nerfs. Quand elle eut rapidement regardé tour à tour Tristan puis Elianor, elle ne put s’empêcherd’esquisserunsouriremalsain.

Échecetmat.Elleavaitgagné,Elianorperdu.

Unattroupement s’était forméautourd’eux.Tanisn’avaitpashésitéà l’insulter, à semoquerd’elle.D’elle et de sa pauvreté, d’elle et de ses formes un peu trop prononcées, d’elle et de sa fascinationpuérileetridiculepourTristan.Tousavaientriauxéclats.Maisça,Elianorauraitpulesupporter.Cequifinitde l’anéantir,cefut le regarddénuéde toutsentimentqueTristandardasurelle.Alors,n’y tenantplus,humiliéecommeellene l’avait jamaisété,elleavait fendu la fouleen larmes,nonsansentendrequelquescommentairesetremarquesdéplacéssursonpassage.

Réfugiée sur leparkingdevant lagrandevilladeTristan, elle se sentait simisérable, une sensationd’autantplusaccruequ’elleobservaitsespiedsnus,incapabledesesouvenirdecequ’elleavaitfichudeseschaussures.Désorientée,ellenetrouvariendemieuxquedes’effondreràgenouxetpleurertonsonsaoul. Comment en étaient-ils arrivés là ? Qu’est-ce que Tanis avait pu baratiner à son sujet ? Elleregrettaittellement.Elleregrettaitdenepasavoireul’occasiondetoutluiexpliquerplustôt.Elleétaitcertaine que si Tristan lui avait laissé le temps, elle aurait pu le convaincre. De longues minutess’écoulèrentpendantlesquellesseslarmesnesemblaientpasdécidéesàsetarir.

Maiscen’estpastroptard,luisoufflaunepetitevoix.

Quand elle cessa de pleurer, que sa tête n’était plus si douloureuse et qu’elle avait retrouvé unsemblant de calme, elle se releva. Cette fois-ci, elle était déterminée. Le dernier sourire pervers etvictorieuxqueluiavait lancéTanisavaitfinidelafaireenragercomplètement.Ellecroyaitréellementavoirtoutgagné.MaisElianorn’avaitpasditsonderniermot.CarmêmesiTristanrefusaitdeluiparler,elleavaitunautreplanpourtoutluirévéler.Laballeseraitdanssoncamp.Ets’ildécidaitdenepaslacroire, alors Elianor n’aurait plus rien à se reprocher, car sa conscience serait tranquille. Elle auraitremplisondevoirentantqu’amie,puisqu’elleneseraitjamaisriendeplus.

Àl’extérieurdelamaisonsetrouvaitunescalierencolimaçonetpermettaitd’accéderàlaterrassedupremierétagesansavoiràpasserparl’intérieur.Surdesjambesencoton,Elianorgravitdiscrètementlesmarches,tropheureused’avoirtrouvéunmoyend’éviterlafoule.UnerencontrefortuiteavecTanisauraitmissonplanenpéril.

Elle n’avait aucune idée de l’heure qu’il était, mais une chose était sûre, la fête d’anniversaire deTristann’étaitpasprêteàs’arrêter.Lamusiquefaisaitencoretrembler lesmurset lebrouhahagénéralpouvaitêtreperçuàplusieurspâtésdemaisonsàlaronde.Danslapénombre,Elianornedistinguaitpas

grand-chose.Lepremierétageétaitvaste,auxmursclairsetàladécorationépurée.Elleouvritplusieursportes,qu’ellerefermaaussitôt.Lapremièrepiècequ’elleavaittrouvéeétaituneimmensesalledebainsressemblantétrangementàunvéritablespa.ElletentasachanceenouvrantuneportesursagaucheetseretrouvadanscequidevaitêtretrèscertainementlebureaudeTristan.

Latroisièmeportequ’elleouvritrévélaunlitkingsizetrônantaumilieudelapièce.Sursadroite,ilyavaitunepetiteportedonnantsurundressingoùdescostumesdegrandscouturiersetdeschaussuresencuir italien étaient alignés de manière très ordonnée, presque maniaque. En face, un bureau où unordinateurportablefinetgriscôtoyaitplusieurstasdefeuillesempiléesçàetlà.

Elianors’yinstallarapidement,unstyloetunefeuilleblancheàlamainqu’elleavaitdénichésdansuntiroir.

ElleeutbeaucoupmoinsdedifficultéàtrouversesmotsquefaceàTristan,certainementparcequesonstressétaitredescendu.Malgrétout,elletentaitderesteralerte,àl’affûtdumoindrebruitsuspectdepeurd’être interrompue. Son stylo glissa sur la feuille. Elle ne laissa aucun détail de côté pour quel’interprétationqu’enferaitTristansoitsanséquivoque.Auboutdecinqpagesmanuscrites,ellevoyaitenfinleboutdesonrécit,alorsquesesdoigtsmanifestaientlespremierssignesdedouleur.Elleétaitentrainde tapoter ses lèvresavec le styloà la recherchedesmots justesquand laporte futbrusquementouverte.Dansl’embrasuresetrouvaitlasilhouetteauxépauleslargesdeTristan.Ilavaitlesyeuxrougis,lescheveuxdécoiffésetlespremiersboutonsdesachemisedéfaitslaissantdevinerlamusculaturedesespectoraux.Elianor retint sa respiration.Lorsque le cerveau deTristan intégrerait qu’elle était dans sachambre,elleétaitcertainequ’uneconfrontationsuivrait.Ledestins’acharnaitcontreelle,commedécidéàcequejamaiselleneréussisseàfinirsonrécit,paroralouparécrit.

Cequ’ellen’avaitpasprévuenrevanche,c’étaitTristanfendud’unsourireenladécouvrantdanssachambre.

—Elia.Madouce,timideetgentilleElia,murmura-t-ilavecunetendressetoutenouvelle.

Surprise, Elianor se redressa pour constater l’évidence. Tristan était bourré, car il n’y avait quel’alcoolquipouvait expliquercebrusque revirementde situation,cechangement sibrutald’humeuretsonamnésie flagrante. Ildevaitcertainementpenserqu’ellen’étaitque le fruitdeson imagination,uneillusionparticulièrementréalistefabriquéedetoutespiècesparsonespritembrumé.

Il avança de deux pas vers elle avant de s’écrouler lamentablement au pied du lit. Sans réfléchir,Elianor se précipita vers lui pour l’aider à se relever. Incapable d’anticiper les réactions de Tristan,quelle ne fut pas sa surprise lorsque le jeune homme enserra sa taille avantmême qu’elle n’ait eu letempsdes’accroupir.

—Tristan,qu’est-ceque tu fous? lançauneElianorcomplètementébranléeparcette toutenouvellepromiscuité.

Pourseuleréponse,ilinspiraprofondément,satêtecaléecontresonabdomen.Ellesentitsesdoigtssedéployerdanssondosetdessinerdescerclesaucreuxdesesreins.Ellehésitaunlongmoment,puiscédaà la tentation de plonger ses mains dans la masse luxuriante de ses cheveux. Celles de Tristan secrispèrentaumêmemoment,avantdesefaufilersoussontop.Lasensationdesespaumescaressantsapeaunuel’électrisatoutentièreetelleneputretenirunsoupirétouffé.

Elleauraitdûl’arrêteràcemoment-là.Elleauraitdûmettreuntermeàcetteintimitéquin’avaitjamaisexistéentreeuxjusqu’alors.Maisl’amourqu’elleluiportait,ledésespoiretlaconvictionqu’ellenelereverraitplus jamais l’enavaient empêché.Elle s’accordaalorsquelquescourts instantsdeplaisiroùTristanlatouchaitcommeunhommetoucheraitunefemmequ’ildésirait.Etdésirable,Elianornel’avaitjamais été à ses yeux. Peut-être qu’il la confondait avec une autre. Tristan était trop rancunier pouroublier,avecousansl’aidedel’alcool,latrahisondontill’accusait.

Alors, avantque toutecette scènenedérape,Elianor s’accroupitpour être aumêmeniveauque lui.EllepassasonbrasautourdelatailledeTristan,sonvisagerelativementprochedusien.Sonhaleineluichatouillaitlevisage,maiselles’enfichait,carseullepoidsmortdujeunehommeoccupaitsespensées.

— Tristan, il faut que tu m’aides un peu là, lui lanca-t-elle à bout de souffle, en tentant pour ladeuxièmefoisdelesredressertouslesdeux.

Maisceluiquin’ymettaitpasdusienavaitde touteévidenceautrechoseen tête,carElianor sentitl’empreinted’unbaiserhumideà labasede soncou.Surpriseet certained’halluciner à son tour, ellereculavivementpourcontemplerlestraitsdujeunehomme,ydécelercequ’ilmanigançait.

—Qu’est-cequetufiches?l’interrogeauneElianorahurie.Tuaspétéunplomb!—Pasdutout!Jesaisexactementcequejefais.

Sans réellement comprendre comment, ellebascula enarrièrepour se retrouver allongéeàmême lesol.Lasecondesuivante,maintenuparsesdeuxbraslégèrementfléchis,Tristanancrasesyeuxaufonddessiens.Ilsepenchaverselleetapprochasabouchemillimètreparmillimètre.MaisElianorn’avaitnilaforcenilavolontédelerepousser,tropcontentequesonfantasmedevienneenfinréalité.Alorsquandles lèvres de Tristan s’étaient posées contre les siennes, la seule plainte qui s’était échappée de saboucheétaitungémissementdeplaisir.

Ill’embrassaavecdouceur,sabouchelaquittantdetempsàautrepourpapillonnerdanssoncououlelongdesonmenton.Lesmainsd’Elianorsenouèrentautourdesoncou,agrippantparfoisletissudesachemisesousl’assautdesalangue,unelanguequiavaitlegoûtdel’alcool.

Saconsciencel’interpellaànouveau.Àcemoment-làaussi,elleauraitpu,elleauraitdûtoutarrêter,parceque lapartie lucidede soncerveausavaitqu’iln’étaitpasenpleinepossessionde sesmoyens,qu’ilnemesuraitpaslaportéedesesactes.

Mais toute pensée cohérente lui fut arrachée et elle crut devenir folle quandTristan happa sa lèvreinférieureentrelesdeuxsiennes.Animal,illamordilla.Elleentrouvritlabouchepourlaisseréchapperunsoupirbruyantet ilenprofitapouryglisser sa langue.Doucement, ilcaressa lasienneavantdeselaisser complètement aller en la dévorant littéralement. Cela n’avait plus rien d’un baiser chaste. Saboucheétaitdouceetexigeantedanslamanièredontellesepressaitcontrelasienne.Salanguejoueuseetaudacieuse.Elianoryréponditavectoutelapassiondontelleétaitcapable.

Sesmainsdevinrentpluscavalièresetvagabondèrentlibrementaugrédesescourbes.Elleneprotestapasquandilagrippasontoppourlepasserau-dessusdesatête.Ellejetaauxoubliettescettepudeurquila caractérisait si bien.Ce qu’elle désirait plus que tout à cet instant précis, c’était de sentir la peauchaude et nue de Tristan sous ses doigts, mais surtout contre la sienne. Combien de fois avait-ellehonteusementrêvédelevoirnu?Ellenesauraitlediretantellesavaientéténombreuses.

—Tuesencoreplusmagnifiquequecequej’imaginais,souffla-t-ilavantdereprendrelàoùils’étaitarrêté.

Elianor n’eut pas le temps d’analyser ce qu’il venait de lui dire, tout son être était concentréuniquementsurlescaressesqueTristanluiprodiguait.D’unemaintremblante,ilempoignadoucementunseinetencerclaàtraversladentelledesonsoutien-gorgeunmamelondressé.IlenfouitsatêtedanslecreuxdesoncouetElianorsentitlesdentsdujeunehommeluimordrepuissalangueléchersapeaufine.Soncorps s’arc-bouta en réponseà cemélangededouleur et deplaisir et ellene réussitmêmepas às’horrifier de la longue plainte qu’elle lâcha. Lemouvement de son bassin offrit à Tristan l’occasionrêvéepourpassersesmainsjustesoussesfessesetseloverentresescuisses.

C’était la première fois qu’elle se retrouvait en contact si étroit avec le corps d’un homme tout envirilité.C’étaitenmêmetempsétrange,maissurtouttrèsérotiquedelesentirsidurcontreelle.Savoirqu’elleavaitréussiàprovoquercetteexcitationenluilagrisacomplètement,tantetsibienqu’elledevintcomplètement actrice de ce qui se passait entre eux. Confiante, ses doigts déboutonnèrent le peu deboutons encore fermés de sa chemise.Elle sentit chaquemuscle de son corps se tendre, alors qu’elletraçait avec ses doigts des sillons ardents sur sa peau découverte. Il poussa un grognement decontentement, trahissant le plaisir que lui procuraient ses caresses. Il était magnifique. Musclé justecommeilfallait,sespectorauxsaillants,sesabdominauxparfaitementdessinés.

—Tumerendsfou,gémit-ilquandsamainrencontraleboutondesonjean.

Des doigts descendirent sa fermeture éclair et son jean roula le long de ses hanches. Seuls leursrespirationsetlebruitsourddesenceintesdanslesalonvenaienttroublerlaquiétudedelachambre.Ilreculaetbalançasonvêtementsanscérémonie.Sesyeuxnelaquittaientpas,dévorantsoncorpspresqueentièrementdénudé.Sapoitrinemontaitetdescendait,sarespirationétaitsaccadée,rauque.Lesmusclesàl’angledesamâchoiresecontractèrentalorsqu’ilsedébarrassaitdecettechemisequilesencombrait.

—Tunesaispascombiendefoisj’airêvédem’enfouirentoi,grognaTristanenluijetantunregard

chargédesensualité.

La vision de son torse nu, ses paroles choquantes et crues eurent raison de toutes les barrièresqu’Elianoravaitpuunjourériger.Sesmusclessebandèrentetdoucement,ilplongeaànouveauverselle.Doucement,encore,commesiàchaquefoisilluidonnaitl’occasiondetoutarrêter,letempspourelledes’enfuir.Sonregardétaitanimaletpossessif.Ellesentitd’abordsapeauchaudeentrerencontactaveclasienne au niveau de son bas-ventre, puis tout son torse caresser son buste. Les muscles de ses brasplièrentalorsqu’ilexerçaitunemaîtrisetotalepournepaspeserdetoutsonpoidssurelle.UnemaîtrisedontElianorétaitincapable.Carellen’avaitnilaforcenil’enviedelestopper.Sicettenuitétaitlaseulequ’ellepourraitpartageravecTristan,alorselleallaitenprofiter,mêmesilelendemainluiapportaitsonlotde regrets.Ellen’avait jamais rien ressentide telpourunhomme.Cettepassionbrûlante, cedésirconsumant,cetamourinconditionnel.

Lesyeuxtoujoursrivésauxsiens,ilfitcoulissersamainplusbaslelongdesesjambes.Ellesentitlalégèreérafluredesesonglescontre lapeaudesescuisses, jusqu’àcequ’ildessine l’élastiquedesonsous-vêtement du bout des doigts. Ses larges quadriceps frottaient contre la peau laiteuse des siens.Lentement,illuiécartaunpeupluslesjambescequ’elletrouvaétrangementérotique.

—Dis-moiquetuenasenvie,siffla-t-ilentredesdentsserrées.Dis-moiquetuenasautantrêvéquemoi.

Samâchoire se crispa un peu plus et il ferma les yeux un instant, tentant de garder un semblant decontrôle.Illivraitunebatailleidentiqueàlasienne.Incapabledeprononcerlemoindremot,sesémotionssensdessusdessous,Elianorseredressalégèrementetl’embrassaàpleinebouche.Elleespéraitqueparcegeste, il comprendrait. Il comprendrait qu’elle en avait certainementbienplus rêvéque lui.Que sic’étaitsabénédictionqu’il recherchait, il l’avait totalement ! Ilenfonçaseshanchescontre lessiennespuisseretiraàplusieursreprises,l’amenantencontactétroitavecsonsexeenérection.Sesmouvementsdeva-et-vientcontresonpubis,mimantunepossessionbienplusprimitive,laliquéfièrentdedésir.

—Jeveuxtel’entendredire,insista-t-ilenreculantlégèrement.

Elianorsemorditleslèvresalorsquel’excitationmontaitenelle.Samainmassaitsapoitrinetoujoursdansleconfinementdesonsoutien-gorge.

—S’ilteplaît,Tristan,futl’uniquesuppliquequ’Elianorréussitàarticuler.

Les mains du jeune homme glissèrent le long de ses côtes et s’arrêtèrent en haut de ses hanches.Provocateur, ses doigts s’enroulèrent autour de l’élastique de sa petite culotte. Délicatement, il coulal’unedesesmainsentresescuisses,alorsquel’autrerepoussaitsurlecôtésonsous-vêtement.Ellesentitsa paume contre sa peau nue, alors que le désir avait déjà trempé son entrejambe.Au début, il restaimmobile,secontentantdeluiembrasserlehautd’unsein.Puissonmajeurfrôlafurtivementsonclitoris,juste assez pour lui voler ungémissement. Il recommença.Une fois, puis deux, puis trois, avant de le

taquinerréellement.

— Tu es complètement mouillée, constata-t-il avec ce qui lui sembla être une satisfaction toutemasculine.

Gênée,elletentaderesserrersescuisses,maislesmainsdeTristanl’enempêchèrent.Ilrepritlàoùils’était arrêté multipliant les mouvements d’avant en arrière, aiguisant les sens d’Elianor. Jamais ellen’auraitimaginéqu’untelplaisirpouvaitexister.Personnenel’avaittouchéeaussiintimement.Incapabled’en supporterdavantage, elle ferma lesyeux.Le rougede ses joues sepropageaà soncoupuis à sapoitrine.Ellesentitsonbas-ventreirradieretseshanchesondulèrentaurythmedesescaresses.Bientôtlalangue deTristan lapa l’intérieur d’une cuisse.Les doigts d’Elianor glissèrent instinctivement dans sachevelure,tirantunpeudessus,puisl’approchantfranchementcontreelle.Chaquegestelatrahissait.Soncorpsentierlatrahissait.Ellefaillitbasculerdansl’orgasmequandellesentitlalanguedujeunehommecouvrirsonsexe.Ilgrognacontreelleetlesvibrationsremontantdesapoitrineaccentuèrentsonplaisir.

Soncœurtambourinaitcontresescôtes,commes’ilcherchaitàs’échapper.Ellerejetalatêteenarrièrelorsqu’ellesentitsonorgasmearriveràviveallure.

—Jouispourmoi,Elia,luiordonna-t-il,presqued’unevoixdoucereuse.Jeveuxt’entendregémirmonprénom.

Leslèvresentrouvertes,elles’entenditmurmurerunhonteux:

—Oui,s’ilteplaît!

Répondantàsasupplique, ilembrassaunepremièrefoissonclitorisavantde l’aspirerdélicatemententreseslèvres.Doucement,lentement,sonindexcaressal’entréedesonsexesanslapénétrer,alorsquesa bouche continuait ses prouesses. Il devait se douter qu’il était son premier et il ne voulait pas labrusquer.Ilremontasonvisageauniveaudusien,plaquaseslèvrescontresaboucheetjouadoucementavecsa langue.Sapaume,appuyéecontresonclitoris,exerçaitunepressiondélicieuse.ToutauraitputrèsbiensepassersiTristann’avaitpasouvertlaboucheàcemomentprécis.

— Tanis m’avait prévenu, susurra-t-il entre deux baisers. Mais même si tu es la plus grandemanipulatrice,turestespourmoilafemmelaplusbandantequej’aijamaisrencontrée.

Sesparoleseurentl’effetd’unvéritableélectrochocpourElianor.Sesyeuxs’écarquillèrent.Sonsangseglaça.Sansréfléchir,ellelerepoussasibrutalementqu’ilfutpropulséenarrière,atterrissantsurlescoudes.Commentosait-il?Commentosait-illatouchers’illaméprisaitàcepoint?Commentpouvait-ilinitiercegenred’intimités’illacroyaitcoupabled’unetelletrahison?

—Est-cequetuesunanimalaupointdevouloircoucheravecquelqu’unquetuhais?

LerirequeTristanlâchaluibrisalecœur.C’étaitcommeleselqu’onrajoutaitsuruneblessurebéanteetcelanefitqu’accentuerunpeuplusl’humiliationqu’elleavaitressentieplustôtdanslasoirée.

Sonvisagedevintlividequandelleavaitconstatéqu’ellesetenaitdebout,vulnérableetcomplètementnue devant lui. En quatrième vitesse, elle se rhabilla. Sa gorge s’était nouée aussi sec et les larmesavaientmenacédesedéverser.Maisellenevoulaitpascraquerdevantlui.Ellerefusaitdeluidonnerlasatisfactiondelavoiraussimisérable.Danssaprécipitation,elleavaitremissontopàl’envers.Tristanétaitrestéallongédetoutsonlong.Torsenuetenérection,iln’avaitpasbougéd’uniota,secontentantdel’observersimplement.

C’étaitladernièreimagequ’elleavaitconservéedelui.Elianoravaitclaquélaportesansundernierregard.Ellen’enavaitpaseulecourageetsavueétaitdéjàbrouilléeparleslarmesquinedemandaientqu’àserépandre.

Toute sa vie, elle se souviendrait de cette période sombre de sa vie où tout avait basculé dans lecauchemar.Etcommeunmalheurn’arrivaitjamaisseul,lelendemaindecettesoiréed’anniversaire,elledécouvraitquesonpères’étaitvolatilisé,leslaissantavecsamèresansaucuneressource.Accabléesparleshuissiersàcausedesdettesdontellesn’avaientjamaiseuconnaissance,Elianoretsamèreavaientété obligées de quitter leur petite maison de la banlieue londonienne. Une semaine plus tard, ellesfuyaient presque l’Angleterre pour s’installer dans la maison de vacances de ses grands-parents, enNormandie,seulrefugequ’ellesavaienttrouvé.

C’étaitaumomentdeprendrel’avionqu’Elianors’étaitjurédeneplusjamaisjouerduvioloncelle,deneplusjamaispenseràcequis’étaitpassélorsdecettesoirée,detouteffacer,toutoublier.Detireruntraitdéfinitifsurlui.Laviequ’elleavaitconnuejusque-làn’allaitplusjamaisêtrelamême.

Règlenuméro6

Rendrelesarmes

Illatenaittoujoursfermementparlebras.Commeattirésparunaimant,leursyeuxsetrouvèrent.

Il lui aurait été bien difficile de le louper, pensa-t-elle alors que son cœur manquait plusieursbattements consécutifs.Debout faceà elle, levisage fermé, il avaitplanté son regarddans le sien. Sacarrureétaitpluslarge,sesyeuxtoujoursaussiverts,sabeautétoujourssienvoûtante.Maiscequiavaitchangédepuiscettenuit-là,sixansauparavant,c’étaitl’expressionqu’ilaffichaitquandillaregardait.Lachaleuret l’affectionavaientétéremplacéesparde l’amertumeetduressentiment.Unressentimentquiétaitbienencorelàaujourd’hui,mêléauchocetàlasurprise.

Leursyeuxs’accrochèrent,magnétiques.Aucund’euxn’avaitlacapacitédesedétourner,malgrétoutelabonnevolontédumonde.Celaavait toujoursétécommeça.Lecorpsd’Elianorseglaçasubitement.Son cœur cogna si fort qu’elle eut l’impression qu’il s’était arrêté, le sang ne circula plus dans sesveines,sespoumonscessèrentdefonctionner.Dumoins,c’étaitl’impressionqu’elleavaitalorsquesonregardrestaitaccrochéàceluideTristan.Ellepercevaitl’entrechoquementdesassietteslavaisselleetles basses de lamusique électro diffusée comme un lointain bourdonnement. Toute son attention étaitcentréesurcethommecommesielleétaitprisedansunsortilège.Larespirationsaccadée,Elianortentadereprendreunerespirationnormale.SesdoigtsseresserrèrentférocementautourdelamaindeTristan.

Tun’esrienàmesyeux.Absolumentrien.

Sesmots résonnaient encore en elle.Elle le fixait toujours et cette déclaration retentissait telle unelitanieincessante.Ilnebougeaitpas,secontentantsimplementdel’observercommes’ils’attendaitàcequ’ellecraquedevantlui.

Tun’asjamaisrienreprésentépourlui,serappela-t-elleavecdouleur.Souviens-toi,quandturêvaisqu’iltombeamoureuxdetoi,tun’étaisrienàsesyeux.Souviens-toiquandilt’arejetée,tun’étaisrienàsesyeux.Tun’asjamaisrienétéqu’unegênepourlui.

Avec un halètement douloureux, elle tenta de reprendre son souffle. La colophane imprégnait sesvêtements.Ellepercevaitencorelesvibrationsdesonvioloncellesoussesdoigts…Suffocant,Elianorn’en pouvait plus. Elle se sentait oppressée, l’air avait dumal à atteindre ses poumons. Plus elle leregardaitetpluselleavaitl’impressiondesenoyer,d’êtresubmergéeparuntrop-pleind’émotions.Lasensationd’êtrebloquéedanslepasséluidonnalanausée.

Lagorgecompressée, incapablede respirer,Elianorplaquaunemaincontresapoitrine.Elledevaitquittercethôtel,s’enaller,leslaissertousderrièreelle.Ellevoulaitoublier,touteffacer,neplusjamaisserappeler.Justerespirer.

Elle se dégagea brusquement, le surprenant par la même occasion. Elle massa le bras qu’il tenaitencoreilyaquelquessecondes.Ilnel’avaitpasvraimentmaltraitée,maisd’avoirsentisamainsursapeau avait été à la fois douloureux et déroutant. Le regard de Tristan se durcit et sans attendre pluslongtemps,elletournasursestalonsavantdes’enfuiraussivitequ’elleleput.

D’unpasmaladroit,elledescendit lesquelquesmarchesmenantà lagrandesallede réception.Elleignoralesregardsinquisiteursdesautresemployés,ellen’entenditpasleschuchotementsdesconvives.Ellenevoyaitquecetteporteaufondde lasalle.Uneportequiétait lesymboledesadélivrance.Del’air,elleavaitbesoind’air.

Elletenditunemainfébrileverslapoignéeetduts’yreprendreàdeuxfoisavantdepouvoirouvrirlaporteenbois.Deslarmesluibrouillaient lavue.Unmillierdesanglotssebousculaientdanssagorge.Elle n’arrivait pas à reprendre son souffle, comme si elle avait trop couru, trop crié, trop pleuré.Pourtant,ellepouvaitêtrefière.Elleétait restée impassible.Ellen’avait révéléaucunmalaise,aucuneémotion.

Commesilediableétaitàsestrousses,ellesprintadanslegrandhall.Elleentendaitderrièreellelebruitdufroissementdesontabliercontresescuisses,desestalonsmartelantlesolenmarbredel’hôtel.Ettoujoursellefonçaitdroit,endirectiondesascenseurs.Commesurpiloteautomatique,ellefilait,ellefuyait. Elle en avait besoin pour respirer à nouveau normalement. Elle en avait besoin, c’était unequestionde survie.Mettre le plus de distance entre elle et ce qui s’était produit dans cette salle étaitpresque devenu vital. Son index appuya sur le bouton de l’ascenseur et instantanément les portesmétalliquess’ouvrirentdevantelleavecun tintementmélodieux.Elleévitaderegardersonrefletetsetapitdansunrecoinde l’habitaclecommeunanimalblessécherchantàsecacherpourmourir.Ellenevoulait pas que ces émotions reviennent à la surface. Des émotions qu’elle avait mis si longtemps àenfouir.Ellenevoulaitpassedécouvrirdévastée,ellequisecroyaitguérie.

Unefoislesportesrefermées,ellepourraitselaisseraller.Hurler,crier,pleurer,jurer,cogner…toutcedontelleavaitenvie,elleleferait.Maispasavantquecessatanéesportesnesereferment.

Ellelesentenditglisser.Bientôt,elleseraitenfinseule.Seuleavectoutecettepeineetcetterancœurquinesouhaitaientqu’unechose:s’épancher.Elianorposasamaingauchecontresonfront,repoussantsescheveuxalorsquesalèvreinférieuretremblotaitdangereusement.Elleclignadesyeuxpourempêcherseslarmesdecouler.Ilnerestaitplusquedixcentimètresavantquel’ascenseurnesoittotalementclos.Quatre,puistroisetseulementdeux…

Cinq doigts s’insinuèrent entre les deux cloisons métalliques. Un ding retentit et les portes serouvrirent brusquement. Comme dans un film, elle vit une silhouette apparaître au ralenti. Ses yeuxremontèrentlentementlelongd’uncorpsathlétique.Elledécouvritdelonguesjambesdansunpantalon

noirtrèschic,deshanchesétroitesetunventreplatquilaissaitimaginerdesabdominauxpuissants.Sonregard s’attarda sur un torse auxpectoraux saillants se soulevant au rythmede profondes inspirations.Enfin,elles’autorisaàremonterverscevisagequ’ellen’auraitpourrienaumondevoulurecroiser.

Essoufflé,haletantmêmeetpourtanttoujoursaussiséduisant,ilavaitfiniparlarattraper.Debout,faceàelle,setenaitlaraisondetoussestourments,celuiquiluiavaitfaitconnaîtreleparadis,maissurtoutl’enfer.

TristanKane.

Retrouvezletome2dèsle13mai!

NishaEditionssoutientl’initiativeFyctiaenétantpartenaireduconcours

«Àsaplace».

Quelquestitresdenoscollections

Quelquesextraits

Legoûtduthé,celuiduvent

EveBorelliÉlinor est une curieuse jeune femme passionnée par le thé. Elle parcourt le monde pour le faire

découvrirsursachaîneYoutube,revenantàGruissanuniquementpours’occuperdesapetiteboutique;adorablelieuderencontre,sonrêved’enfant.Uneviecalmeetdouce,soudainementenvahieparletrouble,lorsqu’enpleinorage,Élinorrencontrele

belAmaury,kitesurfeuretchasseurde tempêtesauxquatrecoinsdumonde.Laromantiquesaura-t-elleconvaincrel’hommeblesséderemplirsavied’amourplutôtquedebourrasques?

ParEveBorelli.

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Extrait

IlseremitauboulotengrognantetElinortoussa,histoirequePoséidonseretourne.Illuifallaitvoirsi

le recto était aussimagnifique que le verso.Bien entendu, il ne l’entendit pas. Forcément.Une quintemaigrichonnecontredesrafalesdeventetunepluietorrentielle…

Elle restaplantée là encoreuneoudeuxminutes.Chassant finalement toutedivagationcoquine, elleparvintavecuneadmirableforcementaleàseressaisir.

—Ilestoccupé.Demauvaispoil.Tuasunenregistrementàboucler!

Remontantsonsacsurl’épaule,ellepoursuivitsoncheminenseretournantrégulièrementpourmatersansvergognePoséidonquiluttaittoujourscontresonmatériel.Soudain,ilsetournaverselle.Elleplissalesyeuxpourdistinguersonvisage,maislebrouillardetladistancel’empêchèrentdevoirnettementsestraits.

—Qu’est-cequetufichesici?Tuescomplètementfolle!C’estdangereux!hurla-t-il, lesmainsenporte-voix.

OK…

Commesiellen’avaitpasréalisélecôtépérilleuxdutruc!C’étaitlebut,merci!Etpuis,ilyavaitdesfaçonsdeledire!Gaulécommeundieu,certes,maispasagréablepourunsou!Pourquiseprenait-ilpours’adresseràelleainsi?

—PourPoséidon,évidemment,souffla-t-elle(cecidit,ilvenaitdeperdrequelquespointssurl’échelledeladivinité).—Merci,maisjeconnaismonaffaire!Jen’enaipaspourlongtemps!luicriaElinor,seremettanten

marche.

Ducoindel’œil,ellelevithausserlesépaulesetremuersondoigtsursatempe.D’accord,elleavaitpigé.Elleétaitfolle.Pasbesoind’enrajouter…

—Tupeux parler, hein !Qu’est que tu fabriques, toi aussi, sur cette plage, dans ces conditions dechiotte?bougonna-t-elle.

Elleatteignitlajetée,et,àboutdesouffle,ouvritsonénormesacpourensortirsonPC-étancheetsontea-bag.Elledéposal’ordinateursurlerocherleplusplatqu’ellepuissetrouver,s’installafaceàl’écranqu’elle alluma et extirpa de son tea-bag une tasse rose estampillée Plus sexy que Barry White, unthermos,puisseversaunerasadedethé.Lançantlawebcamsansplusattendre,ellesepréparaàbraillerpourcouvrirlebruitduvent.

—Salutleshabituées!Bonjouràtouteslesautres!Sivousnousrejoignezaujourd’hui,bienvenuesurmachaîneYoutubeKeepzenanddrinktea!Noussommesle05dumoisetnousnousretrouvonspourle

traditionnel tea-défi !Unjour, jefiniraisousuniglooauPôleNord, jevous l’aipromis.Maispour lemoment,nousvoicienAngleterre,àPortsmouthoùjen’hésitepasàbraverlespiresdangerspourvous!NoussommesenalerterougeetjemetrouvesurlaplagedeSouthsea.Oui,votreobligéeesthéroïque ;non,ellen’apeurderien…Regardez-moicesrouleaux!Impressionnant,hein?

Elinor pivota pour montrer la mer du doigt, et trembla un peu lorsqu’elle réalisa que les vaguess’écrasaient de plus en plus près. Se retournant rapidement, elle poursuivit en tâchant de garder l’airenjoué.

—Noustestonsaujourd’huiunthédechezDamman,monpartenaire,quejeremercieencoreunefoisde me fournir ses délicieux breuvages ! Il s’agit ici de l’infusion Terre mouillée après la pluie quisembledecirconstance,n’est-cepas?Allez,sansplusattendre,j’accomplismondéfi!

Elinorportasatasseàseslèvrespourenavalerunelonguegorgée.

—Et voilà ! Le tour est joué ! Encore un thé dégusté dans des conditions périlleuses ! Voyons !Qu’avons-nousàdiresurcettepetiteboisson?

Un formidable coup de tonnerre, plus puissant et plus proche que le premier, résonna dans le cielobscuret la fit sursauter. Il fallaitqu’elle segrouille.Çadevenait réellement terrifiant : lapluieavaitredoubléd’intensitéetleventsifflaittoujoursplusviolemment.

—Danscethé,enchaîna-t-elleà touteallure,nousavonsdesnotesambréesdepoire,unetouchedegingembreetenfond,unsoupçondenoisettesavammentdosé.Letoutdonneunmélangeassezfrais,bienquegourmandet…

et…Et…Lechoc.

Ladouleuretlenoir.

Elleneputterminersaphrase.

HollywoodenIrlande

ElisiaBlade

Adélia est probablement la fille la plus maladroite de la planète. Ce qui la sauve, c’est qu’ellel’assumetotalementetcelaneluiposeaucunproblème…jusqu’àcequ’elleéchoueaubeaumilieud’unchampaupieddeNateCalvin.Coupdefoudre.Inévitable,non?NateCalvinestLAstarhollywoodiennedumoment.Impensabledoncquecethommetombeimmédiatementetirrémédiablementamoureuxd’elle.Commentpeut-ilêtresincèrealorsqu’ellen’apasassezdedoigtspourénumérersesdéfauts?

Maispourquoilebelacteurest-ilvenuseplanqueraumilieudelacampagneirlandaise?Adéliaa-t-elleraisondeluifaireconfiance?

Untextehilarantetironiquequiprouvequechaquefemme,aussiimparfaitesoit-elle,méritedevivredegrandesaventures.

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Extrait

Mes yeux se posent sur le bélier ou la brebis devantmoi. Et comme dans les dessins animés, uneampoules’allumedansmatêteaccompagnéed’unpetittingtriomphant.Leschevauxet lesbélierssont

desanimauxetentantqu’animauxilsdoiventcertainementréagirdelamêmemanière.

MonpèreétantungrandfandeWesterns, jenecomptepluslenombredesoiréesquej’aipasséesàregarderaveclui lesdifférentesaventuresdeClintEastwoodetdeJohnWayne.Cettefaçonqu’ont lescowboys de taper avec leurs talons sur les flancs de leurmonture avant de détaler dans un nuage depoussièremedonnel’inspirationdontj’aibesoin.

Jenedouteplus,certained’avoirtrouvélasolutionpourenvoyeraugaloptoutletroupeau.Monindextendus’enfoncedansleflancdubélierleplusproche.Brusquement,l’animaldéblatèrecolériqueetfoncedans le tas, provoquant…unminablemouvementdu troupeaudans son ensemble.Mais je ne suis pasdécouragée,bienaucontraire,carc’estlepremierdéplacementquej’observedepuiscestrentedernièresminutes.

Mesdeux indexs’enfoncentdoncdans les flancsdesdifférentsmoutonsoubrebisàproximitéet enmoins de cinq minutes, j’ai réussi à bouger le troupeau entier d’au moins dix mètres. Je retrouve lamotivationetl’optimismequimefaisaientcruellementdéfautilyamoinsd’unedemi-heureetpoursuismonpetitmanège.

Jemecontrefichequemescheveuxdégoulinentd’eauetcollentàmestempes;quemonmaquillagenonwaterproof ait merveilleusement coulé sur mon visage n’est pas plus important. Je ressemble trèscertainementàunpandaavecmoncrayonnoirdessinantlaracinedemescilssouslesyeux.

Dans un coin de mon cerveau, je sais pertinemment que je n’ai jamais eu l’air aussi abominable.FrankensteinestuntopmodelfaisantlaunedeVogueàcôtédemoi.

Lagrognes’installechezquelquesindividus,probablementmécontentsdutohu-bohuquejecrée.

Jem’apprêteàtapoterleflancd’unautreanimalquandunviolentcoupdepattesarrièreestportéauniveaudemahanche.

Le temps de ce quart de seconde crucial, je réalise que je suis sur le point de vivre une véritablecatastrophe,jelaisseéchapperuncrisuraigu.

En un battement de cils, le sol instable glisse sous mes pieds et l’horizon prend subitement uneinclinaisontrèsétrange.Moncôtédroitvientcognerlesolbrutalementetjeplongetêtelapremièredanslaboue.Lechocetladouleurmecoupentlesouffle.

Complètementsonnée,jen’aipasleréflexed’essayerdemerattraperalorsquemoncorpsglisse.Descailloux écorchentmes avant-brasdénudés et certains roulent et s’enfoncentdansmondos,mais aussimon ventre. La pluie drue qui continue de tomber a rendu la terre meuble, facilitant cette furieusedégringolade.

Jefinisparcognerunelégèrebossesurmoncheminquistoppemacourseeffrénée.Surledos,lesyeuxdanslevague,jemetsdelonguessecondesavantdem’apercevoirquetoutmouvementacesséautourdemoi.Matêtetourneetmoncœurbatdesrecordsdevitesse.

C’est la chute la plus ridicule de ma vie et la plus dangereuse aussi. Mon premier réflexe est devérifierlamobilitédechacundemesmembres.Quandjesuiscertainequejenesuispasparalysée, jerespiremieuxetnepeuxempêcherunlégersouriredesedessinersurmonvisage.

Outrelefaitd’êtrecomplètementchoquée,jemesenssoulagée.Soulagée,oui!Parcequepersonnen’aété témoin de ce qui aurait pu devenir le plus grand moment de solitude de toute mon existence. Jeremercielecieldem’avoirpermisdegardermadignitéintacteenprovoquantcettechutedansuncoinreclusdumonde.

Jepousseunlongsoupir,atterréeparmabêtise,maisjenesuispasétonnée.Cen’estpaslapremièrefois que j’ai des idées absolument stupides qui me paraissent miraculeuses au premier abord. Mesmusclesabdominauxsecontractentlégèrementetmarespirationsesaccade;unfourirenaîtàlabasedemagorge.Depetitsgloussementss’échappentdemabouche.Alorsquejepouffedeplusenplusfort,laterresemetàtrembler.

J’entends… j’entends comme…comme lebruit de sabots augalop, cognant le sol en rythme, jemeredressesurmesdeuxcoudes,certained’halluciner.

Auloin,bouchebée,jediscerneparfaitementunesilhouettesedétacherdel’horizon.Ellesedéplaceavecrapiditéetmoi,figéesurplace,jenepeuxencroiremesyeux.Qui,denosjours,sedéplaceencoreàcheval?Ai-jepasséunebrèchespatio-temporelleenglissant?Jeplisselespaupièrespourapercevoirunhommedescendredesamontureavecl’agilitéetlasouplessed’unepanthère.

-Qu’est-cequevousfaiteslà?medemande-t-ilavecuneanimositécertaine.

Savoixestsifroidequ’ellepeutaisémentempêcherlafontedesglaciersdel’arcpolaire.Alorsquemonregardplongedanssesyeuxbleuélectrique,laperfectiondesestraitsmeclouelittéralementlebec.

Àparaître

CollectionCrushStory

EveBorelli

Legoûtduthé,celuiduventsaison2–mai2016

Déjàdansvostablettes

Collection«Glamouretsuspens»

Alia,lesvoleursdel’ombre–SophieAuger

MisterWilde–EmmaLoiseau

EmmaWilde,saison1et2–LouDuval&EmmaLoiseau

RugbyBoy,saison1et2–LouDuval,

Phoenix–EmmaLoiseau

CollectionDiamantnoir

Lachute,saisons1et2–TwinyB.

Nerougispastomes1et2–Lanabellia.

CollectionCrushStory

Legoûtduthé,celuiduvent,saison1–EveBorelli.

HollywoodenIrlande–ElisiaBlade.

Journald’ungentlemansaisons1et2–EvadeKerlan

Loveonprocess–Rachel.

ShineandDisgrace–ZoeLenoir.

Collection«l’héroïne,c’estvous!»

LaLunedemieldeSarahTrace–DynaAvril

Backtoschool–DynaAvril

Auteur:ElisiaBlade

Directricedecollection:LaëtitiaHerbaut

NishaEditions

Cognaclaforêt

N°Siret51078346700044