19
Master 2 : Thorie du droit Sminaire « Thorie de la connaissance et pistmologie juridiques » Le constructivisme juridique, enquête sur une pistmologie mergente II. Les origines du constructivisme juridique Mercredi 16 septembre 2015 Textes tudis : F. Gny, Science et technique en droit priv positif. Tome II. Elaboration technique du droit positif, Sirey, 1915, p.369-389. F. Gny, Science et technique en droit priv positif. Tome IV. Rapports entre l’laboration scientifique et l’laboration technique du droit positif, Sirey, 1924, n°277, p.31-34. Apart mthodologique Il existe deux mthodes pour analyser un texte : - Mthode analytique : privilgier la partie sur le tout - Mthode synthtique : privilgier le tout sur la partie L’un des enjeux du sminaire consiste à dsapprendre la mthode analytique enseigne jusqu’à prsent. La mthode analytique, celle du commentaire d’arrêt, est une mthode d’expert : on se concentre sur tous les points pris individuellement. Il faut se familiariser avec une approche holistique afin de placer les problèmes dans un contexte plus large. Quand on traite un sujet, il faut se demander à quel problème on rpond, quel est le problème du sujet. Même si le sujet est formul sous forme de question, la question n’est pas le problème ; elle est elle- même drive d’un problème qu’il faut retrouver. Il faut toujours avoir une vue d’ensemble. Pour les exposs, il faut bien caractriser l’enjeu, qui est en dehors du texte ; et non se contenter d’un bon rsum. La difficult consiste à voir les enjeux du texte (donc voir au- delà de ce qui est dit) sans pour autant s’carter du texte (ne pas ajouter des sources et les commenter aussi). L’exercice propos est celui de la prcision : dire peu de choses mais bien les dire et bien construire l’intervention. Il faut chercher le mot juste et les lignes directrices avant de pouvoir ajouter du contenu. 1

Séminaire II

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Questions d'épistémologie du droit autour des textes de gény et foucault.

Citation preview

Page 1: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

Le constructivisme juridique, enquête sur une epistemologie emergente

II. Les origines du constructivisme juridiqueMercredi 16 septembre 2015

Textes etudies : F. Geny, Science et technique en droit prive positif. Tome II. Elaboration technique du droit positif, Sirey, 1915, p.369-389.

F. Geny, Science et technique en droit prive positif. Tome IV. Rapportsentre l’elaboration scientifique et l’elaboration technique du droit positif, Sirey, 1924, n°277, p.31-34.

Aparte methodologique

Il existe deux methodes pour analyser un texte :- Methode analytique : privilegier la partie sur le tout- Methode synthetique : privilegier le tout sur la partie

L’un des enjeux du seminaire consiste à desapprendre la methode analytique enseignee jusqu’à present. La methode analytique, celle du commentaire d’arrêt, est une methode d’expert : on se concentre sur tous les points pris individuellement. Il faut se familiariser avec une approche holistique afin de placer les problèmes dans un contexte plus large. Quand on traite un sujet, il faut se demander à quel problème on repond, quel est le problème du sujet. Même si le sujet est formule sous forme de question, la question n’est pas le problème ; elle est elle-même derivee d’un problème qu’il faut retrouver. Il faut toujours avoir une vue d’ensemble.

Pour les exposes, il faut bien caracteriser l’enjeu, qui est en dehors du texte ; et non se contenter d’un bon resume. La difficulte consiste à voir les enjeux du texte (donc voir au-delà de ce qui est dit) sans pour autant s’ecarter du texte (ne pas ajouter des sources et les commenter aussi). L’exercice propose est celui de la precision : dire peu de choses mais bien les dire et bien construire l’intervention. Il faut chercher le mot juste et les lignes directrices avant de pouvoir ajouter du contenu.

Fiche : Thèse, problème, enjeu, interêt, arguments.

Conseil : consulter le dictionnaire historique des juristes français et le dictionnaire de la culture juridique aux PUF.

François Geny (1861-1959)Il fait partie des premiers auteurs qui ont une vocation exclusivement universitaire, la plupart des enseignants commentateurs du Code civil etaient en premier lieu des professionnels (Demolombe etait avocat par exemple). Au XIXème siècle, l’idee est qu’on est d’abord un praticien et dans un second temps un theoricien. Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que l’on cree l’agregation des facultes de droit. Toute la generation de Geny (Esmein, Planiol...) est la première generation de theoriciens purs, ils sont les premiers à tenter de donner une theorie de la methode. Geny est arrive dernier sur huit à l’agregation. Son

1

Page 2: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

premier ouvrage est « Methodes d’interpretation et sources en droit prive positif » en 1899, en deux volumes.Les textes etudies sont issus de « Science et technique en droit prive positif », oeuvre en quatre volumes, ecrite de 1914 à 1924 ; et completant son premier ouvrage. La reflexion de Geny s’etend sur ces six tomes. Geny n’a pratiquement eu aucune influence en France et n’est jamais cite en doctrine. Il a en revanche eu une influence considerable aux Etats-Unis.Le concept central de sa pensee est la libre recherche scientifique. Geny a essaye de repondre à la question de savoir quelle etait la methode du droit, quelle methode on utilisait pour etudier le droit positif. Toute la pensee de Geny est une critique de l’exegèse, dont il invente l’idee afin de mieux la critiquer1. Cette idee sera propagee et reprise par de nombreux auteurs, notamment Julien Bonnecase, qui en faisant une histoire de la pensee juridique, dira qu’il y a eu une ecole de l’exegèse. Ce concept a permis d’unifier les commentateurs du Code civil pour pouvoir s’en debarrasser d’un seul bloc2. Geny entend critiquer la methode de l’exegèse qui consiste à commenter le code civil article par article en disant que cette ecole serait servile à la loi. Si on comprend l’idee de servilite, on comprend egalement que le grand concept de Geny se fonde sur l’idee opposee, la liberte ; d’où la « libre recherche scientifique ».

Autre element à prendre en compte : c’est au tournant du XXème siècle qu’est publie le code civil allemand et qu’arrive avec lui le thème du vieillissement du code civil. On assiste aussi aux premiers accidents dans les usines et au debut de l’industrialisation donnant naissance aux grands debats sur la responsabilite sous la plume de Saleilles, Planiol, etc. C’est d’ailleurs à cette epoque qu’on a tous les grands arrêts (Boudier, Thefaine, Jand’heur, Baillard et Coquerelle...). Dans ce contexte-là, si le legislateur ne renove pas le code civil, on va renover la manière de faire du droit civil. C’est à cette epoque-là qu’on a aussi la creation de la fameuse theorie des sources du droit qui se trouve dans « Methodes d’interpretation... » : c’est bien Geny qui a cree la theorie formelle des sources du droit. On peut noter une petite ironie quant à la theorie des sources du droit : celle-ci n’inclut pas la jurisprudence. Pour Geny, les sources s’imposent au juge, elles lui sont superieures. Or la jurisprudence ne peut être superieure au juge car c’est lui qui cree les solutions donc il n’y a que deux sources du droit : la loi et la coutume ecrite.

On peut d’ailleurs relever un paradoxe important dans l’enseignement du droit. Quand on prend les manuels d’introduction au droit et qu’on regarde les sources du droit, on a la loi, les decrets, etc. Mais on ne sait pas si la jurisprudence est une source du droit. Presque tous les manuels la rejettent, très peu disent que c’est une source du droit : presque tous les grands auteurs disent « la jurisprudence n’est pas une source du droit ». Mais pourtant, elle est traitee comme une source du droit, par les universitaires comme par les praticiens... Avec la theorie des sources du droit, on a donc une theorie qui ne rend pas compte de ce qu’on fait ! Si on devait noter le nombre de fois où on a entendu la phrase ou le tronçon de phrase « la Cour de cassation/le Conseil d’Etat a dit que... », on pulveriserait les records... Posons la question : si la Cour de cassation a dit qu’on pouvait resilier le contrat dans un delai raisonnable, peut-on dire que cette solution ne s’applique pas ? Si on dit ça pour

1 Lire l’article de Ph. Remy « Eloge de l’exegèse », disponible dans la Revue de la Recherche Juridique ; dans lequel il reprend tous les commentateurs du XIXème siècle et montre qu’aucun ne se reclame de l’ecole de l’exegèse qui a donc ete cree par ses critiques.2 Consulter l’ouvrage La doctrine, de Jestaz et Jamin.

2

Page 3: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

n’importe quel exercice, on sera fortement sanctionne... On est oblige de suivre la solution de la Cour de cassation ; la jurisprudence est donc bien traitee comme une source du droit alors que dans 90% des manuels ce n’est pas une source. Mais on peut voir un symptôme du fait qu’on est en train de prendre conscience que la jurisprudence est bien une source du droit : la question des revirements de jurisprudence et de leur retroactivite nous fait comprendre qu’on a trop delaisse la question du statut de la jurisprudence. Pour se poser la question de la retroactivite des revirements de jurisprudence, il faut dejà assimiler la jurisprudence à la loi. C’est l’etape intellectuelle prealable et implicite. La loi dit que la loi n’est pas retroactive3 ; donc pour transferer la problematique de la retroactivite de la loi à la jurisprudence il faut dejà egaliser la loi et la jurisprudence. Un autre element à prendre en compte dans la prise de conscience : les theories realistes de l’interpretation4. Pour Michel Troper, le sens du texte ne depend pas de l’emetteur mais du recepteur, de l’interprète. C’est alors le juge qui dit quel est le vrai sens du texte : il a donc un pouvoir superieur au legislateur. Pour Troper, il n’y a pas une hierarchie des normes mais une hierarchie des textes, on renverse la pyramide des normes de Kelsen.D’autre part, quand on assiste aux deliberes à la Cour de cassation, on voit que les magistrats presents se comportent effectivement comme des legislateurs en ce sens qu’ils ne discutent pas de la meilleure solution possible (les rapporteurs ont dejà fait le travail sur la question) mais de la manière dont ce qu’ils vont dire sera interprete. Ils discutent des mots qu’ils emploient, de ce qu’on fera dire à leur decision si on l’interprète a contratrio... Ils se comportent comme des legislateurs mais le problème est qu’ils ne sont pas legislateurs ; ce qui leur manque est le sacre de la doctrine5.

Etude du texte de François Geny

Nb : La grande question de Geny est celle de savoir quelle est la methode du droit positif.

Première question : Pourquoi etudier ce texte dans une seance intitulee « Origines du constructivisme juridique » ? Geny est le premier à parler de construction d’où l’origine du constructivisme. Ça veut dire quelque chose d’important : la question du constructivisme qui, à l’echelle de l’histoire du droit, est neuve. Elle existe depuis à peine plus d’un siècle, ce n’est rien à l’echelle de l’histoire du droit qui se deroule sur vingt-cinq siècles si on considère que le droit romain commence avec la Loi des XII Tables entre 451 et 449 av. J.-C.

Deuxième question : Pour lui, la construction est-elle l’egale du donne, superieure au donne ou inferieure au donne ?

Dans le deuxième texte (p. 31-32) : « Il faut donc admettre, - fût-ce en vertu d’une sorte d’harmonie preetablie, - que, même dans son activite la plus autonome, l’intelligence humaine contribue, pour sa large part, à l’elaboration du droit positif. – Mais comme aucune loi, psychologique ni logique, ne peut ici

3 Article 2 du code civil.4 Lire en ce sens l’article de Michel Troper « Une theorie realiste de l’interpretation » dans La theorie du droit, PUF.5 Le premier à avoir vu le problème n’est jamais cite : il s’agit de Christian Mouly. Disparu en plein milieu de sa carrière, il n’a pas pu aboutir.

3

Page 4: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

nous fixer les conditions et la mesure de sa valeur, nous apprecierons celle-ci, d’après les “donnees“, scientifiquement reconnues, de l’organisation juridique, et n’accepterons les solutions, incluses dans les conceptions et constructions de l’esprit, qu’en tant qu’elles correspondent aux exigences combinees de la justice et de l’utilite sociale. »

Dans ce passage, il nous explique que le construit est soumis au donne, et si on comprend cela, on comprend le titre de son ouvrage Science et technique en droit prive positif. La science a pour objet le donne et la technique le construit.

« (...) considerer les constructions, edifiees par leur moyen, comme “de simples hypothèses, toujours dominees par les faits (…) »

Or « les faits », ça relève bien du donne. Dans ce passage il reprend des phrases qu’il avait prononcees lui-même en 1899.

Que peut-on inferer de cela quant à la position philosophique de Geny ? Est-il positiviste ou jusnaturaliste ? Distinguons d’abord entre le positivisme general et le positivisme juridique. Que veut dire être positiviste en general, au sens d’Auguste Comte ? Dans le positivisme, la connaissance n’est fondee que sur des faits et non sur l’experience6. Et le positivisme juridique ? Quand il dit que le droit positif moderne se confond avec la loi ecrite (p.34), il parle de ses contemporains. L’ecole de l’exegèse n’est pas positiviste au sens d’Auguste Comte puisque leur connaissance n’est pas fondee sur le fait encore que tout depende de la manière dont on definit le fait juridique. Soit on dit que ce qui est factuellement juridique, ce sont les comportements dans la societe, et dans ce cas on derive vers une sociologie du droit et vers les sources materielles du droit ; soit on dit que le fait juridique, ce qui est positif, ce qu’on peut percevoir, c’est le texte. Là on s’oriente vers la theorie des sources du droit et vers le positivisme tel qu’on le connaît et dans lequel on vit7. Geny est-il dans un positivisme sociologique ou textualiste ? Geny serait positiviste au sens sociologique, en ce qui concerne la creation du droit mais textualiste quant à son application. Il est entre les deux. Geny en realite ouvre dejà ce qui est notre problème actuel. Aujourd’hui on s’est plutôt orientes vers un positivisme textualiste mais on a un retour des theories sociologisantes du droit à travers la theorie realiste de l’interpretation, selon laquelle comme le droit n’est que l’exercice d’une volonte, ce qu’il faut connaître ce sont les determinants et causes qui influencent la volonte (ce qui appelle donc une analyse sociologique, politique du droit). En comparant avec Michel Foucault (cf seminaire precedent), si on fait une analyse des discours, c’est que le droit se trouve dans les textes. C’est pour ça que Foucault s’interesse à l’archive. L’archive

6 Le fait de dire que la connaissance est fondee sur l’experience est une excroissance du positivisme qu’on appelle le positivisme logique, ou l’empirisme logique. C’est la philosophie du Cercle de Vienne, groupement de savants et philosophes qui a fonctionne de 1923 à 1936 ; ils ont emis toute une serie de propositions sur la science qui combattait la metaphysique en disant que toutes les propositions qui ne pouvaient pas être verifiees par les faits etaient sans signification. On retrouve cette idee dans le celèbre Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein qui a beaucoup influence le Cercle de Vienne bien qu’il n’en ait pas ete membre. Par exemple, emettre une proposition qui ne renvoie à aucun etat du monde, c’est de la metaphysique, une croyance infondee.7 On s’oriente en fait vers Kelsen, selon qui il faut être un organe habilite par un texte pour produire une norme.

4

Page 5: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

c’est du texte, dans lequel il y a un savoir. Foucault dit qu’il est positiviste en ce sens qu’il s’interesse aux discours et que les discours apparaissent dans des textes. Et donc toute la problematique de Foucault est de savoir comment on articule la theorie du discours à une pratique. C’est exactement la même chose en droit, c’est-à-dire que ce qui nous manque à l’heure actuelle : savoir comment le discours juridique a une influence dans la pratique. C’est le problème de Geny aussi.

S’il existe un savoir juridique, si on peut parler d’epistemologie du droit et faire une theorie de la connaissance juridique, cette connaissance est censee avoir une influence dans la mise en œuvre du droit. Mais si on dit d’un autre côte que le discours des avocats, des juges… est un discours qui masque des motivations inavouees ou des opinions politiques, morales, religieuses... Le discours en lui-même perd son sens puisque l’on va l’expliquer par rapport à un point de vue externe au discours. Si on fait cela, le discours s’evapore, les paroles ne sont que du vent. Mais si on explique le discours d’un point de vue interne, c’est-à-dire du point de vue de la pratique des acteurs du droit, ce qui nous manque c’est d’expliquer comment le discours juridique peut influencer la prise des decisions des juges alors qu’on sait que les juges ne sont pas neutres. Le realisme americain qui est en train d’arriver en France aurait tendance à nous faire oublier le debat juridique. Comment on applique un texte ? Si on deplace complètement le debat vers la sociologie, que reste-t-il à enseigner dans les facultes de droit ? La veritable question au fond, est celle de savoir si on a besoin d’une theorie de l’interpretation en droit ou non. Si tout est sociologique on n’a pas besoin d’une theorie de l’interpretation. C’est fini. Le droit ne serait alors que la projection de nos opinions ideologiques et morales... Ce qui nous manque aujourd’hui en France c’est d’expliquer l’articulation du discours juridique d’un point de vue interne à la pratique. Comment se fait-il que les avocats se repondent entre eux comme s’ils etaient tout à fait serieux ? Les avocats se comportent comme si « le droit », ça voulait dire quelque chose. Quand ils s’envoient des conclusions, il repondent aux arguments. Et le juge traite les avocats comme s’ils disaient quelque chose de serieux. Si on prend le discours juridique au serieux8, ça veut dire qu’il est articule à une pratique du droit mais comment penser l’articulation du savoir, du discours, à la pratique ? On ne le sait pas. Et aujourd’hui, on est toujours dans l’opposition positivisme textualiste/sociologie...

On remarquera, dans le premier texte (p.371), quand Geny cite les quatre types de donnees. Il dit qu’on a les donnees reelles (ou strictement naturelles), historiques, rationnelles et ideales. Pour resumer simplement, les donnees reelles sont celles du monde physique (la gravitation, etc.) ; les donnees historiques sont la tradition juridique ; les donnees rationnelles sont le droit naturel moderne c’est-à-dire les preceptes qu’on peut construire par la raison (ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse…) ; et les donnees ideales qui sont selon Geny « les aspirations du moment ». Mais ce qui nous interesse est à la fin du premier paragraphe :

« Toutes ces donnees devant contribuer ensemble – chacune pour sa part et à sa façon – à suggerer les directions capitales du droit positif. »

Si on suggère les directions capitales du droit positif, on n’est pas dans une activite de connaissance mais de volonte : on legifère ! Donc la question : à partir de quel moment, en

8 Cf Ronald Dworkin, Prendre les droits au serieux.

5

Page 6: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

tant que juriste on est autorise à legiferer ? Est-on autorise à legiferer contre le legislateur9 ? Quand peut-on legiferer ?

Dans la theorie des sources du droit de Geny, on a la loi au sommet ; et la jurisprudence et la doctrine sont au-dessous, à egalite. Tandis que dans la theorie actuelle, on est plutôt dans une configuration où la loi et la jurisprudence sont des sources du droit et où la doctrine les etudie, les prend pour objet. La jurisprudence et la doctrine sont tous les deux interprètes, elles font chacune des constructions juridiques c’est-à-dire qu’elles sont dans l’œuvre technique : elles sont dans le construit. Mais si c’est la jurisprudence et la doctrine qui sont dans le construit, alors a contrario le legislateur n’est pas dans le construit. De quelle theorie relève le legislateur ? Ni du donne ni du construit. Il relève de la theorie des sources du droit. On peut se demander alors comment articuler la theorie positiviste des sources du droit (loi et coutume) avec le donne et le construit. En fait la distinction donne/construit n’est pas superposable à la distinction qu’on a dans la theorie des sources du droit, par exemple jurisprudence/legislateur ; puisque la jurisprudence est le construit mais la loi n’est pas le donne. Ce n’est ni le donne reel, ni le donne rationnel, ni le donne historique, ni le donne ideal. Donc les distinctions ne sont pas superposables.On va alors commencer à parler de donne et de construit quand il y aura des lacunes. Dans le système de Geny, l’idee c’est qu’on ne va faire intervenir le donne que lorsqu’il y aura des lacunes. Soit la loi règle le problème et dans ce cas en vertu de la theorie des sources du droit le juge doit la respecter ; soit la loi ne règle pas le problème et s’ouvre la question de l’interpretation. Le construit, les constructions juridiques doivent s’adapter aux sources formelles ; le construit est soumis à la fois à la theorie des sources du droit et au donne.

Grand problème epistemologique de Geny : quand il y a un vide, decide-t-on encore en fonction du savoir ?

Quelles differences entre la libre recherche scientifique et l’interpretation ? - Lire les pages 469 à 496 de l’ouvrage de Benoît Frydman, Le sens des lois, histoire de

l’interpretation et de la raison juridique, Bruylant, 3ème edition, 2013.- Extrait commente infra du tableau p. 492-493.

Interpretation Libre recherche

9 De manière complètement incidente, l’exemple pris par Geny dans ce texte est celui du mariage. En 1915, Geny nous dit que la difference des sexes est un donne, une realite. Pour lui la seule question est celle de la polygamie et l’inceste. Il dit qu’à la rigueur on peut en discuter selon le donne ideal... Mais pour lui la difference du sexe est indispensable et s’impose au legislateur. Ça pose une question interessante : est-ce que l’existence de la loi sur le mariage pour tous invalide les conclusions de Geny ?

6

Page 7: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

Objet Sources formelles (on interprète la loi et la coutume chez Geny).

Pour faire de la libre recherche il faut être dans une lacune, il faut que le cas ne soit pas prevu par les sources formelles. La libre recherche a donc pour objet la nature des choses et la realite sociale : c’est-à-dire le donne.

Elements L’interpretation porte sur des formules et lois ecrites puisqu’il faut que la coutume soit formalisee pour être une source du droit. (Sources formelles du droit)

La libre recherche porte sur des faits sociaux. (Sources materielles du droit).

Nature des elements Si on est dans l’interpretation des sources formelles, on est dans le construit, ce sont les theories juridiques. Le construit est artificiel et abstrait.

Dans la libre recherche, notre objet est le donne. Le donne est naturel et concret. Forcement puisque le donne c’est l’histoire, le reel, la raison (et eventuellement l’ideal mais les trois premiers elements sont concrets).

Statut epistemologique Technique. La technique juridique, ce sont les theories generales et les concepts.

Science. La science ici, ce n’est pas la science du droit mais les sciences modernes : les sciences de la nature, la sociologie, l’economie, etc.

Discipline Hermeneutique et logique. Sociologie appliquee.Valeur Sterile. L’interpretation est sterile

parce qu’on ne peut pas modifier le sens des textes ; l’interprète n’est pas legislateur.

Fecond. On est dans la lacune donc on peut se comporter comme un legislateur..

Auteur de la norme Legislateur. Juge. Comme on peut se comporter comme un legislateur, le juge est le veritable auteur de la norme, contre le legislateur

Fondement de la norme Volonte. Raison.Situation du juge Soumission à l’autorite. Lorsque le

juge doit statuer et qu’il est face à une source formelle il doit se soumettre à son autorite.

Liberte. Le juge est libre s’il y a des lacunes.

Domaine d’application Première mais limitee. Les sources formelles s’imposent.

Seconde mais illimitee. Illimitee car on est dans la liberte et on peut donc avoir n’importe quel type de solution.

Pour Geny, le constructivisme juridique c’est ce qui possède la plus petite valeur d’un point de vue epistemologique. C’est pour ça que le construit est subordonne, inferieur au donne. Quel est le problème que Geny tente de resoudre ? Dans la theorie des sources du droit, le juge est soumis à la loi. S’il y a une lacune, le juge peut-il faire ce qu’il veut ? Si le juge peut faire ce qu’il veut, c’est angoissant parce que ça veut dire qu’il n’y a pas de savoir juridique. Et s’il n’y a pas de savoir juridique, ça veut dire que l’œuvre du juge procède de sa volonte. C’est presque arbitraire10.

10 La difference entre le discretionnaire et l’arbitraire est très tenue. L’arbitraire est une volonte sans raison et le discretionnaire est une volonte qui n’explicite pas ses raisons. Par

7

Page 8: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

Dworkin repond exactement au même problème de savoir si lorsque le cas n’est pas prevu par la loi le juge dispose d’un pouvoir discretionnaire, s’il peut faire ce qu’il veut quand le cas n’est pas prevu par la loi (le juge devant appliquer la loi). Si la loi ne dit rien, est-ce que le juge est libre ? Reponse des positivistes, notamment de Hart : oui, le juge n’est tenu que dans le cadre de la norme ; au-delà il a un pouvoir discretionnaire. Contre-attaque de Dworkin : non, le juge n’a pas de pouvoir discretionnaire, c’est le droit-integrite.

L’idee de Geny est que le juge a une libre recherche scientifique : elle est libre sur le principe car il n’y a rien dans la loi mais elle est limitee en ce qu’elle est scientifique. Ça veut dire que c’est une recherche qui debouche sur un savoir et donc la decision du juge sera fondee sur ce savoir. Mais le paradoxe est qu’il ne s’agit pas d’un savoir juridique, c’est celui de la sociologie, de l’economie... il traite vraiment le juge comme un legislateur et c’est pour ça que l’idee de Geny n’accroche pas.

François Geny est-il positiviste ou jusnaturaliste ? Les deux. Il est positiviste dans la colonne de gauche et jusnaturaliste dans la colonne de droite : il est inclassable. Et qu’est-ce que le realisme americain ? La suppression de la colonne de gauche (de l’interpretation) et la generalisation de la colonne de droite (de la libre recherche scientifique). Pas de sources formelles, pas de constructions artificielles, pas d’abstrait, pas de technique, pas d’hermeneutique, pas de soumission à l’autorite. Au contraire, même en presence d’un texte : sociologie appliquee, le veritable auteur de la norme c’est le juge, ce qui compte c’est la raison, on est libre, il n’y a plus de nature des choses, il n’y a que la realite sociale (on supprime la 1ère case).

Question : La construction est-elle dans la loi faite par le juriste ou dans la libre recherche scientifique ?

- La construction, ce n’est pas la libre recherche scientifique, c’est la loi. Le juge a une double casquette : il est dans les deux colonnes. Le juge quand il est dans le construit, n’est pas auteur de la norme, c’est toujours le legislateur ; et le juge interprète ce que dit le legislateur donc il n’est pas auteur de la norme. Mais le juge est à la fois dans le construit et dans le donne. Il a une attitude passive dans le construit (cf l’interpretation est sterile). Mais pourtant l’idee de construction renvoie à celle d’activite. En fait, Geny n’est pas un auteur constructiviste.

Question : Le construit ne serait donc pas la traduction de la loi ?- En fait on a deux types de construit. On a le construit au sens strict et le

constructivisme au sens epistemologique. C’est cette difference qui est importante. Quand on parle de construction juridique, de quoi parle-t-on ? Geny en parle à la p.31 : « Dès que le concept excède la traduction adequate de la realite, il echappe à la sphère du “donne“ ; il ne peut plus valoir que comme element de “construction“. » Quand il parle de la construction ici, que vise-t-il ? Les concepts. Et les concepts sont des elements des theories generales.

exemple un jury de baccalaureat a un pouvoir discretionnaire mais pas arbitraire : s’il decide de donner les points du jury, il n’a pas à se justifier et on dit qu’il est souverain. C’est pour ça qu’on ne peut pas faire de recours contre les notes.

8

Page 9: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

Prenons un exemple. La distinction des obligations de moyens et de resultat est-elle dans la loi ? Non. Donc c’est du construit. Quelle difference avec le constructivisme epistemologique ?

P.32 : « (…) même dans son activite la plus autonome, l’intelligence humaine contribue, pour sa large part, à l’elaboration du droit positif. »

Existe-t-il un etat du droit positif ? Reformulons la question : le droit positif est-il construit ou donne ? Pour Geny ce serait le donne historique. Pour prendre connaissance du droit positif, qu’est-ce qu’on utilise ? Les concepts. Et les concepts sont construits. Arrive-t-on à faire une difference entre le droit positif et les concepts du droit positif ?

Reprenons l’exemple de la distinction des obligations de moyen et de resultat et procedons par etapes. Cette distinction est-elle de droit positif ? Oui, elle est appliquee mais n’est pas dans les textes. Construit ou donne ? C’est construit et pourtant c’est de droit positif. Et si c’est de droit positif c’est dans le donne historique... Mais si c’est construit ça ne peut pas être donne. Si ce n’est pas donne, c’est bien nous qui l’ajoutons. Ce n’est pas dans la loi, ce n’est pas un concept donne par le legislateur : c’est construit. Si on dit que la distinction des obligations de moyens et de resultat est de droit positif et que c’est construit... C’est incoherent. On ne peut pas dire ça en etant coherent : si c’est construit, c’est nous qui l’introduisons or justement si c’est nous qui l’introduisons, comment peut-on dire que c’est de droit positif ?

Reposons-nous la question sous une autre forme. Le droit positif est-il independant du juriste qui l’etudie ? La realite est-elle independante de nos perceptions ? Cette question philosophique est très importante en sciences physiques, mais qu’en est-en droit ? Le droit est-il un objet naturel ? Est-il un universel in re ou est-il une construction humaine ? Si le droit est une creation humaine, l’etat du droit positif ne peut pas être independant de l’esprit humain. C’est impossible. Si on considère que le droit est une creation humaine, l’etat du droit positif est une creation de notre esprit, par exemple avec la distinction des obligations de moyens et de resultat. Elle n’existe que tant qu’on la pense mais on peut emettre l’hypothèse de pouvoir faire du droit sans cette distinction, et on l’a fait puisqu’au XIXème siècle on ne l’avait pas et on vivait très bien sans... alors qu’aujourd’hui on a l’impression qu’on ne pourrait justement pas vivre sans et qu’on est obliges de vivre avec. Mais si c’est une construction, si elle n’est pas donnee, ça veut dire que l’etat du droit positif n’est pas independant de notre propre construction. Donc lorsqu’on dit que l’on contribue à l’elaboration du droit positif, c’est faux : on l’elabore entièrement. Le droit positif ce n’est qu’une construction faite par les juristes. Tout le droit positif est construit. Cette thèse est celle du constructivisme epistemologique. La connaissance est une construction.

On peut être tente de repondre qu’il y a quand même une realite indepassable mais il faut faire attention car dans le constructivisme sociologique, dans le constructivisme des sciences et comme le dit Nietzsche : il n’y a pas de faits, il n’y a que des interpretations11. C’est-à-dire que même le concept de fait est une interpretation. Même le concept de nombre peut s’interpreter comme etant une construction (cf Seminaire 1)12. On peut comprendre que le

11 Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes.12 Henri Poincare, La science et l’hypothèse.

9

Page 10: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

constructivisme soit critique en sciences physiques et en mathematiques, la plupart des mathematiciens sont platoniciens, c’est-à-dire qu’ils pensent que les nombres et les theorèmes existent independamment d’eux et qu’ils les decouvrent. On peut douter de la validite de cette position pour le droit. Decouvre-t-on le droit qui existait dejà, de toute eternite ? Et donc on ne ferait que reveler le droit existant... C’est la thèse realiste, celle d’Aristote, de Michel Villey... Le droit serait independant de nous. Si le droit est independant de nous, le legislateur peut se tromper s’il va contre le droit naturel. Mais si le droit n’est pas independant de nous, on ne peut pas se tromper. Et il y a un autre problème encore plus grave : si le droit positif est une construction, peut-on encore parler de connaissance ? Ne serait-on pas alors dans le registre de l’invention plutôt que dans celui de la connaissance ?

La difference avec la science physique, c’est que dans la science physique, on a quand même un reel. Comme le dit Hilary Putnam, « si vous pensez que toutes les theories se valent, faites une theorie selon laquelle vous pouvez voler et jetez-vous du troisième etage ». Il y a quand même un reel, il va se passe quelque chose. C’est valable dans la science physique, mais en droit ? En droit, à partir de quel moment on heurte un mur ? Jamais. On fait ce qu’on veut. Difference de sexe ? Non, finalement, vous pouvez vous marier. Le mariage pour tous est bien de droit positif.

Si l’etat du droit positif est construit, est-on encore en presence d’une connaissance ? Et quelles sont les limites ? Si tout est construit, on fait ce qu’on veut. {Cf seminaire 3}

Retour au texte de Michel Foucault

P.7 : « Qu’est-ce que le positivisme ? Au fond, il se caracterise je crois comment ?… Par le fait qu’il a voulu etablir entre chaque domaine de savoir et chaque domaine d’analyse, des coupures absolument radicales qui faisaient par exemple que la vie pouvait pas être reduit au processus physico-chimiques donc que la biologie ne pouvais pas être ramenee ni à la chimie ni à la physique etc. »

Il explique ici que dans le positivisme on decoupe des champs d’analyse qui sont des champs observables. Et c’est exactement comme pour le corps humain et la medecine : on a des specialistes de chaque partie. Le positivisme appelle une methode analytique, pour etudier chaque champ. C’est ce qu’on retrouve en droit : on a des specialistes de chaque matière et sous-matières et on se specialise à l’extrême.

« Or, je suis positiviste en ce sens moi que je crois en effet à la specificite du discours et j’essaye de faire apparaître ce champ du discours, cette fabrication du discours, ce discours-objet, j’essaye de le faire apparaître dans sa solidite et sa specificite (...) »

Il dit qu’il est positiviste parce qu’il n’invente pas les discours, il etudie les discours qui sont presents dans des textes : c’est ça pour lui être positiviste.

« (…) mais je voudrais à chaque instant montrer comment il se rattache {le positivisme}, il se relie à quelque chose d’autre et qui lui est exterieur. »

10

Page 11: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

On a le fameux problème qu’on a evoque plus tôt à savoir que le discours ne renvoie pas à lui-même, il renvoie à quelque chose d’exterieur. Le discours n’est pas ferme sur lui-même.

« Et c’est au fond ça mon problème, par rapport aux structuralistes, (...) »

Pour les structuralistes, ce qui compte c’est la structure. Du point de vue structuraliste, la structure du discours rendrait compte de tout le discours. Foucault s’y oppose en disant que ce qui l’interesse, c’est que le discours se relie à quelque chose qui lui est exterieur. C’est pour ça qu’il s’oppose aux structuralistes, il ne veut pas expliquer le discours à partir du discours.

P.8 : « (...) mon problème, c’est de montrer comment la pratique discursive s’articule sur des pratiques qui ne sont pas discursives. »

Pour le droit cette phrase est très importante parce que ça signifie que notre problème pourrait être d’expliquer comment le discours juridique s’articule sur des pratiques qui ne sont pas discursives. Le fait qu’on arrive à gauche ou à droite avec une voiture n’a rien à voir avec un discours et pourtant ça s’articule au discours juridique. Le fait qu’une fois qu’on ait signe un papier on verse de l’argent parce qu’on pense avoir conclu un contrat et que ce contrat est obligatoire, n’a strictement rien à voir avec un discours mais cette pratique s’articule à un discours, le discours du legislateur. Comment est-ce qu’on pense cette articulation ? Si on se met exclusivement du côte de la pratique en oubliant le discours, on est dans le realisme.

Retour au grand problème de Geny : en cas de lacune, decide-t-on encore en fonction du savoir ? Les discussions sur l’epistemologie juridique sont en realite très graves car tout l’enjeu de l’epistemologie juridique est de savoir si on peut faire n’importe quoi. S’il y a un savoir on ne peut pas tout faire, parce que le savoir s’oppose au pouvoir. Prenons les realistes au serieux et admettons un instant que les tribunaux fassent ce qu’ils veulent. Comment expliquer alors que les interpretations juridiques soient aussi stables ? Michel Troper le justifie par une contrainte sociologique, c’est dans notre education de ne pas trop changer d’avis... Mais si la contrainte est epistemique, c’est-à-dire qu’elle relève de la connaissance, la veritable explication de la stabilite des interpretations, c’est le savoir juridique. La theorie realiste nie l’existence d’un savoir juridique et donc ne cherche pas de contrainte epistemique. Si on arrive à etablir l’existence d’une contrainte epistemique, on n’a pas refute les realistes, il n’est pas question de dire que le droit n’est pas influence par la morale, la politique et la religion ! Mais ce qu’il faut expliquer et que n’expliquent pas les realistes (et c’est le même problème que pose Ronald Dworkin – ce qui ne veut pas dire que nous adopterons la même reponse – ), c’est le pourquoi des desaccords. Ou alors, comme dit Dworkin, si on ne prend pas le droit au serieux, les juges discutent pendant de longues seances, les avocats bataillent sur des interpretations... Et quand les juges rentrent chez eux, ils explosent de rire « on les a bien eus, ils croient qu’on cherche le droit, en fait on fait ce qu’on veut ». Quand on a interviewe les juges du Conseil constitutionnel ils ont repondu qu’ils se sentaient lies, qu’ils ne pouvaient justement pas faire ce qu’ils voulaient... Est-ce une contrainte des pères, une contrainte doctrinale ? Si on l’admet, on admet l’idee d’une communaute des juristes, grande idee de Christian Atias mais qui a ete contestee. Or le savoir ne peut exister que dans une communaute. Si on essaye de proposer nos theories

11

Page 12: Séminaire II

Master 2 : Theorie du droitSeminaire « Theorie de la connaissance et epistemologie juridiques »

physiques aux physiciens, ils vont les refuser parce qu’on ne fait pas partie de la communaute des physiciens. Il y a des codes et des concepts à connaître. On retrouve des communautes epistemologiques en physique, en mathematiques... Les desaccords entre les juges existent. Il suffit de regarder une affaire comme l’affaire Babyloup sur le port du voile au travail.Première instance, le licenciement est valable ; Cour d’appel, valable ; Cour de cassation, pas valable ; Cour d’appel, valable ; cassation, cest valable. Cette controverse veut-elle dire quelque chose ? Ne veut-elle rien dire ? Est-ce qu’on prend la controverse au serieux ou n’est-elle qu’une façade ? Si l’hypothèse que les juges explosent de rire en rentrant chez eux est intenable, ça veut dire – et c’est Michel Foucault – que le discours juridique a une consistance, qu’il contient quelque chose que nous n’avons pas encore reussi à theoriser qui explique son fonctionnement, qui explique qu’on a des debats. C’est tout ça l’enjeu de l’epistemologie du droit.

Mais le constructivisme ajoute un problème supplementaire, parce que si on construit les concepts, alors ce n’est pas de la connaissance...

Comment la pratique discursive s’articule-t-elle sur des pratiques qui ne sont pas discursives ?

12