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397 Septembre-Octobre 2008 – 6 numéro Travail : prévenir le stress Suisse : la sexualité expliquée aux écoliers Enquête : les Français en manque de sommeil Comment réduire les inégalités sociales de santé ? Comment réduire les inégalités sociales de santé ?

Septembre-Octobre 2008 – 6 - Santé publique France - …inpes.santepubliquefrance.fr/SLH/pdf/sante-homme-397.pdf · Jean-Christophe Azorin(Épidaure, ... Fondateur : Pr Pierre

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397Septembre-Octobre 2008 – 6 €

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Travail : prévenir le stress

Suisse :la sexualité expliquéeaux écoliers

Enquête : les Français enmanque de sommeil

Comment réduire les inégalités sociales de santé ?Comment réduire les inégalités sociales de santé ?

SH39

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est éditée par :L’Institut national de préventionet d’éducation pour la santé (INPES)42, boulevard de la Libération93203 Saint-Denis CedexTél. : 01 49 33 22 22Fax : 01 49 33 23 90http://www.inpes.sante.fr

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❏ Les ancrages théoriques de l’éducation pour la santé, n° 377.

❏ La santé à l’école, n° 380.❏ Mieux prévenir les chutes chez

les personnes âgées, n° 381.❏ Démarche participative et santé,

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sommaire

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397Septembre-Octobre 2008 – 6 €

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◗ Qualité de vie

Prévenir le stress au travailPourquoi et comment le stress au travail est dangereux pour la santéDominique Chouanière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

Réguler les tensions, pour éviter le stressIsabelle Mary-Cheray . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

À l’ONF, un plan de lutte contre le stress du personnelStéphanie Futin, Nathalie Koch . . . . . . . . . . . . . 8

« Davantage d’humanité et moins de stresspour les téléopérateurs »Valérie Charmois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Prévention du stress en entreprise : les stratégies pour agirValérie Langevin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Entreprises : développer la prévention, en amontColette Ménard, Bernard Siano . . . . . . . . . . . . . 13

Accord national contre le stress au travail Colette Ménard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

Comment réduire les inégalitéssociales de santé ?

IntroductionPromouvoir la santé, pour réduire les inégalitésMarie-José Moquet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

Inégalités sociales de santé : état desconnaissances, aperçu des pratiques

Inégalités sociales de santé : des déterminants multiplesMarie-José Moquet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

États-Unis, Bénin, France : des programmesadaptés aux inégalitésYves Géry . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

Le rôle du politique dans la lutte contre les inégalités sociales de santéPierre Larcher . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

Recherche et évaluation

Les chercheurs français scrutent les inégalités sociales de santéMarie-José Moquet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

« La recherche permet de repérer des modesd’intervention et de prévention »Entretien avec Alfred Spira . . . . . . . . . . . . . . . 27

Évaluation des interventions : commentmener à bien un exercice périlleux ?Valéry Ridde, Pierre Blaise . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Situation socio-économique et consommation de substancespsychoactives : une corrélation avéréeFrançois Beck . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

Ateliers Santé-Ville et démarchecommunautaire

Ateliers Santé-Ville : des résultatsincontestables, des moyens fragilesLaurent El Ghozi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

Inégalités sociales de santé et démarchecommunautaire en santé, quels liens ?Perrine Lebourdais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

Perpignan : des ateliers santépour la communauté gitaneCatherine Oustrière, Karine Briot, Martine Kempfer . . 36

Prévention et accès aux soins

Soins et prévention : un levier majeur pour réduire les inégalitésPierre Lombrail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

Cancer du sein : accompagner les femmesvers le dépistageYoucef Mouhoub . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Hôpital Avicenne : comment s’adapter aux patients migrantsAntoine Lazarus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

Pour en savoir plusOlivier Delmer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

◗ InternationalSuisse romande : des éducateurs pour parlersexualité à l’écoleCaroline Jacot-Descombes . . . . . . . . . . . . . . . . 48

◗ EnquêteLes Français en manque de sommeilEnguerrand du Roscoät . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

« Le sommeil est en compétitionavec la télévision et Internet »Entretien avec Damien Léger . . . . . . . . . . . . . . 52

Dossier

En avril 2008, et pour la première fois, les Journéesannuelles de la prévention de l’INPES ont consacré unesession à la santé au travail, dont le thème était « Stressau travail, concepts et prévention ». Cette session a étéorganisée en partenariat avec l’Institut national derecherche et de sécurité (INRS). Compte tenu de l’intérêtdes interventions des différents experts, La Santé del’homme publie ci-après une synthèse de plusieurs ana-lyses et actions de terrain mises en œuvre ainsi qu’unaperçu de la table ronde ; le tout est complété par unpoint d’actualité sur la prise en compte, en France, dustress au travail, un nouvel accord venant d’être négocié

par les partenaires sociaux. Enfin, l’intégrale des inter-ventions-débats est accessible sur le site Internet de l’IN-PES (www.inpes.sante.fr/rubrique « Journées de la pré-vention »). Par leur apport méthodologique et lesmodalités concrètes de mise en œuvre présentées, cestravaux pourront être utiles aux professionnels pour orga-niser la prévention du stress au travail, et surtout tra-vailler en amont sur les facteurs de risques, accepterde revisiter l’organisation du travail plutôt que d’interve-nir une fois que la souffrance est installée.

Colette Ménard, René Demeulemeester (INPES), Bernard Siano (INRS).

Six salariés sur dix ont un travail stressant. Comment fonctionne le stress ? Quels sontses effets ? Dominique Chouanière présente l’état des connaissances scientifiques. Ellesouligne qu’il faut développer la prévention à la source en identifiant les facteurs col-lectifs liés à l’organisation du travail.

D’après la dernière enquête Sumer2003, 61 % des salariés déclarent avoirun travail fortement stressant. Qu’est-ceque le stress ? Pour l’Agence européennede Bilbao, il s’agit d’un déséquilibreentre la perception des contraintes impo-sées par l’environnement et les ressour-ces propres de l’individu pour y faireface. Si l’évaluation des contraintes et desressources est psychologique, les effetsportent sur la santé psychologique, maisaussi sur la santé physique, le bien-êtreet la productivité. Il faut distinguer d’unstress chronique l’état de stress aigu, quifait partie de la vie professionnelle,quand il faut, par exemple, rendre unrapport dans l’urgence.

À l’origine du stress chronique, desvrais mélanges de contraintes toxiquesont été mis en évidence par les cher-cheurs, comme par exemple le désé-quilibre entre l’exigence psychologiquedu poste et la marge de manœuvre dont

l’individu dispose pour faire son travail.C’est le « job strain » de Karasek (NBP),tel que peuvent le vivre, par exemple,les téléopérateurs, à qui on demandeune grande disponibilité pour prendreun maximum d’appels mais qui sonttrès contraints dans leur relation auxclients par un script affiché à l’écran, laformulation des questions étant souventobligatoire (Ndlr : voir aussi l’article deValérie Charmois). Un autre modèles’est imposé, celui de Siegrist, qui iden-tifie comme pathogène un déséquilibreentre les efforts consentis par la per-sonne pour son travail et les récom-penses (monétaires ou symboliques)qu’elle en perçoit.

Quoique très répandus et très utili-sés dans les recherches scientifiques,ces modèles ne font pas pour autant letour des situations pathogènes rencon-trées dans le travail et les chercheurs tra-vaillent pour en identifier d’autres.

Essentielle : la gestionde l’organisation

Quels sont les facteurs qui peuvententraîner ces déséquilibres ? Certains fac-teurs sont propres à l’entreprise, commela façon d’organiser le travail et l’activité.Les normes imposées aux téléopéra-teurs, par exemple, ne sont pas liées aumétier mais dépendent d’autres facteurstout à fait modifiables. La gestion desrelations humaines est également unpoint essentiel. La façon dont se viventles relations de travail également, demême que le type de management, qu’ilsoit directif, autoritaire versus participa-tif, ainsi que tout ce qui est de l’ordrede l’environnement matériel.

Plus globalement, le contexte éco-nomique, l’intensification du travail, lerecours intensif aux nouvelles techno-logies, l’exigence de la clientèle, etc.,peuvent représenter des facteurs destress. Mais ce que l’on observe dans les

qualité de vie

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Pourquoi et comment le stress au travail est dangereux pour la santé

Prévenir le stress au travail

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qualité de vie

entreprises c’est qu’à contraintes éco-nomiques égales le niveau de stress estéminemment variable. Donc la margede manœuvre pour agir et diminuer lesfacteurs stressants existe même dansdes situations économiques tendues.

Mécanismes physiologiques du stress

Les mécanismes du stress ont d’abordété écrits par un médecin autrichien,Hans Selye, dans les années 1930 (enca-dré). La réponse biologique de l’orga-nisme à un agent stressant est une sécré-tion d’hormones telles que l’adrénaline,les glucocorticoïdes, etc., qui activentl’organisme en stimulant tous les systè-mes (respiratoire, cardio-vasculaire,etc.). En cas de stress aigu, la sécrétioncesse quand l’événement disparaît. Lestress chronique relève d’un mécanismeanalogue, sauf que, l’agent stressantétant présent en permanence, la quan-tité d’hormones augmente avec unemballement de la sécrétion qui hyper-stimule l’organisme sur de longuespériodes. Or nous ne sommes pasconçus pour résister à une activationlongue et intensive, et l’état de stresschronique s’installe.

Trois stratégies face au stressFace à une situation de stress chro-

nique qui génère beaucoup d’inconfortla personne va essayer de s’adapterselon des réactions psychologiquespropres à chaque tempérament : sesoustraire à la situation difficile (congésmaladie, demande de mutation, etc.) ourecourir à des techniques de gestion desémotions ou encore mettre en placeune stratégie de résolution du pro-blème, c’est-à-dire agir sur les causes dustress. Cette dernière stratégie est la plusefficace.

Les maux du stressLe stress chronique étant une hyper-

activation chronique de tous les grandssystèmes de l’organisme, vont doncapparaître des symptômes de sursti-mulation de tous ces organes. À com-mencer par des douleurs des tendonsou des articulations, des douleurs abdo-minales, des maux de tête, des troublesdu sommeil, de l’appétit, de la diges-tion, des sensations d’essoufflement,d’oppression, des sueurs, etc. S’y asso-cient des symptômes émotionnelscomme nervosité, crises de larmes,angoisse, excitation, tristesse, mal-êtremais aussi des symptômes intellectuelscomme des troubles de la concentra-tion, des oublis, des erreurs, des diffi-cultés à prendre des initiatives ou desdécisions qui peuvent gêner les activi-tés de travail. Pour faire cesser cet étatd’excitation, le recours à des produits« relaxants », médicaments psycho-actifs(somnifères, anxiolytiques, sédatifs,etc.) ou de l’alcool est fréquent avec encontrepartie la prise de stimulants enjournée : tabac, café ou autres droguesstimulantes. Cette situation de stresschronique douloureuse induit chez l’in-dividu repli, inhibition, diminution desactivités sociales. S’il s’installe dans ladurée, le stress chronique peut entraî-ner de nombreuses pathologies tellesque maladies cardio-vasculaires, trou-bles anxio-dépressifs, troubles mus-culo-squelettiques mais aussi fragilitéimmunitaire par l’action anti-inflamma-toire des glucocorticoïdes à l’origined’infections fréquentes.

Lien entre stress et suicideLes suicides liés au travail se sont

longtemps déroulés hors du lieu du tra-vail ; mais, depuis une dizaine d’années,les médecins du travail ont donné l’alerte

sur l’apparition de suicides sur le lieu dutravail. Des médecins inspecteurs du tra-vail de Basse-Normandie ont d’ailleursréalisé, au début des années 2000, uneétude de l’incidence des suicides liés autravail, dont les résultats ont été utiliséspour estimer le nombre de suicides auniveau national. Cette apparition dessuicides survient dans un contexte oùles indicateurs de stress augmentent. Denombreuses études ont démontré unlien entre « job strain » ou déséquilibreefforts-récompenses et troubles anxio-dépressifs mais seulement quelquesétudes ont directement mis en relationces déséquilibres avec un suicide. Telleune étude japonaise récente sur unecohorte de 3 121 hommes suivis pen-dant neuf ans, qui a mis en évidenceque le manque de marge de manœu-vre multiplie le risque de suicide par

Stress chronique : les découvertes de Hans SelyeL’origine du terme stress est due à un médecin d’origine autrichienne, Hans Selye, qui a décou-vert, en 1936, que face à une demande de l’environnement l’organisme va avoir une réponsenon spécifique : le syndrome général d’adaptation (SGA). Il constate également que, lorsque lessystèmes physiologiques sont activés par une situation stressante, ils peuvent devenir délétè-res pour l’organisme.Un événement stressant – comme être simplement spectateur d’un accident de voiture – déclen-che une libération de catécholamines (une poussée d’adrénaline) dont l’objet est d’apporterde l’oxygène dans les organes qui vont être sollicités pour la fuite ou le combat, c’est-à-direles muscles, le cœur et le cerveau. Quelques minutes après, se met en route une sécrétion deglucocorticoïdes, qui vise à mettre à disposition des muscles, du cœur et du cerveau le sucrenécessaire pour la réaction. Si l’événement cesse et que la réaction est adaptée, tout rentredans l’ordre, mais, si l’événement stressant se prolonge, il peut y avoir échec de cette adap-tation et l’on entre dans une phase d’épuisement.

Depuis dix ans, le réseau Anact intervient auprès des entreprises et de leurs salariés pourprévenir le stress au travail. L’un des premiers objectifs est d’identifier les tensions,puis de mettre en œuvre des actions pour les réguler. Revue des concepts et identifica-tion des stratégies de prévention possibles.

Le réseau de l’Agence nationale pourl’amélioration des conditions de travail(Anact)1 a développé une approche surles actions de prévention du stress etdes risques psychosociaux liés au tra-vail via le concept de tension-régula-tion. Ses intervenants sont des spécia-listes de la conduite du changementconcerté, avec quatre axes d’actionautour de la santé au travail, de la priseen compte du développement des com-pétences et des qualifications, des chan-gements techniques et organisationnelset de la gestion de tous les âges tout au long de la vie professionnelle. Lesactions de l’Anact sur l’amélioration desconditions de travail prennent encompte les aspects de santé, en lienavec l’organisation du travail. Un objec-tif fort est de privilégier toutes lesactions autour du dialogue social ausein des entreprises.

Notre approche du stress et desrisques psychosociaux est articulée

avec la démarche d’évaluation desrisques professionnels ; nous ne som-mes pas sur une approche individuelledes questions de stress lié au travailmais collective, en remontant sur lescauses en lien avec l’organisation dutravail dans l’entreprise.

Cette approche est basée sur lesmodèles du stress de Karasek et de Sie-grist (Ndlr : voir article de D. Choua-nière), sur les mécanismes physiolo-giques du stress, sur d’autres modèlesde santé psychique au travail. Nousnous appuyons sur l’ensemble de cesconcepts tout en ayant identifié deslimites dans leur utilisation pour lesactions de prévention en entreprise,sachant qu’ils ne sont pas valides danstoutes les situations.

Réguler en permanence les tensions

Cette approche se base sur l’expé-rience d’une dizaine d’années d’inter-

vention en entreprise à l’Anact. Elle sefocalise sur l’articulation entre les ten-sions et leur régulation. Le travail est unlieu de tension entre les objectifs de l’en-treprise et ceux du salarié. C’est aussi unlieu de régulation de ces tensions : lesmoyens mis à disposition par l’entre-prise et l’engagement au travail du sala-rié font partie des régulations présen-tes dans le travail mais le management,l’organisation du travail et le soutien ducollectif de travail y participent aussi.

Parler d’une montée des probléma-tiques de santé psychique au travail, dustress au travail, signifie que les tensionssont croissantes et que la régulationn’est plus assurée. Au niveau du travail,le ressort se tend parce que les objec-tifs/exigences de l’entreprise deviennentle sujet préoccupant des responsables,les éloignant ainsi des préoccupationsdes salariés. Les objectifs et exigencesdes salariés évoluent et peuvent les éloi-gner du champ des objectifs de l’entre-

qualité de vie

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Réguler les tensions, pour éviter le stress

quatre en prenant en compte les autresfacteurs. Une autre grande étude decohorte réalisée aux États-Unis chez94 000 infirmières suivies pendant qua-torze ans démontre un lien entre stresschronique et suicide.

La sécrétion des glucocorticoïdes, quiest associée à un stress chronique, fra-gilise l’équilibre psychique et favorise lesdépressions. Ces dernières sont un fac-teur de risque pour le passage à l’acte.

Bon ou mauvais stressLa presse a beaucoup véhiculé le fait

qu’il y aurait un bon et un mauvaisstress, sous-entendant que l’on peutmanager par la pression jusqu’à un cer-tain niveau. Cette position n’est pasacceptable car la distinction scienti-fique oppose stress aigu et stress chro-nique. Le stress aigu fait partie de lavie et est un mécanisme d’adaptation

aux changements de l’environnementmais devient délétère dès qu’il s’installedans la durée.

Quelle prévention contre le stress ?

La gestion individuelle du stress, quiest une prévention de type secondaireet qui s’intéresse aux personnes en étatde stress chronique pour éviter desconséquences plus marquées sur lasanté, a beaucoup été mise en avantdans notre pays. Cette gestion du stressqui associe des connaissances sur lestress à des techniques de mise à dis-tance des émotions et de relaxation aune efficacité très limitée dans le tempscar elle n’agit pas sur les causes dustress. La prévention du stress au tra-vail doit identifier dans une situation detravail les contraintes qui génèrent dustress et repérer les facteurs collectifsdans l’organisation du travail qui génè-

rent ces contraintes, pour mettre enplace ensuite un plan d’action vis-à-visdes causes identifiées. Néanmoins, cer-taines contraintes sont inhérentes aumétier et ne dépendent pas de l’orga-nisation. Par exemple, travailler dansdes services de soins palliatifs ou anti-cancéreux expose le personnel à desémotions extrêmement fortes. La pré-vention dans ce cas agira également enaval de ces contraintes en proposantpar exemple la mise en place des séan-ces de débriefing pour en diminuer leurimpact. Ainsi, la prévention efficace dustress au travail vise à agir le plus enamont possible pour éviter l’apparitionde contraintes liées à l’organisation maisaussi plus en aval pour les contraintesinhérentes au métier.

Dominique Chouanière

Responsable du pôle « Santé au travail »,

Institut de santé au travail, Lausanne, Suisse.

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qualité de vie

prise. Le contexte de travail évolue éga-lement et les organisations du travailpeuvent conduire à une individualisa-tion, amenant à plus de compétition quede solidarité entre les salariés, donc à unaffaiblissement social des collectifs.Dans certains cas, le changement per-manent peut devenir un mode de ges-tion. La flexibilité, la précarité auxquelssont soumis les salariés vont aussi avoirune influence sur ces tensions et la dif-ficulté de les réguler.

Pour l’entreprise, cette tension va setraduire par des atteintes à la produc-tion, une évolution de l’absentéisme, unclimat social dégradé. Pour les salariés,les conséquences seront des atteintesà leur santé, à leur satisfaction au travailet une menace sur leur employabilité.

Remonter aux causesPour être opérationnel, il va falloir

remonter aux causes des tensions : – des contraintes de travail (tensionsentre prescription et latitude) ;– les valeurs-exigences du salarié(notamment déséquilibre entre effortsconsentis et récompenses) ;– les relations et comportements,notamment les conflits entre collectifsde travail, entre les jeunes et les anciens,ou des comportements individuels quiauront des répercussions sur le collec-tif de travail ;– les changements du travail, sous l’ex-pression « avant » par rapport à « main-tenant », « avant c’était mieux, c’étaitautrement ».

Pour illustrer cette typologie, voicil’exemple d’une intervention menéedans un établissement hospitalier pourpersonnes âgées dépendantes, où cesfamilles de tension ont pu être mises enévidence. Le point de départ est l’évo-cation par les salariés d’un besoin dereconnaissance, la direction évoquant

plutôt une difficulté à organiser du col-lectif, voire un manque d’engagementdes salariés. Avec, pendant la périodede Noël, une tension particulièrementforte entre objectifs et moyens, du faitde personnels en congés se cumulantavec des absences qui génèrent unesurcharge de travail, l’activité restanteffectivement la même (les personnesâgées restent présentes à cette périodeau sein de l’établissement). Le travailentrepris a permis de constater qu’untype de régulation fonctionnait bien : lesoutien social, avec une entraide dessalariés qui a permis que le travail soitréalisé et que la qualité de servicedemeure satisfaisante. Du côté de lacontribution/rétribution, les salariésattendaient une reconnaissance de ceteffort, que leur direction « vienne leursouhaiter Noël ». Or, cette reconnais-sance n’a pas eu lieu. Quelques semai-nes plus tard, la tension apparaîtpuisque au moment de la galette peu desalariés sont présents.

Cet exemple conforte à la fois laposition de la direction et celle des sala-riés, et ne permet pas d’agir. Sauf qu’enremontant l’arbre des causes et les ten-sions présentes, des axes pour travaillersur la prévention de cette situation etsur les atteintes à la santé psychique dessalariés sont mis en évidence. L’adé-quation objectifs/moyens peut fairel’objet d’un travail, de même que lafaçon de soutenir les exemples d’en-traide des salariés qui fonctionnentbien. Ce travail peut aussi porter sur lesconditions de contribution et de rétri-bution, sur les moyens de reconnais-sance ou sur les modalités des relationscollectives existant au sein de l’établis-sement.

La typologie actuelle du réseau del’Anact met en évidence quatorze ten-sions fréquentes que l’on peut classer

en quatre grandes familles : les tensionsliées aux contraintes du travail, cellesliées aux valeurs et exigences du sala-rié, celles liées aux relations et aux com-portements et enfin celles en lien avecles changements.

Structurer la démarche de prévention

Comment structurer la démarchede prévention avec cette approche ?D’abord se mettre d’accord pour enga-ger l’analyse. Un débat est ensuitenécessaire pour définir l’objet qui seratraité en commun. Puis recueillir desdonnées (quantitatives/qualitatives), enidentifiant les tensions et possibilités derégulation. Repérer et analyser dessituations où émergent les contraintesrencontrées. Analyser les causes et pro-poser des pistes d’action. Dans tous lescas travailler sur les causes et remon-ter sur l’organisation et les contraintesidentifiées. Enfin, se mettre d’accordpour élaborer un plan intégré d’actionset le mettre en œuvre, c’est-à-dire agirsous l’angle de la prévention primaire; toutefois l’analyse peut mettre en évi-dence d’autres actions à privilégier. Ladémarche de prévention doit s’inscriredans la durée, avec suivi et évaluation.

En résumé, pour la prévention desrisques psychosociaux, peuvent êtreidentifiés quatre types d’actions sur : – la performance et l’organisation dutravail ;– la santé, les ressources humaines et,plus globalement, la qualité de vie autravail ;– le management et le dialogue social ;– l’accompagnement des changements.

Ce sont des leviers sur lesquelsacteurs de l’entreprise et représentantsdes salariés peuvent intervenir, alorsque le ressenti et l’expression des diffi-cultés de stress ainsi que les atteintes àla santé psychique des salariés peuventmettre plus en difficulté les acteurs pourengager l’action.

Isabelle Mary-Cheray

Psychosociologue, chargée de mission,

Association régionale pour l’amélioration des

conditions de travail (Aract) Centre.

1. Un établissement national et vingt-cinq associationsrégionales, réseau de proximité centré sur l’amélio-ration des conditions de travail.

CHSCT et médecin du travail : au cœur de l’alertePour engager une démarche efficace de prévention du stress au travail, les résultats attendusdoivent être déterminés pour un double impact sur la performance de l’entreprise et sur laqualité de vie au travail des salariés dont leur santé au travail. Au vu de l’expérience de l’Anact,les acteurs principaux qui font émerger ces situations sont les représentants des salariés àtravers leur participation dans les CHSCT, lesquels font remonter les difficultés rencontréespar les salariés. Autres acteurs importants : le médecin du travail, bien sûr ; de plus en plusfréquemment les directions des ressources humaines, des directions d’entreprise qui sontpartie prenante pour mener des actions sur cette question. Les événements tragiques inter-venus au cours des dernières années, qui résultent d’une grande souffrance au travail, ont amenécertaines directions d’entreprise à prendre position sur des logiques de prévention pour éviterdes situations de crise importantes.

Exigence de rentabilité, restructuration : en quelques années, l’Office national des forêtsa modifié son organisation. Le personnel a été fortement déstabilisé par ces change-ments qui ont entraîné stress et mal-être au travail. Un plan de prévention conçu col-lectivement par la direction, le comité d’hygiène et de sécurité, l’assistante sociale et lemédecin est mis en œuvre par l’Office sur la région Franche-Comté.

L’Office national des forêts (ONF) estun établissement public comptant onzemille agents (personnels fonctionnaires,de droit public et de droit privé), per-sonnels techniques et administratifs. En1999, la grande tempête a marqué untournant dans l’histoire de cette admi-nistration. Elle a entraîné une chute ducours du bois et accéléré la volonté del’État de restructurer l’Office et de le ren-dre plus performant. La notion de ren-tabilité est avancée comme conditionde l’État pour poursuivre son soutien.Pour faire face à ces exigences pré-gnantes, une réorganisation du travaila été mise en place. Le choix d’une spé-cialisation accrue des personnels et laréduction du nombre d’encadrants auniveau des personnels techniques cons-tituent les mesures phares de cetteréforme. Ces changements très rapidesont engendré un mal-être général. Demanière inattendue, lors d’un comitéd’hygiène et de sécurité (CHS), des per-sonnels de l’un des sites ont remis unepétition au directeur, faisant état d’une

dégradation des conditions de travail,évoquant le « harcèlement », la « souf-france au travail ». Cette pétition a vive-ment ébranlé la direction, qui a souhaitérapidement réagir.

Comment passer d’une situation decrise à un plan d’action ? Le débat estlancé au sein du CHS, posant la volontéd’initier une stratégie de prévention.Un audit interne a été commandé endeux temps auprès de personnelsadministratifs et techniques (« gardesforestiers »). La demande a donc émanédirectement du CHS et a été portée parle directeur territorial. Un groupe detravail a été constitué, associant desreprésentants du personnel (membresdu CHS), la directrice des ressourceshumaines, le médecin de préventionMSA – intervenant pour les personnelsONF dans le cadre d’une convention –et moi-même en tant qu’assistante de service social. Au départ, la volontén’était pas d’aborder directement laquestion du stress au travail mais de

porter un regard sur les conditions detravail des personnels au sens large.

Audit par entretiens individuels,un temps d’écoute important

L’audit a été réalisé par le biais d’en-tretiens que l’on m’a proposé de meneren tant qu’assistante sociale ayant unemission spécifique de veille sociale etsoumise au secret professionnel. J’in-terviens sur l’ensemble des sites de larégion, ce qui me permet d’avoir unevue globale de l’établissement. Forméeà l’écoute et ayant une connaissancefine des problématiques des person-nels, j’ai accepté de réaliser ces entre-tiens sous réserve de l’assentiment detous (représentants du personnel, direc-tion) et en garantissant l’anonymat despersonnes auditées. L’objectif était dedéfinir les causes du malaise.

Nous avons fait le choix d’un ques-tionnaire semi-directif laissant place aurecueil du ressenti des personnels. Lesentretiens duraient de une heure etdemie à deux heures et demie. Lesquestionnaires ont été élaborés avec legroupe de travail autour de six axes :locaux, organisation du travail, forma-tion, évolution des métiers, communi-cation, et management. Soixante-sixentretiens ont été menés auprès despersonnels techniques et administratifs.Le personnel technique a exprimé unsentiment fort de perte de notion de ser-vice public du fait de l’introduction dela notion de rentabilité, et donc uneperte de sens ; parallèlement, l’infor-matisation des personnels dits de terraina entraîné un sentiment de perte decompétence pour les personnels admi-nistratifs et une augmentation destâches administratives pour les person-nels techniques.

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À l’ONF, un plan de luttecontre le stress du personnel

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qualité de vie

Nous avons présenté les conclusionsde l’audit et un plan d’action au CHS,qui a validé ce travail et l’a inclus dansson plan de prévention annuel. Troisexemples ont été donnés : – concernant les locaux, la plupart desagents ont un bureau à leur domicileavec un matériel peu adapté qui vadonc être changé (programme plurian-nuel) ;– en matière de management, les « gar-des forestiers » ont à la fois un travailindividuel sur leurs forêts, qui prend unepart de plus en plus importante et destâches collectives. Nous avons décidéd’organiser des réunions d’échange depratiques entre les responsables d’uni-tés ; l’objectif est de mieux prendre encompte les charges de travail indivi-duelles pour les participations auxtâches collectives ;– pour restaurer la convivialité perdue,nous avons réinstauré une journée libé-rée sur le temps de travail pour unetournée commune des personnels surun thème technique forestier.

Ce plan a eu des premiers effetsconcrets : tout d’abord une modificationsensible du climat social au niveau des

différentes instances, avec une reprisedu dialogue. L’ensemble des membresdu CHS s’est mobilisé autour de la ques-tion du stress au travail. Parallèlement,ils ont bénéficié d’une formation sur lerôle du comité au cours de laquelle uneréflexion sur leur place dans cetteinstance a émergé. Aujourd’hui, le plande prévention est en partie réalisé eton se propose de lancer une évaluationdu dispositif afin de continuer à rebon-dir au fur et à mesure de l’apparitiond’autres problématiques. De manièreplus large, au niveau national de l’ONF,différentes remontées des Régions ontpermis l’émergence d’une réflexion sur« les personnes en difficulté ».

Risque de stress pointé par les médecins

Pour les deux médecins de préven-tion qui sont au cœur de ce dispositifau niveau de la région Franche-Comté,cette action fait partie de leur tiers temps(c’est-à-dire hors consultation médi-cale). Au total, neuf réunions du groupede travail ont permis, d’une part, depointer le risque de stress, de souffranceau travail et d’en tenir compte pour l’éla-boration par l’Office du document

unique d’évaluation des risques ; d’au-tre part, de mieux connaître les posteset conditions de travail bouleversées parles conséquences de la tempête. Et cesquestions sont désormais abordées plusdirectement lors des consultations médi-cales. Enfin, ce plan de prévention apermis une meilleure relation partena-riale entre l’assistante sociale et lesmédecins, aussi bien sur l’évolution duclimat collectif en général que sur lesuivi, le signalement des cas particuliers,dans le respect du secret professionnelet médical.

Pour l’assistante sociale, ce travail apermis d’élargir ses missions au niveaude la prévention, d’être mieux connueet abordée par les personnels. Elleintervient d’ailleurs de plus en plus surdes problématiques professionnelles(conflits, mal-être au travail, etc.).

Stéphanie Futin

Assistante sociale,

Office national des forêts,

Franche-Comté.

Nathalie Koch

Médecin de prévention,

MSA Jura.

Médecin du travail dans un service interentreprises à Bordeaux, Valérie Charmois aparticipé, avec quatorze de ses confrères, à une enquête sur le stress chez les salariésdes centres d’appels. Plus d’un tiers d’entre eux sont en souffrance mentale1. Ils sont tropencadrés et pressurés. Un point positif contrebalance ce constat : les salariés sont soli-daires et respectés par leur hiérarchie. La parole à Valérie Charmois, qui préconise desaxes de prévention.

« Davantage d’humanité et moins de stresspour les téléopérateurs »

Le développement des centres d’ap-pel (call centers) a été extrêmementimportant depuis 1990. Cent mille sala-riés sont employés, en France, dans cescentres. On constate un taux de rotationdu personnel élevé, un absentéisme fré-quent mais aussi l’émergence de patho-logies psychiques. Les employés sontplutôt jeunes, avec un bon niveau d’étu-des. Plusieurs services de médecine du

travail dont le nôtre se sont intéressésà ce secteur. Les études de postes pré-alables ont mis en évidence descontraintes : répétitivité, rapidité durythme de travail, monotonie. De 2004à 2006, nous avons mené une étudeépidémiologique auprès de vingt et uncentres d’appels, soit 468 téléopérateurspour préciser le diagnostic et donc lessolutions envisageables2.

Voici les principaux résultats de cetteenquête : qui sont les téléopérateurs ?Globalement assez jeunes, en contratà durée indéterminée et à temps plein,ce qui va à l’encontre des idées reçues.Avec un bon niveau d’études et uneprédominance féminine. Premier résul-tat : l’expression du vécu professionnelest globalement positive sur l’organisa-tion et les conditions de travail mais les

salariés expriment une tension liée aumétier en termes de répétitivité destâches, de discours formaté, d’absencede prises d’initiative, sur le rôle de l’en-cadrement en matière de contrôle et demaintien de la pression, sur l’agressivitédes usagers. Il est frappant de consta-ter que le taux d’arrêts maladie est deuxfois supérieur au national. Autre indi-cateur de stress : le tabagisme, nette-ment supérieur à celui observé enpopulation générale. Autre résultatsignificatif : 39 % des téléopérateurs pré-sentent des signes de souffrance men-tale ; les contraintes les plus significati-ves retrouvées sont l’agressivité, lapolyvalence des tâches, le temps et leshoraires de travail. Nous avons essayé decomprendre l’origine de cette souffranceet de ce stress. Et constaté : l’importancede la faible latitude décisionnelle ; lareconnaissance jugée insuffisante en ter-mes de rémunération et de perspectivede carrière.

Deux aspects positifs contrebalancentce constat : le soutien social qui existe etune estime de leurs collègues ainsi quede leur hiérarchie. Cette étude confirmele lien entre la forte tension et la santé,notamment au niveau de la souffrancementale. Le soutien social apparaîtcomme un élément modérateur de laquestion du stress, d’autant plus modé-rateur que les gens sont jeunes. Concer-nant l’intrication des facteurs, la répéti-tivité des tâches est couplée au sentiment

de compétences mal utilisées. Sur un an,27 % des salariés sont partis.

Mentir au téléphone : une souffrance éthique

Pour conclure, cette enquête met enévidence des situations de travail àrisque avéré pour la santé de la majo-rité des téléopérateurs, notamment ence qui concerne la forte tension et ledéséquilibre entre effort et récompense.Dans la mesure où ce métier se péren-nise, il paraît important de continuer de développer la prévention primaire.L’étude vient de se terminer au premiersemestre 2008 ; nous avons démarré larestitution des résultats vers les entre-prises (tant employeurs que salariés).

L’objectif est de travailler et de fairede la prévention en fonction des spé-cificités de chaque entreprise. Deuxaxes d’actions concrètes émergent : – essayer de faire évoluer les postes surle plan de l’organisation du travail etde l’ergonomie. Des modificationsimportantes de l’organisation du travailsont à effectuer, en particulier donneraux salariés davantage de latitude déci-sionnelle. Un certain nombre d’em-ployeurs sont prêts à le faire ;– développer la formation initiale(actuellement seuls 5 % ont une forma-tion initiale spécifique par rapport auposte), travailler sur l’adéquation entreles formations proposées et les postesdisponibles sur le marché.

Pour améliorer la situation dans cesentreprises il faut labourer le terrain, tra-vailler en collaboration avec les em-ployeurs et les salariés pour que cespostes de travail deviennent plus hu-mains. Donc, davantage d’humanité etmoins de stress pour les téléopérateurs.

Avoir un script et être obligé derépondre de façon formatée réduisentconsidérablement la latitude décision-nelle et l’autonomie. Être obligé de tra-vailler rapidement contribue au stress.

Sur le plan éthique, certains salariésont évoqué le fait que leur travail lesoblige à mentir au téléphone tous lesjours, alors qu’ils apprennent à leursenfants à ne pas mentir ; ce conflit surles valeurs peut également générer dela souffrance. Il faut donc essayer demodifier le travail pour qu’il soit viablepour un maximum de personnes.

Valérie Charmois

Médecin du travail,

AHI 33 (service interentreprises),

Service de santé au travail, Bordeaux.

1. Précision : 39% présentent des signes de souffrancementale au GHQ12 (NDLR : General Health Ques-tionnaire– questionnaire de santé générale), alors quele questionnaire de Karasek révèle que 59% d’entre euxse trouvent dans une situation de forte tension.2. Échantillon représentatif, recueil par questionnaireà l’entreprise et au salarié, avec deux échelles vali-dées dont l’une de santé mentale. Le devenir profes-sionnel était également étudié à six et douze mois. Lesfemmes représentent 68 % de l’effectif. 83 % sont titu-laires du baccalauréat ; 89 % sont sous CDI ; 82 % tra-vaillent à temps plein.

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Malmenés, maisrespectés et solidairesL’enquête met en évidence quatre tensionsspécifiques liées au métier de téléopéra-teur : répétitivité des tâches et discours for-maté, absence de prises d’initiative, niveauélevé du rôle de contrôle et de maintien dela pression de l’encadrement, agressivitédes usagers. 38 % se sentent constammentsous pression et 30 % ont des problèmes deconcentration, des soucis influençant lesommeil, un sentiment de mal-être et dedépression, une absence de plaisir dansleurs activités quotidiennes. En contrepoint,84 % estiment bénéficier du soutien socialde leurs supérieurs et 96 % du soutien socialde leurs collègues. Enfin, 76 % des person-nes interrogées estiment bénéficier durespect de leurs supérieurs et 95 % de celuide leurs collègues.

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Comment installer une démarche de prévention du stress dans une entreprise ? L’INRSa mis au point une méthodologie d’action avec des étapes incontournables, comme lerecueil et l’analyse des signaux d’alerte, la mise en place d’un groupe projet qui portela démarche de prévention, la validation du plan d’action par tous et surtout le suivi etla pérennisation de la prévention.

Il existe plusieurs démarches de pré-vention et d’action contre le stress autravail : – la prévention primaire a pour objec-tif de combattre le risque à la source :identification des sources de stress liéesau travail par un diagnostic approfondi,ce qui exige du temps mais les étudesmontrent que ces actions de préventionprimaire ont des effets durables ;– la prévention secondaire : objectif,renforcer la résistance des salariés austress ; apprendre à gérer son stress, sesémotions, les représentations qui y sontassociées et donc les modes de réactionpar rapport à des situations stressantes.Les techniques possibles sont diverses :de la relaxation aux formations inspi-rées des techniques cognitives et com-portementales. Attention, ces tech-niques ne sont efficaces qu’à courtterme et leurs effets ne se maintiennentpas dans le temps si c’est la seule actionmise en œuvre (1, 2) ;– la prévention tertiaire prend en chargeles salariés en souffrance pour éviterque leur état ne se détériore davantageet pour leur permettre de reprendre uneactivité professionnelle s’ils sont tem-porairement en arrêt. Il s’agit d’uneréponse d’urgence indispensable maisqui ne saurait suffire, puisqu’il fautremonter à l’origine des causes du mal-être ou de la souffrance de ces salariés.

Ces trois types d’actions sont com-plémentaires. Actuellement les entre-prises françaises recourent plutôt à desactions de type gestion individuelle dustress, ce qui explique peut-être pour-quoi la France est en retard dans la pré-vention de ce risque professionnel ;c’est donc surtout la prévention secon-daire qui prédomine dans les entrepri-ses. L’INRS travaille justement, en lien

avec d’autres institutionnels de la pré-vention, comme l’Agence nationalepour l’amélioration des conditions detravail (Anact), pour promouvoir auprèsdes entreprises la prévention primaire.

Se débarrasser des idéesreçues

Prévenir le stress au travail, c’est d’abord se débarrasser des idées reçues :– « Un peu de stress, ça ne fait pas demal » : la pression sur les salariés seraitun bon stress, à la fois pour son épa-nouissement professionnel et pour l’en-treprise. C’est une idée répandue maisfausse (cf. article de D. Chouanière surla nocivité du stress) et dangereuse carelle peut légitimer le management parle stress. Par « bon stress » on fait surtoutréférence, en France, à ce que l’onappelait autrefois la motivation. S’il y aune distinction à établir, elle doit êtrefaite entre le stress aigu et le stress chro-nique ou entre le stress choisi et le stresssubi.– « Le stress est un problème de fragilitéindividuelle » et, si les gens en sont vic-times, c’est qu’ils ne sont pas adaptés auposte de travail, qu’ils ont des problè-mes personnels, etc. Ce raisonnementest contredit par les faits – même lesmoins fragiles peuvent craquer – etcontrevient à l’un des principes géné-raux de la prévention selon lequel ondoit adapter le travail à l’homme et nonl’inverse.– « Contre le stress on ne peut rien, noussommes face à un environnement trèsconcurrentiel, à la mondialisation, et sil’on ne met pas la pression sur les sala-riés, il n’y a plus qu’à mettre la clé sousla porte. » Si l’on ne peut nier l’existenced’un tel contexte, les études montrentque, à contrainte économique égale,certaines entreprises proposeront des

situations de travail moins stressantespour le salarié que d’autres.

Ces trois idées reçues sont autantd’obstacles pour agir en préventiondans les entreprises.

Des grands principes pour agirVoici quelques grands axes d’inter-

vention. En premier lieu, prévenir lestress au travail, c’est intégrer cettedimension dans une démarche globalede prévention des risques profession-nels. Le chef d’entreprise a une obliga-tion générale de santé et de sécurité vis-à-vis de ses salariés (article L-230.2 ducode du travail), or le stress et lesrisques psychosociaux font partie desrisques professionnels. En deuxièmelieu, la prévention doit se construiredans le dialogue social et dans latransparence, de manière participativeet pluridisciplinaire ; troisième axe d’in-tervention : il n’existe pas de solutionsprêtes à l’emploi, les méthodes de pré-vention du stress au travail sont adap-tables aux différentes situations de l’en-treprise ; surtout, pour qu’une démarcheaboutisse, l’entreprise doit s’engager defaçon complète et durable. Cela néces-site une réelle volonté du chef d’entre-prise de tenir compte des résultats dudiagnostic ; si ce dernier reste sanssuite, l’effet sera fortement contrepro-ductif et démobilisant pour les salariés.Autre élément pour agir : la préexis-tence dans l’entreprise d’une culture ensanté/sécurité du travail ; il sera difficiled’engager une démarche de préventiondu stress dans une entreprise peu inves-tie dans la prévention des risques plusvisibles ou palpables.

Par ailleurs, les acteurs de l’entreprisedoivent être prêts à modifier leur moded’organisation et les modes de mana-

Prévention du stress en entreprise :les stratégies pour agir

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gement si le diagnostic fait apparaîtrequ’ils ne sont pas adaptés. La démarchede prévention doit être relayée en ter-mes d’information et de participationdu personnel à tous les niveaux hié-rarchiques. Concrètement, il est néces-saire qu’un groupe projet soit mis enplace, incluant les instances représen-tatives du personnel, mais pouvant êtreélargi pour représenter les différentsservices et catégories. Ce groupe pro-jet devra assurer la communication surla démarche, le suivi et pérenniser cetteaction ; le recours à des ressourcesextérieures est nécessaire, notammentpour assurer l’impartialité et la crédi-bilité du diagnostic.

Les différentes étapesde prévention

Dans cette démarche de préventiondu stress de type « conduite de projet »,deux portes d’entrée sont possibles etcomplémentaires : par les préventeursexternes ou par les acteurs de l’entre-prise. Les préventeurs externes – méde-cins du travail, inspecteurs du travail,agents des caisses régionales d’Assu-rance Maladie – peuvent être alertés pardes signaux forts, comme des suicidesou des tentatives, une épidémie de trou-bles musculo-squelettiques (TMS), uneaugmentation très importante des acci-dents du travail, une rotation importantedu personnel, etc. Ces mêmes signesd’alerte peuvent amener l’entreprise àengager elle-même une démarche. L’en-treprise peut aussi examiner la questiondu stress au moment où elle évalue l’en-semble des risques professionnels.

Il est à souligner que la démarchepeut être amorcée à la suite d’un débatou par le biais du dialogue social sur lesconditions de travail, notamment enCHSCT.

La première action à mettre en œuvreest la proposition aux salariés d’une priseen charge médicale et thérapeutiquepour les personnes en grande difficulté.

Si les signaux d’alerte ou/et le débatn’ont pas convaincu l’entreprise de laprésence du risque, il est possible depasser par une étape intermédiaire, leprédiagnostic – interne ou externe –pour rassembler les informations, faireémerger le risque et aboutir à unconsensus social dans l’entreprise attes-tant que le risque est bien présent. Lesindicateurs vont porter notamment surl’absentéisme, le taux de rotation dessalariés (turn-over), les symptômes destress, les plaintes de mal-être, l’aug-mentation des consultations spontanéesauprès du médecin du travail, l’aug-mentation de certaines pathologies enlien avec le stress, etc.

Le groupe projet, chevilleouvrière

Une fois cette phase de repérage dessignaux d’alerte effectuée, dans la plu-part des cas, l’entreprise met en placeun projet spécifique porté par le groupeprojet qui va suivre et soutenir la démar-che, notamment la phase de diagnos-tic approfondi. Moment crucial, la res-titution des résultats du diagnostic :ceux-ci doivent être validés et appro-

priés par les acteurs de l’entreprise pouraboutir à un plan d’actions de préven-tion. Les ressources extérieures sollici-tées doivent alors se mettre en retrait carl’élaboration du plan d’action relève desacteurs de l’entreprise, les mieux placéspour décliner les résultats en plan d’ac-tion adapté. Enfin, pour que la démar-che soit complète, un suivi des actionsengagées est nécessaire.

La démarche de prévention du stresset des risques psychosociaux présentéeci-dessus est le résultat de cinq annéesde travaux à l’INRS, en relation avec leréseau des caisses régionales d’assu-rance maladie ; chaque caisse disposeen effet d’une personne-ressource surle stress et les risques psychosociaux.L’INRS a également produit des outilsde sensibilisation ou méthodologiquespour la prévention primaire dans l’en-treprise (3-5). Tout dépend désormaisde la mobilisation des entreprises et desacteurs du champ (caisse régionaled’assurance maladie, réseau Anact/Aract, consultants).

Valérie Langevin

Psychologue du travail, chargée d’assistance

et de conseil sur les risques psychosociaux,

Institut national de recherche et de sécurité

(INRS), Paris.

◗ Référencesbibliographiques

(1) Mercier M., François M. Approchepsycho-ergonomique du stress au travail.3. Prévention/gestion du stress : analysebibliographique. Note scientifique et tech-nique 204. INRS, 2001 : 43 p.(2) Brun J.-P., Biron C., Ivers H. Démarchestratégique de prévention des problèmes desanté mentale au travail. Montréal : IRSST,Études et recherches/Rapport R-514 ;2007 : 78 p.(3) Dossier thématique « Stress au travail »sur le site : http://www.inrs.fr/dossiers/suicide.html(4) Stress au travail. Les étapes d’une démar-che de prévention. Paris : INRS, ED 6011 ;2007 : 36 p. Brochure en ligne au format pdfsur : http://www.inrs.fr(5) Dépister les risques psychosociaux. Desindicateurs pour vous guider. Paris : INRS,ED 6012 ; 2007 : 48 p. Brochure en ligneau format pdf sur : http://www.inrs.fr

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Comment prévenir le stress sur le lieu de travail ? Quels sont les leviers des actions deprévention mais aussi les freins ? La table ronde consacrée à ce sujet lors des Journéesde la prévention 2008 de l’INPES1 a pointé l’insuffisance de la prévention mais soulignéune prise de conscience et la volonté d’aller vers un changement.

Il semble que les actions de préven-tion – et notamment les actions de pré-vention primaire – soient moins déve-loppées en France que dans d’autrespays. La France est-elle vraiment enretard en la matière ? Si oui, quels sontles obstacles qui freinent aujourd’hui cedéveloppement de la prévention ? SelonPatricia Maladry, médecin inspecteur dutravail à la Direction générale du travail,le retard de la France est tout relatifpuisque les directives européennes surle harcèlement moral ont été mises enœuvre dès 2000 et que, dès 2001, lalégislation française a imposé à l’em-ployeur l’obligation de mettre à jour undocument unique d’évaluation desrisques pour assurer la sécurité et pro-téger la santé « physique et mentale » destravailleurs. Le Plan Santé et Travail,lancé en 2005, a prévu de « mobiliser lesservices de santé au travail pour mieuxprévenir les risques psychosociaux ». Unrapport sur les risques psychosociaux,introduisant le débat, a été remis auministre à sa demande. Les négociationspour transposer à la France la directiveeuropéenne sur le stress sont aujourd’-hui bien avancées mais la mise en placede mesures concrètes dans les entrepri-ses reste difficile.

Pour Christophe Bernard, médecin àla caisse centrale de la Mutualité socialeagricole (MSA) : « La prévention du stressau travail en France est réelle, mais elledemeure surtout le fait des préventeurset des spécialistes ; les responsables d’en-treprise n’ont pas encore pris la dimen-sion du stress à sa juste mesure. Seulesles conséquences dramatiques commeles suicides ou tentatives sont identifiées.Les conséquences du stress en termes desanté sont largement méconnues et sousou non évaluées. »

Les experts s’accordent à reconnaî-tre que l’évolution des organisationsde travail, la complexité du phéno-mène de stress, la difficulté de sa mise

en évidence nuisent à sa prévention. Lemodèle de la prévention est souventconstruit sur un modèle consistant àdire qu’il existe une rencontre entre undanger et une personne ; or, comme lesouligne Michel Berthet, responsabledu département Homme au travail àl’Institut national de recherche et desécurité (INRS), « les éléments psycho-sociaux renvoient aux éléments du tra-vail que nous ne pouvons déterminercomme dangereux. Nous devons chan-ger de paradigme, car nous avons là unrisque en apparence sans danger maisnéanmoins un vrai risque. » À cetégard, la difficulté de remettre en causel’organisation du travail a été souventcitée. « Nous sommes face à un risquecomplexe, qui suscite des interrogationsentre balance collective et balanceindividuelle ; il faut veiller à traiter cerisque avec et non pas contre le mana-gement », a indiqué Jean-Baptiste Obé-niche, directeur de l’Agence nationalepour l’amélioration des conditions detravail (Anact).

Quels peuvent être les leviers pourfaciliter la mobilisation des entreprises ?Trois points essentiels ont été mis enavant : – l’observation des situations : « Au seindes mêmes branches professionnelles,on note que les effets produits en termesde stress ne sont pas nécessairementidentiques d’une entreprise à l’autre.Sans doute devons-nous être en capa-cité d’observer ces différences et de nousdoter d’outils. Un observatoire n’est pasforcément ce qui pousse à agir mais cequi peut au moins pousser à regarder »(Jean-Baptiste Obéniche, Anact) ;– l’attention portée aux demandes etaux changements : « Tout changementdevrait susciter une réflexion, de façonà ce que nous puissions développer uneforme de pronostic, en opposition audiagnostic. Les questions doivent seréfléchir en amont, entre les acteurschargés de prendre des décisions, ceux

qui auront à les mettre en œuvre et ceuxqui les appliqueront » (Michel Berthet,INRS) ;– la formation et la sensibilisation : tousles participants se sont accordés surl’importance capitale de construire desoutils et de former tous les acteurs del’entreprise à la prévention ;– appuyer les partenaires sociaux auniveau des confédérations mais aussi auniveau des unions régionales, des uni-ons départementales et des branches ;– outiller les directeurs des ressourceshumaines, les managers ;– renforcer les compétences du comitéd’hygiène, de sécurité et des conditionsde travail (CHSCT).

Le ministère du Travail souhaite ren-forcer la multidisciplinarité. Il a notam-ment rappelé l’importance accordée àla fiche d’entreprise concernant lemédecin du travail, la réalisation desdocuments uniques par les employeurs,l’étude des modalités d’interventiondans les entreprises des agents decontrôle du ministère du Travail.

Entreprises : développer la prévention, en amont

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Nous retiendrons ces quelques motsde fin sur l’unanimité de se saisir de laquestion de la prévention du stress autravail. « Les entreprises ont tout à perdrelorsque les individus vont mal, et il fautles en convaincre » (Christophe Ber-nard, MSA). « Il convient de sortir l’en-treprise de l’idée selon laquelle le risquedoit être révélé pour agir » (Michel Ber-thet, INRS). « Nous ne convaincrons pas les entreprises uniquement en leurdisant qu’elles doivent s’occuper de leurssalariés, mais en leur montrant qu’il ya des enjeux financiers. La question desrisques psychosociaux, du stress au tra-vail et de la prévention est transversale ;elle croise les questions de santépublique » (Jean-Baptiste Obéniche,Anact). « Ces journées ont montré, depar le nombre de personnes présentes,que le sujet existe et que tout le mondeaccepte d’en parler, qu’il s’agisse desDRH, des membres de CHSCT, desmédecins du travail, des ergonomes, desinstitutions. Les différents acteurs com-mencent à se rapprocher pour avoir deslangages compréhensibles par tous »(Patricia Maladry, ministère du Travail).« Quels que soient notre métier, nosresponsabilités, je nous souhaite de pou-voir travailler à une organisation et desrelations dans l’entreprise porteuses demieux-être pour ceux qui y travaillent »(René Demeulemeester, INPES, anima-teur de la table ronde).

Colette Ménard

Psychosociologue, direction des Affaires

scientifiques, INPES.

Bernard Siano

Responsable du département Études

et assistance médicales, INRS, Paris.

1. 4es Journées de la prévention de l’INPES, 10-11 avril2008, interventions accessibles en ligne : http://www.inpes.sante.fr/JP/cr/2008/s6.htm

Depuis une dizaine d’années, le stress apparaîtcomme l’un des risques majeurs auxquels lesentreprises doivent faire face. Selon la qua-trième enquête européenne sur les conditionsde travail (1), 22,3 % des travailleurs européensdéclarent que leur travail affecte leur santé enoccasionnant du stress ; 28,2 % des actifsoccupés de 16-65 ans selon le Baromètre santé2005 de l’INPES (2).Lors de la deuxième conférence sociale sur lesrisques psychosociaux, le ministre du Travail,Xavier Bertrand, a indiqué qu’il entendait donner,en France, une nouvelle impulsion à la préven-tion des risques psychosociaux. Parmi les dif-férentes mesures préconisées par le rapportNasse-Légeron (3), le ministre a mis l’accent surla nécessité de : – mettre rapidement en place une enquête natio-nale permettant de disposer d’un « indicateurglobal » du stress en France (l’enquête seraitpilotée par l’Insee) ;– mieux accompagner les entreprises et parti-culièrement les TPE-PME dans leurs actions deprévention ;– recommander des actions pilotes dans laFonction publique ;– outiller les « acteurs de l’entreprise » de réfé-rentiels de prévention. Un site Internet uniquedevrait être mis en place ;– renforcer l’expertise et le rôle de saisine desCHSCT.L’accord national interprofessionnel du 2 juillet2008, en cours de signature par les partenairessociaux, vise à transposer en France l’accord-cadre européen du 8 octobre 2004 (4, 5). Lesparties en présence ont retenu la définition dustress au travail proposée par l’Agence euro-péenne pour la sécurité et la santé au travail :« Un état de stress survient lorsqu’il y a dés-équilibre entre la perception qu’une personne

a des contraintes que lui impose son environ-nement et la perception qu’elle a de ses prop-res ressources pour y faire face ». Si « le stressn’est pas une maladie, une exposition prolon-gée… peut réduire l’efficacité au travail et cau-ser des problèmes de santé. » En termes deliens entre stress et santé, les résultats du Baro-mètre santé 2005 (2) attestent en effet d’uneaugmentation significative de la prévalence destroubles du sommeil, des troubles alimentaires,du recours aux médicaments psychotropes,des pensées suicidaires et des épisodesdépressifs caractérisés parmi les salariés sedéclarant stressés par leur travail, leur situationou vie professionnelle (voir Tableau).L’accord national interprofessionnel met l’ac-cent sur la responsabilité des employeurs enmatière de prévention du stress professionnelet sur la démarche d’évaluation des risques. Lesaccords de branche et les accords d’entrepri-ses ne peuvent déroger aux dispositions du pré-sent accord que dans un sens plus favorable auxtravailleurs.

Colette MénardPsychosociologue,

direction des Affaires scientifiques, INPES.

(1) Fondation européenne pour l’amélioration desconditions de vie et de travail. European foundationfor the improvement of living and working conditions.Dublin : IRL. Quatrième enquête européenne sur lesconditions de travail 2005.En ligne : http://www.eurofound.europa.eu/ewco/ sur-veys/ewcs2005/index.htm(2) Ménard C., Léon C. Activité professionnelle et santé,quels liens ? In : Beck F., Guilbert P., Gautier A. (dir).Baromètre santé 2005. Attitudes et comportements desanté. Saint-Denis : INPES, coll. Baromètres santé,2007 : 414- 44.(3) Nasse P., Légeron P. Rapport sur la détermination,la mesure et le suivi des risques psychosociaux au tra-vail, remis à Xavier Bertrand, ministre du Travail,des Relations sociales et de la Solidarité, le 12 mars2008 : 42 p.En ligne : http://www.travailsolidarite.gouv.fr/(4) Mouvement des entreprises de France (Medef),Confédération générale des petites et moyennes entre-prises (CGPME), Union professionnelle artisanale(UPA), Confédération française démocratique du tra-vail (CFDT), Confédération française de l’encadre-ment – Confédération générale des cadres (CFE-CGC),Confédération française des travailleurs chrétiens(CFTC), Confédération générale du travail-Forceouvrière (CGT-FO), Confédération générale du travail(CGT). Accord national interprofessionnel sur le stressau travail. Paris, le 2 juillet 2008. En ligne : http://www.anact.fr(5) European trade union confederation (Etuc),Union of industrial and employers’confederations ofEurope (Unice), European association of craft smalland medium-sized enterprise (UEAPME), Europeancentre of enterprises with public participation and ofenterprises of general economic interest (CEEP). Socialdialogue. Work-related-stress. Framework agreementon work-related stress. Bruxelles, le 8 octobre 2004.En ligne : http://www.etuc.org

qualité de vie

14 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

Accord national contre le stressau travail

Population stressée Population par son travail ou non stressée

sa vie professionnelleConsommation de médicaments psychotropes au cours des douze derniers mois 16,8 8,4Épisode dépressif caractérisé au cours des douze derniers mois 8,6 5,6Pensées suicidaires au cours des douze derniers mois 5,6 3,1Troubles du sommeil au cours des huit derniers jours 51,4 33,0Ont, au cours des douze derniers mois, redouté très ou assez souvent de commencer à manger 2,3 1,4Ont, au cours des douze derniers mois, eu très ou assez souvent envie de manger énormément 13,4 10,6N’ont, au cours des douze derniers mois, eu aucune envie de manger 8,6 7,4Ont manqué d’appétit au cours des douze derniers mois 8,7 6,9

Liens entre troubles de santé et stress déclaré en relation avec le travail ou la vie pro-fessionnelle (en pourcentage)

15LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

397Septembre-Octobre 2008

num

éro

Comment réduire les inégalités sociales de santé ?

Illustrations : Pascal Finjean

Dossier coordonné par Marie-José Moquet, médecin, chef du département Qualité des pratiqueset formation, direction du développement de l’éducation pour la santé et de l’éducation théra-peutique (Ddeset), INPES.

intro

Promouvoir la santé, pour réduire les inégalités

Les inégalités sociales de santé sont lefruit de « l’injustice sociale qui tue àgrande échelle. Les réduire est un impé-ratif éthique », indiquait l’Organisationmondiale de la santé (OMS) en septem-bre 2008 dans son rapport sur les déter-minants sociaux de santé1. Avec ce plai-doyer international, l’OMS interpelle lesgouvernements mais aussi l’ensembledes acteurs (organismes nationaux, inter-nationaux, chercheurs, société civile,etc.) et les appelle à se mobiliser pourassurer l’équité de la santé des popula-tions. Les connaissances sur les déter-minants sociaux des inégalités de santédémontrent en effet amplement que lesinégalités dépendant aussi du niveau decohésion sociale et concernent doncl’ensemble des politiques publiques.

La France enregistre les écarts demortalité parmi les plus importants entrecatégories socioprofessionnelles ; laréduction des inégalités sociales desanté y est donc un enjeu majeur. Parmiles multiples études publiées sur lesinégalités, le dernier Baromètre santé del’INPES, rendu public en avril 2008 – etqui étudie périodiquement les attitudeset comportements des Français face àla prévention –, montre bien qu’il existeun « gradient social » tant dans l’adoptionde comportements favorables à la santéque dans la réceptivité aux messages deprévention. Aussi, afin de ne pas creu-ser les écarts, l’objectif de réduction desinégalités sociales de santé doit être prisen compte et totalement intégré dansle développement des actions d’éduca-tion et de promotion de la santé. Cetobjectif est en adéquation avec lesvaleurs de solidarité et de justice socialequi font partie des fondements de lapromotion de la santé.

Pour sa part, l’INPES s’est engagé àintégrer la prise en compte de la réduc-tion des inégalités sociales de santé

dans l’ensemble de ses programmes. Ilparticipe aussi au projet européen « Clo-sing the gap », et à son successeur« Determine » (cf. article publié dans LaSanté de l’homme n° 395), tous deuxmutualisant les connaissances et pra-tiques de réduction des inégalités. Parailleurs, l’INPES a, lors de ses Journéesannuelles de la prévention, en avril2008, consacré une session spécifiqueaux inégalités sociales de santé. Lesinterventions d’experts et les débats ontfait émerger des analyses interdiscipli-naires, et ont aussi permis de question-

ner les politiques publiques, le rôle dusystème de soins, les partenariats, lesenjeux de l’évaluation, etc. C’est larichesse des présentations et des échan-ges – avec des intervenants venus duRoyaume-Uni, des États-Unis, de laSuède, des Pays-Bas et du Canada – quinous a incités à élaborer ce dossier deLa Santé de l’homme. Sur trente pages,voici donc une synthèse de l’état desconnaissances scientifiques ainsi que lagenèse des inégalités sociales de santé,des analyses et aussi des pratiques deterrain, le tout constituant la quadraturede ce dossier. Ce dossier ne pouvantdonner qu’un aperçu de l’expertise pré-sentée, les interventions des expertssont par ailleurs accessibles en ligne surle site Internet de l’INPES (dans la

rubrique « Journées de la prévention »)pour ceux qui souhaitent aller plus loin.

Les exemples d’interventions pré-sentés, sans avoir valeur de normes,montrent que des actions sont possibleset aident à réduire des inégalités. D’oùl’opportunité mais aussi l’urgence pourtous les intervenants – professionnelsde la santé, de l’éducation et du social –de développer et partager les connais-sances sur les stratégies/méthodologiesd’intervention et les actions susceptiblesd’infléchir efficacement ces disparités.

Au-delà des multiples initiatives etprogrammes mis en œuvre à l’échelled’un territoire, tous les experts ontinsisté sur le fait que la réduction desinégalités de santé passe par la miseen œuvre de politiques nationalesintersectorielles ; elles seules peuventdurablement réduire le fossé entre lescatégories sociales et niveaux profes-sionnels. Un sujet de réflexion pour lesJournées annuelles de santé publique(Jasp)2, qui se déroulent en novembreau Canada : ce dossier de La Santé del’homme y sera largement diffusé afinde mutualiser analyses et expériences,vues de France. Dans le cadre de cesJasp, en effet, une « rencontre franco-phone internationale sur les inégalitéssociales de santé » réunira nombre d’ex-perts venus du monde entier.

Marie-José Moquet

Médecin, chef du département Qualité des

pratiques et formation,

Ddeset, INPES.

1. Commission des déterminants sociaux de la santé(Organisation mondiale de la santé). Combler le fosséen une génération : instaurer l’équité en santé en agis-sant sur les déterminants sociaux de la santé. Genève :OMS, 2008 : 36 p.En ligne : http://whqlibdoc.who.int/hq/2008/WHO_IER_CSDH_08.1_fre.pdf2. En ligne :http://www.inspq.qc.ca/aspx/fr/jasp_accueil.aspx?sortcode=1.55.58.61.62

16 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

La France enregistre les écarts de mortalité

parmi les plus importants entre catégories

socioprofessionnelles ; la réduction des inégalitéssociales de santé y est donc

un enjeu majeur.

17LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

À 35 ans, un ouvrier a une espérance de vie inférieure de sept ans à celle d’un cadre.D’où proviennent les inégalités sociales de santé ? Outre la classe sociale, les compor-tements individuels à risque, de multiples déterminants sociaux autres jouent un rôle dansla construction des inégalités. État des connaissances.

La France et les pays de niveau socio-économique équivalent ont connu uneimportante amélioration de l’état desanté de leur population, comme enattestent des indicateurs de santépublique : allongement de l’espérancede vie, net recul de la mortalité infan-tile, etc. Pourtant, les progrès accomplisne profitent pas à tous de manière équi-table. L’amélioration de la santé a étéplus importante pour les catégoriessociales favorisées. Par exemple, enFrance, les cadres ont gagné plus d’an-nées de vie que les ouvriers : à ce jour,à 35 ans, un ouvrier a une espérance devie réduite de sept ans par rapport àcelle d’un cadre ou d’un professionnellibéral. Cet écart est de trois ans pour lesfemmes. Ce constat des différences demortalité entre catégories socioprofes-sionnelles a été fait, en France, depuisles années 1970, avec les travaux del’Insee. Même constat si l’on analyse lesdifférences entre catégories sociopro-fessionnelles pour les indicateurs demorbidité, de santé perçue, d’incapa-cités ou d’invalidité, ou pour des patho-logies spécifiques… (enquêtes et étu-des de l’Insee, l’Irdes, l’Inserm, la Drees,etc.) (1-6). À souligner, ces écarts demortalité selon la catégorie sociopro-fessionnelle se sont aggravés chez leshommes, alors qu’ils demeurent stablespour les femmes. Par ailleurs, au seinmême du pays, s’ajoutent des disparitésrégionales. En France, un gradientNord-Sud existe, en défaveur du Nord.L’espérance de vie d’un homme vivanten Ile-de-France est la plus élevée, soit 77 ans, alors qu’elle n’est que de73 ans dans le Nord–Pas-de-Calais(pour les femmes, elle est respective-ment de 84 ans contre 81 ans).

Constat partagéCe phénomène d’inégalités est éga-

lement observé dans tous les pays,riches ou en développement (7, 8).Dans son exposé, lors des Journées dela prévention, le professeur S. LeonardSyme rappelait qu’au États-Unis unhomme noir habitant à Harlem a quinzeannées d’espérance de vie de moinsqu’un homme blanc vivant à quelqueskilomètres, dans le quartier des muséesde New York City. Bien évidemment, lesécarts varient selon les pays, selon leursituation économique et selon les indi-cateurs analysés. En Europe, la Francefait partie, avec la Finlande, des pays quienregistrent les plus grands écarts.

Gradient socialIl existe donc un lien entre l’état de

santé d’une personne et sa positiondans la hiérarchie sociale. Ce constat neconcerne pas seulement les personnesles plus défavorisées, en situation deprécarité ou de pauvreté. Les inégali-tés sociales de santé ne se réduisent pasà une opposition entre les personnespauvres et les autres. Même si les écartsentre la population la plus favorisée etcelle la plus défavorisée sont les plusgrands, les épidémiologistes ont puobjectiver des écarts existant pour l’en-semble de la hiérarchie sociale. Lesinégalités sociales de santé suivent unedistribution socialement stratifiée ausein de la population. En d’autres ter-mes, chaque catégorie sociale présenteun niveau de mortalité, de morbiditéplus élevé que la classe immédiatementsupérieure1. Ce phénomène est résumépar le terme de « gradient social » desinégalités de santé. Il n’existe pas unedéfinition universelle des inégalités

sociales de santé, terme qui n’est pasrépertorié dans les lexiques ou glossai-res de santé publique ou de promotionde la santé disponibles. Si l’on se réfèreà la définition des inégalités de santé dela BDSP2, par similitude, on pourraitécrire que les inégalités sociales desanté sont des « différences systéma-tiques, évitables et importantes dans ledomaine de la santé » observées entredes groupes sociaux.

Rôle des déterminants sociaux de la santé

L’épidémiologie clinique a permisde faire des progrès dans l’identifica-tion de facteurs de risque (par exem-ple, l’alcool, le tabac, etc.) responsablesde pathologies clairement identifiéescomme les premières causes des décèsen France (cancer, pathologies cardio-vasculaires, etc.). Aussi, les inégalitéssemblaient trouver là une explicationsimple et une solution tout aussi sim-ple, inciter les populations à ne pasadopter des comportements à risque.Mais, aussi troublant que cela puisseparaître, les comportements individuelsne sont pas le facteur qui prédominepour expliquer les inégalités consta-tées. Ces facteurs individuels de risquene peuvent pas à eux seuls expliquerles différences sociales de santé. Lerecours à cette seule explication a étéremis en cause par différents travauxde recherche, dont les travaux de cher-cheurs britanniques3 qui ont montréqu’au mieux le mode de vie explique-rait un tiers des écarts constatés. Il res-sort de ces études, corroborées par destravaux similaires sur la populationfrançaise4, qu’il faut chercher ailleursdes explications.

Inégalités sociales de santé :des déterminants multiples

18 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

L’importance des facteurs sociaux En effet, à facteurs de risque égal au

regard des comportements individuels,d’autres facteurs pour lesquels un liendirect n’est pas établi (comme l’est, parexemple, le lien entre tabac et cancer dupoumon) apparaissent statistiquementliés à l’état de santé. Ces facteurs, appe-lés déterminants sociaux de la santé,sont multiples, semblent agir en inter-actions complexes et avoir un lien avecla répartition socialement observée descomportements défavorables à la santé.Les travaux de recherche en épidémio-logie sociale apportent des éclairagesnouveaux sur les déterminants sociaux,qui bousculent l’approche biomédicale

de la santé, prédominant en France, etqui interpellent les fondements sociauxde la société (9). Dans son rapport de2002, le Haut Comité de la santépublique prenait la mesure du rôle dusocial : « …les inégalités sociales de santéconstituent ainsi l’une des facettes (etune conséquence) des inégalités socia-les ». Des spécialistes de la questionréunis par l’INPES l’ont également rap-pelé lors des Journées de la prévention.Leurs propos et les exemples illustrantce regard croisé Angleterre, États-Unis,Suède, Pays-Bas, Canada… (voir l’arti-cle d’Yves Géry) confirment que lesinégalités naissent avant tout dans l’or-ganisation sociale et politique des pays.

Le modèle descriptif le plus récentqui rassemble l’ensemble des détermi-nants reconnus est celui de l’Organisa-tion mondiale de la santé (OMS) pré-senté dans le rapport de la Commissiondes déterminants sociaux de la santé (7,8, 10). Il est fondé sur les interactionsque des déterminants dits « structurels »des inégalités sociales de santé ont avecdes déterminants dits « intermédiaires »de l’état de santé.

Principaux déterminants des inégalités

Les déterminants structurels sont ceuxqui sont liés au contexte politique et éco-nomique du pays. Ils influent sur la stra-tification sociale et économique du payset donc sur la répartition sociale de lapopulation en fonction du revenu, del’éducation, de la profession, du sexe, de ses origines ethniques. On y trouve :la gouvernance, les politiques macro-économiques, les politiques sociales, lespolitiques publiques, la culture et lesvaleurs de la société, les revenus, l’édu-cation, l’occupation, la puissance, leprestige, etc. Ces déterminants ont unimpact sur la distribution inégale desdéterminants intermédiaires.

Les déterminants intermédiaires del’état de santé renvoient aux conditionsmatérielles, psychologiques, aux com-portements, aux facteurs biologiques etgénétiques, ainsi qu’au rôle de l’accèsau système de santé. Parmi les élémentspris en compte, on citera pour lesconditions matérielles : le logement, laqualité de quartier, la consommationpotentielle (c’est-à-dire les moyensfinanciers d’acheter des aliments sains,des vêtements chauds, etc.), l’environ-nement physique du travail. Les fac-teurs psychosociaux renvoient au stressdes conditions de vie et de travail, auxrelations et au soutien social. Les com-portements concernent la nutrition, l’ac-tivité physique, la consommation detabac et d’alcool, qui ont une répartitionsocialement stratifiée entre les différentsgroupes sociaux.

Creuset familial ou sociétal ?Différentes théories explicatives

existent et diffèrent selon l’importancedonnée à l’un ou l’autre de ces déter-minants. Certaines privilégient le rôledes conditions de naissance et de viedans la petite enfance qui, lorsqu’ellessont défavorables, poseraient les fon-dements créateurs des inégalités. D’au-

19LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

tres se fondent sur l’effet cumulatif dedéterminants sociaux et économiquesdéfavorables se combinant et inter-agissant au cours de la vie (11). Cescourants ne sont pas exclusifs l’un del’autre et sont même plutôt complé-mentaires. Dans une étude récente, uneéquipe de l’Irdes a montré que le milieusocial d’origine et l’état de santé desparents influent sur l’état de santé desenfants à l’âge adulte. Cependant, cettesituation défavorable peut être partiel-lement compensée si la personneatteint un niveau d’éducation supérieurà celui de ses parents (12). L’impact dela période de la petite enfance sur lesinégalités mesurées à l’âge adulte estune piste très explorée. Par exemple,la mise en œuvre de certains program-mes de prévention précoce dans lapetite enfance a permis d’objectiver uneréduction des inégalités de santé à l’âgeadulte (13). Ces programmes ont encommun d’apporter un soutien auxparents et d’intervenir auprès desenfants afin de renforcer leurs capacitésd’agir. Il s’agit de développer un cer-tain nombre de compétences (maîtrisedu langage, de la lecture, lutte contrel’échec scolaire, développement de l’es-time de soi, etc.) qui visent à renforcerles capacités d’avoir un contrôle sur sadestinée. Ces travaux font écho au rôle

accordé aux facteurs psychosociaux,par opposition à la prédominance desfacteurs matériels, dans la genèse desinégalités sociales de santé. Ces facteursrenvoient aux capacités d’agir des per-sonnes : à savoir la capacité de partici-per pleinement à la vie sociale et le sen-timent de maîtrise de sa destinée. Cescapacités sont d’autant plus élevées quel’on appartient à une catégorie sociale-ment favorisée. Le sentiment de maîtrisede sa destinée était apparu comme unfacteur explicatif des différences de l’é-tat de santé dans les résultats des travauxsur la cohorte anglaise de Whitehall.

Comment le socialpasse sous la peau

Au-delà des hypothèses explicatives,nombreuses à ce jour, il existe désor-mais un consensus pour dire que tousces déterminants interviennent, sansque l’on puisse expliquer complète-ment comment ils interviennent, si l’unprédomine sur l’autre ou comment leshiérarchiser. Notamment, « la manièredont les inégalités produites par lessociétés s’expriment dans les corps, dontle social se transcrit dans le biologique »(14) ou, autrement dit, « comment lesocial passe sous la peau » reste encorelargement inexpliquée. Il y a doncnécessité pour la recherche de pour-

suivre ou d’amplifier, en France notam-ment, les travaux sur les facteurs expli-catifs et leurs liens dans la genèse desinégalités sociales de santé (voir l’in-terview d’Alfred Spira). Les données dela recherche sont fondamentales afin depouvoir proposer des stratégies d’ac-tions efficaces mais la réduction desinégalités sociales de santé nécessite lamise en œuvre de politiques publiquesintersectorielles (7, 8), comme l’ont rap-pelé les intervenants étrangers venus depays qui figurent parmi ceux ayant uneréflexion stratégique plus avancée surce sujet.

Marie-José Moquet

Médecin, chef du département Qualité des

pratiques et formation,

Ddeset, INPES.

1. En France, le classement de la population selon laprofession et catégorie sociale se réfère à celui utilisépar l’Insee. Site Insee : http://www.insee.fr2. Quatre cents concepts de santé publique et de pro-motion de la santé.En ligne : http://www.bdsp.ehesp.fr/Glossaire/Default.asp3. La cohorte de Whitehall I a été constituée en 1967-1969. Elle incluait 19 015 hommes fonctionnaires bri-tanniques âgés de 40 à 69 ans, qui ont fait l’objet d’unexamen clinique et leur mortalité a été suivie jusqu’en1987. En 1985, une nouvelle cohorte Whitehall II ainclus 10 308 sujets. Travaux de M. Marmot.4. La cohorte Gazel a été constituée en 1989. Elle estcomposée de 20 625 agents d’EDF-GDF volontaires(15 011 hommes et 5 614 femmes), âgés de 35 à 50 ansà l’inclusion et qui seront suivis jusqu’à leur décès.

(1) Michel É., Jougla É., Hatton F. Mourir avantde vieillir. Insee Première, n° 429 ; février1996 : 4 p.En ligne : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ IP429.pdf(2) Monteil C., Robert-Bobée I. Les différencessociales de morbidité : en augmentation chezles hommes, stables chez les femmes. InseePremière, n° 1025 ; juin 2005.En ligne : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ IP1025.pdf(3) Leclerc A., Fassin D., Grandjean H.,Kaminski M., Lang T. Les inégalités sociales desanté. Paris : Inserm-La Découverte, coll.Recherches, 2000 : 448 p.(4) Jougla É., Rican S., Pequignot F., Le Toul-lec A. Disparités sociales de mortalité. LaRevue du praticien 2004 ; 20 (54) : 2228-32.(5) Drees. Disparités régionales de santé. À partir des indicateurs associés à la loi relativeà la politique de santé publique.Décembre 2006.En ligne : http://www.sante.gouv.fr/drees/disparites/disparites.pdf

(6) Drees. L’état de santé de la population enFrance, en 2006. Drees, décembre 2006.En ligne : http://www.sante.gouv.fr/drees(7) OMS. Closing the gap in a generation.Health equity through action on the socialdeterminants of health. Commission on socialdeterminants of health (CSDH). Final Report,août 2008.(8) OMS. Combler le fossé en une génération.Instaurer l’équité en santé en agissant sur lesdéterminants sociaux de la santé. Commissionon social determinants of health (CSDH).Résumé analytique du rapport final, août2008.(9) Goldberg M., Melchior M., Leclerc A.,Lert F. Les déterminants sociaux de la santé :apports récents de l’épidémiologie sociale etdes sciences sociales de la santé. Sciencessociales et santé, 2002 ; n° 4 (20) : 75-128.(10) OMS. A Conceptual Framework for actionon the social determinants of health. Com-mission on social determinants of health(CSDH). Discussion paper for the Commission

on social determinants of health. Draft, April2007.(11) Aïach P., Fassin D. L’origine et les fonde-ments des inégalités sociales de santé. LaRevue du praticien 2004 ; 20 (54) : 2221-27.(12) Devaux M., Jusot F., Trannoy A., Tubeuf S.Inégalités des chances en santé : influencede la profession et de l’état de santé desparents. Questions d’économie de la santé,n° 118, février 2007.En ligne : http://www.irdes.fr/EspaceRecher-che/Qes2007.html(13) Paquet G. Partir du bas de l’échelle. Despistes pour atteindre l’égalité sociale enmatière de santé. Montréal : Les Presses del’université de Montréal, 2005 : 152 p.(14) Fassin D., Grandjean H., Kaminski M.,Lang T., Leclerc A. Connaître et comprendreles inégalités sociales de santé. In : Leclerc A.,Fassin D., Grandjean H., Kaminski M., Lang T.(dir.). Les inégalités sociales de santé. Paris :Inserm-La Découverte, coll. Recherches,2000 : 13-24.

◗ Références bibliographiques

À San Francisco, un programme de promotion de la santé aide les chauffeurs de bus àêtre moins stressés. Au Bénin, des « centres féminins » forment les jeunes filles pour leurfournir un travail et éviter les mariages forcés. En France, le département de Seine-Saint-Denis a mis en place un dispositif de prévention et d’accès aux soins pour les moinsfavorisés. À Grenoble, le dentiste municipal dépiste les caries dans les quartiers défa-vorisés et accompagne les enfants vers les soins. Focus sur quelques pratiques qui ontpour point commun de vouloir réduire les inégalités sociales de santé.

Donner un aperçu des pratiques depromotion de la santé visant à réduire lesinégalités sociales de santé, tant enFrance qu’à l’étranger : tel était l’un desobjectifs des Journées de la préventionde l’INPES. Cet article présente unecourte synthèse de quelques-unes de cespratiques, au travers d’actions concrè-tes (pour les politiques publiques mises enœuvre, voir l’article de Pierre Larcher).Premier constat : la réduction des inéga-lités sociales de santé s’apparente à undéfi, comme l’a fait remarquer le pro-fesseur d’épidémiologie et santé com-munautaire américain S. Leonard Syme.Si aucune recette n’existe, il y a plusieursexigences préalables à respecter : poserun diagnostic rigoureux de la situation,ne pas se contenter de vouloir influer surles comportements individuels, prendreen compte les « pressions sociales », tra-vailler en partenariat, y compris avec lespopulations concernées.

Chauffeurs hypertendus de San Francisco

Exemple : l’équipe du professeurSyme a mis en œuvre un programme depromotion de la santé pour les chauf-feurs de bus de San Francisco, qui souf-frent majoritairement d’hypertension.Interrogés, les chauffeurs ont com-mencé par évoquer des douleurs dedos ; rapidement, d’autres problèmes desanté ont été identifiés : gastro-intes-tinaux, alcoolisme. Le projet a étéréorienté pour identifier les causes, cequi a permis de découvrir que c’était lerythme de travail qui était trop dur : onleur demandait d’effectuer leurs trajetsdans un laps de temps matériellementimpossible. À partir de ce constat, un

programme de promotion de la santéprenant en compte les véritables déter-minants a été mis en place à leur profit,incluant une réorganisation du travail.

Autre règle de base énoncée par cesociologue : « Traiter les questions fon-damentales qui préoccupent les person-nes avec lesquelles on travaille. » Etd’illustrer son propos avec un pro-gramme débuté en… 1962, au Michi-gan, auprès d’enfants âgés de 3 à 4 ansissus de familles défavorisées : à leurarrivée à l’école, et pendant deuxannées, ces enfants ont bénéficié d’unprogramme suivi de promotion de lasanté ; ils ont en particulier pu exprimerce qu’ils souhaitaient faire et les éta-blissements ont mis à leur dispositionles ressources pour y parvenir. Cesenfants ont été retrouvés à leurs 18 ans,et le constat a été fait qu’ils étaient nom-breux à avoir obtenu le baccalauréat età avoir accédé à l’université. Ces résul-tats positifs ont été encore plus impres-sionnants lorsqu’ils ont été revus à l’âgede 28, puis de 38 ans.

Actions novatrices au BéninPartir du possible, s’attaquer aux

vraies causes : c’est le fil d’Ariane quel’on retrouve au travers de ces actionsmenées ici ou ailleurs. Apollinaire Houn-gnihin a présenté la stratégie d’action duBénin pour lutter contre le travail desenfants et les inégalités sociales de santéau sein de cette population. 62 % desenfants de 6 à 14 ans travaillent, la plu-part privés de possibilité d’éducation etexploités. Les filles qui travaillent n’ontjamais fréquenté l’école ou l’on aban-donnée, « non pour des difficultés d’as-

similation mais à cause des difficultéséconomiques des parents ». Ce travail et cette non-instruction ont des consé-quences sanitaires bien connues : a contrario le niveau de mortalité infan-tile diminue lorsque le niveau d’instruc-tion de la mère augmente. Pour remédierà cette situation, le Bénin a mis en placeplusieurs actions novatrices, parmi les-quelles la création de « centres féminins »qui forment les jeunes filles et leur four-nissent un travail leur permettant de res-ter dans les villages. Douze mille jeunesfilles issues de familles pauvres en ontbénéficié. Formées à la couture, à la coif-fure, à la peinture ou au tissage, ellessont mieux insérées socialement. Cescentres évitent également un mariageforcé précoce, y compris chez des trèsjeunes. « Ces stratégies visent à réduire lesinégalités sociales de santé, notammentau niveau des enfants. Les actions sontbasées sur le développement des capaci-tés personnelles, comment former lesindividus à mieux se comporter, à mieuxse défendre dans la société. » Si, depuisquelques années, au Bénin, des résultatsont été obtenus dans le domaine del’éducation et de la santé, « les clignotantssont au rouge dans des secteurs commele chômage des parents, la sécurité ali-mentaire, l’analphabétisme et l’accèsaux services de base, surtout en milieurural ». R. A. Houngnihin pointe aussil’absence de cohérence dans les actions :il n’y a pas de coordination pour mesu-rer l’impact de ces différentes actions surla santé et le bien-être des enfants.Cependant, des choix politiques récentsvont dans le sens d’une réduction desinégalités : depuis 2007, l’enseignementprimaire est gratuit au Bénin et, sur la

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États-Unis, Bénin, France :des programmes adaptés aux inégalités

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première année, trois cent mille enfantsont ainsi pu aller à l’école.

Seine-Saint-Denis : maillageterritorial de prévention

S’il est un département en France quia une expérience en matière de réduc-tion des inégalités sociales de santé,c’est celui de la Seine-Saint-Denis,parmi les plus pauvres du pays. MichèleVincenti, médecin au service préven-tion/action sanitaire du conseil géné-ral a exposé les avancées mais aussi leslimites de la stratégie mise en œuvrelocalement depuis près de trente ans, le premier programme de préventionbucco-dentaire ayant été mis en placeen 1984 sur la base des recommanda-tions de l’OMS. Deux ingrédients dedépart sont impératifs : pérennité del’action et partenariats. L’orientation de l’action départementale de santépublique était clairement définie dèsl’origine : « Offrir des dispositifs pourl’ensemble de la population, avec gra-tuité et proximité », d’où un maillage surle territoire de centres de dépistage etde prévention, « hérités de la lutte contrela tuberculose mais que le départementa souhaité conserver » pour l’accueil etla prise en charge du public.

Dans la panoplie d’actions mises enœuvre : des programmes de périnata-lité et de protection maternelle etinfantile, des ateliers Santé-Ville (voirarticle de Laurent El Ghozi), un étatdes lieux partagé avec la population.Et trois exemples de partenariats : leprogramme de prévention bucco-den-taire réalisé avec l’Éducation nationaleet les Villes ; la prévention des cancersavec un partenariat structuré dans ungroupement d’intérêt public et réunis-sant acteurs locaux, État, AssuranceMaladie, professionnels, scientifiques ;la promotion des vaccinations et la luttecontre la tuberculose, en partenariatavec les hôpitaux et les professionnels.L’enjeu est désormais de parvenir àréunir les moyens financiers nécessai-res pour faire face aux besoins locaux,dans un département qui cumule lesinégalités sociales de santé au regarddes indicateurs et des déterminants,comme l’a souligné Michèle Vincenti.

Grenoble : soins dentairespour les enfants défavorisés

Les communes peuvent faire beau-coup pour réduire les inégalités socia-les de santé. À condition de mener des

actions structurantes inscrites sur le longterme. Parmi les exemples d’actions pré-sentées, celle de Grenoble, ou commentrendre efficaces la prévention et le suivides caries dentaires dans les écoles desquartiers défavorisés. François-PaulDebionne, médecin directeur de la santépublique dans cette ville, a soulignéqu’une telle action de réduction desinégalités exigeait : des moyens finan-ciers, un maillage territorial complet, dutemps et du suivi… sans oublier de l’au-dace et de la détermination. Grenoble ala particularité d’être dotée d’un impor-tant service de santé (96 personnes),idem pour le service de santé scolaire(54 personnes dont 20 assistantes socia-les). Le constat de départ : un état desanté dentaire des enfants de grande sec-tion maternelle/CM2 « considérable-ment » dégradé dans les quartiers défa-vorisés.

Le programme de dépistage et d’ac-cès aux soins mis en place inclut : – le dépistage par le dentiste de la santéscolaire aidé par une assistante den-taire, qui voit tous les enfants (grandesection maternelle, CM1, CM2) ;– au-delà d’un certain taux de cariessoulignant la nécessité de soins rapides,les parents sont prévenus, un accès auxsoins est organisé et le dentiste soignantprévient le service de prévention santéune fois l’enfant soigné. Un accompa-gnement et un soutien permettentd’amener les parents à faire les démar-ches nécessaires ou, en tout cas, de lesinciter. Une partie importante des dégâtsdentaires constatés chez ces petits estimputable au « syndrome du biberon »,ces enfants qui passent la nuit avec unbiberon d’eau sucrée dans la bouche,

pratique catastrophique puisque cer-tains ont jusqu’à seize dents cariées survingt. Ce programme de dépistage/accès aux soins a permis « à huit enfantssur dix atteints de ce syndrome du bibe-ron d’être réellement soignés », souligneF.-P. Debionne. Grâce largement au tra-vail d’interpellation des structures desoins par l’assistante dentaire ;– dépistage et accès aux soins sont com-plétés par des séances d’éducation pourla santé dans les classes, sur la vie desdents, l’alimentation et le brossage.

Bilan : pendant le premier trimestre2008, 1 100 enfants ont été dépistésdans les quartiers défavorisés, dont 5% avaient des problèmes qualifiés de« très sérieux » et 35% qui nécessitaientdes soins. Les plus grandes difficultésrencontrées ? Obtenir l’adhésion desparents à la démarche de soins. Et lescas fréquents d’abandon de soins. La carie dentaire est un marqueursocial. Au-delà de ce programme local,F.-P. Debionne a rappelé l’exigenceposée par Stéphanie Tubert-Jeannin,enseignante en chirurgie dentaire àClermont-Ferrand : « Il faudrait un ser-vice de santé publique dentaire enFrance ». D’où l’humilité du porteur duprogramme grenoblois : « Nous brico-lons ». Mais le bilan est là. Parmi les élé-ments à retenir, la capacité des profes-sionnels de santé scolaire à faire bougerles structures soignantes : « Il y a uneresponsabilité particulière d’un servicede prévention à mobiliser les services desoins pour que le dépistage soit effecti-vement suivi de soins ; c’est un devoiréthique ».

Yves Géry

Quelles politiques publiques pour lutter contre les inégalités ? Pierre Larcher souligne que,souvent, les inégalités sociales de santé ne sont pas prises en compte au niveau des poli-tiques nationales. Toutefois, au Québec, une loi sans équivalent ailleurs oblige les pouvoirspublics à prendre en compte la promotion de la santé dans toute action. En Suède, les déter-minants de santé sont pris en compte dans l’ensemble des politiques. En France, au niveaudes communes, les ateliers Santé-Ville montrent comment les élus locaux peuvent agir.

Le constat d’une inégalité socialedevant la mort est ancien, relevé dèsavant la fin du XIXe siècle : Aaron Anto-novsky rapporte qu’en 1865, à RhodeIsland, le taux annuel de mortalité étaitde 10,8 ‰ pour l’ensemble de la popu-lation imposable, alors qu’il atteignait24,8 ‰ pour les personnes non impo-sables (1). Ce rapport du simple au dou-ble se retrouve à la même époque auDanemark : à Copenhague, le taux demortalité était de 16,5 ‰ pour les hom-mes « riches », et de 31 ‰ pour les « pau-vres ». En France, il faut attendre 1912pour bénéficier de la première étudefrançaise portant sur l’ensemble de lapopulation (2). Dès cette époque appa-raît clairement la grande inégalitédevant la mort, qui semble dépendre defacteurs davantage économiques etsociologiques que proprement profes-sionnels (3). À partir de ce moment,cette question a été régulièrementdocumentée par les chercheurs et,depuis une vingtaine d’années, notam-ment en ce qui concerne les inégalitéspar pathologies.

L’évitement par les politiquesPourtant, pour Pierre Aïach, chez

les responsables politiques de droitecomme de gauche, la prise en comptedes inégalités sociales de santé n’est pasintégrée durablement dans les projetspolitiques. Elle apparaît comme absentedu débat politique, contrairement à cequi se passe dans d’autres pays, commel’Angleterre, par exemple. Il en attribuela raison au fait que « lutter contre lesinégalités, c’est s’attaquer à des intérêtsen place qui sont liés très profondémentà la nature du système économique etsocial du pays » (4).

La politique économique et socialea, de longue date, pris en compte lalutte contre l’exclusion, puis la luttecontre la fracture sociale. Il semble yavoir là une particularité française àfocaliser sur les extrêmes, oubliant parlà-même que ce phénomène n’est pasune particularité des populations lesplus pauvres. Par ailleurs, on a mis deplus en plus l’accent, depuis quelquesdécennies, sur les facteurs de risque liésau comportement individuel alors qu’ilsne sont pas le facteur prédominant dansla genèse des inégalités. Les détermi-nants tels que les conditions de vie (tra-vail, habitat, transports, etc.), qui ont unimpact beaucoup plus important sur lesinégalités de santé, nécessiteraient unengagement politique national.

Ce qui se fait ailleursAu Québec, l’article 54 de la loi sur

la santé publique de 2001 soutient ledéveloppement de politiques favora-bles à la santé de tous. Comme le ditLyne Jobin1, « les décisions qui se pren-nent au ministère du Revenu, au minis-tère de l’Éducation, ou au ministère dela Solidarité sociale ont toutes un effetsur la santé des populations ». L’arti-cle 54 donne au ministre de la Santé unrôle de conseiller du gouvernement surtoute question de santé publique. « Ildonne aux autres ministres tout avisqu’il estime opportun pour promouvoirla santé et adopter des politiquespubliques aptes à favoriser une amélio-ration de la santé et du bien-être de lapopulation. » Cela a conduit, d’une part,à l’implantation d’un mécanisme intra-gouvernemental d’évaluation d’impactsur la santé, dans l’idée non pas de reti-rer une mesure mais de négocier des

mesures d’atténuation des effets poten-tiellement négatifs, avec la mise enplace au ministère d’un réseau derépondants interministériels nommésau plus haut niveau des différentsministères et organismes. Ont été déve-loppés pour les autres ministères etorganismes, et avec eux, des docu-ments qui portent sur les déterminantsde la santé et traduisent de manière trèsconcrète et très pragmatique l’effet desdécisions de leur secteur sur la santéde la population. D’autre part, a été fortement développé le transfert deconnaissances, en consolidant les capa-cités de recherches interdisciplinaires.On est à la jonction des expertises ensciences politiques, en sciences de lasanté, en santé publique. Le transfert deconnaissances se fait vers les machinesadministratives plutôt que vers le poli-tique car, comme le dit Lyne Jobin, « lesmachines administratives vont influen-cer le politique ». Au fil des ans, l’inter-pellation se fait de plus en plus enamont et l’on cherche à analyser lesplans stratégiques des ministères pourvoir, dans trois ou quatre ans, où ils vontêtre, ce qu’ils veulent développer, pourqu’on puisse les interpeller au toutdébut de leur réflexion.

En Suède, selon Bosse Pettersson2,c’est en 2003 que le Parlement a votéune politique nationale de santépublique, fixant onze objectifs fondéssur les déterminants de la santé et lerôle des secteurs autres que celui de lasanté. De manière très voisine du Qué-bec, le ministre de la Santé publiquepréside un comité interministériel dehaut niveau qui influe sur toutes lespolitiques. Un rapport en est fait au Par-

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Le rôle du politique dans la luttecontre les inégalités sociales de santé

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lement tous les quatre ans par l’Institutnational suédois de santé publique.Comme au Québec, un certain nombred’outils ont été mis au point pour quecette politique puisse se décliner jus-qu’à l’échelon le plus local.

Des arguments fournispar la recherche

Une telle interpellation politique doitévidemment s’appuyer sur des résultatsscientifiques. Aux États-Unis, LeonardSyme3 analyse les échecs récurrents despolitiques de réduction des risques,comme le résultat logique d’une res-ponsabilisation qui fait peser tous lesefforts sur les individus, alors que conti-nuent d’affluer de nouveaux individussoumis aux mêmes conditions et cou-rant les mêmes risques, ce qui contraintà relancer sans arrêt les mêmes démar-ches sans le moindre espoir de succès,alors que s’adresser directement auxcauses sociétales réduirait le problèmeà quelques cas particuliers. Les cher-cheurs sont pourtant, même en France,nombreux à s’y intéresser, à l’Inserm, àl’Irdes, au CNRS, dans les ORS, etc., etles colloques sur le sujet se multiplient.En France, des recherches récentes del’Inserm sur les troubles musculo-sque-lettiques (TMS) du membre supérieur,une des pathologies les plus fréquentesau travail, ainsi que sur les lombalgies,ont montré que plus de la moitié desTMS et la quasi-totalité des lombalgiesétaient expliquées par les expositionsprofessionnelles très directement liées,par exemple, au niveau d’études despersonnes exposées, selon AnnetteLeclerc4. Elle ajoute que de tels résul-tats, très diffusés au niveau internatio-nal, semblent y rencontrer plus d’échoqu’en France, où cela n’est souvent misà profit que par ricochet, plusieursannées après. Lyne Jobin confirme quece transfert de connaissances, avec tra-duction dans un langage intelligible desdécideurs politiques, est un enjeumajeur.

Une telle politique peut aussi s’ap-puyer sur des programmes qui ont faitleurs preuves depuis longtemps, commel’alphabétisation et la scolarisation desfilles dans les pays en développement,en Afrique, en Asie ou en Amériquelatine, pour diminuer ultérieurementleurs propres problèmes de santécomme ceux de leurs enfants. Le droitcoutumier y fait en général obstacle,que ce soit en Afrique, comme le fait

observer Apollinaire Houngnihin5, ouen Asie, mais, au Kérala (Inde) parexemple, une politique volontaristeobtient des résultats remarquables.

La mise en œuvre des politiquesLes élus locaux, dans un pays

comme le nôtre, quelle que soit leurappartenance politique, ont d’incon-testables possibilités de mobilisationdans leur ville sur tous les secteurs de lavie en même temps (école, logement,professionnels de santé, transports, ali-mentation, etc.) qui, lorsqu’ils sontmobilisés et que leurs programmes sontsuivis grâce à des indicateurs oppor-tuns, permettent à la prévention des’exercer conjointement dans tous lesdomaines et d’obtenir localement desrésultats dont on peut rêver à niveaunational (exemples de la santé bucco-dentaire à Nanterre présenté par Lau-rent Elghozi6 et de la politique vaccinaleà Nancy présentée par Valérie Lévy-Jurin7). De tels programmes, qui trou-vent leur place à la fois dans les ateliersSanté-Ville et les programmes régio-naux de santé publique (PRSP), peu-vent inspirer les niveaux régional etnational et donc amener une réflexionpolitique nationale.

Les ateliers Santé-Ville en particulier,en mettant autour de la même table lesprofessionnels de tous les champsconcernés, les institutions auxquelles ils appartiennent éventuellement, maisaussi les représentants des habitants,sur des sujets épineux dont, séparé-ment, ils ne pourraient venir à bout,démontrent leur efficience. Sur dessujets aussi délicats que la santé men-tale, où les besoins croissent dans lesquartiers difficiles alors que l’offre serestreint, Pilar Arcella-Giraux8 montreque sont possibles au niveau local dessynergies, des innovations, certainesprises de risque adaptées, qui produi-sent pour les habitants une restaurationde l’image de soi, une réduction de laviolence, et pour les professionnels uneprise de recul profitable. Au bout dequelques années, l’atelier Santé-Villepasse d’une fonction de coordinationà celle encore plus essentielle de média-tion. Au niveau du département, lemême genre de dynamique est encorepossible avec un peu plus de recul,mais seulement si le conseil général yvoit son rôle et sa responsabilité, dansun panorama administratif mouvant.Pour Michèle Vincenti-Delmas9, dansune période où la ressource se raréfie,

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il faut se demander si l’on continue desprogrammes pour tous ou si l’on doitdiriger ses moyens, son énergie, versdes stratégies ciblées vers les plusexclus ? À un niveau supérieur, laRégion, la question est encore plusaiguë pour des élus qui, théorique-ment, n’ont aucune compétence santé,toutes les décisions étant à ce niveaudu ressort de l’État. Pourtant, nousavons vu que dans les inégalités socia-les de santé interviennent de nom-breux déterminants sur lesquels peu-vent peser des élus régionaux, et leconseil régional siège au groupementrégional de santé publique (GRSP), quimonte les programmes régionaux desanté publique (PRSP). Par ailleurs, lesdécideurs régionaux, qu’ils appartien-nent aux services de l’État ou aux col-lectivités territoriales, peuvent s’ap-

puyer sur l’appui technique de l’obser-vatoire régional de la santé (ORS) pourla connaissance des réalités régionales,et du comité régional d’éducation pourla santé (Cres) pour des actions de pré-vention. C’est ainsi que le conseil régio-nal du Languedoc-Roussillon a réussià infléchir le PRSP vers une approcheplus populationnelle que ne l’avaientprévu les services de l’État, si l’on encroit Antonia Dandé10. Le regard pluslarge et l’appui méthodologique per-mettent alors de dynamiser l’actiondans des secteurs délaissés où, spon-tanément, aucune avancée ne se pro-filait, et de répandre une culture d’éva-luation des actions de terrain. SelonA. Dandé, en quelques années, toutesces actions vont acquérir de plus enplus de cohérence et améliorer sensi-blement leur qualité.

Au niveau européen, après le succèsdu programme « Closing the gap : Stra-tegies for Action to Tackle HealthInequalities in the EU »11 (2004-2007),une nouvelle initiative « Determine »(2007-2010) sur les déterminants socio-économiques de santé devrait amenerles États membres à s’engager dans cettedynamique prometteuse.

Dr Pierre Larcher

Chargé de mission « santé-précarité »,

Direction générale de l’action sociale, Paris.

1. Chef de service, ministère de la Santé et des Servi-ces sociaux, Canada.2. Haut Conseiller en politiques de santé publique,Institut suédois de santé publique (SNIPH), Suède.3. Professeur émérite d’épidémiologie et santé com-munautaire, École de santé publique, UC Berkeley,États-Unis.4. Institut national de la santé et de la recherche médi-cale (Inserm U687), Santé publique et épidémiologiedes déterminants professionnels et sociaux de la santé,France.5. Coordonnateur du Programme national de lapharmacopée et de la médecine traditionnelles, minis-tère de la Santé, Bénin.6. Président de l’association « Élus, Santé publique &Territoires », France.7. Présidente du Réseau français des Villes-Santé OMS,France.8. Médecin psychiatre, coordinatrice du volet santémentale de l’atelier Santé-Ville, service communald’hygiène et de santé d’Aubervilliers, France.9. Médecin territorial de santé publique, chef dubureau santé publique, service de la prévention et desactions sanitaires, conseil général de Seine-Saint-Denis, France.10. Chargée de projet au Comité régional d’éducationpour la santé de Languedoc-Roussillon.11. « Combler le trou : stratégies d’action face auxinégalités de santé dans l’Union européenne ».

◗ Référencesbibliographiques

(1) Antonovsky A. Social class, life expec-tancy and overall mortality. Milbank Memo-rial Fund Quarterly 1967 ; 45(2) : 31-73.(2) Huber M. Mortalité suivant la profession,d’après les décès enregistrés en France en1907 et 1908. Bulletin de la statistiquegénérale de la France, fascicule IV, juillet1912 : 402-39.(3) Cité dans : Péquignot H. La lutte contrela pauvreté. Rapport au conseil économiqueet social. Paris : Journal officiel, 1979.(4) Aïach P., Carr-Hill R., Curtis S., Illsley R.Les inégalités sociales de santé en Franceet en Grande-Bretagne, analyse et étudecomparative. Paris : La Documentation fran-çaise, coll. Analyses et prospective, 1987 :205 p.

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En 2006, l’Institut de recherche en santé publique (Iresp) a lancé un appel à projetspour soutenir des recherches sur les inégalités sociales de santé. Les projets retenus étu-dient les mécanismes de constitution de ces inégalités : transmission parentale, réper-cussion du statut professionnel sur l’état de santé, relations sociales dans les quartierspopulaires ayant un effet positif sur la santé, etc. Autant d’éléments scientifiques gui-dants pour la prévention et la réduction de ces inégalités. En voici quelques exemples.

Si les écarts de santé selon les caté-gories socioprofessionnelles sont rela-tivement bien documentés en France,les travaux pour comprendre le méca-nisme de ces inégalités sont plus éparset le débat public sur le sujet plus fai-ble comparativement à d’autres pays,comme l’ont montré les interventionslors des Journées de la prévention del’INPES, en avril 2008. La communautédes chercheurs, souvent jugée commetrop restreinte sur cette thématique enFrance, se mobilise pourtant depuisplusieurs années déjà.

C’est pour s’inscrire dans un soutienà cette dynamique de recherche qu’en2006 l’Iresp1 a organisé un appel à pro-jets de recherche sur les inégalitéssociales de santé. Douze projets sur lestrente-trois reçus avaient été sélec-tionnés (liste disponible sur le site del’Iresp). Les Journées de la préventionde l’INPES ont été l’occasion de pré-senter les résultats de quelques-uns deces travaux. Cet article en présente unbref aperçu. L’objectif est de montrerl’importance et l’intérêt des sujets derecherche dont les résultats sont unapport indispensable pour le dévelop-pement d’actions efficaces visant àréduire les inégalités sociales de santé.

Parents-enfants : un état de santé corrélé

Parmi les travaux présentés, deuxrecherches viennent compléter lesconnaissances quant à l’influence de laprofession et la catégorie sociale sur l’état de santé.

Dans le travail présenté par AlainTrannoy (1), c’est l’impact de la situa-

tion socio-économique et de la santédes parents sur celle de l’enfant devenuadulte qui a été explorée. Il en ressortque l’état de santé à l’âge adulte est clai-rement lié à la situation socio-écono-mique de ses parents et à leur état desanté. L’état de santé déclaré est d’au-tant meilleur que l’on a grandi dans uncontexte socio-économique favorisé etcela, d’autant plus si la mère avait uneactivité professionnelle. La professiondu père interviendrait de manière indi-recte, par l’influence qu’elle jouerait sur la profession choisie par l’enfantdevenu adulte. De même, l’état desanté de l’enfant devenu adulte est cor-rélé à l’état de santé des parents. Cestravaux montrent qu’il existe une trans-mission intergénérationnelle des inéga-lités de santé. Cependant, les effets decette transmission peuvent être modi-fiés par le niveau d’éducation atteintpar l’individu.

Ascension professionnelle =meilleure santé

L’importance de la catégorie socio-professionnelle d’appartenance a éga-lement été explorée dans le travail pré-senté par Emmanuelle Cambois (2).L’analyse de trajectoires professionnel-les montre l’impact des changementsde situation professionnelle sur l’état desanté, qu’ils soient ascendants (versune catégorie supérieure) ou qu’ilssoient descendants (vers une catégo-rie inférieure). Les hommes ayantconnu un déclassement professionnel(passer d’un statut de cadre à un sta-tut d’inactif, par exemple) ont une sur-mortalité importante par rapport à ceuxqui ont conservé leur statut profes-sionnel. Dans le sens inverse, ceux

ayant connu une amélioration de leursituation professionnelle ont vu aussileur état de santé s’améliorer par rap-port aux personnes de leur catégoried’origine. Le niveau de risque de mor-talité est plus proche de la catégorieque l’on rejoint que de celle que l’onquitte et cela est valable dans une évo-lution inverse. Le constat de l’effet dudéclassement sur la mortalité aggravéevaut également pour les femmes.

Ces résultats de recherche vont dansle même sens que ceux présentés parGwenn Menvielle (3) sur le lien entreles trajectoires professionnelles et lesinégalités sociales de santé liées à lamortalité par cancer. Les personnes quiont une trajectoire sociale descendanteont un risque de mortalité par cancerdeux fois plus élevé par rapport auxpersonnes qui ont une trajectoiresociale stable. Ces constats vont dansle sens d’un « effet cumulatif » de déter-minants sociaux et économiques défa-vorables se combinant et interagissantselon les trajectoires de vie.

La convivialité, facteurprotecteur de santé

En France, comme ailleurs, les don-nées générales sur la mortalité font étatde disparités régionales et locales quiinterpellent le rôle de l’environnementsur les inégalités sociales de santé. Desanalyses géospatiales à l’échelle desquartiers viennent affiner les connais-sances. Serge Paugam (4) a présenté lesrésultats d’un travail qui analyse le lienentre troubles dépressifs, atteinte de l’es-time de soi et lieu de résidence. Ce tra-vail montre que la prudence est de misepour ne pas tomber dans des clichés

Les chercheurs français scrutent les inégalités sociales de santé

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rapides d’interprétation. En effet, leslieux de résidence stigmatisés commequartiers à difficultés – en raison de ladégradation du quartier et d’indicateurshabituels comme chômage et fortepopulation immigrée – sont souventconsidérés comme associés à un risqueaccru de détresse psychologique ou dedépression. Si, globalement, le fait d’ha-biter dans une zone pauvre, dans unquartier stigmatisé, le degré d’incivilités,tout comme la situation d’isolementsocial sont fortement liés à la détressepsychologique, d’autres facteurs sem-blent intervenir. L’analyse sur deuxquartiers, l’Île-Saint-Denis et Bagneux-Les Cuverons, a montré qu’au-delà desindicateurs habituels la prise en comptedu degré de similitude du quartier (àsavoir se sentir proche ou semblableaux gens qui vivent près de vous, sen-timent de vivre dans un quartier où il ya un partage des mêmes valeurs) jouele rôle de facteur protecteur pour seshabitants. À l’Île-Saint-Denis, malgré lechômage, la forte immigration, il y a unetrès faible tendance de détresse psycho-logique, contrairement à ce qui est obs-ervé à Bagneux. La différence résidedans le fait que l’Île-Saint-Denis présenteun fort degré de similitude, avec un bonmaillage social et des liens sociaux dequalité. À l’inverse, Bagneux est dansune situation de non-comparabilitésociale et subit de fortes tensions.

Accès inégalitaire à laprévention et aux soins

Le rôle du système de santé dans laréduction des inégalités sociales desanté fait également l’objet de débats.L’accès inégal aux soins et à la préven-tion apparaît en effet comme sourced’inégalités. Ainsi, par exemple, dansune analyse des facteurs socio-écono-miques et géographiques explicatifs dedifférences dans la participation audépistage organisé du cancer colorec-tal, Carole Pornet (5) montre qu’il existedes différences selon le régime d’assu-rance maladie. Les personnes qui sontprises en charge par des régimes spé-ciaux ou des régimes de fonctionnai-res ont une plus grande probabilité departiciper à ces campagnes organiséesde dépistage. Les hypothèses sont mul-tiples : statut socio-économique de cesprofessions, meilleur suivi médical, rôlede la médecine du travail, etc. (voir l’article de Youcef Mouhoub dans cemême numéro).

Les différentiels d’accès aux soinspeuvent également alimenter ou mêmecréer des inégalités sociales de santé(Ndlr : voir article de Pierre Lombrail).À titre d’illustration, le travail présentépar Chantal Cases (6) explore la diffé-rence de prise en charge du patient ensurpoids, selon sa profession et caté-gorie sociale et plus particulièrement

le rôle que joue la relation médecin-malade dans cette différence. Parmi lesdifférences observées, le mode de déci-sion pour la prise en charge du patientdiffère selon les catégories. En effet, lespatients les plus diplômés sont dans un mode de décision partagé avec lemédecin quant à leur prise en charge,alors que les patients les moins diplô-més ont tendance à laisser le médecindécider seul et ont besoin d’aide pours’orienter dans le système de soins.

Marie-José Moquet

Médecin, chef du département Qualité des

pratiques et formation, Ddeset, INPES.

◗ Référencesbibliographiques

(1) Trannoy A., Devaux M., Jusot F., Tubeuf S.Inégalités des chances en santé : influencede la profession et de l’état de santé desparents. Premiers résultats publiés dans leBulletin d’information en économie de lasanté n° 118, février 2007.(2) Cambois E., Laborde C. Inégalités socialesface à la mort : quelles sont les relations entreles itinéraires professionnels et la mortalité ?Ined, unité Mortalité santé épidémiologie.(3) Menvielle G., Chastang J.-F., Cyr D.,Schmaus A., Leclerc A., Luce D. Inégalitéssociales de mortalité et d’incidence des can-cers en France : aspects descriptifs et fac-teurs explicatifs. Les résultats des donnéesépidémiologiques ont été publiés dans leBEH, n° 33, septembre 2008. En ligne : http://www.invs.sante.fr/beh/2008/ 33/beh_33_2008.pdf(4) Paugam S., Équipe de recherche sur lesinégalités sociales (Eris), Centre Maurice-Halbwachs, CNRS-EHESS-ENS-université deCaen. Santé mentale et précarité : les effetsdu lieu de résidence.(5) Launoy G., Dejardin O., Morlais F., Bou-vier V., Pornet C. Mécanismes de formationdes inégalités sociales dans la prise encharge des cancers en France et en Angle-terre. ERI 3 – Inserm « Cancers et popula-tions », Caen.(6) Lang T., Cases C. L’interaction entre méde-cins et malades productrice d’inégalités socia-les de santé ? Le cas de l’obésité. Étudepilote. Inserm U558, département d’épi-démiologie, Toulouse.

Pour en savoir plushttp://www.iresp.net/

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Selon Alfred Spira, directeur de l’Insti-tut de recherche en santé publique(IReSP), la recherche joue un rôlemajeur pour renseigner les inégalitéssociales de santé, identifier les leviersd’intervention possibles en partant descomportements et des représentationsdes populations. Ainsi, par exemple, surla prévention de la prématurité et dela mortalité néonatale, la recherche,couplée à l’action, a permis de réduireles inégalités en améliorant l’accès à laprévention et aux soins pour les popu-lations les plus fragiles.

La Santé de l’homme : Comment seplace la France dans la rechercheinternationale sur les inégalitéssociales de santé ?

Professeur Alfred Spira : Historique-ment, la France a été un précurseur, au XIXe siècle, sous l’impulsion deVillermé, qui a étudié notamment lasanté des mineurs en Alsace. Il a été lepremier à démontrer l’existence d’unlien entre les conditions de travail, l’en-vironnement professionnel et la santé.Actuellement, ce sont les États-Unis etle Royaume-Uni qui ont les recherchesles plus développées. Néanmoins, enFrance, un travail important est menépar l’Inserm et, entre autres, deux cohor-tes : « Gazel » (EDF-GDF, 20 000 per-sonnes) et « Santé, inégalités et rupturessociales » (Sirs, Ile-de-France, 3 000 per-sonnes). On ne peut pas dire que laFrance soit à la traîne dans ce domaine.En particulier, nombre de chercheursmembres de l’Association des épidé-miologistes de langue française (Adelf)s’intéressent aux inégalités sociales ettravaillent sur leurs conséquences surla santé.

S. H. : Les recherches ne sont-ellespas déconnectées de la mise enœuvre sur le terrain ?

Il est difficile de passer de la recher-che à l’action, en particulier sur les inéga-lités sociales de santé. Le principal levier

d’action n’est pas la recherche mais lesdispositifs tels la couverture maladie uni-verselle (CMU), qui permet de lever undes freins pour que les plus démunispuissent accéder au système de soins.Mais la recherche a aussi un rôle à jouercar elle permet de décrypter les repré-sentations et donc de repérer des modesd’intervention et de prévention. Ainsi,par exemple, les travaux sur la préven-tion du cancer du sein montrent bienque le dépistage n’est pas la priorité chezles femmes en situation de vulnérabilitééconomique et renseignent sur desmodes d’intervention qui pourraient êtreadaptés selon le niveau socio-écono-mique. D’une manière générale, l’accèsà la prévention est beaucoup plus inéga-litaire que le recours au système desoins. Ce raisonnement est toutefois àmoduler selon les types de pathologies :ainsi les plus vulnérables au virus du sidasont les migrants qui sont en grandesituation de fragilité sociale et le recoursau système de soins continue d’être trèsfortement inégalitaire, même si desefforts importants sont mis en œuvre.La situation peut être différente pourd’autres pathologies.

S. H. : Quelle place peut avoir larecherche pour réduire les inégali-tés sociales de santé ?

Le premier niveau d’intervention estpolitique et économique. La recherchemet en évidence des facteurs quiinfluent sur la santé de manière très spé-cifique et elle peut valider des démar-ches, y compris de prévention, avectoutes les précautions d’usage. Je pren-drai l’exemple de la prématurité : onsait, depuis longtemps, qu’il existe unlien entre niveau socio-économique,conditions de travail des femmes et pré-maturité et mortalité néonatale. Leschercheurs ont travaillé sur les mesu-res spécifiques prises pour la protectionet la surveillance de la grossesse sur desterritoires peu favorisés, sur le nombrede consultations et le travail de pré-vention des sages-femmes. Ils ont mon-

tré que ce type d’action préventive apermis de réduire le niveau de préma-turité. Ainsi, dans certaines villes dudépartement de la Seine-Saint-Denis, leniveau de prématurité est désormaiséquivalent, voire inférieur, à ce qu’il estdans les territoires plus favorisés grâceau travail de terrain réalisé en amontavec les femmes enceintes par les cen-tres de protection maternelle et infan-tile (PMI) et les professionnels, y com-pris les praticiens privés.

Deuxième exemple : la préventiondes maladies cardio-vasculaires. Ellerepose à la fois sur la diminution deconsommation de tabac, d’alcool, unemeilleure alimentation, la pratique del’activité physique, la prise en chargeet le traitement de l’hypertension arté-rielle, etc. Or, les recherches actuelle-ment en cours en France montrent quesi l’on ne peut agir auprès des person-nes en situation sociale défavorable, surtous les facteurs de risque, on peutcibler spécifiquement et efficacementcertains d’entre eux (dans le domainede la nutrition par exemple). À condi-tion d’avoir isolé de manière très fine lesinteractions entre situation sociale etexposition à ces facteurs de risque.Compte tenu de ces recherches, nousdevrions dans un proche avenir pou-voir lutter plus efficacement contre lesinégalités d’accès à la prévention et auxsoins dans ce domaine précis. Mais,attention, la recherche n’est qu’un desmoyens d’identifier les leviers spéci-fiques permettant de lutter contre lesinégalités, c’est le niveau d’interventionpolitique et sociale qui reste préémi-nent. Je citerai enfin deux autres exem-ples : l’un est un succès dans la luttecontre les inégalités, c’est le recours àla procréation médicale assistée, où lagratuité de prise en charge permet unaccès élargi aux personnes les plus défa-vorisées. Et un échec : le dépistage desmalformations congénitales pendant lagrossesse, qui reste très inégalitaire.

Propos recueillis par Yves Géry.

Entretien avec Alfred Spira, directeur de l’Institut de recherche en santé publique.

« La recherche permet de repérer des modesd’intervention et de prévention »

Évaluer une intervention qui entend réduire les inégalités sociales de santé est un exer-cice difficile, expliquent Valéry Ridde et Pierre Blaise. Néanmoins les travaux les plusrécents des chercheurs donnent des pistes de réflexion, la nouveauté étant l’évaluationdite « réaliste ». Par ailleurs, les personnes les plus vulnérables doivent impérative-ment être associées à tout processus d’évaluation. Connaissances et méthodes.

L’évaluation est un processus quipermet de porter un jugement sur uneintervention (1) ; il semble logique,dans le contexte de la lutte contre lesinégalités sociales de santé, que toutintervenant s’interroge : mon action desanté publique agit-elle sur ces inéga-lités (2) ?

Se donner les moyens de réduire les inégalitéssociales de santé

Contrairement à ce que l’on pourraitcroire, se demander si nos interventionsont (réellement) contribué à la réductiondes inégalités n’est pas chose courante,certains pensent même que cette ques-tion n’est pas essentielle. Or, cela ne faitpas si longtemps que les acteurs desanté publique s’interrogent à ce sujet(3). Pourtant, des recherches ont mon-tré que des dizaines d’années d’inter-ventions n’ont, au mieux, rien changédes inégalités sociales de santé, au pis,contribué à les augmenter. Certains ontqualifié ce phénomène d’« hypothèsed’équité inverse », précisant que lesinterventions atteignent d’abord les plusriches (et donc en meilleur santé) pour,très longtemps après, toucher les pluspauvres (4). Ainsi, naturellement, lesécarts se creusent. L’évaluation supposedonc, d’une part, le désir préalable devouloir agir pour la réduction des inéga-lités sociales de santé (ce qui est inclusdans la planification) et, d’autre part,une organisation d’intervention propreà atteindre cet objectif (ce qui concernela mise en œuvre).

Évaluer les effetsdes interventions : un défi méthodologique

Bien souvent, la présentation desrésultats d’évaluation fait état de chan-

gements d’ensemble pour les popu-lations cibles des interventions, demoyennes qui fluctuent, ou de récits devie de participants. Or, pour que lesinégalités sociales de santé puissentêtre prises en considération par lesintervenants, il est essentiel de rendrecompte de données différenciées selonles sous-groupes de la population ; lesriches versus les pauvres, les urbainsversus les ruraux, les femmes versus leshommes, etc. Encore faut-il que cela aitété prévu, d’abord dans la conceptionde l’intervention et, ensuite, dans la pla-nification de l’évaluation. Sinon, onrisque de conclure à l’efficacité d’uneintervention qui a effectivement réduitle taux de tabagisme dans la populationgénérale alors qu’il a, en réalité, aug-menté chez les plus pauvres.

Cela pose la question de la métho-dologie d’évaluation. Il ne suffit pas devérifier si l’intervention a atteint sesobjectifs (évaluation de l’efficacité) ounon. En effet, non seulement il est pos-sible que l’action n’ait pas visé directe-ment la réduction des inégalités socialesde santé, mais l’intervention a peut-êtreentraîné leur (re)production ou leuraggravation. Or, la capacité des évalua-teurs à rendre compte de tels effets inat-tendus est essentielle et rarement solli-citée (5). C’est de l’évaluation de l’équitédont il est notamment question ici (6).

Le premier défi tient à l’art et lamanière de bien décrire la logique del’intervention (la « petite théorie », disaitLipsey), en préalable à l’évaluation.Cela permet de vérifier le rôle que lespromoteurs de l’action voulaient, ou nevoulaient pas, jouer dans la lutte contreles inégalités sociales de santé. Lesecond, et probablement l’un des défis

majeurs de l’évaluation en général, restela capacité à documenter des relationscausales, à montrer qu’une interventionspécifique est responsable de la réduc-tion des inégalités afin de distinguer lesinterventions efficaces. Face à la raretédes données probantes sur la manièrede réduire les inégalités sociales desanté, des chercheurs ont suggéré, dansles années 1990, aux évaluateurs d’uti-liser des méthodes expérimentales (7).Il s’agissait d’établir la preuve d’unerelation cause-effet unique et stable,indépendante du contexte, entre uneintervention et son effet attendu. Onpourrait ainsi reproduire l’interventionailleurs, confiant dans la reproductionde ses effets. Pour établir ce lien de cau-salité, il faut contrôler les facteursconfondants contextuels à l’aide detechniques sophistiquées de groupecontrôle et de tirage au sort. Mais,quinze ans après, il n’existe pas beau-coup plus de données utiles pourconseiller les décideurs et les inter-venants. Cette carence vient encore d’être mise au jour, en 2008, concernantles interventions qui visent le change-ment de comportements des sous-grou-pes de la population les plus pauvres (8).

Ce déficit persistant ne tient pas uni-quement à la lourdeur des protocoles àmettre en œuvre, décourageante pourles acteurs. Nous pensons qu’il met aussien question l’usage de méthodes expé-rimentales pour guider l’appréciation etle choix des interventions auxquellesrecourir pour lutter contre les inégalitéssociales de santé. Au-delà des problèmeséthiques, les limites des méthodes expé-rimentales tiennent à la nature même dessystèmes d’action utilisés par les inter-ventions de santé publique visant laréduction de ces inégalités. Ce sont, en

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Évaluation des interventions : commentmener à bien un exercice périlleux ?

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effet, des interventions sociales où lecontexte et ses caractéristiques sontindissociables de l’intervention elle-même pour produire ses effets, ce queles méthodes expérimentales ont du malà prendre en compte.

L’évaluation réaliste : au-delàdes approches expérimentales

Aussi, nous pensons que c’est lanature des systèmes étudiés, simples oucomplexes, et des relations mises aujour, linéaires ou non, qui devrait gui-der le choix des méthodes d’évaluation.Les méthodes expérimentales sontappropriées pour établir un lien de cau-salité dans des systèmes « simples »,c’est-à-dire mobilisant des relationslinéaires. Elles établissent une relationdans laquelle la cause précède l’effetqu’elle produit de manière prévisible,stable et reproductible, toute autrechose étant égale par ailleurs. Touteinterférence avec cette relation est

considérée comme un facteur confon-dant qui doit être éliminé ou contrôlépar l’évaluateur. Le degré de contrôledes facteurs confondants détermine leniveau de preuve de la relation decause à effet entre l’intervention et soneffet. Or, les déterminants des inégali-tés sociales de santé sont faits d’un tissud’interactions visées par les interven-tions. Ces interactions et les interven-tions entrent elles-mêmes en résonanceavec le contexte dans lequel elles sedéroulent, lui-même influencé enretour, le tout contribuant à l’effet pro-duit, pour l’amplifier, le réduire ou ledétourner. Ces jeux d’interactions nonlinéaires sont caractéristiques des sys-tèmes « complexes » dans lesquels onsait que, d’un contexte à l’autre, touteschoses ne seront pas « égales parailleurs ». Par conséquent, l’extrapola-tion des preuves dans un autre contexteserait hasardeuse. Il nous faut doncdisposer d’une autre méthode.

Inspiré par les méthodes d’évaluation« basées sur la théorie », R. Pawson (9-11)propose une autre approche que l’éva-luation expérimentale, qu’il appelle« évaluation réaliste ». Comparée auxméthodes expérimentales, cette mé-thode déplace le point focal de l’éva-luation : il ne s’agit plus de tester la sta-bilité d’une relation causale entre uneintervention et son effet supposé, indé-pendamment du contexte. Il s’agit, dansun premier temps, de décrire le méca-nisme actionné par l’intervention pourproduire ses effets dans un contextedonné, ce que R. Pawson appelle laconfiguration « Contexte-Mécanisme-Effet » (CME), Puis, dans un secondtemps, de le comparer à la « théorie del’action » (logique de l’intervention),autrement dit à la façon dont l’inter-vention était supposée produire seseffets. À la différence de l’approcheexpérimentale, l’approche réaliste neconsidère plus le contexte comme une

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◗ Références bibliographiques

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constellation de facteurs confondantspotentiels mais intègre sa contribution àla production d’effets. L’évaluation nerépond plus à la question « Est-ce quel’intervention fonctionne ? » mais « Est-ce que l’intervention fonctionne, com-ment, pour qui et dans quelles circons-tances ? » De projet en projet, decontexte en contexte, à partir d’unethéorie d’action initiale qu’il faut for-muler ex ante, l’évaluation réalistegénère et affine une théorie d’actionintermédiaire qui permet de guider lapoursuite de l’intervention ou sa répli-cation dans un contexte différent, unedes raisons d’être de l’évaluation. Cettedémarche évaluative a été testée dans ledomaine du changement organisation-nel (12-14), de la promotion de la santé(15) et est en cours d’expérimentationpar l’INPES concernant la réduction desinégalités sociales de santé (16).

Le processus évaluatifparticipatif : instrument de réduction des inégalités

Enfin, n’oublions pas que le proces-sus évaluatif, qui est également un mode

d’intervention en soi, peut aussi être unvecteur de renforcement ou de réduc-tion des inégalités sociales de santé. Et, dans ce cadre, contrairement à unprocessus d’évaluation directif encadrépar une administration ou un expertconsultant, un processus participatif lorsde l’évaluation peut contribuer à laréduction des inégalités sociales de santé(17, 18). Si, dès la phase de préparationde l’évaluation, les parties prenantes del’intervention contribuent à décrire lalogique de cette dernière, à préciser lesquestions d’évaluation utiles pour leursinterventions, et éventuellement à col-lecter et analyser les données, il y a demeilleures chances que les résultats del’évaluation soient utilisés. Le change-ment social passe non seulement parl’utilisation des résultats des évaluations(finding use) mais aussi par l’utilisationdu processus évaluatif (process use) (19).Si les intervenants sont mis à l’écart ousi les personnes les plus vulnérables nesont pas interrogées ou parties prenan-tes, les inégalités risquent de s’accroître.Non seulement on ne saura pas si l’in-tervention a eu un effet sur les plus vul-

nérables, mais le fait de ne pas les asso-cier à l’évaluation est une occasion man-quée d’améliorer leur pouvoir d’agir(empowerment) (20), objectif consub-stantiel de la promotion de la santé. Au Royaume-Uni, le groupe d’évaluationdes propositions de projets visant laréduction des inégalités, à la suite de laCommission Acheson, s’était montréquelque peu déconcerté par la quasi-absence de fondements empiriques desactions proposées (21). La croyance enla supériorité des méthodes expérimen-tales (qui s’avèrent finalement difficiles àmettre en place) et à la subjectivité desdémarches participatives contribuentpeut-être à cette carence de données uti-les à la planification. Le recours à uneévaluation plus réaliste et plus partici-pative sera-t-il le bon palliatif ?

Valéry Ridde

Chercheur adjoint,

département de médecine sociale et

préventive, université de Montréal, Canada.

Pierre Blaise

Médecin inspecteur de santé publique, Drass

Pays de la Loire, Nantes.

Depuis quinze ans, les Baromètressanté de l’INPES permettent de suivrerégulièrement les comportements, atti-tudes et connaissances des Français enmatière de santé. Publié en avril 2008,la dernière enquête (1) base ses résul-tats sur un échantillon représentatif de30 500 personnes âgées de 12 à 75 ansinterrogées.

Ces résultats dévoilent des inégalitésimportantes en termes de perceptions,attitudes et comportements de santéselon le niveau d’études et de revenus,et l’activité professionnelle. Repérer cesinégalités permet d’adapter ensuite lesactions de prévention et de promotionde la santé.

Si l’on prend l’exemple de l’usage desubstances psychoactives (tabac, alcool,cannabis ou autres drogues), d’unemanière générale, pour l’ensemble descomportements d’usages observés, uncapital socio-économique et éducatif

élevé apparaît associé à l’expérimenta-tion des produits mais semble de natureà éloigner d’un usage régulier, voirenéfastes pour la santé. À l’inverse, lasituation de chômage s’avère liée à desdéclarations d’usages réguliers, voiredes situations de dépendances (alorsmême qu’elle se trouve moins liée à l’ex-périmentation).

Il y a donc une corrélation entre sta-tut socio-économique et consommationde substances. Ainsi, pour le tabac (enusage quotidien), plus la personne est diplômée, moins elle fume. Lesrecherches qualitatives récentes menéesen France sur le tabagisme en popula-tion précarisée confirment cette ten-dance. Même constat pour l’usage quo-tidien d’alcool et de cannabis, pourlesquels plus on est diplômé, moins onconsomme régulièrement ; en revan-che, l’expérimentation de cannabisapparaît plus fréquente parmi les per-sonnes fortement diplômées. Le fait

d’être en recherche d’emploi se trouvelié à l’expérimentation de cannabis,mais plus encore – et nettement – à sonusage régulier.

Mais les données actuelles recueilliespar le biais du Baromètre santé ne per-mettent d’esquisser que les grandeslignes des inégalités sociales de santé,la prochaine enquête devrait donc inté-grer des indicateurs plus complets – telsque le renoncement à des soins, parexemple – qui permettront d’avoir desdonnées plus complètes, dans l’objectifd’une quantification des inégalitéssociales de santé sur l’ensemble de lapopulation.

François Beck

Statisticien, responsable du Département

observation et analyse des comportements

de santé, Das, INPES.

(1) Beck F., Guilbert P., Gautier A. (dir.). Baromètresanté 2005. Attitudes et comportements de santé. Saint-Denis : INPES, coll. Baromètres santé, 2007 : 593 p.

Situation socio-économique et consommation desubstances psychoactives : une corrélation avérée

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Les ateliers Santé-Ville permettent incontestablement de réduire les inégalités socialesde santé. Le programme bucco-dentaire innovant mis en œuvre à Nanterre dans ce cadreen est un exemple. Mais ces ateliers sont fragiles car leur pérennité financière n’estpas assurée.

Les ateliers Santé-Ville sont le cadreopérationnel proposé en 20001 pourstructurer le volet « santé » de la poli-tique de la ville, concrétisée dans lescontrats de ville. Ils sont parfaitementdéfinis par la circulaire du 13 juin 2000qui les situe d’emblée comme un outilessentiel du volet santé de la loi de luttecontre les exclusions2 pour la mise enœuvre des programmes régionaux d’ac-cès à la prévention et aux soins pour lespersonnes en situation de précarité(Praps) et de la couverture médicaleuniverselle (CMU). Ils sont donc clai-rement positionnés au croisement despolitiques de santé publique et de laville pour la lutte contre les inégalités etdans une logique de territoires.

Leur ambition est de réduire, au ni-veau local, les inégalités sociales et ter-ritoriales de santé, dont on sait qu’ellesn’ont cessé de croître depuis vingt ans.Leur mise en œuvre s’appuie sur l’in-génierie locale et la méthodologie pro-pres à la politique de la ville.

La loi de programmation pour la villeet le renouvellement urbain du 1er août2003 (dite « loi Borloo ») élargit leurchamp à la question de l’offre de soinsen vue de développer des « maisons desanté ».

La méthodologie de mise en œuvreest aujourd’hui largement validée etréaffirmée par la circulaire du 4 sep-tembre 2006, faisant suite au comitéinterministériel des villes (CIV) du9 mars 2006, lequel intègre comme unedes priorités de tous les contrats urbainsde cohésion sociale (Cucs), la mise enplace d’un atelier Santé-Ville. La santéest clairement affirmée comme « le cin-quième pilier de la politique de la ville ».

Mobilisation locale pour la santé publique

Ce dispositif est particulièrementintéressant car : – il affirme la légitimité des élus locauxà agir dans le champ de la santé et à ten-ter de répondre ainsi aux demandescroissantes de leurs habitants et cela,bien qu’il ne s’agisse pas d’une com-pétence des communes ;– il propose une méthodologie rigou-reuse, reposant sur un diagnostic par-tagé élaboré de manière participativeavec les habitants et les professionnelsdu quartier, recensant aussi bien lesbesoins que les ressources en santé, auniveau infracommunal. Un comité depilotage associant obligatoirement Villeet État, ainsi que les principaux parte-naires et acteurs – population com-prise – détermine ensuite les prioritésd’action et leur programmation ;– il est obligatoirement financé en par-tie par l’État ;– il provoque une forte mobilisationlocale autour des questions de santépublique, à l’initiative des élus et quiconcerne non seulement de nombreuxservices municipaux mais aussi les autres institutions et professionnels,dans une dynamique transversale etinterinstitutionnelle permettant d’agirsur les déterminants, y compris sociaux,de la santé ;– enfin, l’engagement qualitativementcroissant d’un nombre de plus en plusimportant de villes permet des échan-ges fructueux et une capitalisation depratiques en faveur de la santé des habi-tants des quartiers les plus fragiles.

Le bilan des ateliers Santé-Ville estconsidérable en termes d’avancées,sous réserve toutefois du respect par lesprincipaux acteurs des exigences de

mise en œuvre. L’objectif annoncé detrois cents ateliers Santé-Ville fin 2008devrait être atteint sans trop de retard :ils concerneront alors une populationde plus de six millions de personnes,constituant l’interface privilégiée entreles villes, l’État et les acteurs pour laconnaissance – en particulier des inéga-lités sociales et territoriales de santé – etpour l’action en santé dans le cadre exi-geant des programmes régionaux desanté publique (PRSP).

Compétences accruesdes acteurs locaux

Pour y répondre, une multitude d’ac-tions, adaptées aux besoins et aux pos-sibilités locales, ancrées dans la réalitépolitique, sociale et territoriale a étéinventée. L’implication des habitantsdès le diagnostic, l’engagement denombreux professionnels structurentdes espaces de large partenariat, contri-buant au développement d’un dialogueinterprofessionnel sur les questionssociales et favorisant l’émergence d’unedémocratie participative sanitaire etsociale de proximité. Celle-ci est elle-même facteur de cohésion sociale, etdonc d’amélioration de la santé indivi-duelle et collective. Les ateliers Santé-Ville ont incontestablement permisd’accroître les compétences sanitaires etsociales des acteurs locaux, et aussi,bien souvent, de la population elle-même.

La santé devient ainsi un enjeu localimportant faisant l’objet d’une pro-grammation concertée, cohérente, visi-ble, au croisement de nombreuses poli-tiques sectorielles (sociale, éducative,préventive, d’insertion, du logement,etc.) et intégrée à la politique munici-pale globale !

Ateliers Santé-Ville : des résultatsincontestables, des moyens fragiles

32 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

Elle s’inscrit alors dans le mouvementde territorialisation des politiques publi-ques pour un domaine qui, certes, restede la responsabilité de l’État et exigedonc une impulsion et un soutien fortsde sa part. Cependant elle ne peut semettre en œuvre qu’au niveau local, cequi nécessite l’engagement résolu desélus locaux, pouvant aller jusqu’à l’éla-boration d’une véritable politique localede santé publique, à partir de l’équipeet de l’expérience de l’atelier Santé-Ville.

La finalité des ateliers Santé-Ville estbien la réduction des inégalités socialesde santé et l’accès égal de tous à la pré-vention et aux soins dans un objectif dedéveloppement social global. De trèsnombreuses initiatives, actions et pro-grammes sont aujourd’hui renduspublics (cf. le « Repère » de la Div publiéen mai 2008 : Ateliers Santé-Ville : unedémarche pour la réduction des inéga-lités sociales et territoriales de santé).

Programme bucco-dentaire à Nanterre

À titre d’exemple, à Nanterre, nousnous sommes engagés dans cette dyna-mique dès 2000. Quatre diagnosticsparticipatifs ont eu lieu, de 1998 à 2007,sur les quatre Zus de la commune. Ilsont mis en évidence de très fortesdisparités de santé, y compris auniveau infra-quartier, des besoins et desattentes convergentes des profession-nels et des habitants participants, desgroupes de population particulière-ment fragiles, des difficultés considé-rables d’accès aux soins et plus encoreà la prévention…

Parmi la quantité d’actions, d’outils,de programmes et de structures mis enplace au cours des années pour tenterde réduire ces inégalités, le programmebucco-dentaire est exemplaire de la per-tinence de la démarche atelier Santé-Ville. La décision de sa mise en œuvrerepose sur une des priorités émanantdes diagnostics par quartiers, de lademande des professionnels de la santé,de l’éducation et du social, et retenuespar le comité de pilotage partenarial(diagnostic et priorités partagés). Il asso-cie des dentistes des centres de santé, lesassistantes scolaires municipales, desagents relais santé spécialement formés,des appuis associatifs et, bien entendu,les personnels des écoles (partenariatinterinstitutionnel). Il repose sur uneévaluation exhaustive de l’état de santé

bucco-dentaire de tous les enfants sco-larisés dans les écoles de Nanterre, avecdes indicateurs fiables, reproductibleset simples : indice CAO3 et besoins ensoins (évaluation initiale, indicateurs desuivi). Ce diagnostic révèle, à l’origine,des écarts de un à trois selon les éco-les, très fortement corrélés avec les indi-cateurs sociaux, économiques et cultu-rels du secteur (inégalités sociales desanté).

Les actions correctrices mises enplace (information, éducation pour lasanté, travail avec les enseignants et lesparents, petits déjeuners pédagogiques,accompagnement par les assistantssociaux, solvabilisation des soins sibesoin, etc.) ont, dans un premiertemps, profité principalement auxenfants les moins atteints. Ce constatnous a conduits à faire évoluer et à ren-forcer nos actions, de manière plusadaptée selon les classes et les écoles,là où les résultats étaient mauvais. Aprèsdix années de travail, nous observonsmaintenant une amélioration très nettepartout et une tendance franche à l’éga-lisation des indicateurs et donc à une

réduction des inégalités dans un do-maine dont on sait les conséquences entermes de santé, de socialisation, d’in-sertion professionnelle, etc. (évaluation,pilotage, réduction des inégalités socia-les de santé).

Bilan très positif, mais…Si l’intérêt et l’efficacité de la démar-

che « atelier Santé-Ville » ne sont doncplus à démontrer, cela ne va évidem-ment pas sans risque ni sans limite.

Le premier « risque » est lié aux trans-ferts de charges de l’État et de l’Assu-rance Maladie vers les collectivités loca-les, avec des financements insuffisants,incertains et surtout non pérennes : l’an-nualité des subventions, que ce soitpour l’atelier Santé-Ville ou pour lesactions qu’il met en place dans les mul-tiples appels à projet (PRSP/Praps,PNNS4, PDI4, Cucs, CPAM4 et autres) nepermettent pas l’élaboration d’une poli-tique suivie et fragilisent cruellement les professionnels embauchés sur descontrats trop souvent précaires : or, laqualité et l’engagement quasi « militant »et dans la durée des coordonnateurs

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« atelier Santé-Ville » sont des facteursessentiels du succès.

Le second risque est dû à la difficilemobilisation des acteurs de soins lo-caux, qu’ils soient hospitaliers ou, plusencore, libéraux. Outre la difficulté dufinancement de leur participation, il n’ya aujourd’hui guère de moyens de lesimpliquer. Par ailleurs, l’observationlocale nécessite des compétences et desmoyens conséquents ; elle exige que lesdétenteurs de données médicales, épi-démiologiques, sociales, démogra-phiques, etc., acceptent de les mettre àdisposition aisément et à un niveau ter-ritorial pertinent pour l’action considé-rée. Actuellement, ce n’est pas toujoursle cas : dans ces conditions, il ne peuty avoir de pilotage sérieux ni de valida-tion possible de ces politiques locales.

L’évaluation d’actions qui tententd’agir soit sur les comportements, soitsur les déterminants de la santé est dif-ficile dans un contexte multifactoriel : lechoix d’indicateurs robustes et repro-ductibles est essentiel.

Enfin, la réforme annoncée de lagouvernance de la santé publique avec,

en particulier, la mise en place desagences régionales de santé (ARS) posela question de la nécessaire articulationentre le niveau régional de program-mation des besoins (PRSP) et de l’offre(schéma régional de l’organisation dessoins – Sros) et le niveau territorial leplus pertinent pour la mise en action,selon les priorités et les ressources loca-les déterminées par l’atelier Santé-Ville.La réalisation de cet objectif, capital entermes de santé publique et d’égalité,exige au moins deux conditions : – l’élargissement de la démarche « ate-lier Santé-Ville » à l’ensemble des com-munes volontaires (ou de leurs grou-pements) sous forme de contrat local desanté publique avec des financementspérennes et de droit commun ;– la présence des élus locaux dans lesinstances décisionnelles des futuresagences régionales de santé (commec’est actuellement le cas pour les GRSP).

Faute de la reconnaissance institu-tionnelle de ces acteurs à tous lesniveaux – condition sine qua non deleur indispensable et forte implication –,les politiques territoriales de santé neprofiteront pas de toute la dynamiqueengendrée par les ateliers Santé-Ville

et les inégalités sociales de santé conti-nueront à augmenter.

Laurent El Ghozi

Président, conseiller municipal,

Association nationale des villes

pour le développement

de la santé publique « Élus, santé

publique & territoires », Nanterre.

1. Les ateliers Santé-Ville ont été proposés par le Comitéinterministériel des villes du 14 décembre 1999 qui aprécisé les conditions de la mise en œuvre du volet santédes contrats de ville 2000-2006 avec la création des ate-liers Santé-Ville. Circulaire Div du 13 juin 2000 rela-tive à la mise en œuvre des ateliers Santé-Ville.2. Loi d’orientation n° 98-657 du 29 juillet 1998 rela-tive à la lutte contre les exclusions.3. L’indice CAO = C + A + O, dans lequel C est le nom-bre de dents cariées, A est le nombre de dents absen-tes pour cause de carie et O est le nombre de dentsobturées définitivement dans la bouche de la personneexaminée.4. PNNS : programme national nutrition santé ; PDI :programme départemental d’insertion ; CPAM : caisseprimaire d’Assurance Maladie.

Depuis trois ans, l’Institut Renaudot coordonne une recherche-action pour évaluer l’im-pact des démarches communautaires sur trois déterminants de santé : les ressourcesindividuelles, l’environnement physique et social local, et l’environnement politique etstructurel. Par le biais de plusieurs exemples, les auteurs montrent comment ces actionspeuvent contribuer à réduire les inégalités sociales de santé.

Inégalités sociales de santé et démarchecommunautaire en santé, quels liens ?

La promotion de la santé « est le pro-cessus qui confère aux populations lesmoyens d’assurer un plus grandcontrôle sur leur propre santé, et d’amé-liorer celle-ci. […]. Ses interventions ontpour but de réduire les écarts actuelscaractérisant l’état de santé. » (1) Lacharte d’Ottawa affirme donc que lapromotion de la santé a pour objectif deréduire les inégalités sociales de santé.

La démarche communautaire ensanté constitue une des cinq stratégies

de la promotion de la santé. Dans lecadre du Secrétariat européen des pra-tiques de santé communautaire (Sep-sac), dans lequel l’Institut Renaudot estle représentant français, la démarchecommunautaire a été définie à partir dehuit repères (2) dont quatre contri-buent directement à la réduction desinégalités : – une action sur les déterminants de lasanté ;– l’implication de tous les acteursconcernés dans une démarche de co-

construction ;– un contexte de partage, de pouvoiret de savoir ;– la valorisation et la mutualisation desressources de la communauté.

Depuis trois ans, l’Institut Renaudotcoordonne une recherche-action avecune quinzaine de porteurs de démar-ches communautaires en France (pro-fessionnels, bénévoles, usagers, etc.)(voir encadré p. 35). Elle vise à évaluerl’impact des démarches communautai-res sur trois déterminants :

Pour en savoir plusÉlus, santé publique & territoires11, rue des Anciennes-Mairies92000 NanterreTél. : 01 47 24 67 58E-mail : [email protected] ligne : http://www.espt.asso.fr

– les ressources individuelles et les com-portements par rapport à la santé : maî-trise de la personne sur sa santé (repré-sentations, croyances, connaissances,capacités à faire des choix, à agir enfonction de ses choix, comportements,estime de soi, confiance en soi), état desanté globale (bien-être psychique,physique et social) ;– l’environnement physique et sociallocal : ressources en promotion de lasanté (structures sanitaires, sociales,éducatives, etc.), pratiques des profes-sionnels (accueil des publics, métho-dologie d’analyse des besoins de santé,etc.), fonctionnement des structures(objectifs, horaires et critères d’accueil,travail en réseau, etc.), qualité de l’en-vironnement (habitat, transport, cadrede vie, etc.) ;– l’environnement politique et struc-turel : politique publique locale depromotion de la santé, portage poli-tique, etc.

Voyons, avec quelques exemplesissus de la recherche-action, commentces démarches communautaires agis-sent sur ces trois déterminants.

Les ressources individuellesL’estime de soi et l’image de soi

sont de véritables déterminants de lasanté. L’association « Vis avec nous », àBagneux (département des Hauts-de-Seine), a conduit un projet de formationà l’éducation et à la parentalité avec desmères. Après plusieurs années, le cons-

tat est que la formation améliore l’es-time de soi et l’image que les mères ontd’elles-mêmes. Elles prennent de plusen plus d’initiatives dans le groupe,chose qui n’était pas pensable audémarrage compte tenu de la faibleconfiance qu’elles avaient en elles.Aujourd’hui, elles animent certainesséances, proposent d’être porte-paroledu groupe auprès d’autres structures,abordent en famille des sujets quiétaient jusqu’alors tabous…

Si les mères impliquées dans ce pro-jet ont pu développer leurs compé-tences psychosociales, c’est d’abordparce que la formation était basée surles échanges d’expériences. En dis-cutant, elles ont pu prendre consciencequ’elles n’étaient pas les seules à avoirdes difficultés dans leurs relations avecleurs enfants. Elles ont alors pris cons-cience qu’elles faisaient partie d’unecommunauté et que chacune avait sesstratégies, ses ressources pour permet-tre aux enfants de se sentir bien et pours’épanouir elles-mêmes dans leurs rôlesde mères et de femmes.

L’environnement social localLes relations professionnel-usager

constituent aussi un déterminant de lasanté. Souvent le professionnel est unexpert et l’usager est seulement endemande. Les démarches communau-taires consistent aussi à modifier cesrelations dans le sens d’une reconnais-sance mutuelle et d’un partenariat. Elles

sont l’occasion d’une prise de cons-cience par les habitants de leurs com-pétences et de leurs possibilités d’agirlocalement, voire même à d’autresniveaux.

Pour cela, la démarche communau-taire repose sur une mise en commundes compétences de chacun et un par-tage du pouvoir : en 2002, à La Roche-sur-Yon (Vendée), un travail sur « l’ac-compagnement des personnes ensouffrance sur le quartier » a donné lieuà la création d’actions par et avec leshabitants. C’est ainsi que s’est mis enplace un espace d’échanges de com-pétences entre habitants de la ville : « leGrenier des compétences », aujourd’huianimé par un groupe technique com-posé de professionnels et d’habitants,tous animateurs du projet, qui prennenttous ensemble les décisions concernantle projet.

Après plusieurs années de travail etun an de mise en œuvre opérationnelle,on se rend compte de l’intérêt de tra-vailler à partir des compétences de cha-cun et du partage du pouvoir dans l’ani-mation et les décisions concernant leGrenier : « Cette action-formation a per-mis aux professionnels de développerune nouvelle pratique sociale qui tendvers une forme de développement social.Les habitants se sont approprié ladémarche et vont jusqu’à questionnerl’appellation de ce projet dans lequel,par exemple, le mot santé les inter-pelle… » dit un des professionnels tra-vaillant sur le projet. Aujourd’hui, lesanimateurs-habitants s’organisent defaçon quasi autonome.

Mais, pour faire que chacun trouvesa place dans le projet, il a fallu que lesprofessionnels soient dans une attitudede mise en compétences des habitants,dans une posture professionnelle où ilssont passés d’experts à partenaires, lais-sant place aux habitants, sans toutefoisles mettre en danger.

L’environnement politique et structurel

Enfin, il est aujourd’hui avéré queles démarches communautaires ont unimpact sur l’environnement politiqueet structurel de la santé et peuventaboutir à la création de structures oude mécanismes facilitant l’accès auxsoins (notamment structures ou prati-ciens acceptant la CMU). De plus en

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plus d’élus communaux ou d’institu-tions facilitent les démarches commu-nautaires de santé1 ; c’est, entre autres,qu’ils ont pris conscience que cesdémarches avaient un rôle potentielimportant en matière d’amélioration dela santé de la population.

Ces exemples montrent de quellefaçon les démarches communautairesen santé peuvent contribuer à réduireles inégalités sociales de santé. En effet,elles donnent aux personnes lesmoyens d’agir sur leur santé et plus glo-balement sur leur territoire et rendentles contextes individuels, profession-nels et politiques locaux plus favorablesà la santé. Mais rappelons qu’elles nepeuvent pas se substituer à une poli-tique générale sanitaire et sociale quiaurait aussi comme objectif la réductiondes inégalités de santé.

Et on peut conclure avec une citationd’Albert Jacquard, qui demeure d’ac-tualité : « Quelles que soient les diffé-rences de taille, de couleur ou de statutsocial, chacun doit avoir accès, sansrestriction, à la possibilité de se cons-truire... La fonction première d’unesociété est d’éduquer, c’est-à-dire defaire prendre conscience à chacun qu’ilpeut se choisir un destin et s’efforcer dele réaliser... Il ne s’agit pas de fabriquerdes hommes tous conformes à unmodèle, ayant tous appris les mêmesréponses, mais des personnes capablesde formuler de nouvelles questions. » (3)

Perrine Lebourdais

Consultante et formatrice,

Institut Renaudot, Paris.

1. Cf. notamment l’association « Élus, santé publiqueet territoires ».

Une recherche-action « Évaluation de l’impactde démarches communautaires sur trois déterminants de santé »

Démarrée en 2006 avec le soutien de l’INPES, la recherche-action « Évaluation de l’impact dedémarches communautaires sur trois déterminants de santé » vise à construire une démar-che d’évaluation partagée permettant de montrer que la santé communautaire contribue àune meilleure santé globale des populations.Pour conduire ce travail, treize démarches communautaires réparties sur l’ensemble du terri-toire français sont accompagnées par l’Institut Théophraste-Renaudot pour : – élaborer une culture commune de l’évaluation dans une démarche communautaire ;– coconstruire une méthodologie d’évaluation de leurs démarches communautaires en santé ;– évaluer, avec chaque équipe projet, leurs propres démarches et les impacts observés.Après deux ans de mise en œuvre, les équipes projets participant à la recherche-action ont : – construit les critères d’évaluation qu’elles souhaitaient observer ;– élaborer les indicateurs qui permettront d’évaluer ces critères ;– construire les outils d’évaluation et la méthode d’utilisation de ces outils ;– prétester ces outils, pour certaines équipes projets.L’évaluation de la recherche-action elle-même que nous pouvons commencer à faire mettre enévidence : – qu’une culture commune de l’évaluation est en train de se construire au sein des équipesprojets : « On a réfléchi ensemble, avec l’équipe, à la grille », « la démarche est maintenantpartagée avec le bureau de l’association », etc.– que les équipes projets travaillent davantage à valoriser leurs actions à travers différentsévénements : Journées nationales de la prévention 2008, 5es Rencontres de l’Institut Renau-dot, etc.

◗ Référencesbibliographiques

(1) Charte d’Ottawa pour la promotion de lasanté. Organisation mondiale de la santé,1986.(2) Les repères dans leur intégralité sontdisponibles sur le site Internet de l’InstitutRenaudot : http://www.institut-renaudot.fr/resources/Microsoft+Word+-+Rep$C3$A8res+Sepsac +2008.pdf(3) Jacquard A. L’égalité comme source derichesse. Le Monde diplomatique, mai1988 : p. 19.

Pour promouvoir la santé d’une communauté gitane en situation de grande précarité àPerpignan, les professionnels ont fait du porte-à-porte afin de « recruter » des femmeset bâtir avec elles un programme répondant à leurs besoins. L’évaluation du dispositifmis en place – ateliers santé/mieux-être, cours d’alphabétisation, etc. – démontre sonimpact positif, grâce en particulier au travail d’une « animatrice santé » sur le quartier.Il reste notamment à améliorer l’ouverture de la communauté sur l’extérieur.

Depuis 2001, des ateliers santé endirection de la communauté gitane ontété mis en place dans le quartier duNouveau Logis–Les Pins, à Perpignan.Le comité départemental d’éducationpour la santé des Pyrénées-Orientales(Codes 66) pilote ce projet aux côtés deshabitants à la recherche de leur « mieux-être ». À partir d’une démarche partici-pative de promotion de la santé, l’ob-jectif est de rendre ces citoyens acteursde leur propre santé en respectant leursspécificités culturelles (représentationsde la santé, rythme de vie, etc.).

À la suite de l’expression des besoinspar les habitants, diverses actions ontété réalisées sous forme d’ateliers abor-dant la question de la santé notammentdans son rapport au corps (aquagym,cuisine, parcours santé sport), l’alimen-tation (informations sur la diététique etateliers cuisine) et un atelier d’alpha-bétisation. La question du rapport àl’autre, le « non-gitan », a été expriméedans le souhait de le découvrir et departiciper au changement des repré-sentations sur la communauté gitane.

À l’origine de cette action, le comitéa présenté un projet, en 2000, dans lecadre du contrat de ville, la santé enétant un axe prioritaire ; il intervientdans le cadre d’un partenariat réunis-sant le centre social, les associations,le conseil général (maison sociale dudépartement Nord), la caisse d’alloca-tions familiales, la caisse primaired’Assurance Maladie, l’office publicd’habitations à loyer modéré.

Les actions menées auprès des fem-mes du quartier ont exigé un travailinscrit dans la durée et une démarchede concertation entre les acteurs locauxet les habitants.

Sédentarisation forcéeDans les années 1970, l’urbanisation

rapide de Perpignan a conduit à l’ex-pulsion des familles gitanes qui vivaientdans des baraquements ; ces familles ontété relogées sur place mais exclues denombre de services collectifs urbains :pas de commerces, pas de servicespublics de proximité. Ancrées sur ce ter-ritoire depuis plus de trente ans, ellesvivent globalement repliées sur leurfonctionnement communautaire ; ellesne souhaitent pas quitter le quartier etcontinuent de s’installer dans des cara-vanes attenantes aux maisons.

Ces familles sont en situation degrande précarité, ce qui renforce leurexclusion et leur stigmatisation vis-à-visdes autres habitants de la ville de Per-pignan : 88 % de la population sontbénéficiaire des minima sociaux, 83 %des allocataires de la caisse d’allocationsfamiliales vivent en dessous du seuil depauvreté (moins de 734 euros). Le quar-tier possède une démographie spéci-fique avec une part de la populationjeune importante (56,3 %).

Au niveau communal, l’ouverture,en 2001, d’un centre social dans cequartier concrétise la volonté de la villede Perpignan de réduire les inégalitéssociales entre quartiers et d’être plus

proche des attentes et des besoins deshabitants.

Action coconstruiteavec les habitantes

L’animatrice santé du Codes 66 s’ap-puie sur une démarche anthropolo-gique qui intègre une approche glo-bale de la personne en tenant comptede la dimension interculturelle. Entrerdans le monde de l’autre nécessite unengagement individuel, une capacité àmettre de côté ses propres références.

En termes de méthodologie d’inter-vention en direction de la population,la démarche du porte-à-porte a éténécessaire, dans une première étape,afin de mobiliser et d’impliquer plu-sieurs femmes. Un travail avec cegroupe de femmes a permis de mieuxcibler les attentes individuelles et dedéfinir de manière prioritaire lesbesoins collectifs. Les résultats de cesréflexions ont été présentés auxconjoints des participantes et aux hom-mes influents de la communauté pourles engager dans les prises de décisionsliées à l’action.

Depuis maintenant plus de huit ans,des ateliers santé, parcours santé, séan-ces d’aquagym, ateliers de cuisine, ainsique des cours d’alphabétisation sontsuivis régulièrement par ces femmes àun rythme hebdomadaire. La finalité deces ateliers collectifs est de construiredu sens et de favoriser des démarchesindividuelles ; un dialogue s’est instauréentre femmes sur les problèmes de

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Perpignan : des ateliers santépour la communauté gitane

37LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

santé rencontrés, et les comportementsde chacune face à ces problèmes sontéchangés, des informations santé sontapportées et discutées et des choix entermes de démarches collectives ouindividuelles sont mis en œuvre. La pré-sence régulière de l’animatrice santé surle quartier facilite les démarches indi-viduelles et permet un meilleur accèsdes habitants aux soins.

Impacts observés sur lesinégalités sociales de santé

Ce projet fait l’objet d’une évaluationcontinue, avec le soutien de l’InstitutRenaudot depuis 2006. Il en ressort leséléments suivants : – sur le plan individuel et familial : l’ac-tion a apporté aux populations unemeilleure connaissance de leur corps,des pathologies chroniques et du sys-tème de santé ; un accès amélioré audépistage et aux soins ; un rapportdédramatisé à la maladie ; une com-préhension accrue des traitementsmédicamenteux qui a permis unebaisse significative de la consommationd’antidépresseurs et une observancedavantage respectée ; une prise deconscience et un changement des habi-tudes alimentaires avec notamment uneperte de poids chez certaines femmes ;– sur le plan de la communauté : uneaffirmation de soi plus forte des fem-mes avec des prises de parole enpublic ; les femmes sortent davantagedu quartier ; les besoins communau-taires sont formulés (via l’accès à la lec-ture, l’écriture). Les hommes exprimentdes demandes (par exemple, enmatière d’addictions) ;– sur l’environnement social local : le lien social s’est développé au sein du quartier avec une nouvelle mixitéculturelle (notamment rapprochementavec les femmes maghrébines), un pro-jet avec des habitantes d’autres quar-tiers a aussi été mis en place.

Mieux-être et émancipationL’impact le plus marquant du pro-

gramme est que les femmes sontaujourd’hui force de proposition, ellesréclament la poursuite et l’évolution desateliers, et reconnaissent les bienfaits del’action sur leur santé générale. L’éva-luation montre, en outre, que leurmieux-être rejaillit sur les enfants, lecouple et plus largement sur les rela-tions infracommunautaires et extra-communautaires. « Avec les atelierssanté, on peut faire autre chose que le

ménage et s’occuper des enfants, onpeut penser à nous, on se voit et on estfières de nous », « On s’ouvre au mondecomme des roses », témoignent Gigi etValérie, participantes aux ateliers santé.« Depuis que ma femme participe auxateliers santé, elle est plus détendue etmoins stressée à la maison », expliqueVincent, mari de Sandra.

Ce mouvement de mieux-être etd’émancipation des femmes accompa-gne une prise de conscience commu-nautaire d’un besoin d’ouverture surl’extérieur. La santé communautairerecouvre l’idée de responsabilité com-munautaire de la santé. Elle ne doit pasêtre vécue comme un repli, mais aucontraire comme une ouverture sur l’ex-térieur par l’engagement de multiplespartenaires dans les projets définis, réali-sés et évalués par les membres de lacommunauté. La demande des femmesà l’accès à la lecture et l’écriture participeà cette envie et à ce besoin de s’inscrireautrement dans la société. La barrière del’alphabétisation accentue le mal-être etconstitue un véritable obstacle à unedémarche d’émancipation et d’autono-mie ; cette attente des femmes est unsigne qui mesure leur chemin parcourumais qui également encourage les pro-fessionnels à poursuivre leur soutien etleur accompagnement auprès de cettecommunauté.

InterculturalitéLa « longévité » de cette action repose

également sur son ouverture à d’autreshabitantes issues des quartiers environ-nants afin de favoriser la mixité sociale.Ce travail sur les liens extracommu-nautaires permet de développer unedémarche qui n’appartient pas exclusi-vement à la communauté gitane maisqui intègre l’interculturalité comme fac-teur essentiel de perspective d’évolu-tion du projet. Ce travail est mis enœuvre, depuis 2007, sur deux autresquartiers du Haut-Vernet : Peyrestorteset Saint-Louis-de-Gonzague, ce dernierregroupe des populations de six cultu-res différentes dont la culture gitane.

En conclusion, cette action de pro-motion de la santé se poursuit et estinscrite dans la convention triennale2007-2009, dans le cadre du contraturbain de cohésion sociale (Cucs) gérépar la ville de Perpignan, en lien désor-mais avec l’atelier Santé-Ville récem-ment créé à Perpignan.

Catherine Oustrière

Directrice,

Karine Briot

Chargée de mission,

Martine Kempfer

Animatrice santé,

comité départemental d’éducation pour

la santé des Pyrénées-Orientales, Perpignan.

L’accès aux soins et à la prévention fait partie des déterminants sociaux de la santé. Sileur rôle dans l’amélioration de la santé de la population est discuté, il n’en reste pasmoins que l’accès aux soins et à la prévention pour tous est une mesure d’équité sociale.Dans le cas contraire, s’il existe des difficultés d’accès primaire ou secondaire, commele montre Pierre Lombrail, le système peut créer ou aggraver les inégalités.

L’analyse historique de l’améliora-tion de l’état de santé des populations,dans un groupe de pays à niveau éco-nomique équivalent, semble montrerque la contribution du système de soinsserait modeste. Bien qu’il soit difficilede chiffrer ce constat, le rôle serait entout cas très inférieur à celui joué parl’amélioration des conditions de vied’un point de vue économique et social.Quelle que soit la part réelle de sonapport, l’utilité des soins et de la pré-vention n’est cependant pas contestéeet leur accès constitue l’un des droitsfondamentaux des personnes.

D’ailleurs, même les pays les plusavancés en termes de stratégies de luttecontre les inégalités sociales de santéincluent dans celles-ci la mobilisation dusystème de soins, notamment pour dessoins primaires et la mise en œuvre d’ac-tions de prévention. Il est en effetincontestable que des actions de pré-vention ont fait la preuve de leur effica-cité dans de nombreux domaines : vac-cination, dépistage de cancers (du seinou du côlon, par exemple), repérage etintervention brève auprès des buveursexcessifs, etc. En 1994, dès son premierrapport sur la santé en France, le HautComité de la santé publique estimaitqu’un tiers des morts évitables pouvaientêtre attribuées à un défaut de préventionmédicalisée ou à des dysfonctionne-ments dans sa mise en œuvre. La Francea la particularité d’avoir un taux élevé demortalité dite prématurée évitable,notamment pour les hommes. Cettesituation a été analysée à ce jour commelargement imputable à des comporte-ments individuels à risques. Mais cetteanalyse a pour inconvénient majeurd’occulter la prise en compte des déter-

minants sociaux de ces comportements.Malgré tout, la réduction de la morta-lité évitable n’est qu’un des enjeux del’accès à des soins préventifs de qualité.En effet, si l’on considère d’autres indi-cateurs comme la morbidité, le niveaud’incapacité, la qualité de vie desmalades chroniques ou le bien-être dechacun, un inégal accès à des soins deprévention peut générer ou aggraver lesinégalités.

Un inégal accès au système de soins peut être générateurd’inégalités

L’accès aux soins peut être définicomme « l’utilisation en temps utile desservices de santé par les individus oules groupes de façon à atteindre lemeilleur résultat possible en termes desanté ». Cet accès peut concerner l’ac-cès primaire ou l’accès secondaire auxservices de santé. On parle d’accès pri-maire pour désigner la première entréedans le système de soins. L’accès secon-daire désigne la façon structurellementdéterminée dont se déroulent les soinsaprès un premier contact. Dans lesdeux cas, des inégalités peuvent secréer ou s’aggraver.

Les inégalités d’accès primaireaux services de santé sont demieux en mieux documentées…

En effet, des résultats d’enquête ontclairement montré des inégalités derecours aux soins selon les catégoriessocioprofessionnelles. Les inégalités desoins préventifs selon le niveau d’édu-cation sont documentées de longuedate en population par les divers Baro-mètres santé de l’INPES (1). Le recourssocialement différencié aux soins degénéralistes ou de spécialistes est en

lien avec le niveau de diplômes ou lasituation professionnelle de la per-sonne, et cela est particulièrement mar-qué en France, selon une étude com-parative sur treize pays européens (2).Les personnes recourent d’autant plusfréquemment aux soins spécialisésqu’elles ont un niveau d’études élevéou un emploi non manuel.

D’autres inégalités manifestes d’ac-cès primaire existent dans notre pays dufait d’un ensemble de facteurs : soit parméconnaissance du besoin (exemple :ne pas savoir que certains vaccinsnécessitent des rappels pour en main-tenir l’efficacité) ; soit en raison d’unecroyance limitée dans l’efficacité desmesures préventives (3, 4) ; soit parrenoncement à des soins pour de mul-tiples raisons (administratives, finan-cières, psychologiques ou culturelles)qui se cumulent chez les personnes ensituation de séjour irrégulière (5) ; soitpar refus de soins de la part de certainsprofessionnels (exemple du refus desoins à des patients bénéficiaires de laCMU) (6).

…alors que les inégalitésd’accès secondaire sont plusméconnues

Les difficultés secondaires d’accèsaux services de santé peuvent être caté-gorisées en fonction de deux ordres demécanismes : les inégalités dites « paromission » et celles dites « par construc-tion » (7). Elles relèvent toutes les deuxde l’incapacité du système de soins àappréhender la dimension sociale desproblèmes de santé.

Les inégalités secondaires par omis-sion sont liées, de manière non inten-

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Soins et prévention : un levier majeurpour réduire les inégalités

39LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

tionnelle, au fonctionnement même dusystème de soins : soit par non-recon-naissance d’un besoin de soins, soit parnon-satisfaction de ce besoin lors de sareconnaissance. Dans un cas, elles sem-blent résulter d’une attention moinsgrande portée aux besoins de préven-tion des populations en situation de vul-nérabilité. Ce qui entraîne une moindreproposition de la part du profession-nel pour encourager au dépistage, parexemple. Dans d’autres cas, elles peu-vent résulter d’un défaut de coordina-tion. Le besoin est reconnu mais ren-voyé sur l’intervention d’un autreprofessionnel, ou ne se traduit pas parune réponse immédiate du profession-nel pour y remédier. Le patient étantlaissé seul dans cet « entre-deux ». Lesoccasions manquées d’intervention, leplus souvent inconsciemment de la partdu professionnel, sont réelles. Les pro-fessionnels sous-estiment le rôle de rat-trapage qu’ils pourraient jouer en soi-gnant, rattrapant ainsi les opportunitésperdues.

Divers travaux de recherche sem-blent corroborer ces hypothèses. Enmédecine générale, tous les patients nebénéficient pas de la même façon desprogrammes de prévention. Des diffé-rences liées au niveau d’éducationapparaissent ; elles ne s’expliquent pastoujours par la seule approche cultu-relle ou par le rapport de la personneà sa santé. Lors d’un audit sur le dépis-tage individuel du cancer du sein, il aété observé que les femmes âgées,d’origine migrante ou moins éduquées,y sont moins intégrées (8) (Ndlr : unconstat partagé par le programme deSeine-Saint-Denis présenté dans cenuméro, pages suivantes).

Par ailleurs, certains professionnelsne s’engagent pas dans un processusde soins, malgré la reconnaissanced’un problème, car ils ont un sentimentd’efficacité limité dans ces situations,comme par exemple dans le cas deconduites addictives (9, 10). Les rai-sons sont complexes et relèvent pro-bablement autant de la représentationque les médecins se font de leurs mis-sions, de leur préparation à les exerceret de leurs conditions d’exercice (11).Renverser la situation suppose unensemble de mesures dont la diversitéet la complexité expliquent qu’ellestardent à se mettre en œuvre. Celaimplique de créer les conditions

d’exercice favorables, probablementdans le cadre d’équipes pluriprofes-sionnelles, avec des mesures incitati-ves appropriées (la Société françaisede santé publique – SFSP – suggère deconfier aux médecins qui le souhaitentun mandat de santé publique qui pour-rait couvrir ces activités préventives)(12). Mais cela suppose aussi de chan-ger de paradigme, pour passer d’unemédecine clinique fondée sur la pri-mauté du curatif à une médecine quiprendrait en compte les besoins desoins préventifs et l’environnementsocial des personnes.

Il faut donc encourager le dévelop-pement de programmes de santé orga-nisés pour l’ensemble d’un groupe depopulations à risque, en raison de leursituation socio-économique, sans tom-ber dans la stigmatisation de ces popu-lations, d’autant que la capacité de cer-tains de ces programmes à réduire lesinégalités d’accès au dépistage du can-cer semble avérée (13).

Les inégalités que l’on pourrait qua-lifier « par construction » s’observentdu fait de l’absence de prise en comptedes inégalités sociales de santé dansl’élaboration de certains programmesinstitutionnels ou recommandations depratiques (14, 15). Les inégalités desoins préventifs par construction relè-vent elles aussi d’un déterminismemultiple.

Elles sont liées à la constructionmême de notre système de soins, mar-qué par une orientation curative domi-

nante, par des cloisonnements multiples(16, 17) et l’absence de responsabilitédes professionnels quant à l’état desanté d’une population donnée, contrai-rement à certains pays (exemple du rôledu médecin généraliste dans le Natio-nal Health Service – NHS – en Angle-terre). De plus, les dispositifs d’évalua-tion des performances du système desoins sont généralement totalementaveugles sur la prise en compte de laquestion sociale et des inégalités qui enrésultent sur la santé.

Plus généralement et à titre d’exem-ple, les inégalités géographiques del’offre de soins sont « constructrices »d’inégalités d’accès aux soins et à la pré-vention, ce qui remet en cause l’équitésociale. Elles frappent plus particuliè-rement certaines régions françaises,avec un gradient Nord-Sud pour la den-sité de professionnels médicaux,notamment spécialistes, au détrimentdes régions du Nord. Mais elles tou-chent tout autant certains quartiers desgrandes villes. Les « zones urbaines sen-sibles » (Zus) peinent à conserver uneoffre de soins in situ, avec des consé-quences qui commencent à peine àfaire l’objet d’études rigoureuses (18).Cette situation risque de s’aggraver avecla contraction des ressources humaines,notamment médicales, et les difficultésde financement de la protection sociale.

C’est l’occasion de rappeler, en guisede conclusion, les termes de l’avis 101du Comité consultatif national d’éthiquepour les sciences de la vie et de la santé(19). Il affirmait clairement que « les

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objectifs du système de soins [hospita-liers] sont en particulier (…) de contri-buer à réduire les inégalités d’accès ausystème de santé qui pourraient releverde l’appartenance à une région, à uneclasse d’âge, à une catégorie socio-professionnelle ou à une grande préca-rité ». Cependant, à ce jour, la prise encompte des critères de vulnérabilité oudes déterminants sociaux de la santén’est pas l’approche dominante dans lesystème de santé. Ne faut-il pas dès lorss’interroger – dans un souci d’équitésociale – sur l’opportunité de pratiquerune forme de discrimination positive ausein du système de santé, sur des baseséthiques évaluables ?

Pierre Lombrail

Professeur de santé publique, directeur,

Pôle d’information médicale d’évaluation et

de santé publique, laboratoire de santé

publique et d’épidémiologie,

hôpital Saint-Jacques, CHU de Nantes.

(1) Gautier A. Baromètre santé médecins/phar-maciens 2003. Saint-Denis : INPES, coll. Baro-mètres santé, 2003 : 276 p.(2) Jusot F., Or Z., Yilmaz E. Inégalités derecours aux soins en Europe : quel rôle attri-buable aux systèmes de santé. In : « XXIXes

Journées des économistes de la santé fran-çais ». Université catholique de Lille, 6-7 dé-cembre 2007. Paris : CES, 2007 : 23 p.En ligne : http://www.ces-asso.org/Pages/communications_JESF2007.htm(3) Lang T., Arveiler D., Ferrières J., et al.Connaissances, croyances et pratiques décla-rées des Français en matière de préventioncardio-vasculaire. Rev. Épidemiol. Santépublique 2001 ; 49 : 239-48.(4) Brixi O., Lang T. Comportements. In :Leclerc A., Fassin D., Grandjean H., Kaminski M.,Lang T. Les inégalités sociales de santé. Paris :La découverte, Inserm 2000 : 448 p.(5) Boisguérin B., Haury B. Les bénéficiairesde l’AME en contact avec le système de soins.Drees : Études et résultats n° 645, juillet2008 : 8 p.(6) Desprès C. La couverture maladie univer-selle : des usages sociaux différenciés. Sci.Soc. Santé 2005 ; 23 : 79-110.(7) Lombrail P., Pascal J., Lang T. Accès au sys-tème de soins et inégalités sociales de santé :que sait-on de l’accès secondaire ? Santé,

société et solidarité 2004 ; 2 : 61-71.(8) Aubert J.-P., Falcoff H., Florès P., Gilberg S.,Hassoun D., Petrequin C., Van Es P. Dépistagemammographique individuel du cancer dusein. Revue du praticien – médecine générale1995 ; 9(300) : 40-51.(9) Pouchain D., Huas D., Druais P.-L., Wolf B.,Pas L. Implication des médecins généralistesdans la prévention. Revue du praticien – méde-cine générale 1998 ; 12 : 31-7.(10) Aulagnier M., Videau Y., Combes J.-B., etal. Pratiques des médecins généralistes enmatière de prévention : les enseignementsd’un panel de médecins généralistes en Pro-vence-Alpes-Côte d’Azur. Prat. Organ. Soins2007 ; 38 : 259-68.(11) Pelletier-Fleury N., Le Vaillant M., Hebbrecht G., Boisnault P. Determinants ofpreventive services in general practice. A mul-tilevel approach in cardiovascular domain andvaccination in France. Health Policy 2007; 81:218-27.(12) Société française de santé publique. Desmissions de santé publique pour les médecinsgénéralistes. Rapport consultable sur le sitede la SFSP : http://www.sfsp.info(13) Baudier F., Michaud C. Le dépistage descancers : entre organisation et libre choix. In :Beck F., Guilbert P., Gautier A. (dir.). Baromè-tre santé 2005. Saint-Denis : INPES, coll. Baro-

mètres santé, 2007 : 299-316.(14) Lang T. Ignoring social factors in clinicaldecision rules: a contribution to health inequa-lities? Eur. J. Public Health 2005; 15: 441.(15) Dans A.M., Dans L., Oxman A.D., et al.Assessing equity in clinical practice guidelines.J. Clin. Epidemiol. 2007; 60: 540-6.(16) Flajolet A. Rapport de la Mission au profitdu gouvernement relative aux disparités terri-toriales de prévention sanitaire. Paris : LaDocumentation française, coll. des rapportsofficiels, 2008 : 249 p.(17) Ritter P. Rapport sur la création des Agen-ces régionales de santé (ARS) présenté àMadame Roselyne Bachelot-Narquin, ministrede la Santé, de la Jeunesse, des Sports et dela Vie associative. Paris, janvier 2008 : 60 p.En ligne : http://www.academie-medecine.fr/UserFiles/File/rapports_thematiques/politique(18) Chauvin P., Bazin F. Santé et recours auxsoins dans cinq zones urbaines sensibles d’Ile-de-France. In : Chauvin P., Parizot I. (dir.), avecla collaboration de S. Revet. Santé et recoursaux soins des populations vulnérables. Paris :Inserm, coll. Questions en santé publique,2005 : 17-37.(19) Comité national d’éthique. Avis n° 101 :santé, éthique et argent : les enjeux éthiquesde la contrainte budgétaire sur les dépensesde santé en milieu hospitalier.

◗ Références bibliographiques

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Le conseil général, l’Assurance Maladie, les professionnels de la santé et des représen-tants des usagers ont lancé, en 2000, un programme de dépistage organisé du cancerdu sein dans le département de la Seine-Saint-Denis. Puis, en 2004, à Bondy, un parte-nariat avec des relais médicaux et sociaux de proximité a été mis en place dans lecadre d’un projet de promotion de la santé et deux visiteurs de santé publique ont étérecrutés. Si le dépistage a effectivement progressé, une grande difficulté subsiste : 25 %des femmes restent à l’écart du dispositif en dépit des efforts mis en œuvre.

Comment, dans des quartiers défa-vorisés, amener des femmes vers ledépistage du cancer du sein ? En Seine-Saint-Denis, un programme d’éducationpour la santé de proximité est mis enœuvre à partir de la commune deBondy. Dans ce département, la sur-mortalité liée au cancer du sein est de6 % par rapport au niveau national. Lesétudes montrent que la participationaux mammographies est basse dans lespopulations de femmes à revenu,niveau de scolarité et suivi médical fai-bles. D’où la volonté politique dudépartement de créer avec ses parte-naires, en 1999, une structure de ges-tion du dépistage des cancers, l’Arde-pass, puis un groupement d’intérêtpublic, le comité départemental descancers, soit quatre ans avant la géné-ralisation du dépistage organisé du can-cer du sein en France. Objectif : pro-poser, tous les deux ans, un dépistageorganisé du cancer du sein gratuit et de qualité aux femmes âgées de 50 à74 ans. Et atteindre un taux de partici-pation de 70 % afin de réduire la mor-talité de manière significative.

Programme pilote à BondyMalgré la gratuité, une importante

proportion de femmes ne participe pasau dépistage organisé. Une recherche-action a été menée à Bondy à partir de2004 pour trouver une autre façon decontacter et sensibiliser ces femmes :formation de femmes-relais, des pro-fessionnels de santé et de l’actionsociale, des associations de proximité etdes habitants dans une logique de par-ticipation. Pour répondre à l’objectif

d’adaptation de la communication versle public, une vidéo a été créée, utilisantle mode de communication oral, domi-nant dans ces quartiers. Dans le cadred’un projet financé par le programmerégional de santé publique (PRSP), cettedémarche participative est étendue,depuis 2007, à quatre autres communesdu département (Le Blanc-Mesnil, Bobi-gny, La Courneuve et Stains).

Ce programme pilote de Bondy(phase 2004-2005, mais le suivi du pro-jet se poursuit) a délivré nombre d’en-seignements, parmi lesquels : – les relais ont une capacité d’actionparfois limitée dans un contexte difficileet complexe (moyens, temps, sollicita-tions nombreuses, etc.) ;– en revanche, l’engagement de quel-ques habitantes a été fort, il s’est tra-duit par la création d’un collectif intitulé« Soleil Santé » qui existe toujours ; cesmêmes habitantes se sont impliquéesdans une démarche communautaire enallant à la rencontre des femmes de leurquartier ou en apportant leur expé-rience à des professionnels ou à deshabitantes impliquées dans d’autrescommunes qui veulent s’inscrire dansune démarche similaire ;– la formation-action mise en œuvrelors de ce projet auprès de tous lesacteurs volontaires a permis un renfor-cement des compétences et de l’imagede soi des habitantes, mais aussi desprofessionnels.

Des visiteurs de santé publiqueParallèlement à cette action menée à

Bondy, deux visiteurs de santé publique

ont été recrutés au niveau du départe-ment ; leur mission : rencontrer sur leterrain les professionnels médicaux etparamédicaux, ainsi que les structuressociales et associatives de proximitéavec trois objectifs : – intégrer les femmes éloignées des pra-tiques de dépistage ;– inclure dans le dépistage organisé lesfemmes utilisant le dépistage individuel ;– fidéliser les femmes se trouvant déjàdans le dispositif.

Ils utilisent des outils ad hoc crééspar la structure de gestion souvent enpartenariat avec les acteurs locaux et leshabitants : la vidéo, issue du projet deBondy, destinée aux relais de proximitéainsi que des diaporamas très visuelsafin de vulgariser l’information sur lecancer du sein et le dépistage organisé ;des outils d’aide à la prescription pourles médecins traitants ; un ouvrage desoutien méthodologique sur l’expé-rience de promotion de la santé àBondy à destination des autres com-munes, etc.

Entre 2004 et 2007, les visiteurs desanté publique ont rencontré millemédecins et autres professionnels dela santé, mille cinq cents professionnelsdu champ bénévole et social (voirencadré p. 42) dont un tiers (horsmédecins) ont participé à des ateliers deformation-action.

Bilan et évaluationEn 2000, quand la commune de

Bondy a démarré le dépistage organisé,comme dans le reste du département,

Cancer du sein : accompagner les femmes vers le dépistage

42 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

environ 57 % des femmes seulementbénéficiaient d’un dépistage mammo-graphique adéquat. En 2001, après unepremière campagne, le dépistage orga-nisé a inclus 25 % de femmes (dont 7 %qui venaient d’un dépistage individuelet 18 % sans dépistage adéquat, c’est-à-dire non dépistées ou avec des dépis-tages trop espacés dans le temps pourêtre efficaces). Il restait donc 25 % defemmes sans dépistage adéquat. Mêmesi, au fil des campagnes suivantes, lastructure de gestion a réussi à inclure46 % des femmes concernées (en 2007)en gagnant du terrain sur le dépistageindividuel, le pourcentage de femmesen dehors du dépistage, lui, stagne tou-jours autour de 24 %.

Une évaluation du programme a étéréalisée, commune par commune,avant et après le passage des visiteursde santé publique. Outre les résultatsprésentés ci-dessus, elle indique un bonniveau de « fidélisation », le taux derenouvellement de la mammographieest en effet meilleur après l’action pourles femmes qui sont entrées dans ledépistage organisé. Globalement, l’ob-jectif de départ – dépistage organisé de

qualité pour 70 % des femmes – n’a pasété atteint même si le dépistage orga-nisé a notablement progressé. La par-tie qualitative de l’évaluation montreune action plutôt positive des relaissociaux qui se déclarent satisfaits de laformation qu’ils ont reçue et une bonnemise en pratique (quantitative et quali-tative) de ce savoir auprès de la popu-lation avec laquelle ils sont en contact.

En résumé, les résultats sont globa-lement positifs mais le dispositif n’a pasencore réussi à amener au dépistage cequart des femmes qui en sont le pluséloignées. Outre le faible suivi médicalet la vulnérabilité sociale et écono-mique, nous avons identifié d’autresfreins, liés à leurs peurs et appréhen-sions. L’un des moyens de surmonterces peurs est de les informer des béné-fices liés au dépistage organisé, à com-mencer par le taux de guérisons plusélevé. C’est l’enjeu majeur de la suite duprogramme : consolider la progressionglobale et trouver des moyens pouratteindre ces femmes qui restent horsdu dispositif. La réplication du projet deBondy vers d’autres communes dudépartement ainsi que le travail en pro-

fondeur et dans la durée mené par lesvisiteurs de santé publique auprès desrelais de proximité pour un meilleuraccompagnement vers le dépistage despopulations les plus éloignées montreque la structure de gestion continue demiser sur une obligation de moyensplutôt que sur une culture du résultat.

Youcef Mouhoub

Visiteur de santé publique,

comité départemental des cancers (CDC)

Seine-Saint-Denis.

Des visiteurs de santépublique qui sillonnentles quartiersDeux visiteurs de santé publique ont été recru-tés spécialement pour ce programme d’inci-tation au dépistage de cancer. L’un visite lesprofessionnels : médecins généralistes,gynécologues qui peuvent être prescripteursdu dépistage organisé, médecine du travail,radiologues, pharmaciens ; l’objectif estnotamment d’inciter ces professionnels àorienter les femmes vers le dépistage orga-nisé plutôt qu’en individuel. L’autre visiteurva essentiellement voir les professionnels dusocial (services sociaux, maisons de quartier)les femmes-relais, les associations commu-nautaires, d’alphabétisation, etc. Il entre aussien contact avec les femmes concernées parle dépistage (de 50 à 74 ans) pour qu’ellesdeviennent à leur tour relais de l’informationsur le dépistage organisé. Il travaille égale-ment avec les femmes plus jeunes qui peu-vent être des relais de second niveau, parexemple, les filles par rapport aux mères.Nombre de femmes concernées sont anal-phabètes et ne comprennent donc pas la let-tre d’invitation à faire la mammographie, dansce cas c’est donc très souvent la fille – ou lefils – qui lit le courrier pour sa mère. À Auber-villiers, l’une des communes où ce pro-gramme d’incitation au dépistage a étéétendu, on met en avant une autre difficulté :les hommes, qui peuvent être un frein à laréalisation de la mammographie dans lecadre du dépistage organisé car, si la femmene sait pas lire, « ils prennent souvent le cour-rier et le mettent à la poubelle ; ou les garçonsle lisent et n’osent pas en parler ». Une actiond’information destinée aux hommes a doncété mise en place à Aubervilliers ; une démar-che difficile et de longue haleine : à Perpignan(cf. article p. 36), quatre années ont éténécessaires pour impliquer les hommes dansle programme de prévention.

Y. M.

43LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

L’hôpital Avicenne, à Bobigny, accueille de nombreuses personnes migrantes ; des pro-fessionnels issus de l’immigration et ou migrants eux-mêmes y travaillent depuis long-temps. Avicenne est le maillon français d’un programme européen destiné à mieuxaccueillir les migrants pour faciliter l’accès aux soins et aux dispositifs de protectionsociale. La formation des équipes pour faciliter la compréhension et l’estime mutuellepatient-soignant et l’amélioration de l’interprétariat sont des axes forts d’action. Présentation par le professeur Antoine Lazarus.

Avicenne, hôpital universitaire situéen banlieue nord-est de Paris, a une his-toire singulière : construit dans lesannées 1930 et dénommé hôpital franco-musulman, il était destiné à l’accueil destravailleurs musulmans malades, notam-ment les tuberculeux. Une importantepartie des personnels recrutés jusqu’auxmédecins parlaient les langues d’Afriquedu Nord. Bien avant que les obligationslégales ne l’imposent, les repas prenaienten compte les interdits alimentaires. Laquestion de la mort à l’hôpital y avaitdéjà été pensée et l’hôpital possédait etadministrait un cimetière musulmanconstruit avec ses bâtiments de stylemauresque pour le logement des per-sonnels de garde et d’entretien. Il existetoujours mais est administré par la com-mune. De nombreux anciens combat-tants musulmans y sont enterrés.

Répondant aux demandes de lapopulation environnante il est devenul’hôpital de tous. Ce n’est plus le franco-musulman mais l’hôpital Avicenne, cen-tre hospitalier et universitaire avec envi-ron cinq cents lits. Il fait partie del’Assistance Publique–Hôpitaux de Paris.Les accueils aux urgences 24h/24 sonttrès importants et en croissance perma-nente. Il y a aussi un flux important deconsultants externes en ambulatoire.

L’hôpital reste encore très marqué parsa tradition avec une partie importantedes personnels qui y ont fait toute leurcarrière. Comme pour d’autres hôpitaux,une large partie des utilisateurs, et leursfamilles, vient des anciennes colonies

françaises. S’y ajoutent, venant dumonde entier, tous ceux que les diffi-cultés économiques et les guerres ontforcé à la migration. Dans les couloirs,dans les chambres des patients et auxconsultations cohabitent des personnesde tous les pays. Les gens cherchent,dans des langues différentes, les servicesoù trouver une personne hospitaliséedont ils ne connaissent pas toujours lenom de famille enregistré par l’adminis-tration quand il n’est pas le même quele nom coutumier par lequel les gens seconnaissent et se désignent entre eux.

Projet européen « Migrant friendly hospital »

L’hôpital Avicenne a été choisi pourêtre l’hôpital français du projet euro-péen Migrant Friendly Hospital (MFH)lancé en 2003 par le réseau OMS deshôpitaux promoteurs de santé, avec leconcours financier de la Commissioneuropéenne et du gouvernement autri-chien. Pour cet hôpital – déjà trèsconvaincu de l’importance de la priseen compte de la dimension culturellecomme facteur de succès pour l’accèseffectif aux services de santé, de mêmeque la faculté de médecine et les autreshôpitaux qui l’entourent –, ce pro-gramme a été l’occasion d’un importanttravail d’investigation, de réflexion surles pratiques habituelles des différentescatégories de personnels, de mise enadéquation des services offerts avec lesbesoins, demandes et problèmes despatients et de leurs familles ; mais aussides besoins et problèmes des servicespour atteindre leurs objectifs.

Conformément à l’exigence du pro-gramme, nous avons constitué ungroupe de pilotage, dirigé par le chef deservice des maladies infectieuses encharge également des enseignementsde la pathologie des voyages, le pro-fesseur Olivier Bouchaud (cf. La Santéde l’homme n° 392). Par avancées pro-gressives, il a fallu construire uneméthodologie d’identification des pro-blèmes y compris les plus difficiles puisformuler des propositions pour amé-liorer l’accueil des migrants et minoritésethniques dans notre hôpital. Parmi lesaxes de travail proposés dans le projetMigrant Friendly Hospital, nous enavons retenu deux : interprétariat-com-munication et formation des équipes1.

Développer l’interprétariatet la communication

En matière d’interprétariat, l’hôpital,comme d’autres en France, utilise unservice extérieur qui propose des tra-ducteurs par téléphone ou en face-à-face. Hormis son poids financier, cedispositif est bien adapté. Dans l’hôpitalmême, de nombreux personnels ontune culture familiale et linguistique quipermet la communication avec lespatients de même origine. Si l’on veutdépasser leur rôle informel, mieux uti-liser et valoriser leurs compétences,encore faut-il les identifier, avoir leuraccord et celui de leurs chefs pour qu’ilsjouent ce rôle même en dehors de leurservice. Il faut connaître et organiser leurdisponibilité. Cette activité doit êtresupervisée notamment pour garantir laplus grande neutralité possible de l’in-

Hôpital Avicenne : comment s’adapteraux patients migrants

44 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

terprète et de ses émotions, de ses opi-nions, parfois de ses pressions entre lemalade et le médecin. À l’hôpital Avi-cenne, la présence d’un service de psy-chiatrie ayant une longue compétenceen « psychiatrie interculturelle » permetde proposer des formations aux inter-prètes. Par ailleurs, souvent, des patientsse proposent et jouent le rôle d’inter-prète pour d’autres patients. Cette pra-tique très utile a été l’objet de réflexionset de mises en garde car elle pose desproblèmes de confidentialité. Elle estpotentiellement une porte d’entrée à desviolations de l’intimité des patients et dusecret médical. Cependant, pour la viequotidienne à l’hôpital, cette solidaritéentre les patients est très précieuse.

Formation des équipesaux « compétences culturelles »

Les opinions, remarques et représen-tations des usagers migrants ont étéapprochées à travers les représentantsd’associations issues de l’immigration etintervenant dans l’hôpital, d’ancienshospitalisés, parfois malades chroniques.Des interventions directes de patientsont eu lieu au cours de trois journéespubliques à thèmes qui ont réuni chaquefois plusieurs centaines de personnes :des professionnels, quelques patientsmais aussi de nombreux intervenants dequartiers, issus de l’immigration, média-teurs, aidants, animateurs de réseauxd’habitants. Y ont aussi participé desartistes et intellectuels2.

Le repérage des problèmescomme apprentissage continu

Sur le plan méthodologique, le plusdifficile – et en même temps le plusintéressant et nécessaire – est le repé-rage des problèmes (de qui, pour qui,pour quoi). Il amène à décaler lespoints de vue. Il oblige à prendre de ladistance par rapport à ses manières defaire. Quand les problèmes et questionsà résoudre sont bien clarifiés, énoncéset partagés, les solutions deviennentpossibles. Les professionnels habituésaux responsabilités sont alors trèsinventifs, de nombreuses propositionsd’actions ou de stratégies sont formu-lées. Dans la conduite du projet, il fautêtre attentif à ne pas se lancer immé-diatement dans des propositions d’ac-tions avant d’analyser les problèmessous leurs divers angles. Aller trop viterisquerait de ne répondre qu’aux pro-blèmes des professionnels eux-mêmes,appuyés sur leurs analyses et pratiques

habituelles et qui souvent n’ont toujourspas permis de résoudre les problèmes.

Améliorer les relations usagers-professionnels

Le travail de repérage des problè-mes, long, a été conduit par des grou-pes de travail rassemblant infirmiè-res/cadres infirmiers, médecins,administratifs, travailleurs sociaux,représentants des cultes, associationstravaillant dans et autour de l’hôpital.Le groupe de pilotage du projet a aussieu recours à quelques intervenantsextérieurs. Une étude menée par uninterne de santé publique a été conduite

avec les personnels d’accueil, personnespeu formées et parfois reclassées à ceposte pour leur procurer un travailmoins fatigant.

Ici aussi, nous avons pu constaterqu’il n’y a pas de changements réels quin’induisent des résistances et qu’il n’ya pas de résistances institutionnelles quise résolvent par un coup de baguettemagique… ou alors c’est souvent uneillusion fugace. Le travail est long et doitêtre soutenu à terme. Cela pose la ques-tion de l’après programme européen –limité dans le temps – et de son élar-gissement à d’autres hôpitaux.

45LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

Retenons pour conclure que si ce typed’initiative semble être faite spécifique-ment en direction des migrants, elle inter-roge beaucoup plus largement l’ensem-ble des relations et interrelations souventinsatisfaisantes entre, d’une part, les usa-gers du système de soin et de santé et,d’autre part, les professionnels et admi-nistratifs qui le conçoivent. Car, outre lesmigrants, il y a d’autres populations quel’on pourrait mieux accueillir, en les com-prenant mieux tout en leur permettant demieux comprendre. Il n’y a pas que lesmigrants qui ont des cultures – dans lerapport à la santé, à la maladie, les repré-sentations de ce qui est bon ou ne l’estpas – différentes de celles des profes-sionnels. L’observance des traitementset conseils éducatifs est améliorée si l’ons’appuie, avec les patients, sur ce qu’ilspensent et croient ; et si une relation d’es-time et de confiance mutuelle est établie.Mais ce constat n’est-il pas tout aussi vala-ble dans la plupart des secteurs de la viesociale ?

Antoine Lazarus

Professeur des universités,

praticien hospitalier, hôpital Avicenne,

département interhospitalier de santé

publique, médecine sociale,

université Paris-13.

Président du Codes de Seine-Saint-Denis.

1. Recommandations européennes : Déclarationd’Amsterdam pour des hôpitaux accueillant desmigrants dans une Europe marquée par la diversitéethnique et culturelle.2. Les thèmes de ces journées, qui ont eu beaucoupde résonances, ont été conçus comme une démarchede recherche et de formation mutuelle, d’échanges etd’apports de compétences entre nos différentes cultu-res. Les thèmes ont été le symbolisme du sang dans dif-férentes cultures (2003), vieillissement à l’étranger, ycompris les questions de la mort à l’hôpital et du retourou non du mort dans son pays natal (2004), la com-munication entre malades et soignants (2005).

Consultations itinérantesAutre approche dans le même département, complémentaire du travail effectué à Avicenne,l’« Homnibus » de l’hôpital Jean-Verdier, en Seine-Saint-Denis, est une consultation mobile pouraller au-devant des personnes « précaires » ayant besoin de soins médicaux et qui ne se manifes-tent pas. Ce bus se déplace dans les quartiers, se gare notamment devant des foyers de travailleursmigrants. L’équipe – médecins, infirmières et travailleurs sociaux – oriente, accompagne les per-sonnes malades vers une prise en charge médicale et sociale. Le bus joue un rôle d’invitation à laprise de contact ; il accueille anonymement et sans demande financière.

À souligner que le statut de cette « consultation hospitalière mobile » a été très difficile à établir,soulevant au départ de nombreuses résistances et difficultés. En particulier, le point d’équilibre aété délicat à stabiliser dans une équipe, réunissant des personnels soignants avec leur culturehospitalière, des médecins de ville exerçant des vacations et des travailleurs sociaux ayant uneexpérience de travailleurs de rue, tous désormais dotés d’un statut de personnel hospitalier.

La présence de travailleurs sociaux, la bonne articulation avec les dispositifs de l’AssuranceMaladie permettant d’apporter des solutions en termes d’accès aux droits sont des atouts majeurs.Aux endroits où il s’arrête régulièrement, la présence familière et sans conditions de l’Homnibuspermet des contacts progressifs, par petites touches, qui aident à faire émerger et à formulerdes demandes de soins ou de soutien. Cela permet entre autres à des femmes qui gardent seu-les leurs enfants d’avoir une information, un contact infirmier ou médical qu’elles n’auraient paspu aller chercher, n’ayant souvent pas les moyens de faire garder leurs enfants. À noter cepen-dant que les personnes les plus en difficulté sur le plan du VIH ou de la toxicomanie préfèrent s’adresser à des services de soins autres que l’Homnibus.

A. L.

• Caritas Europa. Migration, un voyage versla pauvreté ? Une étude de Caritas Europasur la pauvreté et l’exclusion des immigrantsen Europe. 3e rapport sur la pauvreté enEurope. Bruxelles : édition Caritas Europa2006 : 108 p.En ligne : http://www.caritas-europa.org/module/FileLib/Poverty2006FRweb.pdf• Conseil de l’Europe a. RecommandationRec(2006)17 du Comité des ministres auxÉtats membres sur les hôpitaux en transition :nouvel équilibre entre soins en établissementset soins de proximité (adoptée par le Comitédes ministres le 8 novembre 2006, lors de la979e réunion des délégués des ministres).En ligne : http://www.coe.int/t/dg3/health/recommendations_fr.asp• Conseil de l’Europe b. RecommandationRec(2006)18 du Comité des ministres auxÉtats membres sur les services de santé dansune société multiculturelle (adoptée par leComité des ministres le 8 novembre 2006,lors de la 979e réunion des délégués desministres).

• D’Halluin J.-P., Maury F., Petit J.-C., De Sin-gly C. Pouvoirs et organisations à l’hôpital. In :L’hôpital en mouvement. Revue Esprit, janvier2007 : 14-31.• Ilich I. Un facteur pathogène prédominant.L’obsession de la santé parfaite. Le Mondediplomatique, mars 1999 : p. 28.En ligne : http://www.monde-diplomatique.fr/1999/03/ILLICH/11802• Lazarus A., Abboub K. L’idéologie de la santécomme idéal du droit des migrants ? In : Caloz-Tschopp M.-C., Dasen P. (dir.). Mondialisation,migrations et droits de l’homme : un nouveauparadigme pour la recherche et la citoyenneté.Bruxelles : Bruylant, 2007 (1) : p. 331.• Ordre des médecins. Serment d’Hippocrateréactualisé. Le Bulletin de l’Ordre des méde-cins n° 4, avril 1996.• Sow A. « Quelles identités pour quelle inté-gration ? Immigration noire africaine ». In : Inté-gration et identité : ruptures et réconciliationsculturelles. Cahier de l’Uraca n° 10, 1999.En ligne : http://www.uraca.org/download/editing/cahiers/Uraca_cahier10.pdf

◗ Bibliographie

Cet article est extrait de la publication sui-vante : Lazarus A. Vers un système de soinsuniversel et adapté aux diversités : les bon-nes intentions de l’hôpital mises à l’épreuvepar ses utilisateurs migrants. In : Concilierbien-être des migrants et intérêt collectif :État social, entreprises et citoyenneté entransformation. Strasbourg : éditions duConseil de l’Europe, coll. Tendances de lacohésion sociale, n° 19, 2008 : 300 p.

Les inégalités sociales de santé résultent de l’ensemble des inégalités sociales qui structurent la société, et leur existence se tra-duit par un continuum, un gradient social des états de santé. C’est pourquoi nous avons choisi de ne pas orienter spécifiquementnotre recherche documentaire vers les documents abordant le thème des inégalités uniquement sous l’angle de la santé despopulations les plus vulnérables, de « l’exclusion », des marges de la société.La bibliographie présentée dans cette rubrique propose d’abord quelques ouvrages et articles généraux sur la problématique desinégalités sociales de santé. Une deuxième partie signale des documents présentant des données récentes ainsi que des élé-ments de méthode de mesure des inégalités de santé. La troisième partie indique des documents traitant des fondements etdéterminants des inégalités sociales de santé. Les ouvrages et articles référencés dans la dernière partie concernent les poli-tiques et actions mises en œuvre pour réduire les inégalités sociales de santé.Les adresses des sites Internet mentionnées ont été consultées et vérifiées le 01/09/2008.

◗ Bibliographie

Généralités• Aïach P., Fassin D., Jougla E., Rican S., Péqui-gnot F., Le Toullec A., et al. Les inégalités socia-les de santé : un dossier à rouvrir. La Revue dupraticien 2004 ; 54(20) : 2219-72.• Bihr A., Pfefferkorn R. Les inégalités socialesde santé. ¿ Interrogations ? 2008 ; (6) : 60-77.En ligne : http://www.revue-interrogations.org• De Koninck M., Fassin D., Ferland M., Pampa-lon R., Leclerc A., Niedhammer I., et al. Inégalitéssociales de santé [dossier]. Santé société et soli-darité : revue de l’Observatoire franco-québecoisde la santé et de la solidarité 2004 ; (2) : 5-210.• Lebas J., Salem G., Chauvin P., Berthod-Wurm-ser M., Bloch-Lainé J.F., Cazes C. Les inégalitéset disparités de santé en France. In : HautComité de la santé publique. La santé en France2002. Paris : La Documentation française,2002 : 163-243.En ligne : http://ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/024000152/index.shtml• Leclerc A., Fassin D., Grandjean H., Kaminski M.,Lang T. (dir). Les inégalités sociales de santé.Paris : La découverte, Inserm, 2000 : 448 p.

Mesurer les inégalités sociales de santé : méthodes et donnéesd’enquêtes• Atlan G. Les inégalités sociales de santé enIle-de-France. Paris : Conseil économique etsocial de la région Ile-de-France, 2007 : 147 p.En ligne : http://www.cesr-ile-de-france.fr/ (rapports et avis)• Cambois E., Jusot F., Leclerc A., Prouvost H.,Poirier G., Fernandez D., et al. Les inégalitéssociales de santé en France en 2006 : élé-ments de l’état des lieux. [Numéro thématique].BEH 2007 ; (2-3) : 9-28.En ligne : http://www.invs.sante.fr/beh/2007/ • Chauvin J., Lebas J. Inégalités et disparitéssociales de santé en France. In : Bourdillon F.,Brucker G., Tabuteau D. Traité de santé

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Pour en savoir plus

47LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

sociaux de la santé : les faits. Copenhague : Orga-nisation mondiale de la santé, 2004 : 40 p.En ligne : http://www.euro.who.int/document/e82519.pdf

Agir sur les inégalités sociales de santé• Commission des déterminants sociaux de lasanté (Organisation mondiale de la santé). Com-bler le fossé en une génération : instaurer l’équitéen santé en agissant sur les déterminantssociaux de la santé. Genève : OMS, 2008 : 36 p.En ligne : http://whqlibdoc.who.int/hq/2008/WHO_IER_CSDH_08.1_fre.pdf• Commission des déterminants sociaux de lasanté (Organisation mondiale de la santé). Versla mise au point d’un cadre conceptuel d’ana-lyse et d’action sur les déterminants sociaux dela santé. Genève : OMS, 2005 : 40 p.En ligne : http://ftp.who.int/eip/commision/Ca i ro/Mee t i ng/concep tua l%20f rame%20french.pdf• Couffinhal A., Dourgnon P., Geoffard P.-Y., Gri-gnon M., Jusot F., Lavis J., et al. Politiques deréduction des inégalités de santé, quelle placepour le système de santé ? Un éclairage européen. Première partie : les déterminants des inégali-tés sociales de santé et le rôle du système desanté. Questions d’économie de la santé 2005 ;(92) : 1-6.Deuxième partie : quelques expériences euro-péennes. Questions d’économie de la santé2005 ; (93) : 1-8.En ligne : http://www.irdes.fr• Délégation interministérielle à la ville. AteliersSanté-Ville : une démarche locale pour la réduc-tion des inégalités sociales et territoriales desanté. Paris : les éditions de la Div, coll. Repè-res, 2007 : 286 p.En ligne : http://www.ville.gouv.fr/IMG/pdf/atelier-sante-ville-reperes_cle25cbf4.pdf• Lagabrielle D., Flores P. Réduire les inégalitéssociales de santé. Comment le généraliste peut-il y contribuer ? Revue du praticien-médecinegénérale 2005 ; 19(704-705) : 1055-6.• Lorach J.-M. Inégalités de santé et action ter-ritoriale : situation et perspectives offertes parles principes du développement durable. Déve-loppement durable et territoire [revue en ligne],05/03/2004.En ligne : http://developpementdurable.revues.org/document1032.html• Morel J. L’approche communautaire de lasanté : une des stratégies d’intervention sur lesdéterminants socio-économiques. Santé conju-guée 2007 ; (40) : 75-7.En ligne : http://www.maisonmedicale.org/IMG/pdf/SC40_C_morel.pdf• Paquet G. Partir du bas de l’échelle. Des pis-tes pour atteindre l’égalité sociale en matièrede santé. Montréal : Les Presses de l’universitéde Montréal, 2005 : 152 p.

• Pascal J., Abbey-Huguenin H., Lombrail P.Inégalités sociales de santé : quels impacts surl’accès aux soins de prévention ? Lien social etpolitiques-Riac 2006 ; (55) : 115-24.• Ridde V. Réduire les inégalités sociales desanté : santé publique, santé communautaireou promotion de la santé ? Promotion & Edu-cation 2007 ; XIV(2) : 111-4.• Ridde V., Guichard A., Houéto D. Les inégalitéssociales de santé d’Ottawa à Vancouver : agir pourune « égalité équitable des chances ». Promotion& Education 2007 ; XIV (suppl. 2) : 44-7.• Van de Geuchte I., Maulet N., Willems S., RolandM., De Maeseneer J. Recherche sur les initiativesmises en place en matière d’inégalités socio-éco-nomiques de santé 1995-2006. Bruxelles : Fon-dation Roi-Baudouin, 2007 : 102 p.En ligne : http://www.kbs-frb.be/publication.aspx?id=224054

◗ Sites et organismesressources

• Centre de recherche Léa-Roback : cen-tre de recherche sur les inégalités socia-les de santé de MontréalLe centre a pour mission de contribuer à laréduction des inégalités sociales de santé et àl’amélioration des conditions de vie. Il assurele développement de la recherche sur les inéga-lités sociales de santé, la création d’alliancesentre chercheurs, décideurs publics et acteursde terrain, le transfert de connaissances versl’action, et la formation de chercheurs. Il pour-suit cette mission à Montréal en collaborationavec des centres analogues à travers le monde.Centre Léa-Roback – 1301, rue SherbrookeEst – Montréal (QC) H2L 1M3 (Canada)Mèl : [email protected] ligne : http://www.centrelearoback.org/

• Commission des déterminants sociauxde la santé de l’OMSCréée en mars 2005, la Commission des déter-minants sociaux de la santé est l’instrument parlequel l’Organisation mondiale de la santé (OMS)présente aux gouvernements, à la sociétécivile, aux organisations internationales et auxdonateurs des moyens pratiques pour assurerde meilleures conditions sociales pour la santé.Les dossiers proposés sur son site Internet,consacrés aux déterminants sociaux de lasanté ou à la façon de s’attaquer aux causessociales des inégalités de santé, sont pour lemoment disponibles uniquement en anglais.Commission des déterminants sociaux dela santé - Room 3162Organisation mondiale de la santé20, avenue Appia – CH-1211 Genève 27(Suisse) – Mèl : [email protected] ligne : http://www.who.int/social_determi-nants/fr/index.html

• Health-inequalities.org : portail européenpour agir sur l’équité en santéL’information présentée sur ce portail est lerésultat de la collaboration d’un large éventaild’acteurs de la santé et d’acteurs sociaux dansl’Union européenne, regroupés en deux initiati-ves paneuropéennes : « Combler l’écart : stra-tégies d’action pour lutter contre les inégalitésde santé dans l’Union européenne » (Closing thegap : Strategies for action to tackle healthinequalities in the EU, 2004-2007) d’une part,et d’autre part, Determine (2007-2010), quis’appuie sur Closing the gap et qui établit unconsortium communautaire d’actions sur lesdéterminants socio-économiques de la santé.En ligne : http://www.health-inequalities.org

• Institut de recherche et documentationen économie de la santé (Irdes)L’Irdes contribue à nourrir la réflexion sur l’ave-nir du système de santé. Ses chercheurs obs-ervent et analysent les politiques de santé, lescomportements des consommateurs et desproducteurs de soins sous différents angles :économique, médical, géographique, interna-tional, etc. L’Irdes édite et met à dispositionles résultats de ses recherches. Il dispose d’unriche fonds documentaire ouvert au public.Irdes10, rue Vauvenargues – 75018 Paris (France)Mèl centre de documentation : [email protected] ligne : http://www.irdes.fr

• Institut Théophraste-RenaudotCe centre de ressources en santé communau-taire met à disposition sur son site Internet denombreux documents dont certains relatifs auxdéterminants sociaux de la santé, aux inégali-tés sociales de santé et au rôle de la promo-tion de la santé et de la santé communautairedans la lutte contre ces inégalités.Institut Théophraste-Renaudot20, rue Gerbier – 75011 Paris (France)Tél. : 01 48 06 67 32Mèl : [email protected] ligne : http://www.institut-renaudot.fr

• Observatoire des inégalitésCet organisme indépendant d’information et d’a-nalyse sur les inégalités, financé par des sub-ventions publiques et le mécénat d’entreprises,présente des données relatives aux revenus, àl’éducation, aux conditions de vie ou encore auxinégalités hommes-femmes.Observatoire des inégalités35, rue du Canal – 37000 Tours (France)Tél. : 02 47 44 63 08Mèl : [email protected] ligne : http://www.inegalites.fr/

Olivier DelmerDocumentaliste, INPES.

international

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En Suisse romande, des éducateurs formés pendant deux ans interviennent dans les éta-blissements scolaires pour dispenser l’éducation sexuelle, tandis qu’en Suisse aléma-nique ce sont en général les enseignants eux-mêmes qui interviennent. Les classesconcernées reçoivent des élèves de 6 à 15 ans. Ces programmes de prévention por-tent prioritairement sur l’estime de soi, le respect d’autrui et le développement de l’espritcritique. Présentation du dispositif en Suisse romande, où l’éducation à la sexualité estdésormais obligatoire.

Comment aborder la question de lasexualité en milieu scolaire ? Dans lesystème fédéraliste suisse, l’éducationsexuelle est du ressort des cantons. Lacouverture de l’éducation sexuelle enSuisse est multiple : chacun des vingt-six cantons a son propre plan d’étudespécifiant les objectifs généraux de pré-vention. Deux grands modèles sont misen œuvre : le modèle alémanique et lemodèle romand (Suisse francophone),qui est exposé ici. Le modèle aléma-nique est dit « interne » : c’est l’ensei-gnant, en primaire et en secondaire, quise charge de dispenser le cours d’édu-cation sexuelle.

Dans le modèle romand, dit « ex-terne », ce sont des professionnels exté-rieurs ayant suivi une formation de deuxans qui viennent dans les classes. EnSuisse romande, un plan-cadre supra-cantonal a été mis en place et stipulepour la première fois que l’éducationsexuelle doit être obligatoire à l’écolede 6 à 15 ans. Les cours d’éducationsexuelle, selon la conception romande,se basent sur l’interactivité avec la classe,son contenu évolue notamment en fonc-tion des questions posées par les élè-ves. Un certain nombre de thématiquessont abordées constamment, notam-ment les changements pubertaires, lesrelations affectives et sexuelles, la contra-ception et la grossesse, la prévention desinfections sexuellement transmissibles etdes abus sexuels. Ces thématiques sonten lien avec des compétences à pro-mouvoir, telles que l’estime de soi, lafaculté d’opérer des choix, le respectd’autrui, l’esprit critique, en particulier

par rapport à la sexualisation média-tique. Les parents sont associés à cettedémarche d’intervention en classe.Chaque fois qu’il y a un cours d’éduca-tion sexuelle, ils sont invités à une soiréeau cours de laquelle ils peuvent discu-ter avec un professionnel qui présente leprogramme et ses objectifs. Ensuite, lesparents peuvent demander que leursenfants ne participent pas à ce cours.Même si cette possibilité leur est offerte,très peu de parents la demandent.

Dans ce modèle romand, un diplômeen santé sexuelle a été mis en place enpartenariat entre les institutions univer-sitaires, les organismes de formationcontinue et les organisations cantona-les d’éducation sexuelle et de planning

familial ; ce partenariat est coordonnépar des associations professionnelles1.Les éducatrices2 et formatrices en édu-cation sexuelle sont diplômées à l’issued’une formation théorique (sexologie,sociologie, psychologie, droit, éthique)et pratique de deux ans.

Se baser sur les questions des élèves

Ce sont les questions anonymes desélèves qui permettent à l’éducatrice deconstruire la leçon. Chaque questionreçoit une réponse qui est en généralissue d’une discussion interactive entreles élèves eux-mêmes et entre les élè-ves et l’éducatrice. Les cours d’édu-cation sexuelle suscitent une réflexiona posteriori qui peut faire naître des

Suisse romande : des éducateurs pour parler sexualité à l’école

Suisse romande et alémanique : deux modèlesd’éducation avec leurs limitesLe modèle d’éducation à la sexualité en milieu scolaire de la Suisse romande présenté ci-contrea des avantages et des inconvénients, tout comme l’autre modèle, développé en Suisse aléma-nique. Très schématiquement : le modèle alémanique (éducation à la sexualité dispensée par lesenseignants) pose problème car de nombreux enseignants n’ont pas les compétences ni les res-sources pour mettre en place un cours d’éducation sexuelle qui réponde aux besoins des élèves.Pour remédier à ces lacunes, l’Office fédéral de la santé publique ainsi que certains cantons enSuisse alémanique mettent en place des mesures pour améliorer la formation (initiale et conti-nue) des enseignants.Le modèle de la Suisse romande présente aussi des limites résultant de la fréquence de ses inter-ventions ponctuelles. En effet, les élèves participent à un cours d’éducation sexuelle environ tousles deux ans dès leur première année d’école. Entre-temps, naturellement, de multiples questionsse posent alors que l’éducatrice est absente, ainsi cela peut se traduire comme autant d’occa-sions manquées d’aborder le thème. La discontinuité de cette offre éducative rend nécessaire unebonne coordination de tout le corps enseignant, qui doit être à même de répondre aux différentesdemandes soit en les problématisant avec les élèves, soit en les aiguillant vers une offre externe(visite au centre de planning familial avec la classe, conseil personnalisé chez l’infirmière scolaireou dans un centre de conseil spécialisé, orientation vers des sites Internet adaptés, etc.).

49LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

international

interrogations bien après lepassage de l’éducatrice. C’estpourquoi, à la fin de la leçon,ils sont informés des différentsservices d’aide tels que les ser-vices de planning familial, lamédecine scolaire, les anten-nes de prévention sida et le siteInternet Ciao. Ces services sontprésentés et les prestationsqu’ils offrent décrites. Cesadresses permettent aux élèvesd’aller chercher des informa-tions précises et personnellesau moment où ils en ontbesoin. Enfin, les éducatricesmettent souvent à dispositiondes élèves deux brochures surla sexualité des filles et des gar-çons, réalisées par les antennessida, les services d’éducationsexuelle et les centres de plan-ning.

Par ailleurs, dans le cadre dece même programme d’édu-cation sexuelle, les établisse-ments peuvent faire appel à desinterventions menées par les« antennes sida », qui permettentd’aborder le parcours de vied’une personne séropositive,laquelle vient témoigner dansune classe. En général, l’enseignant n’estpas présent et les élèves peuvent, entoute confiance, poser un grand nombrede questions sur le VIH/sida et la séro-positivité. Cette expérience est trèsappréciée et de nombreuses écolesdemandent chaque année ces témoi-gnages. L’idée est de parler du VIH/sidade manière à éviter sa normalisation.

Pour revenir au cadre général del’éducation sexuelle, le rôle des parentsest primordial, notamment jusqu’à l’ado-lescence. Les parents sont intégrés etsollicités pour accompagner l’enfant etle jeune dans son éducation sexuelle.

Mais il ne suffit pas de faire de l’édu-cation sexuelle en milieu scolaire, il fautun relais, une accessibilité aux centresde santé, d’où le rôle important joué parles centres de conseil, de consultation,notamment les centres de planningfamilial, les antennes prévention sida etdes consultations spéciales jeunes,notamment dans deux hôpitaux, àGenève et à Lausanne. Ces consulta-tions sont adaptées spécifiquementpour l’accueil des jeunes.

Éducation sexuelle de qualitépour tout élève

En conclusion, le modèle d’éduca-tion à la sexualité présent en Suisseromande – intervention de profession-nels extérieurs formés – a des avantageset des inconvénients, tout comme sonpendant alémanique, dans lequel cesont les enseignants qui interviennent(voir encadré). À noter que la combi-naison des deux modèles est de plus enplus présente en Suisse alémanique.Dans tous les cas, et quel que soit lemodèle utilisé, professionnels et auto-rités travaillent sur un objectif commun :que chaque élève, en Suisse, puissebénéficier d’une éducation sexuelle dequalité, intégrant tant une vision posi-tive de la sexualité qu’une préventiondes risques (IST y compris VIH/sida,grossesses non désirées, abus sexuels).À cet effet, un centre de compétencenational en éducation sexuelle a été misen place en 2003 (Amorix) par deuxorganisations non gouvernementales(ONG) – la Fondation suisse pour lasanté sexuelle et reproductive (PLANeS)et l’Aide suisse contre le sida – etfinancé par l’Office fédéral de la santé

publique. Ce centre de com-pétence, actuellement géré parla Haute École pédagogiquede Lucerne (Suisse aléma-nique), est en train de pro-mouvoir les formations, debase et continue, pour lesenseignants en Suisse et parti-culièrement en Suisse aléma-nique, où le rôle des ensei-gnants est prédominant. Leurtravail devrait s’améliorer grâceà une meilleure préparation à la mise en place du coursd’éducation sexuelle.

Mais beaucoup reste àfaire : les deux modèles prô-nent le rôle de l’un de ces deuxacteurs alors que les avantageset les inconvénients montrentbien que les deux types sontessentiels pour répondre auxbesoins des élèves. En 2008, la garantie pour un élève departiciper à une éducationsexuelle comprenant à la foisles aspects affectifs et sexuelsn’est pas satisfait pour l’en-semble de la Suisse, et c’est cedéfi qu’il faudra relever durantla prochaine décennie en pro-mouvant largement l’échange

d’expériences et l’évaluation des diffé-rents modèles mixtes.

Caroline Jacot-Descombes

Présidente, Association romande et tessinoise

des éducatrices/teurs, formatrices/teurs en

santé sexuelle et reproductive (Artanes),

Genève, Suisse.

1. Fondation PLANeS : fédère les services d’éducationsexuelle en Suisse. Association romande Artanes.2. Le terme éducatrice est utilisé ici au féminin car laprofession regroupe le plus généralement des femmes.

Pour en savoir plus• Centre de compétence suisse en éduca-tion sexuelle à l’écoleEn ligne : http://www.amorix.ch• Association ArtanesEn ligne : http://www.artanes.ch• Fondation PLANeSEn ligne : http://www.plan-s.ch

[email protected]

enquête

50 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008

Les Français ne dorment pas assez, tel est le principal enseignement des enquêtes menéespar l’INPES. Selon une enquête publiée par l’Institut en mars 2008, 45 % de la popula-tion des jeunes adultes (25-45 ans) considèrent ne pas assez dormir : 12 % seraient insom-niaques et 17 % déclarent une dette chronique de sommeil pendant la semaine.

Si quelques études épidémiologiquesquantifient la prévalence des troublesdu sommeil en France, peu explorentles pratiques, représentations ou atti-tudes vis-à-vis du sommeil, et aucuneétude publiée ne renseigne la questiondu manque chronique de sommeil.

Le sommeil occupe pourtant plusd’un tiers de notre existence. Chezl’adulte, il est essentiel à la préserva-tion des capacités cognitives et motri-ces, à l’ajustement de nombreusessécrétions hormonales ainsi qu’à la res-tauration du système immunitaire ouencore au repos du système cardio-vas-culaire. Il est également déterminantpour l’équilibre psychologique et émo-tionnel des individus. Si un manqueponctuel de sommeil se rattrape aisé-ment, un déficit chronique est suscep-tible de favoriser, entre autres, l’hyper-tension artérielle, l’obésité ainsi que destroubles de l’humeur ou du comporte-ment.

Cette enquête1 réalisée par l’INPES estla première étude réalisée par les pou-voirs publics qui soit intégralementconsacrée au sommeil. Elle vise, en préa-lable à la mise en place d’actions de pré-vention et d’éducation dans le cadre duProgramme d’actions sur le sommeilinitié par le ministère de la Santé en jan-vier 2007, à produire, d’une part, unepremière estimation de la prévalence dela dette chronique de sommeil chez lesjeunes adultes en France ; d’autre part,à identifier parmi les connaissances,pratiques, attitudes et représentationsdu sommeil, quels sont les freins et lesleviers sur lesquels communiquer ouplus largement exercer une action.Nous en présentons ici les premiersrésultats ainsi que les principaux ensei-gnements.

La durée de sommeil45 % des personnes interrogées

considèrent ne pas dormir assez. Ellesdorment en moyenne sept heures parnuit pendant la semaine, entre une etdeux heures de plus le week-end. Lesraisons du manque de sommeil sontnombreuses : le travail (52,5 %), les fac-teurs psychologiques comme le stressou l’anxiété (40 %), les enfants (27 %),les loisirs (21 %) et le temps de transport(17 %).

Selon les indicateurs retenus (voirencadré), nous avons distingué, à desfins de comparaison, différentes caté-gories de dormeurs (voir figure).• Les insomniaques dorment enmoyenne six heures quarante et unepar nuit pendant la semaine ; ils sontplutôt des femmes (59 % des insom-niaques) et généralement âgés de 30 à40 ans.• Les personnes en dette chroniquede sommeildorment en moyenne cinqheures quarante-huit par nuit pendantla semaine ; elles sont plutôt jeunes

(25 % des moins de 30 ans contre 17 %en moyenne), et habitent le plus sou-vent en agglomération parisienne(31,4 % des habitants de l’agglomérationparisienne sont en dette de sommeil).• Les personnes ayant un sommeilsuffisant dorment en moyenne septheures vingt et une par nuit pendant lasemaine ; elles ne se distinguent pas parun profil sociodémographique parti-culier.

Pratiques et comportements

La régularité des horaires74 % des personnes âgées de 25 à

45 ans ont des horaires de sommeil rela-tivement réguliers pendant la semaine.Près de 80 % se couchent avant minuit,et le temps d’endormissement moyenest de dix-neuf minutes. Les personnesen dette chronique de sommeil (et dansune moindre mesure les insomniaques)ont des habitudes de sommeil deux foisplus irrégulières que la moyenne pen-dant la semaine. Les sorties en semainene semblent pas à l’origine de cette irré-gularité puisque les personnes en dettechronique de sommeil ou les insom-niaques ne sortent pas plus ni plus tardque les autres.

Les activités précédant le sommeilPlus de deux personnes sur trois

consomment des excitants après 17 h,que ce soit du tabac (29 %), du café(27 %), ou encore du cola (22 %) ou duthé (21 %). Les insomniaques sont plusnombreux (73 %) à en consommer queles autres.

74 % des personnes interrogées ontl’habitude de regarder la télévision lesoir avant de dormir ; parmi eux, 24 %la regardent au lit et 14 % s’endormentavec. Les insomniaques et les person-nes en dette chronique de sommeil sontaussi nombreux à regarder la télévision

Les Français en manque de sommeil

Statut des 25-45 ans vis-à-vis du sommeil

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enquête

que ceux qui dorment suffisammentmais ils la regardent plus longtemps.

35 % des personnes interrogées sur-fent sur Internet ou jouent à des jeuxvidéo durant l’heure précédant leurcoucher. Les insomniaques et les per-sonnes en dette de sommeil sont plusnombreux à pratiquer ces activités (res-pectivement 40 % et 42 %).

Un certain nombre de pratiques sti-mulantes (consommation d’excitants,activités précédant le coucher) ainsiqu’une irrégularité des horaires desommeil, néfastes pour lui, se retrou-vent significativement plus fréquem-ment chez les personnes insom-niaques et chez les personnes en dettede sommeil.

Représentations, attitudes et connaissances

Des représentations positives à l’égard du sommeil

98 % des personnes interrogées asso-cient spontanément le mot « dormir » àdes représentations positives. Si l’on neconsidère plus seulement la valeur posi-tive ou négative de ces représentationsmais leur contenu, des différences (sta-tistiquement significatives) intéressantesapparaissent entre nos trois sous-popu-lations de dormeurs.

Les personnes en dette de sommeilassocient plus souvent au mot dormir lestermes « antistress », « apaisant », « bien-faisant », « sérénité » : 11 % d’entre ellescontre 4 % des personnes ayant un som-meil suffisant et 2 % des insomniaques.

Les personnes ayant un sommeil suf-fisant associent plus souvent au motdormir les termes « récupérer », « répa-rer », « recharger les batteries » : 14 %d’entre elles contre 10 % des personnesen dette chronique de sommeil et 9 %des insomniaques.

Les insomniaques associent plussouvent au mot dormir les termes « dif-ficultés », « appréhensions à s’endormir »(13 % contre respectivement 3 % chezles personnes ayant un sommeil suffi-sant et 2 % chez les personnes en dettechronique de sommeil).

Ces différences sont signifiantes dupoint de vue du lien existant entre lanature du sommeil vécu (suffisant,dette, insomnie) et les représentations

qui y sont associées. Les personnesayant un sommeil suffisant ont notam-ment plus spontanément que les autresune représentation du sommeil commefonction biologique.

Des attitudes en partieambivalentes

Quasiment la totalité (99,8 %) despersonnes interrogées pense que dor-mir est important pour la santé et 86 %considèrent que c’est un plaisir. Cepen-dant, 13 % des personnes interrogéesconsidèrent que c’est une perte detemps et 6 % que c’est de la paresse.

Une connaissance partielle deseffets d’un manque de sommeil

79 % des personnes interrogées pen-sent qu’un manque de sommeil peutfavoriser une dépression et 74 % quecela nuit à la mémoire. Mais moins dela moitié savent que ce manque de

sommeil favorise l’hypertension arté-rielle (46 % ne savent pas, 11 % pensentque c’est faux) et moins d’un tiers saventqu’il favorise la prise de poids (40 % nesavent pas, 33 % pensent que c’est faux).

Si les personnes interrogées identi-fient assez bien les risques psycholo-giques ou plus largement cognitifs d’unmanque de sommeil (liens avec ladépression ou la mémorisation), ellesen ignorent assez largement les risquesphysiques.

En conclusionCes premières données donnent des

pistes intéressantes quant aux élémentssur lesquels axer une démarche de pré-vention et d’éducation. Il semble, d’unepart, qu’un certain nombre de connais-sances concernant les risques associésà un manque chronique de sommeil(hypertension artérielle, prise de poids)

Les critères de recherche pour l’insomnieet la dette chronique de sommeil

Les critères pris en compte dans cette étude pour définir insomnie et dette chronique de som-meil sont les suivants.

L’insomnieLe sujet déclare au moins l’un des troubles suivants :– a des difficultés pour s’endormir ;– se réveille la nuit et a des difficultés pour se rendormir ;– se réveille trop tôt le matin sans pouvoir se rendormir ;– a un sommeil non récupérateur.Ce ou ces troubles sont présents au moins trois nuits par semaine depuis au moins un mois etont un impact négatif sur au moins l’un des éléments suivants : le caractère (irritabilité) ; l’hu-meur (idées noires, tristesse) ; la mémoire ; la concentration ; les activités quotidiennes ; lesrelations avec les autres ; le travail ; les loisirs ; la somnolence diurne.Sont exclues du diagnostic d’insomnie les personnes atteintes d’autres pathologies du som-meil (apnée du sommeil, narcolepsie) ainsi que les personnes souffrant de troubles du som-meil à cause d’une autre pathologie.

La dette chronique de sommeilLe sujet déclare un nombre d’heures de sommeil moyen par semaine (calculé en fonction del’heure à laquelle la lumière est éteinte et de l’heure du réveil moins la durée d’endormissement)inférieur ou égal de quatre-vingt-dix minutes à son besoin moyen en sommeil (déclaré). Sontexclus de cette population les insomniaques ainsi que les personnes déclarant une autre patho-logie du sommeil (apnée du sommeil, etc.).Il n’y a pas de critère scientifique permettant de définir la dette chronique de sommeil. On peutnéanmoins la définir comme le fait de dormir moins que ses besoins naturels en sommeil etce, de façon régulière. Selon le critère utilisé, une personne en dette de sommeil perd, enmoyenne par semaine de travail (sur cinq jours), au moins sept heures trente minutes de som-meil, soit l’équivalent d’au moins une nuit de sommeil perdue par semaine (hors week-end).

Les sujets considérés comme ayant « un sommeil suffisant » sont ceux qui ne sont ni insom-niaques, ni en dette de sommeil.

E. R.

enquête

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soient largement ignorés au sein de lapopulation interrogée. Une meilleureinformation semble donc nécessaire etserait de nature à renforcer au sein desreprésentations que l’on a du sommeilses aspects fonctionnels, qui semblentmoins saillants chez les personnes endette de sommeil que chez les person-nes dormant suffisamment.

Ces résultats indiquent égalementque les personnes en dette de sommeil,au même titre que les insomniaques,ont une hygiène de sommeil (consom-mation d’excitants, activités précédantle coucher, irrégularité des horaires)qu’il est possible d’améliorer par unedémarche d’éducation à la santé.

Enguerrand du Roscoät

Psychologue, chargé de recherche,

direction des affaires scientifiques, INPES.

1. Enquête réalisée par l’Institut BVA auprès d’unéchantillon national représentatif de la populationfrançaise âgée de 25 à 45 ans. 1 004 personnes ont étéinterrogées par téléphone du 13 au 22 décembre 2007.

La Santé de l’homme : Vous prenezen charge des personnes souffrantde troubles du sommeil. Quelconstat général dressez-vous en cequi concerne les Français et leursommeil ?

Damien Léger : Le constat que nousfaisons quotidiennement dans notrecentre de sommeil qui effectue uneprise en charge des personnes souffrantde troubles, c’est que le simple fait deles éduquer sur leur sommeil leur per-met d’en améliorer la qualité. Nous avons publié plusieurs étudesscientifiques sur les personnes âgées etles travailleurs de nuit, validant ce cons-tat. Ainsi, le sommeil des seniors peutêtre amélioré par un programme d’édu-cation à la santé (1, 2). Par exemple,certaines personnes qui ont des pro-blèmes sévères de sommeil dévelop-

pent des attitudes paradoxales quiaggravent la situation au lieu de l’amé-liorer, par manque d’information : quel-qu’un qui dort mal va rester au lit trèslongtemps pour prolonger son comptede sommeil, or l’on sait que le fait derester beaucoup au lit diminue la qua-lité du sommeil. L’éducation, c’est développer des mes-sages simples sur le fonctionnement dusommeil, les rythmes de l’horloge bio-logique, les éléments dans l’environne-ment qui jouent un rôle, telles l’ali-mentation, la pratique d’un exercicephysique régulier, une attention vis-à-vis des excitants. Ces messages ont uneffet favorable sur ces troubles du som-meil. L’information existe, la presse etla télévision parlent beaucoup et deplus en plus du sommeil, mais il n’estpas si fréquent de trouver des sourcesà la fois scientifiques et pédagogiques.

Entretien avec Damien Léger, professeur à la faculté de médecine Paris-Descartes,responsable du centre du sommeil et de la vigilance, Hôtel-Dieu, à Paris.

« Le sommeil est en compétition avec la télévision et Internet »

Baromètre santé de l’INPES :un état des lieux des troubles du sommeil

Publié en avril 2008, le nouveau « Baromètre santé » de l’INPES consacre un chapitre auxtroubles du sommeil (1, 2). Il ressort qu’en 2005, 18 % des Français se déclarent insatisfaitsde la qualité de leur sommeil et près de la moitié d’entre eux (46 %) disent avoir eu des pro-blèmes de sommeil au cours de la semaine qui précède l’interview. Par ailleurs, 7 % déclarentavoir eu recours à des somnifères ou à des hypnotiques au cours des douze derniers moispour faciliter leur sommeil. Les individus n’apparaissent pas égaux face au sommeil : les fem-mes s’avèrent plus touchées par ces troubles.La déclaration d’une insatisfaction dans la qualité du sommeil, de troubles ressentis au coursde la semaine ou d’une prise de somnifères au cours des douze derniers mois s’avère parti-culièrement élevée après 45 ans. Un plus haut niveau d’insatisfaction est également constatéparmi les 15-19 ans, sans que la prévalence des troubles apparaisse plus élevée que pour lesautres âges.Par ailleurs, environ un quart des personnes obèses se dit insatisfait de la qualité de son som-meil (contre 17 % pour le reste de la population) et plus de la moitié d’entre elles déclarentavoir connu, ne serait-ce qu’un peu, des problèmes de sommeil (contre 45 % pour le reste dela population).

Christophe LéonStatisticien, chargé d’études, direction des affaires scientifiques, INPES.

(1) Beck F., Léon C., Léger D. (sous la dir.). Troubles du sommeil : une approche exploratoire. In : Beck F.,Guilbert P., Gautier A. Baromètre santé 2005. Saint-Denis : INPES, coll. Baromètres santé, 2007 : 519-32.(2) Voir aussi l’article de Christophe Léon « Que pensez-vous de votre sommeil ? ». La Santé de l’hommen° 388, mars-avril 2007, dossier Éduquer au sommeil : 28-9.

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Pour en savoir plusCentre du sommeil et de la vigilance Centre de référence hypersomnies rares Hôpital de l’Hôtel-Dieu AP-HP, université Paris-51, place du Parvis-Notre-Dame 75181 Paris Cedex 04 Tél. 01 42 34 82 43. http://www.institut-sommeil-vigilance.orghttp://www.je-dors-trop.frDossier Éduquer au sommeil. La Santé del’homme n°388, mars-avril 2007 : 13-56.http://www.inpes.sante.fr/SLH/sommaires/388.htm

◗ Référencesbibliographiques

(1) Gauriau C., Raffray T., Choudat D., Cor-man B., Léger D. Les troubles du sommeilpeuvent être objectivement améliorés chezles seniors par un programme personnaliséà la santé. Presse Med 2007 ; 36 (12,cah. 1) : 1721-31.(2) Léger D., Gauriau C., Corman B., ChoudatD. Un programme éducation santé pour amé-liorer le sommeil des seniors. La Santé del’homme n° 388, mars-avril 2007 : 37-8.(3) Giordanella J.-P. Rapport sur le thème dusommeil. Rapport à Monsieur Xavier Ber-trand. Paris : ministère de la Santé et desSolidarités, 2006 : 274 p.En ligne : http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/giordanella_sommeil/rapport.pdf

S.H. : Pourquoi les Français dor-ment-ils de moins en moins et pasassez ?

Incontestablement, la population gri-gnote sur le sommeil, l’étude de l’INPES(NDLR : voir article pages précédentes)montre bien que 17 % – ce n’est pasnégligeable – des Français sont en pri-vation importante de sommeil avec5 heures 41 de sommeil par jour (chiffremoyen). Parce que la compétition est deplus en plus forte entre, d’une part, lesommeil et, d’autre part, les moyens mul-tiples de distraction, y compris enfamille : outre la télévision et les jeuxvidéo, Internet prend une place impor-tante, à commencer chez les adolescents.Cette compétition fait parfois perdre devue les règles de bon sens que l’on peutrappeler ici. Le besoin de sommeil estimportant chez l’enfant et l’adolescent :en règle générale, les très jeunes enfantsont besoin de 11 à 12 heures de som-meil, les enfants et les adolescents ontvraiment besoin de 9 à 10 heures. Et c’estseulement quand on devient jeuneadulte que l’on peut passer à 8 heures desommeil par jour. Il s’agit bien évidem-ment de chiffres moyens.

S.H. : Que préconisez-vous, en édu-cation pour la santé, pour assurerun sommeil correct ou pour préve-nir les troubles du sommeil ?

Nous avons formulé un train com-plet de mesures dans le rapport Gior-danella (3). Parmi les mesures simples à mettre enœuvre, il faudrait mettre à la dispositiondu public des documents qui permet-tent de « s’évaluer » sur le plan du som-meil et se connaître en tant que dor-meur : suis-je du soir ou du matin ? Petitou grand dormeur ? Bon dormeur ouinsomniaque ? La plupart des gens ne lesavent pas, ce qui peut paraître éton-nant mais correspond pourtant à laréalité de ce que nous, professionnels,observons.Mieux se connaître, c’est prendre da-vantage soin de son sommeil et doncpouvoir mieux récupérer. Il faut fairepasser l’information. Dans notre cen-tre du sommeil, nous recevons beau-coup de travailleurs en horaires décalés– ils sont plusieurs millions en France etreprésentent pas moins de 20 % des tra-vailleurs salariés. Nombre d’entre euxsont peu informés, nous leur donnons

des questionnaires pour identifier leursommeil, leurs besoins, cela les aidebeaucoup.Autre mesure qui me semble impor-tante à mettre en œuvre : développerl’offre de soins car la prise en charge estactuellement insuffisante : il y a, enFrance, une vingtaine de centres dusommeil, avec chacun deux ou troismédecins ; c’est insuffisant pour pren-dre en charge les personnes qui leursont adressées, et il y a actuellementplusieurs mois, voire une année d’at-tente pour être pris en charge dans cescentres. D’où la nécessité de dévelop-per le réseau de soins.

Propos recueillis par

Yves Géry

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COMMUNIQUÉ

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