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MRAXinfo Belgique-België ---------------------------------------------- P.P. 1210 Bruxelles 21 ------------------------------------------- ---1/1770 Pour des écoles publiques pluralistes 4 SOMMAIRE Edito L’ECOLE: Espace de socialisation… mais aussi lieu d’inégalités et d’exclusion 1 Dossier enseignement Interview de Vincent Dupriez 2 Pour des écoles publiques pluralistes 4 Oser la diversité culturelle à l’école 7 Revendications des associations flamandes 10 Echec scolaire ? Je ne donnerai pas ma langue (maternelle) aux chats! 12 «Ils ont dit qu’ils interdisaient tous les signes religieux… dans une école catholique! Des croix j’en vois plein tous les jours, alors quoi?» 13 Le tutorat: une expérience de proximité 14 Actualité La plainte du MRAX déclarée recevable par l’AJP ! 15 Comment le créationnisme menace l’«Occident» 16 Mort d’un héros de l’antiracisme: Robert Maistriau 18 Un malentendu explosif 19 «Un an au Front National» 21 Turtelboom et la présidencefrançaise de l’UE 22 Semaine d’Actions Contre le Racisme: Appel à projets 23 Pub Concours de Créativité 24 n ° 184 Septembre-Octobre 2008 L’ECOLE : espace de socialisation… mais aussi lieu d’inégalités et d’exclusion es dernières années, le MRAX est beau- coup intervenu sur les questions de discrimi- nation et de diversité à l’école: plaidoyer en faveur de l’introduc- tion d’un cours commun de philosophies et religions comparées et d’anthropologie culturelle le plus tôt possible dans l’ensei- gnement obligatoire; la défense de la liberté de porter ou non le foulard à l’école; la régulation de l’inscription des élèves; le refus du principe de l’adosse- ment,… Comme souvent dans ces débats pas toujours simples, nos contra- dicteurs ont quelquefois la tendance facile à caricaturer nos arguments, comme si défendre le pluralisme ou l’antiracisme à l’école revient à accepter tout et n’importe quoi au nom des spécificités culturelles et/ ou religieuses. Cela n’est pas exact évidemment et le présent numéro spécial permettra de sentir quelques nuances de notre Mouvement. Le présent dossier est le fruit des premières réflexions du groupe de travail «Enseignement» que le MRAX a mis sur pied pour travailler sur les discriminations dans le monde de l’enseignement. La lutte contre ces discriminations forme en effet l’une des deux priorités (l’autre étant la lutte contre les discriminations dans le monde de l’emploi) que le nouveau CA élu l’an dernier a sou- mises à l’AG qui les a approuvées. Ce groupe de travail – ouvert à tous – est appelé à formuler à nos instan- ces une liste de revendications pour lutter contre les discriminations à l’école et elles sont importantes ! En effet, l’ascension sociale par le levier scolaire s’apparente de plus en plus à un mythe. Si certains exem- ples de réussite sociale s’expliquent en partie par une scolarité réussie, force est de constater qu’il est impossible de généraliser le raison- nement. Les chiffres se succèdent et se ressemblent: les écoles, tant au nord qu’au sud du pays, sont des lieux de reproduction des inégalités sociales. Les résultats des études PISA 2000 et 2004 pointent la Belgique comme un des plus mauvais élèves euro- péens – allégorie involontaire ! – en matière d’égalité des chances: en termes de connaissances dans des domaines simples comme la lecture et les mathématiques, les élèves de 15 ans issus de familles migrantes accusent un retard moyen de deux ans par rapport aux familles qui ne le sont pas. «Ce qui est particulièrement alarmant dans les données de l’OCDE est le fait qu’en Belgi- que francophone, les différences entre les résultats des élèves non européens immi- grés (donc, personnes dites de «première génération») et ceux des élèves nés de parents immigrés (personnes dites de «seconde génération») ne sont pas statistiquement significatifs1 Autrement dit, aucune amélioration due à une «intégration» par le temps n’est perceptible. Si plusieurs études spécifiques sur la situation en Communauté française (Feld, 1991; Feld & Manço, 2000; Born et al., 2003) présentent des chiffres légèrement différents, ces tendances lourdes demeurent toute- fois identiques et témoignent d’une corrélation entre origine et échec scolaire. Cette disparité des résultats en fonc- tion de l’origine est également trans- posable au statut socio-économique. En Communauté française, près de la moitié des élèves du secondaire sont inscrits dans les filières profession- nelle ou technique. Lorsqu’on analyse la répartition des élèves selon les tranches d’âge, on constate que les écoles générales présentent un tableau en forme de pyramide (beaucoup de classes en 1re année, peu en 6e), alors que les écoles techniques ou professionnelles suivent la tendance inverse (pyramides inversées). En clair, C MRAXinfo_184.indd 1 MRAXinfo_184.indd 1 28-10-2008 15:05:29 28-10-2008 15:05:29

Septembre-Octobre 2008 espace de socialisation… · Oser la diversité culturelle à l’école 7 Revendications des associations flamandes 10 ... Les chiffres se succèdent et se

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Belgique-België----------------------------------------------

P.P.1210 Bruxelles 21

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Pour des écoles publiques pluralistes 4

SOMMAIRE�Edito L’ECOLE: Espace de socialisation… mais aussi lieu d’inégalités et d’exclusion 1

Dossier enseignement Interview de Vincent Dupriez 2 Pour des écoles publiques pluralistes 4 Oser la diversité culturelle à l’école 7 Revendications des associations flamandes 10 Echec scolaire ? Je ne donnerai pas ma langue (maternelle) aux chats! 12 «Ils ont dit qu’ils interdisaient tous les signes religieux… dans une école catholique! Des croix j’en vois plein tous les jours, alors quoi?» 13 Le tutorat: une expérience de proximité 14

Actualité La plainte du MRAX déclarée recevable par l’AJP ! 15 Comment le créationnisme menace l’«Occident» 16 Mort d’un héros de l’antiracisme: Robert Maistriau 18 Un malentendu explosif 19 «Un an au Front National» 21 Turtelboom et la présidencefrançaise de l’UE 22 Semaine d’Actions Contre le Racisme: Appel à projets 23

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Septembre-Octobre 2008 L’ECOLE : espace de socialisation… mais aussi lieu d’inégalités et d’exclusion

es dernières années, le MRAX est beau-coup intervenu sur les questions de discrimi-nation et de diversité à l’école: plaidoyer en faveur de l’introduc-

tion d’un cours commun de philosophies et religions comparées et d’anthropologie culturelle le plus tôt possible dans l’ensei-gnement obligatoire; la

défense de la liberté de porter ou non le foulard

à l’école; la régulation de l’inscription des élèves; le

refus du principe de l’adosse-ment,… Comme souvent dans ces débats pas toujours simples, nos contra-dicteurs ont quelquefois la tendance facile à caricaturer nos arguments, comme si défendre le pluralisme ou l’antiracisme à l’école revient à accepter tout et n’importe quoi au nom des spécificités culturelles et/ou religieuses. Cela n’est pas exact évidemment et le présent numéro spécial permettra de sentir quelques nuances de notre Mouvement. Le présent dossier est le fruit des premières réflexions du groupe de travail «Enseignement» que le MRAX a mis sur pied pour travailler sur les discriminations dans le monde de l’enseignement. La lutte contre ces discriminations forme en effet l’une des deux priorités (l’autre étant la lutte contre les discriminations dans le monde de l’emploi) que le nouveau CA élu l’an dernier a sou-

mises à l’AG qui les a approuvées. Ce groupe de travail – ouvert à tous – est appelé à formuler à nos instan-ces une liste de revendications pour lutter contre les discriminations à l’école et elles sont importantes ! En effet, l’ascension sociale par le levier scolaire s’apparente de plus en plus à un mythe. Si certains exem-ples de réussite sociale s’expliquent en partie par une scolarité réussie, force est de constater qu’il est impossible de généraliser le raison-nement. Les chiffres se succèdent et se ressemblent: les écoles, tant au nord qu’au sud du pays, sont des lieux de reproduction des inégalités sociales. Les résultats des études PISA 2000 et 2004 pointent la Belgique comme un des plus mauvais élèves euro-péens – allégorie involontaire ! – en matière d’égalité des chances: en termes de connaissances dans des domaines simples comme la lecture et les mathématiques, les élèves de 15 ans issus de familles migrantes accusent un retard moyen de deux ans par rapport aux familles qui ne

le sont pas. «Ce qui est particulièrement alarmant dans les données de l’OCDE est le fait qu’en Belgi-que francophone, les différences entre les résultats des élèves non européens immi-grés (donc, personnes dites de «première génération») et ceux des élèves nés de

parents immigrés (personnes dites de «seconde génération») ne sont pas statistiquement significatifs.»1 Autrement dit, aucune amélioration due à une «intégration» par le temps n’est perceptible. Si plusieurs études spécifiques sur la situation en Communauté française (Feld, 1991; Feld & Manço, 2000; Born et al., 2003) présentent des chiffres légèrement différents, ces tendances lourdes demeurent toute-fois identiques et témoignent d’une corrélation entre origine et échec scolaire. Cette disparité des résultats en fonc-tion de l’origine est également trans-posable au statut socio-économique. En Communauté française, près de la moitié des élèves du secondaire sont inscrits dans les filières profession-nelle ou technique. Lorsqu’on analyse la répartition des élèves selon les tranches d’âge, on constate que les écoles générales présentent un tableau en forme de pyramide (beaucoup de classes en 1re année, peu en 6e), alors que les écoles techniques ou professionnelles suivent la tendance inverse (pyramides inversées). En clair,

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Dossier enseignement

le processus de sélection entraîne de facto une ségrégation entre d’une part écoles d’enseignement général promettant la réussite, et d’autre part établissements techniques et profes-sionnels conçus comme réceptacles des élèves voués à l’échec. Le leurre d’une école offrant des chances égales s’estompe au fil des années scolaires, d’autant plus que les souches de population socialement défavorisées sont surreprésentées dans le profes-sionnel. D’après l’étude de Born et al. (2003) analysée par Manço (2006), «on constate que l’origine extra-euro-péenne et la catégorie socio-économi-que corrèlent ensemble avec le taux d’échec scolaire, alors que l’orientation vers la section professionnelle n’est expliquée que par l’origine socio-éco-nomique.» Les réponses politiques à ces inéga-lités se résument entres autres par des efforts pour assurer le libre accès à l’enseignement et la longévité du parcours scolaire. Ces efforts sont louables et nécessaires, mais sont-ils suffisants?: «lorsqu’on regarde sur une période de trente ans, on constate que le nombre de jeunes Turcs et Maghrébins diplômés du secondaire a augmenté, mais la proportion de ces jeunes fréquentant le professionnel n’a pas diminué. Sur ces trente ans, l’accès a été facilité, la possibilité de redoublement a été réduite et l’obligation scolaire, portée à 18 ans. Ces mesures ont donc dopé l’accès au diplôme, mais sociologiquement parlant il n’y a pas eu d’évolution.»2

Ce constat et bien d’autres développés dans le présent numéro, sont acca-blants et appellent pleinement le total investissement de notre Mouvement en la matière. Aussi, comme le dit la regrettée Sœur Emmanuelle qui vient de décéder ce 20 octobre: «Yallah !» (en avant !). º

Radouane BOUHLALPrésident du MRAX

[1] Harou & Manço, Eleves immigrés non-francophones dans le cycle secon-daire en Communauté Française de Belgique, in Diversités et Citoyennetés, IRFAM, 2008, p.6.[2] Propos de Altay MANCO, Directeur de l’IRFAM, recueillis par Erdem Resne, Secrétaire de Rédaction du MRAX-Info, le 07 octobre 2008.

Où se situe l’enseignement de la communauté française dans la classe européenne en termes d’égalité et d’efficacité? La Flandre fait-elle mieux?A partir des enquêtes internationales d’évaluation des acquis scolaires, dont la plus connue est l’enquête PISA de l’OCDE qui a lieu tous les trois ans, on peut dire que la Com-munauté française est, en termes d’efficacité, dans la moyenne des pays de l’OCDE. On n’est donc pas au «top» ni dans le fond de la classe (les Etats-Unis d’Amérique sont par exemple derrière nous). En ce qui concerne l’inégalité par contre, on constate que dans notre système éducatif, la variation des résultats entre élèves est une des plus gran-des des pays de l’OCDE. Une autre manière d’aborder l’inégalité dans l’enseignement, c’est l’inégalité sociale de résultat. Si on met en relation les résultats des élèves avec le capital socioculturel de leur famille, on remarque qu’en Com-munauté française, ce lien est bien plus prégnant qu’ailleurs. En d’autres mots, notre système éducatif se caractérise par un niveau d’inégalité sociale qui est pratiquement le plus important de tous les systèmes édu-catifs de l’OCDE. Du coté flamand,

on est bien meilleur en termes d’ef-ficacité, mais en termes d’inégalité sociale, les conclusions sont fort proches.

Quelles sont les causes de cette mauvaise position?Il y a une tendance lourde qui se dégage, tous pays confondus, c’est qu’au plus un système éducatif différencie les groupes d’élèves en classes, filières, écoles,…au plus il va produire des inégalités de résultat et des inégalités sociales de résultat. Chez nous, le quasi-marché scolaire qui permet aux parents de choisir en toute liberté une école pour leur enfant et la diversité des filières dans le secondaire sont des disposi-tifs qui ont tendance à accroitre les différences entre établissements et à favoriser l’inégalité scolaire. D’autant plus que dans certaines communes, cela se greffe sur une situation de ségrégation résidentielle importante.

Les discriminations dans l’enseignement sont-elles ethniques ou sociales?Il existe bien des différences de résultats entre les élèves issus de l’immigration et les autres, mais si on tient compte de la position sociale des familles, on constate

qu’à catégorie socioculturelle équiva-lente, les élèves issus de l’immigra-tion obtiennent des résultats quasi-ment identiques à ceux des autres1.

L’école peut-elle rendre le milieu social de l’enfant neu-tre par rapport à ces chances de réussite malgré le fait que certains enfants possèdent, de par leur milieu familial, davan-tage de «culture scolaire» que d’autres?La culture scolaire, les contenus d’enseignement, les attitudes et comportements que l’école favorise sont beaucoup plus proches de la culture de la classe moyenne que de celle des milieux populaires. Pour les élèves «culturellement défavorisés», il existe donc une distance plus grande entre le type d’éducation qu’ils reçoivent dans leur famille et ce qui est valorisé à l’école. La réussite scolaire est par conséquent plus ardue pour ces élèves-là; Il faudrait donc intervenir dès l’école maternelle afin que ce que demande l’école aux élèves et qu’elle n’ap-prend qu’implicitement soit rendu explicite pour les élèves culturelle-ment défavorisés.

La mixité sociale, fin ou moyen

Un rôle essentiel de l’école est d’apprendre aux individus à cohabiter avec d’autres individus qui ne leur ressemblent pas.

Vincent Dupriez est professeur de sciences de l’éducation à l’UCL et chercheur au GIRSEF (Groupe interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l’éducation et la formation). Nous l’avons rencontré afin d’avoir un regard scientifique sur la situation de l’enseignement en Communauté Française, en particulier en ce qui concerne l’inégalité des chances de réussite scolaire des publics défavorisés.

Les articles de ce dossier n’ont aucune prétention d’exhaustivité ni d’uniformité, et n’engagent que leurs auteurs. Ils constituent des pièces versées au débat que le MRAX veut lancer sur la redéfinition de notre conception de l’Ecole.

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de la démocratisation de l’en-seignement?La mixité sociale est un moyen parmi d’autres pour lutter contre les inégalités sociales de résultat car les élèves d’une classe peuvent, en fonction de leur propre bagage culturel, soit favoriser la progression de leurs compagnons de classe, soit la freiner. Donc si on veut donner à chacun des chances égales de réussir, il est légitime d’aller vers davantage de mixité sociale. Par ailleurs, je suis de ceux qui pensent que, politiquement, la mixité sociale est également une fin. Dans une société démocratique et pluraliste, un rôle essentiel de l’école est d’ap-prendre aux individus à cohabiter avec d’autres individus qui ne leur ressemblent pas.

La mixité sociale est-elle syno-nyme de nivellement par le bas?Les pays qui ont fait le choix de la mixité sociale, je pense notamment aux pays scandinaves, obtiennent des résultats en termes d’efficacité de leur enseignement, qui sont glo-balement supérieurs aux nôtres. Il apparaît ainsi que la mixité sociale n’empêche pas l’existence d’un enseignement de haut niveau. Si on s’intéresse à l’élite scolaire, en Fin-lande par exemple, on constate que cette dernière ne souffre absolument pas de ce choix de la mixité sociale. Par ailleurs, il est évident qu’il est plus facile d’atteindre un haut niveau avec des individus présen-tant beaucoup de facilités qu’avec un groupe socialement mixte, mais la discussion est essentiellement politique: quel est le rôle de l’école? Selon moi, elle se doit d’être ambi-tieuse pour tous les élèves afin d’amener, particulièrement dans les premières années, quasiment 100% d’entre eux à un haut niveau de connaissance. De toute évidence, cette ambition n’est pas assez pré-sente en Communauté française. Et ce n’est qu’après avoir donné une chance d’éducation à chacun durant un tronc commun jusqu’à 15 ou 16 ans, qu’on peut imaginer orienter les élèves en fonction de leurs aspira-tions et compétences

Enseignement de masse et de qualité pour tous, deux objec-tifs compatibles?Oui, ce sont des objectifs compati-

bles, et ils doivent intégrer l’agenda politique. Et ce qui se passe dans d’autres systèmes éducatifs nous montre que c’est possible.

Les solutions finlandaises sont-elles importables chez nous?Elles ne sont pas importables tel-les quelles car un projet scolaire est toujours lié à la culture et à la politique du pays. Les réformes de l’enseignement finlandais mises en place il y a une trentaine d’idées reposaient sur l’idée que l’école est un projet public et qu’il est de l’intérêt de la collectivité d’amener un maximum d’élèves à un haut niveau d’éducation, de façon à ce que l’école ne se contente pas de faire du tri d’élèves en ouvrant aux meilleurs les portes de l’ensei-gnement supérieur et en orientant rapidement les plus faibles vers des formations moins valorisées. Donc si on veut importer des solutions finlandaises, il faut commencer par savoir si on adhère à la conception de l’école et de la société qu’il véhi-cule.

Quelles sont les pistes à envi-sager pour démocratiser l’ensei-gnement?Il faut sans doute distinguer deux étapes. Aujourd’hui, de nombreux acteurs de l’éducation (chercheurs, syndicats, associations,…) sont par exemple convaincus qu’il faut instaurer un tronc commun jusqu’à 15 ou 16 ans afin de s’assurer que 95% des élèves maîtrisent un socle ambitieux de compétences. Mais eu égard à l’énorme disparité de connaissances dès l’école primaire, à l’énorme disparité des conditions d’enseignement et vu l’histoire très décentralisée de notre enseigne-ment, il faut sans doute passer par une étape intermédiaire consistant à «mettre le paquet» sur les 10% d’écoles accueillant les publics les plus défavorisés. De façon à mon-trer que si on y met les moyens, on peut obtenir des résultats avec ces élèves. Tant qu’on ne fait pas un sacré bond en avant dans ces écoles et tant qu’il n’y pas un plan concerté d’intervention à la fois sur la qualité des ressources matérielles (les bâtiments et les équipements) et humaines dans ces écoles, on butera contre la résistance des parents et des enseignants qui

refusent de mélanger les publics. Dans un deuxième temps, on peut espérer que ces écoles vont devenir plus attractives pour les familles de la classe moyenne. D’autre part, avec une moindre disparité de connaissances entre élèves, il sera plus facile d’avancer vers un tronc commun prolongé.

Les écoles en discrimination positive, une rustine pour pas que ça pète ou un vecteur d’égalité des chances?Apporter plus de ressources aux élè-ves socioculturellement défavorisés parce que les obstacles à franchir sont plus importants, est un prin-cipe intéressant. Mais ce principe peut amener des effets pervers, en ce qu’il peut consister à se conten-ter d’apporter des moyens supplé-mentaires à des écoles en difficulté sans rien faire de plus. A moyen terme, cela permettra peut-être d’al-ler vers davantage de mixité sociale. En pratique, il ressort des quelques recherches consacrées à la discrimi-nation positive que ces effets sont faibles. Mais il faut savoir que les budgets alloués à la discrimination positive sont d’une extrême modes-tie (même pas 1% du budget de l’enseignement). D’autre part, les plans d’interventions dans les éco-les difficiles ne sont efficaces que quand il s’agit de plans globaux. Il ne suffit pas de donner des moyens financiers ou pédagogiques supplé-mentaires, il faut agir également sur les infrastructures, les conditions de travail, attirer les enseignants les meilleurs et les plus motivés, les relations avec les familles,…

Comment expliquer la résis-tance au changement (de cer-tains acteurs de l’enseignement et de la société plus générale-ment) en matière d’enseigne-ment?Changer un système d’éducation est quelque chose de très complexe. L’école et la représentation de l’école font partie d’un projet de société à teneur politique et culturelle. Or en Belgique, l’école et la représentation de l’école, ont historiquement (et encore aujourd’hui), toujours été pensées comme des projets où la place de l’autorité publique était extrêmement modeste. Choisir une école par exemple est généralement

perçu comme une question privée, un exercice de l’autonomie et de la liberté des parents. Je pense qu’il faut faire accepter par la population que l’école, ce n’est pas seulement un bien privé, c’est aussi un service public et donc une question collec-tive. C’est pourquoi, il est légitime que l’autorité publique intervienne dans ce domaine, afin notamment de réguler les inscriptions et la répartition des élèves entre écoles. Or ce type d’intervention est perçu aujourd’hui comme quelque chose de nouveau et à contre-courant des traditions nationales. Je pense que les réformes, pour pouvoir être mises en place et suivies d’effets sur le terrain, devront être perçues comme légitimes par la population et les acteurs de l’enseignement en particulier. Il faut donc un véritable travail de communication et de pédagogie autour d’un projet pour l’école. En tant qu’observateur privi-légié de l’enseignement, avez-vous l’impression que sa démo-cratisation est en marche?Marie Arena avait bien saisi le problème et a eu le courage de défendre de tels objectifs, à travers le contrat pour l’école notamment. Le décret inscriptions, quoique maladroit, a eu le mérite de mettre la question de la mixité sociale sur la table. Mixité qui a par la suite été développée plus largement par son successeur, Christian Dupont, dans un nouveau décret. Mais ces mesures ne vont pas changer grand-chose. Comme je l’ai dit tout à l’heure, le plus important à mon sens, c’est de mettre rapidement sur pied un plan massif pour les 10% d’écoles qui accueillent les publics les plus défavorisés de la Commu-nauté française, afin d’engranger enfin des résultats positifs.

Propos recueillis par

Florent Verstraeten

[1] Cette question est interprétée diffé-remment selon les chercheurs. Contraire-ment à la position défendue ici, d’autres chercheurs affirment que les élèves allochtones obtiennent, à niveau socioé-conomique égal, des résultats moins performants (le fossé entre allochtones et autochtones s’agrandissant à mesure que le niveau socioéconomique baisse).

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Ecole, lieu d’apprentissage du vivre ensembleL’Ecole a longtemps été réservée à une élite. En Belgique, ce n’est que dans l’Entre-deux-guerres, que la fréquentation de l’enseignement primaire s’est généralisée. Et il a fallu attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que la majorité des jeunes bénéficie également d’un enseignement secondaire. Cette massification de la fréquentation scolaire a rendu les écoles de plus en plus socialement hétérogènes, malgré le développement concomi-tant de filières de seconde zone et d’écoles de relégation.

Dans le même temps a crû le nom-bre des immigrés et la diversité de leurs origines géographiques. Ce qui a encore augmenté l’hétérogénéité

de la population scolaire puisqu’aux différences culturelles liées à l’appar-tenance à différentes classes sociales s’est ajoutée une diversité ethnique et philosophico-religieuse de plus en plus grande, particulièrement pro-noncée dans les villes.

Cette évolution rapide et fon-damentale a été, jusqu’ici, très insuffisamment prise en compte par le système scolaire. C’est ainsi, par exemple, que, quel que soit le niveau d’enseignement où ils fonctionnent, les enseignants sont, encore aujourd’hui, fort peu formés à gérer cette diversité. La recher-che en sociologie de l’éducation a pourtant, depuis longtemps, large-ment démontré que les principales victimes de ce manque d’outillage professionnel des enseignants sont

les élèves issus de milieux culturelle-ment les plus éloignés de la culture dominante de l’Ecole, à savoir ceux qui sont issus de familles pauvres1 d’origine étrangère2.

L’enjeu est de taille car l’Ecole, devenue pour la quasi-totalité de la population un passage obligé, du préscolaire au secondaire, n’est pas un service au public comme un autre. Elle est devenue une ins-titution-clé de toute société démo-cratique. En effet, contrairement à ce qui se passe dans le monde associatif où les personnes se trou-vent réunies en fonction de leurs affinités (communauté de centres d’intérêts ou d’opinions, mêmes origines géographiques, groupes d’entraide réunissant des personnes affrontant le même type de difficul-

tés, …), les écoles, au moins celles qui appartiennent aux différents réseaux publics, font se fréquenter sur le long terme des enfants et des jeunes qui ne sont pas réunis sur base de leurs goûts, leurs opinions ou leurs appartenances culturelles. Elles constituent par conséquent des mini-sociétés où peut s’expéri-menter le vivre ensemble. Si cette expérience se passe mal, c’est-à-dire si les élèves vivent comme une épreuve désagréable, voire doulou-reuse la fréquentation quotidienne d’autres élèves - et de professeurs - issus de «mondes» différents, cela laisse mal augurer de la manière dont ils appréhenderont ensuite le monde «du dehors». Le combat pour développer la «mixité sociale» dans les écoles est donc primordial, non seulement pour garantir l’accès

Pour des écoles publiques pluralistes

Dossier enseignement

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Dossier enseignementde tous à un enseignement de qua-lité mais également pour favoriser la paix civile, dans une Société qui est devenue largement multiculturelle.

Neutralité / laïcité / pluralismeDans ce contexte, je suis convaincu que cette paix civile ne peut qu’être favorisée si la reconnaissance du fait multiculturel passe par des actes concrets posés par l’institution scolaire. Et, les symboles ayant leur importance, je considère comme un signe indéniable d’ouverture, l’accep-tation du port de signes religieux ou philosophiques, hormis bien sûr ceux qui relèveraient d’idéologies fascistes ou racistes, manifestement contraire aux valeurs démocratiques qui sont au fondement de l’Ecole publique.

Car la neutralité de l’enseignement public est un mythe. Personne n’est «neutre» idéologiquement parlant. Les programmes scolaires ne le sont pas non plus. Les décrets concer-nant la «neutralité» dans les écoles publiques3 n’enjoignent d’ailleurs pas aux enseignants d’être neutres mais leur interdit, dans le cadre de leur fonction, toute forme de prosé-lytisme religieux ou philosophique ainsi que de militantisme politique. Quant aux élèves, les deux décrets stipulent qu’ils ont la liberté de manifester leur religion ou d’autres convictions et d’en débattre «à condition que soient sauvegardés les droits de l’homme, la réputation d’autrui, la sécurité nationale, l’or-dre public, la santé et la moralité publiques». Conditions auxquelles a été ajoutée, dans le décret de 1994, celle du «respect du règlement d’ordre intérieur de l’établissement». C’est cet ajout, porte ouverte à l’ar-bitraire, qui a permis l’introduction dans ces règlements d’articles inter-disant le «port de tout couvre-chef» ou le «port de signes religieux».4

Une Ecole publique ouverte à tous ne peut pas non plus être «laïque» au sens philosophique du terme. C’est-à-dire qu’elle ne peut exiger, ni des élèves, ni des enseignants qui la fréquentent d’adhérer à une vision

du monde et une philosophie de vie dégagées de toute référence à une vérité révélée ou à l’existence d’enti-tés surnaturelles. Mais l’Ecole publi-que, dont les valeurs de base sont celles de la démocratie, doit être «laïque» au sens politique du terme: elle ne doit prendre parti pour ou contre aucun système philosophique ou religieux.5 Cependant, vu l’am-biguïté que recèle le mot «laïque», je préfère qualifier de «pluraliste» l’Ecole publique de mes rêves. Cette dénomination permet d’affirmer à la fois une volonté de ne pas prendre parti mais aussi celle d’accueillir les jeunes sans a priori vis-à-vis de leurs choix philosophiques ou religieux.

Le religieux hors de l’Ecole?Dans un article intitulé Pour l’inter-diction du port du voile islamique à l’école6, Pascal Piraux, professeur de morale, affirme que «La religion est une affaire privée qui n’a rien à faire à l’école». Plus loin, il ajoute: «Notre combat pour la laïcité de l’école proscrit le religieux hors des encein-tes scolaires». Ainsi s’expriment certains «militants laïcs».

Je défends, quant à moi, le principe d’une Ecole publique ouverte à tous sans discrimination, ni sociale, ni ethnique, ni idéologique. Or, la majorité des élèves qui me sont actuellement confiés sont croyants et le plus souvent pratiquants, de diverses religions7. De plus, force m’est de constater que cet aspect de leur identité est généralement vécu par eux comme très important. Je me demande dès lors comment on peut affirmer comme le fait Pascal Piraux que «la religion ne concerne plus l’école».

Si elle veut vraiment s’occuper de l’éducation de TOUS les jeunes qui lui sont confiés, l’Ecole publique doit AUSSI se montrer accueillante vis-à-vis des croyants pratiquants.

Encourager la réflexion critique, refuser le prosélytisme Que cela implique-t-il sur le plan pédagogique? Est-il défendable d’exi-

ger des élèves, comme le fait Nadia Geerts8, de «laisser leurs particula-rismes au vestiaire»9? Je pense au contraire que les enseignants doivent tenir compte de ce que sont leurs élèves sur le plan identitaire. S’il est techniquement possible de «laisser son foulard au vestiaire», il n’en est pas de même pour ses convictions intimes: l’interdiction du port du voile par les élèves ne peut avoir pour effet que de «voiler» les convic-tions de celles-ci, pas de les leur ôter. C’est pourquoi je juge important que l’Ecole publique accorde une place significative à l’étude comparée des principales options philosophiques et religieuses. Ce qui n’est pas le cas actuellement: l’état des choses ins-tauré par le «pacte scolaire» tel qu’il est appliqué depuis 1959 ne favorise nullement les échanges et donc la réflexion personnelle des enfants et des jeunes à propos des questions existentielles et éthiques (le sens de la vie, l’amour, la mort, les notions de bien et de mal, …). Car le fait de séparer les élèves et de les confiner dans des «chapelles» idéologiques choisies une fois par an par leurs parents (ou par eux-mêmes quand ils deviennent majeurs) favorise au contraire l’endoctrinement et le repli communautaire. Je ne dis pas que tous les professeurs de «cours philo-sophiques» sont des propagandistes mais je suis absolument certain que le système d’organisation actuel favo-rise les endoctrinements, d’autant plus que ce sont les organes repré-sentatifs des différentes confessions religieuses qui choisissent les profes-seurs de cours de religion. Et ma lon-gue expérience professionnelle dans l’enseignement public (trente-trois années dans une quinzaine d’écoles différentes), me permet de témoigner du fait que, même si les professeurs de morale non confessionnelle ne sont pas nommés par le Centre d’Action Laïque, cette tendance à «prêcher pour sa chapelle» (laïque dans ce cas) existe aussi dans le chef de beaucoup d’entre eux.

De plus, je trouve cette séparation des élèves profondément préjudi-ciable du point de vue symbolique:

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alors qu’ils sont réunis dans tous les autres cours10, on les sépare quand il s’agit d’aborder ces questions fon-damentales. Qui pourrait nier que cette manière de faire favorise les replis communautaires? C’est pourquoi je suis tout à fait favorable à ce que les cours dits «philosophiques», soient remplacés par un seul cours de philosophie, non partisan, dont le but serait de nourrir la quête identitaire de tous les jeunes par l’examen comparé des réponses que les différents systèmes philosophiques, religieux ou non, apportent aux questions existentiel-les qu’ils se posent forcément.

Pour des accommodements raisonnables Une démocratie digne de ce nom doit prendre soin de ses minorités. Dans cet esprit, depuis le milieu des années 1980, le Canada a intégré dans son droit du travail le principe des «accommodements raisonna-

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Dossier enseignementbles». Celui-ci permet de prendre en compte des revendications particu-lières de personnes appartenant à des minorités (religieuses mais aussi ethniques, ou présentant des diffé-rences ou des handicaps physiques), dans la mesure où la satisfaction de ces demandes est finançable, où elle n’empêche pas l’institution de fonctionner et où elle ne porte pas préjudice à un autre groupe. Dans cet esprit et ces limites, des demandes liées à des conceptions particulières de la pudeur ou portant sur des possibilités de choix alimen-taires dans les cantines scolaires ou sur l’autorisation de s’absenter exceptionnellement pour des raisons religieuses devraient pouvoir être prises en compte. Des «accommo-dements raisonnables» se pratiquent d’ailleurs déjà dans beaucoup d’établissements scolaires, où ils contribuent grandement à ce que les jeunes issus des minorités concer-nées par ces mesures se sentent les bienvenus dans leur école.

La question du voile islamique - au même titre que, par exemple, celle de la kippa juive ou du turban sikh - devrait, à mon sens, être abordée dans le même esprit. Son port par les élèves à l’école me semble tout à fait acceptable à condition qu’il n’empêche pas la bonne marche des établissements. Il faut donc encadrer ce droit en définissant clairement ce qui est admissible (par exemple un foulard se limitant à couvrir les cheveux et le cou) et ce qui ne l’est pas (par exemple un voile couvrant la moitié du corps parce que cela constituerait un signe d’apparte-nance religieuse trop ostensible).

Des problèmes particuliers tels que celui du port du foulard durant les cours d’éducation physique ou la réticence de certaines jeunes filles à participer à des séances de natation devraient pouvoir se résoudre par le dialogue des directions d’école

et des enseignants avec les élèves concernées ainsi qu’avec leurs familles. A condition qu’il s’agisse de dialogues véritables entre par-tenaires respectueux les uns des autres, ce qui implique que les différents points de vue soient réel-lement pris en compte. Accommodements raisonnables: le cas particulier et délicat des enseignantsLes décrets «neutralité», déjà cités, distinguent nettement le cas des élèves de celui de leurs enseignants. De ces derniers il est exigé de renoncer, dans le cadre de leur pra-tique professionnelle, à toute forme de militantisme en faveur de quel-que idéologie que ce soit11. Je suis tout à fait de cet avis. Les ensei-gnants des écoles publiques ont pour mission commune de contri-buer à outiller intellectuellement les élèves pour les amener à penser de manière autonome et donc critique. La déontologie de leur métier inter-dit aux enseignants de profiter de leur position institutionnelle pour chercher à influencer les opinions des élèves qui leurs sont confiés. En matière d’accommodements rai-sonnables, le cas des enseignants se distingue donc, dans une certaine mesure, de celui des autres agents des services publics. D’autant plus qu’ils sont amenés à entretenir une relation de longue durée avec des enfants ou des adolescents et qu’ils sont chargés de deux missions qui leur donnent beaucoup de pouvoir sur eux: contribuer à leur éducation et, sauf dans le préscolaire, évaluer leurs apprentissages de manière certificative.

Cela implique-t-il que les ensei-gnants doivent cacher leurs opinions personnelles, de manière à appa-raître «neutres» ou «objectifs» aux yeux des élèves? Je ne le pense pas. Je suis au contraire convaincu qu’il

est pédagogiquement intéressant que les élèves prennent conscience que leurs enseignants ont des opi-nions personnelles et que celles-ci ont, qu’ils le veuillent ou non, une influence sur leur enseignement. Il en découle que je trouve parfai-tement acceptable que des ensei-gnants qui ont l’habitude de se vêtir en dehors de l’école d’une façon telle que soit visible une apparte-nance philosophique et/ou ethnique, puissent continuer à le faire dans l’enceinte de l’école. A condition bien sûr que ces choix personnels ne témoignent pas d’une adhésion à un système de pensée incompatible avec les valeurs fondamentales de l’Ecole publique (voir plus haut).

Ceci dit, je suis également convaincu qu’il est très important que les enseignants usent de cette possibilité avec la plus grande modération, conscients qu’ils doi-vent être du fait qu’en tant qu’adul-tes chargés d’éducation ils consti-tuent, qu’ils le veuillent ou non, des modèles pour leurs élèves. C’est pourquoi, par exemple, je n’admet-trais pas que des enseignants, vêtus en dehors de l’école de manière «non marquée» philosophiquement, adoptent expressément, sur leur lieu de travail un vêtement philosophi-quement marqué. Car dans ce cas, ils manifesteraient clairement une intention militante incompatible avec leur fonction.

Pour conclure Penser l’Ecole publique comme un lieu privilégié de l’apprentissage du vivre ensemble dans une société pluri-ethnique et pluri-philosophique est un défi crucial. C’est la viabilité d’une démocratie digne de ce nom qui est en jeu: celle qui prend soin de ses minorités et refuse d’intimer à ceux qui en font partie de renier leurs particularismes. C’est compli-qué? Oui. L’organisation de la vie en commun dans une démocratie est

beaucoup plus complexe que celle d’une dictature. Mais le jeu en vaut la chandelle. º

Michel Staszewski,

enseignant dans le secondaire et collaborateur scientifique du Service des Sciences de l’Education de l’U.L.B.

[1] De mon expérience d’enseignant ayant enseigné dans de nombreuses écoles sociologiquement très différentes les unes des autres, je retire la conviction que les différences culturelles entre personnes issues de classes sociales différentes ont un impact au moins aussi important sur les conditions d’apprentissage que celles qui proviennent de différences ethniques. Mais dans le cas des élèves issus de classes sociales défavorisées et de cultures minoritaires, ces différences se cumulent. [2] Cf., entre autres, BOURDIEU, P. et PAS-SERON, J.-C., La Reproduction. Eléments pour une théorie du système d’enseignement, Ed. de Minuit, Paris, 1970 / CHARLOT, B., BAUTIER, E. et ROCHEX, J.-Y., Ecole et savoir dans les banlieues … et ailleurs, Armand Colin, Paris, 1992 / LAHIRE, B., Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires, Gallimard - Le Seuil, Paris, 1995. [3] Décret définissant la neutralité de l’ensei-gnement de la Communauté (31/03/1994) et Décret organisant la neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné (17/12/2003). [4] Nuance intéressante, dans le décret de 2003 (c’est moi qui souligne): «Le règlement d’ordre intérieur de chaque établissement peut prévoir les modalités selon lesquels les droits et libertés précités sont exercés.»[5] Lire à ce sujet JACQUEMAIN, M. et ROSA-ROSSO, N. (dir.), Du bon usage de la laïcité, Aden, Bruxelles, 2008 et, en particu-lier l’article Les deux laïcités, pp. 5 à 9. [6] Article paru dans L’Ancre rouge (n° 9, avril 2008, pp. 14 à 16), publication de la Régionale de Bruxelles de la CGSP- Enseignement.[7] J’enseigne l’histoire en 4e, 5e et 6e secon-daire dans un établissement d’un quartier populaire de la région bruxelloise. [8] Autre professeur de morale, auteure de L’Ecole à l’épreuve du voile (Ed. Labor, Lover-val, 2006).[9] Tribune - CGSP enseignement, du 26-11-2007, p. 12.[10] Sauf celui d’éducation physique, cas par-ticulier dont il ne sera pas question ici.[11] Cf. l’article 4 de la loi du 21 mars 1994 (enseignement de la Communauté française) et l’article 5 de la loi du 17 décembre 2003 (enseignement officiel subventionné).

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Dossier enseignement

a pédagogie intercultu-relle est une pédagogie de la construction collective des savoirs et des connaissances dans laquelle les enseignants et les élèves ne sont pas

seulement les acteurs mais égale-ment les auteurs de la production de nouveaux sens et de nouvelles pratiques. Pour cela, il est nécessaire d’intégrer une approche pluridiscipli-naire, une méthodologie groupale, une pédagogie «expérientielle» qui puisse permettre de lutter contre les peurs, les crispations, les discrimi-nations, les intolérances et les mul-tiples formes de racisme qui sont souvent déguisées derrière des argu-ments «pseudo-culturels». Elle doit aider à «déconstruire» les visions essentialistes de l’identité et de la culture; lutter contre l’ «ethnicisation forcée» de l’autre qui l’enferme dans une vision caricaturale. Elle doit faci-liter le passage de l’ethnocentrisme vers l’ethnorelativisme et l’ouverture en promouvant le respect, la recher-che et l’intégration des différences dans son projet pédagogique3. L’ap-proche interculturelle défend égale-ment l’idée que nous avons besoin d’un vrai débat, d’une part sur la place de l’islam dans notre société et, d’autre part, sur le religieux à l’école.

Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est-ce qui ne l’est pas? Com-mençons par le titre:Comment une religion peut-elle «gangréner» l’école, c’est-à-dire putréfier les tissus d’une institution? L’école, en tant qu’institution, est elle-même en crise pour de multi-ples raisons trop longues à aborder dans cet article mais qui provoquent néanmoins un raidissement de nom-breux acteurs. L’islam en tant que religion ne menace rien du tout, par contre certains de ses pratiquants pourraient le faire. Les musulmans pratiquent aujourd’hui la deuxième religion en Belgique. L’immigration a profondément modifié la démogra-phie de notre pays, surtout dans les grandes villes. Les personnes issues de cette immigration sont devenues des citoyens à part entière et reven-diquent leur place dans la société et donc aussi à l’école.

Quelle différence entre être musulman et l’islamisme? L’islam est une révélation de la reli-gion d’Adam, de Noé et de tous les prophètes. Le livre sacré de l’islam est le Coran. Le dogme islamique s’est constitué à partir des révéla-tions d’Allah, transmises oralement par Mahomet, considéré comme un prophète par les musulmans. Le mot «musulman» désigne les

personnes croyant et pratiquant l’islam, ses lois et rites. Outre le Coran, les musulmans se réfèrent également aux paroles et actes de Mahomet, récits appelés hadiths. Cependant, les différentes branches de l’islam ne sont pas d’accord sur l’authenticité de tous les hadiths. Un musulman sunnite (qui repré-sente l’écrasante majorité en Belgi-que) est censé mettre en pratique les cinq piliers de sa religion. Il est très important de souligner qu’en islam, croyance et pratique sont intimement liées. Les actes sont donc le reflet de la foi. Beaucoup de jeunes qui fréquentent nos éco-les ne connaissent ni l’Arabe, ni ce qui est écrit dans le Coran. Beau-coup de parents de la 1ère généra-tion, souvent analphabètes, n’ont jamais pu lire leur livre sacré. De plus, provenant souvent de régions agricoles et/ou montagnardes, les migrants ont conservé des tradi-tions rurales et non religieuses.

L’islamisme, quant à lui, est une doctrine politique qui vise à l’expan-sion de l’islam. C’est un courant de pensée apparu au 20e siècle, qui s’est développé en réaction à l’échec des politiques de modernisation économique et sociale entreprises par les nationalistes arabes pendant et après la décolonisation. Face à

cet échec et à l’inertie des sociétés arabes, certains penseurs musul-mans ont proposé un retour aux valeurs fondamentales de l’islam. L’islamisme n’est pas uniquement un courant religieux stricto sensu, c’est aussi un système politique qui veut régir les aspects politiques, écono-miques et sociaux de l’Etat.

L’article du Vif confond allègrement les deux notions et en fait même des synonymes. Bien sur que l’is-lamisme existe en Belgique et que certains jeunes professent cette doc-trine auprès de leurs collègues de classe mais toutes les études sérieu-ses tant en Flandre qu’en Commu-nauté française (Manço et Dassetto) démontrent que l’écrasante majorité des élèves musulmans n’y adhère pas (pour l’instant, car aussi longtemps que l’islamophobie, la stigmatisation, les discriminations et les relégations continueront, certains jeunes se radicaliseront et une minorité d’entre eux terminera sa recherche identitaire dans des groupes intégristes). Il est du devoir de tout éducateur d’intervenir (voire d’utiliser des médiateurs) lorsque l’on constate le prosélytisme4 de certains élèves, mais l’augmentation d’une certaine pratique religieuse ne signifie en aucune façon l’augmen-tation d’une présence islamiste.

Oser la diversité culturelle à l’école

Cet article répond à un dossier du Vif/L’Express1. Je ne reviendrai pas sur la forme du dossier (généralisation de situations isolées; nombreux raccourcis, amalgames et simplismes)2 que le Mrax a abondamment critiqué en estimant qu’il alimente l’islamophobie et nourrit le racisme anti-musulman dans notre pays. Je voudrais néanmoins aborder les difficultés rencontrées par certains enseignants. Elles reflètent d’une part l’existence de la diversité culturelle dans les écoles et d’autre part le manque de formation des enseignants pour les aider à gérer cette diversité. La pédagogie interculturelle n’a toujours pas suffisamment pénétré les Instituts d’Enseignement Supérieur Pédagogique.

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Arrêtons de prendre les légitimes demandes de jeunes musulmans pour des revendications islamistes. Pourquoi toutes les demandes d’ordre culturel / confessionnel doivent être vues sous l’angle d’une menace? Peut-être pouvons-nous au contraire les prendre pour une adhésion à notre modèle démocratique, un signe que les jeunes se sentent faire partie de notre société au point de mettre en pratique deux valeurs chères à notre modernité: l’autonomie de pensée et le développement d’un esprit critique. Reprenons une à une les fausses véri-tés du Vif, dont certaines réfèrent à des revendications:

Les fêtes religieuses: rien n’empê-che (sauf la volonté politique) que la Communauté française décide un jour d’augmenter le nombre de jours fériés en fonction du nombre grandissant d’élèves pratiquant une religion autre que catholique. Les deux mois de grandes vacances sont par ailleurs beaucoup trop longues pour beaucoup d’élèves et parents. Ainsi, les écoles ne devraient plus organiser leurs journées pédagogiques ou leurs contrôles (et les élèves ne devraient

plus «boycotter les cours» ou «tomber malade») les jours des grandes fêtes communautaires. Il suffirait de négo-cier, comme d’autres pays l’ont déjà fait, avec les représentants des com-munautés et autres minorités cultu-relles, les jours importants pour eux. Dans certaines écoles catholiques, la direction a effectivement donné un local aux musulmans pour les prières mais celui-ci est fort peu utilisé (ce qui corrèle avec la faible fréquentation des mosquées chez les jeunes). Cer-taines revendications de ce type par des adolescents peuvent relever d’un «test de cohérence des adultes», voire simplement de la provocation.

Le Ramadan: Les enfants en bas âge et non pubères ne sont pas tenus de jeûner. Il est donc anormal qu’un enfant de 8 ans fasse le Ramadan (à part quelques jours pour faire comme les grands) mais vu que le jeûne dure jusqu’au coucher de soleil, rares sont les ruptures de jeûne qui interviennent lors des cours comme indiqué dans l’article du Vif. D’autre part, il est un fait avéré que l’organisme d’un indi-vidu est plus fatigué et qu’il peut alors être plus tendu lors de ce mois de recueillement. Dans les pays musul-

mans, le rythme de la vie s’adapte à celui-ci. Comment faire en Europe? Ici aussi, l’école pourrait en tenir compte, non pas en adaptant les cours (sauf qu’il ne serait pas très judicieux de placer les cours d’éducation à la vie affective et sexuelle justement ce mois-là), en supprimant les contrôles ou en supprimant les pratiques spor-tives mais bien en rappelant que le Coran impose aux fidèles de continuer leur vie et d’étudier comme d’habi-tude. Par ailleurs, il serait également opportun que les mosquées et autres associations musulmanes continuent à insister auprès de leurs membres que le mois de Ramadan est un mois de maîtrise, d’effort sur soi et d’aucune nuisance aux autres. Le musulman doit développer en lui ses qualités tel-les que bonté, bienveillance, patience, persévérance, justice, solidarité, fra-ternité... et réduire et supprimer en lui ses défauts tels que l’égoïsme, l’indi-vidualisme, l’hypocrisie, la médisance, la jalousie... Un signe de reconnais-sance serait donc de permettre aux élèves pratiquants le Ramadan (et qui le souhaitent) de pouvoir utiliser un autre local que celui de la cantine.

Les repas: la plupart des religions ont prescrit ou prescrivent des usa-ges spécifiques à l’alimentation de leurs fidèles, principalement pour des raisons spirituelles ou parfois à cause de théories diététiques5. Un raisonnement purement financier ne devrait pas empêcher une école de proposer différents types de repas avec et sans viande dans sa cantine. En aucune manière une majorité ne peut imposer un plat unique. Il est donc hors de question de fournir des repas halal à tous les enfants (ce qu’aucune association musul-mane ne revendique d’ailleurs). Afin de rassurer certains parents (et élè-ves) musulmans, il serait opportun de montrer d’une part les certificats de viandes halâl et d’autre part, les ingrédients des huiles végétales de cuissons (car certaines huiles anima-les proviennent du porc ou certains produits contiennent du cochon pour diminuer les prix de revient).

Le refus des cours de gym et de natation: pour beaucoup de jeunes l’adolescence est une période transi-toire très difficile à vivre. La poussée hormonale provoque une déstabili-sation de l’équilibre de l’enfance qui a des conséquences sur la construc-tion de la personnalité. Cette période est marquée par des chan-gements physiques (puberté puis fin de la croissance, corpulence, pilosité), affectifs (modification de la vie relationnelle, regard et relation garçon/fille, pudeur), intellectuels (compréhension de la société, de la vie et de sa vie, critique des adultes) et psychiques (recherche identitaire, acquisition progressive de l’autono-mie). C’est ainsi que certains gar-çons et beaucoup de filles mal dans leur peau cherchent des certificats médicaux pour ne pas devoir faire du sport «dénudé». Au Québec, les filles sont nombreuses à faire du sport car les «accommodements raisonnables» ont permis à celles-ci de garder le training et le foulard au cours de gym et des maillots aux manches et jambes longues à la piscine. Quand le refus était lié à la religion, des imams sont éga-lement intervenus pour expliquer aux filles que la natation n’entraîne aucune perte de virginité (rumeur). La pudeur face au corps dénudé est une dimension du psyché préco-cement construite par l’éducation, importante pour l’insertion sociale. C’est aussi un vécu subjectif, for-tement lié au sentiment de honte sur laquelle jouent, consciemment ou non, de nombreuses religions. Dans la culture musulmane, le terme awra désigne toute chose restée à découvert ou toute partie du corps que l’être humain cache par pudeur et faisant partie de sa vie privée, car la pudeur est considérée comme «une branche de la foi». C’est pour cette raison que beaucoup de gar-çons désirent porter un short dans une piscine et garder leur slip sous la douche. Des accommodements raisonnables, qui n’entravent pas le déroulement des cours, devraient pouvoir être discutés

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Dossier enseignementLe rejet des cours de biologie, de science et du Musée des Sciences Naturelles: l’article du Vif n’explique pas les raisons pour lesquelles une minorité d’élèves refuse la visite de ce musée mais ce qui est certain est que le Coran incite les fidèles à la recherche et à l’étude de toutes les sciences comme un devoir6: «Quiconque part à la recherche de la science agit pour la cause de Dieu jus-qu’à ce qu’il retourne chez lui» (hadith). L’apport des scientifiques musulmans au monde moderne est un sujet encore peu connu ou volontairement omis de nos jours en Occident. Pourtant, nombreux furent les génies de la science en terre d’Islam, qui participèrent directement ou indirectement à la transmission du savoir à l’Occident dans des disciplines variées telles que la médecine, les mathéma-tiques, l’astronomie, la chimie (Avicenne, Al Farabi, Al Razi, Al Khuwarizmi, Al Kindi, Ibn Is’Haq, Abu Al Qasum, pour n’en citer que quelques uns). Mevlana Djalaleddine Roumi, penseur persan du 13e siè-cle, mettait déjà l’homme au centre des préoccupations philosophiques et religieuses bien avant l’Occident, tandis que Ibn Khaldoun déclara avant Darwin que «le plan humain est atteint à partir du monde des singes (qirada)» ou encore que «le premier niveau humain vient après le monde des singes». Montrer aux élèves que des savants ont existé en dehors de l’Occident permet non seulement d’être plus fidèle à la vérité historique mais aussi de valoriser la diversité des sources et des cultures. Les défenseurs du créationnisme (plutôt américains que musulmans7) prétendent que la méthode scientifique exclut un cer-tain nombre d’explications de phé-nomènes, et la possibilité de toute intuition religieuse qui contribuerait à la compréhension de l’Univers. Les néocréationnistes argumentent sou-vent que la science naturaliste est une entreprise athée qui est la cause de nombreux maux dans la société

ou du désenchantement du monde. La majorité des élèves issus des dif-férentes migrations pensent comme la majorité des croyants que la Terre, et par extension l’Univers, a été créée par un être supérieur, un dieu. Cela constitue notamment l’une des croyances des trois principales reli-gions monothéistes (judaïsme, chris-tianisme et islam) qui partagent le Livre de la Genèse. Une façon aisée de désamorcer les conflits serait de présenter la coexistence de ces deux interprétations8 mais d’affirmer que le programme scolaire demande de présenter la théorie de l’évolution de Darwin. Les élèves seront question-nés sur leur compréhension de cette théorie et non sur son acceptation.

Les grands auteurs: le problème est que les professeurs enseignent certains grands auteurs, en oubliant que ceux-ci n’ont pas seulement légué de grandes œuvres à l’huma-nité mais qu’ils étaient aussi des acteurs de leur société de l’époque. Sur le plan politique, le darwinisme social a servi à justifier le colonia-lisme, l’eugénisme, le fascisme et surtout le nazisme. Cette idéologie considère légitime que les «races humaines» et les êtres les plus fai-bles disparaissent et laissent la place aux races et aux êtres les mieux armés pour survivre. Jules Ferry, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, Cervantès et beaucoup d’autres ont défendu l’esclavagisme ou le colonialisme. Certains d’entre eux nièrent que l’esclavagisme et les conquêtes coloniales ont été à la base de l’industrialisation de et enrichis l’Occident.

Les classes vertes ou de neige: cette problématique n’a souvent rien à voir avec la religion mais avec la méconnaissance des activités extra muros et l’interrogation sur leur utilité de la part de parents issus de milieux populaires, généralement eux-mêmes peu scolarisés. Sou-vent une rencontre entre l’école et les parents (parfois avec l’aide de médiateurs) suffit pour les rassurer

sur le contenu, l’encadrement des enfants les repas et les dortoirs lors des séjours. Un vrai problème reste que ces activités coûtent très cher pour des familles parfois nom-breuses et souvent financièrement précaires. Généraliser les caisses de solidarité, financées par l’Etat, pourrait aider à résoudre ce pro-blème dans des écoles de quartiers défavorisés.

Les relations hommes-femmes: un des «grands classiques» d’aujourd’hui est de faire croire que seuls les musulmans «oppriment» leurs femmes alors que la question de genre traverse l’ensemble des sociétés, y compris la nôtre (livres scolaires, jeux sexués, violence conjugale, inégalité de traitement et de salaire, image de la femme dans la publicité, etc...). Le Coran, comme tous les livres sacrés, souffle le chaud et le froid: de nombreux versets et autres hadiths valorisent la femme et la traitent à «égalité des hommes» mais certains sont néanmoins sujets à critique d’un point de vue de l’égalité homme-femme. Depuis les années 1990, un mouvement féministe musulman, proche de l’islam libéral, conteste l’interprétation d’un certain nombre de hadiths et lutte pour une égalité des droits à l’intérieur même de la sphère religieuse, et non seulement séculière. Aux premiers temps de l’islam, les hommes n’hésitaient pas à interroger sur des questions d’ordre juridique, Aïcha, la femme du Prophète, dont l’autorité en la matière était reconnue par les plus grands savants de l’islam. Aujourd’hui encore, dans un grand nombre d’universités musulmanes, les femmes jouent un rôle essentiel, dans l’enseignement aussi bien des sciences techniques que des scien-ces religieuses. Les garçons n’ont donc pas à refuser une enseignante, ni de s’asseoir à côté d’une fille. La non-mixité ne vaut que pour la pratique religieuse (la tradition de séparer les espaces dans les maisons est également en train de disparaître

dans les grandes villes) et là encore les féministes musulmanes contes-tent cette interprétation ainsi que le fait qu’une femme ne pourrait pas mener la prière.

L’influence de l’actualité internationale: il est indéniable que la diversification des sources d’information (câble, satellite et internet) a encore plus éloigné les enseignants de la culture et du cadre de référence de leurs élèves. Ils ne regardent pas les mêmes choses et n’ont donc pas les mêmes sources sur les évènements. Alors que les médias européens reprennent d’une façon peu critique les informations provenant des agences de presse américaines, les jeunes issus de l’immigration turque et maghrébine regardent des sites et télévisons communautaires qui proposent des analyses et images alternatives. D’autre part, ces jeunes mal dans leur peau car adolescents, ne voyant que peu de perspectives d’avenir dans leur ghetto social, se sentent plus que d’autres sensibles aux injustices et à l’oppression en Afri-que et au Moyen-Orient.

Les crimes et génocides commis e.a. au nom des religions (mais aussi du colonialisme et autres): Les jeunes belges (musulmans) sont particulièrement sensibles lorsqu’on évoque au cours d’histoire le géno-cide des juifs durant la 2e Guerre Mondiale sans parler de la situation actuelle des Palestiniens en Israël ou l’histoire de l’antisémitisme sans toucher un mot de l’islamophobie. Des jeunes Congolais sont par contre très sensibles aux dégâts causés par le roi Léopold II et le colonialisme belge ou l’oppression des noirs par les blancs aux Etats-Unis. Beaucoup se sentent égale-ment concernés par les différentes traites (négrière, musulmane) ou par le commerce triangulaire occi-dental. Les Arméniens, les Kurdes et autres vivent mal que la Turquie ne reconnaisse pas le génocide par l’Empire ottoman et qu’elle est com-

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Dossier enseignement

enseignement constitue pour les personnes issues de l’immigration un moyen important d’émancipation et de participation. Au

même titre que l’emploi, la lutte contre les discriminations, la politi-que d’intégration et la diversité dans les médias, l’enseignement est un champ d’action prioritaire.

Les associations de personnes issues de l’immigration, créées dès les pre-mières arrivées, ont depuis toujours œuvré pour un enseignement de qualité pour tous les enfants, origi-nes ethnique et sociale confondues. La voix des associations a long-temps été négligée dans les débats sur l’enseignement. Le regroupement des associations locales en fédé-rations (soit régionalement, soit par communauté) vers la fin des années ’90 et puis en un Forum des Minorités Ethniques et culturelles (Minderhedenforum), leur a permis d’augmenter leur influence dans les débats publics.

En Communauté Flamande il n’y a pas de tabou quant à l’utilisation de termes spécifiques désignant les personnes issues de l’immigration. Par conséquent, de plus en plus d’études contiennent des données sur base de critères ethniques ou

culturels et pointent les problèmes spécifiques des allochtones. Une récente étude de la VUB contient des chiffres relatifs à la sur- ou sous-représentation des enfants issus de l’immigration dans certaines filières d’enseignement. Un exemple frap-pant concerne les filles en troisième année des écoles professionnelles: 69% des filles d’origine turque fré-quentent ces écoles contre 18% des filles de souche belge.

Ces chiffres nous aident à convain-cre le monde de l’enseignement et de la politique que nos revendica-tions pour un enseignement de qua-lité et des mesures effectives sont justes et nécessaires.

Les politiques et les mesures envers les enfants issus de l’immigration ont été très spécifiques au début des années ’90 mais sont désormais de plus en plus élargies et structurel-les. L’actuel ministre de l’enseigne-ment, Frank Vandenbroucke, mène une politique d’égalité des chances sur tous les niveaux et dans tous les domaines de l’enseignement. Les mesures prises par le ministre visent surtout à diminuer les inégalités sociales, comme par exemple la grande réforme du financement de l’enseignement primaire et secon-daire, l’obligation pour les écoles primaires de fournir le matériel

nécessaire pour obtenir les socles de bases, ou encore le plafonnage des dépenses lors des excursions. Cette série de mesures est évidemment fort appréciée par nos associations.

En enseignement supérieur le ministre a stimulé une deuxième vague de démocratisation en créant des leviers financiers. Les hautes écoles et uni-versités doivent élaborer et appliquer des plans d’action sur la diversité afin de profiter d’un fonds spécial de financement. Le Minderhedenforum reste vigilant quant à ce plan car la tendance vers un enseignement supé-rieur plus ‘compétitif’, rationalisé et plus centré sur les recherches pourrait diminuer l’efficacité des mesures pro-mouvant la diversité.

Une autre stratégie du ministre est d’augmenter ou de préserver la qua-lité de l’enseignement par un renfor-cement de l’auto-évaluation des éco-les, l’augmentation du cadre d’assis-tance pédagogique des réseaux de l’enseignement et le renforcement de l’inspection. Le Minderhedenforum estime néanmoins qu’un contrôle sur l’utilisation des moyens par les écoles et sur les résultats obtenus par les enfants issus de l’immigra-tion reste nécessaire car le risque existe que les écoles fréquentées par un public défavorisé ne soient pas suffisamment aidées.

Revendications des associations flamandes

Le rapport de la Flandre avec ses minorités et son approche de l’école sont peu connus chez nous. Notre groupe de travail sur l’enseignement se nourrit également des expériences flamandes en la matière. Si nos voisins du Nord déploient plus de moyens que nous pour promouvoir la participation, les problèmes rencontrés restent apparemment les mêmes.

posée d’une multitude de peuples et de cultures. Au lieu d’avoir peur d’affronter ces débats en classe, l’école pourrait se saisir de ces occa-sions pour stimuler et développer la recherche et la critique historique mais aussi le pluralisme des points de vue, ce que propose la pédagogie interculturelle. º

Hamel Puissant

Athée et laïque, animateur-formateur au CBAI (Centre Bruxellois d’Action Interculturelle) et membre du MRAX

[1] Dossier Vif/L’Express N°35 du 29 août 2008: «Comment l’islam menace l’école»[2] Cf. communiqué de presse ci-joint en page 15.[3] Costanzo S. et Vignac L., «La péda-gogie interculturelle : revoir nos appro-ches et définir les objectifs essentiels», actes du VIIIe Congrès de l’Association pour la Recherche Interculturelle (ARIC), Université de Genève, 24-28 septembre 2001.[4] recrutement d’adeptes ou tentative d’imposition de ses idées et non de sim-ples échanges d’idées ou d’opinions [5] viande halâl, nourriture cachère, macrobiotisme, végétarisme, végétalisme, ne pas manger de viande ni de laitages le vendredi, etc…[6] Un quart du Coran, soit 750 versets, exhorte les fidèles à étudier la nature, à réfléchir, à faire entrer les connaissances et les notions acquises dans la vie de la communauté.[7] Voir, en page 16, l’article de Henri Goldman sur comment le Turc Harun Yahya essaye de bannir des cours de biologie des écoles des pays musulmans, l’étude de l’évolution biologique et du darwinisme. Néanmoins, Réda Bekirane, dans «Un cheval de Troie en islam, le créationnisme», rappelle qu’en islam, l’évolution et la contingence sont ins-crites au coeur même de la révélation coranique qui n’est d’ailleurs pas descen-due de manière « complètement formée» (…) Par ailleurs, même en partant d’une création divine du monde, une différence radicale persiste entre le créationnisme fixiste propre au protestantisme et la conception islamique où Dieu travaille continuellement à sa création. C’est pour cette raison que l’importation en islam du créationnisme évangélique et de sa vision fixiste constitue une aberration mentale et une involution dans l’histoire intellectuelle contemporaine. [8] Une proposition scientifique n’est donc pas une proposition vérifiée - ni même vérifiable par l’expérience -, mais une proposition réfutable (ou falsifiable) dont on ne peut affirmer qu’elle ne sera jamais réfutée (Karl Popper).

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Dossier enseignement

Autre réforme importante: celle de la formation des enseignants. Les compétences interculturelles font désormais partie des compétences de base. Malheureusement les cours restent encore trop classiques et les opportunités pour les enseignants en formation de faire un stage – tutorat sont limitées.

Dans les recyclages pour ensei-gnants, les compétences intercul-turelles font partie de l’assistance pédagogique. Des centres spéci-fiques (Steunpunt GOK), auprès des universités de Gand, Louvain et Anvers, sont subsidiés par le gouvernement flamand pour fournir des formations quant à l‘égalité des chances. Le problème est qu’un nombre limité d’enseignants suivent ces formations et que souvent les ‘convertis’ se retrouvent assez seuls dans leurs écoles lorsqu’il s’agit d’appliquer ces connaissances. Le climat ‘anti – immigrés’ persiste ou augmente et se cristallise ces der-nières années dans une intolérance envers l’islam, la méconnaissance du néerlandais et tout autre facteur qui serait signe d’un prétendu ‘manque d’intégration’.

Pour chaque cas de discrimination, les établissements trouvent des justificatifs. Souvent les faits ne peu-vent que difficilement être prouvés et s’inscrivent dans une attitude plus générale de mépris envers les enfants et parents issus de l’immi-gration.

Prenons comme exemple l’inscrip-tion d’élèves dans les écoles. Une association marocaine à Anvers a rédigé un rapport décrivant les magouilles utilisées par les direc-tions d’écoles pour contourner le droit d’inscription des parents. L’inscription ne peut théoriquement être refusée que si une classe est complète, qu’un élève écope d’un avis de renvoi en enseignement spécial ou lorsqu’une école ne peut ‘accueillir’ un élève renvoyé par une autre. Pour augmenter la mixité sociale les écoles peuvent se mettre

d’accord pour organiser des périodes d’inscription pour des groupes d’en-fants prioritaires. La règlementation de l’inscription est donc très compli-quée surtout pour des parents issus de l’immigration. Les directions d’écoles en profitent pour semer la confusion sur les périodes d’inscrip-tion, les journées portes ouvertes et les moments d’inscription. Quand la sélection à l’inscription n’est pas possible, les élèves ne correspon-dant pas au profil souhaité sont bannis par les règlements d’ordre intérieur (principalement mesures vestimentaires et interdiction des signes religieux), les exigences financières (obligation de participer aux excursions, fréquentes et par-fois chères, sous peine de sanction pédagogique et disciplinaire), les difficultés pédagogiques.

Le gouvernement flamand ne fait pas grand-chose pour combattre ces discriminations. Dans le cas de l’inscription, il existe une lourde procédure d’appel mais dans le reste du domaine de l’enseignement seul le Centre pour l’Egalités des Chan-ces (fédéral) est compétent. Reste à voir comment le nouveau décret flamand sur l’égalité des chances sera appliqué.

Le ministre Vandenbroucke a pris toute une série de mesures pour renforcer l’apprentissage du néerlan-dais comme par exemple des forma-tions spécifiques pour enseignants (y compris en maternelle). Chaque école doit rédiger et appliquer un plan d’action sur l’apprentissage du néerlandais. Les initiatives d’immer-sion en langue française et anglaise restent très limitées. Les quelques projets d’apprentissage de langue maternelle par les enfants issus de l’immigration sont mal perçus par le ministre et la société (voir p. 12, Echec scolaire? Je ne donnerai pas ma langue (maternelle) aux chats!) Les associations qui organisent des cours en langue maternelle (souvent liés avec des activités de loisir) ont du mal à trouver des subsides auprès des autorités locales. Les services communaux d’intégration

manquent souvent de moyens pour soutenir les associations. La concer-tation locale avec le monde associa-tif allochtone varie d’une commune à l’autre et dépend de la volonté politique. De manière générale, le gouvernement flamand se borne à conditionner les mesures «sociales» à la connaissance de la langue. Le Minderhedenforum questionne cette tendance et constate que le débat est cantonné à la question de l’in-tégration.

Depuis 2002 il existe aussi des plateformes de concertation locale où des places sont réservées aux représentants des communautés. La concertation peut être un lieu de rencontre entre ceux-ci et direc-tions d’écoles et ainsi faciliter la coopération sur des projets locaux, comme par exemple l’organisation des écoles de devoirs ou la création d’un comité de parents issus de l’immigration. Les représentants, souvent collaborateurs ou bénévoles d’une association, peuvent coopérer dans des campagnes d’information organisées par des centres PMS sur l’inscription, les bourses scolaires, l’accompagnement des élèves ayant des difficultés d’apprentissage, etc.

L’expérience montre toutefois qu’il est parfois très difficile de trouver des bénévoles prêts à siéger dans une plateforme locale. Une réunion avec un grand nombre de décideurs, qui évoquent les problèmes des enfants issus de l’immigration en des termes pas toujours agréables, effraie et démotive des bénévoles. Même pour un collaborateur d’une association il n’est pas facile de tenir le coup dans cette ‘cage aux lions’.

Un décret flamand sur la participa-tion oblige chaque école d’ériger un conseil des parents et un conseil d’école (directions, enseignants, parents). En enseignement secon-daire, on ajoute la représentation des élèves. Grâce à ce décret le Minderhedenforum a obtenu une place dans le conseil de l’enseigne-ment flamand et est donc reconnu

comme partenaire dans l’enseigne-ment au niveau du gouvernement. Nous avons aussi des contacts en direct avec le cabinet du ministre de l’enseignement et les parlementaires qui travaillent sur ce thème.

Toutefois, contrairement à son prédécesseur, Marleen Vander-poorten, l’actuel ministre Frank Vandenbroucke n’est pas tellement prêt à renforcer la participation dans l’enseignement. Il soutient davan-tage la piste de responsabilisation individuelle des parents.

Il est clair que le monde associatif immigré flamand veut être partenaire dans une politique d’égalité des chances dans l’enseignement. On a besoin d’associations qui renfor-cent les parents, les informent, les sensibilisent, les accompagnent, organisent des lieux et moments d’échange entre eux mais aussi avec l’enseignement. L’introduction d’élé-ments interculturels dans les écoles peut réellement augmenter la qualité de l’enseignement et enrichir les connaissances de tous les élèves et des enseignants. Le Minderhedenfo-rum trouve que l’actuelle politique d’égalité des chances vise surtout l’échec scolaire et les difficultés d’apprentissage mais ne favorise pas la mise en valeur de la diversité. º

Sanghmitra Bhutani

Collaboratrice ‘enseignement’ auprès du Forum des Minorités Ethniques et Culturelles (Minderhedenforum), un groupement de fédérations de personnes issues de l’immigration en Communauté Flamande et Région Bruxelloise.

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Dossier enseignement

a ville de Gand a décidé, l’année dernière, de lan-cer le projet Onderwijs in Eigen Taal en Cultuur (OETC, enseignement en langue et culture d’ori-

gine) dans deux écoles du réseau communal pour l’année scolaire 2008-2009. Il s’agit, durant les deux premières années du primaire, de coupler les cours de néerlandais à des cours de langue turque pour les élèves turcophones qui le souhai-tent. Objectif poursuivi: permettre aux enfants ne connaissant pas le néerlandais de s’alphabétiser en attribuant un sens aux mots appris, puis de transmettre l’acquis en lan-gue maternelle vers le néerlandais. Car on constate effectivement que «les primo arrivants d’Europe de l’Est qui ont suivi un enseignement de base dans leur langue maternelle apprennent le néerlandais plus facilement que les jeunes Turcs ou Marocains nés ici et placés dans les classes maternelles en néerlandais.»1

Cette conception de l’enseignement, promue depuis plusieurs années déjà par divers pédagogues et cher-cheurs (p. ex. Cummins, 2000), rompt avec l’approche paternaliste

qui recommande, comme simple remède, de pratiquer le néerlandais à la maison. Comme le suggère Jas-paert (2006)2, on ne peut exiger des familles de parler la langue domi-nante à la maison si l’école échoue dans l’enseignement de cette lan-gue. Il faut donc inverser la relation causale: c’est quand la maîtrise du néerlandais devient suffisante que les familles s’empressent bien de l’utiliser comme langue courante à la maison. Le projet OETC s’inscrit donc dans un cadre pédagogique plus vaste: la ville facilite également la pratique du néerlandais par les parents via un renforcement des structures de communication entre les écoles et les familles.L’annonce du projet gantois a embrasé les médias et le ministre flamand de l’enseignement Frank Vandenbroucke s’y est opposé. Tout le monde a cependant omis de mentionner que le même projet est mené depuis 1981 (oui, 27 ans déjà!) dans 7 écoles flamandes à Bruxelles (3 écoles pour le turc, 2 pour l’italien et pour l’espagnol) par l’asbl Foyer! Forte de son expérience dans le domaine, l’asbl Foyer sou-ligne dans ses évaluations que les élèves suivant le programme OETC

réussissent mieux leurs classes secondaires que la moyenne des élèves issus de l’immigration et sont très peu relégués vers l’enseigne-ment technique ou professionnel. Enseignement réussi: simple histoire de langues? Ja wel! º

Erdem Resne

[1] Extrait du rapport de Luc Heyerick, Directeur du département enseignement de la ville de Gand. Cette thèse est sta-tistiquement soutenue par les rapports PISA (2000 et 2004).[2] Jaspaert, K. (2006), ‘Taal, onderwijs en achterstandsbeschrijving: enkele overwegingen’, in: Sierens, S., e.a., red., (2006) Onderwijs onderweg in de immigratiesamenleving, Academia Press, Gent, pp. 139-164

Echec scolaire? Je ne donnerai pas ma langue (maternelle) aux chats!

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Il règne en Belgique francophone une image austère de la Flandre en termes d’ouverture aux langues étrangères. Le gouvernement flamand conditionne en effet l’octroi de logements sociaux à une bonne connaissance du néerlandais (ou du moins à une volonté de l’apprendre), et la langue de Vondel est la seule reconnue dans l’enseignement officiel. Qu’à cela ne tienne, des initiatives innovantes sont en marche, qui seraient inimaginables chez nous.

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InterviewDossier enseignement

Quel sens a pour toi le port du foulard?

Je pense que Dieu me l’a demandé. Et comme je crois en Dieu… C’est vrai que je vois mon entourage le mettre aussi et ça m’a motivée. Mais le foulard n’est pas une obligation par les parents, c’est un choix. Ils peuvent expliquer, après si la fille ne fait pas ce choix, il faut le respecter. J’ai plutôt tendance à faire le contraire de ce qu’on me dit. J’ai besoin de comprendre par moi-même. Alors avant que je ne décide de porter le foulard, j’ai demandé à mon père s’il serait fâché après moi si je ne le portais pas. Il m’a répondu que non, mais qu’il serait content si je le décidais. Là j’ai su que je pouvais faire un choix pour de bonnes raisons.Maintenant, ce n’est par parce qu’on met le foulard qu’on doit être fermé à tout. Certains pensent que si on met le foulard, on est à fond dedans, qu’on ne fait que ça, on ne voit personne, on ne va nulle part… Je ne dis pas qu’on doit tout faire, mais on est comme tout le monde, on fait ce qu’on veut.Il y a aussi des filles qui ne vivent

pas bien le port du voile parce qu’elles sont forcées de le porter… Les parents parfois ne comprennent pas leurs enfants, surtout s’ils sont adolescents.

Le foulard était donc autorisé durant ta première année. Comment cela se passait-il, y avait-il des tensions?

Non c’était normal. On savait que dans notre école on pouvait mettre notre foulard, mais on ne faisait pas la différence à part ça. Les filles en foulard s’amusaient comme tout le monde, s’habillaient comme tout le monde… Le directeur non plus n’avait pas de problème.Entre élèves, il n’y avait pas de pro-blèmes. En classe, c’est la prof qui choisit les places, je suis toujours assise à côté d’un garçon. Ce qui ne me dérange pas comme je m’en-tends bien avec les garçons. Les filles en foulard allaient aux voyages, à la gym comme les filles qui ne le portaient pas. On voyait bien qu’el-les avaient quelque chose sur la tête mais au niveau personnalité c’était comme les autres.

Comment as-tu appris que le foulard allait être interdit dans ton école? Quelles sont les raisons qui t’ont été données? En fait, ils ne nous ont vraiment pas dit pourquoi ils l’ont interdit. Je suis arrivée un après-midi en mai, où tout le monde tirait la tête. En classe, l’ins-titutrice nous a dit «voilà pour celles qui portent le foulard, pour l’année prochaine vous devez l’enlever». Nous avons demandé pourquoi. L’institutrice nous répond «on ne sait pas pour-quoi mais le P.O. a décidé» Jusqu’à aujourd’hui on ne nous pas dit pour-quoi. Elle nous a ensuite demandé si on comptait rester ou pas.

Comment as-tu pris la chose? D’abord je me suis demandé ce qu’il leur est arrivé, pourquoi ils ont pris cette décision, surtout qu’ils ne nous ont pas expliqué. Je me demandais à chaque fois ce que j’allais faire. Mes parents m’ont dit qu’ils allaient chercher, mais que s’ils ne trouvaient pas, j’allais rester. Mais ils m’ont aussi dit que même s’ils trouvaient une autre école, elle allait bien interdire le foulard

un jour ou l’autre: aux Ursulines non plus on ne s’attendait pas à ce qu’ils l’interdisent car il n’y avait pas de raison. En plus c’est une école catholique et même dans leur religion, les religieuses doivent se couvrir les cheveux.J’étais un peu bousculée car je me suis demandé si j’allais enlever mon foulard ou non, changer d’école. Surtout que je commençais à m’habituer à cette école, au niveau, aux professeurs, à mes amis.En plus on n’avait pas trop le temps de chercher une école: on étudiait pour nos examens du mois de juin. Donc finale-ment, je suis restée aux Ursulines. Maintenant il n’y a presque plus d’école où on peut mettre le foulard, et celles qui restent ne sont pas vraiment des bonnes écoles. Dans quelques écoles, on peut mettre un demi-foulard, c’est-à-dire un bonnet sur la tête.

Penses-tu qu’au niveau de l’école, il y avait moyen de faire autrement que l’interdiction?

Je ne sais pas. Je sais que le collec-tif des parents et le M.R.A.X. ont proposé d’organiser une médiation. Le principe était qu’à chaque fois où

«Ils ont dit qu’ils interdisaient tous les signes religieux… dans une école catholique! Des croix j’en vois plein tous les jours, alors quoi? »

L’Institut des Ursulines (Koekelberg et Molenbeek) était l’un des derniers établissements secondaires à autoriser le port du voile en Région Bruxelloise. Le pouvoir organisateur a suivi la majorité et instauré l’interdiction à partir de cette année, malgré une tentative de médiation menée par le MRAX. Jamila (prénom d’emprunt), 13 ans et demi, fait partie des nombreuses filles contraintes d’ôter le foulard. Elle nous exprime le vécu des principales concernées.

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Dossier enseignementl’école se plaint d’un comportement à cause du foulard, on demande à quelqu’un extérieur à l’école de venir discuter avec la fille et le directeur. On a essayé plein de choses. On a discuté avec le directeur, il a dit que ce n’était pas sa décision. Les parents ont essayé de parler avec le P.O. mais ils ont dit que la décision avait été prise, et que ça ne chan-gera pas. Donc je ne sais pas s’il y avait moyen de faire autrement, mais je sais qu’on n’a pas essayé de faire autrement.

Qu’est ce ça te fait de retirer ton foulard chaque jour en entrant dans l’école, et de le remettre à la sortie?

Je ne sais pas trop comment l’expri-mer. Je le ressens de façon différente chaque jour. Le premier jour c’était vraiment bizarre. J’étais habituée pendant un an à aller à l’école avec mon foulard. J’ai senti du froid dans mes oreilles. Je suis allée dans les toilettes des filles, et je n’ai pas voulu en sortir pendant 30 minutes. Et après ça les filles m’ont dit que c’était si facile pour moi d’enlever mon foulard. Comme si c’était facile! Les gens jugent sans connaî-tre vraiment la situation.Les autres jours, je sais que je suis obligée de l’enlever. Je commence à m’habituer, mais ce sentiment d’habitude ne me plaît pas. Quand j’ai décidé de le mettre, j’ai fait un choix et là j’ai l’impression d’être contrainte à ne pas exprimer mon choix, à y renoncer, bref de ne pas être fidèle à moi-même.A la sortie de l’école, quand je peux remettre mon foulard, c’est le contraire. Je revis mon choix, je respire, je fais ce que je voulais faire. J’ai décidé de porter le foulard pour être heureuse avec. Et là un bête règlement injuste, où quelques personnes décident seules de ce qui est bien pour moi, vient m’en empê-cher. Alors forcément, quand je sors de l’école je me sens enfin libre de vivre mon choix.

Penses tu que l’interdiction du foulard est liée à du racisme anti-musulman?

Je crois que c’est lié, car ils ne nous ont donné aucune raison. Ils ont dit qu’ils interdisaient tous les signes religieux… dans une école catholi-que! Des croix j’en vois plein tous les jours, alors quoi? º

Propos recueillis par Salim Haouach e nombreuses et

diverses initiatives tentent de lutter contre le caracè-tre inégalitaire et discriminatoire du système scolaire

francophone. Parmi celles-ci, le Pro-gramme Tutorat, organisé par l’asbl Schola ULB1, en est un exemple. Son principe est simple et il se base sur trois piliers:– soutenir les élèves sur le plan du

savoir, du savoir-faire et du savoir-être;

– aider les élèves à se réconcilier avec l’école et retrouver confiance en eux;

– informer et faciliter la transition des élèves vers l’enseignement supérieur.

Pour ce faire, des étudiants – les tuteurs – viennent chaque semaine dans des écoles dites à difficultés (population défavorisée socioécono-miquement et présentant un taux d’échec élevé) et organisent des séances de tutorat pour des petits groupes d’élèves (3 à 8 élèves par tuteur). Aujourd’hui, ce programme vise 22 écoles en Région Bruxelloise, ce qui représente près de 1500 élè-ves aidés par 200 tuteurs.

Bien plus qu’une répétition des matières enseignées par leurs pro-fesseurs, le contact avec le tuteur leur permet d’aborder leur cours via un autre angle en leur redonnant le désir d’apprendre. En effet, de par leur proximité en âge, les échanges entre élèves et tuteur sont souvent facilités. Cela crée également une ambiance plus décontractée au sein du groupe, ce qui permet à cha-cun de partager ses expériences. Il n’est pas rare que l’élève reprenne confiance en lui du simple fait de voir que le tuteur a lui aussi rencon-

tré des difficultés à l’école qui ne l’ont pas empêché de persévérer et de continuer sa voie dans l’ensei-gnement supérieur.

Même si l’objectif premier d’un tel programme n’est pas de lutter contre les discriminations dans l’enseigne-ment, il est évident que le soutien scolaire destiné à ces élèves leur permet d’atténuer leurs difficultés, eux qui n’ont pas toujours eu toutes les chances de leur côté et qui sont trop souvent regroupés dans des écoles «ghettos». Il est également à noter que ce programme est gratuit pour l’élève, ce qui permet au plus grand nombre d’avoir accès à un tel soutien scolaire.

De plus, stimuler la rencontre de jeunes universitaires avec des élèves issus de milieux socioéconomiques différents permet à chacun d’ouvrir ses yeux sur un monde qui lui est parfois inconnu. Ce qui ne peut qu’aider à mieux comprendre l’autre pour prouver que la diversité sociale et culturelle est la plus grande force qui garantira la réussite – scolaire mais surtout humaine – de toute la classe.

De tels projets n’ont pas la préten-tion de révolutionner le monde de l’enseignement mais ont tout de même l’espoir d’apporter leur pierre à l’édifice pour qu’un jour «l’élitisme pour tous» soit la réalité. º

Jérôme DanguyDoctorant ULB

[1] Voir leur site internet pour toutes informations complémentaires: www.schola-ulb.be

Le tutorat, une expérience de proximité

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InterviewActualité

ans nier l’existence d’incidents qui puis-sent survenir ici et là, ni même s’opposer au principe même de critiquer une religion

quelconque, le MRAX avait en effet estimé que le contenu de l’article, de même que sa forme, créaient des amalgames inadmissibles. Sur le contenu, l’article et les encarts - dont le vocabulaire même est tendancieux (ex : « la commotion qui sévit », « les élèves (...) s’at-taquent à », « les profs (...) ont vu débarquer », etc.) - sont un ramassis d’exemples stéréotypés qui circulent à la charge des élèves musulmans et de leurs parents, lesquels n’amèneraient à l’école que des problèmes pêle-mêle : port du foulard, revendication de menus halal, refus de mixité, « poussée de

fièvre communautaire », atteinte au « caractère laïque de l’école » (sic), jeûne durant le mois de Ramadan, certificats de complaisance et refus des pratiques sportives (natation, ...), débarquement de « néocréation-nistes musulmans », non-participa-tion aux classes vertes ou de neige, « boycottage du cours d’histoire sur la Shoah », etc. Le récit est fondé sur une collation de casuistiques orientées : des cas individuels viennent donner corps à chaque dif-ficulté alléguée, bien entendu sans respect du « contradictoire » et sans témoignage en sens contraire pour ne pas compromettre la cohérence des amalgames, raccourcis et accu-sations de la « journaliste ».

Le MRAX a saisi l’AJP, estimant que le Code des principes de journa-

lisme (adopté par l’AGJPB en 1981) a été violé [« Les faits doivent être recueillis et rapportés avec impar-tialité » (pt. 2.) et « La presse (...) s’oppose à toute discrimination pour des raisons (...) de race, de nationalité, de langue, de religion, (...) d’ethnie, de culture, (...) ou de convictions (...) » (pt. 4)]. Nous nous réjouissons que notre plainte soit déclarée recevable. Toutefois, les avis rendus par le Conseil n’ayant qu’une portée symbolique, le MRAX profite de cette occasion pour que le débat sur la création d’un Conseil du Journalisme (équivalent au Raad van de Journalistiek) soit relancé. º

La plainte du MRAX déclarée recevable par l’Association des Journalistes Professionnels!

Dans sa livraison du 29 août au 4 septembre 2008, le Vif/L’Express publiait un dossier intitulé « Comment l’Islam menace l’école », alimentant selon nous l’islamophobie et le racisme anti-musulman. Le MRAX, qui avait saisi l’AJP se réjouit de voir sa demande recevable et souhaite que cette saisine relance le débat sur la création d’un réel conseil du journalisme pour l’aile francophone du pays, comme il en existe en Flandre.

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Actualité

en croire Le Vif/L’Express [du 27 août 2008], «des professeurs de sciences se frottent à des élèves contes-tataires, surtout

musulmans, lorsqu’ils enseignent les théories de l’évolution (…). Pour ces élèves, l’Univers et le vivant ont été créés par Allah.» L’islam a bon dos. Selon Malek Chebel: «Pour l’islam, le darwinisme ne remet pas en cause l’essentiel de la foi (Dieu est Un, Mahomet est son prophète), à la différence de ce qui s’est passé pour le christianisme, au sein duquel la science, mettant en cause l’historicité de la Bible, a sapé l’enseignement officiel du magistère et ébranlé les croyants. L’islam ne craint donc pas le récit des évo-lutions et mutations de l’espèce humaine. Pour lui, le darwinisme est une théorie, ni plus ni moins, en concordance avec d’autres matérialismes de l’histoire, qu’il faut accueillir comme une connaissance rationnelle et qui est enseignée dans les pays musulmans. L’islam n’a pas à avoir peur du darwinisme.» Et de fait, il n’y a qu’un seul foyer virulent de la contestation du darwinisme au sein de l’aire culturelle musulmane.

Il s’est constitué en Turquie autour de la personnalité mystérieuse d’Ha-run Yahya, alias Adnan Oktar, qui brasse pêle-mêle les obsessions les plus communes de la mouvance de l’extrême droite islamo-nationa-liste: promotion du panturquisme, dénonciation du mensonge du génocide des Arméniens et de celui des Juifs, du sionisme et des «terro-ristes kurdes darwiniens». Disposant désormais d’une capacité financière inépuisable, Harun Yahya professe une idéologie qui va d’ailleurs beau-coup plus loin que la contestation du darwinisme puisqu’il remet en cause la matérialité du monde et du temps. À partir de là, toute une production obscurantiste – livres, CDs et vidéos – fleurit, y compris en français, sous la plume de «profes-seurs» dont le titre est aussi invéri-fiable que l’identité.

Place maintenant à une autre contestation du darwinisme. Dans le pays qui compte le plus grand nom-bre d’universités prestigieuses et de prix Nobel au km2, la contestation du darwinisme est devenue aussi légitime que sa promotion. En 2006, une enquête de CBS indiquait que 65% des Américains se déclaraient

Comment le créationnisme menace l’«Occident»1

Suite au sulfureux dossier du Vif/L’Express sur «Comment l’Islam menace l’école», Henri Goldman fut l’un des nombreux observateurs à dénoncer la caricature opérée par la revue. Dans une analyse intelligente du créationnisme, l’auteur déconstruit l’argument selon lequel l’Islam serait la principale menace à la science via le créationnisme.

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InterviewActualitéen faveur des thèses créationnistes (rebaptisées «intelligent design»). Ce taux montait à 71% parmi les par-tisans de Georges Bush qui s’était prononcé, comme plusieurs de ses prédécesseurs et comme ses héritiers du ticket McCain-Palin, en faveur d’un enseignement qui présenterait à égalité les deux thèses. En 2005, cette éventualité a été déclarée anticonstitutionnelle par la Cour Suprème au nom de la séparation de l’Église et de l’État. Mais la droite conservatrice américaine n’est pas pressée. Elle se donne 20 ans pour en finir avec Darwin. With God on our side…

Le parallélisme entre les deux bran-ches du créationnisme contemporain est troublant. Ce sont les mêmes

arguments que l’on retrouve dans les élucubrations d’Harun Yahya et du Discovery Institute. On connaissait le rôle pervers joué par les États-unis dans la mise en selle de Ben Laden et des Talibans. Comme si chaque partie avait eu besoin de se constituer son double en miroir pour configurer le monde en noir et blanc et en bannir toute complexité. C’est avec la même certitude d’avoir Dieu de leur côté et le même substrat philosophique que les états-uniens et les islamistes se combattent désormais. La symétrie est parfaite. Presque.

On dira qu’aux États-unis, il y a tout de même la démocratie élective et les droits de la personne. Une affir-mation qu’on pourrait sérieusement nuancer, des couloirs de la mort à Guantanamo, mais soit. Mais ce sont les États-unis qui disposent de la force impériale, et celle-ci ne se traduit pas uniquement en supério-rité militaire. La responsabilité du système américain dans les injusti-ces du monde reste sans commune mesure avec celle qu’on impute aux islamistes, qui ne sont que des petits artisans du crime faisant face à des industriels sophistiqués en col blanc.

Et c’est dans un tel contexte qu’on assiste au retour d’un vieux signi-fiant oublié: l’Occident. L’Occident, c’est cet ensemble qui englobe dans une unité supérieure l’Europe et l’Amérique du nord, soudées autour de valeurs communes. L’Europe y avait renoncé, cultivant sa différence par rapport aux cousins américains. On ne manquait pas de fustiger les Anglais qui restaient scotchés à la Maison Blanche. La chute du Mur avait contribué à rendre le concept obsolète et, dans sa nouvelle croi-sade contre le terrorisme, Washing-ton avait trop besoin du soutien des Russes. La crise géorgienne nous renvoie trente ans en arrière. Et voilà De Gucht et Kouchner qui mobilisent les Occidentaux dans leurs exhortations. Il ne manque

plus que la référence au Monde libre pour reconstituer l’arsenal rhétorique complet de la Guerre froide. L’Eu-rope se retrouve à faire bloc avec les USA, et les nuances sont de moins en moins perceptibles.

De la géopolitique mondiale aux écoles de Molenbeek, il n’y a qu’un pas. L’islamisme des garages, les roulements de mécaniques des petits caïds des quartiers et des préaux ne sont que le pathétique revers des dénis de justice que nous tolérons, en Irak ou en Palestine. Si nous ne comprenons pas ce qui relie le local et le global et n’agissons pas en conséquence, nous aurons beau manier avec toute l’intelligence du monde la carotte et le bâton, nous n’arriverons à rien. º

Henri Goldman

[1] Reproduit du blog de Henri Goldman: http://blogs.politique.eu.org/henrigoldman/index.html

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Actualité

“LA BONTÉ D’UN HOMME”

Dans le 20ème convoi, nous traver-sions la Belgique vers la mort dans l’ignorance, l’indifférence générales.

Personne n’a levé le petit doigt pour nous, sauf trois résistants amateurs, trois jeunes gens, copains d’école, qui sont allés de nuit, à vélo, de la place Meiser à Schaerbeek jusque sur la voie ferrée de Boortmeerbeek. Presque de leur propre chef, avec des moyens dérisoires, Youra Livs-chitz, Jean Franklemon et Robert Maistriau ont accompli un acte de courage extraordinaire. De tous les convois de déportés qui ont sillonné l’Europe, seul le 20ème convoi a fait l’objet d’une action de la Résistance.

L’ignorance. Que savait le grand public des mesures progressives prises contre les Juifs ? Il ignorait l’existence dans les communes d’un « Registre des Juifs », les interdictions professionnelles, les

confiscations, la création de l’AJB, l’obligation de ne résider que dans quatre grandes villes, l’interdiction de sortir après 20 heures, de fré-quenter certains lieux, etc. Tout au plus, certains ont remarqué que les enfants devaient quitter l’école et que des magasins arboraient des panneaux trilingues : « Entreprise juive ». Le port de l’étoile en juin 1942 fut plus spectaculaire mais à ce moment le piège était refermé et tout était consommé : la caserne Dossin à Malines ouvre ses portes le 27 juillet 1942, les premières rafles ont lieu et le premier convoi part le 4 août 1942 vers les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau, Les trains avec leurs wagons de marchandises plombés roulent de nuit, dans la discrétion totale, à l’abri des regards de la population, ne s’arrêtant qu’à quelques gares désertes.

L’indifférence. La plupart des Juifs de Belgique étaient des immigrants des années 20, fuyant la Pologne et l’an-tisémitisme de l’Est, ou des années

37-39, fuyant l’Autriche et l’Allema-gne d’Hitler et de la Nuit de Cristal. Beaucoup critiquaient ces étrangers, venus souvent sans visa, parlant à peine le français sinon avec l’accent yiddish, comme ils critiquent actuel-lement les «sans papiers». Mais ils n’acceptaient l’éloignement des Juifs que parce qu’ils ignoraient que la déportation de Malines était un voyage vers la mort. Tout le monde l’ignorait d’ailleurs.

Peu après le départ, le train s’est arrêté et du fond de mon wagon, dans l’obscurité absolue, au milieu de ces dizaines d’hommes, femmes et enfants gémissant, j’ai entendu les coups de feu et les hurlements en allemand de l’escorte nazie. C’était l’attaque de Boortmeerbeek, qui coïncidait par hasard, le 19 avril 1943, avec la révolte du Ghetto de Varsovie. Robert Maistriau dépose entre les rails une lampe tempête enveloppée d’un papier rouge, signal de danger obligeant le machiniste à stopper. Il ouvre le premier wagon

se trouvant devant lui et libère 17 personnes.

Le train repart et des hommes de mon wagon, galvanisés par le bruit de l’attaque, parviennent à ouvrir la porte de l’intérieur, 50 kilomètres plus loin dans le Limbourg. Je saute du train et dans ma fuite je serai protégé (j’avais onze ans et demi) par un gendarme de Borgloon, Jean Aerts.

Robert Maistriau a risqué sa vie pour sauver des gens qui étaient traités comme des parias. Il a agi certes par aversion de l’occupation nazie, mais surtout dans l’élan de la générosité, de la compassion et par simple sentiment de justice et de solidarité humaine, modestement n’écoutant que la voix du cœur. Il était la lumière dans les ténèbres. º

Simon Gronowski

évadé du 20ème convoi

Mort d’un héros de l’antiracisme : Robert Maistriau

Robert Maistriau est mort, vendredi dernier, à 87 ans. Résistant du Groupe G de l’Université libre de Bruxelles (ULB), il s’était illustré en attaquant, à 22 ans, le 20e convoi, dans la nuit du 19 au 20 avril 1943. Armés d’un revolver et 7 cartouches, lui et deux de ses camarades, Youra Livschitz et Jean Franklemon, réussissent à sauver des dizaines de Juifs à bord d’un train parti de la caserne Dossin à Malines pour Auschwitz. Parmi les 1.631 Juifs à bord du train, 231 parviennent à s’échapper. 95 sont repris quelques semaines plus tard avant de périr dans les camps. Arrêté le 21 mars 1944 à Bruxelles, Robert Maistriau est déporté à Breendonk, Buchenwald, Ellrich et Harzungen (camps annexes de Dora) et Bergen Belsen. Il est libéré le 15 avril 1945, ne pesant plus alors que 39 kilos. Il était le dernier survivant du trio qui avait attaqué le 20ème convoi. Nous publions le poignant témoignage d’un des rescapés de ce 20e convoi, Simon Gronowski.

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InterviewActualité

ondamentalisme” contre “Racisme ant i re l i g i eux” : religions et laïcité semblent recroi-ser le fer. Chacun

craignant qu’un agenda caché de l’autre mette en cause son identité.

La religion est un adhésif fort qui permet de fournir la base de recom-position d’une identité éclatée pour beaucoup d’étrangers, en particulier pour les seconde et troisième géné-rations. Celles-ci, qui n’ont plus le rapport prolétaire de main-d’oeuvre avec la société d’accueil qui était celui de leurs parents, développent légitimement d’autres revendica-tions. Leurs parents sont arrivés comme des immigrés déracinés, invités à se montrer discrets voire reconnaissants, autant que peuvent l’être des invités, envers une société parfois hostile. Leurs enfants ont fait leur la langue du pays d’accueil, ont acquis des diplômes et revendiquent avec force que la société les recon-naisse. Les identités se composent d’autant plus vite que la société d’accueil vous rejette. Lorsque tout vous renvoie à votre différence, lors-que vous êtes dévisagé dans la rue, discriminé à l’embauche - même à diplôme ou à nationalité égale -, alors vous avez naturellement ten-dance à vous réinvestir dans cette différence, à la cultiver et à en faire un motif de fierté, voire, à l’excès, un repli sur soi.

De l’autre côté, le combat pour l’ob-tention d’un Etat neutre, émancipé de toute vision confessionnelle, a nécessité plusieurs siècles. Or, en privant progressivement l’Etat de toute religion, de toute idéolo-gie, et même de toute histoire, ce mouvement inéluctable qui tend à nous débarrasser de la religion, des traditions, du passé, a un côté “face”: il tend à transformer l’Etat en Administration. Non seulement les références aux religions et tradi-tions sont exclues, mais les autres référents collectifs mobilisateurs possibles, comme la nation, ont mauvaise presse. Même l’histoire et la tradition doivent être séparées de la politique et de l’Etat. Bref, dans les États occidentaux, puisque la liberté est acquise après des siècles de conquête, il n’y a plus de projet, plus de visée métaphysique ou spirituelle qui lie les hommes entre eux, et qui étanche la soif humaine d’absolu, de sens et d’identité.

Conséquence inattendue, que les laïques d’hier ne pouvaient pas prévoir et qui justifie en partie l’in-quiétude des laïques d’aujourd’hui: la religion, précisément parce qu’elle se retrouve reléguée dans le privé, a un pouvoir attractif et mobilisateur infiniment plus attirant que le projet de l’Etat neutre, qui se résume à un gestionnaire de nos libertés, bref à une coquille vide. Le message religieux, qui retisse le lien entre

les hommes d’une communauté, mais aussi avec une tradition et une histoire, donne à la vie un sens que l’Etat ne peut plus donner puisque ce n’est plus son boulot. Le sentiment que la laïcité est fragile et continue un combat à distance avec des religions qu’elle s’efforce de contenir repose donc sur quelque chose d’objectif. Or, si ce n’était pas la laïcité qui était fragile, mais nos sociétés elles-mêmes? Et si, après avoir conquis nos libertés et émancipé notre société du poids du religieux, nous nous retrouvions sans visée métaphysique avec aucun autre projet que gérer nos vies?

Les raisons pour lesquelles la reli-gion attire recoupent largement les raisons pour lesquelles elle fait peur. Une religion charrie un corpus idéologique, des traditions, une his-toire au minimum séculaire, qui la rendent collective et universalisante. Une religion qui n’a pas comme projet de s’étendre, de prospérer, cela n’existe tout simplement pas. Et c’est bien là le problème que sentent les laïques, sans toujours trouver les mots justes pour le décrire ou pour oser dire cette évidence: une religion n’est jamais purement privée. Ce qui différencie la religion de la phi-latélie, c’est que jamais personne ne doutera que le projet du philatéliste ne dépasse pas le cadre privé de sa collection de timbres, alors que pour toute religion le doute subsistera

toujours, en général dans le non-dit: tels adeptes veulent-ils faire prospé-rer leur religion à tout prix? Même aux dépens de nos principes de vie? Si oui, sommes-nous en danger? Et c’est ainsi que naît le syndrome des agendas cachés.

Le syndrome des agendas cachés se manifeste par divers symptômes médiatiques tels que le repli com-munautaire, le fondamentalisme, le racisme antireligieux, etc. Les agendas cachés se nourrissent l’un l’autre.

Il y a d’une part l’agenda caché version laïque. Les laïques attachés à la neutralité de l’Etat appréhendent un “agenda caché des religieux” qui essaient de grappiller sur l’espace public en permanence, de s’infiltrer dans notre Etat démocratique pour en frapper le coeur. Il faut donc lutter, diront-ils, contre toutes les tentatives d’infiltration, même celles qui nous semblent aujourd’hui aussi anecdotiques qu’un bout de tissu, car elles constituent le cheval de Troie de nouveaux intégrismes. La crainte de cet agenda caché religieux génère ainsi une volonté de réveil, de mobilisation contre un danger à combattre, en offrant au passage une seconde jeunesse à des laïques qui retrouvent une liberté pour laquelle se battre, un ennemi contre lequel s’affirmer. Et l’enjeu de cette

Un malentendu explosif Cette carte blanche de notre ami et administrateur François De Smet, parue dans la Libre Belgique1, résume en quelque sorte son dernier ouvrage, « Colères Identitaires – Essai sur le vivre ensemble ». Il reflète également le processus de réflexion que le MRAX a entamé à ce sujet. Son argumentaire clair et fédérateur est salutaire en ces temps de crispation autour de la laïcité.

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Actualité

lutte, pour ceux qui la mènent, est ressenti comme si essentiel qu’il sera légitime et proportionné de transiger sur certains principes, telle la liberté d’expression. Car on ne peut pas donner la parole aux enne-mis de la démocratie, il faut que nos moyens s’adaptent aux leurs pour ne pas tomber, affirment-ils, dans une lâcheté digne de “l’esprit de Munich”.

Mais il y a aussi l’agenda caché ver-sion religieuse. Les musulmans d’Eu-rope ont vocation à exprimer leur foi. Et ils vivent majoritairement la reconnaissance de cette foi comme un indice important de la recon-naissance que leur octroie la société d’accueil. Pour ceux-là, l’intérêt de l’islam réside dans les traditions qu’il permet de maintenir, dans le caractère spirituel, culturel et familial qu’il entretient dans un environne-ment occidental parfois aseptisé, et non dans un plan de conquête du monde. Ils perçoivent la société d’accueil comme froide, hostile,

coupée de ses traditions, sans visée, sans projet spirituel. Ils voient dans toute remise en cause de leurs expressions culturelles ou religieuses la main invisible d’un agenda caché “laïquard”. Et ils voient ainsi en toute restriction, toute limitation de l’expression de leur foi un message stigmatisant, comme la première étape d’un plan qui leur deman-derait de devenir transparents, de devenir blancs et sans tache, bref, d’une certaine manière, de devenir semblables à la population d’accueil ou de disparaître.

Voilà comment naît un malentendu explosif, chacun n’entendant ou ne voyant, dans l’acte ou la parole de l’autre, que ce qui lui semble remettre sa propre identité en cause. Deux craintes d’agendas cachés qui reposent finalement sur une peur commune terrible: celle d’être symboliquement anéanti. Dès lors, quelle voie privilégier? Réinstaurer des limites à l’expression des reli-gions, et donc réaffirmer un principe

de laïcité plus ferme et défensif? Ou développer un nouveau modèle, arti-culé autour de la reconnaissance des minorités et de droits spécifiques?

Il faut réinstaurer des limites car tout le monde y a intérêt. Un espace public protégé de toute confession ou idéologie est quelque chose de positif tant pour la société que pour les convictions et confessions elles-mêmes. C’est une soupape de sécurité indispensable, sans laquelle il y aura toujours un groupe, quel qu’il soit, qui sera un jour ou l’autre tenté d’imposer sa vision de la vie à l’ensemble de la société s’il en a le rapport de force. Et il n’est pas nécessaire que ce groupe en ait aujourd’hui l’envie ou la conscience; l’âme humaine apprend à désirer ce qui devient à sa portée, non ce qui lui est inaccessible. Or, la fixation de limites implique qu’il soit admis par tous que le cadre lui-même n’est pas négociable. Cela implique qu’on ne range pas, comme certains essaient de le faire, la laïcité, la neutralité comme une vision de la vie parmi d’autres. Cela implique qu’il y ait bel et bien un principe de laïcité placé au-dessus de l’ensemble des autres convictions et confessions possibles. C’est le principe de la clef de voûte: si on la retire tout s’écroule.

Il faut également réinventer un modèle de reconnaissance des minorités culturelles, car même une laïcité bien comprise ne suffit pas à garantir la paix sociale et le vivre-ensemble. Il faut que les athées et les laïques de toutes croyances s’y fassent: les êtres humains auront toujours un besoin d’appartenance, de traditions et de liaison spirituelle. On souligne avec raison les guerres, massacres et autres inquisitions apportés par les religions. On oublie qu’elles ont aussi permis le dévelop-pement de sociétés, par le rapport de fraternité et d’égalité qu’elles ont initié (fut-ce une égalité comme enfants de Dieu). Les religions sont des couvercles qu’il a fallu un jour faire sauter, mais sous lesquels, à

l’abri, les consciences humaines ont pu se développer. Le ressort méta-physique est un additif puissant. Si on ne permet pas aux hommes d’exprimer leurs convictions, leurs religions, leurs différences, ils les pratiqueront de manière clandestine, dans un esprit de revanche et de repli sur soi.

L’espace privé et l’espace public, en ces matières, ne s’opposent pas; ils se soutiennent, et se contrôlent mutuellement. Nous devons parve-nir à une dialectique et non à une opposition civilisationnelle. º

François De Smet

Philosophe - collaborateur scienti-fique au centre de théorie politique (ulb). Auteur de “Colères identi-taires-Essai sur le vivre ensemble”, Ed.EME., 2008

[1] La Libre Belgique, 16/09/2008

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InterviewActualité

Co-édité par les éditions Luc Pire et le MRAX en septembre, le livre de Thierry Huart-Eeckhoudt nous livre des détails inédits quant aux rouages internes du Front National sous l’ère Féret. En une année à arpenter les cou-lisses du parti d’extrême droite pour confectionner son mémoire de fin d’études, l’auteur est devenu un véritable confident des hautes instances du FN. Pour nos membres, l’ouvrage est disponible à prix réduit dans nos locaux!

Si l’expérience de Thierry Huart-Eeckhoudt confirme le fossé entre dirigeants et sympathi-sants du parti, l’ouvrage met en lumière l’idéologie nauséabonde que le FN véhicule. Sur fond de désillusion sociale, discours populistes et haine de l’étranger s’entremêlent pour fournir des « explications » aux grandes questions de société. Magouilles électorales, conflits de pouvoir et phrases assassines se succè-dent, entrecoupés de discours xénophobes et antisémites. « Un an au Front National » présente l’extrême droite dans toute son horreur. º THIERRY HUART-EECHOUDT, «Un an au Front National», Ed. Luc Pire, 2008, 18 € - Nos mem-bres peuvent procurer l’ouvrage au MRAX pour 12 €.

« Un an au Front National»

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e Conseil Justice et affai-res intérieures de l’Union européenne, qui s’est tenu le 25 septembre, annonce la couleur des débats qui auront lieu à Vichy. Les 27 sont en

effet arrivés à un accord de principe quant au Pacte Européen sur l’Im-migration et l’Asile, dont l’un des 5 engagements prioritaires concerne la «lutte contre l’immigration irré-gulière, notamment en assurant le retour dans leur pays d’origine ou vers un pays de transit, des étran-gers en situation irrégulière.» Autre engagement: «organiser l’immigra-tion légale en tenant compte des priorités, des besoins et capacités d’accueil déterminés par chaque Etat membre […]» On croirait entendre respectivement Turtelboom et Reyn-ders. L’idée de la migration économi-que, chère au président des libéraux francophones, plaît apparemment à la présidence française qui a obtenu l’accord de principe pour l’adop-tion d’une directive «Carte Bleue», destinée à donner un cadre légal à la migration économique. Quant à la volonté de l’Union d’ «assurer le retour des étrangers en situation irrégulière», elle semble être partagée par Annemie Turtelboom qui s’ef-

force de ne trouver aucune solution à la situation des sans-papiers, à tel point qu’on pourrait la soupçonner d’attendre le feu vert européen pour pouvoir remballer tout le monde à la maison.

Pire, la ministre de la migration et de l’asile a confectionné un avant-projet de loi des plus restrictifs concernant l’accès au territoire des étudiants hors-UE: il est exigé de ces derniers de produire – un certificat médical attestant

«qu’ils ne sont pas atteints d’une des maladies pouvant mettre en danger la santé publique» (quid si la maladie a été contractée en Belgique?)

– un certificat attestant l’absence de condamnations pour «crimes et délits de droit commun» (quid du droit à l’oubli? De plus, un acte anodin en Belgique peut constituer un délit politique dans un autre pays, allons-nous pour autant refuser l’étudiant?)

– la preuve qu’il dispose de revenus suffisants.

Tout cela alors que la directive euro-péenne, que cet avant-projet de loi est censé transposer en droit belge, ne pose pas tant de conditions res-trictives.

C’est dans ce contexte que le Forum Asile et Migrations a orga-nisé, le 15 octobre, une manifes-tation demandant à la ministre Turtelboom et au gouvernement de prendre leurs responsabilités face à une situation grave, marquée par les grèves de la faim et, dernièrement, le suicide d’un homme serbe dans le centre fermé de Vottem. Solidaire de cette manifestation, le MRAX tient à rappeler son engagement dans la lutte pour les droits des sans-papiers. º

Turtelboom et la présidence française de l’UE

Organiser un sommet européen sur l’immigration à Vichy (3 et 4 novembre 2008), c’est tout un symbole. Alors que, sous impulsion française, les politiques européennes tendent vers un durcissement inexorable des conditions d’asile et de migration, le gouvernement belge a également oublié ses promesses. Le 14 octobre, l’accord tant espéré du gouvernement Leterme sur les sans-papiers n’est pas venu. La ministre de la migration et de l’asile, Annemie Turtelboom, a par contre concocté un avant-projet de loi balisant fermement le droit d’accès au territoire des étudiants hors-UE. Le MRAX était présent à la manifestation de soutien aux sans-papiers du 15 octobre !

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Pour la quatrième année consécutive, la Semaine d’Actions Contre le Racisme relève le défi d’offrir une plateforme d’expression et de visibilité à tous les projets inspirés par une société tolérante et multiculturelle.

Beaucoup d’événements organisés autour du 21 mars (Journée Interna-tionale pour l’élimination de la discrimination raciale) passent inaperçus, faute de promotion ou de coordination. C’est en partant de ce constat que depuis 2006, la Semaine d’Actions Contre le Racisme se décline sous forme de réalisation collective qui rassemble un grand nombre d’acteurs locaux et d’initiatives citoyennes.

Grâce à cette formule de collaboration, nous avons pu compter en 2008 près de 150 activités et leur offrir une visibilité accrue. Sous une program-mation et une affiche uniques, des acteurs isolés ont formé un réseau d’ex-périences plurielles et décentralisées sur le thème de la lutte antiraciste.

Vous avez des projets pour 2009 ? Vous voulez que votre activité fasse partie d’un réseau efficace ? Alors rejoignez-nous !

Acteurs associatifs, centres culturels, artistes, scientifiques, journalistes, enseignants ou simples citoyens… Tous ensemble nous sommes plus effi-caces !

Rencontre, spectacle, exposition, concert, débat ; quel que soit votre projet pour une société ouverte, vous pouvez figurer au programme de la Semaine d’Actions Contre le Racisme.

Notre ambition est d’offrir une programmation décentralisée la plus large possible pour dépasser le « public des convaincus » et aller à la rencontre de personnes de tous les milieux.Nous voulons rendre visible le travail de tous les acteurs locaux et des citoyens qui luttent chaque jour pour une société diversifiée et tolérante.

Vous pouvez vous impliquer de différentes manières dans la Semaine d’Ac-tions Contre le Racisme :º mener un projet qui sensibilise votre publicº mobiliser votre public et les inviter à participer aux activités proposéesº accueillir une activité dans vos locaux en partenariat avec d’autres

organisateurs.

Ensemble, travaillons pour que vos projets deviennent des réussites dans le cadre de la Semaine d’Actions Contre le Racisme !

Plus d’informations sur www.contreleracisme.be

Participez également à notre Concours de la Créativité dans le cadre de la Semaine d’Actions Contre le Racisme! Infos pratiques sur l’affiche en dernière page!

Semaine d’Actions Contre le Racisme (19-29/03/2009)

Appel à projets et Concours de la Créativité!

Vous avez des projets pour combattre le racisme ? Nous avons besoin de vous !

InterviewActualité

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