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Le bulletin de la société savante de l’Aéronautique et de l’Espace LETTRE 3AF Association Aéronautique et Astronautique de France NUMÉRO 33 SEPTEMBRE - OCTOBRE 2018 INTERVIEW DU Pr. BERNARD FOING (ESA) LE VILLAGE LUNAIRE UN INTERFÉROMÈTRE ONERA ACCOMPAGNE GÉRARD MOUROU, PRIX NOBEL DE PHYSIQUE 2018, DANS SA QUÊTE DES PUISSANCES LASER EXTRÊMES VERS UNE NOUVELLE INGÉNIERIE COMBINANT PHYSIQUE ET DONNÉES, MANIPULÉES ET INTÉGRÉES, DANS LE CADRE DES MATHÉMATIQUES ET DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE JOSEPH KAMPÉ DE FÉRIET ET LES DÉBUTS DE L’INSTITUT DE MÉCANIQUE DES FLUIDES DE LILLE (1930-1940)

SEPTEMBRE - OCTOBRE 2018 LETTRE 3AF · LETTRE 3AF NUMÉRO 33 / SEPTEMBRE - OCTOBRE 2018 ÉDITEUR Association Aéronautique et Astronautique de France 6, rue Galilée, 75116 Paris

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Le bulletin de la société savante de l’Aéronautique et de l’Espace

LETTRE 3AFAssociation Aéronautique

et Astronautique de France

NUMÉRO 33SEPTEMBRE - OCTOBRE 2018

INTERVIEW DU Pr. BERNARD FOING (ESA) LE VILLAGE LUNAIRE

UN INTERFÉROMÈTRE ONERA ACCOMPAGNE GÉRARD MOUROU, PRIX NOBEL DE PHYSIQUE 2018, DANS SA QUÊTE DES PUISSANCES LASER EXTRÊMES

VERS UNE NOUVELLE INGÉNIERIE COMBINANT PHYSIQUE ET DONNÉES, MANIPULÉES ET INTÉGRÉES, DANS LE CADRE DES MATHÉMATIQUES ET DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

JOSEPH KAMPÉ DE FÉRIET ET LES DÉBUTS DE L’INSTITUT DE MÉCANIQUE DES FLUIDES DE LILLE (1930-1940)

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LETTRE 3AF NUMÉRO 33 / SEPTEMBRE - OCTOBRE 2018

ÉDITEUR

Association Aéronautique

et Astronautique de France

6, rue Galilée, 75116 Paris

Tél. : 01 56 64 12 30

[email protected]

DIRECTEUR DE LA

PUBLICATION

Michel Scheller

RÉDACTEUR EN CHEF

Bruno Chanetz

COMITÉ DE RÉDACTION

Pierre Bescond

Jean Délery

Jean-Yves Guédou

Paul Kuentzmann

Jean-Pierre Sanfourche

Jean Tensi

Anne Venables

Bernard Vivier

CONCEPTION GRAPHIQUE

ICI LA LUNE

www.icilaLune.com

Imprimé par l’ONERA

Droit de reproduction, textes

et illustrations réservés pour

tous pays.

NUMÉRO 33SEPTEMBRE - OCTOBRE 2018

TABLE DES MATIÈRES

ÉDITORIAL

MESSAGE DU PRÉSIDENT

INTERVIEW DE PERSONNALITÉPr BERNARD FOING, DIRECTEUR DU GROUPE INTERNATIONAL D’EXPLORATION LUNAIRE À L’AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE

POINT DE VUEL’ENIGME DU VOL 370 DE LA MALAYSIA AIRLINESJean-Marc Garot, membre 3AF

RÉFLEXIONS INSPIRÉES PAR LA LECTURE DE L’OUVRAGE D’ASHLEY VANCE SUR ELON MUSKBertrand de Montluc, membre de la commission Stratégie et Affaires Internationalesde la 3AF

ACTUALITÉUN INTERFÉROMÈTRE ONERA ACCOMPAGNE GÉRARD MOUROU, PRIX NOBEL DE PHYSIQUE 2018, DANS SA QUÊTE DES PUISSANCES LASER EXTRÊMESBruno Chanetz, Rédacteur en chef

SCIENCES ET TECHNIQUES AÉRONAUTIQUESVERS UNE NOUVELLE INGÉNIERIE COMBINANT PHYSIQUE ET DONNÉES, MANIPULÉES ET INTÉGRÉES, DANS LE CADRE DES MATHÉMATIQUES ET DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLEProfesseur Francisco Chinesta – Arts et Métiers ParisTech, commission Structures

ASSEMBLAGES INNOVANTS : SYNTHÈSE DE LA JOURNÉE 3AF MATÉRIAUX & STRUCTURES DU 13 JUIN 2018Éric Deletombe, ONERA et Gilles Surdon, Dassault Aviation, commissions Matériaux et Structures

COMPTE RENDU DE LA JOURNÉE “ ESSAIS DE DRONES, ESSAIS AVEC DRONES ” DU 14 MARS 2018 AU PLESSIS-ROBINSON Renaud Urli, Airbus, Président de la commission Essais en vol

OPTIQUE ADAPTATIVE ET DÉCONVOLUTION : UNE COMBINAISON UNIQUE POUR ATTEINDRE LES PERFORMANCES ULTIMES DES TÉLESCOPES AU SOLThierry Fusco, Maître de Recherche à l’ONERA & Chercheur invité au Laboratoire d’Astrophysique de Marseille.

VIE DE LA 3AFNAISSANCE DU GROUPE REGIONAL 3AF HAUTS-DE-FRANCEÉric Deletombe, Président du groupe Hauts-de-France

LES MAQUETTES PROTOTYPES DE L’AVION SPATIAL “ HERMES ”François Leproux, ISAE-ENSMA, membre 3AF, groupe Poitou

CULTUREJOSEPH KAMPÉ DE FÉRIET ET LES DÉBUTS DE L’INSTITUT DE MÉCANIQUE DES FLUIDES DE LILLE (1930-1940)Bruno Chanetz, membre émérite 3AF

PARMI LES PROCHAINS ÉVÉNEMENTS

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LETTRE 3AF NUMÉRO 33 / SEPTEMBRE - OCTOBRE 2018

Près d’un demi-siècle après avoir été accostée par l’homme, le 21 juillet 1969 lors de la mission Apollo XI, la Lune est en voie d’être colonisée. Le projet qui nous est conté par Bernard Foing, directeur du groupe international d’exploration lunaire prévoit que 1000 personnes séjour-neront en permanence sur l’astre sélène au milieu de ce siècle. Il imagine aussi la proclamation d’une république de la Lune dès 2057, soit un siècle seulement après l’envol du premier satellite artificiel Spoutnik 1.

Il est intéressant de faire le parallèle avec la coloni-

sation de l’Antarctique. Après sa découverte, ce dernier continent terrestre, exploré par Dumont d’Urville en 1839, a ensuite très vite été délaissé, les expéditions ne reprenant véritablement qu’au vingtième siècle. Grâce à la collaboration des savants internationaux, un usage humaniste de l’Antarctique a été imaginé et mis en œuvre. En 1959, soit 120 ans après le voyage de Dumont d’Urville, un traité international, garantissant la liberté d’accès et de recherche, a été signé, par lequel le régime juridique de l’Antarctique se résume en deux formules : “ gel ” des revendications territoriales et internationali-sation fonctionnelle fondée sur une utilisation pacifique de ce territoire. Actuellement, au moins 1000 personnes y travaillent en permanence.

Bien sûr la Lune est une région encore plus inhospita-lière pour l’homme qui devra être précédé de robots, moins sensibles aux rayons cosmiques. Mais le coup d’envoi d’un village lunaire est donné avec des objectifs pacifiques, qui sont avant tout ceux d’une communauté scientifique internationale, soucieuse de plus d’humanisme.

Le club des acteurs capables d’envoyer des satellites et des hommes dans l’Espace, s’est élargi avec l’arrivée - on pourrait presque parler d’intrusion - d’un nouveau venu : Elon Musk. A partir d’une biographie de l’entrepreneur américain, Bertrand de Montluc, nous livre ses réflexions et interroge les européens, sur la faculté d’adaptation de leurs entreprises et institutions.

La course à l’espace requiert des moyens d’observa-tion, toujours plus performants. L’optique adaptative est une réponse efficace pour améliorer les performances des télescopes. Thierry Fusco, de l’ONERA, fait le point sur les avancées de cette technique, qui a par ailleurs des retombées dans le domaine de la chirurgie laser.

Et c’est précisément des lasers qui ont l’honneur de la rubrique “ Actualité ” de la présente Lettre, ceux qui sont au cœur de l’interféromètre, fabriqué sous licence ONERA et utilisé par Gérard Mourou, prix Nobel de Physique 2018.

Outre l’article sur Elon Musk, un autre “ point de vue ” figure au sommaire de cette Lettre. Il se rapporte à l’énigme du vol MH370 de la Malaysia Air Lines. On n’a pas encore retrouvé le Boeing 777 qui s’est abimé dans les flots en mars 2014. Au terme d’une enquête rigoureuse, Jean-Marc Garot nous livre des éléments tangibles susceptibles de permettre la localisation de l’épave.

La Lettre 3AF est aussi le lieu d’expression des Commissions techniques, qui exposent les travaux réalisés par leurs membres. Ainsi la CT Essais en vol rend compte d’une journée organisée sur les drones chez MBDA au Plessis-Robinson. La CT Structures partage le compte-rendu d’une journée au sujet du “ big data ” qui s’est déroulée à l’ONERA-Châtillon. Enfin les CT Matériaux et Structures présentent la synthèse d’une journée conjointe sur les assemblages innovants, qui a également eu lieu à l’ONERA-Châtillon.

Ce dernier compte rendu co-écrit par Éric Deletombe, directeur du Rayonnement de l’ONERA en région Hauts-de-France, est le fil qui nous permet de renouer avec la tradition d’une coloration géographique, un peu oubliée dans les dernières Lettres. En effet, la rubrique “ Vie de la 3AF ” salue la naissance du nouveau groupe régional 3AF Hauts-de-France, dont Éric Deletombe assure la présidence. Et en complément, l’article Culture et Histoire raconte les débuts de l’Institut de Mécanique des Fluides de Lille (IMFL), devenu le centre ONERA de Lille, à travers la personnalité de son directeur-fondateur Joseph Kampé de Fériet. ■

Bruno ChanetzRédacteur en Chef

ÉDITORIAL

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LE MESSAGE DU PRÉSIDENTChers Adhérents,

Nous sommes proches de la fin d’année, et commençons à établir des bilans, alors je souhaite appeler votre attention sur deux points.

Nous sommes toujours en insuffisance d’adhésions de “ personnes physiques ”. On ne peut dire que 3AF n’est pas connue. J’entends tout à fait le contraire, et on m’en parle plutôt avec des appréciations flatteuses. Alors ?

Il faut absolument que notre rayonnement soit une préoccupation forte de nos Commissions Techniques, et de nos Groupes Régionaux. Nous avons déjà souligné que le rayonnement était l’affaire de tous, et que les qualités que l’on veut bien nous reconnaitre justifiaient une action volontariste de chacun d’entre nous.

Nous nous étions même fixés des objectifs ambitieux, auxquels, les uns les autres nous avions souscrits, sans réserves. Sans doute, n’est-il pas utile de mesurer les résultats de nos attentes.

Par contre, je redis avec force, et il nous faudra l’an prochain mettre en œuvre un plan précis, que notre rayonnement est l’effort de tous, et en particulier de nos Commissions Techniques et de nos Groupes Régionaux.

Le second point sur lequel je souhaite vous sensibili-ser, et cela ne vous surprendra guère, est lié à ma profonde conviction que ce que l’on désigne sous le vocable “ digital ”, va de fait nous conduire lors des années à venir à de profondes évolutions, je pense ruptures, dans nos métiers et sans doute, plus rapidement qu’on ne le pense.

L’appel à l’Intelligence Artificielle, dans son état de développement actuel, va se généraliser et d’ailleurs, les “ progrès ” de l’IA accompagneront cette évolution.

Dès lors, je suis sensible aux responsabilités et aux exigences qui sont les nôtres : être à la pointe de l’état de l’art, être au fait des réalisations qui, ici ou là, sont permises pour le “ digital ”, être porteurs d’éléments de stratégie essentiels, enfin être des conseils éclairés (et porteurs d’ “ offres ”) au profit de nos mandants.

Nous vivons une étape nouvelle : la Société Savante 3AF a plus que jamais sa raison d’être, et plus que jamais son expertise est nécessaire et attendue.

Je sais que nous avons toutes les compétences pour être à la “ hauteur ”, mais je compte sur tous et en particulier sur les travaux au combien appréciés de nos Commissions Techniques, pour que 3AF soit moteur et autant que faire se peut, prêt à jouer un rôle de premier rang dans les “ruptures ” à venir.

Voilà. Je voulais vous dire ceci, et le dire à toute notre communauté. Nous sommes conscients de nos responsa-bilités et nous allons les assumer. Notre Société Savante 3AF est attendue et, sans réserves, nous répondrons “ présents ”.

À tous, je souhaite une fin d’année 2018, porteuse de réussites et de forces. ■

Michel Scheller,Président de la 3AF

LETTRE 3AF NUMÉRO 33 / SEPTEMBRE - OCTOBRE 2018

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Le professeur Bernard Foing est Scientifique senior et Conseiller du Directeur Général de l’Agence Spatiale Européenne. Il est astrophysicien au Centre de Recherche et Technologie ESTEC (European Space Research & Technology Centre) de l’ESA, Directeur Exécutif du ILEWG (International Lunar Exploration Working Group) et professeur de recherche spatiale à l’Université Vrije d’Amsterdam et à Florida Tech.

Jean-Pierre Sanfourche : Le rêve européen d’un village sur la Lune commence à prendre forme. Je crois savoir que le “ Village Lunaire ” ne se conduit pas dans une philosophie de “ Projet ” classique mais dans une philosophie de “ Concept Ouvert ”, dans une vision de coopération spatiale mondiale. Quel est l’état actuel d’avancement des initiatives de l’ESA ?

Bernard Foing : L’ESA élabore actuellement le concept d’un “ Village sur la Lune ” avec l’objectif d’une présence humaine durable sur la surface lunaire pour y accomplir de multiples activités. Maints utilisateurs sont envisagés et cette entreprise a pour vocation de fédérer de nombreuses nations et partenaires. Ce programme avance à grands pas, comme nous allons le voir au cours de notre entretien.

La Lune représente un premier choix du point de vue politique, programmatique, technique, scientifique, et aussi pour des raisons opérationnelles, économiques, et pour la génération d’inspirations et d’innovations.

JPS : Quel est le point actuel sur les déclarations de contributions au Village Lunaire que l’ESA a reçues des différents pays ? USA, Russie, Chine, Inde, Japon, autres …

BF - Le village lunaire s’appuie sur les projets précédents : les vols habités sur stations spatiales et les missions robotiques planétaires. Il s’appuie aussi sur les travaux du Groupe de Travail lunaire ILEWG (International Lunar Exploration Working Group) du COSPAR (Committee on Space Research)

L’ILEWG, créé il y a 20 ans, a soutenu les possibilités

de collaboration entre les différentes missions lunaires conduites dans le monde et a permis de riches échanges quant aux projets futurs. Des orbiteurs lunaires ont été déployés en flottilles à des fins scientifiques et de recon-naissance au cours de la “ dernière décennie lunaire internationale ” : nous avons commencé avec SMART-1 (first Small Mission for Advanced Research)

Vue d’artiste de la mission Smart-1. Celle-ci a permis de tester la propulsion solaire électrique vers l’espace profond, ouvrant ainsi la voie à une flottille internationale de sondes lunaires orbitales dans ces quinze dernières années.

La communauté internationale a suivi avec Kaguya, Chang’E1 & 2, Chandrayaan-1, LCROSS, LRO, GRAIL et LADEE. De facto, nous avons reçu des opportunités de collaboration et pris connaissance des éléments de village robotisé sur la Lune.

INTERVIEW DE PERSONNALITÉPr. BERNARD FOING, DIRECTEUR DU GROUPE INTERNATIONAL D’EXPLORATION LUNAIRE AU CENTRE DE RECHERCHE ET TECHNOLOGIE (ESTEC) DE L’ESApar Jean-Pierre Sanfourche, Chargé de mission à la 3AF

LETTRE 3AF NUMÉRO 33 / SEPTEMBRE - OCTOBRE 2018

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La Chine a posé sur la Lune en 2013 le Chang’E3 et son rover Yutu ; elle prépare un alunissage sur la face cachée en fin 2018 avec Chang’E4 puis un retour d’échantillons avec Chang E5 en 2019.

L’Inde prépare ausssi un alunisseur et rover Chandrayaan2 pour début 2019.

Et à partir de 2019 d’autres alunisseurs sont prévus : des systèmes commerciaux comme Moon Express, Astrobotics, Part Time Scientists ainsi que des projets internationaux comme SLIM au Japon, les sondes russes Luna 25-28, et des projets américains.

JPS : Pour réaliser une telle aventure, il faudra rassembler beaucoup de partenaires et des moyens financiers considérables : les multiples contacts que vous entretenez vous permettent-ils d’envisager l’avenir avec confiance ?

BF - Les discussions de Moon Village sont également conduites sur la base des activités courantes et planifiées à court à terme à bord de l’ISS et aussi sur la base des précédentes feuilles de route et études effectuées au sein des groupes internationaux tels que COSPAR, ILEWG, IAF (International Astronautical Federation), IAA (Inter-national Astronautical Academy), ISECG (International Space Exploration Coordination Group) ou divers groupes nationaux et régionaux.

http://sci.esa.int/ilewg/https://ildwg.wordpress.com/moon-village/

Tout cela implique de nouvelles industries dans l’espace, et aussi des industries innovantes non encore spatiales. Je citerai parmi les candidats potentiels les constructeurs de robots terrestres et les industriels qui travaillent au profit de la géologie.

JPS : Voyez-vous le “ Village Lunaire ” comme une suite logique de la Station Spatiale Internationale (ISS) ?

BF - En partie comme une suite d’activités conduites avec nos partenaires de l’ISS, mais en plus, dans une perspective de large ouverture sur d’autres pays, sur d’autres partenaires, publics et commerciaux. Ce sera la suite de l’ISS, mais bien sûr d’une toute autre ampleur !

Le financement intergouvernemental de l’ISS est programmé jusqu’en 2024.

Dès 2024 on peut envisager des vols habités en orbite basse autour de la Lune sur des stations spatiales de petite dimension.

Pour le Village Lunaire, nous avons fait appel aux

partenaires de l’ISS mais nous nous ouvrons aussi à tous

les pays, développés et en voie de développement, toujours dans un esprit ce coopération pacifique entre états. Nous prévoyons des exploitations commerciales génératrices de profits. Nous prévoyons également le développement d’activités extérieures au strict domaine de la recherche spatiale, des activités artistiques par exemple.

JPS : Quels bénéfices attendez-vous d’une base permanente sur la Lune ?

BF - Le village lunaire a l’ambition de servir plusieurs objectifs, notamment :

• la coopération internationale pacifique ;• la science planétaire ;• la surveillance de la Terre ;• l’astronomie et la cosmologie ;• la recherche fondamentale ;• les sciences de la vie ;• l’utilisation des ressources ;• le vol spatial habité ;• le développement économique ;• l’innovation technologique dans de multiples

domaines.

Il devrait être le catalyseur de nouvelles alliances entre le public et les entités privées, y compris les industries non spatiales.

Nous pourrons poursuivre des recherches scienti-fiques qui ont été conduites à bord de l’ISS en conditions de gravité partielle (1/6 g) et de radiations différentes de celles de l’ISS, et en utilisant les ressources locales (glaces et minéraux)

De plus, le Moon Village devrait constituer une forte source d’inspirations nouvelles, de renforcement des capacités humaines et de développement de la main-d’œuvre. Par ailleurs, quel magnifique outil éducatif pour les jeunes générations !

JPS : Dès à présent deux projets préparatoires très concrets se font jour :

• la capsule ORION associée à un module de l’ESA ;• l’alunisseur Luna 27 entrepris par Roscosmos

(Russie) avec la collaboration de l’ESA.Quel est leur état d’avancement ?

BF - La capsule Orion et le module de service ESA qui doit propulser Orion jusqu’à la Lune (avec propulsion, énergie, cargo et technologies dans la continuité de celles de l’Automatic Transfer Vehicle ATV vers ISS) sont préparés pour un lancement de la mission d’exploration EM-1 en mode automatique en 2020, puis avec 4 astronautes pour EM-2 en 2023 pour une mission de 8-21 jours. Ces projets ont pris du retard en particulier lors du financement et développement d’Orion et du lanceur lourd SLS.

INTERVIEW DE PERSONNALITÉPr. BERNARD FOING, DIRECTEUR DU GROUPE INTERNATIONAL D’EXPLORATION LUNAIRE

LETTRE 3AF NUMÉRO 33 / SEPTEMBRE - OCTOBRE 2018

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L’objectif de Luna 27 de Roscosmos/ESA pour un lancement en 2023 est de prospecter les minéraux, les substances volatiles et la glace d’eau lunaire dans les zones polaires ombragées en permanence et d’explorer l’utilisation potentielle de ces ressources.

JPS : Qu’en est- il du projet suivant appelé Deep Space Gateway de la NASA – véritable station spatiale placée en orbite autour de la Lune nommée “ Porte des Etoiles ” ?

BF - Le projet a changé plusieurs fois de noms et la

passerelle s’appelle maintenant Lunar Orbital Platform-Gateway (LOP-G). Si elle est financée, la passerelle sera développée, entretenue et utilisée en collaboration avec des partenaires commerciaux et internationaux pour servir de base aux missions de surface lunaire robotisées et en équipage, et aux déplacements vers Mars. Le concept initial pour la LOP-G évolue encore et comprend au moins les modules de composants suivants: un élément de puissance et de propulsion (PPE est programmé pour être lancé après 2022) et un module d’Habitat Cislunaire pour une période maximale de 21 jours qui lui, pourrait être lancé avec EM-3 vers 2024.

JPS : Saurons-nous surmonter les problèmes liés à l’exposition au rayonnement solaire et aux rayonne-ments cosmiques, aux micrométéorites et aux tempé-ratures extrêmes ?

BF - Nous pourrons commencer avec des modules rigides, puis ensuite déployer des structures gonflables avec protection utilisant le régolite et les glaces. Nous pouvons aussi enfouir une part des installations sensibles.

Il faudra un refuge et un système d’alerte pour la

surveillance des éruptions solaires et éjections de masses. Il faudra en outre développer des antidotes aux radiations afin de limiter leurs effets. Et puis il est bien évident que s’imposera une politique rigoureuse de sélection des futurs astronautes.

JPS : Qu’en est-il des connaissances relatives aux ressources disponibles sur le sol lunaire: eau, hélium-3, oxygène, silicium, fer, aluminium, titane, chrome, … ? Comment certains de ces éléments pourraient-ils être utilisés pour la vie des astronautes sur place ?

BF - Eau : la glace pourrait couvrir les regions ombragées en permanence sur une surface de 16 000 km2 et sur une épaisseur de 1 à 2 m. On estime donc la masse de glace disponible in situ à plusieurs milliards de tonnes, une ressource utilisable sur place et exportable pour une économie orbitale.

L’hélium-3, lui, peut être extrait, mais en très faibles quantités à chaque opération. Il faudra donc beaucoup de temps pour arriver aux quantités nécessaires pour qu’il puisse être utilisé dans un réacteur à fusion nucléaire,

Un concept d’habitat “Moon Village”: structure gonflable, dispositif de blindage pour la protection des astronautes et divers équipements.

INTERVIEW DE PERSONNALITÉPr. BERNARD FOING, DIRECTEUR DU GROUPE INTERNATIONAL D’EXPLORATION LUNAIRE

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mais cette fusion 3He requiert des températures et confi-nements bien plus difficles que pour ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor).

L’oxygène peut être extrait du sol lunaire : il sera utilisé pour le “ soutien vie ” des astronautes et aussi comme comburant pour les fusées.

Les verres et silicates ont vocation à être utilisés par l’industrie.

Les matériaux disponibles sur le sol lunaire (fer, aluminium, titane, chrome,…) pourront naturellement être extraits et mis à contribution pour la construction des éléments du Village Lunaire. Les terres rares (lanthanes) également.

JPS : Il est envisagé d’utiliser la roche lunaire pour construire les éléments de la base lunaire en mettant en œuvre les techniques de l’impression 3D.

BF – La technique 3D en question est décrite dans le site ci-dessous.

http://www.esa.int/highlights/Lunar_3D_printing

L’ESA teste l’utilisation de l’impression 3D pour la construction de la future base lunaire.

Technique 3D avec sol lunaire avec plastique :• Le sol lunaire est fondu avec concentrateur solaire

(1200°C) permet d’obtenir des “ briques ”.• À partir de régolite placé dans un four à micro-ondes on

réalise des réseaux de fer fondu (maillages métalliques).• Un faisceau laser est projeté sur le sol.

À écouter : https://audioboom.com/posts/4222747-esa-moon-expert-bernard-foing-on-buildinf-a-lunar-village-in-french

JPS : Des exercices de simulation à terre sont conduits dans le massif volcanique de l’Eifel (près de Cologne) : pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ?

BF – Les sites indiqués ci-après vous permettent d’être bien informé sur le sujet.

http://www.euronews.com/2016/02/25/how-to-build-a-village-on-the-moon

L’alunisseur ExogeoLab est un “ LEM ” robotique. Il est équipé d’instruments - caméras, spectromètres pour analyser des échantillons - et il permet de déployer des rovers. Les humains peuvent utiliser le laboratoire, remplacer des instruments si nécessaire.

Une collaboration EuromoonMars organise des essais de terrain dans des sites géologies analogues à la Lune ou Mars tels que l’Eifel, l’Utah, les Canaries ou Hawaii depuis 2009.

https://www.lpi.usra.edu/meetings/lpsc2010/pdf/1680.pdf

Nous avons fait des simulations d’isolement et de contrôle à distance dans la base LunAres (MoonMars) en Pologne.

Des simulations de missions habitées ont été conduites sur des sites tels que Utah MDRS, Hi-Seas Hawaii, l’habitat Lunares construit à Pila en Pologne.

Nous effectuons aussi des simulations à Hawaii en vue de construction d’une base volcanique terrestre de préparation des technologies. Et également en Islande et sur l’Archipel des Canaries (Lanzarote).

https://moonbasealliance.com/visionaries/

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INTERVIEW DE PERSONNALITÉPr. BERNARD FOING, DIRECTEUR DU GROUPE INTERNATIONAL D’EXPLORATION LUNAIRE

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JPS : Comment concevez-vous le partage entre les tâches effectuées par l’homme et celles effectuées par les robots ?

BF - Nous avons commencé avec des sondes orbitales automatiques dont les opérations sont préprogrammées plusieurs semaines et jours en avance. Avec les missions “ alunisseurs ”, nous aurons des opérations planifiées mais aussi des opérations télécontrôlées avec retour de données visuelles. Nous aurons en outre des contacts haptiques (informations tactiles) avec un retard de 2-3 secondes. Nous apprenons à réaliser cela efficacement avec l’objectif de faire en sorte que le village robotique dispose d’opéra-teurs qualifiés depuis la Terre.

Lorsque nous nous aurons des humains en orbite lunaire, cela pourrait donner une supervision directe des robots de surface comme nous le testons maintenant avec les astronautes sur l’ISS et les rovers Meteron, Interact et Androide Justin. S’offrira aussi une possibilité de collecter des échantillons et de les ramener à Terre avec les astronautes.

À long terme les humains sur la Lune pourront

travailler avec les robots, les maintenir, les réparer, les adapter et surveiller comme des bergers des troupeaux de robots autonomes. Lors de la compagne Robex nous avons testé dans le paysage lunaire de l’Etna des rovers autonomes intelligents capables tout à la fois d’explorer et de déployer des instruments.

Comment construire le Moon Village et avec qui ?

Le Moon Village s’appuiera à la fois sur la robotique automatique et des structures à participation humaine

pour conduire des opérations à la surface de la Lune à des fins multiples sur une base d’architecture ouverte.

JPS : Quid des fusées qui vont nous placer en orbite autour de la Lune et nous y poser, jusqu’aux bases dans lesquelles nous vivrons ?

BF – Je peux brièvement résumer ainsi les éléments de réponse à votre question :

• Ariane 5 a lancé SMART-1 en GTO – (Geostationary Transfer Orbit) après quoi la propulsion solaire a assuré le transfert de GTO à la Lune.

• Avec Ariane 6 nous pouvons prévoir l’envoi de 11 tonnes en GTO, puis 4 tonnes en orbite autour de la Lune et 2 tonnes (environ la moitié) sur la surface lunaire, dont le dizième, soit 200 kg, pour la charge utile.

• Avec Space X Falcon Heavy (dont le premier lancement a eu lieu en février 2018), nous pourrions envoyer en deux ou trois lancements les éléments d’une base lunaire.

• Blue Origins de J. Bezos : c’est un système de cargo qui est prévu pour déployer 5 tonnes sur la Lune après 2020.

• SLS est la fusée étatique, elle, dont on attend le premier lancement EM-1 en 2020.

JPS : Comment voyez-vous le déroulement dans le temps des grandes étapes qui vont rythmer le dévelop-pement du Village Lunaire ? Maintenez-vous la date de 2057 pour la proclamation d’une République de la Lune ?

BF – Voici comment je vois personnellement les grandes étapes possibles :

• 2013 - 2025 : Village Lunaire robotique ; • 2022 : humains en orbite lunaire (avec SLS EM-2) ou

Space X ; • 2030 : 10 humains en permanence ;

L’équipe de la campagne ROBEX-DLR a testé dans le paysage lunaire de l’Etna la “coopération” entre l’alunisseur et des robots intelligents destinés au déploiement d’instruments et à l’exploration. (ROBEX est le nom de l’organisation Helmoltz Allianz. ROBEX: ROBotic EXploration under extreme conditions).

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INTERVIEW DE PERSONNALITÉPr. BERNARD FOING, DIRECTEUR DU GROUPE INTERNATIONAL D’EXPLORATION LUNAIRE

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• 2040 : 100 humains ;• 2050 : 1000 humains, ce sera la “ Moon City ” ; • 2057 : République de la Lune (certains voudront

déclarer l’indépendance), un nouveau continent.

Le premier tir de la fusée Falcon Heavy de SpaceX du 6 février 2018, est due à la fondation “Lune directe” de Robert Zubrin, qui vise à ramener à prix abordable les humains sur la Lune d’ici quatre ans. Crédit: SpaceX

Cette initiative doit rassembler toutes les communautés (dans toutes les disciplines, nations, industries, partenaires, particuliers) et pourrait placer la Lune au sommet des agendas politiques, scientifiques, technolo-gique, publics et sociétaux pour le XXIème siècle.

JPS : Une dernière question : que répondez-vous aux “ Lunaro-Sceptiques ” qui, considérant comme extrêmement minces les retombées scientifiques et technologiques du Programme Apollo, pensent que revenir sur la Lune risque fort de conduire à des désil-lusions et qu’au contraire, il faut résolument concentrer tous les efforts sur “ L’Homme sur Mars ” ?

BF - Comme Voltaire, je suis sceptique et pense qu’íl nous faut être critique même sur les sujets qui nous passionnent (l’Europe, la Lune et Mars). Regardons les faits. Il est clair que le programme Apollo a eu des retombées considérables :

- Dans notre histoire récente, Apollo est l’événement clé que l’on peut qualifier de positif, par opposition aux nombreuses guerres et conflits qui ont jalonné tout notre XXème siècle ;

- Sur le plan politique, Apollo a été la victoire de la science et de la technique dans la course qui opposait les USA et l’URSS dans la conquête spatiale ;

- Nombre de défis technologiques ont été relevés et des progrès considérables ont été accomplis dans tous les domaines de la technologie spatiale ;

- Ces succès ont généré un engouement pour le “ Spatial ” et les USA notamment ont attiré des ingénieurs et chercheurs de haut niveau ;

- Le programme Apollo a été un accélérateur de développements technologiques ;

- Au plan scientifique, l’analyse des échantillons

ramenés sur Terre a permis des avancées notables dans notre compréhension du Système Terre-Lune, des sciences de la Terre et bien sûr dans le domaine de l’astronautique ( vols habités) ;

- Enfin d’une manière globale, au plan sociétal, Apollo aura été l’événement majeur dans l’histoire de l’humanité : “ … des petits pas sur la Lune, mais un grand pas pour l’humanité ” !

Apollo valait-il l’investissement de 3% du budget fédéral (25 milliards $ de l’époque soit 125 milliards $ actuels) alors que le budget soviétique était de l’ordre du quart de cette somme ?

Notons que le programme Apollo a été stoppé en raison du coût financier de la guerre du Vietnam : 300 milliards $ 1974, soit 1500 milliards $ de nos jours. Et que dire du coût humain ? 1,5 million de morts et millions de réfugiés du côté vietnamien, et du côté américain 50 000 décès, 300 000 blessés et des centaine de milliers de soldats appelés sur 10 ans, …

Quelles sont les retombées du programme ISS ? L’investissement de 150 milliards $ est-il justifié ?

- Oui sur les plans politiques (une collaboration pacifique après la guerre froide entre USA, Russie , Europe, Japon et Canada, historique (présence permanente d’astronautes ), technique (développement, opérations spatiales complexes - construction, déploiement d’ins-tallations, maintenance, etc), de la formation/éducation, et de la générations d’inspirations et innovations ;

- En partie seulement sur le plan scientifique : quelques résultats, mais potentiel de recherche sous-exploité, long délais de développement, avec un financement de recherche qui va décroissant, de 1 milliard $ en 2002 à 200 millions $ maintenant ; quant aux publications scientifiques référées, elles restent d’un niveau modeste, environ 300 par an ;

- Dans une faible mesure au plan commercial : les résultats commerciaux promis au début ont été seulement réactualisé avec la contribution de Newspace, et pour la période de transition autour de 2024 (année prévue pour l’arrêt du soutien intergouvernemental courant de l’ISS).

Avec un coût de 1 Euro par Européen et par an, la valeur de l’ISS est indéniable, mais il faut valoriser encore mieux l’investissement.

Les missions robotiques vers la Lune et Mars apportent une valeur efficace et partagée avec tous les Terriens. Le défi pour le village sur la Lune (et plus tard l’envoi de l’Homme sur Mars) sera de partager avec efficacité cette valeur parmi les citoyens, et d’engager les diverses composantes publique, politique, historique, scientifique, technique, commerciale et inspiratrice. ■

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INTERVIEW DE PERSONNALITÉPr. BERNARD FOING, DIRECTEUR DU GROUPE INTERNATIONAL D’EXPLORATION LUNAIRE

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Le 8 mars 2014, le vol international régulier MH370 de la compagnie aérienne Malaysia Airlines reliant Kuala Lumpur à Pékin est porté disparu. L’appareil, un Boeing 777-200ER, transportait 239 personnes, équipage compris. Le 15 mars 2015, les autorités malaisiennes publient un rapport intérimaire. Sur cette base, l’Australian Transport Safety Bureau (ATSB) puis la société américaine Ocean Infinity (spécialisée dans les recherches sous-marines  1) mènent trois campagnes de recherches qui s’avéreront infructueuses. Le 30 juillet 2018, les autorités malaisiennes publient un rapport dit final  : http://mh370.mot.gov.my/MH370SafetyInvestigationReport.pdf

Récemment le nouveau gouvernement malaisien promet aux familles des passagers qu’il poursuivrait la recherche de la vérité, sans pour autant parler de reprendre des recherches. De plus la Gendarmerie des Transports française fait savoir qu’elle poursuit ses investigations sous l’autorité d’un juge d’instruction, dans le cadre d’une enquête judiciaire obtenue par Ghyslain Wattrelos dont l’épouse et deux de ses enfants étaient parmi les passagers.

Pourquoi et comment je m’intéresse à cette disparition ? Depuis le début du mystère du MH370, je me suis

intéressé à ce qui semble incompréhensible : oui, des avions peuvent disparaître. Je constate que l’Organi-sation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) a fait de modestes recommandations et qu’heureusement, beaucoup de compagnies aériennes, dont Air France suite à la disparition du AF 447 entre Rio et Paris, améliorent le suivi de leurs avions. Elles utilisent actuellement des moyens développés par l’industrie et profiteront certai-nement de l’essor de l’internet mobile large bande par satellites. Mais actuellement des avions peuvent encore disparaître et cela est inadmissible.

Ensuite, j’ai écrit, avec Michel Delarche, un livre “ Le détournement du MH370 ” , puis Jean-Luc Marchand et Philippe Gasser nous ont rejoints. Notre équipe a produit et rendu publique une étude à laquelle nous avons donné le nom CAPTIO : http://mh370-captio.net/

Nos travaux se trouvent sur le site, ainsi qu’une vidéo explicative : https://www.youtube.com/watch?v=Jd_eJIINlBw&sns=em qui a dépassé le million de vues et, nouveauté, un document en français de Questions et Réponses : http://mh370-captio.net/wp-content/uploads/Questions-Reponses-French.pdf

L’originalité de notre démarche tient à deux aspects

Elle s’appuie d’une part sur les nombreuses informa-tions, parfois inexploitées, des deux rapports officiels. En particulier : l’endroit où l’avion a disparu des radars civils (configuration particulière entre deux Flight Information Regions (FIR)), le moment du transfert de responsabi-lité, l’utilisation de voies aériennes (trajectoire révélée à partir des informations des radars primaires) qui s’avère être un très bon moyen de cacher un avion au sein du trafic environnant), et la légère surconsommation (~150 kg/h) du moteur droit par rapport au gauche.

D’autre part elle tient compte des lois de la mécanique du vol, du pilotage, des règles de la circulation aérienne et des méthodes et outils de contrôle du trafic aérien civil et militaire.

Pourquoi les autres scénarios ne sont pas plausibles ?

Sortis d’imaginations fertiles, des scénarios tels que celui vers Diego Garcia, ne sont pas cohérents avec les données d’Inmarsat 2. D’autres, très populaires auprès de certains journalistes, sont fondés sur la suspicion que les données ont été falsifiées ou ont été fabriquées de toutes pièces. Mais sans ces données intrinsèques aux communi-cations spatiales comment peut-on bâtir une trajectoire ? Mettre en cause la crédibilité de la société Inmarsat nous semble faire preuve d’une méconnaissance du domaine. Les données brutes d’Inmarsat ont, par ailleurs, été publiées par un membre de l’Independant Group 3.

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POINT DE VUEL’ÉNIGME DU VOL MH370 DE LA MALAYSIA AIRLINESpar Jean-Marc Garot, membre 3AF

1 https://oceaninfinity.com/2 Inmarsat est une compagnie de satellites internationaux, offrant des services globaux de mobiles. Elle fournit des services téléphones et données

pour des utilisateurs du monde entier, via des terminaux ou des portables, qui communiquent avec les stations terrestres au moyen de 13 satellites

géostationnaires de télécommunication : https://www.inmarsat.com/3 Une vingtaine de pilotes qui depuis la disparition publient sur le net des analyses techniques très détaillées et qui ont acquis une certaine respec-

tabilité sur le sujet.

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Pour nous, toute trajectoire plausible du MH370 doit traverser 7 arcs et à chaque intersection les valeurs calculées de ces fameux BTO 4 et BFO 5 doivent corres-pondre aux données brutes enregistrées par Inmarsat .

Voir Figure 1 le timing (UTC) du MH370 avec la désignation des arcs correspondants : https://www.atsb.gov.au/publications/2014/considerations-on-defining-the-search-area-mh370/

Figure 1. les 7 arcs devant être traversés par la trajectoire du MH370

L’Australian Transport Safety Bureau a fait une hypothèse surprenante : après sa disparition des radars militaires malaisiens, l’appareil n’aurait pas été piloté jusqu’au bout mais le vol se serait poursuivi sous pilotage automatique. Cette hypothèse a conduit trois campagnes de recherches à l’extrémité de trajectoires quasi–rectilignes vers le sud, sans résultat.

Des explications ont été imaginées, a posteriori, pour justifier cette hypothèse ad hoc. Par exemple : l’équipage aurait, pour une raison inconnue, été soudainement frappé d’incapacité après 1h40 de pilotage maîtrisé ou, encore, le commandant de bord aurait voulu se suicider.

On remarquera tout de même, qu’après et malgré sa recherche infructueuse, Ocean Infinity, cette société

surtout intéressée par les recherches sous-marines 6, a obtenu un nouveau contrat avec la US Navy. D’autre part le Sénat Australien - sans remettre en cause l’hypothèse - s’est ému du coût des recherches infructueuses de l’ATSB, que presque toutes les personnes qui ont étudié sérieuse-ment la disparition du MH370 ainsi que le dernier rapport dit final excluent un accident ou un incident et que ce rapport exonère le commandant de bord et le copilote.

Pour nous aucune preuve claire ne permet d’attribuer le détournement au(x) pilote(s), qui auraient pu être contraints d’agir contre leur volonté, mais nous n’avons trouvé aucune preuve décisive de leur innocence non plus. Si, comme le rapport le dit, “ a third party is not excluded ”, il serait logique de penser à un détournement. Supposant que des “ Personnes aux Commandes ” décidées aient maîtrisé l’avion, notre étude CAPTIO valide une trajectoire plausible grâce aux nombreuses simulations réalisées.

La trajectoire CAPTIO est fondée sur 7 hypothèses

1. l’avion a été piloté du début à la fin par des Personnes aux Commandes ;2. le pilotage a respecté la structure de l’espace aérien ainsi que les règles de pilotage d’un vol ;3. l’appareil n’a subi aucun dommage, le courant électrique a été volontairement coupé puis a été rétabli environ une heure après l’écart de l’avion de son plan de vol vers Pékin;4. les Personnes aux Commandes voulaient atterrir en toute sécurité sur une piste de longueur suffisante sans maltraiter les passagers et sans volonté de faire disparaître l’avion ;5. la trajectoire a été dérivée de la capacité des automa-tismes de l’avion à continuellement contrôler la vitesse à partir du mode de vol le plus adéquat sélectionné. Elle a également été simulée de manière à éviter autant de couvertures radars que possible au sud de Sumatra ;6. aucun ralentissement ni holding n’a été simulé, car le nombre d’options aurait été trop grand ;7. en raison du faible nombre de débris trouvés, nous pensons qu’une tentative d’amerrissage est très probable, avec peut-être un écrasement final à basse vitesse.

La trajectoire devait respecter un mode de vol, qui avait été sélectionné dans le Flight Management System (FMS), les contraintes imposées par la structure de l’espace aérien et les procédures de vol. Tout ceci a conduit à une trajectoire opérationnelle réaliste permettant de calculer des données satellitaires simulées, puis de les comparer

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4 Le Burst Timing Offset (BTO) est une mesure du temps de parcours complet : station sol , satellite, avion (et retour)+ un biais du aux temps de

traitement5 Le Burst Frequency Offset (BFO) est une mesure de l’effet doppler qui permet de déterminer un ensemble d’attitudes (combinaison de la vitesse

horizontale, la vitesse verticale et du cap) de l’avion.6 Actuellement son bateau affrété le SEABED CONSTRUCTOR recherche l’épave d’un sous-marin argentin.

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aux données réelles brutes mesurées par Inmarsat pour la valider. Le résultat est disponible à l’adresse suivante : http://mh370-captio.net/wp-content/uploads/2018/01/MH370-PlausibleTrajectory-3.4.pdf

Figure 2. La trajectoire prévue et les 7 frontières de régions aéronautiques : un voyage de 2 670 miles marin

Figure 3. La fin de la trajectoire (12°2’32’’S, 107°22’48’’E) Profondeur de la mer : 5 000 mètres

Figure 4. Les caractéristiques de la trajectoire CAPTIO en temps et en altitude

Pourquoi les Personnes aux Commandes n’ont-elles pas réussi à gérer le manque de carburant?

Premièrement, le moteur droit consommait légèrement plus (~150 kg/h) que celui de gauche, ce qui représente plus d’une tonne de carburant manquante à destination et seuls les pilotes étaient au courant. Deuxièmement, le constructeur de l’aéronef et le constructeur des moteurs ne fournissent aucune information sur les valeurs réelles de la consommation de carburant à basse altitude, par exemple à 5 000 pieds sur une aussi longue distance. Le FMS lui-même ne fournit pas de prévision fiable à cette altitude, ce que nous avons vérifié dans nos simulations. Nous avons constaté des estimations de fuel à destination qui évoluent rapidement vers la toute fin du vol, laissant peu de temps à un équipage pour réagir.

Les calculs de dérive des débris ont été refaits par CAPTIO et aboutissent à La Réunion

Le calcul de la dérive des débris commence au point d’amerrissage et se finit en août 2015. Il tient compte des données météorologiques réelles telles que les dépressions tropicales rencontrées et surtout de l’influence de l’ouragan Gillian. Il ne repose pas sur des statistiques de rétro-dérive. Le modèle de CSIRO a été utilisé car c’est le plus réaliste puisque élaboré à partir d’une réplique du flaperon retrouvé à la réunion (voir rapport CSIRO “ The search for MH370 and ocean surface drift – Part II ”, EP177204 dated 3 October 2017). Un rapport spécifique a été produit sur ce sujet : www.mh370-captio.net

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8 a commentary <https://goo.gl/pGw854> on the Trump administration’s upcoming Missile Defense Review - “The US May Seek Defenses Against

Russia. We Need to Talk About That.”

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Figure 5. Simulation de la dérive des débris par CAPTIO

L’ENQUÊTE FRANÇAISE

Le juge d’instruction français a émis une commission rogatoire internationale demandant, aux pays suscep-tibles de stocker des données brutes, l’autorisation (et éventuellement leur assistance) de les saisir. Il semble que, pour l’instant, il s’agisse des données provenant d’Inmarsat.

En fait, celles-ci sont disponibles depuis longtemps : http://mh370.radiantphysics.com/2017/06/12/the-unredac-ted-inmarsat-satellite-data-for-mh370/

En réalité, ce sont les enregistrements des radars indonésiens qui seraient utiles et qui permettraient de valider notre trajectoire.

LE SCÉNARIO PLAUSIBLE DE CAPTIO

Une trajectoire très sophistiquée a été suivie dans le but de détourner le MH370 mais cette opération est allée à l’échec à cause d’une mauvaise estimation de l’autonomie de l’avion due à la surconsommation d’un moteur et à l’incertitude sur la consommation de carburant qu’entraîne un vol à basse altitude (effectué au sud de Sumatra). Ceci a contraint les Personnes aux Commandes à une tentative d’amerrissage forcé près de leur destination : Christmas Island

L’analyse de l’absence de revendication ou des motivations de ce détournement raté n’entre pas dans le cadre de notre travail.

Trouver cette épave est le seul but de notre équipe. Nous pensons que notre connaissance de la réalité opéra-tionnelle des contrôles du trafic aérien civil et militaire nous a permis de voir des évidences d’une autre manière certainement plus ancrée dans la réalité.

Les coûts probables encourus de la recherche dans la zone proposée par CAPTIO seraient faibles par rapport aux recherches précédentes, car il s’agit d’une petite zone dans des eaux tropicales accessibles toute l’année non loin des côtes indonésiennes. ■

Diplômé de l’École Polytech-nique et de l’ENAC, Jean-Marc Garot fut Chef du Centre d’Études de la Navigation Aérienne (1987-1995), puis Directeur du Centre Expérimen-tal d’EUROCONTROL (1995-2005). Il fut aussi membre du conseil d’administration de la 3AF (2006-2014) et Secrétaire général de la 3AF (2006-2008).

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La biographie d’Elon Musk par Ashlee Vance, traduite aux éditions Eyrolles en 2017, a inspiré quelques réflexions à l’auteur qui en fait part à la suite de sa recension de l’ouvrage.

E. Musk est un brillant capitaliste américain, assez typique de l’optimisme faustien de type californien, surtout connu du grand public pour sa participation au lancement de PayPal puis au développement d’une automobile électrique innovante, la Tesla, enfin pour ses initiatives dans le domaine spatial avec la création de l’entreprise Space X qui produit des lanceurs extrêmement économiques, la filière Falcon, lesquels sont en train de changer les équilibres économiques traditionnels du marché des lancements orbitaux. Un livre vient d’être publié en français relatant l’histoire de cette aventure, permettant de mieux comprendre les forces singulières mais aussi les faiblesses de l’entreprise qui a émergé dans le scepticisme général y compris en Europe. La 3 AF se devait d’en faire une recension et d’esquisser une analyse des leçons à tirer pour nous de cette entreprise.

LA GENÈSE ET LE DÉVELOPPEMENT SPECTACU-LAIRE DE SPACE X

Pour la petite histoire, les premiers contacts de Musk avec la communauté aéronautique ont été initiés à Los Angeles via la Mars Society, association éclectique de passionnés par l’exploration et la colonisation de la planète rouge. A l’occasion d’un “ gala dinner ”, Musk y fit alors la connaissance de Carol Stoker chercheuse à la NASA dont le mari ingénieur également à la NASA travaillait à un projet de planeur qui survolerait Mars. Mais Musk trouvait les experts insuffisamment ambitieux et c’est pourquoi il créa en 2001 sa propre Fondation, “ Life to Mars ”, aux réunions de laquelle il invita des grands de la NASA tels que Mike Griffin ancien d’In Q Tel et d’Orbital Sciences (quelques années plus tard il deviendrait même patron de la NASA).

La fusée Falcon 9 de SpaceX atterrissant sur le bateau drone.

Par ailleurs, il fit un grand tour du petit monde spatial (de Pasadena à Moscou en passant par Paris) et décida enfin de se lancer dans le business des lanceurs, aventure coûteuse et hasardeuse à laquelle bien des millionnaires avant lui s’étaient essayés sans succès. Sa rencontre avec

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POINT DE VUERÉFLEXIONS INSPIRÉES PAR LA LECTURE DE L’OUVRAGE SUR ELON MUSKpar Bertrand de Montluc, commission Stratégie et Affaires internationales

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Tom Mueller de TRW et avec John Garvey ex de McDonnell Douglas (lequel à Huntington Beach s’activait sur un nouveau moteur de fusée de 36 kg) se révéla détermi-nante. Mueller aida Musk à remplir sa feuille de calcul sur les performances et le prix d’une nouvelle fusée à bas coût visant le segment de petites charges utiles comme cheval de Troie pour s’ouvrir un boulevard d’une ère nouvelle de l’exploration et de l’exploitation de l’espace. A ce moment-là, PayPal étant entré en bourse, le portefeuille de Musk fit un bond en avant spectaculaire (son patrimoine était passé à des centaines de millions de dollars). Cela lui permit de créer en juin 2002 Space Exploration Techno-logies (SpaceX) à Hawthorne (Californie) dans un grand hangar servant de dépôt qu’il fit transformer en usine - suivant un schéma nouveau radicalement différent de celui des grands majors industriels, de très jeunes ingénieurs issus des meilleures universités côtoyant dans une atmosphère amicale de potaches surdoués, des informaticiens haut de gamme, aussi bien que des soudeurs et mécaniciens. L’entreprise construirait ses propres moteurs et achèterait le reste dans le commerce ou à des sous traitants. L’avantage concurrentiel consis-terait à produire un moteur meilleur et moins coûteux en optimisant le processus productif afin d’assembler les moteurs plus vite pour moins cher, l’objectif étant d’éviter à tout prix de devenir un énorme sous-traitant du gouver-nement américain.

Musk s’identifie à la grande nation bienveillante, optimiste et réticente à la bureaucratie (l’Amérique) avec en perspective le projet de repartir de zéro dans le secteur des fusées sur des bases inédites par l’emploi de procédures et de techniques apprises dans la Silicon Valley, mettant à profit les énormes progrès intervenus depuis vingt ans dans les domaines des matériaux et du calcul, évitant les gaspillages et les dépassements de budget rituels chez les grands Prime, le tout pour le bien de l’humanité conquérante. La première fusée serait appelée Falcon en hommage au Falcon du film Star Wars.

A l’annonce d’intentions aussi sympathiques les militaires du Pentagone, qui traditionnellement paient une fortune leurs lancements, furent vivement intéressés - dans un contexte stratégique de recherche d’une panoplie spatiale plus “ responsive ”, plus souple d’emploi et moins chère. Pete Worden, l’un des grands experts particulièrement créatif du petit monde spatial à cette époque et consultant de référence au Département de la Défense (DoD), se montra par exemple positif.

Les dirigeants embauchés par Musk formèrent une équipe d’élite intellectuellement musclée, venant de l’université mais aussi de grands constructeurs comme Boeing, TRW et du JPL de la NASA. Tout de suite ils s’attaquèrent à la construction d’un premier moteur, le Merlin, à sa coiffe, puis à un prototype complet Falcon 1

– tout en annonçant le projet d’un lanceur lourd visant la clientèle NASA, Falcon 5. Car déjà Musk avait trouvé un client, le DoD pour le lancement d’un satellite TacSat. Pour faire face à un tel plan de charge, il n’y avait qu’un moyen, travailler beaucoup dans l’esprit d’une Start up, et identifier des sous-traitants hors le cercle classique des équipementiers de l’aérospatial, capables d’accompagner la créativité et la vélocité de l’équipe de Musk. Les défis techniques étaient énormes, l’avionique en particulier qui comprenait l’électronique de navigation de communica-tion et de pilotage de la fusée. Le premier test de mise à feu du Falcon (5 secondes) sur la base militaire de Vandenberg (mai 2005) ayant réussi, l’équipe se trouva par la suite contrainte pour le premier vol d’essai de trouver un site non militaire…en l’occurrence entre Guam et Hawai sur un ilot des Marshall, Kwajalein ! Le premier essai fut un échec en raison d’une fuite d’oxygène sur un moteur et de défauts dans le système de distribution électrique obligeant l’équipe à se fournir auprès d’un distributeur de composants grand public. Le test du 24 mars 2006 fut un nouvel échec, le lanceur retombant sur le site suite à un incident sur le moteur (due à la corrosion de l’atmosphère saline de l’ile). Mais le 30 juillet 2008 un lancement réussi du modèle Falcon 9 connut la réussite. Falcon 1 avait été pendant ce temps modifiée (nouvelle version du Merlin dotée d’un système de refroidissement modifié) ; toutefois un nouveau test en vol fut un nouvel échec (défaut d’allumage du second étage) alors que Musk qui avait mis 100 millions dans Space X se trouvait aux abois en raison surtout de difficultés sur le prototype de voiture électrique Tesla. Le quatrième lancement de Falcon, qui aurait bien pu être le dernier, eut lieu le 28 septembre 2008, sans charge utile, et ce fut un succès après 6 ans d’efforts de 500 personnes sur fonds privés et moyennant une débâcle financière pour Musk lui-même. En outre, Musk prit la décision de construire un lanceur lourd “ Falcon heavy ” par réunion de 3 Falcon 9, soit 27 moteurs Merlin capable de transporter 53 tonnes de charge en orbite.

Fort à propos, la NASA, quelques mois après, prit la décision de confier à Space X le développement de la capsule “ DRAGO ”, laquelle devait pouvoir assurer la navette de fret avec la station spatiale ISS. Le contrat se montait à 1,6 milliard de dollars pour 12 vols (il fallut tout de même 4 années pour finaliser les développements, parfois avec l’aide de la NASA, de cette capsule de conception nouvelle pour un cout de production de 300 millions de dollar qui est désormais opérationnelle). En parallèle la société continuait de développer le lanceur Falcon 9, équipé de 9 moteurs à oxygène liquide et kérosène, la plupart du temps lancé sur la base de l’Armée de l’Air à Vandenberg, et facturé à un prix imbattable. Enfin, Musk a pris la décision de faire travailler son équipe sur un concept inédit de lanceur réutilisable (après quelques déboires, il parviendra à ses fins en 2018 ; récemment un satellite indonésien Merah Putih a été lancé sur un Falcon 9 block 5,

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POINT DE VUERÉFLEXIONS INSPIRÉES PAR LA LECTURE DE L’OUVRAGE SUR ELON MUSK

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réutilisable 10 fois, et la récupération du premier étage a eu lieu sur une barge en mer avec succès).

En fait E. Musk ne veut pas seulement abaisser le coût des lancements de satellites et du ravitaillement de la station spatiale, créant de la sorte un nouveau modèle économique dans le domaine des lanceurs, il voit plus loin, la colonisation de Mars - qui supposera des moyens de ravitaillement et de fret sans précédents. Sa méthode n’est plus celle des PMI de la Silicon Valley. Installée à Hawthorne, l’usine SPACE X (50 000 m2) se distingue de ses concurrentes par des installations originales et des méthodes de travail jamais pratiquées dans le “ business ” spatial : les zones de travail sont délimitées de manière informelle, des lanceurs couchés attendent d’être livrés, une salle blanche accueille les capsules Drago, un banc d’essai est disponible pour les équipements électro-niques et informatiques, des techniciens travaillent sur un moteur Merlin, une bâche protège les travaux plus classifiés ! Dans une zone latérale, Space X fabrique son électronique, des composites spéciaux. L’espace de bureau est installé au milieu de l’atelier, dans des box en verre, le tout baignant dans une lumière bleutée. Le concept d’ensemble de l’atelier est la construction intégrée, la société fabriquant de l’ordre de 80% des produits y compris cartes mères, circuits intégrés, détecteurs de vibration, ordinateurs de bord, panneaux solaires, équipement de soudage par friction (malaxage) ou les achetant dans le commerce, à contre-pied des grands Prime du spatial (ULA/Lockheed-Martin) qui recourent massivement à la sous traitance. Des bancs de test informatique permettent de trouver des solutions en temps réel lors de défaillances détectées au dernier moment sur le site de tir – situation impensable pour les ingénieurs du complexe aérospatial classique. Il est même permis chez Space X de modifier les procédures de travail trop technocratiques ou régulatrices aux yeux de Musk (exemple : changement de filtre).

RÉFLEXIONS INSPIRÉES PAR LE LIVRE

Au final, l’objectif d’E.Musk parait être de ne gagner que peu sur chaque contrat mais d’engranger un maximum de commandes publiques et privées, y compris provenant des acteurs et opérateurs du “ New Space ”, et de faire baisser les prix du transport spatial de telle manière que la colonisation planétaire s’en trouverait grandement facilitée, l’objectif étant d’établir une base autonome sur Mars. Une esquisse d’analyse peut être tentée sur la base des quelques observations qui suivent.

Les leçons à tirer pour nous en Europe ne sont pas négligeables, contrairement à de premières analyses un peu rapides, même s’il reste vrai que le marché européen n’est pas comparable au marché américain. Première leçon, la liberté de travail aux Etats-Unis que l’entre-

prise Space X a su mettre à profit : peut-on concevoir qu’elle progresse dans les pays du Vieux continent ? Dans le même esprit, sommes-nous, agences publiques et industriels, capables de progresser plus vite sur la voie de nouvelles méthodes de travail et d’approvisionnement en nous libérant de certaines contraintes bureaucratiques issues de la logique de l’arsenal (profil des personnels, calcul des prix, gestion des échecs, etc.) ? Peut-on rêver à une telle révolution des procédures tout en gardant pour les agences publiques, nationales ou européennes, un rôle fédérateur, qui permette de transfuser en tant que de besoin de l’expérience et du savoir-faire des ingénieurs de la technostructure et, en revanche, de leur vendre à prix modéré des développements de qualité (“ best value for money ”, en quelque sorte) ? Sur ce point, notons qu’Elon Musk s’est montré assez convaincant et persévérant : en fin de compte, les soutiens publics qu’il reçoit désormais sous forme de commandes de la part de la NASA et du Département de la Défense (DoD) sont déterminants, et ces grands donneurs d’ordre y trouvent leur compte.

Un indice encourageant de notre côté : la volonté de certains groupes de travailler autrement dans les établis-sements de fabrication, en recrutant des jeunes au profil atypique, en allégeant contraintes et habitudes, et en mettant l’accent au tout premier chef sur l’innovation. Le défi inouï lancé à l’origine par l’Américain Wyler “ One Web ” (internet de l’espace) est ainsi dorénavant porté par Airbus Defence and Space, couvrant toute une série de solutions techniques révolutionnaires en vue d’exploiter et d’explorer l’espace suivant un modèle économique inédit.

Un groupe de réflexion de la 3AF avec la participation de la commission Stratégie et affaires internationales pourrait se donner comme objectif de recherche d’analyser ce qu’il est envisageable de tirer comme conclusions de l’expérience Space X en vue de faire évoluer notre propre façon de travailler et de conduire nos projets en France et en Europe. ■

Secrétaire général du Professeur Blamont au Service d’Aéronomie du CNRS de 1972 à 1982, Bertrand de Montluc a ensuite consacré sa carrière au CNES aux affaires internationales et européennes puis en tant que directeur adjoint de la Stratégie. 

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POINT DE VUERÉFLEXIONS INSPIRÉES PAR LA LECTURE DE L’OUVRAGE SUR ELON MUSK

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Gérard Mourou, professeur et membre du Haut-collège de l’École polytechnique vient de recevoir le prix Nobel de physique 2018. Il partage cette récompense avec sa doctorante Donna Strickland pour leur invention qui vise la montée en puissance crête et moyenne des lasers. L’idée est de créer des impulsions ultra-brèves, de quelques centaines de femto-secondes, porteuses de fortes énergies. Malheureusement, à partir d’un certain seuil ces impulsions finissent par dégrader le laser. Par une technique d’étalement en fréquence appelée “ chirp ”, Gérard Mourou et Donna Strickland ont réussi à franchir ce seuil en 1985, permettant de relancer la course à la puissance. Cette technique est d’ailleurs toujours la technique de référence et permet maintenant de parler de science de l’exawatt (1018 W) voire du zettawatt (1021 W), c’est-à-dire d’aborder tout un domaine de physique appelée ultra-relativiste.

Pour cette montée en puissance, il est aussi nécessaire d’assurer une très bonne focalisation du faisceau laser donc d’en mesurer les défauts. La voie retenue par Gérard Mourou, alors au Center for Ultrafast Optical Science (CUOS) de l’université de Michigan à Ann Arbor, avec Jean-Christophe Chanteloup (LULI, Laboratoire pour l’Utilisation des Lasers Intenses) et Frédéric Druon

(LCFIO, Laboratoire Charles Fabry de l’Institut d’Optique) a été d’utiliser un tout nouveau moyen interférométrique inventé par Jérôme Primot de l’ONERA, appelée Multi-Lateral Shearing Interferometry (MLSI) qui présentait des caractéristiques d’achromatisme, de sensibilité et de réglage particulièrement adaptées pour ce type de besoin [1]. La chaîne laser réalisée au CUOS sous la direction de Gérard Mourou, intégrant ce moyen ONERA, a permis de réaliser plusieurs premières mondiales. Celles-ci repré-sentent les premières utilisations scientifiques de l’inter-féromètre ONERA. Depuis, ces interféromètres sont commercialisés par Phasics, sous licence ONERA.

De retour en France, Gérard Mourou a décidé d’explorer une nouvelle voie pour continuer à monter en puissance. L’idée est de faire coopérer un très grand nombre de lasers à fibre élémentaires (le projet évoque quelques milliers, voire le million), qui travaillent dans leur régime de confort et de les mettre tous en phase avant de les focaliser. Ce projet appelé CAN, a été réalisé en coopération entre l’Ecole polytechnique, le Laboratoire d’Optique Avancé (LOA) de l’Ecole Nationale Supérieure des Techniques Avancées (ENSTAParisTech) où était basé Gérard Mourou à cette époque, le Laboratoire pour l’utili-sation des lasers intenses (LULI) de l’École polytechnique,

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ACTUALITÉUN INTERFÉROMÈTRE ONERA ACCOMPAGNE GÉRARD MOUROU, PRIX NOBEL DE PHYSIQUE 2018, DANS SA QUÊTE DES PUISSANCES LASER EXTRÊMESpar Bruno Chanetz, Rédacteur en chef

Gérard Mourou dans son laboratoire.

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l’Institut d’Optique Graduate School (IOGS), Thales R&T et l’ONERA. Il a permis de montrer les potentialités de cette voie, par la mise en phase de 64 fibres, record toujours en cours, expérience réalisée par Cindy Bellanger alors à Thales R&T, encadrée par Arnaud Brignon et dirigée par Jérôme Primot [2] à laquelle participaient aussi Laurent Lombard de l’ONERA et Jérôme Bourderionnet de Thales R&T. La collaboration avec Thales R&T a été poursuivie sur ce thème avec la thèse de Marie Antier [3].

Interferomètre PISTIL ONERA - schéma de principe

Image d’un “ pistilogramme ”, produit par la technique PISTIL, issue de [6].

Le projet CAN, sur l’impulsion de Gérard Mourou, est devenu par la suite un projet international (I-CAN ou international-CAN [4]) regroupant les principaux labora-toires sur le sujet : l’ONERA, Thales, L’École polytech-nique, l’IOGS, l’ORC (Optoelectronics Research Centre, Southampton, UK), l’IOF (Iéna, Allemagne), l’université de Californie et Amplitude Systèmes (Bordeaux). Plusieurs architectures ont été imaginées et ont donné naissance à des projets comme XCAN (Thales R&T – LULI) [5], mené par

Jean Christophe Chanteloup. Depuis, l’ONERA continue de travailler sur le sujet de la combinaison cohérente. Cindy Bellanger a rejoint l’ONERA et a proposé une variante de la technique inventée à l’ONERA, appelée PISTIL interfe-rometry (PISton and TILt) [6] et développée dans la thèse de Maxime Deprez, boursier CIFRE entre l’ONERA et la société Phasics. Cette méthode a produit, avec succès, une mesure absolue de la qualité d’un front d’onde issu de l’amplification et combinaison en cohérence des faisceaux lasers du prototype XCAN [7], franchissant ainsi un pas décisif pour la réalisation de ces nouvelles architectures de lasers ultra-intenses.

[1] Druon, F., Chériaux, G., Faure, J., Nees, J., Nantel, M., Maksimchuk, A., G. Mourou, J C Chanteloup & Vdovin, G. Wave-front correction of femtosecond terawatt lasers by deformable mirrors. Optics letters, 23(13), 1043-1045 (1998).

[2] Bellanger, C., Toulon, B., Primot, J., Lombard, L., Bourde-rionnet, J., & Brignon, A. Collective phase measurement of an array of fiber lasers by quadriwave lateral shearing interfe-rometry for coherent beam combining. Optics letters, 35(23), 3931-3933 (2010).

[3] Antier M., Bourderionnet J., Larat C., Lallier E., Lenormand E. Primot J., Mourou G., and Brignon A., Highly scalable coherent fiber combining using interferometric technique. in CLEO, OSA Technical Digest (online) Optical Society of America, paper CW3M.4 (2013).

[4] Brocklesby, W. S., Nilsson J., Schreiber T., Limpert J., Brignon A., Bourderionnet J., Lombard L., Michau V., Hanna M., Zaouter Y., Tajima T., et Mourou G., ICAN as a New Laser Paradigm for High Energy, High Average Power Femtosecond Pulses. The European Physical Journal Special Topics 223(6):118995 (2014).

[5] https://portail.polytechnique.edu/izest/en/en/science-techn/laser-technology/xcan

[6] Deprez M., Bellanger C., Lombard L., Wattellier B. and Primot J., Piston and tilt interferometry for segmented wavefront sensing, Optics letters, 41(6) 1078-1081 (2016)

[7] Deprez M., Moyen de métrologie pour la conception et l’éva-luation de chaines lasers hyper intenses utilisant la recombi-naison cohérente de lasers élémentaires, Thèse de doctorat (2018). ■

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ACTUALITÉUN INTERFÉROMÈTRE ONERA ACCOMPAGNE GÉRARD MOUROU,

PRIX NOBEL DE PHYSIQUE 2018, DANS SA QUÊTE DES PUISSANCES LASER EXTRÊMES

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Cet article rend compte de la Journée organisée par la Commission Structures autour du “ Big-Data ” le 6 décembre 2017 dans les locaux de l’ONERA à Châtillon 

LE CONTEXTE

Initialement, l’industrie a adopté les jumeaux virtuels (virtual twins) sous forme d’outils de simulation qui représentaient la physique des matériaux, procédés, structures et systèmes à partir d’un modèle numérique. Cependant, les moyens de calcul plutôt limités au sein des petites et moyennes entreprises, ne permettaient pas de simuler les problèmes industriels aussi vite que les ingénieurs l’auraient souhaité. Malgré cela, ces outils de calcul ont transformé le métier de l’ingénieur pour lui offrir des outils de conception optimisés et sont devenus incontournables dans la presque totalité des industries à la fin du XXème siècle.

C’est au début du XXIème siècle que les données font irruption dans l’ingénierie. Pendant des années, elles ont servi dans d’autres domaines où les modèles étaient moins développés ou restaient plus incertains. Les données collectées massivement ont pu être classifiées, décortiquées, analysées, etc à l’aide des techniques de l’intelligence artificielle. Ainsi les corrélations entre les données ont pu être enlevées, prouvant une certaine simplicité derrière une apparente complexité. En plus, des relations entrée-sortie ont été mises en place avec les données comme seul ingrédient. Les données multidi-mensionnelles ont trouvé une façon de se montrer à nos yeux et les données massives ont pu nous fournir des clés d’interprétation, nous avertissant d’un évènement fortuit imminent, rendant possible une maintenance prédictive, une surveillance et une prise de décision en temps réel. Nous voici dans le royaume des jumeaux digitaux (digital twin), où les modèles physiques devant choisir entre précision et rapidité, se sont fait remplacer par des données. L’emploi de ces dernières nécessite un appren-tissage adéquat au préalable, comme l’utilisation de modèles a aussi nécessité de longs travaux de découverte et de formulation.

Nous voici avec des jumeaux virtuels hors-ligne et des jumeaux digitaux en-ligne. Cependant ces derniers n’ont pas aujourd’hui la portée des premiers et dans

de nombreuses applications, “ le tout données ” reste hors de portée. C’est là où le jumeau hybride (hybrid twinTM) rentre en scène, un jumeau combinant modèles et données. Mais pour cela, il a fallu attendre que les simulations numériques des systèmes et des physiques complexes puissent se faire en temps réel.

Au début du XXIème siècle toujours, plusieurs révolutions scientifiques en mathématiques appliquées, en infor-matique (calculs hautes performances) et en mécanique numérique, sont venues bouleverser les procédures de conception établies. Ainsi, des nouvelles techniques dites de réduction de modèles ont vu le jour. Ces techniques ne réduisent ni ne modifient le modèle, elles se contentent de réduire la complexité de sa résolution et permettent ainsi de transformer une réponse complexe et longue à obtenir, en une réponse en temps réel. De plus, ces nouvelles techniques ont complètement modifié les approches traditionnelles d’utilisation de la simulation, de l’opti-misation, de l’analyse inverse (c’est à dire recalage), du contrôle et de la propagation de l’incertitude, en offrant des réponses temps réel aux problèmes posés. C’est là que le jumeau hybride est né. Le calcul pouvant maintenant être fait en temps réel, les données collectées permettent de calibrer (continuellement) les modèles numériques pour mieux s’adapter à la réalité observée, rendant possible le contrôle temps réel.

Le virtuel avait été enfin combiné avec le digital, la physique avec les données. Cependant, et malgré des énormes succès, certaines difficultés ne tardèrent pas à apparaître : dans de nombreux cas, même un recalage continuel ne permettait pas de décrire et prédire la réalité observée. Il semblait que notre conceptualisation de la réalité – nos modèles – contenait une dose non négligeable d’ignorance, la réalité semblant inatteignable à l’échelle du raisonnable. Le jumeau hybride a été ainsi enrichi, en lui associant deux types de modèles : le premier basé sur la physique, connue et calibrée continuellement en temps réel par assimilation des données collectées ; le second est un tout nouveau type de modèle, à caractère plus pragmatique et phénoménologique, construit à la volée à partir (et exclusivement) des données collectées, et servant à expliquer la déviation entre les prédictions du modèle physique calibré et la réalité observée.

SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALESVERS UNE NOUVELLE INGÉNIERIE COMBINANT PHYSIQUE ET DONNÉES, MANIPULÉES ET INTÉGRÉES, DANS LE CADRE DES MATHÉMATIQUES ET DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLEpar le Professeur Francisco Chinesta, Arts et Métiers ParisTech, commission Structures

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Là, comme disent les français, on a enfin le beurre et l’argent du beurre !

LA JOURNÉE

Le programme de la journée organisée par la commission Structures de la 3AF, qui a rempli la salle de conférences au delà de sa capacité et des prévisions, avec des acteurs des mondes académique et industriel, a tourné autour de toutes ces questions, avec une double finalité, bâtir l’état des lieux, et puis identifier les tendances actuelles ainsi que les rêves de demain (difficile de se projeter encore au-delà, tellement l’évolution est rapide) sans oublier les verrous à soulever.

Simulation de crash

Le programme a été en conséquence très riche, combinant fondamental et applicatif. La journée s’est ouverte avec quelques présentations à caractère plutôt fondamental, avec notamment la présentation de la Prof. Catherine Huber - Université Paris 5 René Descartes – qui a passé en revue de nombreuses techniques d’analyse statistique de données, tout en avertissant sur les risques des mauvaises manipulations et en même temps démys-tifiant certaines procédures obscures mais auxquelles elle a magistralement rendu la lumière.

Puis la présentation du Prof. Francisco Chinesta – ENSAM ParisTech - a établi la différence entre les membres de la famille des jumeaux (virtuels, digitaux et hybrides) et illustré que bien que les données puissent venir, et viennent, enrichir la physique, cette dernière a son mot à dire pour la construction d’une nouvelle science des données, le Smart-Data, plus approprié dans nos métiers d’ingénieur que le Big-Data.

La conférence suivante du duo Bernard Troclet – ArianeGroup - et Kambiz Kayvantash – CADLM à Wissous – s’est plus centrée sur la gestion des données à l’issue

des vols des lanceurs Ariane, avec toute leur richesse, ses dites Vs : Volume, Variabilité, Vitesses, Véracité, etc. Ils ont prouvé que malgré la quantité et la possibilité de les faire parler et s’exprimer (les données), un grand travail reste à faire pour avoir une capacité d’explication et mener une prise de décision fondée sur la compréhension.

Puis le duo Prof. Joseph Morlier – ISAE-SUPAERO – et Michele Colombo – Airbus - a montré une avancée sur le traitement des grands volumes de données grâce aux dites DGP (Distributed Gaussian Process). Cette présen-tation a été suivie par celle de Gabriel Broux de Dassault Aviation, qui en plus de nous parler sur les opportu-nités du Big-Data dans le domaine des structures des avions d’affaires, a prouvé l’urgence et la nécessité de l’accomplir vite, car seulement une toute petite quantité des données collectées est dûment traitée et analysée, le reste attendant sur étagère.

Les présentations de l’après midi (celle des binômes Jérôme Lacaille et Pierre-Etienne Mosser - Safran Aircraft Engines ; Christophe Favre - Safran Helicopter Engines et Sébastien Razakarivony - Safran Tech et enfin celle de Frédéric Le Corre – MBDA) ont porté sur des appli-cations, comportant analyse de données, extraction de “ patterns ” pour une maintenance prédictive, pour l’anti-cipation de comportements fortuits, pour le contrôle non destructif, pour la modélisation basée sur des données (apprentissage profond et renforcé, entre d’autres possi-bilités comme le sont les techniques de régression) du comportement de composants et de systèmes, l’extraction de paramètres explicatifs, l’enlèvement de redondances et de corrélations via une analyse statistique de données, et enfin l’utilisation des techniques avancées de classifi-cation et de visualisation multidimensionnelle, le tout au service d’une prise de décisions temps-réel.

LA DISCUSSION

La journée s’est terminée par une table ronde animée par Francisco Chinesta, même si l’animateur n’a pas eu besoin d’animer, l’animation s’est fait toute seule, avec une salle encore bondée en fin de journée et une forêt de mains qui se levaient demandant la parole ! Un régal !

Des sujets majeurs ont été abordés. Pierre Ladevèze (ENS Cachan) a pris la parole pour replacer la vérification et la validation - V&V - dans le nouveau cadre des modèles construits sur la base des données. Même si la V&V est en train de s’imposer dans certains domaines industriels, il est difficile d’imaginer la nouvelle ingénierie l’excluant, elle sera sans doute un protagoniste incontournable. Pierre Ladevèze a abordé aussi les questions de qualité des données, bruits, erreurs de mesure, défaillance de capteurs, biais, etc. qui nécessitent des techniques de

SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALESVERS UNE NOUVELLE INGÉNIERIE COMBINANT PHYSIQUE ET DONNÉES, MANIPULÉES ET INTÉGRÉES, DANS LE CADRE DES MATHÉMATIQUES ET DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

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filtrage adéquates et de modélisation robuste. D’autres collègues ont rebondi sur ces questions, Roger Ohayon (CNAM), Christian Rey (Safran Tech), … en rajoutant d’autres questions majeures : comment construire des modèles basés sur les données dans un cadre thermody-namique, en accord avec les principes fondamentaux, le rôle des variables internes dans les nouvelles équations de comportement fondées sur les données, avec les questions associées sur l’échantillonnage, le calibrage et le recalage, la prise en compte de couplages, etc.

Les questions associées aux métriques ont été soulevées. Comment comparer l’incomparable ? Quelles métriques ? L’euclidienne s’avère-t’elle insuffisante ? Bien que deux arbres avec une distance euclidienne puissent rester très éloignés, un enfant est capable de les associer et exprimer leur ressemblance ! Comment extraire la simplicité cachée dans la complexité. Nous différencions en temps réel un être humain dans la rue que nous voyons pour la première fois. Donc en ce qui concerne cette classi-fication, être humain ou pas, peu de paramètres doivent suffire car sinon nous prendrions une demi-heure avant de conclure, fait qui nous aurait mis en danger au long de l’évolution des espèces, et certainement nous ne serions pas là à présent. Si nous le sommes, c’est certainement que nous avons su domestiquer la complexité, extraire sa simplicité cachée, le peu de paramètres essentiels et explicatifs, goal-oriented.

Enfin, tous, industriels en tête car pressés, et académiques derrière car paniqués par l’urgence combinée avec la difficulté, réclament un nouveau paradigme, celui

du smart-data. Où mesurer (lieu et échelle) ? Quand le faire ? Et quoi mesurer ? Car avoir trop de données peut devenir aussi handicapant que ne pas en avoir. N’oublions pas que dans le domaine de l’ingénierie, contrairement à d’autres domaines, les données sont chères à obtenir (on ne peut pas mettre un capteur là où on veut ou avoir la donnée dont on rêve, il faut faire avec les moyens du bord) et chères à traiter (en temps) surtout si on vise le temps réel imposé par les tâches d’analyse, de surveillance et de contrôle (par exemple voiture autonome).

Les rêves exprimés ont été multiples, et les choses vont tellement vite, que certains des rêves exprimés le 6 décembre 2017 sont au moment où nous écrivons ces lignes (août 2018) déjà réalisés.

La journée a fini en rappelant ce moment, au début du XIXème siècle où Alessandro Volta a présenté son invention, la pile électrique, dans une des séances de l’Académie des Sciences à Paris. Les académiciens ont applaudi ce spectacle inouï, où les électrodes appliquées sur une grenouille provoquaient des énormes sauts. A la fin, Napoléon a demandé : Monsieur Volta, pensez-vous que ce que vous appelez électricité servira un jour à autre chose qu’à faire sauter des grenouilles ?

Nous voici nous aussi confrontés à un changement de paradigme ! Impossible d’imaginer, la réalité sera bien au-delà de la plus créative des imaginations. Allons-y, construisons cette nouvelle ingénierie pour une nouvelle technologie au service d’une nouvelle société et humanité. ■

Analyse statistique des données de simulation pour établir l’impact des épaisseurs de la structure sur la masse et l’intrusion

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La journée qui a réuni 80 personnes à l’ONERA Châtillon a débuté par une introduction de Gilles Surdon, président de la commission Matériaux et de Jean-Pierre Grisval, président de la commission Structures de la 3AF.

Y. Gourinat, de l’Institut Clément Ader (Toulouse) a entamé la journée en s’intéressant au sujet de la modéli-sation des assemblages. Il rappelle que la thématique des assemblages (depuis 2013) est une thématique particu-lièrement intéressante et structurante car transverse. E. Paroissien illustre le propos en présentant des travaux portant sur la modélisation simplifiée des assemblages hybrides boulonnés-collés, usuellement réalisée par éléments de poutres linéaires à 6 ddl (pour reprise du cisaillement) : développement de macro-éléments (depuis 2006), de types barres ou poutres, avec une solution théorique formulée en 1D en 2008, et une autre méthode de résolution plus générale proposée en 2014 avec une formulation non linéaire fondée sur les modules sécants. E. Paroissien présente ensuite une application à un macro-élément de poutre appliqué au cas des éprouvettes simple-recouvrement : comparaison modèle Éléments Finis avec macro-élément (gain CPU de 50x). Pour traiter les assemblages boulonnés-collés, les recherches s’appuient sur la formulation de modèles de zones cohésives issus de la littérature (Lélias 2016), caractérisés par essais DCB ou ENF standards. Ces modèles sont enfin appliqués à l’analyse de durée de vie (fatigue, courbes de Wölher). Il conclut par quelques perspectives de recherche dans le domaine des assemblages innovants, concernant les assemblages collés à gradients de propriété, qui permet-traient d’éviter les effets de surcontrainte en bords libres de joints collés.

Analyses couplées expérimentales et numériques pour l’opti-misation des assemblages aéronautiques (Source : ICA)

M. Olive, de la société RESCOLL prend ensuite le relais pour présenter les développements en cours concernant

des solutions de collages pour applications aérospa-tiales. Divers processus de collage sont possibles, dont certains par réaction chimique sur lesquels il s’attarde. Une difficulté persistante concerne la maîtrise des modes de rupture par clivage et pelage, qui sont encore problé-matiques pour les applications aéronautiques, ce qui fait que le collage n’est encore aujourd’hui utilisé que pour les structures secondaires, les structures sandwichs, et le collage d’inserts, en intérieur cabine majoritairement (d’où une problématique de tenue au feu, d’émission de fumée et de gaz toxiques par ces colles). Une autre difficulté concerne le fait que les méthodes actuelles classiques de CND permettent de vérifier la présence de la colle, mais pas la qualité de son adhésion. En fait, c’est tout sauf une technique d’assemblage nouvelle et innovante, l’inno-vation se trouve aujourd’hui sur la levée des verrous qui entravent son emploi massif dans l’aéronautique.

Production de gouvernes de profondeur et de direction soudées par induction (Source FOKKER GKN Aerospace)

E. Soccard du Centre de Recherches de Technolo-gies d’Airbus présente ensuite un état de l’art et une revue technologique de l’utilisation de la technique de soudage thermoplastique sur structures primaires chez AIRBUS. Cela ne concerne, pour les structures primaires, que des unidirectionnels carbone, et des thermoplas-tiques PEKK, le polymère de l’extrême : leur utilisation est actuellement limitée à un panneau A400M, et des pièces du type cornières. Le soudage thermoplastique n’est utilisé en production (en étuve) que chez des sous-traitants (e.g. GNK Aerospace). Plusieurs techniques de soudage existent : par co-consolidation (co-cuisson), par diffusion (qui ont atteint un TRL1 assez élevé, mais restent limitées par le problème des accostages), par

SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALESASSEMBLAGES INNOVANTS :SYNTHÈSE DE LA JOURNÉE 3AFMATÉRIAUX & STRUCTURES DU 13 JUIN 2018par Éric Deletombe, ONERA et Gilles Surdon, Dassault Aviation, commissions Matériaux et Structures

1 Technology Readiness Level

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SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALESASSEMBLAGES INNOVANTS : SYNTHÈSE DE LA JOURNÉE 3AF MATÉRIAUX & STRUCTURES DU 13 JUIN 2018

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ultra-sons, par résistance, par induction (on regrette une mise en œuvre compliquée). L’expérience d’Airbus est au final peu convaincante pour des pièces de structure, ce qui est confirmé par Dassault Aviation. M. Brethouwer de FOKKER/ GKN Aerospace, poursuit sur le sujet du soudage thermoplastique appliqué au domaine aéronautique. Le savoir-faire de la société a été renforcé grâce à plusieurs projets européens. La technique robotisée de soudage est utilisée en production pour des structures secondaires, le défi étant aujourd’hui de passer aux structures primaires, sans avoir besoin de recourir à des rivetages/boulonnages d’appoint, avec une fabrication hors autoclave.

B. Regnard présente ensuite la position de la société LISI Aerospace sur les enjeux adressés par le sujet des nouveaux assemblages mécaniques boulonnés (rivelonnés). Ceux-ci concernent le gain de productivité et la réduction des cycles de fabrication des structures aéronautiques (et non le gain de masse, les liaisons actuelles visées étant en titane). M. Regnard présente une nouvelle génération de solution d’assemblage ponctuel aveugle, traitée thermi-quement (OPTIBLIND, breveté) en cours de développe-ment (TRL 5-6 aujourd’hui) pour adresser globalement ces enjeux, en tenant compte des contraintes et spécifications propres à ce type d’assemblage (e.g. protection foudre). Pour atteindre l’objectif fixé, LISI Aerospace s’intéresse à l’automatisation globale du procédé d’assemblage et non au seul design de la fixation, en travaillant sur toutes les étapes critiques (épinglage, masticage, sertissage, etc), et donc sur le cycle complet.

Robotisation de l’assemblage par liaisons rivetées – opérations de perçage et de rivetage (Source LISI Aerospace)

Pour rester sur les assemblages métalliques M. Ledoux, de la société Constellium parle ensuite du procédé de soudage à l’état solide (par friction malaxage). L’utilisa-tion de cette technique de soudage pourrait finalement se généraliser grâce au développement de nouveaux alliages “ airware ” par Constellium. Des solutions de pièces multicouches hybrides (verre époxy/tôles aluminium) sont également évoquées. Concernant le processus de soudage à l’état solide, il est établi aujourd’hui qu’il ne pose pas fondamentalement de problème de tenue structurale avec ces nouveaux alliages, que ce soit en statique ou en fatigue. Avec les nouvelles nuances de matériau, les propriétés mécaniques du cordon soudé (ténacité) sont même meilleures que celles du matériau de base. Les points restant un peu faibles concernent la tenue à la corrosion et l’allongement à rupture. Pour la technique LFW (Linear Friction Welding), les performances seraient également très bonnes, la dimension de la zone affectée thermi-quement étant très localisée, de l’ordre du millimètre. En conclusion, l’utilisation combinée de ces nouveaux matériaux associés à cette technique de soudage à l’état solide pourrait constituer un “enabler” pour de futurs designs d’aéronefs. Attention, un auditeur fait remarquer que cela reste encore un procédé d’assemblage considéré comme “ spécial ” par la certification.

Soudage FSW bi-matériaux pour application structurale (Source : Constellium)

S. Mercier, de l’ONERA, prend la parole pour un exposé s’intéressant au problème de corrosion pouvant se développer dans les structures hybrides aluminium/composites carbone réalisées par co-fabrication (cuisson du composite en présence de la pièce aluminium). Lui succède un collègue de l’ONERA, G. Portemont, qui s’est intéressé quant-à-lui à l’étude fine de la réponse dynamique linéaire et non-linéaire en matage des assemblages hybrides composites (T300/M21) boulonnés (métalliques), la méthode originale d’observation et d’analyse reposant sur la mise en œuvre d’une multi-instrumentation incluant la technique de thermographie infrarouge. Ses observations permettent en particulier

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SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALESASSEMBLAGES INNOVANTS : SYNTHÈSE DE LA JOURNÉE 3AF MATÉRIAUX & STRUCTURES

DU 13 JUIN 2018

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de mettre en évidence l’influence de la vitesse de sollici-tation (défavorable) et de l’effort de serrage (potentielle-ment favorable) sur l’endommagement en matage et donc la tenue de ce type d’assemblage. Sur le même problème, le dernier exposé concluant les présentations techniques de la journée est effectué par P.A. Boucart, du LMT Paris-Saclay. Il porte sur la modélisation numérique 3D multi-échelle des assemblages composites multi-boulonnés, en rappelant au passage l’efficacité de la méthode LATIN développée par le laboratoire pour accélérer de façon impressionnante les temps de calcul des simulations, simulations pouvant ensuite être utilisées, par exemple, pour alimenter des super-éléments d’assemblage tels que ceux présentés en début de journée : la boucle est ainsi bouclée.

De nombreux échanges et questions ont ponctué ces présentations ! Quelles stratégies de modélisation et de calcul peut-on aujourd’hui proposer ? Quels compromis complexité/coût de calcul sont encore nécessaires : 1D, 2D, 2D ½, 3D, multi-niveau, EF2, méthodes de raccordement, super-éléments, éléments de zones cohésives, comportements non-linéaires, simulations paramétriques (plans d’expériences numériques, très grandes variétés des configurations), dimensionnement et cas de charges ? Quels sont aujourd’hui les véritables besoins et enjeux dans ce domaine ?

Concernant le collage (et les matériaux) composites  : seront-ils indissociables à terme  ? Existe-t-il une solution à court terme concernant les problématiques de la tolérance aux dommages, de la durabilité, du CND (diagnostics, détection et localisation) e.g. chocs laser ou analyse vibratoire  ? Quid encore de leur réparabilité ? Quid des moyens acceptables de conformité presque inexistants malgré des démonstrations réalisées à l’échelle structurale  : que faut-il de plus  ? Quelles similarités et différences avec les assemblages par co-cuisson et co-fabrication, qui eux ne posent pas de problème (car non considérés comme des assemblages structuraux) ?

Que dire des sujets du temps de maturation de certaines techniques qu’on ne peut plus qualifier aujourd’hui réellement d’innovantes  ? Que dire des questions de variabilité, de dispersion des propriétés voire de défaillance des assemblages ?

Quelles techniques, pour l’assemblage rapide et fiable de pièces de grandes dimensions  ? Quels apports attendre de la robotisation? Quelles attentes en termes de tenue mécanique, de comportement non-linéaire et de dissipation, de durée de vie mécanique, de vieillissement, de résistance à la corrosion, et de couplages éventuels de tout ceci?

C’est donc logiquement que la journée s’est terminée par une table ronde, portée par G. Surdon et Y. Gourinat, particulièrement animée. D’abord, la thématique des assemblages s’avère particulièrement intéressante du

fait qu’elle se situe à l’interface et est transverse à des mondes différents, et permet donc de faire dialoguer et interagir les différents représentants présents de ces mondes : matériaux et structures, métalliques et composites, statique et dynamique, liaisons discontinues (ponctuelles) et continues (cordons, surfaces). Certains auditeurs ont néanmoins regretté l’absence de présenta-tions sur un sujet essentiel à la question des assemblages matériaux/structuraux, qu’ils soient métalliques, par liaisons ponctuelles, ou composites, par collage : l’état de surface et le contact, qui renvoient au domaine très ardu de la tribologie. En particulier, ces questions tribo-logiques peuvent être à l’origine d’une très grande variabilité de propriétés apparentes d’un assemblage. D’autres auditeurs ont abondé dans ce sens, en ajoutant que ces questions mériteraient un séminaire à elles seules (une future journée sur l’importance et influence des états de surface sur les performances mécaniques des assemblages ?).

Les animateurs se sont étonnés (insurgés !?!) du fait que le collage ne soit toujours pas accepté comme méthode d’assemblage standard des structures aéronautiques, ce qui lança un débat intéressant. Pourquoi le soudage, la co-fabrication, la co-cuisson sont-ils acceptés sans problème ? D’aucun de dire que cela provenait en grande partie du conservatisme des autorités de certification (“ qu’il faudrait travailler au corps sans relâche ”, on ne peut que regretter leur absence à ce type de séminaire), et de la réputation (à tort ?) de grande variabilité des propriétés (adhésion, durabilité, etc.) des assemblages collés. Sur cette thématique du collage et relativement à cette difficulté, il est à ce titre jugé regrettable que les communautés des physiciens (mécaniciens) et des chimistes ne se parlent pas plus, et ne travaillent pas plus ensemble en France, et encore moins avec les autorités de certification. Peut-être la difficulté vient-elle également du fait que l’assemblage par fixations implique, de fait, l’idée d’une certaine redondance, alors que l’assem-blage collé implique quant-à-lui l’idée d’assemblage “ unique ” devant donc être totalement fiable ? Enfin, la question de la nécessité de pouvoir inspecter les assemblages pénalise également les techniques de collage (absence de méthodes de CND efficaces et fiables). Un auditeur demandait s’il y avait des assemblages collés (non boulonnés) sur le B787 ? D’aucun en étaient quasiment surs, puisqu’il y a 50% de composites sur cet appareil. Et sur l’A350, n’y avait-il pas d’assemblages collés ? Plutôt de la co-cuisson que du collage, en fait, qui est considéré par la certification (et donc traité) comme un processus de fabrication, et non comme un assemblage. Qu’est-ce que tout cela laisse présager quant au devenir des joints collés à gradients de propriété ?

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Autre conclusion importante : pas de révolution ni même d’innovation notable dans ce domaine des assemblages depuis 10 ans. Pas de nouvelles fixations, pas de nouveaux procédés … L’innovation/l’évolution porte aujourd’hui plus sur les méthodes de calcul et de dimen-sionnement, par exemple pour réduire les types (si ce n’est simplement le nombre 104 ou 105) de fixations différentes participant de la grande complexité de conception d’un aéronef. Le FSW était une réelle innovation, mais visiblement la technique n’a pas “ pris ” dans l’aéronau-tique, pourquoi ? Ce serait à cause d’un problème de non protection de zones de métal dans certains assemblages (NB : or on sait protéger les matériaux a priori, sauf les zones “ aveugles ” si il y a recouvrement des pièces soudées). L’approche étant partielle au départ, on aurait “ abandonné ” trop vite … Les autres sujets d’innova-tion concernent : la réduction du nombre d’assemblages ponctuels, voire l’optimisation de la liaison ponctuelle, pour limiter la pénalité de masse associée ou augmenter les cadence de production. L’innovation sera sans doute

également tirée par le monde des matériaux (et de leur hybridation), par exemple des composites, qui devront entraîner l’apparition de nouveaux types de liaisons pour qu’on puisse bénéficier totalement de leurs avantages. Reste qu’il n’y aura sans doute jamais de technique d’assemblage générique universelle, et sans doute pas par collage.

La faisabilité de l’automatisation des procédés d’assemblage a enfin été identifiée comme un autre driver fort d’innovation dans le domaine, et ce quel que soit le type de matériau concerné. Pour conclure, l’auditoire fut interpellé sur ce qui pourrait demain être une technique d’assemblage révolutionnaire : collage à froid, velcro, vide, d’autres solutions inspirées du bio-mimétisme ? Est également évoquée au passage la question de la règlemen-tation REACH qui fait évoluer les usages vers de nouveaux matériaux, et donc de nouveaux assemblages, qui restent encore à qualifier … ■

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Cette journée était consacrée aux drones dans les essais, recouvrant les thèmes différents d’essais de drones d’un côté, et de l’autre de leur utilisation comme moyen d’essais. La conférence a été hébergée par MBDA sur le site de Plessis-Robinson. Elle a réuni 22 participants des sociétés Airbus (Defence and Space, Helicopters, Operations), Alliantech, Ariane Group (Airbus Safran Launchers), ATCOM, DGAC, DGA-EV, La Mesure sur Mesure, MBDA, PCB, Prodera, Safran Aircraft Engines, Sopemea et Zodiac Data Systems.

INTERVENTION D’AIRBUS DEFENCE AND SPACE

Christophe Soutif décrit les projets dans le domaine des drones qu’il a pu suivre durant sa carrière chez Sagem puis Airbus. Les débuts des drones remontent pour lui aux années 1990, pendant lesquelles les plateformes servaient par exemple dans les missions d’attaque antiradar. Peu de drones étaient disponibles à l’époque, les premiers clients ont été l’armée de terre avec des plateformes nommées Crécerelle et Sperwer, déclinées ensuite en différentes versions, aussi pour les clients à l’export.

Les premières notions de certification pour une potentielle insertion future dans l’espace aérien sont apparues dans les années 1990. Les demandes de régle-mentation se sont durcies au fur et à mesure depuis lors.

Les produits drone chez Airbus se situent dans une gamme de poids de 10 à plus de 500 kg. Les développe-ments en cours ou futurs couvrent des poids de 1000 à

plus de 7000 kg, jusqu’à l’Euro Hawk qui, par ailleurs, est actuellement le seul drone à avoir été livré par la voie des airs. Le projet Male 2020 prévoit une coopération européenne entre Airbus, Dassault Aviation et Leonardo, et vise à fournir un drone volant à moyenne altitude et de grande autonomie qui devrait permettre de se défaire de la dépendance américaine. Par ailleurs, des démons-trateurs sont utilisés chez Airbus comme plateformes de validation technologique, aussi d’emport, et couvrent des poids de 10 à 3250 kg :on y retrouve notamment les projets Sagitta, des véhicules OPV (Optionally Piloted Vehicle) et Barracuda.

PRODUITS UAS (UNMANNED AERIAL SYSTEMS) CHEZ AIRBUS

La problématique des essais de drones couvre trois domaines distincts : l’instrumentation embarquée, les autorisations de vol ainsi que les sites d’essais.

L’instrumentation embarquée doit satisfaire à plusieurs compromis. En effet, les volumes et énergies disponibles à bord sont limités, alors que la mission de l’instrumen-tation consiste à acquérir un maximum de données pour les enregistrer et/ou les transmettre vers les stations au sol. Enfin, les contraintes environnementales et d’endurance sont celles d’un aéronef (chocs, vibrations) et demandent donc des constructions robustes. Pour les drones de petite taille, visant des budgets / coûts limités, la difficulté réside dans la fiabilité des matériels utilisés,

SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALESCOMPTE RENDU DE LA JOURNÉE “ ESSAIS DE DRONES, ESSAIS AVEC DRONES ”DU 14 MARS 2018 AU PLESSIS-ROBINSON par Renaud Urli, Airbus, Président de la commission Essais en vol

Produits UAS (Unmanned Aerial Systems) chez Airbus

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généralement COTS (Commercial Off-The-Shelf) : ceux-ci demandent à être validés au préalable lors d’essais au sol exhaustifs. Par exemple, des tests en soufflerie, de qualification mécanique statique et thermique, de flutter, d’endurance, etc. sont à prévoir selon les qualifications des matériels et systèmes employés.

Les problématiques des autorisations de vols se situent notamment dans la difficulté des démarches. Les vols industriels d’essais sont à diriger sous les restrictions de vol à vue (800 m de portée, 150 m d’altitude-sol), qui sont les mêmes pour le grand public, à l’exception des vols réalisés sur sites militaires ou étatiques.

Pour une application militaire pour le client français, à tester sur terrain militaire, l’autorisation de vol est délivrée par le pôle ASA (Architecture et techniques des Systèmes Aériens) de la DGA. Pour des applications civiles ou des applications militaires non destinées au client français, le pole ASA ne peut être mandaté : l’autorisation est à fournir par la DGAC après création d’une ZRT (Zone Réglementée Temporaire).

Selon le type de drone et de vols prévus, un référentiel de certification peut accompagner ces démarches. À titre d’exemple, ce référentiel fut basé sur la JAR-VLA (Joint Aviation Requirements - Very Light Aeroplanes) puis sur le code USAR STANAG 4671 (UAV System Airworthiness Requirements-Standardization Agreement) pour Crécerelle/Sperwer. L’expérience montre que les démarches visant à obtenir une autorisation de vol pour un drone certifié peuvent durer de 3 à 6 mois.

La disponibilité des sites d’essai est par ailleurs

limitée, les sites étant peu nombreux en France voire en Europe. Quelle que soit la taille des drones, la garantie de non sortie de zone est à respecter pour tous les aéronefs, lents comme rapides. En conséquence, la validation des systèmes volants se fait de plus en plus à petite échelle ou par briques, en faisant appel à des bancs d’essais volants pour tester par exemples les équipements de mission, à la fois sur voilure fixe et tournante.

Enfin, la qualification des personnels est de plus en plus exigeante.

INTERVENTION D’AIRBUS OPERATIONS

La mission des drones chez Airbus Operations consiste au support des essais en vol, principalement pour offrir des moyens vidéo. La problématique rencontrée n’est pas de type technique mais plutôt réglementaire, car les opérations visées sont sur aéroport, donc à côté d’aéronefs.

Les opérations en France ont lieu grâce à un accord avec la DGAC pour le site de Toulouse. À l’étranger, comme par exemple récemment lors d’une campagne d’essais en Espagne, l’obtention d’autorisation peut être bien plus compliquée. Une réglementation européenne future facilitera les démarches.

Quelques exemples d’utilisation sont décrits, avec notamment les essais flooded runway sur la base d’Istres. Les drones en tant que moyens d’essais offrent de nouvelles prises de vue, inédites auparavant, notamment au-dessus de la piscine, et aussi plus près de l’avion d’essai. Les essais maximum energy rejected take off ont pu par ailleurs être sécurisés grâce aux drones, qui permet-

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SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALESCOMPTE RENDU DE LA JOURNÉE “ ESSAIS DE DRONES, ESSAIS AVEC DRONES ”DU 14 MARS 2018 AU PLESSIS-ROBINSON

Quelques exemples d’utilisation de drones dans les essais chez Airbus Operations

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taient une surveillance de l’appareil lors de l’essai sans mettre en péril les personnels au sol, gardés à distance de l’appareil pendant la phase sensible de refroidissement des freins.

D’autres applications des drones consistent à remplacer les nacelles d’inspection des fuselages ou les ballons de sondage météo sur site d’essai, demandant dans ce cas une opération exceptionnelle des drones jusqu’à une altitude de 1000 m.

INTERVENTION D’AIRBUS HELICOPTERS

La présentation décrit l’évolution récente des architec-tures des installations d’essais chez Airbus Helicopters, nécessaire pour faire face aux spécificités de démonstra-teurs de drone.

Les installations d’essais chez Airbus Helicopters se déclinent ainsi en différentes tailles, selon les types d’essais et donc selon principalement le nombre de paramètres analogiques. Les cycles et coûts sont propor-tionnels à la taille de ces installations. Afin d’appréhender les essais de façon industrielle, les installations doivent satisfaire à des impératifs de standardisation, modularité, flexibilité et maintenabilité, tout en étant réutilisables à moindre effort sur différents porteurs successifs.

Les composants classiques d’une installation sont les capteurs, dont un GPS de grande précision, des systèmes d’acquisition notamment pour paramètres sur axes tournants, l’enregistreur de données à grande bande passante, l’enregistreur d’accident pour une partie des paramètres, la télémesure et les différents outils de visua-lisation et d’analyse des données à bord. L’architecture traditionnelle repose sur la technologie Ethernet pour transférer la plupart des données, tout en intégrant des passerelles PCM (Pulse-Code-Modulation) pour l’enre-gistreur d’accident et la télémesure.

Afin de réduire le poids, le volume et les demandes énergétiques de l’installation d’essai sur un démons-trateur de drone, différentes modifications de l’archi-tecture sont mises en place. La double utilisation des équipements est notamment recherchée, permettant par exemple d’intégrer un module d’enregistrement dans le système d’acquisition afin de supprimer l’enregistreur de données, moyennant l’utilisation de nouveaux modules d’acquisition à grande bande passante. Les passerelles PCM sont remplacées par la technologie IP, et les systèmes tournants intègrent une transmission sans fil. Visant une durée de mission réduite, le système d’énergie intègre une batterie propre à l’installation d’essai. Tous ces exemples de modifications ne se font pas sans adaptation des outils de mise en place des systèmes, mais aussi des logiques de leur utilisation.

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DU 14 MARS 2018 AU PLESSIS-ROBINSON

CityAirbus, démonstrateur demandeur de nouvelle architecture d’installation d’essais

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INTERVENTION DE MBDA

L’utilisation des drones chez MBDA vise à remplacer des porteurs civils pour prises de vue, à servir de cible aérienne à bas coût, mais offre aussi de nouvelles capacités comme la réalisation de relais vidéo/télémesure sur champs de tir.

Des mini drones du commerce, liés à des matériels à bas coûts pour les contrôleurs sont à utiliser, dans une organisation de type écosystème. Les types de drones utilisés sont ainsi variés, pour des emports de 0 à 22 kg, permettant d’embarquer du matériel de prise d’image de qualité, sous des structures en bois offrant un excellent rapport poids/robustesse.

Un guidage simplifié du drone peut être rendu possible en boucle fermée grâce au développement d’une télécom-mande répondant automatiquement à la position et à l’attitude du drone. L’exemple du futur drone Plastron permettra par ailleurs le portage d’une chaufferette, qui servira de cible pour l’illuminateur IR.

Une autre application permet le test de portée de télémesure Wifi pour le départ de missile depuis un hélicoptère, en embarquant le matériel à tester et en simulant grâce à 2 drones s’éloignant l’un de l’autre, les vitesses relatives d’éloignement. ■

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SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALESCOMPTE RENDU DE LA JOURNÉE “ ESSAIS DE DRONES, ESSAIS AVEC DRONES ”DU 14 MARS 2018 AU PLESSIS-ROBINSON

Quelques exemples de drones utilisés lors des essais chez MBDA

Les participants à la réunion de la commission technique Essais en vol du 14 mars 2018

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L’ONERA est au cœur des développements d’Optique Adaptative et de traitement d’images pour l’astronomie depuis plusieurs décennies. Ces deux techniques sont à présent mises en commun pour l’observation d’astéroïdes à très haute résolution grâce à l’instrument SPHERE (et son système d’optique adaptative SAXO) et à l’algorithme de déconvolu-tion MISTRAL. Cette combinaison unique permet d’obtenir depuis le sol des images avec une résolution spatiale inégalée.

INTRODUCTION

Depuis une centaine d’années, la taille des télescopes n’a cessé d’augmenter pour atteindre des diamètres de l’ordre de la dizaine de mètres, la nouvelle génération, actuellement à l’étude, devrait conduire à des diamètres de près de 40 mètres. Cette croissance importante a deux principaux buts, augmenter le flux total collecté, réduisant par là même le bruit de photons qui représente la limite fondamentale de toute observation et améliorer la résolution angulaire sur l’objet observé. Si le premier objectif est atteint (le nombre de photons collectés augmente avec le carré du diamètre du télescope), il n’en est, hélas, pas de même pour la résolution angulaire. En effet, la présence de l’atmosphère terrestre limite de manière importante cette résolution. Cette dernière ne dépasse jamais la résolution théorique d’un télescope de quelques dizaines de centimètres aux longueurs d’onde optiques et ce, quel que soit le diamètre considéré. En effet, les fronts d’onde, issus d’un objet, sont perturbés par les fluctuations d’indice de réfraction de l’air dans l’atmos-phère. Ces perturbations entraînent un élargissement de la tache image au foyer du télescope ce qui introduit, in fine, une perte sensible de performance. La résolution obtenue, dépendant de la longueur d’onde d’observa-tion, peut être plusieurs dizaines de fois inférieure à la résolution théorique attendue.

En 1953, Babcock propose une technique, appelée Optique Adaptative (OA), pour compenser partiellement cet effet : un miroir est déformé par des moteurs pilotés en temps réel pour compenser les avances ou retards de phase introduits par la turbulence le long du trajet optique. Il faut néanmoins attendre plus de 35 ans pour que cette idée soit mise en pratique en astronomie sur le télescope de 3,6 m de l’European Southern Observatory (ESO) à la Silla (Chili) [Rousset dans les années 90 ]. Aujourd’hui, la quasi-totalité des grands télescopes sont équipés d’OA. Dans ces systèmes, qui fonctionnent en boucle fermée sur une étoile appelée étoile guide, l’onde réfléchie

sur le miroir déformable est envoyée sur un analyseur de front d’onde. Les aberrations résiduelles mesurées par l’analyseur sont utilisées pour contrôler le miroir déformable placé en général dans un plan pupillaire.

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Schéma de principe d’une optique adaptative (OA)

Figure 1. Principe et apport de l’OA.

Étoile triple par le VLT (télescope de 8m)Sans OA Avec OA

La lune observée par le VLT (télescope de 8m)Sans OA Avec OA

1 Email : [email protected]

SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALESOPTIQUE ADAPTATIVE ET DÉCONVOLUTIONUNE COMBINAISON UNIQUE POUR ATTEINDRE LES PERFORMANCES ULTIMES DES TÉLESCOPES AU SOL par Thierry Fusco 1, Maître de Recherche à l’ONERA & Chercheur invité au Laboratoire d’Astrophysique de Marseille.

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L’OA constitue, sans nul doute, la solution d’avenir pour l’observation astronomique depuis le sol. Tous les nouveaux projets de télescope incluent à présent l’OA dès les toutes premières étapes de leur conception, certains, comme l’“European-Extremely Large Telescope” (E-ELT) de l’ESO, intègrent l’OA dans le télescope lui-même, en amont des instruments scientifiques.

Les vingt dernières années ont fait passer l’OA du stade de démonstration à celui de technique à la fois éprouvée et opérationnelle, mais surtout foisonnante de nouvelles idées et de nouveaux concepts pour améliorer les perfor-mances, répondre aux besoins (de plus en plus exigeants) des astronomes, gagner en opérabilité et en robustesse et tenter de s’affranchir des restrictions liées au concept original.

L’instrument SPHERE est un des exemples récents les plus marquants de l’évolution de l’optique adaptative. En opération depuis plusieurs années, il a été dimensionné pour répondre à des besoins astrophysiques bien ciblés avec des performances uniques au monde ainsi qu’une contrainte de robustesse et de facilité d’emploi qui permet son utilisation quasi-automatique chaque nuit.

SPHERE-SAXO : L’OPTIQUE ADAPTATIVE EXTRÊME

L’instrument SPHERE 2 (Spectro-Polarimetric High contrast Exoplanet REsearch) a pour but principal la détection et caractérisation d’objets faiblement lumineux,

comme des planètes géantes gazeuses, à proximité d’étoiles brillantes, mais aussi l’imagerie à très haute résolution des objets du système solaire comme les astéroïdes, planétoïdes ou encore les satellites des géantes gazeuses. SPHERE est installé depuis mai 2014 sur un des 4 télescopes de 8 m du VLT et fournit depuis plus de 4 ans maintenant des images d’objets astrophysiques avec une résolution inégalée (que ce soit depuis le sol ou depuis l’espace avec les télescopes spatiaux).

Ce type d’exploit, qui équivaut à détecter, depuis Paris, une bougie située à 50 cm d’un phare à Marseille nécessite l’utilisation conjointe de technologies optiques de pointe, toutes à la limite de l’état de l’art international et le développement d’algorithmes de traitement d’image optimisés pour les besoins de l’instrument. En particulier, au cœur de l’instrument SPHERE, bat SAXO (Sphere Ao for eXtrasolar Observation) plus de 1200 fois par seconde [Fusco-2006, Fusco-2016]. Son rôle est de corriger en temps réel tous les défauts liés à la turbulence atmosphé-rique mais aussi ceux introduits par le télescope et l’ins-trument scientifique lui-même. SAXO fournit alors aux instruments scientifiques un front d’onde quasi-parfait et permet de former des images limitées par la diffraction du télescope aux longueurs d’onde infrarouges et visibles, une performance sans précédent sur un télescope de ce diamètre (8 m).

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Figure 2. Le futur E-ELT, télescope 39m de l’ESO (à gauche en image de synthèse) comparé aux 4 télescopes de 8m du VLT et à l’Arc de Triomphe. Crédit ESO

2 SPHERE a été conçu et réalisé par un consortium européen piloté par l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble et comprenant

l’ONERA (en charge de l’Optique Adaptative), le Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, l’Observatoire de Paris, le laboratoire Lagrange de l’uni-

versité de Nice ainsi que des instituts allemands, italiens, suisses et néerlandais, le tout pour le compte de l’ESO (European Southern Observatory,

Observatoire Européen Austral).

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Figure 4. Réponse impulsionnelle (image d’un objet ponctuel, ici une étoile) de SPHERE en bande H (1,6 µm) obtenue sans (a) et avec correction par l’optique adaptative SAXO (b). Le rapport de Strehl (SR) est une métrique qui caractérise la qualité de l’image (100% correspondant à une image parfaite).

Ces images, quasi-parfaites, comme le montre la figure 4, contiennent néanmoins quelques aberrations résiduelles non corrigées par le système d’optique adaptative. En effet, certaines limitations technolo-giques (temps de réponse des composants du système, bruit de lecture des détecteurs, etc.) ou fondamentales (bruit de photons) dégradent la qualité de correction des systèmes d’OA lors d’observations sur l’axe (c’est-à-dire dans la direction d’analyse). Le front d’onde n’est alors que partiellement corrigé et des résidus de turbulence viennent perturber l’image finale. Bien que suffi-samment faible pour n’affecter que marginalement la

résolution ultime du système, ces résidus sont suffisants pour introduire, dans l’image finale, un flou résiduel qui représente la limite principale lors de l’exploitation astro-physique des données obtenues.

LA DÉCONVOLUTION : S’AFFRANCHIR DES DERNIERS DÉFAUTS DANS L’IMAGE

Pour s’affranchir de cette limitation, la solution consiste à agir sur les images fournies par l’instru-ment scientifique lui-même, après la correction toujours imparfaite de l’OA. Il s’agit alors de développer des techniques de traitement a posteriori pour s’affranchir de la correction partielle (i.e. du flou résiduel dans l’image) et retrouver, au mieux, l’objet d’intérêt. En effet, malgré une atténuation qui peut être importante, toute l’information fréquentielle de l’objet jusqu’à la fréquence de coupure du télescope est présente dans l’image. Ainsi des solutions basées sur la théorie du traitement du signal et des images permettent à partir d’une image partiellement corrigée, d’améliorer sensiblement la qualité des images obtenues après OA.

Il faut, pour ce faire, réussir à gérer deux problèmes majeurs : la propagation du bruit (de photons, de détecteur, de fond, etc.) dans le processus de traitement et la connaissance imparfaite de la réponse de l’instru-ment (variabilité spatiale et temporelle). L’intégration de

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Figure 3. [haut-gauche]le concept de SPHERE et ses trois instruments scientifiques : un spectro-imageur (IFS) couvrant l’infra-rouge proche, un imageur infrarouge (IRDIS) et un imageur polarimétrique dans le visible (ZIMPOL). [haut-droite] SPHERE au foyer Nasmyth du VLT. SPHERE fait 6m de long, 4m de large, 2,5m de haut pour une masse de 8 tonnes. [bas] Quelques images obtenues par SPHERE.

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ces problématiques dans le cadre rigoureux de la théorie de l’information et plus spécifiquement des problèmes inverses est essentielle. Elle se base sur une connaissance fine du problème direct (i.e. la formation d’image et les caractéristiques des objets observés) et implique :• une interaction forte avec les utilisateurs (astronomes)

pour définir les contraintes (ou a priori) liées aux objets observés,

• une connaissance approfondie de l’instrument (et des technologies critiques associées).

Depuis le début des années 2000, un algorithme de déconvolution optimisée pour des images ayant préala-blement été corrigées par Optique Adaptative a été mis au point à l’ONERA. Une collaboration étroite entre spécia-listes en Optique Adaptative et problèmes inverses a donné naissance à MISTRAL (Mypic Iterative STep Preserving ALgorithm) [Mugnier-2004].

Cet outil opérationnel (utilisé aujourd’hui dans de nombreux observatoires) a été développé dans le cadre d’une approche Bayésienne du problème (que ce soit vis-à-vis de la prise en compte des informations de bruits perturbant l’acquisition d’image ou des caractéristiques des objets observés). La trame globale de l’algorithme peut se décomposer en 3 grandes étapes :

1. La description du problème direct.On s’intéresse là à la physique liée à l’observation.Plus la modélisation du problème direct sera fidèle, plus l’inversion (et donc la restitution des paramètres d’intérêt) sera efficace et précise. Ainsi on a intérêt à introduire dans cette description le maximum de connaissances sur :

- la formation d’images elle-même. Il s’agit là de décrire le processus d’acquisition (imagerie directe, corono-graphique, différentielle, spectroscopique, etc.) et d’intégrer les contraintes et les spécificités de l’instru-ment scientifique et du système d’OA. Un point clé de cette description de la formation d’image est la connais-sance (ou l’estimation) de la fonction d’étalement de point (FEP) de l’instrument.

- les différents bruits venant perturber les images (bruit de photons, de détecteurs, de fond, bruit spatial fixe pour les caméras infrarouges, etc.)

2. La définition d’un critère à minimiser vis-à-vis des paramètres astrophysiques d’intérêt (que ce soit une image ou une description paramétrique de l’objet observé). Ce critère va, bien évidemment, s’appuyer sur le modèle direct défini précédemment. Le plus grand soin doit être apporté à la définition du critère. En effet, c’est sa pertinence qui va permettre une plus ou moins grande précision (bruit et biais) sur l’estimation des paramètres astrophysiques liés à l’objet observé. Le critère repose sur deux éléments :

- un terme d’attache aux données qui va assurer la fidélité des paramètres estimés vis-à-vis des mesures et va dépendre de la nature des différents bruits venant perturber les images,

- un terme de régularisation [Titterington-a-85, Demoment-a-89] qui va éviter l’amplification du bruit lors du processus d’inversion [Tikhonov-l-77,Roota-87]. De nombreux types de régularisation (plus ou moins efficaces et pertinents) peuvent être considérés. Dans tous les cas, régulariser revient à introduire

SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALESOPTIQUE ADAPTATIVE ET DÉCONVOLUTION

Images obtenues à l’OHP (1.52 m) avec le banc d’OA de l’ONERA (BOA) l = 0.85 mm - D/r0 =23 28 septembre 1997 - 20:18 UT

Figure 5. Exemple de résultat montrant la puissance combinée de l’optique adaptative et de la déconvolution. De gauche à droite : Ganymède observé sur un télescope de 1,52 à l’Observatoire de Haute Provence 1) Sans aucune correction, 2) après correction par optique adaptative (la lumière a été concentrée mais les résidus d’aberrations restent forts), 3) après déconvolution par MISTRAL. L’ensemble des structures observables sur Ganymède sont restituées. La dernière image à droite représente une image de synthèse simulée en supposant un télescope absolument parfait.

Image turbulente sans correction par optique

adaptative

Image déconvoluée grâce à MISTRAL

Image de Ganymèdeavec optique adaptative seule

Image synthétique de résolution théorique du

télescope

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une connaissance a priori sur l’objet observé dans le critère. On maîtrise ainsi l’amplification du bruit (on réduit donc la variance de l’erreur) au prix du rajout d’un biais possible dans la solution. Toute la probléma-tique consiste à ajuster (de manière supervisée ou non supervisée selon la complexité du critère) le poids de ce biais par rapport au terme d’attache aux données afin de minimiser l’erreur globale (c’est-à-dire maîtriser l’amplification du bruit sans pour autant trop biaiser le résultat final).

3. L’inversion de critère défini préalablement. Pour ce faire, on se base sur des techniques d’analyse numérique plus ou moins sophistiquées. Celles-ci vont d’une inversion simple de type filtre de Wiener par exemple, jusqu’aux techniques de recuit simulé [Geman-a-84] en passant par les algorithmes de descente de type gradients conjugués [Press-l-88] selon la complexité du problème direct (critère convexe ou présentant des minima locaux, etc.) et les contraintes de l’utilisateur (simplicité d’utili-sation, rapidité, etc.)

SPHERE & MISTRAL : UNE COMBINAISON UNIQUE POUR L’IMAGERIE À TRÈS HAUTE PERFORMANCE

Entre Mars et Jupiter, la ceinture d’astéroïdes est pleine de corps rocheux et de débris. Malgré sa nature morcelée et fragmentée, la masse totale contenue dans

la ceinture est considérable - environ quatre pour cent de celle de la Lune ! La majorité de cette masse est contenue dans deux corps distincts : Céres, une planète naine constitue un tiers de la masse de la ceinture; l’astéroïde Vesta en détient environ neuf pour cent. Vesta (comme de nombreux autres astéroïdes) fait l’objet d’observations régulières depuis le sol et tout récemment de la part de SPHERE. Les données obtenues sont ensuite déconvoluées par MISTRAL. Ce duo gagnant conduit à des images d’une netteté et d’une résolution jamais obtenues depuis le sol pour ce type d’objet.

Comme le montre la Figure 6, les images obtenues par SPHERE de Vesta sont impressionnantes étant donnée la séparation entre la Terre et Vesta (il est deux fois plus éloigné du Soleil que notre planète), et la petite taille de l’astéroïde (un diamètre moyen de seulement 525 kilomètres). La résolution finale après déconvolution est de moins de 15 km sur Vesta. Ce qui permet d’observer ses principales caractéristiques : le bassin d’impact géant au pôle sud de Vesta et la montagne en bas à droite. Il s’agit du sommet central du bassin de Rheasilvia, d’environ 22 km de haut, soit plus de deux fois et demi la hauteur de l’Everest. La comparaison avec les données synthé-tiques générées après le passage de la sonde spatiale Dawn près de Vesta en 2011 montre qu’en combinant l’optique adaptative extrême de SPHERE et un algorithme de décon-volution optimisé comme MISTRAL, on peut à présent,

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Figure 6. Trois observations de VESTA en mai, juin et juillet 2018. A gauche  : les images obtenues par SPHERE, au milieu les mêmes images après déconvolution par MISTRAL et à droite des images synthétiques générées à l’aide d’un outil développé pour les missions spatiales appelé OASIS. Des facteurs tels que la réflectance de la surface de Vesta et les conditions géométriques des observations VLT / SPHERE ont été pris en compte par OASIS, qui a utilisé un modèle 3D de la forme de Vesta basé sur des images de la sonde spatiale DAWN de la NASA (qui a photographié Vesta pendant 14 mois entre 2011 et 2012).

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depuis le sol, obtenir pour les astéroïdes des résolutions tout à fait similaires à celle de sondes spatiales avec l’immense avantage de la possibilité de suivi sur le long terme des objets observés et de l’utilisation combinée de différents types d’instrumentations optiques (imagerie, spectroscopie, polarimétrie).

Vesta est le premier d’une longue liste de satellites observés et analysés par les astronomes en utilisant cette combinaison d’instrumentations et de techniques de traitement d’images de pointes. Ces observations visent à mieux comprendre la nature et la composition des astéroïdes, et par là même, de mieux comprendre les processus de formation du système solaire.

DE L’ASTRONOMIE AU BIOMÉDICAL

L’Optique Adaptative et le traitement d’images associé trouvent aujourd’hui des applications dans de nombreux secteurs que ce soit pour les télécommunications en espace libre à très haut débit, la mise en forme et la montée en puissance de faisceau laser ou encore l’obser-vation à très haute résolution de satellites en orbite basse ou du champ de bataille.

Enfin, l’utilisation de systèmes d’Optique Adaptative et de traitement d’images pour les applications biomé-dicales et la chirurgie laser est aujourd’hui en plein développement. La rétine étant la seule fenêtre ouverte sur notre corps, son observation à très haute résolution ouvre la voie au diagnostic précoce (et donc potentielle-ment au traitement préventif) de nombreuses maladies directement reliées à l’œil (comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge par exemple) mais aussi d’origine vasculaire ou neuronale.

Acronymes • ELT : Extremely Large Telescope. Futur télescope Européen de

39 m de diamètre (mise en opération prévue fin 2024)• ESO  : European Southern Obserbvatory. Observatoire

Européen Austral• MISTRAL  : Myopic Iterative STep-preserving Restoration

ALgorithm. Algorithme déconvolution développé à l’ONERA• OA : Optique Adaptative • SAXO : SPHERE Ao for eXoplanet Observation • SPHERE  : Spectro-Polarimetric High-contrast Exoplanet

REsearch• VLT : Very Large Telescope. 4 télescopes de 8 m de diamètre

de l’ESO en opération dans le désert de l’Atacama au Chili depuis la fin des années 90.

Bibliographie • H.W Babcock, “The possibility of compensating astronomical

seein ”, Pub, Astron. Soc. Pacific, 65, 220, 1953• T. Fusco, G. Rousset, J.-F. Sauvage, C. Petit, J.-L. Beuzit, K.

Dohlen, D. Mouillet, J. Charton, M. Nicolle, M. Kasper et P. Puget, “ High Order Adaptive Optics requirements for direct detection of Extra-solar planets  ”, Opt. Express, (17), pp. 7515-7534, 2006

• T. Fusco, J-F Sauvage, D. Mouillet, A  . Costille, C. Petit, J-L Beuzit, K. Dohlen, J. Milli, J. Girard, M. Kasper, A. Vigan, M. Suarez, C Soenke, M. Downing, M. N’Diaye, P. Baudoz, A. Sevin, A. Baruffolo, H-M Schmid, B Salasnich, E. Hugot, N Hubin, “SAXO, the SPHERE extreme AO system: on-sky final performance and future improvements ”, Proc. SPIE 9909, Adaptive Optics Systems V, 99090U (26 July 2016)

• L. Mugnier, T. Fusco, J.-M. Conan, MISTRAL: a myopic edge-preserving image restoration method, with application to astronomical adaptive-optics-corrected long-exposure images. J Opt Soc Am A Opt Image Sci Vis. 2004 Oct;21(10):1841-54.

Remerciements : R. Fetick , B. Neichel, J.-L. Beuzit, D. Mouillet, B. Neichel, P. Vernazza, L. Jorda, L. Mugnier, J.-M. Conan, C. Petit, S Meimon, V. Michau et l’ensemble du consortium SPHERE et de l’équipe HRA du Département d’Optique et Techniques Associées de l’ONERA.

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SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALESOPTIQUE ADAPTATIVE ET DÉCONVOLUTION

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Éric Deletombe est ingénieur au Département Matériaux et Structures de l’ONERA-Lille et membre de la commission technique Structures 3AF depuis 2010. Il est en outre Directeur du Rayonnement de l’ONERA en région Hauts-de-France depuis 2017. Le bureau du GR 3AF HdF est à ce jour constitué – jusqu’à la première assemblée générale - d’Éric Deletombe (ONERA-Lille, président et secrétaire), de Bertrand Langrand (ONERA-Lille, trésorier), et d’Anthyme Durlin (ELISA Aerospace, représentant du Comité Jeunes).

Comme je le rappelais sur le site de l’association, natif de la région, officiant à l’ONERA-Lille depuis 1990, et membre 3AF depuis 2010 rattaché au GR Île-de-France, cela faisait plusieurs années que l’idée de créer un Groupe Régional Hauts-de-France me trottait dans la tête, non pas que le GR Île-de-France me déplut, mais bien parce que j’imaginais que l’histoire et l’avenir du secteur aérospatial dans ce territoire le méritait sans doute. Quel ne fut pas mon étonnement d’apprendre qu’il y avait eu jadis un groupe 3AF “ Flandres-Artois ” (crée en 1974, et “ porté disparu ” d’après mes archives depuis 1983). Cela était donc chose envisageable, et voilà chose faite : le principe d’une (re)constitution d’un groupe 3AF “ Hauts-de-France ” a été accepté par le Conseil d’Administration 3AF du 7 décembre 2017, soumis et accepté lors de l’assemblée générale 3AF du 18 juin 2018. Ce fut un honneur pour moi que d’accepter d’en assurer la présidence temporaire, et c’est un plaisir pour moi que d’en faire l’article aux membres de l’association dans cette lettre 3AF.

Et je commencerai par dire qu’il ne faut pas voir dans la résurrection du Groupe Régional 3AF une lubie de quelques “ Chti sécessionnistes ”, mais bien plutôt une conjonction d’initiatives, peut-être liées à cette 3ème révolution industrielle que certains ont annoncée et appelée de leurs vœux depuis quelques temps déjà. Les Hauts-de-France sont classés première région de France pour les implantations des grandes entreprises, première région industrielle de France dans le secteur ferroviaire et seconde dans le secteur automobile. Ils furent également un temps pionniers de l’histoire industrielle aéronautique française quand elle n’était encore “ que ” nationale, histoire née de l’amour et de la passion de nombreux et illustres industriels de la région (Charles Nungesser, Louis Blériot, Louis Breguet, Henri Potez, pour ne citer qu’eux) pour ces drôles d’engins volants. Nul doute que s’il n’avait fallu éloigner au terme de la seconde guerre mondiale cette industrie stratégique émergente d’un voisin perçu comme potentiellement “ envahissant ”, les Hauts-de-France occuperaient aujourd’hui une place de choix dans ce secteur également.

Et si la flamme fut un temps soufflée, la braise - comme la passion - n’en continuait pas moins de couver sous la cendre.

Figure 1. Les Hauts-de-France, c’est où, c’est qui ?

Les Hauts-de-France sont composés des 5 dépar-tements que sont l’Aisne (Laon, 02), le Nord (Lille, 59), l’Oise (Beauvais, 60), le Pas-de-Calais (Arras, 62) et la Somme (Amiens, 80). Ils comptent aujourd’hui près de 6 millions d’habitants, 15 communautés urbaines de plus de 100 000 habitants, et 210 000 étudiants en enseignement supérieur. C’est un territoire “ nouveau ” où se côtoient et s’associent Universités prestigieuses (dont l’Université de Lille, unifiée), Ecoles et Grandes Ecoles d’ingénieurs (dont Elisa Aerospace), Organismes de recherche (dont l’ONERA), Centre de transferts technologiques et pôles de compétitivité. Loin de vouloir jouer les “ gros bras ”, mais fière d’une culture industrielle presque inégalée en France, consciente d’un positionnement géographique particu-lièrement favorable au cœur d’une Europe peut-être à ré-enchanter, et riche de la jeunesse de ses forces vives, la région Hauts-de-France aurait décidément peut-être bien une carte et une partie à rejouer dans cette 3ème révolution industrielle qui sera également aéronautique et spatiale : nouveaux usages aéronautiques, nouvelles mobilités, nouvelles inter-multi-modalités dans les domaines du transport qu’il soit de passagers ou de fret, urbain ou interurbain. “ Et une voiture volante traversa la Manche pour la première fois, en juin 2017 … ” (https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/cote-opale/voiture-volante-traverse-manche-1275857.html). Bref, les Hauts-de-France n’ont peut-être pas dit leur dernier mot !

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LA VIE DE LA 3AFNAISSANCE DU GROUPE RÉGIONAL 3AF HAUTS-DE-FRANCEpar Éric Deletombe, Président du groupe Hauts-de-France

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Car les Hauts-de-France, c’est aussi une dynamique régionale, avec “ CAP’INDUSTRIE Hauts-de-France, la Fabrique de l’Avenir ” (programme de développement industriel fédérant en Hauts-de-France la CCI Hauts-de-France, le Cetim, la FIM et l’UIMM Hauts-de-France, http://www.cap-industrie.fr ), qui – avec le soutien de la Direccte, de la Région et du GIFAS - structure la Filière Aéronautique Régionale, embarquant officiellement les 130 passagers de la FAR aujourd’hui répertoriés (www.hautsdefrance.fr, [email protected]), PME-ETI et grands groupes dont certaines pointures comme Dassault Aviation, Stelia Aerospace, Thalès, Matra, Zodiac, l’ONERA, le CETIM, Elisa Aerospace, l’UTC, etc. Quelques autres réseaux aux missions complémentaires et aux intérêts convergents, dont le GR 3AF Hauts-de-France, ou le cluster aérospatial wallon SKYWIN, se sont assez naturellement trouvés “ clandestinement ” associés à l’exercice. Ce point me permet d’attirer l’attention du lecteur sur une des particularités du GR 3AF Hauts-de-France, qui est d’avoir obtenu “ autorisation ” de sortir de son strict périmètre régional, en se faisant messager d’une invitation transfrontalière aux membres du cluster SKYWIN à rejoindre l’Association. Pour préciser en quelques mots ce qu’est le cluster SKYWIN (www.skywin.be , [email protected]) : c’est en fait l’équivalent belge d’un pôle de compétitivité Aéronautique et Spatial français, dont le but est de renforcer la compétitivité par l’innova-tion et la R&D, en associant acteurs industriels et monde de la recherche. Il regroupe près de 150 membres : entre autres, des grandes, moyennes et petites entreprises industrielles ou de services (Sonaca, Sabca, Safran Aero

Boosters, Thalès Belgium, SAMTECH, etc), mais aussi des Universités et des Centres de recherche (Von Karman Institute, ULiège, UCL, UMons, CENAERO, etc).

En conclusion, le nouveau paysage aérospatial qui se dessine en région Hauts-de-France réunit filière indus-trielle, pôle de compétitivité, et – grâce au GR 3AF Hauts-de-France - société savante. Le GR 3AF HdF compte bien y tenir dignement son rôle. Un dizaine de membres individuels 3AF ont été à ce jour identifiés comme pouvant être rattachés au GR Hauts-de-France, ce qu’ils ont tous accepté : un nombre suffisant pour commencer à développer activités et projets, et attirer de nouveaux membres. Parmi ceux-ci, un Comité Jeunes a déjà pu être constitué. Une première réunion des membres du GR devrait se tenir avant la fin de l’année : elle sera accueillie à l’ONERA-Lille. Des projets de visites d’entreprises, de rencontres d’étudiants, l’organisation de conférences thématiques, etc, sont déjà en cours de préparation avec un premier Grand Rendez-Vous au premier semestre 2020 (vous en saurez plus dans les prochaines lettres d’infos du GR 3AF HdF !). ■

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LA VIE DE LA 3AFNAISSANCE DU GROUPE RÉGIONAL 3AF HAUTS-DE-FRANCE

Figure 2. Une voiture volante traverse la manche (juin 2017) @VAYLON_sas

Figure 3. Les forces aérospatiales en présence en région Hauts-de-France et proche Wallonie

Éric Deletombe, Président du groupe Hauts-de-France.

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Dans les années 1970, les grandes puissances, épuisées par l’effort économique monstrueux qu’elles ont déployées dans la course à la lune, abandonnent leurs ambitions de conquêtes lunaires pour laisser place aux stations orbitales, desservies par des navettes. La France, forte de son statut historique de troisième puissance spatiale ne compte pas rester en reste. Après le succès de la fusée Ariane, elle s’imagine déjà lancer sa propre navette spatiale, le petit planeur Hermes.

Rejoint par une dizaine d’autres pays européens, le projet s’affirme comme l’épilogue d’un demi-siècle de coopération européenne, qui a déjà offert au vieux continent le Concorde, Airbus et Ariane. Le projet mobilise tous les efforts du CNES et de l’ESA. Néanmoins, les difficultés d’une telle entreprise semblent souvent avoir été négligées tandis que les budgets ne cessent d’exploser. En 1991, l’Allemagne se retire du budget si bien qu’à l’aube de la naissance de l’Union Européenne, il est décidé d’abandonner le rêve des vols spatiaux habités européens.

On pourrait s’attarder longtemps sur l’héritage qu’Hermes a légué aux industries européennes : fiabilité exceptionnelle d’Ariane 5, nouvelles techniques de soudure, avancées aérothermodynamiques majeures, etc. Pour sensibiliser le public aux vols spatiaux habités, plusieurs modèles grandeur nature de la navette ont été conçus : cet article propose de revenir sur leur histoire.

Au début des années 1980, Hermes est un projet de planeur spatial issu d’études purement françaises réalisées à la demande du CNES. Le CNES a bon espoir de faire accepter son projet d’avion spatial en janvier 1985 par l’agence spatiale européenne lorsqu’il est placé à l’ordre du jour du conseil des ministres de l’agence spatiale. L’agence juge le projet intéressant mais encore immature et ne se prononce pas pour un engagement financier. La France poursuit néanmoins le projet, chargeant Aeros-patiale de la maitrise d’œuvre et Dassault Aviation des études aérodynamiques.

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Figure 1. maquette HERMES au salon SITEF en 1987 (source Capcom Espace)

LA VIE DE LA 3AFLES MAQUETTES PROTOTYPES DE L’AVION SPATIAL HERMESpar Francois Leproux, ISAE-ENSMA, membre 3AF, groupe Poitou

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LA VIE DE LA 3AFLES MAQUETTES PROTOTYPES DE L’AVION SPATIAL HERMES

En 1986, pour promouvoir le projet dans les salons aéronautiques, le CNES décide de commander une maquette à l’échelle 1:1 de la navette Hermes. L’enjeu est de taille : convaincre les partenaires européens de rejoindre le projet un par un. En outre, la communauté scientifique allemande refuse que la RFA prenne part au projet de peur de voir les crédits de la rechercher financer les industriels français. Le prochain conseil des ministres de l’agence spatiale européenne est fixé en 1987 et la France doit convaincre les européens de prendre part au projet. Le CNES compte sur cette maquette pour toucher l’opinion publique. Réalisée en cinq mois par la Régie des Spectacles, la maquette a été financée par le CNES, des industriels français et européens qui s’intéressent de plus en plus au programme, parfois contre l’opinion de leurs gouvernements.

Pari gagné, en 1987, la France obtient le soutien d’une dizaine de pays européens et finit par arracher celui de l’Allemagne. En outre, le CNES obtient sa magnifique maquette de la navette, issue de 10000 heures de travail. Longue de près de 20 mètres, lourde de 7 tonnes, elle est construite en aluminium pour le fuselage, la voilure, les portes de soute, en composites pour les parties carénées et en bois pour le nez, la cabine, le cockpit et les pods arrières.

L’intérieur de la maquette est utilisé par les ingénieurs pour tester différentes possibilités d’aménagement. Les spationautes Patrick Baudry et Jean-Pierre Haigneré participent activement au projet, respectivement comme pilote d’essai et responsable des vols habités. Prévu pour un équipage de trois spationautes, le cockpit s’inspire de celui des nouveaux Airbus A320 aux commandes de vols électriques révolutionnaires. Le tableau de bord fait la part belle aux écrans plats en couleurs dont la technologie est encore quasi inexistante en Europe.

Du point de vue interne, la navette est partagée entre la cabine de pilotage de 4 m3 et une soute d’équipage de 18 m3, toutes les deux pressurisées. Cette dernière se divise entre 8 m3 dédiés à l’équipage pour sa vie à bord et ses expériences et une partie réservée à la charge utile. Conçue en plusieurs morceaux détachables (fuselage, nez, trains d’atterrissages, ailes), elle est pensée pour être facilement transportable par camion. Un hall lui est spécialement dédié au centre spatial du CNES de Toulouse, le Leonard de Vinci.

En mai 1987, la maquette devient la vedette du salon SITEF (Salon International des Techniques et Énergies du Futur) à Toulouse. Ouverte aux visiteurs, elle est visitée par le Président de la République, Francois Mitterrand qui

Figure 2. maquette HERMES délabrée exposée à l’ENSICA de 1992-2003 (source Capcom Espace 2003)

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LA VIE DE LA 3AFLES MAQUETTES PROTOTYPES DE L’AVION SPATIAL HERMES

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réaffirme son soutien au programme. Quelques semaines plus tard, elle sera présente au salon du Bourget dans le hall de l’ESA avant d’entamer sa tournée européenne à Madrid, Strasbourg, Hanovre et Bordeaux.

En 1992, le programme Hermès est annulé lors du Conseil des ministres de l’Union européenne de Grenade. La maquette de l’orbiteur devient inutile et le CNES décide de s’en séparer et de l’envoyer à la ferraillerie. Quelques ingénieurs s’y opposent parmi lesquels Yves Gourinat, enseignant chercheur à l’ENSICA à Toulouse qui propose d’exposer la maquette sur le campus de son école. L’idée est acceptée et la maquette rejoint les jardins de l’école à proximité du centre de Toulouse à Jolimont. Positionnée sur ses trains d’atterrissage, Hermes y fait face au Mirage III de l’école pendant plus de 10 ans.

La maquette, dont certaines parties sont conçues en bois n’est pas prévue pour une exposition extérieure et souffre de son exposition aux intempéries. La peinture s’écaille, le fuselage se salit, pendant la grande tempête de 1999 la porte du sas, le nez et les pods arrière sont arrachés. Même si le nez est resté en bon état, il n’a jamais été replacé et c’est une navette amputée et salie qui est laissée à l’abandon sur le campus sans qu’aucune initiative de conservation ne soit prise. Comme le programme spatial, abandonné sans ménagement, le maquette est volontairement oubliée et se dégrade devant l’impuis-sance des passionnés.

En 2005, l’AAMA (Association des Amis du Musée de l’Air et de l’Espace), décide de mettre fin à la situation et d’organiser la restauration de la maquette. Elle finance le transfert d’Hermes vers le Bourget en camion mais une fois sur place, le constat est navrant. La maquette est bien trop grosse pour prendre place dans le hall de l’espace. Il n’est pas envisageable de l’exposer en extérieur et lui construire un hangar dédié serait bien trop couteux pour une maquette d’un programme qui n’a pas abouti et que le grand public a oublié depuis longtemps. Le musée décide de ne pas aller plus loin et laisse la maquette démontée à l’extérieur de ses réserves. Le climat parisien est moins plaisant que celui de Toulouse et des infiltrations d’eau endommagent l’intérieur de l’habitacle.

En 2010, le musée décide d’abriter Hermes dans un ancien hall du musée reconverti depuis en hangar entre une épave de Falcon 50 et un Fouga Magister endommagé, aux cotés d’autres appareils attendant une restauration. Enfin à l’abri, Hermes y attend depuis presque 10 ans et sert occasionnellement d’abri pour une famille de chat.

En octobre 2015, un groupe d’étudiants de l’ISAE-ENSMA, propose à l’initiative de l’auteur un projet de restauration de la maquette d’Hermes. Baptisé “ Restaurer Hermes ”, le projet est immédiatement adopté et encadré par le groupe Poitou de la 3AF. L’objectif est clair : obtenir cette maquette, la remettre en état et l’exposer de manière permanente sur le campus de l’école, à deux pas

Figure 3. maquette HERMES au Musée de l’Air et de l’Espace au Bourget en janvier 2017 (photo Jean Tensi)

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du Futuroscope dans une configuration similaire à celle de l’ENSICA. L’initiative paraissait d’autant plus légitime que les chercheurs de l’école avaient participé aux études sur l’avion spatial à la fin des années 1980. L’école forme des étudiants dans le domaine de la mécanique, des matériaux, de l’aérodynamique, de la thermique et des systèmes embarqués et la navette, même si elle témoigne d’un projet avorté, constitue une belle synthèse de ces thèmes.

Le projet suscite rapidement l’enthousiasme des étudiants et de la direction qui donne son accord de principe pour des discussions avec le Musée de l’air et de l’espace (MAE) pour constituer un dossier.. L’AAMA et feu son président, Francois Chouleur, fournissent des infor-mations et Catherine Maunoury, qui était alors directrice du musée, annonce son enthousiasme pour un projet commun entre le MAE et l’ISAE-ENSMA. Des études pour l’installation de la maquette et le choix du site d’exposi-tion sont réalisées par les étudiants en mars 2016.

En janvier 2017, une rencontre est organisée entre Jean Tensi, président du groupe 3AF Poitou et Christian Tillati, le conservateur du musée. Une inspection visuelle de la maquette permet de s’assurer de son bon état relatif et de la présence de tous les éléments. Si le principe d’un prêt de la maquette est accepté par le musée, deux problèmes se posent. Le hangar étant amianté, il est impossible de toucher aux appareils qui s’y trouvent sans une procédure de décontamination. Aussi, la maquette se trouve dans un hangar très encombré et sa position ne permet pas une sortie pour une décontamination individuelle. En outre, le cockpit de la maquette étant fabriqué en bois, les propo-sitions d’expositions de “ Restaurer Hermès ”, toutes en extérieures, ne sont pas validées.

Des discussions ont alors eu lieux pour évaluer d’autres possibilités d’expositions (par exemple repeindre la maquette avec de la peinture aéronautique pour protéger les parties en bois). Cependant, au printemps 2017, la situation devient également moins favorable à l’exposition de la maquette à l’ISAE-ENSMA : un projet d’exposition de Mirage 2000 devant l’école, plus ancien et abouti semblait enfin se concrétiser après des années de procédures administratives et redevient la priorité de l’école (pour au final être annulé à l’été 2018…). “ Restaurer Hermès ” est mis en sommeil, le temps de trouver une meilleure solution d’exposition, ailleurs qu’à Poitiers.

Hormis “ Restaurer Hermès ” depuis 2015, il n’y a eu aucun projet sérieux de restauration de l’appareil. Comme figée dans le temps, la maquette y prend la poussière mais l’état général de la structure reste très bon et après un sérieux coup de balai et le remplacement de quelques autocollants, on en viendrait presque à croire que l’habitacle est celui d’un vaisseau spatial sur le point de décoller. Malheureusement insortable, car entreposée dans un hangar contaminé à l’amiante, Hermes ne fait pas partie des pièces qui doivent être transférées dans les nouvelles réserves du musée à Dugny pour le plan 2019-2024 après décontamination. Sans intervention, la dernière trace du programme de vols spatiaux habités européens pourrait bien disparaître dans les prochaines années. ■

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LA VIE DE LA 3AFLES MAQUETTES PROTOTYPES DE L’AVION SPATIAL HERMES

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Le dernier article (pp. 32-35) de la Lettre 3AF n°23 de janvier-février 2017 faisait le point sur “ 100 ans de mécanique des fluides  ” en mettant l’accent sur l’Institut de Mécanique des Fluides de Toulouse (IMFT), où avait été organisé fin 2016 un congrès sur cette thématique. Mais l’IMFT n’est pas le seul Institut de Mécanique des Fluides créé par Albert Caquot en 1930. Il y avait en effet trois autres instituts à Paris, Marseille et Lille. Aussi cet article traite des débuts de l’IMFL, désormais intégré à l’ONERA, à travers la personnalité de son directeur-fondateur Joseph Kampé de Fériet. Il repose sur les travaux conduits par Antonietta Demuro dans le cadre de sa thèse de doctorat “ La mécanique des fluides en France durant l’entre-deux guerres  : J. Kampé de Fériet et l’IMFL ”, soutenue le 28 mai 2018 à l’université de Lille devant un jury composé de huit examinateurs dont Bruno Chanetz. On pourra également consulter l’article d’Antonietta Demuro, publié aux Comptes Rendus Mécanique de l’académie des Sciences :

https://www.sciencedirect .com/science/article/pii/S163107211730089X.

LA FORMATION ET LES PREMIERS TRAVAUX DE KAMPÉ DE FÉRIET (1912-1928)

En juillet 1912, Kampé de Fériet obtint une licence de mathématique à la Sorbonne, puis en juillet 1913 un diplôme supérieur de Mécanique Céleste. Il soutint sa thèse sur les fonctions hyper-sphériques en juillet 1915 à la faveur d’un congé de l’armée. Stagiaire à l’obser-vatoire de Paris en 1914, il avait en effet été affecté, lors de la mobilisation générale, au dépôt du 104ème régiment d’infanterie à Argentan en Normandie. En juin 1916, il est muté à la Commission d’expérience de l’artillerie navale de Gâvre, institution située à Port-Louis face à Lorient, dont la création remonte au règne de Charles X. Elle réunit des scientifiques œuvrant à la réalisation d’expériences utiles à l’armée. Au début de la guerre, du fait des mobili-sations, les effectifs étaient réduits à cinq ingénieurs d’artillerie navale. Par la suite les autorités militaires, conscientes que la guerre se joue aussi au niveau scien-tifique, renforcent le potentiel humain. Kampé de Fériet et son collègue mathématicien Jules Haag utilisent alors les méthodes de la mécanique céleste pour calculer une trajectoire balistique soumise à de petites perturbations. Kampé de Fériet détermine aussi les lois de la résistance de l’air d’un projectile à proximité du sol, en partant d’une étude d’hydrodynamique du mathématicien Henri Villat sur la résistance d’un fluide incompressible à deux dimensions. Kampé de Fériet commence aussi à s’inté-resser aux questions de mécanique des fluides expéri-mentale. Il met ainsi au point, avec le physicien Gabriel

Foex, un appareil photographique destiné à enregistrer les vitesses d’un projectile. La période de la guerre aura eu le mérite d’établir des liens entre les milieux militaire et universitaire. Ses liens se poursuivent après la guerre, la commission de Gâvre accueillant des civils à partir de 1920. Kampé de Fériet, nommé membre assistant, poursuit, avec Foex, la mise au point d’un dispositif capable de mesurer de grandes vitesses. En août 1924, ils réussissent à mesurer en plein jour des vitesses atteignant 750 m/s. La méthode Kampé de Fériet sera appliquée en 1937 avec succès par son étudiant Jean Wagner - qui deviendra chef de la soufflerie verticale de l’IMFL - dans le cadre sa thèse sur l’étude par l’enregistrement photo-graphique du mouvement accéléré d’une sphère tombant en chute libre dans un liquide visqueux.

ÉTAT DE L’AÉRODYNAMIQUE EN FRANCE À LA FIN DES ANNÉES 20

En octobre 1928 lorsqu’Albert Caquot prend ses fonctions de directeur général de la Section Technique de l’Aéronautique (STAé) au tout nouveau Ministère de l’Air, la France a accumulé un retard au niveau aérodyna-mique par rapport à l’Allemagne et la Grande-Bretagne et ce malgré l’œuvre immense de Gustave Eiffel sur le plan expérimental. Après 1930 les Etats-Unis vont profiter de l’immigration antinazie pour constituer une école de premier plan autour de Theodore Von Kármán. A cette époque, l’enseignement en France souffre d’une priorité accordée à la théorie en raison du manque d’intérêt des universitaires pour la recherche expérimentale. De plus, ce milieu universitaire entretient peu de rapports avec l’industrie et l’armée. L’exemple de la Commission du Gâvre constitue une exception. Les recherches françaises en mécanique des fluides sont également moins connues que celles des pays voisins. Pour remédier à ce problème, Albert Caquot crée cinq chaires de mécanique des fluides à Strasbourg, Nantes, Lyon, Caen et Poitiers et quatre instituts de mécanique des fluides à Paris, Marseille, Lille et Toulouse.

La nomination de Joseph Kampé de Fériet à la direction de l’Institut de Mécanique des Fluides de Lille va être le point de départ de recherches fructueuses théoriques et expérimentales dans le domaine de la théorie statistique de la turbulence et de la turbulence atmosphérique. Les résultats obtenus par Kampé de Fériet et son équipe pendant l’entre-deux-guerres seront jugés remarquables par la communauté scientifique internationale et feront écrire au mathématicien Paul Levy en 1951 : (Kampé de

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CULTUREJOSEPH KAMPÉ DE FÉRIET ET LES DÉBUTS DE L’INSTITUT DE MÉCANIQUE DES FLUIDES DE LILLE (1930-1940)par Bruno Chanetz, membre émérite 3AF

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Fériet) est très estimé en Amérique mais je me demande si en France on se rend bien compte de sa valeur.

LES DÉBUTS DE L’IMFL (1930-1940)

L’Institut de Mécanique des Fluides de Lille fut créé en 1930 par décret présidentiel du 26 mars. Il doit constituer un centre d’enseignement supérieur et de recherches scientifiques dans les domaines de l’aérodynamique et l’hydrodynamique. L’inauguration officielle de l’IMFL eut lieu le 7 avril 1934. Les principales installations du Centre étaient à sa création, une soufflerie horizontale basse vitesse de 2,2 m de diamètre et un bassin hydrody-namique de 22 m de long et d’1 m² de section. En 1938 une soufflerie verticale sera édifiée.

Lorsque Kampé de Fériet est nommé directeur du nouvel Institut de Mécanique des Fluides de Lille, il est déjà maître de conférence à la faculté des sciences de Lille depuis 1919 et à l’Institut Industriel du Nord (IDN), devenu Ecole Centrale de Lille, depuis 1923. Parisien de naissance, il restera à Lille jusqu’à la fin de sa vie, sauf pendant l’occupation allemande durant la seconde guerre mondiale.

Les statuts de l’IMFL rendaient cette structure apte à recevoir des subventions de l’état (université, Ministère de l’Air), mais également à exécuter des contrats au profit de l’industrie. Ainsi, en liaison avec l’industriel aéronau-tique Potez, l’IMFL développera des recherches en aérody-namique orientées vers la théorie de la turbulence, une thématique très en vogue à Lille depuis Joseph Boussinesq, professeur à l’IDN, qui proposa en 1877 l’hypothèse de viscosité turbulente.

Vers 1935, Kampé de Fériet laissa de côté ses travaux sur la balistique ainsi que ses travaux mathématiques sur l’hydrodynamique. Il commença à s’éloigner de cette mécanique des fluides théorique, chère à Henri Villat afin de se tourner vers un nouveau sujet, plus proche des aspects expérimentaux et plus “ international ” : la théorie de la turbulence, dans laquelle il excellera. En 1938 Von Kármán écrivait, dans une lettre à Jérôme C. Hunsaker, un des organisateurs du congrès ICAM (Inter-national Conference and Annual Meeting) de Cambridge en 1938 : “ Je crois vraiment que l’homme qu’il nous faut pour une conférence générale est Kampé de Fériet, Directeur de l’Institut de Mécanique des Fluides de Lille. Au cours des dernières années il a publié deux comptes rendus sur les récents progrès concernant les vagues

Vue de l’IMFL à sa création

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Joseph Kampé de Fériet et André Martinot-Lagarde, son adjoint et futur successeur, un ingénieur des établissements Potez de Méaulte et Paul Guienne, ingénieur responsable de la nouvelle soufflerie horizontale de l’IMFL, photographiés devant une maquette de Potez 63 dans les années 1935-1936

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et la turbulence. Les deux rapports étaient excellents et juste à la limite entre le point de vue théorique et pratique comme nous voudrions qu’il soit. ”

Et Antonietta Demuro de conclure : Les recherches de Kampé de Fériet forment une contribution remarquable à la théorie de la turbulence de l’époque. Elles font partie du même mouvement qui implique les théories de Taylor en Angleterre, de Prandtl en Allemagne et de Von Kármán et Dryden aux États-Unis. Il joue un rôle presque paradoxal : dans ce contexte, il représente la France mais, en même temps, il semble qu’il ne fasse pas partie de la communauté française !

De fait, à son époque la communauté française de l’aérodynamique avait tendance à négliger les travaux de Kampé de Fériet, privilégiant la seule théorie sous l’influence de son chef de file Henri Villat, professeur à la Sorbonne et directeur de l’Institut de Mécanique des Fluides de Paris. C’est pourtant grâce à Henri Villat que Kampé de Fériet avait été désigné comme directeur du nouvel Institut de Mécanique des Fluides de Lille en 1930. En 1971, Kampé de Fériet, se souvenant plus du geste que de leurs divergences postérieures, évoquera avec respect Henri Villat, lors de sa cérémonie de réception dans l’Ordre national du mérite : Henri Villat, Fondateur et Chef de l’École Française de la Mécanique des Fluides, qui attira l’attention du Ministère de l’Air sur les modestes essais que j’avais effectués à la Commission d’Expériences de l’Artillerie Navale de Gâvre.

EN CONCLUSION

En 1940, l’IMFL est transféré à Toulouse dans le château de Péchestier. Ce n’est qu’en décembre 1944 que l’Institut retrouve les murs du boulevard Painlevé à Lille. Dès 1945 Joseph Kampé de Fériet confie à son adjoint André Martinot-Lagarde, maître de conférences, la direction de l’IMFL.

Les discussions qui ont eu lieu, lors des échanges tradi-tionnels, qui ont suivi l’exposé d’Antonietta Demuro, ont permis d’apporter un éclairage plus humain sur la vie de Kampé de Fériet et de l’IMFL. On apprit l’amitié qui le liait au recteur Albert Châtelet, laquelle n’était pas étrangère à sa nomination à la tête de l’IMFL. L’importance d’une “ tradition Boussinesq ” au sein de l’Institut Industriel du Nord dans lequel il enseignait, a également été mise en avant pour expliquer le choix de le proposer à la direction de ce nouvel institut. Enfin au niveau de l’homme privé, on rappela sa grande piété, au sujet de laquelle son fils prêtre, Lambert de Fériet, écrivit de très belles pages.

Olivier Darrigol, professeur à l’université Paris-Diderot, un des rapporteurs de cette thèse, a noté le dynamisme de l’IMFL et l’importance internationalement reconnue des travaux effectués en son sein, mais aussi une certaine indépendance, voire un manque de communica-tion des divers instituts français de mécanique des fluides malgré la tutelle commune du Ministère de l’Air, et les relations privilégiées qu’entretenaient Kampé de Fériet et son institut avec l’élite internationale de la mécanique des fluides, comme en témoignent les quelques soixante-dix lettres échangées par Kampé de Fériet et Theodore von Kármán. Il poursuit : Il est intéressant de voir que la province française fut dans ce cas plus visible à l’étranger que le centre parisien, dont la principale autorité, Henri Villat, regardait pourtant de haut la concurrence provinciale.

Enfin pour achever ce panorama, rappelons que l’ONERA et l’IMFL ont vécu une histoire d’amour compliquée : un premier “ mariage ” en 1946, suivi d’un “ divorce ” en 1950, avant de convoler à nouveau en 1983. Nous y reviendrons en 2020 à l’occasion des 90 ans de la fondation de l’IMFL. ■

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PARMI LES PROCHAINS ÉVÉNEMENTS

2ND CONFERENCE ADVANCED AIRCRAFT EFFICIENCY IN A GLOBAL TRANSPORT SYSTEM23 AU 25 OCTOBRE 2018 À TOULOUSEhttp://www.aegats2018.com

54ÈME CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR L’AÉRODYNAMIQUE APPLIQUÉE25 AU 27 MARS 2019 À PARIShttp://3af-aerodynamics2019.com

LES ENTRETIENS DE TOULOUSE10, 11 AVRIL 2019 À TOULOUSEhttp://www.entretienstoulouse.com/

CONFÉRENCE EUROPÉENNE DES ESSAIS ET TÉLÉMESURE11 AU 13 JUIN 2019 À TOULOUSEhttp://www.ettc2019.org

INTERNATIONAL CONFERENCE ON MORE ELECTRIC AIRCRAFT TOULOUSE6, 7 FÉVRIER 2019 À TOULOUSEhttp://www.mea2019.eu

23-25OCTOBRE

6-7FÉVRIER

25-27MARS

10-11AVRIL

11-13JUIN

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