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Simple Note sur les Rapports de la Famille et de la Patrie Author(s): JEAN LACROIX Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 2 (1947), pp. 162-168 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40688632 . Accessed: 16/06/2014 08:37 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.78.113 on Mon, 16 Jun 2014 08:37:54 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Simple Note sur les Rapports de la Famille et de la PatrieAuthor(s): JEAN LACROIXSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 2 (1947), pp. 162-168Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40688632 .

Accessed: 16/06/2014 08:37

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Simple Note sur les Rapports de la Famille et de la Patrie

PAR JEAN LACROIX

La famille, dit-on, est la cellule sociale. Formule traditionnelle et traditionaliste, du moins en France, que nous affirmerions volontiers sociologiquement fausse et ontologiquement vraie. Sociologiquement fausse, parce qu'il y a entre le lien fami- lial et le lien proprement social une différence de nature : la société publique est tout autre chose qu'un ensemble de familles. Vivre humainement c'est nouer des relations mul- tiples avec d'autres hommes, c'est engendrer sans cesse des groupes variés. La nation est la solidarité de tous ces groupe- ments divers. Le paternalisme, si justement dénoncé par Prou- dhon, est précisément Terreur qui consiste à se représenter l'organisation politico-économique sur le modèle de l'organisa- tion familiale, d'ailleurs elle-même mal comprise, à ne voir dans le chef d'usine ou d'État qu'un autre paterfamilias. Mais formule ontologiquement vraie, en ce sens que la famille est le nœud même où, se liant, l'homme et la vie enfantent la socialite, c'est-à-dire le principe de toute société. La famille n'est la cellule sociale qu'autant qu'elle est la cellule humaine : le véritable élément d'humanité c'est le couple conjugal. Aussi y aurait-il grave danger à voir dans le foyer domestique la cellule nationale, car il est moins et plus : moins, puisque d'autres sociétés élémentaires sont aussi constitutives de la nation, plus, puisque sa finalité n'est pas nationale, mais humaine et que la subordination totale des familles à l'État offre les plus grands périls. Ce n'est point à telle forme de société qu'est liée la famille, mais à la capacité même pour l'homme de vivre socialement : elle est la source vivante de toute société possible. De là l'importance d'une exacte description, d'une authentique phénoménologie de la famille.

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C'est une erreur de s'imaginer que les conceptions indivi- dualistes privilégient les valeurs du secret, du privé, et de V inti- mité : elles les reconnaissent moins qu'elles ne les méconnaissent. L'individualisme ne consiste pas à attribuer une importance particulière à ces valeurs, mais à prétendre qu'elles ne peuvent exister et se développer qu'à l'intérieur de la conscience indi- viduelle, hors de tous rapports sociaux. La conception indivi- dualiste est erronée en ce qu'elle néglige ce qu'il peut y avoir d'intimité dans certaines formes de vie sociale. Notamment la vie secrète et privée n'est pas seulement la vie individuelle ; c'est aussi, c'est surtout la vie familiale. Le secret et le privé sont nécessaires à la respiration même de la personne : c'est comme son expression la plus intime et la plus profonde. Aussi y a-t-il dans ce qu'on peut appeler la chaude intériorité familiale comme une vertu unique qui permet à la personne de réaliser et d'exprimer déjà sa vie secrète tout en l'écartant des regards .indiscrets. La famille authentique est le lien où tout est deviné sans avoir besoin d'être exprimé, où tout est commun en restant secret, c'est-à-dire sans avoir besoin d'être extériorisé. Cette union d'une certaine sorte de socialite et d'une certaine sorte d'intimité est le caractère fondamental de la communauté familiale : on ne peut y toucher sans déflorer la personne et l'étioler. « Dépossédé de l'intimité, dit Keyserling, l'homme tremble de froid et cherche à remplacer le qualitatif et le dif- férencie par la quantité ». Mais les individualistes sont seuls à croire qu'il n'y a d'intimité qu'avec soi-même ou dans un égoïsme à deux. Le nous familial a ceci de caractéristique que l'individuel et le social y croissent proportionnellement : dans la communauté familiale je m'intériorise d'autant plus que je me socialise davantage. Il faut séparer radicalement subjectivisme et intériorité - et c'est précisément le sens familial qui nous y aide le plus : un philosophe dirait que la famille est l'incarna- tion de la catégorie du social privé et Vor gane de V intimité sociale.

Par là se découvre le seul fondement légitime de l'institu- tion familiale. L'acte humain qui assume pleinement le carac- tère d'intimité et le caractère de socialite, qui les unit et les synthétise, s'appelle proprement Yaveu, C'est l'aveu qui exprime le plus profondément la condition humaine parce qu'il est indissolublement intimité et confession, manque et infinitude, faute et amour. Ces caractères sont toujours mêlés, puisque

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l'aveu d'amour lui-même me révèle tel que je suis avec ma grandeur et mon péché. S'il n'y est pas répondu, il me met en posture d'infériorité et me livre en quelque »orte. Telle est la condition humaine : toute relation de réciprocité implique lutte dialectique et l'aveu auquel il n'est pas répondu fait de moi un vaincu, un esclave dans le combat d'amour. Mais la famille est précisément, si l'on peut dire, l'organisation et comme l'institution d'un double aveu, c'est-à-dire de la réci- procité d'amour. Si mon appel est entendu, la lutte se trans- forme en une double révélation : en nous avouant l'un à l'autre nous nous réalisons l'un par l'autre. Aussi le mariage a-t-il pour fondement nécessaire le consensus, l'amour mutuel, l'aveu. Le véritable aveu est aveu d'amour, et c'est en cela qu'il est révélation. Ce que j'avoue en moi, c'est ce que j'assume : la volonté c'est le désir en tant qu'assumé par la personnalité tout entière, le désir que j'avoue. L'aveu porte sur l'être, c'est la révélation de l'être. Contemplant indéfiniment son modèle et comme le questionnant, le peintre Renoir s'écriait : « II faudra bien qu'il finisse par avouer ». L'homme ne se révèle, ne s'avoue tel qu'il est qu'à celui qui l'aime et qu'il aime. Le fondement du mariage, qui est essentiellement amour, ne peut donc être que l'aveu intégral - aveu du corps, aveu de l'âme, aveu total de cet esprit incarné qu'est l'homme concret. Et de cet aveu on peut dire, on doit dire qu'il est proprement sacré et constitue un véritable serment : après avoir révélé - et ainsi engagé - l'essentiel de mon être par le oui qui me lie, je fais en quelque sorte le serment de continuer indéfiniment cette révélation. La solennité des cérémonies sociales - civiles et religieuses - n'est au fond qu'un enregistrement du serment et comme le signe de son existence authentique : s'engager c'est s'engager devant les hommes et devant Dieu. L'indisso- lubilité du mariage ne peut en aucun cas résulter d'une contrainte extérieure, mais seulement d'un double et réci- proque aveu qui se poursuit toujours et s'approfondit sans cesse. Telle fut notamment, pour ne prendre qu'un exemple paradoxal, l'attitude de George Sand qui, sauf l'exception unique de Jacques, ne fut nullement l'apologiste de la passion débridée, mais qui vit d'abord dans l'union libre loyalement vécue un premier dépassement de la morale pharisaïque et extrinsèque, et qui finit par dépasser l'union libre elle-même dans le mariage d'amour, et pour cela indissoluble, le cœur

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exigeant plus rigoureusement encore que la loi l'exclusivité et la perpétuité.

Ainsi la famille est un foyer d'amour, c'est-à-dire le lieu même de la réciprocité sociale. Ce qui naît d'elle ne doit pas retomber sur elle pour y mourir, mais se répandre au dehors et exploser vers l'autre pour y vivre. Or, de toutes les réalités sociales la patrie est celle qui garde le contact le plus étroit avec la chaude intériorité familiale : elle est entée sur la f am Ile. Le patriotisme français est lié à la conception française de la famille. De la famille à la nation et à l'État la patrie est l'inter- médiaire, le médiateur nécessaire. C'est en analysant le patrio- tisme qu'on peut le mieux comprendre la notion de médiation, car la patrie est ce qui incarne la fonction pratique de la média- tion. La patrie est entre le « social privé » qu'incarne la famille et le « social public » qu'incarne la nation le médiateur néces- saire qui a l'intimité du premier et l'extension du second. La patrie est donc un {lexaÇu au sens platonicien du terme. Encore faut-il préciser la nature des sentiments domestiques qu'elle a pour fonction de transférer sans cesse à la société publique. La source la plus profonde des sentiments affectifs se trouve concrètement dans la vie familiale ; mais ils sont de trois sortes suivant qu'on envisage les rapports des parents entre eux, des parents et des enfants ou enfin des enfants entre eux. Une sociologie positive de la famille, après avoir découvert dans l'aveu d'amour le fondement même de l'institution fami- liale, se devrait d'analyser les trois formes d'affection que fait naître et développe le foyer : V amour proprement dit entre les parents, la piété entre les parents et les enfants, V amitié entre les enfants. Auguste Comte a esquissé une telle analyse. Pour lui la moralité consiste dans la sympathie, c'est-à-dire dans le développement de la sociabilité. Les trois penchants sympa- thiques propres à notre constitution mentale sont l'attache- ment, la vénération et la bonté. Or, ces penchants ne peuvent s'épanouir que dans la famille où l'on a de l'attachement pour l'épouse, de la vénération pour la mère et de la bonté pour la. fille. Ainsi la moralité ne tombe pas du ciel. Comte pense profondément qu'elle a sa source dans l'amour de l'enfant pour la mère, plus tard de l'homme pour l'épouse, enfin du père pour la fille. Sans doute affirme-t-il que c'est en sociali- sant l'enfant qu'on le rend plus moral tandis que nous dirions plutôt que c'est en le moralisant qu'on le rend davantage

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capable de vie sociale. Ou plus exactement la famille et la société ne font que développer une moralité virtuellement existante : toute éducation n'est qu'une sorte d'intériorisation progressive de la raison. Mais au moins Comte a-t-il l'immense mérite de poser un vrai problème et d'esquisser une sociologie positive des affections familiales.

Des trois sentiments constitutifs de l'affection domestique, c'est évidemment l'amitié fraternelle que la patrie transfère à la nation tout entière : le rôle propre de la patrie, comme l'ont bien vu à la fois un philosophe comme Hegel et un sociologue comme Espinas, c'est de transporter sans cesse à la vie natio- nale les sentiments nés à l'intérieur de la famille entre les enfants. Tel est le sens, technique, si l'on peut dire, mais si souvent mal compris, de la notion de fraternité dans la devise républicaine. Il peut y avoir eu sans doute l'idée ou plutôt l'idéal d'une certaine philanthropie, d'un certain humanitarisme. Mais cet idéal dépasse la nation et n'est pas strictement politique. Plus précisément c'est la reconnaissance d'une liaison nécessaire entre la famille et la patrie : la fraternité est la vertu du patrio- tisme. Le premier rôle de la patrie, et sans doute sa fonction essentielle, c'est donc de transporter, autant qu'il se peut, la force et la chaleur des affections familiales, ou plus exactement fraternelles, dans le domaine de la société publique. La patrie est l'intermédiaire obligatoire entre l'affection domestique et l'affection des concitoyens : le patriotisme a pour but de faire autant que possible des concitoyens des amis et proprement des frères. Telle est la vérité déjà dégagée par les anciens lorsqu'ils voyaient, plus encore que dans la justice, le droit, dans la <piX(a, dans l'amitié le fondement même de la Cité. Les analyses modernes, progressivement perfectionnées depuis Gény jus- qu'à Gurvitch, sur le rapport du donné et du construit dans la vie juridique doivent inévitablement déboucher dans l'étude des rapports de l'amitié et du droit dans la vie publique. La source élémentaire de la vie de la Cité est une sorte d'amitié fraternelle, qui doit perpétuellement revivifier par en bas les constructions juridiques qui sans elle deviendraient des abstrac- tions mortes. En un sens l'amitié est un droit spontané comme le droit est une amitié organisée. Et il n'est pas étonnant que, par la médiation du patriotisme, nous découvrions dans la famille règne de Vamoury comme dit Hegel, la source indirecte, mais vivifiante de la Cité, règne du droit.

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En poursuivant de telles analyses on parviendrait à redonner un sens fort, quoique purement laïc, à cette notion de piété qu'ont si bien décrite et vécue les anciens : en deçà de toute religion révélée, il y a une idée naturelle de la piété qui s'adresse à la famille comme à la patrie. « La moralité naturelle et religieuse en même temps, c'est la piété filiale », disait Hegel. Et saint Thomas d'Aquin enseignait qu'il y a une piété patrio- tique comme il y a une piété familiale, qu'il rangeait l'une et l'autre dans la vertu de religion, patrie et famille devant être l'objet d'un véritable culte au sens strict. La seule religion natu- relle qui ne soit pas une construction de philosophes est la religion de la famille et de la patrie. Telle est la vérité du paga- nisme, qu'on peut sans doute dépasser, mais qu'il convient d'abord d'assimiler et d'intégrer. La Révolution Française en avait eu le juste sentiment, tout en étant aussi à l'origine des plus grandes déviations modernes, voulant rendre à la nation ce culte qui n'est dû qu'à la patrie. A travers bien des vicissi- tudes et des difficultés la France est en train de redécouvrir, contre l'individualisme des siècles précédents, la nécessité de fêtes communes, de cérémonies patriotiques qui resserrent l'amitié par la participation d'ensemble à une sorte de liturgie sociale. Comme la liberté et l'égalité ne peuvent concrètement exister qu'en s'incarnant dans des structures politiques et économiques, ainsi la fraternité n'a d'efficace qu'en se rituali- sant, si l'on peut dire, et en se revivifiant sans cesse grâce à des phénomènes de communion : en un sens la patrie, comme la famille, doit avoir ses foyers. Toute la sociologie moderne débouche dans une analyse nécessaire de ce qu'on pourrait appeler les formes laïques et naturelles du sacré.

Ainsi le patriotisme, tout en utilisant la force des senti- ments nés dans la famille et très particulièrement l'amitié fraternelle, l'ouvre perpétuellement sur le dehors : c'est grâce à lui que la prétendue « cellule sociale » ne se mue pas en un « emprisonnement cellulaire ». Il y a une telle puissance dans les affections familiales, surtout en France, qu'elles risquent toujours de se boucler sur elles-mêmes et de conduire au pire des égoïsmes : le patriotisme est souvent la seule force capable de vaincre je ne sais quelle avarice familiale et de faire exploser la famille à l'extérieur. L'homme est une tension entre le social privé de la famille et le social public de la nation : participant de l'un et de l'autre la patrie les fait communiquer. Il n'est

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donc pas étonnant qu'on trouve dans la nation même certaines influences familiales. Mais les notions doivent être analysées dans leur rigueur malgré les interférences de fait. Sans quoi Ton aboutit ici aux erreurs complémentaires du paternalisme et du nationalisme. Si un peu de théorie éloigne de la pratique, beaucoup en rapproche. C'est dans la confusion du nationalisme et du patriotisme qu'il faut voir sans- doute la pire erreur des temps modernes. Une analyse sociologique plus poussée serait sans doute souvent à l'origine d'une meilleure politique.

Lycée du Parc, Lyon.

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