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15: B O U S S E M G H O U N 7 15ème Chapitre: BOU SEMGHOUN 7 Dimanche 4 Décembre : Nous repartons de Méchéria à 9 heures et arrivons à Aïn Sefra à 12 heures où un repas chaud nous est servi. A 14 heures, nous prenons la piste pour le camp de Bou Semghoun où nous y arrivons à 18 heures. Ces kilomètres de route et de piste, avec ce froid, sont aussi fatigants que l’ascension du Taméda. Nous n’aurons pas besoin de comptines pour nous endormir. Il faut bien reconnaitre que ce séjour à Berthelot nous a été très profitable même si sa durée nous a paru relativement trop brève… Lundi 5 Décembre : Echange des vêtements usagés. Repos le restant de la journée. Celle-ci nous parait bien morne en comparaison de celles que nous avons vécues récemment... Mardi 6 Décembre : Tir d'entrainement toutes armes et revue d'armes aussitôt après. Mercredi 7 Décembre : Repos. Rien de particulier à signaler, à moins de rentrer dans les détails, ce qui n'est pas le but de ces souvenirs. Jeudi 8 Décembre : Repos le matin. Départ en opération à 11 heures. Ouverture de piste depuis l’entrée de la piste de la mort jusqu’à Aïn-Ouarka. Pas mal de kilomètres. Le soir, nous sommes au pied d’un djebel où nous passons la nuit. Chose étonnante, nous bivouaquons à l’intérieur de thermes, abandonnés sans doute par ses propriétaires ou ses utilisateurs sous la contrainte de l’armée. Il y a de petites stalles où

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15: B O U S S E M G H O U N 7   15ème Chapitre:   BOU   SEMGHOUN   7

 

Dimanche 4 Décembre   : Nous repartons de Méchéria à 9 heures et arrivons à Aïn Sefra à 12 heures où  un repas chaud nous est servi. A 14 heures, nous prenons la piste pour le camp de  Bou Semghoun où nous y arrivons à 18 heures. Ces kilomètres de route et de piste, avec ce froid, sont aussi fatigants que l’ascension du Taméda. Nous n’aurons pas besoin de comptines pour nous endormir. Il faut bien reconnaitre que ce séjour à Berthelot nous a été très profitable même si sa durée nous a paru relativement trop brève…   

 

Lundi 5 Décembre   : Echange des vêtements usagés. Repos le restant de la journée. Celle-ci nous parait bien morne en comparaison de celles que nous avons vécues récemment...

 

Mardi 6 Décembre   : Tir d'entrainement toutes armes et revue d'armes aussitôt après. 

 

Mercredi 7 Décembre   : Repos. Rien de particulier à  signaler, à moins de rentrer dans les détails, ce qui n'est pas le but de ces souvenirs. 

 

Jeudi 8 Décembre   : Repos le matin. Départ en opération à 11 heures. Ouverture de piste depuis l’entrée de la piste de la mort jusqu’à Aïn-Ouarka. Pas mal de kilomètres. Le soir, nous sommes au pied d’un djebel où nous passons la nuit. Chose étonnante, nous bivouaquons à l’intérieur de thermes, abandonnés sans doute par ses propriétaires ou ses utilisateurs sous la contrainte de l’armée. Il y a de petites stalles où l’eau arrive chaude, ce qui permet à certains de prendre un bain. La chaleur dégagée par l’eau chaude nous permet de dormir à l’abri du froid et de l’humidité.

 

         'Le Cirque de 'Aïn Ouarka' est situé dans les monts des Ksour, dans l'Atlas Saharien occidental et fait partie de la commune d'Asla. Il est situé à une soixantaine de kilomètres d'Aïn Sefra.

           ...connu par les géologues, cette zone humide géothermique est une cuvette circonscrite par des montagnes abruptes culminant à 1 672 mètres, où s'étendent deux étangs aux eaux salées, claires et profondes, provenant de sources d'eaux thermales. Il est réputé pour certaines activités ancestrales de thermalisme et d'exploitation traditionnelle du sel. Sur

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le plan esthétique, il offre une merveilleuse vue paysagère où se superposent des formations rocheuses de différents âges géologiques, et l'émergence de sources chaudes et froides.

           L'eau, provenant de sources d'eaux thermales chaudes, est utilisée par une station thermale à forte fréquentation féminine (près de 3 000 curistes par an), et celle des sources d'eaux froides, utilisée pour l'alimentation en eau potable des habitants de la région. Présence de peintures et de gravures rupestres datant de plus de 10 000 ans qui témoignent de la richesse faunistique passée de la région'. ('Monts des Ksour-Cirque de Aïn Ouarka' - par Ammar BOUMEZBEUR).

 

Vendredi 9 Décembre   : Nous repartons à 7 heures et ratissons toute la journée des oueds. Ce jour-là nous avons longé un oued aux eaux ruisselantes sans pouvoir remplir notre bidon d'eau et nous avions cependant très soif...L'eau de cet oued était salée...rien d'étonnant avec la proximité du Cirque d'Aïn Ouarka. La 3ème Compagnie qui crapahute dans le secteur, aperçoit trois fellaghas mais les perd vite de vue…Nous passons la nuit sur le terrain.

 

                "Le 9 décembre 1960, de GAULLE effectue sa 'troisième tournée des popotes'. Il s'adresse aux officiers: 'Le problème algérien n'est que l'un des nombreux problèmes que nous avons sur les bras...Le champ de l'action de l'Armée est à la mesure de l'univers. De cette affaire, n'en faites pas votre affaire; c'est la tâche de vos gouvernements...Je suis  mieux à même que vous de voir ce qui se passe d'un côté, mais également ce qui se passe de l'autre'.

                  Partout il développera ce même thème: 'Ne prenez pas la guerre d'Algérie trop à coeur!'

               Vous avez bien lu: 'De cette affaire, n'en faites pas votre affaire'. On envoi des hommes mourir et on leur dit: 'Surtout ne prenez pas cela trop à coeur!' A des gens qui, depuis  des années, ont fait de la guerre d'Algérie l'affaire de leur vie et leur passion personnelle, on déclare tranquillement qu'il importe peu que l'on gagne ou que l'on perde. Etrange langage d'un soldat à d'autres soldats!". ('Histoire Militaire de la Guerre d'Algérie' par Henri LE MIRE).

 

 

Samedi 10 Décembre   : Opération de ratissage au pied du ‘1700’, près du lieu de notre dernier accrochage. Le commandement voudrait bien nous voir accrocher ce 'Commando n° 6' qui est dans le secteur, mais pour le moment insaisissable. Nous ne regrettons rien...Nous rentrons au camp à 20 heures.

 

Dimanche 11 Décembre   : Revue d’armes et de cantonnement. Repos ensuite.

 

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Lundi 12 Décembre   : Tir au fusil, PM, FM, PA, tout le jour.

 

Mardi 13 Décembre   : Départ à 3 heures, dans une obscurité presque totale, les GMC en black-out, se suivant lentement à une bonne vingtaine de mètres de distance sur la piste à peine visible. Les chauffeurs font leur possible pour respecter la distance les séparant du camion qui les précède. Ils n’ont pas intérêt à laisser s’agrandir l’intervalle. Au bout de trois quart d’heure de piste, les bahuts ralentissent leur vitesse, et nous lâchent par section complète. Nous partons le plus discrètement possible, en file indienne, rejoindre le point de départ fixé pour chaque section, pour le démarrage de l’opération. Le jour se met à poindre et nous surprend alors que nous grimpons vers le sommet du ‘1700’. Arrêt au sommet aux environs de 12 heures pour la 'halte-collation' puis descente du djebel en le ratissant vers le bas où des éléments sont en bouclage.  Assez fatigant. Retour au camp vers les 18 heures.

 

        "D'après les renseignements qui nous avaient été transmis, une infirmerie rebelle avait été installé dans le Tanout...Lors de la réunion préparatoire, je dis à mes cadres: 'Je ne sais s'il s'agit vraiment d'infirmières ou de tapineuses du Tanout'. Apparemment, ce mot fit fortune, et les Marsouins de la Compagnie révèrent longtemps des 'tapineuses du Tanout', que nous cherchâmes vainement.

              Départ  de nuit, infiltration dans le Tanout par un oued, où nous zigzaguions entre des éboulis rocheux, au prix de nombreuses chutes et de beaucoup de fatigue. Mais au lever du jour, nous manquâmes d'un souffle un petit groupe rebelle: je les vis fuir vers le nord, et pour courir plus vite, ils nous abandonnèrent une vingtaine de kilos de ravitaillement. Nous n'avons pu les rattraper".  ("Soldat de la guerre, soldat de la paix" par le général Jean SALVAN).

 

Mercredi 14 Décembre   : Repos mais revue de cantonnement par le commandant LALOT, le responsable militaire du 1er Bataillon.

 

Jeudi 15 Décembre   : Départ à 7 heures en opération, par un temps très nuageux. La pluie ne tarde pas à tomber en fin de matinée. On glisse la toile de tente sur les épaules, par dessus le sac à dos, et l'on rabat les bords du chapeau de brousse... Peine perdue, la toile est loin d'être imperméabilisée...L’opération est démontée à 14 heures; plafond nuageux trop bas ne permettant pas à l’aviation de nous appuyer en cas de 'coup dur'. Le temps de récupérer les bahuts et nous sommes trempés de la tête aux pieds.

 

Vendredi 16 Décembre   : Section de jour et corvées diverses.

 

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        Les libérables de la classe 58 2/A partent aujourd’hui. Ils sont heureux. Ils embarqueront le 23 décembre et fêteront joyeusement en famille, Noël, le Jour de l’An et surtout, leur retour à la vie civile. Voici le discours d'adieu que leur tint le capitaine SALVAN, en ce mois de décembre 1960: 

 

         « Je vous remercie pour le service que vous venez d'effectuer. Ce n'est pas facile de vivre comme vous l'avez fait pendant plus de deux ans, à escalader des montagnes, à courir après l'ennemi, dans un pays torride en été, glacial en hiver, sans beaucoup de ravitaillement et de matériel, ni de courrier. Ce n'est pas facile d'être à plus de 1000 kilomètres de sa famille, de ses copains et de sa fiancée. Ce n'est pas facile de voir à vingt ans, des copains mourir. Vous l'avez fait et vous l'avait bien fait. Ce que je vous demande maintenant, c'est de ne pas raconter n'importe quoi. Vous avez assez de souvenirs vrais, de notre travail, de nos efforts, de notre camaraderie, pour le restant de votre vie: ça, racontez-le". ».("Soldat de la guerre, soldat de la paix" par le général Jean SALVAN).

 

        Plus que deux contingents à voir partir : la 58 2/B et 58 2/C et après, cela devrait être mon tour...Je compte 198 au jus pour le 2 juillet prochain, une estimation personnelle... Vivement la Quille!

 

         A  20 heures, nous sommes placés 'en alerte'. Nous partons à la recherche d’un s/lieutenant et d’un caporal, partis en camion, et qui depuis plusieurs heures, ne donnent plus signe de vie. Finalement, nous les retrouvons près de notre ancien Poste de Noukhila où leur GMC était tombé en panne. Comment se fait-il que ce s/lieutenant soit parti sans un poste radio ? Très imprudent! A moins que ce dernier soit, lui aussi, tombé en panne…! Retour au camp à 23 heures.

 

Samedi 17 Décembre   : Le camp se réveille sous 5 cm de neige. Le paysage est totalement transformé, le blanc prime sur le jaune ocre du sable que nous voyons habituellement.

 

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Boussemghoun sous la neige.

 

         Les monts des Ksour sont magnifiques sous la neige. Et il ne fait pas trop froid. C’est peut-être bien pour cette raison qu’on nous demande de nous équiper pour effectuer une patrouille dans les environs du douar…Le bon air du djebel devrait nous faire du bien...

 

                         Le bon air du djebel devrait nous faire du bien…

 

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          Après quelques kilomètres de crapahute, dans cette neige qui étouffe aussi bien nos pas que nos voix, l'ordre nous est donné de rentrer au camp.

 

 

         Dès notre arrivée, nous sommes placés en alerte pour annihiler une tentative de franchissement du barrage marocain. Nous attendrons en vain ce départ.  

 

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                                            LAFDJIAN, le secrétaire de la Compagnie

 

Dimanche 18 Décembre   : Départ à 4 heures. L’opération se concentre dans les environs de Noukhila. En fin de soirée, notre section rejoint le PC du Bataillon pour assurer sa protection ainsi que celle de tous les GMC. Les autres Compagnies sont disséminées sur un vaste secteur opérationnel et ne nous rejoindront pas. Passer la nuit les fesses posées sur la neige ne doit pas être agréable…Quant à nous, il y a suffisamment de bahuts qui nous offrent leurs banquettes pour ne pas en profiter et passer ainsi une nuit tout juste plus agréable, l’inconvénient étant d’assurer la sécurité du groupe  par des heures de garde.

 

Lundi 19 Décembre   : Départ de notre section à 5 heures. Une bonne heure de tape-cul avant que nos copains, les chauffeurs, nous lâchent pour repartir vers leur point de départ. Nous remontons un oued en le ratissant et, la nuit venue, nous nous installons en embuscade. Le froid est très vif; nous attendrons avec impatience le lever du jour pour nous dégourdir les jambes. 

 

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Mardi 20 Décembre   : Dès l’aube, nous patrouillons dans les environs de l’oued sans rencontrer 'âme qui vive'. Nous décrochons à 12 heures pour rejoindre les bahuts qui sont revenus vers nous, dans la plaine. Le temps de ‘casser la croûte’, et nous voilà repartis après avoir laissés nos sacs à dos suspendus aux ridelles des camions. Munis d’une simple musette dans laquelle nous avons placé le minimum d’affaires mais aussi l’indispensable, la bouffe, nous sommes plus légers, plus alertes et faisons des recherches de traces dans les lits d'oueds jusqu’à la nuit, sous une pluie légère et sous le vent. Beaucoup de kilomètres parcourus encore là, que l'on ne compte plus d'ailleurs, et beaucoup de fatigue.  Retour aux bahuts à 21 heures pour essayer d’y dormir mais sans grand succès ; il fait trop froid.

 

Mercredi 21 Décembre   : Départ à 7 heures des bahuts avec le même objectif: recherche de traces de passages dans les lits des oueds. On ne trouvera rien et il est près de 17 heures lorsque nous rejoignons les bahuts où nous ont déjà précédés d’autres sections. Arrivée au camp à 20 heures. On n'en a 'ras le bol'!

 

Jeudi 22 Décembre   : Revue d’armes et de cantonnement le matin. Repos l’après-midi.

 

Vendredi 23 Décembre   : Section de Jour au Bataillon.

 

       Le temps est doux malgré la neige de ces derniers jours, mais dès que le vent se lève, alors il n'est pas bon d'être de garde. A l’intérieur de la tente, on se repose, on lit, on écrit ou, tout simplement, on écoute de la musique, des chansons. Nous écoutons les succès de l’année. Dans 48 heures, cela va être mon deuxième Noël en Algérie. Ma seule satisfaction: il n'y en aura pas un troisième heureusement. Pour fêter dignement ce Réveillon, nous avons cotisé à une bourse commune et  avons profité d’un convoi à Aïn Sefra pour charger un copain de quelques achats : vin rosé, rouge, mousseux, beurre, pâtés, saucissons, biscuits, cigares, enfin tout ce qui pouvait nous faire plaisir, tout en respectant le montant de la bourse...Nous en profiterons d'autant mieux si nous ne sommes pas en opération ou en embuscade ce soir-là.  

 

Samedi 24 Décembre   : La journée se passe tranquillement au 'pas de tir'.

 

       Au mois de novembre, le capitaine SALVAN avait établi une liste de soldats résidant habituellement dans les départements du Gard et du Vaucluse. Par ses connaissances, il devait essayer de nous obtenir un colis de Noël. Et, quelques jours avant les fêtes, nous avons eu la surprise de recevoir chacun notre colis. Merci mon capitaine, on a su apprécier votre geste.

 

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        Le Réveillon commença à 23 heures. Au menu : hors d’œuvres variés, salade de crabes, poulet-frites…, salade d’endives, crème au chocolat, dattes, le tout accompagné de vin rouge et rosé et du mousseux sans oublier les cigarettes et cigares. Ce fut, pour nous, un bon repas pris dans une ambiance chaleureuse, chacun cherchant à oublier ses petits soucis…Nos gradés sont venus nous tenir compagnie pendant une petite heure, pour notre plus grand plaisir.  

 

       Quelques mots sur les vins d’Algérie. C’était l’Oranais qui était la principale zone de production de vins de toute l’Algérie. Une dizaine de VDQS avaient été reconnus comme ceux de Mascara (appelée: la 'petite Bourgogne'), Mostaganem, Médéa, Aïn-Témouchent, Valmy, monts de Tessalah ou coteaux de Tlemcen.

 

       'L'implantation des vignes en Algérie fut lente au début parce que les sols durent être nettoyés, épiérrés, les marais asséchés et les maladies atteignant les populations, traitées et en régression.

       Le vignoble algérien commença à produire vraiment du vin lorsque le vignoble métropolitain fut envahi par l'oïdium et le mildiou et par l'insecte 'phylloxera' qui détruisit le vignoble français et obligea à le reconstituer en le greffant. C'est alors que du vin produit en Algérie commença à être expédié en France de manière significative.

       Il se créa en Algérie, un commerce de vins destinés à faire des coupages avec des vins de table du Midi à faible teneur en alcool, et des assemblages avec des vins rouges, d'appellations métropolitaines déficitaires en alcool et en couleur.

        Le vignoble algérien s'est étendu jusqu'à 343 000 hectares en 1960, avec une production de 15 millions d'hectolitres'. ('Hommes, Vignes et Vins de l'Algérie française - 1830/1962.' par Paul BIREBENT).

 

 

       Il faut se rappeler ces fameux ‘pinardiers’ de l’époque, des bateaux immenses qui pouvaient transporter des centaines de tonnes de vin. " Le pinard, c'est de la vinasse, ça fait du bien par où que ça passe..."  Le terme de ‘pinardier’ provient très certainement de cette chanson populaire qui désigne un bateau, un wagon-citerne ou un camion-citerne qui transporte du vin en vrac. Les viticulteurs du Midi de la France n’étaient pas très heureux de voir ce vin ‘s’écouler’ dans les ports de Marseille, de Sète ou d'ailleurs…Déjà qu’ils avaient des difficultés à vendre le leur du fait de problèmes économiques posés par une surproduction de vin... 

 

            'L'essor  de cette culture a été facilité par son transport. Ainsi, des pinardiers sillonnaient les deux rives de la méditerranée, chargés de dizaines de barriques et de fûts en pontée ou dans les câles. Tout est bon pour le pinard. Des petits ports, autrefois sans intérêts,

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sont devenus rapidement des places importantes dans l'économie coloniale et pour l'emploi des populations locales.

              Côté navire, rien qu'en 1939, la Compagnie SCIAFFINO, créée en 1874 et basée à Alger, comptait déjà 17 cargos destinés presque exclusivement au transport de vin. Pendant la période 1940/62, une trentaine de pinardiers assuraient l'exportation du vin algérien vers la métropole.

                 En 1962, les Français quittent l'Algérie, les pinardiers aussi, mais pas le vin. Le premier gouvernement algérien se trouve dans l'impasse; 15 millions d'hectolitres de vin à exporter. Mais où? Les viticulteurs sont depuis longtemps en guerre contre ce vin qui vient inonder le marché local déjà saturé. Le 17 octobre 1964, un accord franco-algérien a été conclu pour l'exportation de 7 à 8 millions d'hectolitres. Ce chiffre va diminuer graduellement avec l'ouverture du marché Est-européen au vin algérien mais aussi par les réticences des Français à continuer à acheter du vin algérien'. ('L'Epopée des pinardiers algériens'). 

 

Dimanche 25 Décembre   : Noël, c’est la fête mais aussi le repos. En me levant ce matin à 9 heures, j’ai la bouche pâteuse et mal à la tête. Ce mélange de vin ne me vaut rien et, à l'avenir, il me faudra l'éviter...Finalement, tout a passé dans le courant de la journée, et je serai prêt à recommencer si l'occasion se présentait. 

 

       'Noël est fêté dans la nuit du 24 au 25 décembre et le 25 toute la journée. En tant que fête chrétienne, elle commémore chaque année, la naissance de Jésus de Nazareth.

            Le repas de Noël est le repas festif, contitué notamment de la 'dinde de Noël', de 'fruits de mer', du 'foie gras' et qui se termine traditionnellement par la 'bûche de Noël', un dessert en forme de petite bûche, gâteau roulé de crème au chocolat. Cette bûche rappelle la tradition ancienne où l'on mettait au feu une grosse bûche en début de soirée. Cette bûche était choisie par sa taille et sa qualité car elle devait brûler pendant toute la veillée'. ('Noël').

 

       Nous n'avons pas eu tout à fait cela mais nous ne sommes pas oubliés pour autant. Au menu: hors d'oeuvres variés avec de la dinde, le tout arrosé de rouge (en bouteille). On comprend que dans beaucoup de 'popotes' et dans de nombreuses chaumières de France, ce jour de Noël sera dignement fêté. Et dans bien des familles, les pensées de ceux qui nous aiment seront tournés vers nous. 

 

       A la radio nous écoutons des chansons de notre pays; le ‘Papa Noël’ de circonstance de notre Tino national, 'Bal, petit bal' et 'C'est si bon' de Yves Montand, 'Je me suis fait tout petit' de Brassens, Piaf avec ses inoubliables 'Milord et Non, je ne regrette rien', '...salade de fruits, jolie, jolie...' du brave Bourvil, '...ma p'tit folie, mon grain de fantaisie...' de Line Renaud, Dalida et son cher 'Bambino', 'Diana' de Paul Anka, et bien d'autres refrains repris par

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quelques uns mais sans grand enthousiasme. Le ciel est couvert, le vent souffle légèrement et les cimes de nos djebels 'bien aimés' disparaissent dans la brume.

 

          Il n'y a rien pour nous rendre joyeux, sinon de savoir que, pour moi, c'est mon dernier Noël dans ce pays. Plus que 189 jours au jus! La Quille! Six mois à faire, ce n'est pas énorme mais ils s'ajoutent aux 22 mois déjà accomplis. Il faut que le moral tienne bon, qu'il n'arrive rien de mauvais d'ici là et que la 'baraka' soit toujours au rendez-vous. Nous comprenons fort bien que la France s’achemine vers un désengagement total en Algérie et la même interrogation revient sur les lèvres: 'Pour qui, pour quoi sont morts SIMON, ARNOUX et bien d'autres'. Il faudra bien y répondre à cette question !   

 

Lundi 26 Décembre   : Tir au fusil une grande partie de la matinée. De 11 heures jusqu’à 16 heures, nous fouillons la palmeraie. Découverte d’un vieux fusil, une pétoire, utilisé dans les fantasias. A 20 heures, notre section part se positionner en embuscade, à quelques kilomètres du douar. C’est ce que l’on peut appeler une promenade digestive…sans la ‘Bouka’ (eau de vie de figue), et nous rentrons tranquillement à minuit, heure où peut-être, commencent à se manifester les rebelles…  

 

Mardi 27 Décembre   : Repos tout le jour. Le s/lieutenant FISCHER s'est absenté  pour quelques jours. C'est le sergent-chef CARARO qui assure l'intérim.

 

Mercredi 28 Décembre   : Départ à 6 heures pour fouiller une barre rocheuse. Découverte de quatre pistolets dans une cache. Retour à 18 heures au camp. Très fatiguant.

 

Jeudi 29 Décembre   : Nettoyage des armes suivi de la revue...Quartier libre mais...au camp.

 

Vendredi 30 Décembre   : Départ à 7 heures pour des ratissages et fouilles d’oueds. Petite promenade tranquille d’une vingtaine de kilomètres environ. Retour au camp à 15 heures. Ensuite, au Foyer, dès qu'il ouvre. 

 

Samedi 31 Décembre   : Départ à 7 heures pour le bouclage et la fouille du douar de Boussemghoun. Retour à 14 heures. Rien vu, rien entendu.      

Dimanche 1 er Janvier 1961   : Je me porte consultant pour un début de bronchite compliqué par une mauvaise toux.

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         Les premiers maux de l’année en souhaitant que les futurs ne soient pas plus ennuyeux. Je n’avais jamais été aussi mal. Avec les nuits froides passées sur le terrain, il n’y a rien d’étonnant d’être parfois en mauvaise condition. Cela devrait même se produire plus souvent. Les piqûres de TAB et autres reçues au tout début des classes ont dû renforcer énormément notre immunité naturelle car, d’une façon générale, nous résistons bien aux petites infections hivernales et aux divers changements climatiques que nous subissons. Par contre, quelques uns se tapent une bonne jaunisse. Ils ont droit à du repos avec, en prime, une perm en France. Les veinards…!  Si ça pouvait m'arriver...

 

          Notre sergent-chef CARARO prend du galon; il vient d'être nommé adjudant. 

 

Lundi 2 Janvier   : La Compagnie part en opération mais je reste au camp et me porte consultant. Dans la journée, je me repose…En fin de soirée, je dispose de la tente à moi tout seul, les copains sont restés sur le terrain…

 

Mardi 3 Janvier   : La Compagnie rentre d’opération à 16 heures. Les copains me trouvent très détendu sur le lit de camp. Je reçois quelques réflexions de leur part mais qui ne sont pas méchantes ni agressives, tout au plus émises dans l’unique intention de me taquiner. Ils savent bien que je n’ai pas l’habitude de ‘tirer au flanc’.

 

Mercredi 4 Janvier   : Nous partons à 4 heures pour une opération sur le barrage frontalier. Nous sommes mis à la disposition du 2ème REI, dans la région de Béni-Ounif, le long du barrage électrifié. Le s/lieutenant FISCHER a repris sa place à la tête de la section.

         Nous avons pris la route de Colomb Béchar et entrevoyons,  de temps à autres, le réseau électrifié qui serpente le long de celle-ci. La route est goudronnée et le convoi circule à vive allure. Il fait froid et l’air glacial nous fouette à l’arrière du camion ; on essaie de se protéger mais sans y parvenir. Engourdis par le froid, nous restons silencieux.

 

         A 10 heures, nous sommes devant le Poste de Béni-Ounif et attendons le moment d'être héliportés. Le long de la route, devant le Poste militaire, camions et half-tracks sont sagement rangés. Un peu en retrait, les Sikorsky sont là prêts à nous embarquer si cela devient nécessaire. 

 

         "Le douar de Béni-Ounif est situé à 110 kilomètres au nord-ouest de C. Béchar et à 145 kilomètres d'Aïn Sefra. Cette région, en raison de son isolement et de sa faible densité de

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population, avait été choisie, au début des années 1900, pour l'installation d'un polygone secret d'essais d'armes chimiques. Ce "Centre Expérimental Semi-permanent" de Béni-Ounif, connu sous le nom de code "B2-Namous", était situé dans un no man's land, au sud de Béni-Ounif et de la frontière marocaine. Il fut utilisé du temps de l'Algérie française mais aussi du temps de l'Algérie algérienne jusqu'en 1978". ("Béni-Ounif"). 

 

        En face, de l’autre côté de la frontière, se trouve Figuig, petite ville située à l’extrême Est du Maroc, à la jonction entre les Hauts Plateaux et le nord du Sahara et à seulement 7 kilomètres de Béni-Ounif. C’est une ville-palmeraie nichée au cœur de petites montagnes. 

 

 

 

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       Dans l'attente de cet héliportage, on en profite pour se faire chauffer du café dans un quart posé sur deux pierres, un peu en retrait au milieu des dunes de sable. Les discussions et plaisanteries vont bon train...

 

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         Pose-café dans l'attente d'un éventuel héliportage (DUBOIS en djellaba, à droite)

 

           On pose aussi pour la photo, en souvenir des bons moments passés en Algérie…La journée s’écoulera tout doucement sans que rien ne vienne la perturber. Mais nous savons que, pendant tout ce temps, les légionnaires ont ratissé le djebel Amour (1 883 mètres d'altitude) à la recherche des fellaghas.

 

Jeudi 5 Janvier   : Nous avons passé la nuit, éparpillés au milieu des dunes de sable et avons monté la garde à tour de rôle. Nous sommes en bivouac et il n’est pas question de monter les guitounes (tentes) comme on nous l’a appris, lors de nos classes, au camp Lecocq, ni de ranger les fusils en faisceaux. Tout cela est bien dépassé. D’ailleurs, c’est pas ce qu’on nous a appris de mieux pour nous défendre en opération…

 

        Nous sommes toujours là, à attendre un éventuel héliportage qui tarde à venir. Des éléments de la DBFM et du 2è Bataillon du 8è ont rejoint les légionnaires et crapahutent dans les environs. Il y a du monde dans le secteur mais, sans autres informations, il nous est difficile d'avoir une approche exacte de l'opération. Le décrochage de celle-ci se fera à 16 heures. Nous rembarquons dans les camions bien contents de n’avoir pas été mis à contribution…Ce sera pour la prochaine fois. Arrivée au camp à 20 heures. 

 

Vendredi 6 Janvier   : C’est l’Epiphanie. 

 

        "...fête chrétienne qui célèbre le Messie, recevant la visite et l'hommage des rois mages. Depuis le XIV ème siècle, en France, on mange la 'galette des rois' à l'occasion de cette fête. La tradition veut que l'on partage la galette en autant de parts que de convives, plus une. Cette dernière appelée 'part de Bon Dieu' ou 'part du pauvre', est destinée au premier pauvre  qui se présente au logis".

 

         Aura-t-on droit à 'la part de pauvre'? Certainement pas!

        Il nous est demandé de voter pour le Référendum souhaité par le général de GAULLE, Président de la République. Un petit retour en arrière :

 

       En mai 1958, le général de GAULLE avait été ramené au pouvoir, il parait, dans des conditions rocambolesques et par nombre de partisans acquis à l’Algérie française. Et, par la suite, ce sera une guerre, celle de l'Algérie, que de GAULLE gagnera contre le système

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parlementaire dont il héritera, mais aussi contre une partie de l'armée française qui osera s'opposer à lui et contre les européens d'Algérie. Mais très lucide, il prend conscience que l'intégration des musulmans dans la France, ne se fera pas sans difficultés.          

         

         Le 16 septembre 1959, il évoquait, pour la première fois, le "Droit à l'autodétermination"‘. Ce Référendum n’était  donc pas une surprise pour personne. Dans celui-ci, il était posé la question suivante :

 

      « Approuvez-vous le Projet de Loi soumis au peuple français par le Président de la République, concernant l'autodétermination des populations algériennes ».

 

      Le choix devait se faire entre la "francisation"‘ (l’intégration), "l'association"‘ (lien avec la métropole), et "la sécession"  (l’indépendance). On pourrait appeler cela: "Chercher à se débarasser de l'Algérie par n'importe quel moyen". Réponse dans très peu de temps. 

 

          "Au début de l'année 1961, alors que vont se dérouler les opérations du second référendum fixé au 8 janvier  vit, d'un bout à l'autre de l'Algérie, une armée qui s'est donnée à l'Algérie comme rarement une armée s'est donnée à une tâche nationale. Cette armée sent confusément que l'échec de la France sur cette dernière terre de l'outre-mer sera aussi son propre échec...De là son extrême sensibilité à une politique qu'elle ne prétend point diriger, mais dont elle appréhende, en acteur et témoin, les risques et les lendemains". ('Histoire Militaire de la Guerre d'Algérie' par Henri LE MIRE).

 

Samedi 7 Janvier   : Départ à 6 heures pour la fouille du douar de Chéllâla. Retour à 14 heures 30. Rien de particulier à signaler.

 

Dimanche 8 Janvier   : Repos. La métropole vote pour le Référendum. Quels vont être les résultats, sachant que l’opinion publique française a hâte d’en finir avec une guerre qui dure depuis sept ans et qui a fait des milliers de morts parmi les populations européenne, algérienne et les soldats des deux bords.

 

Lundi 9 Janvier   : Repos et corvées diverses.

 

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Mardi 10 Janvier   : Départ en opération à 6 heures. Nous escaladons le ‘1300’ sans trop de fatigue... Fouille et ratissage de ce djebel comme d'habitude.  

 

 

         En fin de soirée, nous retournons aux bahuts parqués au pied du djebel et y passons la nuit. Depuis quelques temps, nous sommes équipés de djellabas récupérées sur des prisonniers. Nous les portons uniquement soit en embuscade, soit en bivouac mais jamais en opération...C'est un vêtement très chaud qui, pour un poids équivalent, nous évite parfois de prendre le sac de couchage. Mais, en ces mois d'hiver, on prend bien souvent les deux...

 

 M ercredi 11 Janvier   : Dès le lever du jour, nous ratissons les alentours. Le temps est maussade, couvert. Le vent souffle modérément mais suffisamment pour accentuer la froidure. Le soir, nous retournons aux bahuts, harassés par des heures de marche sur un terrain accidenté, pour y passer notre deuxième nuit au grand air....

 

Jeudi 12 Janvier   :    Aux premières lueurs du jour, nous grimpons le ‘1500’ qui nous tend les bras comme beaucoup d’autres d’ailleurs. Il suffit de regarder tout autour de nous pour se rendre compte que les djebels ne manquent pas et qu’un large éventail s’offre à nous…L’ascension fut longue et rendue pénible par les rafales de vent glacial. Arrivés au sommet, nous poursuivons par des ratissages harassants, dans un environnement hostile. En fin de journée, les sections de la Compagnie se sont regroupées, et nous bivouaquons sur place, car les bahuts sont trop éloignés de nous pour pouvoir les rejoindre avant la nuit. 

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         "Ces journées furent éprouvantes: fouilles sans résultat sous un vent violent et glacé. Nous devions rentrer le 12 janvier après-midi, car les rations perçues au départ étaient terminées. A 17 heures, nous reçûmes l'ordre de rester sur place pour fouiller le lendemain les grottes qui bordaient l'oued entre les djebels Aouziri et Khoundjaia. Comme d'habitude, il n'y avait aucun renseignement récent. Ma Compagnie et celle de BEDIN se regroupaient autour du PC de l'EMT lorsque la neige se mit à tomber doucement. Grâce à mon sac de couchage Annapurna, je passais une bonne nuit, mais je dus être le seul! A l'aube, il y avait 50 centimètres de neige, et le vent se renforçait. J'allais réveiller ROY et lui demandai de retarder l'opération. Il me donna l'ordre de partir quand même.

           Avec BEDIN, nous décidâmes de faire route ensemble, et nous commençâmes la lente progression vers le col d'où nous aborderions la vallée et les grottes par le sud.  Aux approches du col après presque deux heures d'ascension, nous nous trouvâmes en pleine tourmente de neige. Des soldats, de plus en plus nombreux, glissaient, tombaient, se relevaient avec peine et avaient des défaillances, aussi bien chez BEDIN que chez moi. A la section FISCHER, à mes côtés, les Marsouins étaient bleus de froid, couverts de glaçons et agités de frissons. Je ne pus m'empêcher de penser à la catastrophe dont le 2ème RPC avait été victime, trois ans auparavant, presque jour pour jour, vers Champlain.

             Je rendis compte à ROY mais il n'en prenait manifestement pas conscience et voulait que nous poursuivions malgré 'quelques flocons de neige'. Je lui dis:" Mon commandant, nous sommes en plein blizzard, nos personnels sont épuisés. Nous risquons un gros pépin. Je prends la responsabilité d'interrompre cette opération. Nous allons rentrer en sûreté, et je fouillerai les grottes qu'il sera possible de visiter sur le chemin de retour. Terminé.

               Vers 1500 mètres, le vent faiblit et la couche de neige devint moins épaisse. A 1200 mètres, il n'y avait plus de neige, et je compris mieux que ROY ait sous-estimé nos difficutés. Dès que nous atteignîmes le lit de l'oued, les soldats reprirent des couleurs. Nous fouillâmes les immenses ouvertures de plusieurs grottes et je n'y vis aucun signe de présence humaine.

               Vers 13 heures, nous arrivâmes aux véhicules, où ROY nous attendait. Je lui racontai ce qui s'était passé en janvier 1958 au 2ème RPC: 3 morts de froid, 30 gelés ou congestionnés, des armes perdues...'Croyez-vous que le destin de l'Algérie mérite aujourd'hui de tels risques?'. ajoutai-je". ("Soldat de la guerre, soldat de la paix" par le général Jean SALVAN).

 

        Je n’ai plus rien à manger, ayant épuisé ma dernière ration individuelle au cours de l’après-midi, lors d’une halte. C’est d’ailleurs le cas pour nous tous. Mais mon estomac crie famine peut-être plus fort...Avant de positionner mon sac de couchage, je ramasse un peu d’alfa comme d’habitude…Le ciel est sombre, et la température de l'air au plus bas. Pourvu que la neige ne se manifeste pas mais déjà, quelques flocons apparaissent. Nous ne sommes pas en embuscade mais simplement en bivouac et les gardes doivent être assurées à tour de rôle. Je suis de quart de 2 à 4 heures, le moment où l’on dort le mieux mais on ne choisit pas ses horaires. Malgré tout, je pense que mon sac de couchage, par son confort...et la fatigue, vont me permettre de dormir quelques bonnes heures...Une fois déchaussé et la veste matelassée enlevée, je me glisse dans l’enveloppe froide et je remonte la fermeture éclair au

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ras du nez.. La chaleur dégagée par le corps, emprisonnée dans le sac, m’aidera à avoir moins froid. La tête appuyée sur le sac à dos, l’arme posée près du corps et le chapeau aplati sur la figure, je peux alors me glisser dans les bras de Morphée en souhaitant y faire de beaux rêves.

 

Vendredi 13 Janvier   : Je me sens secoué dans mon sac. J’ouvre péniblement les yeux, c’est nuit et j’entrevois mon copain BELIME, caporal de quart, penché sur moi : "Debout, c'est 2 heures, c'est ton tour! "’. Presque aussitôt, il m’envoie une poignée de neige sur la figure en rigolant et ajoute :"Fait pas le con de rester dans ton sac, les gradés sont pas loin, eux aussi font des rondes". Bon sang! Au meilleur de mon sommeil, en plein dans mes rêves! Je me soulève péniblement et regarde autour de moi ; tout est blanc.    

 

      La neige est tombée abondamment pendant la première partie de la nuit, nous recouvrant de vingt bons centimètres. Je devine des formes au sol mais ne sais pas qui peut les habiter...J’hésite avant de sortir du sac où j’y suis si bien…mais je n'ai pas le choix. La neige a glissé à l’intérieur des chaussures et le froid a raidi le cuir ; pas facile de les enfiler. Je roule mon sac de couchage, je m’équipe et commence à faire mon tour en veillant où je place les pieds. Les sentinelles sont à leur poste, il ne neige plus et, à part nous, personne ne se douterait qu’à cet emplacement, il y a une centaine d’hommes, lesquels dorment…plus ou moins…

 

       Au passage, une petite anecdote plaisante sur l'état d'esprit des Marsouins de notre Compagnie, rapportée dans son livre, par le général Jean SALVAN :  

 

        " J'essayais de les faire causer:

 

           -Comment dormez-vous?

           -Ben, chacun dans son coin!

           -Vous n'essayez pas de vous mettre les uns contre les autres pour ne pas avoir froid?

           -Mais, on n'est pas de la pédale!

         -Nous n'étions pas de la pédale chez les paras, mais quand il fait froid, c'est en se serrant les uns contre les autres qu'on résiste le mieux au froid.

           -Moi, je préfère me geler, mais seul!".

 

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        La chaleur, emmagasinée dans mes vêtements, s’est dissipée. Maintenant, je ressens le froid et l’humidité mais je ne peux guère me réchauffer en marchant sans faire gueuler un gars. Tout est silencieux autour de nous, pas un bruit, la neige étouffe tout. Je suis persuadé que les fellaghas du coin sont mieux logés que nous. A 4 heures, je réveille le caporal de quart. Quant à moi, il n’est plus question d’essayer de me recoucher. J’attendrai le réveil de la Compagnie qui se fera heureusement à 4 heures 30.

 

        Départ à 5 heures. Les hommes se déplacent, sans bruit,  respectant plus ou moins les distances, celles-ci n'étant pas trop leur souci actuel mais plutôt celui de savoir où ils vont poser les pieds pour éviter de se casser la gueule dans la neige, l’armée ne nous ayant pas encore équipés de treillis imperméabilisés…Il va falloir parcourir une bonne vingtaine de kilomètres avant de retrouver les bahuts qui sont toujours parqués là où nous les avons laissés.

 

         Les nuages sont bas, il fait froid et l'on avance en ayant quelques pensées pour les doigts de pieds qui n’arrivent pas à se réchauffer dans les rangers. Mon estomac est vide depuis pas mal d’heures et j’aimerai bien manger quelque chose mais quoi ! Ce n’est vraiment pas dans mes habitudes mais, finalement, je fais appel à un copain, lequel me refile une boite de sardines. Pour être frais, c'est frais et même, c'est du surgelé...Je les mangerai tout de même ces sardines mais, elles me pèseront  longtemps,...longtemps, et la marche active n’eut pas l’effet escompté sur la digestion…Rejoindre les bahuts ne fut pas une partie de plaisir pour tout le monde. Certains se verront contraints de se porter consultants pour des gelures aux pieds. Encore une bonne opération à notre actif...

16: A Ï N – D J A D J A

. 16ème Chapitre:   AÏN-DJADJA

 

Samedi 14 Janvier   : La matinée commence par une Revue d’armes. Par la même occasion, notre chef de section nous demande de nous préparer pour un très prochain départ pour la région de Tlemcen.

 

           "Le 14 janvier, le commandant ROY nous réunit pour nous annoncer que nous allions partir le lendemain pour relever le 6è régiment de tirailleurs vers Tlemcen. Un départ vers le nord déchainait toujours l'enthousiasme à la Compagnie, car les Marsouins et les gradés avaient l'impression que rien ne pouvait être pire que le quadrilatère Aïn Sefra, Chellala, El Ma el Abiod, Géryville. Ils aspiraient à revoir de vraies villes, des bistrots, des restaurants, des femmes..."  ("Soldat de la guerre, soldat de la paix" par le général Jean SALVAN).

 

             Avec un peu de retard, comme dans bien des cas, nous apprenons les résultats du Référendum, dans le courant de la journée. Le principe de l'autodétermination des Algériens

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est accepté: en métropole à 75,25 % et en Algérie, à 69,09 %. Ce Référendum va décider du sort de l'Algérie...Pour nous, il ne fait aucun doute que les Algériens choisiront l'indépendance. Donc, maintenant, le 'casse-pipe', c'est du gratuit pour nous et ne peut rien rapporter de positif. C'est bien ce que l'on pensait depuis fort longtemps.

 

Dimanche 15 Janvier   : Départ à 4 heures 30. Le temps est froid et le sirocco souffle avec beaucoup de vigueur. Nous ferons dans la journée près de 500 kilomètres de piste d'abord, et ensuite de route, pour nous retrouver le soir à 17 heures en bivouac, à la maison forestière d’Hafir, située près du col des Zarifetes, dans une magnifique forêt de chênes lièges, à 1 200 mètres d'altitude environ, pas très loin de Tlemcen. 

 

                         La maison forestière d'Hafir sous la neige.

 

        La neige était déjà tombée depuis quelques jours, recouvrant la région d’une dizaine de centimètres.

 

Lundi 16 Janvier   : L’arrêt à cette maison forestière ne fut que de courte durée. Dans la journée, notre Compagnie aménage sur les hauteurs d’Aïn-Djadja, dans un Poste militaire laissé vacant par des unités du 6è Régiment de Tirailleurs. Près de celui-ci, il y a le douar mais aucune présence européenne.

 

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                         Vue générale sur Aïn-Djadja.

 

          Notre mission essentielle demeure toujours la même, à savoir notre intervention en cas de franchissement du barrage électrifié marocain. Mais, le commandement n'attendra pas ces 'éventuels franchissements' pour prévoir des opérations dans ce secteur, lequel nous parait plus éloigné de la frontière marocaine que celui que nous venons de quitter. 

 

                         Près de celui-ci, nous avons le douar, peu important, mais il n’y a aucune présence européenne.

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                         Nous logeons dans un bâtiment préfabriqué.

 

          Nous aménageons dans un grand bâtiment en préfabriqué. Les caporaux disposent d'une petite chambre pour quatre; c’est nettement mieux que sous la tente. En fin de soirée, nous avons droit à une revue d’armes et de cantonnement.

 

Mardi 17 Janvier : Notre section est de Jour. Corvées et escortes diverses sont nos soucis pour la journée.

 

Mercredi 18 Janvier   : Corvée de bois le matin. Nous disposons de poêle à bois pour le chauffage des locaux. Le bois ne manque pas dans la région; il suffit d'aller le chercher sous la neige...Si on veut ne pas avoir trop froid, il n'y a que cette solution.

       Tout autour de nous, la végétation recouvre les montagnes. Nous ne sommes pas loin du col d’Hafir et de la forêt des Zarifetes. Une végétation sauvage comprenant essentiellement des chênes lièges, chênes verts, genévriers et thuyas. Les sangliers y vivent en grand nombre mais sont plus difficiles à approcher que les chameaux des Hauts Plateaux…Il y a des perdrix, des chacals, aigles, renards, chats sauvages, etc.

 

      A Aïn-Djadja, s'étaient installés les Centres de Vacances de Perrégaux, mais nous ne les avons jamais vus...à moins que nous occupions, sans le savoir, leurs locaux...

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        Pas très loin de nous, se trouve le barrage de Béni-Bahdel qui fut construit entre 1934 et 1952. Il alimentait en eau potable mais aussi en électricité la ville d’Oran, de Mers-el-Kébir et permettait l’irrigation de près de 5 000 ha de terres agricoles de la région de Marnia. 

 

         'Ce qui donna naissance au village puis à la ville d'Oran, c'est son site maritime, sans souci de l'inexistence à proximité, soit de sources suffisantes, soit d'un fleuve à débit régulier.

            Jusqu'en 1792, seule la source de Ras-el-Aïn alimente la ville. En 1853, un château d'eau est construit. Plus tard, au XIX è siècle, seront utilisées les sources de Brédéah, à 25 kilomètres au sud-ouest de la ville, au voisinage de la Sebkha, un grand lac d'eau salée (3 gr/litre).

             Devant le développement croissant d'Oran, il est envisagé alors la construction du barrage de Béni-Bahdel, à 30 kilomètres au sud de Tlemcen, en raison du débit régulier et abondant de la Tafna qui reçoit à cet endroit son affluent, l'oued Khémis.

             Commencé en 1934, ce barrage ne fut véritablement terminé qu'en 1952. Arrêtées sur un front de deux kilomètres, les eaux de la Tafna et de l'oued Khémis, se confondent pour former un lac artificiel de 350 ha, avec une contenance de 63 millions de m3 d'eau.

            Cette réalisation, véritable chef d'oeuvre, a rendu à Oran son véritable rang parmi les grandes villes d'outre-mer'. ('Le barrage des Béni-Bahdel' par André Albert FERNANDEZ).

 

Jeudi 19 Janvier   : Section de Jour.

 

Vendredi 20 Janvier   : Notre section est autorisée à passer la journée à Tlemcen mais en tenue de combat et donc avec les armes. Mais, pour pouvoir se rendre dans un restaurant de façon plus décontractée, nous laissons les armes dans un bahut, sous bonne garde. Il est vrai que la ville ne présente pas de réels dangers au niveau de la rébellion mais on ne sait jamais; le terrorisme peut frapper à tout moment et les soldats en sont bien souvent les cibles privilégiées. 

 

  'La ville de Tlemcen est située à 140 kilomètres au sud-est d'Oran, et à 76 kilomètres à l'Est de la ville marocaine d'Oujda. Elle est distante de 40 kilomètres de la mer. Située au pied du djebel Terni, Tlemcen est enserrée entre les villages d'El Eubbad à l'Est, et de Mansourah à l'ouest. La ville située sur un replat calcaire, à 800 mètres d'altitude, est adossée au sud du plateau rocheux de Lalla Setti. Elle domine les plaines de la Tafna et de Safsaf. Les eaux descendues parfois en cascades des hauteurs, la fertilité du terroir, les mélanges des sols, la

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densité des arbres, lui donnent le nom imagé de 'bocage tlemcenien'. Là, y alternent vergers, oliveraies, jardins potagers et vignobles'. ('TLEMCEN').

 

         Tlemcen bénéficie d’un climat tempéré et d’une douceur toute méditerranéenne. Un peu chaud l’été, un peu froid l’hiver avec quelques chutes de neige. Il y pleut de novembre à avril/mai.

 

Samedi 21 Janvier   : Départ à 7 heures pour une patrouille de reconnaissance dans le secteur. Retour à 13 heures. Au cours de l’après-midi, nous accompagnons un convoi.

 

Dimanche 22 Janvier   : Notre section est de Jour. La 3è section est en permission à Tlemcen. A tour de rôle, par section et pour ceux qui le souhaitent, nous irons  passer une agréable journée dans cette ville. On croit rêver…Au cours de l’après-midi, la neige fait à nouveau son apparition.

 

Lundi 23 Janvier   : Nous sommes en tenue de combat et attendons l’ordre de partir en opération. Mais la neige tombe en abondance. Finalement, la sortie ne se fera pas. Tant mieux !

 

Mardi 24 Janvier   : Corvées diverses le matin.

         L’après-midi, patrouille d’une dizaine de kilomètres dans la neige et sous le crachin. On ne voit personne et encore moins un quelconque animal. Nous rentrons au Poste fatigués malgré le peu de kilomètres effectués et 'trempés comme une soupe'. Maintenant, il nous faut tout mettre en œuvre pour sécher nos vêtements, surtout nos chaussures, avec les faibles moyens qui nous sont attribués, afin d'être prêt pour un nouveau départ, lequel peut intervenir à tout moment. .

 

Mercredi 25 Janvier   : Section de Jour, corvées diverses et escorte de convois.

 

Jeudi 26 Janvier   : En opération tout le jour, le capitaine n’a pas souhaité attendre que la neige est disparue totalement…Nous ratissons des bois. Tout comme dans la région de Berthelot, la visibilité est réduite à une dizaine de mètres et l’attention se doit d’être plus soutenue. Rentrée au camp à 18 heures.

 

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        Vers minuit, la Compagnie au complet, quitte le Poste en silence et encercle le douar. Depuis quelques jours, les sentinelles ont pu observer la nuit, des signaux lumineux dans ses environs immédiats. Les fellaghas se manifestent-ils  auprès des habitants plus que ce qu’on peut le penser ? L’encerclement terminé, notre section reçoit l’ordre de contrôler l’identité des habitants. A cette heure-là, on pénètre dans l’intimité des gens. On nous rappelle d’agir correctement  avec les habitants. J'ai le souvenir d’être entré, avec un copain, dans un gourbis et, à la lumière de nos lampes de poche, d'avoir interpellé le 'chef de famille', lequel était couché sur une natte, à même le sol, au milieu de ses deux épouses. Nullement gêné, il nous montra ses documents d'identité pour lesquels nous prîmes le temps d'une vérification prolongée, ce qui nous permis de voir et revoir le visage des femmes, très jeunes et nullement éffarouchées. La polygamie n’existait pas encore en France à cette époque...mais, grand paradoxe, nous étions dans un département français. En sortant, comme des gamins, on s’est touché du coude en ricanant jaune: "T'as vu, deux femmes pour lui tout seul et nous, on se brosse le bec". On n’a jamais connu les résultats de ce contrôle.      

 

Vendredi 27 Janvier   : Section de Jour et corvées diverses. Finalement, on en bave pas trop dans ce secteur…si l’on pouvait y rester jusqu’à la Quille…mais le village de Berthelot était nettement mieux de part la présence des européens.

 

Samedi 28 Janvier   : Fouille du douar le matin et vérification de l’identité de ses habitants. Le capitaine ne s’est pas contenté des résultats du dernier contrôle.

 

 

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        Après l'encerclement, les hommes sont regroupés dehors sur un terre-plein et placés sous surveillance. Certains, âgés et anciens combattants de la dernière guerre, arborent des médailles militaires au revers de leur djellaba et paraissent en être fiers. Les personnes âgées, les femmes et les enfants restent dans les gourbis. Ceux-ci sont constitués de branchages et recouverts d'un assemblage de toiles diverses. Quelle misère ! Les contrôles à l’intérieur, sont effectués rapidement à cause de la fumée, provenant de petits feux entretenus à même le sol, qui fait piquer et larmoyer les yeux. Ces feux leurs permettaient de se chauffer et d’y faire cuire leur maigre pitance. Quelques nattes sur le sol et aucun meuble. Le plus grand dénuement. En voyant cela, on peut comprendre aisément que la présence française ne leur a pas apporté le minimum de confort qu’ils étaient en droit d’attendre après une occupation de près de 130 ans. Mais il serait intéressant de savoir dans quelles conditions ils vivent actuellement et si l’indépendance de leur pays leur a été beaucoup plus salutaire.J'espère que oui...

 

          Qu'est devenu depuis Aïn Djadja?

 

           'Les habitants de ce douar ont, depuis l'indépendance, aménagé à Aïn Leftouh, à 5 kilomètres plus au sud. Aïn Djadja n'est depuis, qu'un 'lieu-dit', se trouvant sur l'axe 'Bénisnous-Tlemcen' et surtout une réserve de chasse où l'on introduit régulièrement du gibier  mais aussi des espèces protégées. Cette zone est classée 'Parc national' depuis 1983. Seuls vestiges restants, les ruines de l'ancienne colonie de vacances des PTT qui date de l'ère coloniale'. ( de Afid Tlemceni).

 

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Dimanche 29 Janvier   : En permission à Tlemcen tout le jour. Un bon petit repas à midi et ensuite, nous passons une paire d’heures au cinéma pour y voir jouer ‘Le bal des adieux’...On a manqué pleurer...J’en profite ensuite pour apporter deux films à faire développer et procéder à quelques achats.

 

Lundi 30 Janvier   : Départ en opération à 6 heures. Nous ratissons la forêt qui s’étale devant nous.

 

On descend des talwegs, on en remonte d’autres et l’on recommence…

 

Retour au Poste à 17 heures, la nuit tombant rapidement en cette saison. 

 

Mardi 31 Janvier   : La section est de Jour. Escortes et corvées habituelles. Notre section part, à la tombée de la nuit, monter une embuscade à 5/6 kilomètres du Poste. Il fait froid et l’humidité est importante à cause de la neige qui, en de nombreux endroits, n'a pas encore fondue. On va encore se geler toute la nuit, les yeux grands ouverts... 

 

Mercredi 1er février 1961   : Décrochage à 7 heures et retour au camp. Repos tout le jour.

 

Jeudi 2 Février   : Repos.

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Vendredi 3 Février   : Liaison sur Tlemcen. Je passe chez le photographe pour récupérer mes photos. Sur les deux films apportés, un a été égaré par le commerçant. Dommage…je suis un peu déçu car des souvenirs m’échappent.

 

Samedi 4 Février   : Départ à 7 heures pour une opération dans la région de Matmora. Une bonne vingtaine de kilomètres de crapahut mais guère pénible car très peu de dénivelés importants. Notre section reste sur place pour des embuscades à monter par petits groupes de 4 ou 5 hommes.

 

Douar de Matmora.

 

                                                          Douar de Matmora.

 

Dimanche 5 Février   : Nous repartons de Matmora à 8 heures pour effectuer des ratissages dans la région.

 

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                         Ratissage sur le col de Tammassert.

 

           Retour à 17 heures mais fatigués. Le manque de sommeil et le terrain accidenté y sont pour beaucoup dans notre fatigue. Le soir, nous repartons en embuscade.

 

Lundi 6 Février   : Nous décrochons à minuit et sommes de retour à Aïn-Djadja à 2 h 30. A 8 heures, la section est de Jour. La 3è section retourne sur le lieu de son embuscade de la veille pour essayer d’y retrouver le fellagha qu’elle avait blessé. La sortie de ce jour à Tlemcen est boudée par un grand nombre de gars. Nous sommes trop fatigués pour aller nous ’éclater’ dans cette charmante ville. Nous avons du sommeil en retard et la récupération physique se fait lentement. Et puis, l'argent fait défaut...   

 

          " Le dispositif avait été mis en place en sautant de nuit des camions roulant tous feux éteints. La Compagnie plaça ainsi vingt embuscades de 5 hommes, tout en conservant une présence minimale dans les postes. Un officier, un sous-officier ou un caporal commandaient ces minuscules détachements. Je sentais que mon personnel n'en menait pas large. La nuit du 5 au 6, le temps était doux, la lune se leva. Le sergent DAROS, placé à l'ouest de Matmora, vit arriver un groupe d'hommes chargés de paniers. Des coups de feu furent échangés. Au jour, nous trouvâmes des couffins pleins de crêpes et d'autres vivres, des djellabas, des étuis de fusils '303' anglais, des traces de sang; il y avait au moins un blessé en face. D'après l'officier de renseignement, nous avions vu passer le PC de Secteur rebelle...". ("Soldat de la guerre, soldat de la paix" par le général Jean SALVAN).

 

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Mardi 7 Février   : Repos tout le jour. Départ à 21 heures pour la mise en place d’embuscades dans la région de Matmora. Comme précédemment, les gradés sont responsables de leur propre embuscade qu’ils doivent mener avec quatre ou cinq hommes. Les sections sont donc fractionnées et réparties en fonction des ordres du capitaine. Nous amenons les rations individuelles et l’eau pour un minimum de trois jours. Seul inconvénient ; le nombre important de groupes ainsi formés ne permet pas d’accorder à tous le bénéfice d’un appui  radio. Je me retrouve à nouveau avec quatre hommes…et sans moyen de communication.

 

Mercredi 8 Février   : La journée, nous sommes en observation et essayons d’être discret au possible tout en restant vigilant. Comme le temps passe lentement, certains n'hésitent pas à faire une légère récupération de sommeil mais ce n'est pas prudent comme comportement... Nous n'avons aucun contact avec les autres groupes répartis autour de nous.

       La nuit, une partie de l’effectif veille, l’autre essaie de dormir. Nous sommes en février, à plus de 1000 mètres d’altitude et le froid est toujours aussi vif. Nous n’utilisons pas nos sacs de couchage par prudence pour éviter de se trouver empêtré dedans à un moment critique. Mais nous l’utilisons comme une simple couverture; on s’y enroule dedans. C’est toujours mieux que rien.

 

Jeudi 9 Février   : La nuit fut calme. Nouvelle journée de surveillance, ce qui n’est guère fatiguant. Nouvelle nuit en embuscade.

 

Vendredi 10 Février   : Nuit identique à la précédente. Nouvelle journée d’observation. Le soir, on se prépare à passer notre troisième nuit à la belle étoile. Il parait qu’en hiver, rien n’est plus magnifique à contempler qu’un ciel étoilé, des centaines d’étoiles qui jouent à 'cache-cache' avec quelques nuages égarés dans le ciel algérien. Aussi, nous en avons bien profités, chanceux que nous sommes…

 

Samedi 11 Février   : Nuit passée sans aucun problème. A 6 heures, notre chef de section nous récupère. Le retour au Poste se fait à 10 heures.

       A notre arrivée, nous apprenons la mort de notre collègue DUBOIS. Malade, lors de notre départ pour ces embuscades, ce mardi dernier, il s’était fait porté consultant pour le lendemain. Ses maux dont il souffrait n’ont pas dû paraître, à l'adjudant de Compagnie, vraiment handicapant, ce vendredi 10 courant, puisqu’il le proposait pour une escorte sur  Tlemcen. Sur la route, le GMC a raté son virage. Placé à l’arrière, il a été éjecté sur le bas-côté et, par une des plus grandes malchances, le camion s’est retourné sur lui. Nous pensons qu’il a du être tué sur le coup. Encore un stupide et malheureux accident qui a coûté la vie à l'un des nôtres. .

 

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         Emile DUBOIS était un gentil garçon, toujours la plaisanterie aux lèvres et heureux de vivre. Il nous avez rejoint dans le sud-oranais le 13 novembre 1960 après quatre mois de préparation militaire en France. Il habitait à Pierrefontaine-les-Varans, près de Besançon, dans le Doubs. Ses obsèques eurent lieu dans son village natal le 25 mars 1961 où les honneurs civils et militaires lui furent rendus. Médaillé militaire à titre posthume.

 

Dimanche 12 Février   : Je fais partie du convoi de permissionnaires pour Tlemcen.

 

        Le décès de DUBOIS nous perturbe et nous prouve que notre vie, dans ce pays, ne tient qu’à peu de chose. Mais notre jeunesse reprend ses droits. Nous souhaitons passer un bon dimanche dans cette ville, peut-être le dernier, car des bruits circulent depuis notre retour d’embuscade ; on devrait bientôt rejoindre Bou Semghoun.

 

Lundi 13 Février   : Notre section se rend, en tenue de ville et en armes, à Tlemcen pour rendre les honneurs à notre malheureux copain DUBOIS. Discours du capitaine SALVAN, moment d’émotion lorsque la sonnerie aux morts se fait entendre, minute de recueillement et de silence devant son cercueil recouvert du drapeau francais. Nous retournons au Poste en fin d’après-midi pour apprendre que nous partons le soir même à 22 heures rejoindre Aïn Sefra. La nuit sera longue sur ces banquettes de bois, à la merci du froid…

 

            'L'usage s"est établi, au cours des cérémonies d'hommage aux morts de la Grande Guerre qui, depuis l'armistice, se déroulent devant les monuments commémoratifs, et plus particulièrement devant le tombeau du Soldat Inconnu, d'observer une minute de recueillement. J'ai décidé de compléter ce cérémonial, désormais traditionnel, par une sonnerie nouvelle, dite "Aux morts" qui constituera le signal et le prélude à la minute de silence. Cette cérémonie pourra également être exécutée dans toutes les circonstances où le commandement croira devoir honorer, par un cérémonial particulier, les officiers, sous-officiers et soldats tombés au champ d'honneur'.  ('Général Henri-Eugène GOURAUD' - gouverneur militaire de Paris - 11 août 1932).

  17: B O U S S E M G H O U N 8

17ème Chapitre:   BOU     SEMGHOUN   8  

 

Mardi 14 Février   : Nous arrivons à Aïn Sefra à 8 heures. Nous n’avons pu dormir de toute la nuit. Aucune protection contre le froid à l'arrière des camions; les bâches sont roulées et remontées sur les bords pour nous permettre de ‘gicler’ en cas de nécessité. L’air froid nous a fouettés en permanence. Au cours de la matinée, nous procédons au remplaçement de nos treillis usagés; la troupe se doit d'être correctement vêtue. Après un repas chaud, nous voilà repartis pour Bou Semghoun où nous y arriverons en fin d’après-midi.

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Mercredi 15 Février   : Revue d’armes et de détails le matin. L’après-midi, réunion de tous les copains de la classe 59 1/A, pour envisager les 'modalités' de notre prochaine fête, à savoir, celle du 'Père Cent', qui devrait avoir lieu aux alentours du 15 Mars. Nous allons commander les ‘faire-parts’ humoristiques. La célébration du  'Père Cent' est un rite incontournable chez les appelés; c'est la célébration du centième jour avant la Quille, avant la fin du service militaire.

 

Jeudi 16 Février   : Rien à signaler de particulier sinon que les bruits qui nous parviennent nous laissent bien comprendre que la France souhaite se désengager de l’Algérie le plus rapidement possible. Tous ces morts, tous ces efforts et, pour nous, notre jeunesse engloutie dans des combats qui ne sont plus utiles à la France. Comment nos hommes politiques, qui ne cesse de clamer haut et fort leur habileté et leur expérience à résoudre les problèmes de la France, en sont-ils arrivés-là après sept ans de guerre civile? Comment notre armée a-t’elle pu se faire piéger dans cette sale guerre ?   

 

       Le matin, à l’initiative du capitaine SALVAN, lorsque nous ne sommes pas en opération, le footing est une de nos priorité en tant qu'entrainement physique, lié entre autre, aux tirs d'entrainement. Ne disait-il pas, lorsqu’il était instructeur à Cherchell, à ses élèves-officiers de réserve : 

 

        'Pour moi, les matières importantes sont : le combat, le tir et l'entrainement physique. Je serai probablement injuste mais j'estime ne pas pouvoir prendre de risques: les mères des jeunes Français doivent savoir que leurs enfants ne sont pas confiés à n'importe qui '. On ne peut qu’être d’accord sur ces directives-là.  

 

       Et maintenant, on y ajoute le chant…C’est notre adjudant de Compagnie qui est notre ‘Maitre de chant’.  Il n’a pas une meilleure voix que nous mais il sait se  faire comprendre…On ne manifeste pas un grand enthousiasme, on renâcle à l’ouvrage, on n’a pas l’habitude…ce qui n'arrange pas nos affaires. Les chants guerriers sont alors repris autant de fois qu’il plaira à notre ‘mentor’ et cela jusqu’à ce qu’il soit satisfait. Cela peut durer ainsi une bonne heure et parfois plus. Et, si ce n'est pas suffisant, il y a 'l’entracte', c’est-à-dire, le maniement d’armes, la marche au pas cadencé, puis, à nouveau…le chant. A ces moments-là, on regrette de ne pas être sur un piton.

 

       Pourquoi cela ? Nos gradés se sont aperçus que notre moral décline; aussi, souhaitent-ils nous occuper l’esprit, nous remonter le moral, par des activités saines, tel le chant…Comment pourrions-nous avoir un bon moral dans cette galère? Comment pourrait-il en être autrement pour nous? Ne se sont-ils pas aperçus que, par la radio, nous sommes informés de l'actualité

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politique du moment ? Et ce que nous entendons bien souvent n'est pas fait pour nous rendre joyeux.

         Nous sommes las de toutes ces opérations qui ramènent chacune leurs lots de morts, de blessés et de souffrance, à une période où se profile l’indépendance de l’Algérie. Nos gradés souhaitent nous reprendre en mains? Est-ce bien une nécessité ? Ce n’est pas maintenant qu’on va ‘se dérober’ ou se transformer en 'objecteurs de conscience'. Nous terminerons notre service militaire comme il se doit, mais sans 'éclat et sans zèle'. Notre souci majeur reste l’attente de la Quille, le vrai symbole de notre libération.

 

Vendredi 17 Février   :  Tirs aux PM et lancers de grenades le matin. L’après-midi, chants, marche au pas cadencé, etc. En soirée, lavage du linge...

 

Samedi 18 Février   : Départ à 6 heures pour une opération sur le Tanout. Fouille et ratissage d’oueds. Retour au camp à 18 heures.

 

Dimanche 19 Février   : Repos tout le jour.

 

Lundi 20 Février   : Section de Jour. Le soir, départ à 21 heures pour une embuscade. La section est divisée en trois groupes, chacun sous la responsabilité d'un gradé. La multiplication des embuscades peut donner des résultats; on verra bien. Partant du camp à pied, nous remontons une piste sur huit kilomètres environ puis, les groupes sont lâchés, espacés de deux bons kilomètres. Chaque groupe se fixe alors sur son lieu d’embuscade puis, c’est l’attente dans l'obscurité et le froid.

 

Mardi 21 Février   : Retour d’embuscade à 6 heures 30. Repos toute la matinée. L'après-midi, revue d’armement, de couchage et d’équipement par le fourrier. Ensuite, par section, c’est encore le chant en rangs serrés. Quand cessera ce manège? Après 20 heures, tirs de nuit au FM, PM et fusil. On suit des yeux les balles traçantes qui vont se perdre au loin, dans les dunes.Le bruit des coups de feu et les lueurs des traçantes représentent un spectacle pour nous; il nous en faut si peu pour nous distraire...

 

Mercredi 22 Février   : Le matin, petit footing suivi de l’instruction sur les  postes radio : SCR 536 et C10. Après 20 heures, tirs de nuit toutes armes.   

 

Jeudi 23 Février   : Section de Jour.

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Vendredi 24 Février   : Départ en opération à 7 heures. Fouille et ratissage de djebels.Retour au camp à 17 heures.

 

                         La pause-café avant un départ en opération.

 

 

Samedi 25 Février   : Le matin, nous avons la revue d’armes et de cantonnement par le capitaine. L’après-midi, tirs au fusil, FM et PM. 

 

Dimanche 26 Février   : Départ en opération à 7 heures. Fouille et ratissage d’oueds et de barre rocheuse. Retour à 18heures.

 

Lundi 27 Février   : Départ à 6 heures en opération dans le Bénidir pour une durée d’une semaine environ. Les sections sont lâchées au plus près des oueds, que nous devons ensuite remonter en les fouillant jusqu'à leurs sommets, à 1700 mètres d'altitude.

       C'est dans ce djebel, situé à 25 kilomètres environ à l'ouest des Arbaouats, que le 6 avril 1960, la katiba 531, appelée alors la 'reine des Ksour' car 'trop souvent recherchée, parfois accrochée mais jamais inquiétée', avait été mise 'hors de combat' par le commando Cobra, soutenu par le 2è REI et par un commando de l'Air.

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Mardi 28 Février   : Nous sommes en surveillance sur les sommets et, la nuit, nous descendons dans les talwegs pour y tendre des embuscades.  

 

Mercredi 1 er Mars   1961: Du pareil au même. La seule différence est que nous changeons souvent d'emplacements pour monter nos embuscades. Nos gradés essaient de choisir des emplacements susceptibles d'avoir la faveur des rebelles pour leurs déplacements. Mais toujours rien. Ce n'est pas qu'on souhaite 'accrocher' mais, la tentation de 'casser' du fell est bien souvent présente en nous...

 

Jeudi 2 Mars   : Au lever du jour, on change de crête pour l'observation journalière. Nous restons tapis derrière les quelques broussailles présentes, sans trop nous manifester par des déplacements inutiles et le temps passe difficilement. Parfois, l'attention se relâche...

 

Vendredi 3 Mars   : Même situation. 

 

Samedi 4 Mars   : Très peu de changement dans notre emploi du temps. La 3è section aperçoit deux fellaghas mais les perd vite de vue. C'est sûr, il y a des rebelles dans le coin mais ils sont coriaces à débusquer...8 fusils de chasse et deux mousquetons sont découverts dans une cache. On ne peut pas dire que nous sommes tombés sur un dépôt d'armes...

 

Dimanche 5 Mars   : Toujours le même emploi du temps.Les rebelles doivent se douter qu'un grand nombre d'unités sont disséminées dans le secteur, rendant leurs déplacements risqués. Aussi, évitent-ils de se déplacer aussi bien la nuit que le jour. Et leurs caches ne sont pas faciles à découvrir...

 

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                         Notre Compagnie quelque part dans le djebel. Certains 'anciens acteurs' pourront reconnaitre, légèrement de profil, le lieutenant PINVIDIC.

 

                         Fin d'une opération. La 4è section est là, devant vous et moi, derrière l'objectif...

 

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Lundi 6 Mars   : Décrochage à 7 heures de toutes les unités. Nous rejoignons les bahuts en ratissant sur notre parcours. Arrivée au camp à 18 heures. Nous sommes aussitôt placés en alerte pour une intervention sur le barrage marocain. Celle-ci sera levée au cours de la nuit.

 

Mardi 7 Mars   : Revue d’armes le matin. L’après-midi, lavage de notre linge à la palmeraie.

 

Mercredi 8 Mars   : Nous passons une bonne partie de la journée sur le pas de tir.

 

Jeudi 9 Mars   : Notre section est de Jour. Gardes et corvées diverses se succèdent tout au long de la journée.

 

        La rumeur circule depuis pas mal de temps: notre Compagnie devrait partir en repos à Arzew, près d’Oran. Ce serait bien pour nous! D’autant plus que cette petite ville se situe en bordure de mer. On pourrait aller s'y baigner..., y retrouver quelques belles filles...On fantasme déjà à cette idée. D’où vient cette rumeur? Certainement pas de notre commandement, mais elle est tenace et se manifeste à intervalles irréguliers, nous rendant toujours joyeux. Trop naïfs surtout!  On y a cru quelques temps et puis on a fini par déchanter définitivement…Une rumeur, comme bien d'autres, telle celle des 'tapineuses du Taméda'... 

 

Vendredi 10 Mars   : Opération dans l'oued Mellad et la piste de la mort. Départ à 7 heures et retour à 16 heures. Peu fatigant, comme un parcours de santé...A l’arrivée au camp, douche et repas

18: B E N I A B I R 1

18ème Chapitre:   BENI ABIR   1  

 

Samedi 11 Mars   : Nouvelle séance de tir, toutes armes confondues. Ce seront nos derniers tirs d’entrainement dans cette région, car notre Compagnie a reçu l’ordre de s’installer dans le nord-oranais, région ouest de Tlemcen, peut-être bien le long du barrage marocain. Ce sont des éléments du 5è REI qui prennent la relève à Bou Semghoun.

 

            Dans son livre: 'Soldat de la guerre, soldat de la paix', le capitaine SALVAN écrivait ceci:

         

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          "...j'essayai de dresser le bilan de ces cinq premiers mois. Ma compagnie était instruite, aussi rôdée qu'on pût l'être avant d'avoir accroché un ennemi décidé; elle possédait un bon moral, qui lui permettait de faire face à toutes les situations probables au combat. Mais il ne fallait pas s'illusionner: mes soldats, qu'ils fussent d'origine européenne ou algérienne, ne me suivraient pas au bout du monde. Certes, ils étaient fiers d'être à la 2ème compagnie, la meilleure du régiment; ils sentaient que j'éviterais la casse inutile, que j'étais capable de les défendre si nous étions engagés dans de mauvaises conditions comme le 13 janvier.

          Mais ils n'aspiraient, pour l'instant, qu'à de simples bonheurs: rentrer chez eux, à Nimes, Alger ou à Marseille, trouver du travail, se marier. L'Algérie, indépendante, associée à la France ou pas, démocrate ou autoritaire, le pétrole, la France, cela leur ferait, plus tard de beaux souvenirs ou des sujets de réflexions. Ils étaient bien plus individualistes que mes parachutistes du '2', même s'ils posaient moins de problèmes de discipline. Ils faisaient confiance à de Gaulle et à nous, les cadres". 

 

             Crapahutant, en Algérie, depuis de nombreux mois, nous ne pouvons qu'approuver ces réflexions, en particulier celles situaient au second paragraphe. Nous, soldats du contingent, que pouvions nous aspirer de mieux?

 

Dimanche 12 Mars   : Nous préparons notre déménagement ainsi que celui du PC du Bataillon. Diverses équipes sont constituées pour intervenir à la demande. Un élément du 5è REI est arrivé.

 

Lundi 13 Mars   : Le déménagement se poursuit.

 

Mardi 14 Mars   : Poursuite du déménagement. Nos tentes sont encore debout mais pas pour longtemps.Le s/lieutenant FISCHER part en permission; l'heureux veinard...C'est l'adjudant CARARO qui assure l'intérim. Depuis son affectation dans notre section, nous l'appréçions beaucoup; toujours calme, détendu et d'un abord facile, il sait néammoins se faire respecter sans avoir à élever la voix et faire manoeuvrer la section sans difficultés. La section lui a accordé toute sa confiance.    

 

Mercredi 15 Mars   : Notre section participe à une Prise d’armes à Chellâla, en présence du général commandant la Division. 

 

Jeudi 16 Mars   : Tout se ‘boucle’. Les tentes sont démontées, toiles et supports métalliques sont rangés dans les camions. Nos affaires personnelles, valises et sacs à dos sont également embarqués. Nous conservons avec nous notre arme et la musette renfermant la bouffe et

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quelques affaires personnelles. Ce soir, nous coucherons, pour la dernière fois, sur ce sable fin et de couleur ocre qui nous a si souvent servi de literie. 

 

Vendredi 17 Mars   : Départ de la Compagnie à 14 heures pour Aïn Sefra.

 

      Le convoi se forme; les GMC, une bonne vingtaine, se rangent les uns derrière les autres, un half-track en tête du convoi, un autre fermant la marche. L’agitation est importante. Les légionnaires sont arrivés. Assis sur les banquettes des camions, nous regardons ces derniers dresser leurs tentes à l’emplacement de ce qui fut notre camp pendant de si longs mois. Je n’ai pas le réflexe de prendre quelques photos; tant pis, tout s'enregistre dans ma mémoire. Ces mois passés dans cette région saharienne nous auront marqué à jamais. On conservera de bons et de mauvais souvenirs. Ces derniers s’atténueront au fil des ans pour le plus grand bénéfice des moments heureux, des moments de franche rigolade dans l’insouciance de nos vingt ans.

       Avant que le convoi s'ébranle, fait inattendu, une section de légionnaires, en tenue d'apparat, nous présente les armes. Venant d'eux, nous le ressentons comme un honneur. Il est vrai aussi que nous ne pensons pas avoir démérité au cours de ces longs mois passés dans le sud oranais. Le convoi s’ébranle. Un dernier regard sur le douar (le ksar...) de Bou Semghoun, sa palmeraie, ses dunes de sable ocre. A savoir si les habitants de ce douar vont conserver un bon souvenir de notre passage dans leur région? Après tout, nous ne sommes qu'une troupe d'occupation...Ils seraient même en droit de nous faire des reproches: celui de les avoir poussé à s'opposer aux fellaghas, leurs compatriotes, alors que la France s'apprête à les 'lâcher', comme elle l'avait fait pour certaines populations du Viet-Nam....

 

       En cours de route, on restera silencieux, mais on aura le temps de voir défiler devant nos yeux, les  djebels Tanout et Taméda, ces chaines de montagnes qui nous ont tant fait ‘suer'. Tout cela est bien derrière nous maintenant et nous partons sans aucun regret. On a exécuté ce qui nous avait été demandé de faire et nous avons eu nos morts et nos blessés. On n’a rien à se reprocher.

      Dans très peu de temps, pour moi comme pour quelques autres, moins de cent jours pour la Quille. Mais il va falloir s’armer de patience pour vivre de notre mieux ces quelques dizaines de journées. Et la région où nous allons nous installer risque de nous réserver bien des surprises. Nous arriverons à Aïn Sefra en fin de soirée.

 

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Samedi 18 Mars   : Départ à 5 heures pour un parcours qui sera long, près de 600 kilomètres, et au cours duquel, quelques haltes seront nécessaires.

 

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                         La route sera longue et quelques haltes seront nécessaires pour franchir près de 600 kilomètres.

 

      Nous traverserons bien des villages et villes, telle Tlemcen qui nous rappellera de bons mais aussi un mauvais souvenir, celui de l'adieu à notre copain DUBOIS. Le convoi continue sa route en direction du Maroc, pour arriver enfin  à Marnia, une petite ville frontalière. Une halte y est faite. En face, la ville d’Oujda, en territoire marocain, à quelques kilomètres. Marnia serait-elle notre destination ?

 

      Non, le convoi redémarre...nous n’avons pas vocation à bivouaquer dans des villes ou des villages, ce serait trop beau...Le convoi roule maintenant en direction du sud et parait longer le réseau électrifié mais il nous est impossible de se repérer convenablement. Finalement, c’est en pleine nature, dans les monts de Tlemcen, à une trentaine de kilomètres au sud de Marnia que le convoi s’arrêtera. Là, au moins, nous ne serons pas dépaysés...Une plate-forme de terre battue existe déjà, certainement utilisée jusqu’à ce jour par une autre unité opérationnelle.

 

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        L’emplacement, nu de toute présence y compris d’arbres, se situe en bordure même de la petite piste qui nous y amène. Nous sommes à Béni Abir, avec, comme voisin immédiat, la 2ème Compagnie du 1er bataillon du 22è RIMa, qui tient le barrage sous sa 'protection' devant nous à quelques kilomètres. Notre première nuit se passera couchés à même le sol car, arrivés à la nuit, nous n’aurons pas le courage de récupérer nos lits de camp dans un des GMC d'accompagnement. Les horaires de garde établis, l’extinction des feux se fera très rapidement avec un moral au plus bas…

 

          "Le lendemain 18 mars, nous filions vers le nord par l'itinéraire habituel: le Kreider, El Aricha, Sebdou. Là, le convoi obliqua vers le Maroc et franchit les monts de Tlemcen par le Ras Asfour, un éperon qui surplombe Oujda. Pendant quelques kilomètres, la route suivait le barrage électrifié. Ma Compagnie devait s'installer à Béni Abir, dans le Ghar Ghoubane, au fond d'une vallée très verte dominée par des sommets de 800 à 1300 mètres. Les pentes étaient couvertes de maquis et de bois de pins. Toute la population avait été évacuée sur une bande d'une dizaine de kilomètres: nous étions sûrs que tout individu surpris dans cet espace était pour le moins suspect de sympathie pour les rebelles...Sur un éperon surplombant une étroite vallée, nous découvrîmes un espace arasé d'environ 1500 à 2000 mètres carrés, avec quelques emplacements bétonnés indiquant où devaient être montées les tentes '56' et un piquet portant un fil téléphonique. Du hameau de Béni Abir, altitude 704 mètres, il ne restait que des pierres éparpillées et un pan de mur...( "Soldat de la guerre, soldat de la paix" par le général Jean SALVAN).

 

Dimanche 19 Mars   : Réveil dès le petit jour; le travail ne devrait pas nous manquer tout au long de cette journée...Montage des tentes en priorité, sous un léger vent. Elles seront rassemblées par trois pour recevoir une section entière. Les affaires personnelles et militaires rangées, les hommes sont requis pour diverses corvées.

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                         Les cuisines ultra-modernes de Béni Abir et, malgré ce, le sourire...

 

        Celle de ravitaillement à Marnia, d’installation des cuisines pour éviter de se rabattre sur les rations de combat, d’installation du mess des officiers et sous-officiers, corvée d’eau, montage de la tente abritant le secrétariat du capitaine, montage des tentes réservées aux officiers et sous-officiers, etc.

        L’après-midi, nous partons en reconnaissance des futurs emplacements des lignes de bouclage à installer sur des crêtes de colines. Le bouclage est une opération qui consiste à isoler un secteur suspecté d’abriter des combattants de l’ALN. Ici, nous aurons à faire à des soldats de l'ALN ('Armée de Libération Nationale'), qui cherchent à passer le réseau électrifié frontalier, dans un sens comme dans l'autre. Pour en revenir aux 'bouclages',  tandis que les ’marges’ seront verrouillées par des unités, d’autres ratisseront méthodiquement le secteur isolé afin d’accrocher l’ennemi.

       Au camp de Bou Semghoun, nous étions éloignés de quelques bonnes dizaines de kilomètres du réseau frontalier. Ici, nous sommes positionnés en bordure de celui-ci. En cas de franchissement de ce barrage par les soldats de l’ALN, nous ferons partie des troupes dites 'de secteur' qui seront en première ligne lors des opérations de ratissage. Notre unité prend de l’importance. En tant qu'appelés, nous n'en demandions pas autant...

 

Lundi 20 Mars   : Poursuite des travaux d’aménagement du campement et de ses abords. Construction d’un bâtiment pour le logement des cuisines et construction de murettes en pierres tout le long des tentes pour se protéger d’éventuels tirs d’armes à feu. Pas mal d'efforts car les pierres ne se récupèrent pas facilement.

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     Depuis notre arrivée, le temps n’est pas très beau; soleil le matin, ciel nuageux en cours d’après-midi, et généralement pluie fine ou parfois forte...en fin de soirée. Malgré ce, le climat parait plus acceptable que dans le sud. Nous n’aurons plus à supporter le sirocco avec ses petits inconvénients. Quant à la chaleur, on verra bien...

 

Mardi 21 Mars   : Poursuite des travaux d’aménagement du camp.

 

Mercredi 22 Mars   : Reconnaissance de terrain le matin et fouille d'un djebel de 1300 mètres d'altitude. Repérage des emplacements destinés au bouclage des secteurs.

 

          "Je dis à mes chefs de section: "On doit arriver à occuper ce bouclage en moins de 30 minutes; dès l'alerte, vous saisissez le sac, qui devra toujours être prêt et à la même place, l'arme et les munitions, et vous finissez de vous habiller dans les camions, pour les 3è et 4è section, ou bien en arrivant sur vos emplacements pour la 1ère section qui les rejoindra au pas de gymnastique. Nous ferons des exercices d'alerte à partir de demain, donnez vos consignes à chacun de vos hommes!". J'avais à peine terminé qu'une tempête de vent et de pluie se déchaina. Des tentes se déchirèrent, mais la mienne résista. Mes pauvres Marsouins, dans le noir, essayaient de s'abriter sous leurs tentes individuelles. Nous pataugions dans une boue digne des tranchée de 14-18!". ( "Soldat de la guerre, soldat de la paix" par le général Jean SALVAN).

 

 

 

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Un instant de détente sur un des bouclages affecté à notre section.

 

     Casse-croûte pris sur le tas puis fouille d’oueds l’après-midi. La végétation est très importante: beaucoup de chênes verts et de pins, dont la hauteur dépasse les trois à quatre mètres, et les taillis sont épais à leurs pieds. Il n’est pas facile de ‘voir’ à moins d’être très proche et les fouilles se font non sans mal.

 

Jeudi 23 Mars   : Patrouilles de reconnaissance le matin et retour sous une légère pluie. L’après-midi, poursuite des travaux d’aménagement du camp.

 

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                         Le long de la piste, en bas du camp, il y a un oued où ruisselle l’eau.

 

          Nous allons y laver notre linge et faire notre toilette. C’est la douche vivifiante en plein air, à poil, sans aucune gêne. On taquine nos collègues musulmans qui se rasent le pubis. Et plus en aval, des trouffions ou des gens du pays recueillent l’eau de l’oued pour leur toilette ou leur boisson…mais, de cascades en cascades, l’eau a eu le temps de se purifier…Et en amont de l’oued, cela doit-être pareil…

 

Vendredi 24 Mars   : Corvées diverses tout le jour.

 

Samedi 25 Mars   : Corvées diverses et revue d’armes.

 

Dimanche 26 Mars   : Opération dans notre secteur. On découvre des grenades dans une cache. Dans ces monts si touffus, pas facile de s'y retrouver. 

 

Lundi 27 Mars   : Section de jour.

 

Mardi 28 Mars   : Corvées diverses le matin. L’après-midi, fouille et ratissage de talwegs.

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                         Les sections partent se positionner sur leurs emplacements respectifs.

 

Mercredi 29 Mars   : Corvées diverses et repos. Le capitaine SALVAN est parti en permission et ne reviendra qu’aux environs du 20 Avril. C’est le lieutenant PINVIDIC, un lieutenant d'active, qui le remplace provisoirement.

 

Jeudi 30 Mars   : A  4 heures du matin, alerte sur le réseau électrifié. Ce n'est plus un exercice...

 

         Cette alerte signifie qu’il y a coupure de la 'barrière électrique' et donc, possible passage de soldats de l'ALN. Les sections de la Compagnie partent immédiatement se positionner sur les emplacements qui ont fait l'objet de plusieurs reconnaissances et exercices. 

 

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Avec BENOIT qui sera blessé et rapatrié en France quelques jours plus tard.

 

        Les heures passent, dans l'attente d'informations sur ce passage. Positionnés au milieu de la végétation, on attend, sans impatience, l’arrivée de l'ennemi. A 13 heures, l'alerte est levée.  

 

Vendredi 31 Mars   : On nous fait procéder à de nouveaux aménagements dans le dispositif de bouclage. Cela consiste à creuser des emplacements individuels, 'Comme en 14...!'  diront certains, bien camouflés mais à la vue dégagée et le long des crêtes de bouclage. A 20 heures 30, notre nouveau commandant de Compagnie souhaite tester ce dispositif et vérifier nos réactions de nuit. Il n’est pas facile de retrouver ces emplacements dans l’obscurité mais nous y parvenons malgré tout. A 22 heures 30, le signal du retour est donné; on sera mieux dans nos lits...

 

Samedi 1er Avril   1961   : Poursuite des travaux d’aménagement du dispositif pour le rendre étanche à tous passages. 

 

Dimanche 2 Avril   : C’est Pâques. Aujourd’hui nous souhaitons fêter notre ‘Père Cent’, acte tout à fait symbolique mais qui revêt pour nous une importance capitale. 

 

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       Mais l’ambiance fait défaut malgré le ‘dévouement’ de quelques uns. En d’autres ‘situations’, ce 'Père Cent' aurait été fêté plus joyeusement. Mais là, dans cette unité où tout peut survenir d’un moment à l’autre, nous nous sentions freinés dans la manifestation de nos sentiments. Il suffisait de se remémorer la mort de nos copains pour appréhender les lendemains.

 

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       Le temps passé en opération ou autre ne nous permet pas d’être très souvent à l’écoute de nos transistors pour recueillir les informations politiques. Cependant, nous avons pu entendre, le jeudi 30 mars, que «…le gouvernement français annonce officiellement l'ouverture de pourparlers avec les représentants du GPRA...» (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne). Nous ne sommes pas opposés à ces pourparlers mais on souhaiterait ne pas faire partie des prochains morts d’une cause en voie de disparition. 

 

      Nous apprenons que notre libération, ceux de la classe 59/1A, se ferait entre le 17 juin et le 5 juillet. C’est bien loin et quelque peu vague comme date.   

 

Lundi 3 Avril   : Nous sommes en alerte depuis 1 heure du matin mais on ne nous demande pas de rejoindre immédiatement nos emplacements respectifs sur le bouclage.  D'après les informations qui nous sont données, une forte bande de soldats de l'ALN, évaluée à près de 70 hommes, aurait réussi, après avoir franchi le barrage, à pénétrer en territoire algérien. On suppose qu’à 'marche forcée', ils essayaient de gagner le plus rapidement possible les monts

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de Tlemcen pour y trouver momentanément une relative sécurité, d’autant plus facilement s’ils ont réussi à prendre contact avec leurs 'passeurs'.

       Le franchissement du barrage n’était pas chose aisé pour ces soldats. On ne peut franchir celui-ci qu’après avoir fait sauter les barbelés et les mines au moyen de tubes remplis d’explosifs, appelés ‘bangalore’, et sectionner la clôture électrique au moyen de grosses pinces coupantes à poignées isolantes. Le champ de mines est constitué d'un grand nombre de mines du type 'anti-personnel', 'bondissante' et surtout 'éclairante', ces dernières permettant de localiser immédiatement l’endroit exact du passage. Les pertes en vies humaines sont généralement sévères.

 

    'La technique utilisée par l'armée, est de détecter les rebelles avant même qu'ils n'atteignent le barrage et éventuellement, de les poursuivre après son franchissement. Des radars, couplés à des batteries de canons, permettent de détecter et de harceler les groupes rebelles. Des patrouilles de surveillance sont dirigées vers les lieux où sont supposés être les rebelles. Au milieu de 1957, on évalue une moyenne mensuelle de 2 000 passages et d'environ 1 000 armes entrées. De janvier à mai 1958, a lieu la 'bataille des frontières' . En quatre mois, l'ALN perd près de 4 000 hommes et plus de 2 000 armes. Les Français perdent près de 300 hommes. Les barrages électrifiés, aussi bien du côté marocain que tunisien, servent principalement à couper l'ALN en deux. Aucune aide militaire ne doit-être apportée de l'extérieur de l'Algérie vers des éléments rebelles situés à l'intérieur des frontières. Il s'agit-là de contenir une pression armée de l'ALN estimée à 10 000 hommes'. ('En Algérie - Barrages électrifiés').

 

       Dès 8 heures, nous partons rejoindre nos emplacements de bouclage et y restons toute la journée. Au cours de celle-ci, nous apercevons le piper d’observation qui tourne inlassablement au-dessus de nous, prêt à signaler tout mouvement suspect. La nuit se passe sur le terrain, en surplomb d’une immense cuvette où le commandement suppose que les soldats de l'ALN se cachent.

 

       Un avion de la marine nous apporte son soutien tout au long de la nuit en lâchant des lucioles. Celles-ci sont des petites bombes éclairantes, suspendues à des parachutes, larguées à une certaine altitude qui, descendant vers le sol tout en planant lentement, diffusent pendant plusieurs minutes une lumière très importante. Les lucioles se  succèderont toute la nuit et parsèmeront la végétation de tâches claires. On y voyait presque comme en plein jour. Mais nous n’observerons aucun mouvement suspect permettant de confirmer les soupçons. 

 

         'Le mois d'avril 1961 va être exceptionnellement fertile en évènements et émotions fortes. La série commence dans la nuit du dimanche au lundi de Pâques, celle du 2 au 3. S'imaginant sans doute pouvoir bénéficier d'une vigilance amoindrie au soir d'un jour de fête, les fells franchissent le barrage du côté de Deglène, un important Poste français perché sur un piton.

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            Ce 3 avril, à Béni Abir, l'alerte est déclenchée tardivement. De toute façon, il ne semble pas y avoir urgence car l'ordre d'embarquer dans les camions n'est donné qu'à 9 heures 30. Le convoi grimpe une piste en lacets, passe le col de Témassert, et arrive sur un plateau où est installé le PC du Bataillon. Débarquement général; les 1ère et 3ème sections sont disposées en bouclage sur le bord sud d'une sorte de petite vallée aux pentes abruptes, rocailleuses et boisées, qui a pour nom le 'Chabet Ali'. Moi, avec la 4ème section, je suis tenu en réserve sur le plateau. 

             Au début de l'après-midi, nous parviennent des profondeurs du talweg, les échos d'un très violent feu d'armes diverses. Aussitôt, je reçois l'ordre de venir avec mes hommes pour renforcer le bouclage. De ma nouvelle position, sur le dessus d'une falaise presque à pic, je parviens à distinguer le lieu de l'affrontement, à environ deux cents mètres, sur le versant gauche de la grande faille, dans un espace où arbres, arbustes et blocs de rochers sont assez nombreux. Une katiba (Compagnie de l'ALN) est venue buter là, n'ayant réussi à parcourir qu'une dizaine de kilomètres en territoire algérien après avoir franchi le barrage électrifié. Sans doute a-t-elle été handicapée dans sa progression nocturne par une lune masquée.

               Après un temps de station passive, le lieutenant PINVIDIC me confie une nouvelle mission:

          'Prenez tous vos voltigeurs, laissez les pièces ici, et allez ratisser la zone de combat. Le commando qui a accroché, a peut-être besoin d'aide pour transporter des  blessés.

               Je procède comme il m'a été demandé et, sans faire la moindre trouvaille, parviens au contact de la troupe de choc dont les hommes sont encore occupés à fouiller. A l'entour, des corps vêtus de treillis vert olive, sont étendus, sans vie, visage tourné vers le ciel ou le nez dans la caillasse, allongés par-dessus un bloc de roche ou au pied d'un bosquet. Bilan du combat : 21 morts et 19 prisonniers chez les fells, quelques blessés pour le commando qui a fait preuve d'une écrasante supériorité face à une 'bleusaille' inexpérimentée, hier encore encasernée au Maroc. Le chef de la katiba, fait prisonnier, est assis sur un rocher, complètement anéanti moralement.

                Mais l'affaire n'est pas terminée car le compte n'est pas bon: 21 morts et 19 prisonniers ne représentent pas l'effectif d'une katiba, même allégée. Le reste, qui devait constituer l'arrière-garde, a dû rebrousser chemin dès les premiers coups de feu et se mettre à couvert. Pour l'empêcher de s'échapper, notre 2ème Compagnie est envoyée barrer la sortie de la vallée, à 1500 mètres de là où nous sommes.

                Les deux heures de clarté qui subsistent avant la nuit, sont employées à enserrer toute la faille où s'est produit l'accrochage, dans un dense bouclage de forme elliptique, long d'environ 1500 mètres et large de moitié. Avec les nombreux renforts arrivés, le filet ainsi tendu comporte des mailles si étroites que, dans les endroits au relief tourmenté, les petits postes de surveillance mis en place, sont à peine distants d'une vingtaine de mètres les uns des autres. Il semble impossible que le 'poisson' puisse s'échapper à la faveur de l'obscurité sans se faire repérer. D'ailleurs, toute la nuit, des 'avions lucioles'  vont se relayer au-dessus de la zone investie pour larguer des fusées éclairantes, assurant en permanence un éclairage à giorno. Le spectacle est féérique, digne d'un 14 juillet, mais il est bien difficile de fermer l'oeil'. ('L'Impossible Challenge' - Mémoires inédits- par René CARARO - Ancien adjudant à la 2ème Compagnie du 8ème RIMa).

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Mardi 4 Avril   : Dès le lever du jour, nous entreprenons la fouille de la cuvette.

 

       La végétation est importante et il n’est pas facile de pénétrer dans l’épaisseur des taillis, là où certainement doivent se cacher les hommes que nous recherchons, lesquels souhaitent évidemment ne pas se manifester, ce qui parait être leur strict intérêt. Les parachutes reposent, accrochés aux arbres. J’en récupère un avec ses suspentes. Je l’ai gardé quelques temps à la maison en souvenir…Nous ne voyons toujours rien. Encore une fois, auront-ils réussi à nous fausser compagnie?

 

        D’autres seront plus chanceux…façon de parler…Nous apprenons qu'au cours de la journée, un commando de chasse a accroché une partie de la bande. Il y aurait 21 tués et 17 prisonniers chez les rebelles. Mais le compte n’y étant pas, des rebelles sont donc encore dans les parages. Les pertes, dans le commando, ne sont pas citées mais nous supposons qu’il doit y en avoir, la ‘casse’ ne pouvant malheureusement être uniquement d’un seul côté. Le soir, la fatigue est présente. Nouvelle nuit passée en bouclage sur le terrain, sans pouvoir fermer les yeux...

 

           'Au petit matin du 4 avril, arrivent des avions de chasse, nos amis les T 6, ainsi que quelques bombardiers légers B 26. Ces appareils, lancés dans une ronde infernale, prennent l'un après l'autre le talweg en enfilade, larguant au passage roquettes, napalm, faisant feu de toutes leurs mitrailleuses, sur des objectifs à priori, et amorcent finalement une ressource pour éviter d'aller s'écraser contre la muraille qui ferme le couloir à l'autre bout.

           La végétation brûle, une fumée épaisse s'élève. Lorsqu'elle s'est un peu dissipée, le moment est venu pour la 2ème Compagnie de démarrer le ratissage, une section sur le versant sud, une autre sur le versant nord, et la mienne au milieu, dans la partie la plus basse du talweg, à cheval sur un lit d'oued où coule un filet d'eau. La tension monte chez mes gars, au rythme de la progression. Tout en me disant qu'avec ce qu'ils viennent de prendre sur la figure, les fells ne doivent plus être très saignants, je guette de tous mes sens le premier coup de feu. Nous nous heurtons à un fouillis d'arbustes, avançons lentement, avec minutie, de groupe d'arbres en bosquet, de rocher en rocher. Nous arrivons à l'endroit où l'aviation s'est particulièrement acharnée: pas le moindre cadavre de fell, aucun matériel abandonné, seulement des impacts de roquettes, des perches de bois noircies par les flammes et encore fumantes. Le grand cirque n'a servi à rien. Même constatation jusqu'au lieu de l'accrochage de la veille où se termine notre ratissage. La tension tombe brutalement et fait place à un agréable soulagement mêlé de surprise. Mais où sont donc passés les fells?'. ('L'Impossible Challenge - Mémoires inédits' par René CARARO, adjudant à la 2ème Compagnie du 8ème RIMa).

 

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Mercredi 5 Avril   : Les fouilles et ratissages se succèdent sans interruption.

 

  Petite pause dans un sous-bois.

 

       Nous apprenons que dans la journée, des fellaghas ont été mis hors de combat par d’autres sections de la Compagnie. Malgré l’importance de l’opération en cours, nous recevons l'ordre de rentrer au camp. Le commandement s'est-il rendu compte de notre état de fatigue? Nous arrivons au camp à 21 heures, très fatigués et avec beaucoup de retard de sommeil.

 

Jeudi 6 Avril   : Dès 7 heures du matin, nous sommes en tenue de combat et attendons, sur la DZ, en contrebas du camp, les hélicos qui doivent venir nous prendre. Héliportés sur un sommet, nous n’aurons plus qu’à ratisser en direction des parties basses ; ce sera moins fatigant…A 8 heures, les hélicos nous prennent en charge.

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                         Sans le savoir, je vivais-là mon dernier héliportage opérationnel.

 

       Par expérience, on sait que les éléments de l'ALN ne restent pas inactifs et qu’ils essaient de prendre contact avec leurs ‘passeurs’, des fellaghas connaissant parfaitement cette région boisée, afin de leur permettre d’évacuer au plus vite cette zone devenue trop problématique pour eux. Les troupes au sol ne leur laissent aucun répit. Depuis le franchissement du barrage, qui leur a laissé très certainement un goût amer, ils n’ont guère dormis et sont aussi fatigués que nous sinon plus. Pour échapper aux différents ratissages dont ils font l’objet, ils se sont plus ou moins dispersés dans cette région, qui leur est totalement inconnue et, maintenir le contact entre eux est chose peu aisée. Par ailleurs, les prisonniers ont certainement donné des informations qui permettent de modifier et d’ajuster la position des troupes au sol.

 

        "La zone interdite devant le barrage était régulièrement ratissée par des patrouilles à pied. Ces investigations appelées 'lessivages', avaient pour but de déceler les traces de passage, les éventuels emplacements de tir préparés quelques heures avant, et de rechercher les mines posées par les rebelles.

             Chaque nuit, des embuscades étaient tendues en avant du barrage sur les cheminements habituels des rebelles ou sur la piste technique, aux endroits les plus favorables à un sabotage ou un franchissement, particulièrement aux passages des oueds, souvent situés hors de la vue directe des Postes militaires". ('Origines et évolutions du barrage électrifié').

 

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       C’est un véritable jeu de 'cache-cache' qui s’installe au milieu de ces fourrés, ces taillis et ces chênes verts. Nous n’avons pas toujours connaissance de ces drames qui se déroulent autour de nous, mais nous avons conscience des éventuels dangers qui peuvent survenir à tout moment.

 

       Et notre section finit par accrocher un groupe de rebelles en ratissant un talweg. Cela c’est passé très rapidement et les témoins de ces combats individuels sont fort peu nombreux. Aucun des acteurs n’a le temps de faire appel à un copain et chacun doit régler son problème comme il l’entend, en mettant tout en œuvre pour éviter d’y laisser la peau. Cet accrochage s’est passé dans le Chabet Assilef, secteur frontalier de Marnia. Cinq rebelles sont tués et trois faits prisonniers. Nous comptons un blessé parmi nous, CADOUR, qui sera atteint par une rafale de pistolet-mitrailleur à l'épaule gauche. 

 

           L'adjudant CARARO, notre chef de section, en fait le récit suivant:

 

          "Dès le lendemain 6 avril, un groupe de cinq ou six hélicoptères Sikorski vient, à 8 heures, se poser au bas de chez nous, sur un bout de prairie presque plat, en bordure du petit oued Sidi Merlouf, notre 'fournisseur' d'eau. Deux sections dont la 4ème (la mienne) et le groupe de commandement, embarquent pour un voyage aérien de quelques minutes. Le largage a lieu sur une hauteur, à proximité de la cote 1147.  

           Le lieutenant PINVIDIC appelle les deux chefs de section et leur expose la mission du jour. Il s'agit d'un nouveau ratissage dans ce qui a pour nom le Chabet Assilef, un thalweg relativement peu encaissé, assez long. Sa principale particularité est d'être parallèle au Chabet Ali, celui où s'est déroulé le combat du 3, dont il n'est distant que d'un kilomètre et séparé que par une élévation de terrain culminant à une altitude moyenne de 1100 mètres. 

            Au démarrage, ma section est déployée sur presque un kilomètre tout en haut d'une vallée, le long d'une ligne de crête dénudée. Le terrain à explorer, en descente prononcée, ne comporte en effet que quatre minuscules plis du sol, de la pierraille et un peu d'herbe où il est impossible à un fell de se dissimuler. Les liaisons entre mes différents éléments se font aisément, à vue.

             Arrivés presque au bas de la descente, je resserre le dispositif conformément aux ordres du lieutenant PINVIDIC. Devant nous le paysage devient en effet plus tourmenté et légèrement boisé. En outre, se dessine un lit d'oued à sec et assez broussailleux. La fouille de ce dernier et de l'immédiate rive droite est confiée à l'équipe du caporal BELIME, celle de l'immédiate rive gauche au caporal-chef HENRI. Je me tiens sur le versant gauche, à une cinquantaine de mètres au-dessus d'eux, de façon à pouvoir observer en permanence leur progression. Avec moi, trois ou quatre anciens constitués à mon initiative en une bien modeste équipe de commandement. Les deux pièces d'AA 52 de ma section sont étagées en hauteur, sur ma gauche. Le versant droit de la petite vallée est seulement occupé par le lieutenant PINVIDIC et sa douzaine de gardes du corps et radios. De ce côté-là en effet, il n'y

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a rien à ratisser, les vues sont dégagées, la marche aisée dans l'herbe qui arrive tout juste à mi-mollet.

              A mesure qu'approche la sortie de la vallée, mes deux équipes qui crapahutent dans les profondeurs trouvent sur leur chemin des bosquets de plus en plus touffus et volumineux. Le lit d'oued suivi prend corps, gagne progressivement en largeur et profondeur, devient sinueux, la pente se faisant presque nulle par endroits. BELIME et ses hommes arrivent à proximité d'un confluent particulièrement riche en broussailles et herbes hautes. Là, un affluent descendu du versant droit apporte une solide contribution au cours principal. Et soudain, un cri, ponctué d'un coup de fusil: 'Mon adjudant, ils sont là!' crie BELIME. 

              Agenouillé derrière un rocher, j'ai beau scruter les buissons en contrebas, je n'aperçois que le caporal et ses hommes. A côté de moi, GALEAZZI a meilleure vue: 'J'en vois un mon adjudant!'.

                'Tire-lui dessus pour me montrer la direction!'. Mon gars s'exécute, attirant immédiatement la réplique, une rafale de pistolet-mitrailleur qui passe au-dessus de nos têtes. Emporté par mon tempérament, je m'agite un peu plus que nécessaire , avec une seule idée en tête: 'En finir rapidement avant que l'adversaire ne se ressaisisse'.  

                  Tout va très vite alors. Le lieutenant PINVIDIC me contacte par radio et je lui précise la position des fells: 'Par rapport à votre axe de marche, vous faites un 'à gauche' pour regarder en direction du fond de l'oued, là où il y a un confluent avec des buissons. Ils sont embusqués la-dedans, à environ quatre vingt mètres de votre position actuelle.

                Le lieutenant ne saisit pas immédiatement et me fait répéter. Enfin, je le vois dégainer son pistolet, dévaler seul la pente sur son versant et foncer tête baissée dans un bosquet où il se trouve aussitôt nez à nez avec deux rebelles. Dans un réflexe de félin extraordinaire, il abat le premier à bout portant, puis le second qui a le temps de lui lâcher une rafale au ras des moustaches, évitée de justesse par un brusque écart qui l'envoie se griffer profondément toute une moitié du visage sur un arbuste épineux.  

                  Surpris par cette attaque à revers, un troisième fell reflue du buisson, recule lentement vers le fond de l'oued en me présentant son dos. Quelle belle cible! Malgré la distance, soixante mètres environ, je vide sur l'homme, sans que cela semble l'incommoder, un chargeur complet de pistolet.  

               C'est alors qu'intervient le caporal-chef HENRI. Chargé de ratisser l'immédiate rive gauche, en liaison avec l'équipe BELIME, il a pris un peu d'avance, passant à côté du confluent sans rien voir. Faisant demi-tour, il arrive à la rescousse juste au moment où je finis de vider mon chargeur. Protégé derrière une petite butte, il se met à assaisonner  de courtes rafales de PM le fell qui tend le dos. Ce dernier commence à vaciller, lâche son arme et lève les bras, trop tard.

               Le feu se calme. Une dernière rafale part des buissons et, derrière moi, CADOUR crie, son bras gauche levé vers le ciel: 'Mon adjudant, je suis blessé!'. Ce n'est pas grave, deux balles dans le gras de l'épaule. CADOUR, malgré son nom, c'est un gars bien de chez nous, avec des cheveux rouquins et un teint rose, originaire des Vosges.

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               Du lit de l'oued complètement à sec, profond d'environ un mètre cinquante, envahi par de hautes herbes, se dresse soudain, juste à mes pieds, un fell désarmé qui lève les bras. 'Où est ton arme?'. Le lascar ne semble pas comprendre le français et ne répond pas. 'Ton PM?'. A ce mot, il fait un signe du menton et me montre du doigt le fond de l'oued. 'Bon, va le chercher!. Un instant plus tard, il ressort du trou en tendant un superbe Sturmgewehr (fusil d'assaut) tout neuf, avec un long chargeur en forme de croissant de lune fixé par le dessous. 

          GALEAZZI, à côté de moi, pointe son arme. 'Mais non petit, c'est fini maintenant. Nous n'avons pas eu de casse et c'est bien comme cela'. Ce disant, je me suis posté face au rebelle, à le toucher de ma poitrine, les bras en croix, pour le protéger de mon corps. L'homme, un jeune d'une vingtaine d'années au visage imberbe et assez fin, m'a alors adressé un pâle sourire de reconnaissance. Qu'est-il devenu? Est-il encore en vie?

          Depuis le cri initial de BELIME, il s'est écoulé un quart d'heure environ. Notre bilan, sans être comparable, et de loin, à celui réalisé par le commando le 3 avril, est loin d'être négligeable. Les soldats de l'ALN du Maroc sont envoyés au casse-pipe avec un rude chargement, transportant deux armes chacun, dont l'une de poing, pour équiper les maquis de l'intérieur et les terroristes des villes.

            Voici en détail le résultat de notre intervention:

-pertes rebelles en personnel : 5 morts et 3 prisonniers,

-armement et munitions récupérés : 1 fusil-mitrailleur de fabrication espagnole,

                                                                  3 fusils d'assaut Sturmgewehr,

                                                                  4 fusils de guerre Mauser,

                                                                  4 pistolets P08,

                                                                  des poignards,

                                                                  4000 cartouches et 2 douzaines de grenades défensives quadrillées.

             Et nous ne déplorons qu'un blessé par balles, CADOUR, et un autre sérieusement griffé au visage par des épines, le lieutenant PINVIDIC, dont l'état n'entraîne toutefois aucune incapacité temporaire". ("L'Impossible Challenge - Mémoires Inédits' - par René CARARO, ancien adjudant à la 2ème Compagnie du 8ème RIMa).

 

                 On constate qu'il s'agit-là de 'réguliers', contrairement aux maquisards des djebels qui portent des tenues vestimentaires disparates. Ils sont vêtus de treillis vert-olive, coiffés de la casquette et très bien armés. Tous disposent d’une arme individuelle, associée à une arme de poing, de fabrication généralement allemande, d’un poignard à l’effigie de l’ALN et de grenades. Je me souviens d’un prisonnier qui présentait la pommette droite un peu tuméfiée

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par un coup de poing, donné par l’un d’entre-nous, pressé de lui faire avouer où se cachaient ses copains. Ce fut la seule torture appliquée à ce prisonnier...

 

        Après ce fut la fouille des tués et des prisonniers. Certains firent main-basse sur l’argent, d’autres souhaitèrent récupérer un poignard ou un revolver, en souvenir d’une campagne…mais ce fut plus difficile. Les pièces d’identité sont données au chef de section. Dans ces taillis tout autour de nous, il devait bien y avoir d’autres soldats cachés, observant la fin tragique de leurs compagnons mais, malgré une nouvelle fouille du secteur, nous ne verrons rien. En fin de soirée, nous rentrons au camp.

 

Vendredi 7 Avril   :    Le temps est nuageux et la pluie fait son apparition en fin de matinée, annulant tout nouveau projet opérationnel...Nous sommes au repos forcé. Les rebelles survivants ont certainement apprécié cet intermède. En fin de soirée, le sol est transformé en véritable bourbier autour des tentes.

 

Samedi 8 Avril   : Corvées diverses le matin et fouille d’oueds l’après-midi.

 

Dimanche 9 Avril   : Opération de ratissage et de fouille d’oueds tout le jour. Retour au camp à 17 heures.

 

Lundi 10 Avril   : Section de jour.

 

             "Comme je partais le lendemain 28 mars en permission pour quinze jours, je passai les consignes à PINVIDIC. Le 10 avril, je reçu une longue lettre de ce dernier. Entre le 3 et le 9 avril, la Compagnie avait accroché une katiba à trois reprises dans le Chabet Ali et le djebel Maadène, suite au franchissement du barrage ouest par les rebelles le jour de Pâques. Le bilan était impressionnant: un fusil-mitrailleur Oviedo, plusieurs Sturmgewehr, des fusils de guerre, des pistolets P 08. Le Marsouin CADOUR avait été légèrement blessé, l'adjudant CARARO, le caporal BELIME et le caporal-chef HENRI s'étaient magnifiquement comportés. J'en fus tout heureux pour PINVIDIC. Le travail effectué depuis six mois avait fini par payer, et c'était en partie le sien, car il m'avait remarquablement épaulé". ("Soldat de la guerre, soldat de la paix" par le général Jean SALVAN).

 

 

 

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Le michouÏ préparé par nos copains musulmans.

 

Mardi 11 Avril   : Aménagement de nouveaux emplacements de bouclage. Ce jour-là, à la radio, notre Président Charles de Gaulle, parle de l’Algérie comme d’un Etat souverain. D’une seule voix, nous dirons : 'Vivement que cela finisse et qu'on rentre chez nous'.    

 

Mercredi 12 Avril   : La section est de Jour. Nous procédons à des exercices d’alerte entre 21  et  23 heures.

 

Jeudi 13 Avril   : Ratissage d’oueds et fouille de secteurs boisés. Les Quillards de la 58 2/C ont quitté la Compagnie ce matin. Ils embarqueront le 17 avril au soir pour la France. Nous les envions terriblement…Maintenant, j’ai droit au statut tant enviable de 'libérable'.

 

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Vendredi 14 Avril   : Section de jour.

 

Samedi 15 Avril   : Reconnaissance d’un nouveau bouclage le matin et ratissage d’oueds l’après-midi. On finira bien par leur tomber à nouveau dessus…sans le vouloir...

 

Dimanche 16 Avril   : Notre section est autorisée, pour la première fois depuis notre installation dans ce secteur frontalier, à se rendre en permission à Marnia.  

 

        Nous y sommes allés en tenue de combat avec les armes. Je n’ai, de cette journée, que le souvenir assez vague d’ailleurs, d’un repas pris dans un restaurant. Une petite salle, les tables prises d’assaut, l’arme suspendue par la bretelle à la chaise, le verbe haut, les rires, les plaisanteries, la joie d’être rendu à la ‘vie civile’ ne serait-ce que pour quelques heures, la chaleur déjà étouffante et la vue sur la rue principale de ce gros village par les fenêtres ouvertes. En arrivant au camp, on était très joyeux…Les petits verres, avec la chaleur, avaient fait leur effet.

 

         'C'est en 1845, le18 mars, que fut signé entre l'Empereur Napoléon III et le sultan du Maroc, le traité de 'Lalla Marnia' qui fixa la frontière entre l'Algérie et le Maroc'. Depuis l’indépendance de l'Algérie, Marnia s’appelle ‘Maghnia’.

 

Lundi 17 Avril   : Reconnaissance de piste le matin. Une petite vingtaine de kilomètres sans plus avec un retour à 13 heures. L’après-midi, sieste pour certains et lavage du linge pour d’autres. 

 

Mardi 18 Avril   : Le matin, inspection de paquetage et de détail. Au cours de l’après-midi, nous avons l’incontournable revue de notre armement. 

 

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                         Après, c'est la pose-café pour certains...tel ce brave CADOUR.

 

       Je suis nommé caporal-chef depuis le 1er Avril. J’ai déjà eu la réflexion de l’adjudant de Compagnie BENADEN pour retard apporté à coudre mon nouveau  galon sur la veste de treillis. Par contre, depuis cette date, je mange au mess, à la table des sous-officiers. Une autre table est réservée aux officiers.

 

        Et depuis, je mange, assis sur une chaise et non à califourchon sur mon lit Picaud, mes avant-bras s'appuient sur une table et non sur une valise, dans une assiette en porcelaine (même si elle n'est pas de Limoge) et non dans une gamelle en alu. J’ai serviette, cuillère, fourchette et couteau, un verre et non un quart culotté au pinard, au café, et noirci par le feu de bois. C’est propre, on mange correctement, le vin et l’eau sont présentés dans des carafes. A la fin du repas, on déguste le café tranquillement...Le serveur est un ancien de la section, un marseillais dénommé SGARITO Giovanne; je reste un peu en famille…Il est vrai qu'il y avait une différence sensible entre les gradés et les autres…dont j'ai fait partie pendant 24 mois. Mais, je n'oublie pas que des capacitées physiques et intellectuelles sont requises et indispensables pour obtenir des galons. Chacun à sa place, sans amertume, et bien content d'en avoir un peu profité.

 

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Mercredi 19 Avril   : Section de jour. Comme d’habitude, nous sommes astreints aux corvées diverses.

 

Jeudi 20 Avril   : Ratissage et fouille d’oueds. Une bonne vingtaine de kilomètres dans ces fourrés, ces maquis sauvages. Ces oueds, avec leur végétation importante, offraient de formidables caches aux rebelles. La chaleur se fait sentir et la fatigue aussi...Retour au camp à 12 heures. 

 

 Vendredi 21 Avril   : Ratissage et fouille d’oueds le matin. Encore des kilomètres de marche pénible dans ces fourrés, ces futaies, sous le couvert des pins et des chênes verts. Retour au camp à 12 heures. Repos l'après-midi. 

 

Camp de Béni Abir.

 

         On est à la fin du mois d’Avril et il commence à faire chaud. On se doit de nettoyer plus souvent notre tenue de combat pour éviter les mauvaises odeurs dûes à la forte transpiration, laquelle laise des traces blanchâtres à certains endroits bien visibles de la tenue...Crapahuter le matin à la fraiche, cela peut être bon pour la santé. Avoir la possibilité de faire la sieste l’après-midi, c’est encore mieux…Combien de temps cela va- t-il durer encore?  

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19: B E N I A B I R 2.

19 ème   Chapitre   :     B E N I       A B I R       2.

 

Samedi 22 Avril   : Surprise: de bonne heure, à la radio, nous apprenons que dans la nuit, le 1er REP, sous les ordres du commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, s’est emparé des points stratégiques de la ville d'Alger, à savoir ; le Gouvernement général, l’Hôtel de ville, la Radio et l’Aéroport. Il y aurait comme un parfum de révolte...

 

         Les conséquences ne se font pas attendre au niveau de la Compagnie; nous sommes placés en alerte. L’ordre donné est de nous tenir prêts, avec sacs à dos et armes. Mais nous ne connaissons pas les projets du commandement. Doit-on nous amener à conforter le mouvement insurrectionnel qui se dessine, ou doit-on se préparer à le combattre?

 

        Notre capitaine SALVAN, de retour de France depuis très peu de jours, estime que « ce mouvement est voué à l'échec car les appelés 'ne marcheront pas', craignant d'être maintenus sous les drapeaux, d'être coupés de la Métropole alors qu'ils n'aspirent qu'à terminer leur service pour entamer une carrière professionnelle, se marier, avoir une voiture, partir en vacances et tourner la page de l'Algérie ». Il n'a certainement pas tort d'évoquer tout cela!

 

        Toujours à l’écoute de nos transistors, nous apprenons qu’il s’agit d’un coup d’Etat fomenté par des militaires de carrière avec, à leur tête, quatre généraux,

 

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     ‘…un quarteron de généraux à la retraite…’ dira plus tard le général de Gaulle, qui se nomment CHALLE, JOUHAUD, SALAN et ZELLER. Ces militaires semblent avoir déclenché cette opération en réaction à la politique du Président de la République et de son gouvernement, qu’ils considèrent comme '...une politique d'abandon de l'Algérie française'. 

 

        Il me semble que cette politique 'd'abandon' était bien connue de tous depuis le 'discours du 16 septembre 1959 du général de Gaulle évoquant dans celui-ci l'autodétermination pour la première fois'. Et ce discours, dans sa bouche, avait une portée non négligeable. Il ne faut pas oublier aussi que l'autodétermination est devenue une réalité depuis le Référendum du 8 janvier 1961. Conséquence: la large victoire du OUI ouvre la voie à l’indépendance de l'Algérie après sept années de guerre. Maintenant, c'est bien trop tard. Encore aurait-il fallu que l'armée s'y prépare autrement et pas uniquement qu'au niveau de quelques régiments...En attendant, le divorce semble bien engagé entre le gouvernement et une faible partie de l'armée mais, de cette affaire, de Gaulle, serein, déclarera, ce samedi 22 avril: 'Ce qui est grave dans cette affaire, messieurs, c'est qu'elle n'est pas sérieuse'. Le gouvernement, depuis quelques jours, était au courant, par ses réseaux de renseignements, des préparatifs du Putsch. Donc, pas de véritable surprise.

 

Dimanche 23 Avril   : Nous sommes toujours en alerte mais c’est toujours l‘attentisme chez nos gradés. Très peu d'information filtrent et nous supposons qu’ils doivent être, eux aussi, bien embarrassés. Nous ne savons que penser entre les informations données par la radio d’Alger placée entre les mains des insurgés et celles captées sur les radios nationales. Vivant dans le bled, en 'vase clos' pour ainsi dire, il nous est difficile de nous faire une opinion. Nous

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ne savons rien de ce qui se passe dans les autres unités toutes proches: sont-elles 'partantes' ou 'l'arme au pied' ? Quelle aurait été notre position si nos gradés nous avaient donné l'ordre de monter sur Oran pour renforcer les putschistes? Je n'ai pas la réponse. 

 

        Ce que nous saurons bien plus tard :

 

        La région oranaise était loin d’être acquise aux putschistes. Les attentistes se révélèrent plus nombreux que prévu. Des divisions idéologiques se font sentir au sein de l’armée: certains sont partisans de l’Algérie française, d’autres veulent faire preuve d’obéissance à De Gaulle. Aussi, au soir du dimanche 23 Avril 1961, aucun officier général du Corps d’Armée d’Oran ne s’est rallié aux putschistes. 

 

         A  20 heures, le Président de la République prononce un discours appelant les soldats d’Algérie mais aussi les français d’Algérie et de Métropole à refuser le coup d’Etat. Ce que nous retenons de ce discours :

 

        « Au nom de la France, j'ordonne que tous les moyens, je dis 'tous les moyens', soient employés pour barrer partout la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. J'interdis à tout Français et d'abord à tout soldat d'exécuter aucun de leurs ordres...L'avenir des usurpateurs ne doit-être que celui que leur destine la rigueur des lois ».

 

        L’affaire est maintenant beaucoup plus claire pour nous, appelés. Quel est notre intérêt à vouloir prendre position en faveur de ce Putsch, qui nous parait anti-démocratique, trop tardif, à une époque où tous les pays colonisés par la France obtiennent leur indépendance et que le gouvernement français s'apprête à donner l'indépendance à l'Algérie? Aucun, sinon se mettre à notre tour 'hors-la-loi'.

 

Lundi 24 Avril   : Nous sommes toujours en alerte et sans ordre. Mais, depuis le discours du Président de GAULLE, des informations sont remontées en direction de nos gradés: ils connaissent maintenant notre sentiment sur ce mouvement insurrectionnel. Nous ne marcherons pas. Toujours par la radio, nous apprenons qu’un député et une vingtaine de Conseillers Généraux d’Algérie, auraient publié un communiqué de soutien aux putschistes. Cela fait peu comme soutien moral…La guerre d'Algérie s'est trop éternisée. Sept ans de combat, des morts et des blessés par milliers, des atrocités de part et d'autres, et tout cela pour en arriver à quoi? A l'Indépendance de l'Algérie! N'aurait-elle dû pas être donnée plus tôt? 

 

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Mardi 25 Avril   : Nous apprendrons, beaucoup plus tard, que les généraux putschistes se sont fait acclamer une dernière fois au balcon du Gouvernement Général, avant de fondre, pour certains, dans la clandestinité. Et le gouvernement français a ordonné la mise à feu de la 4ème bombe atomique, soit-disant prématurément, afin que celle-ci ne puisse tomber entre les mains des putchistes...

 

          "Entre le 13 février 1960 et le 25 avril 1961, la France a réalisé quatre essais nucléaires dans l'atmosphère au-dessus du polygone de tir d'Hammoudia, à 40 km au sud de Reggane, en plein désert algérien. Les noms de code de ces essais furent 'Gerboise bleue, Gerboise blanche, Gerboise rouge et Gerboise verte' (...la gerboise est un petit rongeur vivant sur les sols sablonneux du désert).

               Les précautions prises pour la protection des personnels militaires et des habitants des palmeraies voisines ont été très sommaires, voire inexistantes. Quelques documents estampillés 'secret' permettent d'avoir une idée du mépris des autorités militaires à l'égard de leurs hommes.

              Aucun  abri ou autre bâtiment n'a été construit pour ces populations, tout aussi bien que pour les personnels militaires de la base de 'Reggane Plateau' ou les quelques dizaines de militaires et civils qui restaient sur la base d'Hammoudia pendant les tirs.

               Pour 'Gerboise verte', le 25 avril 1961, la France a déployé sous la bombe, un exercice militaire avec 'l'infanterie', c'est-à-dire, des fantassins à pied, disposés à 3 300 mètres du point zéro et qui, 20 mn après le tir, ont dû manoeuvrer jusqu'à 650 mètres du point d'explosion. C'était l'exercice 'Garigliano'. L'objectif de cet exercice était explicite: il s'agissait "d'étudier les effets physiologiques et psychologiques produits sur l'homme par l'arme atomique". Vous avez dit cobayes?

                  Heureusement pour la troupe, la bombe n'eut pas le 'rendement' prévu par les ingénieurs du CEA. Alors qu'on s'attendait à une énergie entre 6 et 18 kt, 'Gerboise verte' développa à peine 1 kt. Certains commentateurs ou historiens affirment que 'Gerboise verte' a été mise à feu dans la précipitation pour éviter que les putschistes d'Alger ne s'en emparent, ce qui expliquerait que ce fut un tir 'raté'. Aujourd'hui, connaissant le déroulement de la manoeuvre militaire longuement préparée à l'avance, on peut mettre en doute cette thèse. En fait, 'Gerboise verte' est un 'crime d'état' sciemment préparé dont il ne reste que de rares survivants.

                  Quant à la pollution au plutonium de cette zone, rien ne semble avoir été fait pour y remédier, si ce n'est de mélanger les débris avec la couche sableuse de surface".  ('Essais nucléaires français au Sahara').

  Pendant ce temps:

  "Le mardi 25 avril, après avoir bien décanté la situation, G. de Boissieu en arrive à la conclusion que le coup est définitivement manqué. Son devoir, pense-t-il, consiste alors à arrêter l'affaire pendant que, grosso modo, l'ordre règne en Algérie.

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           D'Oran, Gardy fait savoir que la situation lui échappe et qu'il renvoie les régiments Masselot et Lecomte sur Alger.

           Challe balaie les arguments de Bigot. Mais il écoute de Boissieu. Il ne s'avoue pourtant pas battu et suggère: 'Ne pourrait-on se replier sur Alger et la Mitidja?

            -Pour faire quoi? rétorque de Boissieu. Mon général, vous avez pris une responsabilité, il vous faut l'assumer jusqu'au bout. La seule solution d'honneur est de retourner à Paris vous en remettre aux autorités de votre pays...Vous devez, pour couvrir ceux que vous avez entrainés, aller vous présenter comme seul responsable.

             Avec Bigot, de Boissieu organise le voyage. Il partira dans un premier avion, l'après-midi, afin d'obtenir des autoritésgouvernementales que l'arrestation de Challe s'opère, à son arrivée, dans des conditions décentes. Challe partira seulement dans la soirée, à bord d'un deuxième avion...

           'Venez déjeuner' , dit Challe. Ils se mettent à table. Boissieu devine, à la tête des trois autres, que Challe leur a déjà parlés.

             Ils ne prononcent pas un mot et semblent plongés dans de sombres pensées. Au bout d'un moment de silence total, Challe dit: 'D'habitude, les repas d'enterrement sont plus gais'.

          Coustaux: 'On y parle d'héritage'.

          Challe: 'Le nôtre ne sera pas lourd'.

          Le Putsch des généraux est terminé". ('Histoire Militaire de la Guerre d'Algérie' par Henri LE MIRE).

 

 

         Le lendemain 26 Avril, progressivement, les unités putschistes se retirent à Zéralda, à 30 kilomètres d'Alger. Le Putsch n'a pas fait long feu. Certains médias ont pu écrire par la suite, '...qu'il avait été défait par les transistors!'. C'est possible. L'armée comprenant les troupes de 'réserve' (légionnaires, Parachutistes, commandos) et celles de 'secteur' (les appelés généralement), soit 477 000 hommes en 1961, aucune unité de secteur ne participera au Putsch. Il faut bien constater aussi que beaucoup de 'hauts officiers' n'ont pas souhaité prendre parti pour ce Putsch. Agissants ainsi, c'était faire valoir le peu de crédibilité accordée à ce Putsch. 

 

         Et après celui-ci, le retrait progressif des troupes françaises commencera. En juillet 1961, soit deux mois après l’ouverture des négociations  d’Evian, une division entière regagnera la France. Le FLN était alors en position de force pour traiter de ses désidératas face à une France qui, sans être affaiblie militairement, amorçait déjà son retrait sans trop vouloir se préoccuper de la situation des Français d'Algérie. Un signe de faiblesse politique…!

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        Ce mardi 25 Avril, pour ce qui nous concerne, l'affaire des putschistes n’est plus notre souci majeur tout comme pour nos gradés. Depuis 3 heures du matin, nous sommes en alerte car le réseau électrifié vient d’être franchi par une forte bande de rebelles en provenance du Maroc.

        A 6 heures, notre Compagnie part en direction du réseau frontalier. Vers les 8 heures, nous rejoignons d’autres unités et convergeons ensemble vers les lieux où peuvent se cacher les fellaghas, à savoir la région de Sebdou, située à une trentaine de kilomètres au sud de Tlemcen. Altitude : 900 mètres environ.

 

        Le ciel s'anime d'hélicos transportant des troupes sur les sommets des djebels. 

 

                                                       Les T6 ne sont pas loin.

 

       Il y a de l'animation dans le paysage. Sur notre route, nous croisons des camions revenant déjà des lieux d’accrochage avec les premiers blessés à bord. Dans un de ces camions, un blessé, un gars de la DBFM (Demi-brigade de Fusiliers Marins), se manifeste à nous, agitant un bras, l’autre en écharpe, clamant fort : 'On vous attend là-bas, il y a du boulot pour vous!'. Une façon comme une autre de nous encourager…Pour lui, la journée mal commencée, se termine cependant bien: il passera quelques jours dans un centre médical puis, aura droit à une permission bien méritée. Pour nous, le travail reste à faire...

 

       "La création de la demi-brigade de fusiliers-marins (DBFM) consacre les effets des décrets ministériels du 12 avril 1956 sur l'organisation et la présence de la Marine en Algérie: elle montre la solidarité qui unit les trois armées dans les missions à terre, qu'elles soient militaires ou civiles. Le capitaine de vaisseau PONCHARDIER en est le créateur. 

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       Elle se compose d'un état-major, d'une compagnie de commandement et de services, et de trois bataillons à cinq compagnies, d'une batterie d'artillerie à quatre pièces et d'une escadrille de l'aviation navale.

      Au 30 juillet 1956, l'effectif atteint 3480 hommes. Son affectation est le secteur de Nemours rattaché à la zone opérationnelle de l'ouest-oranais, dépendant lui-même du Corps d'Armée d'Oran.

        Trois raisons justifient ce choix: il s'agit d'un secteur côtier, et la Marine a la responsabilité de Nemours et de la Surmar; ensuite c'est une position stratégique à la frontière avec le Maroc devenu indépendant depuis le 2 mars 1956 et le principal soutient du FLN extérieur: il s'agit d'empêcher les infiltrations d'hommes et de matériel; enfin, c'est un secteur pourri qu'il faut reprendre en main". ("Militaires et Guérilla dans la guerre d'Algérie" de J.C. JAUFFRET et M. VAÏSSE).

 

      Nous avons toujours les fesses posées sur les banquettes des camions et nous observons attentivement tout ce qui se passe autour de nous. On n’est pas plus inquiet que d'habitude, nous n’en sommes pas à notre première opération. On reste dans une certaine indifférence, attendant notre tour pour savoir comment on va être utilisé, espérant l'être en bouclage…le moins fatiguant et le moins dangereux.

 

          A la vue des nombreuses unités sur le terrain, nous pensons que le franchissement du réseau est le fait d’un grand nombre de rebelles. Plus tard, nous apprendrons qu'il s'agissait de la katiba 533 au grand complet. L’ALN souhaite certainement profiter des dissensions qui existent actuellement entre l’armée et le gouvernement pour tenter un passage, pensant mais à tort, que celle-ci ne s’activera pas à ses trousses. Mais le Commandement du secteur n'est pas du même avis et souhaite mettre un terme à leur fuite en avant vers les monts de Tlemcen.

 

      Notre convoi quitte la route pour s’enfoncer à l’intérieur des monts par une piste sommairement empierrée et poussiéreuse. Au bout de quelques kilomètres, c’est le ‘pied à terre ‘ qui retentit, nous ramenant à la réalité. La course-poursuite va s’engager sous un soleil qui, s’en être de plomb, est bien chaud pour cette fin de mois d’Avril.

 

        La matinée se passe en ratissage et fouille de bois, de fourrés denses, sans rien apercevoir. Le Piper d’observation ne tourne plus au-dessus de nous; c’est étonnant! Son secteur d’observation a été modifié sans doute. J’essaie cependant d’imaginer l’observateur, les yeux rivés à ses jumelles, fouillant sans cesse le paysage qui défile sous lui, à la recherche du moindre indice rappelant la présence des fellaghas, et ces derniers, la tête baissée et les sens en alerte, ne bougeant pas de leur maigre protection végétale. Et si cette présence est détectée, elle sera marquée au sol par un fumigène afin de permettre le réglage d’un tir ou d’un appui-feu aérien. Aux environs de 14 heures, une halte est faite.

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          Assis sur une touffe d’herbe, le dos bien calé contre le sac, à l’ombre légère d’un chêne liège, j’attaque ma boite de ‘singe’ car les évènements sont une chose, et la faim une autre...Tout en appréciant mon 'boeuf', j’écoute attentivement les bruits tout autour de moi. A intervalles irréguliers, se fait entendre le bruit assourdissant  des hélicos en pleine rotation pour amener des hommes d’un sommet sur un autre. Les T6, volant par deux, tels des cigares d’aluminium, font de rapides incursions dans le ciel. On entend par intermittence, des coups de feu au loin. Les copains sont dispersés tout autour de moi et leurs pensées doivent certainement aller à leur famille. Et puis, nous devons avoir la même idée en tête : 'Mais qu'est-ce qu'on fout ici, dans ce bourbier qui dure depuis si longtemps!'. 

 

       La fatigue commençant à se faire sentir, les paupières s’abaissent, la vigilance s'atténue: la tentation d'une petite sieste est proche... Mais, ce n'est ni le moment, ni l'endroit. A force de fouiller le paysage, nous finissons par entrevoir des silhouettes qui se meuvent au loin, à quelques centaines de mètres. Aussitôt, l'information remonte au capitaine. Il doit-être près de 16 heures lorsque le signal du démarrage est donné. Nous sommes positionnés sur un sommet; il ne nous reste plus qu'à le redescendre, en le ratissant tout doucement vers le bas, en direction d'un oued où coule l'eau laquelle va nous permettre de faire le plein des bidons. Avant le départ, notre chef, l’adjudant CARARO, profite de cet instant pour nous faire savoir que notre section a reçu l'ordre de se porter sur le versant opposé, là où ont été aperçus les fellaghas, afin de les déloger. On se regarde entre copains et, sans rien dire, on se comprend. On aurait peut-être, dû se taire...On voudrait bien accueillir cet ordre comme une faveur qui nous est faite , mais... 

 

          "Les Marsouins de CARARO et mes radios aperçurent des rebelles qui s'infiltraient sur les pentes du Djorf en Nemer, à 400 ou 500 mètres de nous. Ils bondissaient de buisson en buisson en direction de l'oued Bouléfane. CARARO avait installé une AA52 dont j'avais depuis longtemps remarqué le tireur; c'était SAUTHON, un garçon robuste et solide. Immédiatement, je fis prendre à partie les fellaghas, par petites rafales. Ils s'arrêtèrent  et s'installèrent dans une zone de buissson d'environ 30 mètres sur 40, à 200 mètres à peine de l'oued...Descendez par le petit talweg à votre droite, dis-je à CARARO. Laissez-moi l'AA52 de SAUTHON, elle vous appuiera. Quand vous serez à bonne portée, je lancerai les trois sections à l'assaut de la résistance. Traversez les buissons d'un seul mouvement , en tirant à la hanche, au pied des buissons.

            CARARO pâlit un peu, comme il est normal quand on reçoit pareille mission. Il donna ses ordres et sa section commença une progression difficile, car le talweg, s'il était camouflé aux vues des rebelles, était particulièrement touffu". ("Soldat de la guerre, soldat de la paix" par le général Jean SALVAN).

 

            Nous commençons notre descente vers l'oued. En bordure de celui-ci, il y a une petite clairière qui va nous mettre à découvert, avant le franchissement du ruisseau. Nos collègues musulmans donnent des signes d’inquiétude ; ils ne veulent pas nous suivre et stoppent leur

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descente. Ce n’est pas le moment d’essayer de les contraindre car nous les avons dans le dos…On se retrouve une vingtaine à franchir la clairière avec notre adjudant en tête. En traversant l’oued, on prend un bon bain de pied mais cela ne peut que nous rafraichir. On remplit en vitesse le bidon car la soif est présente. Nous sortons de l’oued qui est bien encaissé, et nous nous retrouvons à nouveau devant une nouvelle clairière parsemée de quelques taillis. Passé celle-ci, c’est la grimpette assurée parmi les chênes verts, les taillis épais et, certainement, la rencontre avec les fellaghas qui s’apprêtent à nous recevoir, à moins qu’ils souhaitent nous éviter…Compte-tenu de la pente importante de cette partie boisée, ils auront le temps de nous voir venir et de décider, en sachant que leur position leur donne un petit avantage sur nous. Avant de traverser la clairière, on se regroupe, on reforme les équipes, on se compte ; une bonne moitié de la section est là. Beaucoup d’anciens et quelques quillards... 

 

        Les distances à nouveau reprises, on s’apprête à traverser cette clairière. C’est alors que des rafales d’armes automatiques se font entendre. A ce moment-là, l’hélico-canon tourne en décrivant un large cercle, à moins de 300 mètres au-dessus de nos têtes. Presque aussitôt, l’un d’entre-nous, VACQUIER, crie : "L'hélico nous tire dessus !". On arrête notre progression, on lève la tête, surpris, médusés,ne voulant pas y croire. Nous sommes dispersés sur environ une trentaine de mètres, le long de l’oued et  toujours à découvert.

 

     On sait, pour l’avoir vu à l’oeuvre, que cet hélico ne tire pas du 'petit plomb à bécasses'. Le Sikorsky H 34 appelé communément ‘pirate’, ‘barlu-canon’ ou ‘rameur-canon’ est un hélico dont la fonction principale est d’assurer la protection des troupes héliportées. Il est muni, à la porte-cargo, du canon MG 151 de 20 m/m, le même type de canon qui équipait les avions de chasse de la deuxième guerre mondiale. A cet armement, s’ajoutait bien souvent une mitrailleuse 12,7 m/m à l’arrière droit et une ou deux mitrailleuses de plus petit calibre en sabord gauche.

 

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        On comprend que cet hélico-canon puisse se trouver au-dessus de nous, mais pour notre éventuelle protection et non pour nous tirer dessus. Nous portons par ailleurs notre foulard de reconnaissance à la couleur requise. 

 

        De nouvelles rafales se font entendre; on comprend bien cette fois-çi que ces nouveaux tirs proviennent de l'hélico. Le tireur nous voit fort bien d’où il est, sa position lui permettant d‘aligner’ tout ce qui bouge. Nous sommes des cibles faciles au beau milieu de cette clairière où rien ne peut nous protéger. Des appels et des jurons se font entendre autour de nous; des copains sont déjà blessés. Dans la tête, c’est le vide ; il n’est pas facile de raisonner calmement en pareille situation. Quoi faire! Je me tourne instinctivement vers l’oued, situait à une vingtaine de mètres de moi, pensant pouvoir y trouver un refuge pour me soustraire momentanément aux tirs. Au même moment, j’aperçois notre chef de section CARARO qui, debout, bien visiblement et calmement, essaie d'entrer en contact radio avec le capitaine SALVAN tout en nous donnant l'ordre de nous rabattre vers l'oued. Faire cesser le tir de cet hélico ne va pas se faire en un clin d’œil. Cela va prendre ‘un certain temps’ comme dirait quelqu’un…et même si ce n’était qu’une minute, se serait toujours trop long. Un temps pendant lequel notre tireur, ayant la certitude d’avoir à faire à des rebelles, ‘lesquels’ déjà, se dispersent comme une volée de moineaux, va ajuster son tir pour faire encore plus mal.

 

        Je m’apprête à me rabattre vers l’oued lorsqu’une rafale me stoppe dans mon élan, en tombant sèchement devant moi. Ma réaction tardive m’a sauvé la vie car, à une fraction de seconde près, j’y avais droit...ce n'était pas mon jour... Les éclats de balles m’encadrent fatalement et je sens les impacts pénétrant ma chair en différents endroits du corps. Je comprends aussitôt que plus je bougerais, plus je serais une cible potentielle. Alors, je me balance à terre et je ne bouge plus. Les rafales continuent de s’abattre tout autour de moi et je

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m’attends à chaque instant à être touché. A qui pouvais-je penser à ce moment-là? Certainement à rien, même pas aux parents car tout va trop vite, sinon que 'ce serait trop con de se faire tuer par un gars de l'armée française...' Allongé sur le ventre, je suis dans la position idéale pour ressentir parfaitement les vibrations du sol à chaque rafales de balles percutant celui-ci.  Au même moment, je le saurai par la suite, AUBRY, l’articulation du coude touchée par un éclat de balle, s’est laissé glisser dans l’eau de l’oued et tourne autour d’un rocher, au fur et à mesure du déplacement de l’hélico, pour éviter d’être à nouveau sa cible. D’autres essaient de faire comme lui et ceux qui ne pourront atteindre l’oued, se glisseront dans les taillis en bordure de son lit afin d’échapper à la vue du tireur.

       Enfin, les tirs cessent. Je me relève et vois MELONI, le tireur au FM, qui se tient l’avant-bras blessé, n'ayant pas l'air d'avoir apprécié la séquence...A quelques mètres, assis, se tenant la jambe, BENOIT geigne de douleur, causée par une blessure ouverte au niveau du mollet. Je n’ose pas imaginer la tête de notre tireur lorsqu’on lui a appris qu’il faisait des cartons sur des troupes amies. On ne peut lui en vouloir et, heureusement pour nous, il tirait mal ce jour-là…On dénombre dix blessés dans notre groupe. Il faut bien reconnaitre que nous avons eu, malgré tout, une chance formidable, car les dégâts sur le plan humain auraient pu être plus conséquent.

 

          "...des T28 et un hélicoptère armé de la Marine (Pirate) prirent contact avec moi; ils voulaient absolument 'matraquer les rebelles'. Je leur demandai d'attendre pour que je réorganise mon dispositif, s'ils devaient m'appuyer.

          Je parlais encore dans mon combiné lorsque le Pirate se mit à tirer au canon de 20 m/m.

          -Mais le Pirate tire sur nos gars! me dit LETOURNEL, mon radio.

          Je repassai sur la fréquence de la Compagnie; CARARO, sur son poste, m'annonça qu'il avait été mitraillé par le Pirate, et qu'il avait une dizaine de blessés, dont quatre graves.

          -Pas de morts?

          -Non, c'est un miracle!". ( "Soldat de la guerre, soldat de la paix" par le général Jean SALVAN).

 

           L’adjudant CARARO s’occupe de BENOIT qui fait partie de ceux qui sont les plus touchés. Le bas de son pantalon est ouvert au couteau jusqu'au genou. Aussitôt, un magma rouge foncé, s’échappe mollement. C’était temps d’intervenir. Un pansement compressif lui est appliqué pour stopper l’hémorragie. Il appréhende l’avenir, pensant certainement à ARNOUX et son artère sectionnée. On essaie de le rassurer de notre mieux. Avec AUBRY et un autre dont le nom m'échappe, ils sont les trois blessés les plus atteints. D’autres, tout comme moi, s’en sortent avec de multiples impacts d’éclats de balle un peu partout sur le corps mais sans trop de gravité.

 

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         Les Musulmans de notre section, ceux qui étaient restés en arrière, doivent se féliciter de ne pas nous avoir suivis.... Quant aux fellaghas que nous voulions 'déloger', ils ne doivent pas être déçus. La section bat tristement en retraite, ramenant avec elle ses blessés. Nous repassons l’oued et faisons une halte sur la première clairière où les premiers soins nous sont donnés par l'infirmier de la Compagnie. Un hélico doit venir nous prendre incessamment. 

 

        Moins d’une demi-heure après, un hélicoptère, type 'Piasecki H21', connu sous la désignation de ‘banane’ par les Français et baptisé ‘Work Horse’ (cheval utilitaire) par les Américains, se pose sur la clairière. Nous donnons aux copains équipements et armes et montons à bord. Pour nous, notre journée prend fin dans l’oued Bou le Fane, secteur de Sebdou.

 

        Installés à l’intérieur de l’hélico, nous ne pouvons pas nous empêcher de pousser un 'ouf' de soulagement. On s’en est bien sorti ! Les trois blessés les plus sérieusement touchés, seront rapatriés sur des hôpitaux militaires en France. Arrivés à Oran, nous ne les verrons plus. Les blessés légers, dont je fais partie, rejoindront la Compagnie un peu plus tard.

 

       A l’intérieur de l’hélico, il n’y a de place que pour les civières, superposées par deux sur les côtés de la carlingue, sur lesquelles sont allongés déjà des soldats blessés dont certains gémissent de douleurs. Le bruit est assourdissant. A la vue de tous ces blessés, on comprend que cette opération ne s’est pas faite sans casse de notre côté malgré les moyens militaires importants engagés. Une vingtaine de  minutes plus tard, l’hélico se pose sur la DZ de l’hôpital Baudens d’Oran.

     Cet hôpital fut le premier hôpital militaire construit par la France en 1845, à l'emplacement du Colisée et d'anciens couvents espagnol, et ouvert au public en 1849. Il porte le nom d’un grand chirurgien.

 

     'Le nom de 'BAUDENS'  a été donné à cet hôpital d'Oran, en hommage à Lucien Jean Baptiste BAUDENS (1804-1857), chirurgien militaire, Professeur au Val de Grâce, Médecin Inspecteur et Membre du Conseil de Santé. Il s'illustra lors des campagnes d'Algérie et fit agréer l'hôpital militaire du Dey d'Alger, comme hôpital d'Instruction, puis comme Ecole de Médecins'. ('Algérie-Baudens').

 

       Nous sommes transportés aussitôt dans une salle où nous subissons un examen médical complet ainsi que les soins nécessaires. Ce soir-là, nous apprécierons les lits mis à notre disposition, avec un véritable matelas, des draps blancs immaculés, enfin, le luxe pour nous…Un autre monde s’ouvrait pour les blessés du 8ème RIMa.

 

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Mercredi 26 Avril   : Le petit déjeuner nous est apporté au lit...tout comme le repas de midi. De très bonne heure, une assistante sociale, vient s’enquérir de nos besoins. Nous sommes en manque de tout. Elle reviendra peu de temps après nous apporter un nécessaire de toilette que nous apprécierons beaucoup. Dans le courant de la journée, on nous fait savoir que l’hôpital ne peut nous garder plus longtemps compte-tenu de l’arrivée de nombreux autres blessés plus sérieusement atteints. Nous sommes alors évacués sur  l’infirmerie 'Santon' de Mers-el-Kébir.

 

        Mers-el-Kébir est une ville située en bordure du golfe d’Oran, à sept kilomètres au nord-ouest de celle-ci, dans un vaste cirque, bordé de collines abruptes de plus de 300 mètres de haut. Il parait que c’était la meilleure rade militaire d’Algérie et que sa sureté et sa situation géographique lui donnaient, à l’époque, une grande valeur stratégique. La montagne, creusée comme une taupinière, comporte des installations importantes et modernes telles les services de l’Amirauté et des constructions navales avec leurs immenses ateliers de réparation. Le port se distinguait, extérieurement, par son vieux fort massif et sa longue jetée.  

 

        "L'Algérie est en effet une des pièces maitresses du système de contrôle de la Méditerranée occidentale par l'Alliance atlantique. La base de Mers-el-Kébir est en cours de modernisation, grâce à des capitaux américains fournis dans le cadre du Programme d'Aide Mutuelle au Plan d'Assistance Militaire. Dans le cadre des quatrième et cinquième tranches approuvées respectivement en avril et décembre 1953, les investissements réalisés dans les magasins souterrains, les stockages de mazout et les jetées à Mers-el-Kébir, se montent à 7,704 milliards de francs, et pour la mise aux normes de l'OTAN et de la base aéronavale de Lartigues, à proximité d'Oran, à 3,183 milliards de francs. Pour ce qui est de Bizerte, base développée depuis fort longtemps, les investissements tendent, en revanche, vers un étiage et les travaux vers un arrêt complet en raison des difficultés politiques qui laissent augurer de l'abandon prochain. A terme cependant, avec celles de Bizerte et de Toulon, Mers-el-Kébir devait devenir, dans l'esprit des stratèges et des hommes politiques de la IVème République, l'un des trois pôles stratégiques navals de l'OTAN en méditerranée".  "Militaires et Guérilla dans la guerre d'Algérie"  de J.C. JAUFFRET et M. VAÏSSE).

 

        Tout comme les autres services, l’infirmerie 'Santon' de Mers-el-Kébir est située sous la montagne. On y accède en voiture ou camion par une route creusée dans la roche. Dans ses 'Souvenirs d'officier de Marine - de 1926 à 1963', le Contre-amiral Jean CORNUAULT décrit l'environnement de Mers-el-Kébir ainsi:

 

          '...le vaste cirque de Mers-el-Kébir, bordé de collines abruptes de plus de 300 mètres de haut, n'est accessible que par trois routes: celle d'Oran et d'Aïn-el-Turk, qui passent en bordure de mer, et le chemin du djebel Murdjadjo qui s'élève au-dessus du village de Saint-André de Mers-el-Kébir...A droite, le vieux fort turc, la base sous-marine et le Centre de dragage, les magasins de l'Intendance et les accès aux souterrains du Santon et des constructions navales; à gauche, la chapelle de Santa Cruz sur son éperon rocheux. Au-dessus s'étendent des vignes, des jardins et quelques maisons noyées dans la verdure,

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constituant les villages très dispersés de Sainte-Clothilde, de Roseville et de Saint-André de Mers-el-Kébir dominé par son cimetière. Plus haut encore, des collines arides qui se terminent du côté d'Oran, en véritables falaises'.

 

        Arrivés à l’infirmerie, qui est ultramoderne, nous sommes pris en charge par des officiers-mariniers qui nous font donner les soins que nécessitent nos blessures et feront tout leur possible pour nous mettre à l'aise et nous apporter un peu de réconfort. Au cours des jours suivants, nous apprécierons les déjeuners et les repas copieux et de bonne qualité; on est servis comme des petits princes. On fait tout de suite des rapprochements avec les services de restauration de Béni Abir; il n’y a rien de comparable...

 

           "Ce 26 avril, après avoir passé la nuit à Zéralda, le général Challe, en civil, se rend à l'aérodrome de Maison-Blanche. Le colonel Boquet, commandant le secteur, que Challe avait fait arrêter le 22 (et qui s'était évadé), lui dit: 'Vous savez que je désapprouve ce que vous avez fait, mais votre attitude a été et reste noble. Je vous demande la permission de vous embrasser'.

                Boquet exprime l'opinion quasi unanime de l'armée d'Algérie. Jusque-là, on peut dire que moralement l'unité de l'armée n'a pas été brisée. Personne ne croit que les généraux et ceux qui les ont suivis ont agi par intérêt ou ambition, comme veulent le faire croire le chef de l'Etat  et ses ministres. Dans ses 'Mémoires d'espoir', de Gaulle écrit, à propos des généraux accusés, que les 'mobiles de leurs fautes, je le sais, je le sens, n'étaient pas tous de bas étages'.

               L'armée ne s'y est pas trompée. C'est pourquoi, à l'instar des journées de mai 1958, celles d'avril 1961 n'ont causé aucune mort d'homme. C'est après l'effondrement du Putsch que les choses vont se détériorer. Les rancunes, les délations, les sordides règlements de comptes vont entrainer la tragédie puis l'horreur. Ceux qui se sont terrés, ceux qui ont tremblé vont faire payer à leurs adversaires le prix de leur peur. Et Dieu sait si à Paris, on a eu peur!

                 A Tunis, les membres du GPRA jubilent. Le peuple français a su, comme le lui conseillait M'Hamed Yasid, ministre de l'Information de Ferhat Abbas, 'mobiliser toutes les forces démocratiques pour liquider les derniers tenants du facisme et de l'aventurisme militaire, suppôts du colonialisme'. Ces mots paraissent et sont tout à fait incongrus lorsqu'on les applique à un Robin ou un Saint-Marc qui, assumant leurs responsabilités jusqu'au bout, se livrent à la justice pour épargner à leurs subordonnés les rigueurs qui, néanmoins, s'abattront sur eux.

                   Il n'est pas superflu de citer quelques phrases de la déposition de Saint-Marc devant ses juges:

                 

               'Depuis mon âge d'homme, monsieur le Président, j'ai vécu pas mal d'épreuves: la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d'Algérie, Suez,

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encore la guerre d'Algérie...En Algérie, nous avions reçu une mission simple, une mission claire: y promouvoir la justice raciale, l'égalité politique. Nous y avons gagné l'indifférence, l'incompréhension de beaucoup, les injures de certains...Des dizaines de milliers de Musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat...Et puis, un jour, on nous a expliqué que cette mission était changée...On nous a dit qu'il fallait envisager l'abandon de cette terre si passsionnément aimée, et cela d'un coeur léger...Nous nous souvenions de tous ceux que nous avions abandonnés et trahis en Indochine...Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d'Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous,risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse. Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous les villages d'Algérie: 'L'armée nous protègera, l'armée restera'. Nous pensions à notre honneur perdu...Monsieur le Président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c'est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer...' ". ('Histoire Militaire de la Guerre d'Algérie' par Henri LE MIRE).

 

Jeudi 27 avril: Le Contre-amiral Jean CORNUAULT, commandant par intérim la Marine en Algérie à l'époque du Putsch des généraux, suivi de quelques hauts gradés, vient nous rendre visite, nous souhaiter un bon rétablissement et nous promettre que les prochains repas seront de meilleure qualité…Le Contre-amiral et sa suite partis, on se regarde un peu abasourdis par tant de prévenance. Nous apprendrons un peu plus tard, que c’était la première fois que l’Amirauté reçevait des biffins blessés dans ses installations maritimes.

 

       Au bout de quelques jours, notre santé s’étant améliorée et ayant repris du 'poil de la bête', il nous est demandé de prendre nos repas au réfectoire de la troupe. Là encore, c’est l’agréable surprise: ce n’est pas un simple réfectoire que l'on pensait trouver, mais un self-service, de ce qui peut se faire de plus moderne à l'époque, des cuisines ouvertes à la vue, rutilantes de propreté, les serveurs et cuistots en chemise blanche et nœud papillon et une 'salle à manger' immense. On regarde, surpris, même émerveillés...La nourriture et les boissons à volonté; il suffisait de demander pour être servis. On en arrive à se poser une seule question, importante pour nous : " Pourquoi tant de différence de traitement entre les marins et les biffins?" .

 

Jeudi 4 Mai   : Dans le courant de la journée, nous sommes évacués sur Oran. On s’est tout de même bien reposés pendant ces quelques jours d’hospitalisation. Il n’y aurait rien de surprenant à ce que nous ayons pris un peu de poids…que nous devrions perdre très rapidement...En fin d'après-midi, nous prenons le train pour Tlemcen où nous y arrivons en fin de soirée. L’hébergement pour la nuit se fait dans une caserne de la ville où le 'sac à viande' remplace sans surprise les draps blancs. Il faut bien se rendre à l’évidence, le confort ne sera jamais pour nous...

 

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Vendredi 5 Mai   : Nous retournons au camp de Béni Abir par camion en passant par Turenne où se trouve la base arrière de notre régiment.

 

        Turenne se situe à 30 kilomètres, à l’ouest de Tlemcen, sur la route d’Oujda. Des viticulteurs du Midi de la France s’y installèrent il y a fort longtemps et la région fut couverte, en grande partie, par de beaux vignobles.

 

         A  Béni Abir, nous retrouvons les copains à qui nous racontons notre agréable séjour de Mers el Kébir. Ils ont de la peine à nous croire...Entre-temps, en notre absence, les opérations se sont poursuivies pour eux. Les heureux rescapés, dont je fais partie, sont mis au repos pour l’instant. Nous n’en saurons pas plus ce jour-là. Le s/lieutenant FISCHER étant de retour de permission, l'adjudant CARARO est affecté à la 1ère section en qualité de chef de section. Il y restera juqu'au mois d'octobre 1962, date à laquelle le 8ème RIMa sera rapatrié en France.

 

Samedi 6 Mai   : C’est décidé : pour ceux de la classe 591/A, c'est-à-dire les libérables, le commandement ne souhaite pas les voir participer à nouveau aux opérations qui se poursuivent quotidiennement. C'est une excellente décision...

 

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       Nous sommes à peu près certains maintenant, d’arriver à la Quille sans prendre trop de risques…Le capitaine SALVAN est parti en France pour effectuer un stage du 7 Mai au 10 Juillet (stage des capitaines à Saint-Maixent et au Valdahon). Lorsqu’il reviendra, j’aurai quitté le camp de Béni Abir pour la France. Je voudrai revenir sur cette journée du 25 Avril 1961 :

 

        " Dans la nuit, c'est un groupe de quatre-vingt hommes environ qui, venant du Maroc, réussit à franchir le barrage. Le commando Montfort est héliporté rapidement sur le secteur où se situe le groupe de rebelles. Très vite, il est accroché et a un tué et plusieurs blessés. Les deux hélico-canons mis à sa disposition, ont le plus grand mal à le soutenir dans ses actions. Des obus de 20 m/m tombent sur les commandos et il y a des blessés. A 11 heures 30, le pilote du Piper d'observation est tué. (C’est pour cette raison qu’on ne  voyait plus l’avion qui a dû s’abattre dans la zone de combat). 

 

         Vers 16 heures 40, FARAND aperçoit une trentaine d'hommes qui traversent l'oued Bou le Fane, en direction de l'ouest. Il essaie de rentrer en contact avec le PCA dont l'Alouette n'est pas en l'air à ce moment-là. Il n'y a pas de Piper de disponible. Une patrouille de T6 envoie un de ses appareils dont le pilote annonce à FARAND qu'il s'agit bien de 'hors la loi'. Au même moment, une unité au sol lui déclare qu'elle voit en effet des 'hors la loi' traverser un oued et qu'elle déclenche sur eux un tir de mitrailleuse. FARAND, à son tour, ordonne alors au quartier-maitre GOASDUFF d'ouvrir le feu. Une courte rafale ne provoque aucune réaction sur la fréquence air-sol. GOASDUFF tire désormais de longues rafales jusqu'à ce que la voix de LE DEUF, qui a entendu sur un autre chenal qu'une unité amie se faisait tirer dessus par le HSS canon, se fasse entendre à la radio et ordonne de cesser les tirs.

        Le bilan de la méprise est de trois blessés graves et six blessés légers au sein d'un élément de la DBFM qui avait deux postes-radio sur trois en panne, ne veillait pas la fréquence air, et dont aucun homme, en outre, ne portait de dossard". (récit fait par le Contre-amiral Michel HEGER dans son livre "Djebel Amour, djebel amer"). 

 

          Je rectifie : c’était malheureusement encore bien nous, la 4ème section de la 2ème Compagnie du 8ème RIMa, dont il s’agissait. Maintenant, on nous confond avec les fusiliers-marins…Rendons à nouveau à César…etc. Nous avions bien nos dossards, notre poste radio fonctionnait, heureusement pour nous, et nous avons eu dix blessés dont trois gravement atteints. Et deux mitrailleuses nous tiraient dessus…La 'Baraka' était avec nous ce jour-là et il est nécessaire de louer l’imperfection des tirs amis…

 

         Je voudrai ajouter, à l'intention du tireur au canon, s'il me lit, le quartier-maitre GOASDUFF, qu'il n'est en rien responsable de cette méprise. Il n'a fait que respecter les ordres qui lui avaient été donnés. Les blessés ne lui en ont jamais voulu. Par contre, il ne faut pas oublier que c'est sur les dires du pilote du T6, envoyé sur place pour vérifier si nous étions bien des rebelles, que les tirs ont été ordonnés. Dois-je pour autant engager sa responsabilité?

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Non, je n'irai pas jusque-là car il s'est trouvé que bien souvent en opération, les rebelles donnaient le change en se coiffant du chapeau de brousse pour tromper les unités françaises. De plus, l'erreur est humaine.

 

          Le capitaine SALVAN écrira plus tard, dans son livre "Soldat de la guerre, soldat de la paix":

 

          "Le 26 avril, je remontai à Temmassert et donnai à ROY des nouvelles de mes blessés. Lui m'indiqua le bilan de l'opération: 21 tués et 56 blessés chez nous, 38 tués et 22 prisonniers chez les rebelles. TINTANO, le chef rebelle, se serait échappé en sacrifiant sa katiba. 

           Le capitaine PREMEL, qui était DLO du commando Montfort, avait été légèrement blessé. C'était mon voisin, il était sur le point de rentrer en France.

       Avec PINVIDIC et les chefs de section, nous fîmes la critique de l'opération. La Compagnie s'était remarquablement comportée; elle était désormais telle que je la voulais en arrivant à Boussemghoun. Après le tir du Pirate de la Marine et nos dix blessés, aucune unité de parachutistes ou de la Légion n'aurait réagi aussi sereinement et aussi opiniâtrement".

 

         Encore une opération dite de  'maintien de l'ordre'... 

 

         "Au lendemain de la dure secousse du Putsch des généraux, l'armée n'aura pratiquement plus l'occasion d'effectuer de véritables opérations. Après le remplacement de Gambiez par Ailleret, le rôle de l'armée deviendra fort peu guerrier, car de Gaulle annoncera le 20 mai 1961 une 'trève unilatérale' d'un mois sur tout le territoire, à l'exception des zones frontières.

                Dès lors, le calme règne dans le bled. C'est-à-dire que le FLN met sur pied une nouvelle organisation politico-administrative, reprend la population complètement en main. Le gouvernement l'y aide efficacement à remplacer les cadres qui lui manquent en faisant libérer 6 000 internés ou prisonniers. Le FLN ne prend pas la peine de créer de nouvelles bandes armées, d'abord parce qu'il n'y a plus guère d'armes en Algérie, ensuite parce que c'est inutile. Un bon encadrement appuyé par quelques égorgements suffit maintenant pour attendre en toute sécurité que de Gaulle descende, marche après marche, l'escalier qui conduit à l'indépendance sans restriction". ('Histoire Militaire de la Guerre d'Algérie' par Henri LE MIRE).

 20: B E N I A B I R 3.

20 ème   Chapitre   :     B E N I       A B I R       3.

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Samedi 10 Juin 1961: On vient de nous faire connaitre la date de notre embarquement pour la France. Ce sera le 24 Juin à 10 heures, sur le ‘Ville de Tunis’. Enfin, plus que 14 jours à attendre!  Depuis quelques jours, on se prend maintes fois en photos avec la quille suspendue au cou…

 

 

...cette quille qui fait l'objet d'un véritable culte, lors de cette guerre d’Algérie, et qu’il a fallu personnaliser en la décorant à son  goût.

 

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                         Debout, entre GOUT et LAFDJIAN; agenouillés: de g. à d. : GALEAZZI, ORSONI, MIRANIAN.

 

       Quand je regarde toutes ces photos ramenées d’Algérie, je ne peux  m’empêcher de penser que c’était, malgré la dureté de notre vie, le bon temps, car il y avait une ambiance de saine camaraderie qu'il me fut difficile de retrouver par la suite et puis,…on avait vingt ans.

 

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  Notre compagnon des bons et mauvais jours...

 

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                         Un jeune aigle dont la mère avait été abattue et, à l'extrême gauche, la boite aux lettres de la Compagnie

 

Vendredi 16 Juin   : C’est le jour J-1 de notre départ du camp de Béni Abir pour Turenne, la base-arrière du Régiment. La 59 1/A est une classe importante en effectif; nous sommes près d’une vingtaine à la Compagnie. Le lieutenant PINVIDIC nous a promis un bon repas pour le soir. Dans le courant de l’après-midi, nous ramenons au fourrier équipements, armes et munitions. On se sent déjà plus léger, plus à l’aise; c'est comme une délivrance...on a déjà un pied dans le civil…

 

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                                               Des connaissances dont j'ai oublié le nom pour deux d'entre-eux.

 

       Entre copains, on se communique notre adresse postale, en promettant de s’écrire d’abord, puis de se revoir ensuite, quelque part en France. Certaines promesses seront tenues...La nostalgie de l’Algérie, des copains, oui, on va l’avoir souvent. Ce que nous avons vécu à la Compagnie ne s’effacera pas rapidement de notre mémoire et les nombreuses photos seront-là pour nous rappeler cette période ‘glorieuse’ de notre jeunesse…

 

          Le soir arrive. La tente d’une section a été requise pour y faire ce repas auquel participeront tous les gradés de la Compagnie. Le vin remplira souvent les verres. Pour être gai, il faut boire, c’est bien connu, et les verres seront vidés souvent. Qui a pu dire: "Quand  le vin est tiré, il faut le boire! Et puis, quand le verre est vide, on le plaint, et quand il est plein, on le vide!". Et nous serons joyeux…Nous aurons droit au discours d’adieu de notre commandant de Compagnie, et à de vigoureuses poignées de mains de tous nos gradés. Après leur départ, vers les 23 heures, nous voilà entre nous et la fête se poursuit. Les chants gaulois et grivois se succèdent tels 'Le curé de Camaret', 'En revenant de Paris chez ma tante' et en finissant par 'La digue du cul'. Mais on finit par se lasser et nous passons à un autre jeu qui ne sera pas toujours très apprécié mais, c’est la fête des libérables…Nous faisons irruption dans

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toutes les tentes, et n’en sortons qu’après avoir tout renversé; personne n'ose s’opposer à notre petite folie. Seules, les tentes des gradés et plus particulièrement celle du lieutenant PINVIDIC, sont oubliées…Il ne faudrait pas que notre départ soit retardé…et puis, nous sommes redevables de ce bon repas; la gratitude oblige, tout comme le respect qu’on leur doit. Une bonne heure après, quelque peu las de notre agitation, nous souhaitons aller nous coucher. Avant cela, il nous faudra remettre en place nos lits qui ont subi le même sort que ceux de nos collègues car, dans l’obscurité, on s’est forcément trompés de tentes…

 

        Que peuvent-ils crier aussi fort ?  Peut-être bien "Vive la QUILLE !".

 

Samedi 17 Juin   : Réveil à 6 heures. C’est la gueule de bois…on fonctionne à la bougie. C’est la dernière fois qu’on prend le déjeuner avec les copains qui n’ont pas notre chance. De savoir qu’on les laisse dans ce bourbier nous gêne un peu. Des silences s’installent, presque de la gêne. On aimerait tant les emmener avec nous, leur faire partager notre joie. Puis vient le

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moment des adieux, des longs serrements de mains, des tapes amicales sur l'épaule,..des adieux maladroits. On comprend que c'est la séparation avec de formidables copains qu'on ne reverra certainement plus. Tout à une fin, hélas mais aussi...heureusement...

 

          Pour la dernière fois, on grimpe sur nos vieux GMC qui nous ont conduit sur tant de pistes mais peut-être pas pour notre plus grand plaisir....Nous sommes en tenue d’été. Chacun a sa valise, son sac fourre-tout et la musette avec quelques affaires personnelles à l’intérieur. Les camions s'avancent doucement sur le plan incliné de terre battue qui relie à la piste. Le cœur se serre malgré nous…un regard pour la dernière fois, sur les copains qui nous regardent, mi-amusés, mi-envieux, debout sur le bord de la piste. Depuis les camions, des cris de joie s'élèvent rapidement. On lève les bras, on hurle, on agite quelques quilles. La Compagnie toute entière est là pour cet adieu. Encore un dernier et rapide regard aux copains, à tout ce qui fut notre vie pendant de si longs mois, avant que les camions, prenant de la vitesse, ne nous mettent le camp hors de vue. Adieu Béni Abir, adieu les copains, on ne vous oubliera pas. Pour moi, comme pour bien d'autres, ce départ marque la fin d'une aventure qui dura deux bonnes années.

            Arrivés à Turenne, nous subirons la visite médicale de libération. Plus que sept au jus!

 

Samedi 24 Juin   : Nous sommes arrivés la veille au DIM d’Oran. Par train, par camions, les libérables de tout l’Oranais ont gagné ce même port pour l’embarquement. Le ‘Ville de Tunis‘ est à quai depuis quelques heures, prêt à nous accueillir à son bord. 

 

         'Combien de fois avons-nous regardé, depuis le 'Bloc', à la Goulette, passer ce bateau, le 'Ville de Tunis', noir et blanc, qui nous paraissait immense. "Il part pour la France", disaient nos parents. Cette France que nous ne connaissions qu'au travers de cartes de géographie sur les murs des classes. La France, pour nous, pour moi, c'était très loin...de l'autre côté de la mer. Embarquer, cela représentait déjà en soi, une aventure et pour nous, pour moi, sans bien pouvoir l'analyser, le tournant de notre vie'. ('Ville de Tunis').         

 

       'Le 'Ville de Tunis', construit en France, fut livré le 22 février 1952, et servit essentiellement pour le transport de troupes entre Marseille et l'Algérie, dans les années 1953-1963. Il sera vendu à la démolition en 1980, mais coulera par mauvais temps, lors de son remorquage vers Barcelone, à 57 miles au nord-est de Formentera, aux Baléares'.

 

          Nous voilà ce matin dans cette immense cour pour une dernière fouille. Je me remémore ce 15 juillet de l’année 1959, au même endroit, jeune bleu soucieux et plein d’appréhension devant ces deux années de service militaire à faire dans un pays inconnu et aux dangers multiples. 

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           Vint le moment d'embarquer. Quel plaisir d’emprunter cette passerelle après les angoisses provoquées par les dernières opérations: 'Je ne vais pas me faire descendre bêtement à si peu au jus!'. Cela aurait pu se produire!

 

 

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         10 heures15. Départ pour la France et le port de Marseille tant de fois rêvé depuis des mois.

 

          Le cauchemar des dernières opérations : 'On ne va pas se faire descendre bêtement à si peu au jus' a enfin disparu. Mais cela aurait pu se produire...

 

          Départ pour la France et le port de Marseille tant de fois rêvé...Maintenant, il n’y a plus qu’à se laisser vivre, à laisser ‘planer’ nos pensées, en attendant de réintégrer le cours de la vie civile, tant bien que mal, dans quelques semaines. A 10 heures15, la sirène se fait entendre. Tout doucement, le bateau, aidé par deux remorqueurs, s'écarte du quai. Muets pour la plupart, nous regardons le quai et les installations portuaires s'éloigner, nous dévoilant petit à petit Oran, ses falaises garnies d'immeubles aux façades blanches. Malgré notre joie, notre bonheur, la gorge se noue; est-ce que nous nous serions habitués à ce pays malgré nous?  Derniers regards sur cette ville, ce pays que nous ne reverrons pas de sitôt, sinon à jamais pour beaucoup d'entre-nous.

 

        Ma pensée se tourne vers nos trois copains tués sur cette terre d’Algérie. Mais, pour qui, pourquoi sont-ils morts ?

 

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        La France n’était pas menacée dans son intégrité territoriale! Par contre, en Algérie, elle faisait face à un peuple qui souhaitait reprendre sa souveraineté, sa liberté. Il l’avait, à maintes reprises, exprimé et cela dès l’issue de la seconde guerre mondiale et peut-être bien avant par l'intermédiaire des partis politiques algériens constitués, qui réclamaient soit l'égalité des droits, soit l'indépendance.

 

      Le 10 février 1943, Ferhat Abbas publie le 'Manifeste du peuple algérien'. Dans ce document il revendique l'autonomie pour l'Algérie, une égale participation de tous les habitants aux affaires politiques, une Constitution qui leurs soit propre, une réforme agraire et la reconnaissance de la langue arabe au côté du français. Certaines revendications auraient pu déjà leurs être accordées. Mais le projet est rejetté et F. Abbas sera assigné à résidence à In Salah par le général de Gaulle, alors chef du Comité français de la Libération nationale.

 

       La France resta donc sourde à leurs demandes. Il aurait été intelligent d’en tenir compte, en entreprenant un dialogue avec les leeders nationalistes algériens de l'époque, avant que l’irréparable, les graves évênements de Sétif de 1945, ne viennent pourrir les rapports entre les deux communautés car, à bien réfléchir, l'Algérie ne pouvait finir qu'indépendante. Que d'occasions certainement manquées! 

 

         'Le général DUVAL, chargé du rétablissement de l'ordre, dit à cette occasion au gouvernement colonial: ' Je vous donne la paix pour dix ans; à vous de vous en servir pour réconcilier les deux communautés. Une politique constructive est nécessaire pour rétablir la paix et la confiance'. Ces propos se vérifieront puisque 9 ans plus tard, l'insurrection de la Toussaint 1954 marquera le début de la guerre d'Algérie'. ('Massacres de Sétif et Guelma').

 

          En Algérie, deux sociétés cohabitaient et se cotoyaient en permanence sans se mélanger ou si peu. Lors de leur service militaire, les appelés avaient pu le constater. Le développement économique était plus profitable à une communauté qu'à l'autre. Des concessions étaient à faire inévitablement... 

 

          A partir de 1956, l’indépendance de la Tunisie et du Maroc était reconnue. Par la suite, le général de GAULLE 'liquidera' l'Empire colonial français en octroyant aux Colonies d'Afrique noire, à partir de 1960, une indépendance, certes sous contôle...La proclamation de ces autonomies ne pouvait qu'apporter un nouvel encouragement aux nationalistes algériens. Pouvait-on faire autrement que de ne pas accorder à l’Algérie ce que l’on accordait sans problème à d’autres nations! Mais, certains diront que l'Algérie était un 'département français'...Pourquoi cette bizarrerie? L'Algérie, un département français mais le Maroc et la Tunisie, protectorats français! En Algérie, l'immensité du Sahara, le pétrole, le gaz...! En Tunisie, les oliviers...et au Maroc, guère mieux avec les phosphates! Le choix était facile à faire...

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          Cependant, on devait bien défendre quelque chose puisqu’on était présents sur cette terre qui ne nous rappelait rien ou très peu la France, mais pour laquelle on risquait à tout moment d'y perdre la vie. La protection de la population européenne et leurs biens? Bien sûr, c'était l'un des principaux buts. Mais encore ?

 

          A mon avis, ce qu’on défendait dans ce pays, c’était essentiellement les intérêts financiers de quelques lobbys de ce monde algérien et peut-être bien de France, ceux qui faisaient, depuis belle lurette, la pluie et le beau temps en Algérie. Etaient-ils sensibles à la mort de milliers de personnes civiles ou  de militaires ? Leur but : maintenir leur suprématie politique, économique et financière sur l’Algérie autant de temps que cela leur serait possible.

 

         Par ailleurs, le gouvernement français avait découvert au Sahara, du pétrole, du gaz, des ressources énergétiques indispensables au développement de la France. Le gouvernement avait également compris que la France ne retrouverait sont statut de grande nation, perdu depuis la deuxième guerre mondiale, qu'avec le développement de l'arme et de l'énergie nucléaires. Dès 1957, commencèrent des travaux de construction de la base d'essais de Reggane en plein Sahara...

 

                  "Entre 1945 et 1957, la France prépare, dans le plus grand secret, son accession à la bombe. Le général de Gaulle puis quelques hommes politiques sont convaincus que la bombe atomique rendra à la France sa place parmi les grandes nations. Lors du retour au pouvoir du général de Gaulle, toute l'infrastructure politique, scientifique et industrielle nécessaire à la 'force de frappe' aura été installée sur le territoire national.

 

                 Entre 1958 et 1966, les essais deviennent nécessaires pour la mise au point des armes nucléaires. Le Sahara est choisi comme premier site d'expérimentation; les travaux sont gigantesques et pourtant provisoires. L'indépendance de l'Algérie et les impératifs techniques obligeront la France à trouver un site d'essais de remplacement. Moruroa sera choisi malgrè la réticence des élus polynésiens". (Essais nucléaires français au Sahara).

 

            Le Sahara, par son immensité, permettait également les essais des fusées balistiques. Le gouvernement français avait donc des intérêts stratégiques militaires et économiques importants nécessitant son maintien dans l’Algérie, même au prix de vies humaines.

 

            Cette guerre, comme toutes les autres à des époques différentes, servira de banc d’essais aux armes de nouvelle génération, tel le missile air-sol SS10 filoguidé utilisé très

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souvent pour neutraliser les grottes.Et l'on pourrait y ajouter la technique de l'héliportage des troupes et la protection de celles-ci par les hélicoptères armés, une tactique mise au point par BIGEARD, qui sera reprise par les Américains lors de la guerre du Vîet-Nam.

 

           Personnellement, je pense que nos pauvres copains sont malheureusement morts en terre algérienne en défendant une cause perdue d’avance. Malgré ce, pour eux aussi: 'Vous êtes partis en pleine jeunesse en emportant avec vous les promesses d'une vie heureuse. Honneur et Patrie. La France toute entière s'incline sur vos cercueils'.

 

                Même par les armes, on ne peut empêcher un peuple de reprendre sa souverainneté. Cette guerre durait depuis de trop longues années et le temps jouait en faveur de la guérilla. Le bon droit ne se trouve jamais du côté de l’oppresseur. Il suffit de se pencher sur l'histoire de certains pays pour mieux comprendre la réalité. Un exemple:

 

                "Si votre souveraineté et leur liberté ne peuvent se concilier, que choisiront-ils? Ils vous jetteront votre souveraineté à la figure. Y a-t-il au monde un homme qui se laisse réduire en servitude par un argument? Demandez-vous maintenant si ces Anglais d'Amérique seront contents dans leur esclavage? Demandez-vous comment vous gouvernerez un peuple qui pense qu'il a droit d'être libre, et qui pense qu'il ne l'est pas...". (Discours de Edmund Burke, au Parlement anglais en 1775, concernant le droit des 'Yankees' dans les Colonies anglaises en Amérique).

 

                 Plus près de nous, l’avant-dernier conflit, celui de la guerre d’Indochine, nous l’avait bien prouvé. La guerre d'Algérie était un combat d'arrière-garde désespéré et inutile. 

 

            Je viens de citer "...les intérêts financiers de quelques puissants de ce monde algérien..." ceux qui firent et défirent toutes les politiques algériennes, aussi bien à l'Assemblée algérienne qu'à l'Assemblée nationale et cela jusqu'en 1958, date de l'arrivée du général de Gaulle au Pouvoir. Ils ne furent cependant pas nombreux:

 

 "Georges BLACHETTE, le roi de l'alfa,

  Jacques CHEVALLIER, le maire d'Alger,

  Laurent SCIAFFINO, sénateur et président de la Chambre de Commerce d'Alger, une des plus puissantes fortunes de l'Algérie constituée par sa flotte marchande évaluée à une vingtaine d'unités,

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  Pierre LAFONT, propriétaire de 'l'Echo d'Oran', le journal des européens et musulmans ralliés à la cause de l'Algérie française,

  Alain de SERIGNY, directeur de 'l'Echo d'Alger',

  Léopold MOREL, propriétaire de la 'Dépêche de Constantine',

  Gratien FAURE, grand propriétaire de terres à blé du nord-constantinois,

  Jean DUROUX, gros minotier de l'Algérois, et enfin,

  Henri BORGEAUD, humainement supérieur à tous les autres personnages cités ci-dessus. Ses anciens employés regrettent encore le 'bon temps où chacun recevait de confortables gages et où le paternalisme dispensait ses bienfaits...' Il était le roi de la vigne mais aussi celui du liège, de l'alfa, des engrais, des textiles, du tabac. Son domaine fera vivre 90 familles européennes et 160 familles musulmanes ainsi que 500 saisonniers, sans compter toutes les 'mesures sociales' dont ils bénéficiaient. Henri BORGEAUD quittera l'Algérie en mars 1963 après avoir payé tous ses ouvriers et sans laisser de dettes". ("Les gros colons en Algérie française"). Cela devait être dit.

 

          Il y eut d'autres personnages 'marquant' plus ou moins l'Algérie, tels que:

 

     "LAQUIERE, maire de la commune de Saint-Eugénie, près d'Alger, élu de l'Assemblée algérienne et Amédée FROGER, Président des maires d'Algérie, maire de Boufarik et Président de la Caisse de Solidarité des Agriculteurs, l'heureux représentant des colons..."

 

          "L'Assemblée algérienne était appelée la 'Chambre verte' car les agriculteurs, européens comme musulmans, y étaient bien mieux représentés que les populations urbaines...Conséquence: la grosse masse du budget allait en priorité aux colons...En 1954, l'Algérie en comptait 22 000, soit 2,2 %, sur une population européenne de près de un million d'âmes". ("L'Algérie des Seigneurs"). 

 

          Comme on peut le constater, il n'y avait qu'une très faible minorité de colons, la plupart des européens étant des fonctionnaires, des artisans, des commerçants, des petits agriculteurs ou faisaient partie des professions libérales, donc vivants comme nous en France.

 

          Le postulat selon lequel "Les Français d'Algérie n'étaient que de riches colons" avait tendance à perdre de son crédit lors de l'arrivée des rapatriés en France. Le flot de misère qui débarquait sur le sol français fit vite prendre conscience à l'opinion publique de la situation sociale dans laquelle se trouvait la grande majorité des rapatriés. Seuls, les gros colons

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donnaient une mauvaise image de l'Algérie. Mais, certains diront que: 'La mauvaise réputation des colons était véhiculée par la propagande 'anti-pieds-noirs' en France et qu'elle était injuste'. D'autres diront que: 'Sans les colons, qu'aurait été l'Algérie française, devenue par la suite, Algérie algérienne?'.

 

              Le surnom de "pieds-noirs" semble n'être parvenu en Afrique du Nord qu'après 1954, peut-être apporté par les soldats métropolitains venus en nombre. Toutefois, son usage ne s'est vraiment répandu en Algérie que dans les toutes dernières années de la présence française et surtout en métropole, après le rapatriement". ("Pieds-noirs").   

            

         " L'expression 'Français d'Algérie' est-elle juste? Oui, ils sont Français et vivaient sur un territoire, département français. Mais dans une société différente de celle de métropole, une société issue en grande partie d'une colonisation volontaire. Coloniser c'est prendre racine. Ils sont nés en Algérie, souvent leurs familles y étaient établies depuis des générations, il leur semblait entretenir de bonnes relations avec les autres. Et ce fut l'explosion. Leur identité se rattache à un pays qui n'existe plus". ("Entretien accordé à Midi Libre par Brigitte RIMLINGER-ABBAR, psychiatre et psychothérapeute à Montpellier).

 

        Déclaration de Jean-Pierre ELKABBACH, journaliste bien connu, né à Oran (interview de Midi Libre):

 

      "C'était quoi l'Algérie en 1962? Une majorité de petites gens dominées par une minorité arrogante et dominatrice. C'était ça la vérité. En Algérie, la France, pays de la liberté, n'avait pas su exporter sa démocratie...L'Algérie est une succession d'occasions manquées depuis au moins 1936 où un projet de loi destiné à étendre les droits des musulmans a capoté. Toutes les solutions pacifiques ont été des échecs à cause de l'aveuglement des politiques en France et de quelques gros propriétaires"...d' Algérie, cela se comprend...

 

          Ce n'est que bien plus tard, à l'âge de l'entendement, que j'ai mieux compris le drame des Pieds-Noirs, celui de tous ces malheureux, fuyant leur pays où ils étaient nés, dans un désordre immense, la peur au ventre, l'amertume au coeur, après avoir abandonné tous leurs biens, leur village, le cimetière où reposaient leurs ainés, pour se réfugier dans une métropole qui ne s'était pas préparée à les recevoir alors que 1962 était une année de prospérité, la meilleure des 'trentes glorieuses'. Et là, mal compris, bien souvent mal accueillis par les métropolitains, beaucoup estimèrent  être considérés comme des Français de seconde zone. 

 

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             "Généralement, les pieds-noirs se sentirent rejetés à leur arrivée en France alors qu'ils composaient 25% de l'Armée d'Afrique en 1944, avec les plus grosses pertes (8000 tués). Ils eurent à affronter les invectives , notamment de la gauche communiste, qui les caricaturaient comme des colons profiteurs...Le maire socialiste de Marseille, Gaston DEFFERRE, déclarait, en juillet 1962 : 'Marseille a 150 000 habitants de trop, que les pieds-noirs aillent se réadapter ailleurs". ("Pieds-Noirs").

 

          Jean-Baptiste FERRACCI, auteur de 'L'Adieu', était tombé amoureux de l'Algérie, du temps de son service militaire (affecté au 1er Choc Parachutiste, il passe, en sa qualité de journaliste, au journal 'Le Bled', un hebdomadaire couvrant la vie quotidienne des unités opérationnelles). Voici ce qu'il répond à la question: 'On sent, dans 'L'Adieu', votre affection pour les pieds-noirs?':

 

        'J'ai pu parfois les trouver excessifs, mais ils ont été si courageux! J'ai toujours eu pour eux de la sympathie. La plupart étaient des pionniers arrivés sans rien à l'époque de l'Algérie. La très grande majorité a tout abandonné. Devenus des rapatriés, ils perdent tout. On leur a fait payer leurs billets pour revenir en métropole. Et que font-ils? Ils se retroussent les manches et se remettent au travail. Ils étaient Français, ils le sont restés. Comment voulez-vous ne pas comprendre leur douleur? Il faut se souvenir que depuis juin 1940 et l'exode, la France n'avait pas connu plus grande migration de population. Cela dit, il était clair que, dès 1961, l'Algérie, c'était fini'.  (Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC pour 'Pieds-Noirs, une histoire française' - Midi Libre Hors-série 2012).        

 

         Et la chanson "Adieu mon pays" d' Enrico MACIAS, devint rapidement le symbole de l'exil des Pieds-Noirs:

 

         "J'ai quitté mon pays, j'ai quitté ma maison

          Ma vie, ma triste vie se traîne sans raison.

          J'ai quitté mon soleil, j'ai quitté ma mer bleue

          Leurs souvenirs se réveillent, bien après mon adieu.

          Soleil, soleil de mon pays perdu

          Des villes blanches que j'aimais, des filles que j'ai jadis connues.

          J'ai quitté une amie, je vois encore ses yeux

          Ses yeux mouillés de pluie, de la pluie de l'adieu.

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          Je revois son sourire, si près de mon visage

          Il faisait resplendir les soirs de mon village.

          Mais du bord du bateau, qui m'éloignait du quai

          Une chaine dans l'eau a claqué comme un fouet.

          J'ai longtemps regardé ses yeux bleus qui fuyaient

          La mer les a noyés dans le flot du regret".

           Dimanche 25 Juin   : La traversée fut bonne, elle ne pouvait pas être meilleure…En gare maritime, on se dit au revoir pour certains et adieu pour d’autres, en se souhaitant une longue vie heureuse.

 

          Georges, mon affectueux et fidèle frère, est là. J’ai tant de choses à lui raconter mais, dans le train qui nous rapprochera à chaque minute de nos parents, je l’interrogerai plus que je ne répondrai à ses questions.

 

           A la gare, mon père, ma mère, ma soeur, la famille toute entière est là réunie. C’est la joie des retrouvailles et du bonheur. L’Algérie, bien que présente encore dans mes pensées, est maintenant derrière moi; c'est à l'avenir que je pense...'entamer une carrière professionnelle, me marier, avoir une voiture, partir en vacances et tourner la page de l'Algérie', oui, je me rappelle ces paroles...J’ai bien le temps de raconter mes aventures algériennes…et puis, qui sait si l’on va avoir la patience de m’écouter…ou peut-être bien de me lire...

 

         A ce moment-là, je suis persuadé de tourner définitivement une page de ma vie mais, une cinquantaine d'années plus tard,  nombre de souvenirs sont toujours aussi présents en moi, toujours prêts à resurgir, comme si c'était hier. 

21: ORIGINE et B I L A N de cette GUERRE.

21ème   Chapitre   :     ORIGINE     et       B I L A N     de     cette     GUERRE.

 

       Nous avons eu 3 tués et 13 blessés dans notre section pour 198 journées opérationnelles et 127 nuits passées en embuscade ou en cantonnement, au cours de la période du 1er janvier 1960 au 25 avril 1961, soit sur 16 mois. Mais, sur les six derniers mois de l’année 1959, il m’est impossible de faire le décompte de ces innombrables journées d’opération et de nuits à

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la ‘belle étoile’. Etant mis ‘hors jeu’ par le fait de mes blessures, je ne prends pas en compte les journées semblables pour les mois de mai à juillet de 1961. Aussi, je peux dire que les journées opérationnelles et les nuits en embuscade dépassent largement et de loin les deux nombres que j'ai cité. En faisant un rapide calcul, sur 24 mois de présence, on peut, sans trop se tromper, les évaluer à 290 journées d'opération et 170 nuits passées à la 'belle étoile'.

 

       Pour ce qui est du ‘bilan’ : 6 rebelles tués et 7 faits prisonniers par notre section.

 

       « Entre 1952 et 1962, ce sont 1 343 000 appelés ou rappelés et 404 927 militaires d'active, soit 1 747 927militaires qui participeront au 'maintien de l'ordre' en Afrique du Nord. Sur ce nombre d'appelés, 12 000 réfractaires ont été déclarés, dont 10 831 insoumis (appelés qui ne se sont pas présentés lors de leur appel), 886 déserteurs et 420 objecteurs de conscience". ("Office National des Anciens Combattants").

 

 

       De retour en métropole, les anciens d’AFN se sont enfermés dans un grand silence, aidés en cela par une France qui s'était désintéressée du sort de l'Algérie et indifférente à leurs problèmes. Ils ont aussi eu le sentiment d’avoir été  humiliés par leur mise en cause dans la pratique de la torture en Algérie. Les médias ont tout fait pour les humilier mais aussi, les rabaisser, leur reprochant  d'avoir participer à une guerre coloniale, au cours de laquelle, certains, et ils sont largement minoritaires, auraient eût des agissements condamnables. J'aurai l'occasion de revenir sur ce sujet...D’autres, peu nombreux, ont souhaité apporter leurs témoignages ou partager leurs souvenirs en écrivant des livres. Beaucoup et même la presque totalité, sont affiliés à des Associations d’Anciens Combattants mais, même entre adhérents, il n’en demeure pas moins qu’ils ne parlent guère de leur vécu en Algérie: armes différentes, régions opérationnelles diverses, souvenirs sans aucun lien avec les leurs, et puis, des 'cheminements' différents poursuivis depuis leur retour en France, vie familiale, etc. L’incompréhension presque totale sauf, lors de la Cérémonie du 19 mars qui les rassemble presque sentimentalement dans le souvenir de leurs copains morts en terre algérienne. Conséquence: leurs souvenirs sont restés enfouis au plus profond de leur mémoire. La communication existe mais, pour de multiples causes, ils n'ont pas su l'utiliser.  

 

          "Au retour d'Algérie, ce n'est qu'indifférence, personne ne lui pose la moindre question. La population en est restée au 'maintien de l'ordre' ou à 'la pacification' et s'il veut parler de 'sa guerre', c'est le désaveu au sein même de sa famille, de ses amis : 'Il n'y a jamais eu de guerre, tu nous racontes des histoires pour te faire valoir', lui dit-on. Qu'a-t-il à raconter pour les convaincre? La violence dont il a été témoin et l'acteur parfois! Comme le jour où il a craqué devant la dépouille atrocement mutilée d'un camarade. Ce qu'il refoulait depuis sont départ de l'Afrique du Nord le frappe maintenant au visage: il a fait une sale guerre. 

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           Dès lors, devant la froudeur et le désintérêt généralisés, l'ancien d'Algérie n'a pas d'autre choix que de se taire, et le repli sur lui-même.

           ...On sort du silence comme on peut, et souvent par hasard.

           Alain, le fils de Robert BONNET, a quinze ans le jour où il découvre à la cave une caisse pleine de papiers concernant l'Algérie. Il demande à son père la permission de les classer et d'en prendre connaissance.

            _Depuis, a-t-il parlé avec son père? Ai-je demandé à Mme BONNET, qui assistait à l'entretien.

           _Il s'y est beaucoup intéressé. Pendant des années, mon fils était comme moi, il n'osait pas en parler avec son père par crainte de réveiller de mauvais souvenirs. Depuis la découverte de la boite, le fils et le père ont des conversations. Mon mari semble plus décontracté pour évoquer son passé". ('Les Oubliés de la Guerre d'Algérie' par Raphaël DELPARD). 

   Le conflit algérien débouchera sur les 'les accords d'Evian' signés le 18 Mars 1962 entre les représentants de la France et ceux du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne.  

 

        "Sur le terrain, ces 'accords d'Evian', loin d'apporter aux populations Pieds-noirs et musulmanes la paix attendue, inaugurera une période de violence redoublée et de massacres dont les Pieds-noirs seront les principales victimes". ('Les Accords d'Evian').

 

           "En 1962 donc, les Accords d'Evian amorcent des décennies de mensonges tout en constituant une véritable imposture. Autrement dit, l'expression d'un abandon et d'une capitulation honteuse. Et l'aveu clairement énoncé d'une incapacité  à régler le conflit en cherchant des solutions équitables pour les partenaires. Pourtant les dits accords, qui ne constituent rien d'autre que de simples déclarations d'intentions, sont apparus à l'opinion française comme un acte de bravoure et de bon sens politique. 

                Cela tient avant tout à la composition des membres réunis autour de la table des négociations. Car on n'y trouve aucun représentant de la communauté pied-noir ou musulmane. De même, les harkis n'ont pas été conviés. Et il n'y a pas un seul membre  de l'OAS. Rappelons au passage qu'à l'Assemblée Nationale, où le vice-président est le bachaga Saïd BOUALAM, siègent quarante-huit députés français et musulmans et vingt-six européens. Et que vingt-deux notables, issus de l'Algérie, siègent au Sénat. Ces élus ont eu beau se révolter, leur mouvement de protestation est passé inaperçu. 

                  ...Charles de Gaulle affirme que les accords 'procurent les garanties nécessaires'. Ces garanties ne seront réelles que dans le cas où le gouvernement algérien aura effectivement le désir de les assurer. Or, rien ne prouve qu'il le fasse.  

                    ...L'article qui évoque la 'garantie des garanties', à savoir la présence de l'armée, se révèlera parmi les plus cyniques quand, du moins après le cessez-le-feu, on verra de quelle

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manière l'armée va se comporter en permettant qu'on enlève des Français en plein jour. Si on retire les troupes d'élite d'Algérie, quelle sécurité pourra donc offrir en Algérie la présence d'effectifs réduits à quatre-vingt mille hommes?

                     La possibilité d'aliéner les biens et d'en rapatrier le produit est un leurre grossier. Cette possibilité existe, certes, mais uniquement sur le papier. Les négociateurs paraissent, en effet, avoir oublié que la vente suppose une double condition: l'existence d'un vendeur et celle d'un acheteur. Or, s'il est sûr que les vendeurs seront nombreux, il est également certain que la demande sera faible, voire nulle.

                      C'est ce qui est arrivé. Les Français d'Algérie, poussés dans les bateaux par le pouvoir algérien, soutenu dans son action par le gouvernement français, ont été pour la majorité d'entre eux, contraints d'abandonner leurs biens et de partir avec une valise comme seul capital". ('Les Oubliés de la Guerre d'Algérie' par Raphaël  DELPARD).

 

            "...les pourparlers d'Evian, entre un Etat constitué et un groupe sans légitimité propre (sauf celle que la France a bien voulu lui accorder pour la circonstance), étaient un leurre qui permettait à la République de liquider l'Algérie en toute tranquillité, au détriment des Français et des musulmans pro-français.

              ...Ce qui frappe dans les accords d'Evian, c'est l'absence explicite de toute sanction contraignante efficace. Certes un Appel est prévu devant la Cour Internationale de Justice de la Haye, mais cette Cour ne peut rendre que des sentences arbitrales dépourvues de toute sanction contraignante. Or un droit qui ne comporte aucune sanction efficace, s'il est violé, est un droit purement formel qui ne garantit absolument rien.

                  ...Par les accords d'Evian, les Français d'Algérie sont en fait livrés sans défense réelle à un pouvoir dont on ne sait rien et dont on peut tout craindre. Pour les rassurer on leurs donne quelques pages imprimées. On peut parcourir toute l'Histoire: Jamais des garanties verbales n'ont garanti quoi que ce soit". (Synthèse réalisée en 1962 par Maurice ALLAIS, Prix Nobel de Sciences Economiques).

                  

            Dans la foulée,  le 'Cessez-le-feu' sera proclamé le lendemain 19 mars.

 

          "De Gaulle va suivre le plan concocté par lui-même et ses fidèles collaborateurs sans jamais s'en écarter. Il ouvre les barrages du Maroc et de la Tunisie afin que les unités militaires algériennes puissent pénétrer au moment opportum, le 5 juillet par exemple, sans qu'elles ne rencontrent le moindre obstacle. Dès fin 1961, il rapatrie des pans entiers de l'armée française, cela des mois avant les accords d'Evian. Comme prévu, les harkis sont désarmés et licenciés de l'armée.

             Sans état d'âme, sans le moindre mouvement de compassion pour les Français enlevés ou assassinés, sûr de son bon droit, de Gaulle est soutenu dans son action par les accords qu'il a inspirés et qui lui servent de faire-valoir : 'A compter du 19 mars 1962, la

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France n'a plus de responsabilité en Algérie', aime-t-il à répéter. Pour parachever le tout, il fait voter en 1963, spécialement pour l'Algérie, une loi d'amnistie sur les crimes de guerre le couvrant, lui et les siens, y compris les ennemis d'hier, contre toutes poursuites éventuelles.

               Ainsi, la France a pu inscrire, dans son histoire tumultueuse, un fait rare, probablement unique: pour la première fois, le pouvoir n'hésite pas à sacrifier des milliers de ses ressortissants pour satisfaire l'ambition de son dirigeant". ('Les Oubliés de la guerre d'Algérie' par Raphaël  DELPARD).

 

             "La ville d'Issy-les-Moulineaux, attache depuis toujours, une importance au devoir de mémoire.

               ...C'est pourquoi il est naturel qu'Issy-les-Moulineaux s'associe à la Journée Nationale d'Hommage aux Harkis et autres membres des formations supplétives pour que les générations futures mesurent l'importance de leur sacrifice et n'oublient rien du tribut tragique qu'ils ont payé alors.

              ...Souvenons-nous que, supplétifs, militaires d'active, agents de l'Etat ou anciens combattants, ce sont près de 280 000 musulmans restés fidèles à la France pendant la guerre d'Algérie qui ont été directement menacés de mort par le FLN à la fin de la guerre, soit plus d'un million de personnes si l'on y ajoute leurs familles.

               Du fait du refus du gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour les protéger, 150 000 d'entre elles seront assassinés dans des conditions abominables, après le 19 mars 1962, date officielle du Cessez-le-feu.

              Après cette date, 25 000 Pieds-noirs ont également été massacrés ou enlevés, sans avoir davantage été secourus ni recherchés.

                Ces chiffres terribles, c'est moi-même qui les ai communiqués, alors que j'étais Secrétaire d'Etat aux Rapatriés, de 1986 à 1988".  ( Discours prononcé par André  SANTINI, à la mairie d'Issy-les-Moulineaux, le25 septembre 2010).            

 

              La journée nationale officielle en mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie est célébrée, pour certains, le 19 mars de chaque année, correspondant au 19 mars 1962, date du 'Cessez le feu en Algérie' et pour d'autres, le 5 décembre de chaque année, date qui correspond à l'inauguration, le 5 décembre 2002, du Mémorial d'AFN, situé quai Branly, à Paris, par le président CHIRAC. Pour cette dernière date, tout à fait fantaisiste d'ailleurs et que notre président n'aurait jamais dû accepter, il ne s'agit-là, pour nombre d'anciens d'Algérie, que de célébrer la 'Saint Gérald'...

 

         Comme beaucoup, je pense que l'Etat français a bien tardé pour décider d'une journée commémorative (quarante années après le Cessez-le-feu...), alors que la FNACA (Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie)  l'a instituée depuis 1963. Le choix d'une date

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commémorative de ce conflit a toujours suscité des débats houleux  entre la 'gauche et la droite' au Parlement, et divisé les Associations d'Anciens Combattants. Le 8 novembre 2012, le Sénat a adopté une proposition de loi socialiste qui fait du 19 mars, anniversaire du Cessez-le-feu en 1962, la 'Journée nationale du souvenir en mémoire des victimes de la guerre d'Algérie'.

 

             "Il y a cinquante ans, c'était le Cessez-le-feu en Algérie, au terme de longues souffrances....la guerre d'Algérie ne s'achève pas le 19 mars, ce n'est que le Cessez-le-feu, à ne pas confondre en aucun cas avec la fin de la guerre...Cinquante ans après, il est urgent de rendre hommage, honneur et dignité à la troisième génération du feu, partie en Algérie, parfois sans comprendre tous les objectifs, parfois sans les partager, et qui a répondu avec abnégation et courage à l'appel de la nation.

             Cette troisième génération du feu, ne l'oublions pas, est celle des enfants de la guerre 1939-1945, de ceux qui avaient déjà souffert de l'Occupation, des privations matérielles, mais aussi et surtout des privations morales et affectives. Beaucoup ne connurent leur père qu'à l'âge de cinq ans, lorsque ce dernier rentra de captivité, ou ne le connurent jamais. Dix ans après le retour, ou la disparition, de leur père et de leur mère, ils partaient en Algérie.

               Mettez-vous également à la place des familles, en particulier des mères qui, après avoir vu partir leur époux en 1939-1945, voyaient partir leurs fils en Algérie. Douloureuse épreuve, d'autant que, longtemps, la France n'a pas osé reconnaître que, en Algérie, c'était bien la guerre....

             Cette guerre d'Algérie, restée trop longtemps une guerre sans nom, ne doit pas rester une guerre sans date historique et symbolique de reconnaissance et de recueillement pour toutes ses victimes...En effet, la guerre d'Algérie, tout comme les deux conflits mondiaux, appartient à notre histoire.  

                Le 19 mars est un moment de recueillement pour toutes les victimes qui ont oeuvré dans le respect des lois de la République. ("Alain NERI" - Rapporteur PS de la proposition de loi au Sénat).

 

           Mais même s'il y avait un consensus entre les différentes Associations d'Anciens Combattants sur cette question de date, jamais il n'aura le pouvoir de rendre l'Algérie à ceux qui l'ont perdue. Maintenant, la date du 19 mars n'appartient plus à la FNACA mais à l'Histoire de notre pays...à moins qu'un changement de politique à l'horizon 2017 ne remette en question cette date... Ce serait alors ne plus en finir avec cette date.

 

         L’exécutif provisoire est mis en place en Avril 1962, à Rocher Noir. Le 1er Juillet 1962 a lieu le Référendum sur l’Autodétermination du peuple algérien : 99,7 %  en faveur de l’Indépendance. Celle-ci est proclamée le 5 Juillet 1962. Le premier ambassadeur de France en Algérie sera Jean-Marcel JEANNENEY.

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          L'Algérie est, de part sa superficie (2 382 000 km2 soit près de 5 fois la surface de la France), le plus grand pays du continent africain, du monde arabe, et du pourtour méditerranéen. La colonisation française aura durée 132 ans. Dans quelles circonstances a-t-elle débutée?

         Ce que l'on peut lire couramment sur certains documents d'histoire:

 

         Elle débuta le 14 Juin 1830 avec le débarquement du Corps Expéditionnaire Français sur la côte de Sidi Ferruch, à la suite d’un regrettable ‘coup d’éventail’ donné à Pierre DEVAL, alors Consul de France, par le dey HUSSEIN. Un incident diplomatique qui aurait pu être provoqué soit par une dette restée impayée par la France, soit par l'affaire des fortifications de la Calle. 

 

         La dette : 

 

       'En 1800, lors de la campagne d'Egypte du général BONAPARTE, un contrat pour le ravitaillement en blé de l'armée française est conclu et le dey d'Alger HUSSEIN, offre des facilités pour cet achat, consentant même un prêt sans intérêt. La guerre terminée, les régimes se succèdent mais oublient la dette. Le dey est en froid avec le Consul de France, car il comprend que les livraisons de blé ne lui seront jamais payées. D'où le 'coup d'éventail' '.

 

 

        La Calle :   

 

         "En 1827, le dey d'Alger découvre que la France avait fortifié sur son sol, un entrepôt dont elle avait la concession et qu'elle s'était engagée à ne pas fortifier. Le 30 avril 1827, le dey demande des explications au Consul. Celui-ci ignorant ouvertement sa demande, le dey s'emporte et lui donne un 'coup d' éventail' '.

 

 

           Les deux versions, quoique différentes, sont certainement vraisemblables mais pas suffisantes, aux yeux des historiens, pour expliquer les véritables raisons de la colère du dey d'Alger...

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        On pourrait avancer une autre version, qui crédibiliserait davantage ce ' débarquement à Sidi Ferruch' :

 

            "En réalité, cette expédition est surtout lancée pour faire diversion aux problèmes politiques rencontrés par Charles X et le Prince de Polignac, alors Président du Conseil depuis août 1829, lequel était devenu rapidement impopulaire par le choix de mesures politiques autoritaires. De plus, Charles X est à court de trésorerie et la colère du peuple parisien menace. S'emparer de l'immense pactole que constituait la fortune du dey d'Alger (évaluée à 4 milliards d'euros), pouvait représenter l'objectif majeur d'une expédition. Ils espèrent également tous deux que cette expédition leur donnera suffisamment de prestige pour remporter la bataille électorale en vue des élections à la Chambre des Députés, laquelle est dissoute depuis le 16 mai 1830.

            Mais, la nouvelle de la prise d'Alger le 5 juillet 1830, arrivera trop tard en France pour modifier le cours des élections. Et cette conquête laissera l'opinion française indifférente car trop éloignée d'un projet politique d'envergure. On pourrait ajouter aussi que cette intervention devait permettre de calmer la piraterie  maritime en Méditerranée, qui était le fait des pays du  magreb, et qui sévissait depuis de forts longs siècles.

                    Entre le 11 et le 18 mai 1830, pas moins de 37 000 hommes s'embarquèrent  pour conquérir la bande côtière de la Régence d'Alger, dénommée plus tard 'Algérie'. Le débarquement eut lieu le 14 juin de la même année à Sidi Ferruch et le 5 juillet, les troupes françaises faisaient leur entrée dans la forteresse d'Alger". ("Jules de Polignac - 1780-1847").

                         

           Charles X ne prit peut-être pas là sa meilleure décision...Il fut renversé, très peu de temps après, par la ‘Révolution de Juillet’ de l’année 1830.  Quant à Polignac, il fut condamné, en novembre 1836, à la prison perpétuelle mais sa peine sera communiée en vingt années de bannissement hors de France.

 

          Le problème des 'pirates barbaresques' apparait souvent dans les livres d'histoire. Il faut reconnaitre qu'à cette époque, ce problème était bien réel, on ne pouvait 'l'escamoter', et la prise d'Alger par la flotte française, aidée par celle des Anglais, permis d'y mettre fin une fois pour toute.

 

          'Esclaves blancs en terre d'islam:

 

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         ...On évalue à plus d'un million le nombre d'habitants enlevés en Europe occidentale entre le XVIe et le XVIIIe siècle, au temps de François 1er, Louis XIV et Louis XV. Ces esclaves, surtout les hommes, sont exploités de la pire des façons dans les orangeraies, les carrières de pierres, les galères ou encore les chantiers d'Afrique du nord. Des organisations chrétiennes déploient beaucoup d'énergie dans le rachat de ces malheureux, tel Miguel de Cervantès ou plus tard Saint Vincent de Paul.

   Jusqu'au début du XIXe siècle, les princes de la côte nord-africaine tirent eux-même de grands profits de la piraterie en imposant de lourds tributs aux armateurs occidentaux en échange de la garantie que leurs navires ne seraient pas attaqués par les pirates. En 1805, le président américain Thomas JEFFERSON lance une expédition navale contre le dey de Tripoli, en Lybie, pour l'obliger à renoncer à ce racket. Le dey d'Alger le poursuivra quant à lui jusqu'à la conquête française en 1830'. ( de Alban DIGNAT - Hérodote).

    Sur le plan humain, le bilan de la guerre d’Algérie, entre 1954 et 1962, n'est pas facile  à établir, surtout pour l'Algérie. 

 

         Pour la France:    23 196  militaires tués (dont 11 915 appelés).  30% furent victimes d'accidents divers.

                                          60 188 militaires blessés,

                                            2 788 civils tués,

                                            1 736 civils disparus.

 

       Pour l'Algérie:    Ce bilan est très difficile sinon impossible à évaluer, car les sources divergent énormément. Selon les Archives algériennes, 152 863 moudjahidines auraient été tués. L’Algérie compte, en 1964, près de 1 500 000 victimes de cette guerre. Ce chiffre deviendra officiel en 1965.

       Le nombre de combattants de l’ALN tués demeure inconnu. La guerre entre le FLN et le MNA  (deux partis politiques opposés) fera 4 300 tués et 9 000 blessés en France et environ 6 000 tués et 4 000 blessés en Algérie. Le nombre de harkis massacrés, entre 1962 et 1966, est évalué par les historiens français entre 60 000 et 80 000 victimes.

 

       Cette guerre aura un coût pour  la France: entre 30 et 40 milliards de francs. ("Le coût de la guerre d'Algérie").

  Reconnaissance de l’état de guerre en Algérie.

 

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        Proposition de loi tendant à la 'reconnaissance de l'état de guerre en Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc' adoptée à l'unanimité par le Sénat le 5 octobre 1999.

 

           " Le courage, disait JAURES, c'est de chercher la vérité et de la dire". 

        

          " Le moins que l'on puisse dire, c'est que le courage a manqué pendant quarante-quatre ans puisqu'il aura fallu quarante quatre ans pour appeler 'un chat', un chat et pour reconnaitre que ce qu'il était convenu d'appeler publiquement "maintien de l'ordre", "pacification", "évènements", entre 1954 et 1962, s'agissant de l'Algérie, n'était rien d'autre qu'une guerre'. ('Michel DREYFUS-SCHMIT' - Séance au Sénat du 5-10-1999).

 

  Le terme de "Guerre d’Algérie   » a été officiellement adopté en France près de 37 années après l’indépendance de l’Algérie. 

 

  22: L A T O R T U R E .

 

22ème   Chapitre   :       L A       T O R T U R E .    

 

       De tout mon temps passé en Algérie, je n’ai jamais vu un des nôtres ou des gradés torturer un prisonnier ou commettre un viol. Nous n’avons jamais vérifié ou entendu dire que la torture était pratiquée dans l’enceinte même de notre camp ou sur le terrain. Ce fut une grande chance pour nous. Nous la devions à l’intégrité mais aussi à la moralité des officiers et sous-officiers qui nous commandaient à cette époque, en particulier les capitaines DEROLLEZ et SALVAN, les lieutenants MICHAUD et PINVIDIC, successivement commandants de Compagnie par intérim, les sous-lieutenants BARBOTTEAU et FISCHER, les adjudants CARARO et BENADEN et tous les autres officiers ou sous-officiers dont les noms m'échappent aujourd'hui.

 

        En ce qui concerne le capitaine SALVAN, voici ce que disait de lui, au sujet de la torture, Jacques JULLIARD, alors élève-officier de l’école militaire de Cherchell, devenu par la suite journaliste au Nouvel Observateur :

 

        "Les discussions se poursuivirent les jours suivants, notamment avec le lieutenant qui dirigeait notre section à Cherchell. Beaucoup d'autorité et de stature, de la culture, le visage

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et le corps couturés de cicatrices reçues au combat. Il jouissait chez nous d'un grand prestige. Ce baroudeur, qui était un chrétien convaincu, nous déclara qu'il n'avait jamais pratiqué la torture, ne la pratiquerait jamais et que l'on pouvait faire cette guerre sans se déshonorer. J'ai le plaisir à citer le nom de cet officier qui est resté mon ami et qui devait ensuite commander les forces de l'ONU au Liban où il fut de nouveau blessé: c'est le général Jean SALVAN".

 

          Tous les gradés de notre Compagnie, par leur comportement, nous ont permis de conserver notre honneur et notre dignité.  Ce n’est que bien plus tard, après mon retour à la vie civile, que j’ai appris, par différentes sources, que la torture aurait été pratiqué par certains éléments ou dans certaines unités de l’armée française. Je dis bien ‘certains éléments’ ou, 'dans certaines unités', car je me refuse à croire que ces 'pratiques' s'étaient généralisées dans toutes les unités de l'armée française.   

 

       Ces dernières années, certains médias ont mis en exergue la pratique de la torture au cours de la guerre d’Algérie, en dévoilant certaines vidéos ou en présentant des interviews d'anciens d'AFN, stipulant que l'armée française savait, et qu'une grande partie de ses militaires l'avaient pratiquée. Ce que je peux dire à priori, c’est que, lorsque les médias s'avancent à parler de 'la pratique de la torture en Algérie', ils devraient s'obliger à dénoncer ce qui s'est réellement passé dans 'un camp comme dans l'autre'. Il me parait inadmissible, de part la déontologie de leur profession, de jeter le discrédit sur notre armée et faire ensuite l’impasse sur les atrocités commises par nos adversaires. Non, les militaires français n'étaient pas des tortionnaires comme on essaie de nous le faire croire. Veut-on salir et culpabiliser les deux millions d'hommes qui ont servi en Algérie et, par la même occasion, nous faire croire qu'en face, ils se seraient mieux comportés ? Je suis certain que les militaires français qui l'ont pratiquée, nétaient pas excessivement nombreux. Ils ne sont pas excusables pour autant, certes!  Mais, placés dans des conditions, comme l'ont été parfois certains militaires, à savoir ce qu'aurait été le comportement de ces gens à l'esprit critique si facile. Il y a un dicton qui dit: 'Pour se permettre de siffler au théâtre, il faut d'abord, avoir payé sa place!.       

 

         L’Armée était placée sous l’autorité gouvernementale. Cette dernière savait fort bien ce qui se passait en Algérie. On ne pouvait parler de 'guerre propre' à cette époque, et encore moins lorsqu’on accorde les pleins pouvoirs à l’armée. Il faut bien avouer que les exactions sont le lot de toutes les guerres. La classe politique, bien informée ne serait-ce que par les réactions indignées de certains gradés, tel le général de la BOLLARDIERE, Compagnon de la Libération, qui sera le seul officier supérieur à condamner ouvertement la torture (ce qui lui vaudra soixante jours d'arrêt), porte une très lourde responsabilité dans la pratique de la torture. Mais, peut-être ont-ils pensé que celle-ci était un ‘mal' nécessaire et inévitable dans ce conflit ? Peut-être que le renseignement à obtenir était à ce prix! Pouvait-on voir un rebelle se 'mettre à table' et avouer où il a posé ses bombes, tout en dégustant un thé à la menthe accompagné d'un makrout ou d'une bassboussa, devant l'officier qui l'interroge, lequel souhaite connaitre au plus vite l'emplacement des explosifs pour les désamorcer et éviter ainsi la mort d'innocents? Et pourquoi s'en prendre à des civils qui ne représentent aucun danger pour eux ?

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            La classe politique de l'époque:

 

          'Grâce à cette nouvelle approche, on voit à quel point MITTERRAND, pourtant chantre de la décolonisation et de l'émancipation des peuples en d'autres circonstances - même antérieures à cette époque - fut, à la fin de 1954 et au début de 1955, l'un des plus zélés défenseurs de l'Algérie française. Ministre de l'Intérieur dans le gouvernement de Pierre MENDES-FRANCE, il agit sans état d'âme pour 'rétablir l'ordre' par la force après avoir prononcé, dès le 12 novembre 1954, juste après le lancement de l'insurrection armée par le FLN, son célèbre "L'Algérie, c'est la France!". Lors de son retour au pouvoir, au début de 1956, comme Garde des Sceaux du cabinet Guy MOLLET, il soutient une répression impitoyable et ferme les yeux sur les pires pratiques policières, notamment lors de la bataille d'Alger.

         

         Il fut, durant la guerre d'Algérie, l'un des premiers partisans de l'envoi à la guillotine de militants indépendantistes. Dans 80% des cas qu'il examine en tant que ministre de la Justice instruisant les demandes de grâce, il recommande l'exécution des combattants ou de simples sympathisants du FLN qui ont été condamnés. Une position que d'autres personnalités de gauche, comme Pierre MENDES-FRANCE ou Alain SAVARY, refusent d'adopter, préférant démissionner quand le gouvernement Guy MOLLET décide de pratiquer la peine capitale. Et, alors que les révélations sur l'utilisation systématique de la torture en Algérie se multiplient, au début de l'année 1957, MITTERRAND trouve que ceux qui protestent 'exagèrent'. ("François MITTERRAND et la guerre d'Algérie" de François MALYE et Benjamin STORA).

 

        Le vote des 'Pouvoirs spéciaux' lors de cette guerre:

 

   "Le gouvernement disposera en Algérie des pouvoirs les plus étendus pour prendre toutes les mesures exceptionnelles commandées par les circonstances, en vue du rétablissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire"; voilà ce que précisait le texte qui fut adopté à l'Assemblée nationale le 12 mars 1956, par 455 voix, y compris celles des 146 députés du Parti Communiste Français, contre 76.

  

          Le gouvernement du socialiste Guy MOLLET avait ainsi sollicité et obtenu des "pouvoirs spéciaux" afin de disposer en Algérie des moyens d'interventions qui lui sembleraient bons, sans même en référer à l'Assemblée nationale...

 

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                Le 17 mars 1956, Guy MOLLET signait avec son ministre de la Défense, BOURGES-MAUNOURY, celui de la Justice, François MITTERRAND, et Robert LACOSTE, gouverneur général en Algérie, un décret relatif à l'application de la justice militaire en Algérie". ("Lutte Ouvrière n° 1963 du 17 mars 2006" par Daniel MESCLA).

 

                 Et la Vème République, arrivée en 1958, continua plus ou moins sur cette lancée.

 

           Pourquoi les médias n’ont-ils pas parlé des atrocités commises par les rebelles sur les militaires français, sur les civils européens de tous âges et sur biens de leurs coreligionnaires, tombés entre leurs mains : égorgement, décapitation, pendaison, éviscération, démembrement, sodomisation, viol, mutilation faciale et, pour les femmes enceintes, viol, fœtus arraché, détruit et remplacé dans le ventre par des pierres, etc. Des militaires français doivent bien encore se souvenir des massacres d'El Halia, de Melouza et de Palestro...Ces atrocités étaient-elles vraiment d’une nécessité absolue pour conquérir une Indépendance? Et après avoir vu ces atrocités, qui pouvait agir avec clémence envers ceux qui les avaient commises?

 

              "S'il est arrivé à l'armée française de torturer, comme cela a été dit et longuement commenté, les Algériens, eux, se sont livré à des actes d'une grande sauvagerie sur les militaires morts. Rarement le corps humain a été autant massacré. Il faut remonter loin dans l'histoire de l'humanité pour trouver trace d'une telle barbarie.

               Egorger, éventrer, émasculer, démembrer, la mort du soldat ne semble pas suffire, le corps doit être supplicié. A quel ordre mystique répond le besoin de sortir les entrailles d'un mort et de bourrer son ventre de cailloux? A croire que la mort d'un combattant ne peut réussir à apaiser la haine amassée pendant cent trente ans de colonisation. Le corps de l'ennemi doit porter les stigmates des rancoeurs.

               Devant des actes aussi ignobles, qui n'ont plus rien à voir avec les 'règles' de la guerre, reconnaissons qu'il est difficile de ne pas accuser les fellaghas de s'être comportés comme des bouchers.

               Comment ne pas crier d'indignation face aux accusations de torture et d'exécutions sommaires portées contre l'armée française alors qu'on oublie de dénoncer, dans le même temps, des actes aussi graves commis par le camp adverse?". ('Les Oubliés de la Guerre d'Algérie' par Raphaël DELBARD).

 

               Je pense malheureusement que l’armée française, par sa réaction à ces exactions, est tombée dans un piège tendu par le FLN. Mais, pouvait-il en être autrement...? Elle a aidé inconsciemment les rebelles qui recherchaient ainsi une répression armée toujours plus forte pour conforter sa politique du moment. Le cycle infernal…Le 8 mai 1945 en fut un exemple frappant...

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               "L'Etat algérien n'a jamais reconnu les exactions commises par le FLN contre les populations civiles de toutes confessions, aussi bien avant qu'après le 19 mars 1962. Par contre, la France seule a reconnu officiellement les actes individuels commis par certains militaires". ('Accords d'Evians' - Wikipédia).

 

           Pour en revenir aux médias, ces derniers n’ont fait que raviver les souffrances et le ressentiment de tous ceux qui ont vécu ces années de tragédie.

 

         'De plus, maintenant : '...transformer les Français de souche en bourreaux, n'a fait qu'injecter le poison de la haine dans le coeur des enfants issus de l'immigration'.

                                                                        ("Le Puzzle de l'Intégration - les pièces qui vous manquent" par Malika Sorel).

 

 

                             E   P   I   L   O   G   U   E

 

          "La guerre d'Algérie a été un des moments de la décolonisation les plus terribles. La société française n'a jamais vraiment examiné avec franchise cet épisode tragique où des milliers de jeunes français moururent, des centaines de milliers furent blessés, traumatisés, dans leur âme et dans leur corps, où une population de citoyens français fut contrainte à l'exode, sinon par la force, du moins par le cours de l'histoire, à abandonner ce qui était pour elle sa patrie, son morceau de France!

          Deux révoltes de l'armée contre le gouvernement légitime et légal, la mort d'une République et finalement, après huit ans d'une guerre atroce, l'abandon de ce qu'on avait, contre toute vraisemblance, appelé 'trois départements français' et l'immense Sahara riche en pétrole et en gaz.

            Gâchis politique, gâchis économique, gâchis social. Mais le pire ne fut-il pas le gâchis moral?

                                                                                                                                    ( "L'Algérie dans l'Histoire" de Henri DRAVET)

                                                                                      

  

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                                           FIN