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1 INSTITUT UNIVERSITAIRE CATHOLIQUE SAINT JEROME DE DOUALA SAINT JEROME POLYTECHNIQUE COURS D’ETHIQUE CHRETIENNE SOCIALITE HUMAINE ET POLITQUE Niveau 4 2015 - 2016 Enseignant : Professeur Abbé Marcus NDONGMO

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INSTITUT UNIVERSITAIRE CATHOLIQUE

SAINT JEROME DE DOUALA

SAINT JEROME POLYTECHNIQUE

COURS D’ETHIQUE CHRETIENNE 

SOCIALITE HUMAINE ET POLITQUE

Niveau 4

2015 - 2016

Enseignant : Professeur Abbé Marcus NDONGMO

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ARGUMENTAIRE

Pour notre cours d’éthique chrétienne, nous allons focaliser l’attention

sur deux grands points qui constituent les deux parties principales de cet

enseignement : la socialité humaine et la politique.

I.  La socialité humaine

L’Eglise catholique enseigne que la personne humaine (distincte du concept

d’individu) est foncièrement et naturellement un être social. Elle est née et

faite pour vivre en communauté avec et pour les autres. Telle est sa vocation

dès les origines, c’est-à-dire dès la création : « Il n’est pas bon que l’homme soit

seul » rappelle le livre de la Genèse dans la Bible.

Si la socialité de l’homme est ainsi une nécessité, elle ne va pourtant pas de

soi. Comme l’attestent l’histoire et les différents courants philosophiques qui

s’y sont succédés, la dialectique personne humaine et communauté s’avère la

plus difficile à gérer. Dans la triade Je – Tu – Il reprise par Paul Ricoeur, (le « je »

symbolisant le Moi, la personne humaine, le « Tu » représentant l’altérité,

l’autre, le « Il » étant la société avec ses institutions), tantôt l’accent est mis sur

un des pôles au détriment des autres. Le cours se propose de parcourir

rapidement ces différents systèmes philosophiques avant de voir comment

mieux articuler les trois pôles en recourant ainsi à l’éthique chrétienne.

II.  La politique

La socialité de la personne humaine appelle de toute évidence une certaine

gestion. D’où la nécessité du politique dont il faut retracer l’origine, la finalité,

les formes et le meilleur type de gestion possible. C’est dans ce sens qu’on  

parle aujourd’hui davantage de démocratie, de l’Etat de droit et de la bonnegouvernance. Quel est le point de vue de l’Eglise catholique par rapport à

toutes ces notions ?

Par ailleurs, nous savons que la politique n’est pas le tout de la vie, à moins

de verser dans le totalitarisme. D’autres instances telles que l’Eglise, les corps

intermédiaires interviennent dans la gestion de la socialité de la personne

humaine. Quelles sont dès lors les relations entre ces instances et le politique ;

plus particulièrement entre la religion et la politique ?

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Voilà succinctement l’orientation que nous voulons donner à ce cours

d’éthique chrétienne qui se déroulera selon le plan suivant :

Première Partie : Nature sociale de la personne humaine

I.  Caractéristiques des sociétés traditionnelles, modernes et

postmodernes.

II.  Evaluation critique des deux types de sociétés.

III.  Vision chrétienne de la dialectique Personne –Communauté.

Deuxième Partie : Politique et Bien commun

I.  Nature et origine du politique 

II.  Finalité du politique : le bien commun 

III.  Relations Eglises –Etats - Sociétés

I.  CARACTERISTIQUES DES SOCIETES TRADITIONNELLES, MODERNES ET

POST-MODERNES.

Les sociétés traditionnelles Les sociétés modernes

1)  Solidarités mécaniques et

spontanées très fortes.

Solidarités relâchées et organisées.

Voir par exemple l’école gratuite et

obligatoire, l’assurance santé en

Occident

2)  Forte influence du groupe social

qui régente tout. C’est le

groupe social qui conditionne

toute la vie de l’individu. Priseen charge de l’individu par le

Individualisme très prononcé. Chacun

pour soi. Cet individualisme est une

philosophie, un mode de vie qui invite

à compter d’abord sur soi. Individulaissé à lui-même, orphelin, isolé, sans

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groupe social qui l’intègre et le

protège

réel tuteur.

3)  Durkheim parle de places

marquées. Dès la naissance, on

sait à peu près quelle placechacun occupera dans la

société. Les places sont en

quelque sorte pré-déterminées

Dans la Modernité, on parle de places

occupées ; il revient à chacun de se

battre pour occuper la place qu’ildésire. On peut être fils de paysan et

se hisser au plus haut niveau de la

société.

4)  Sociétés aux fondements

religieux solides où les mythes

occupent une place de choix

pour expliquer les réalités de

l’univers 

Monde désenchanté au sens de Max

Weber. Règne de la science, de la

technologie et de l’informatique. On

essaie de tout expliquer

scientifiquement. Affaiblissement du

religieux, sociétés sécularisées  – 

laïcité. Privatisation de la foi.

5)  Agriculture de subsistance.

Chacun a son petit champ qui

lui permet de nourrir sa famille.

Le troc permet d’acquérir ce qui

manque.

Agriculture industrielle. Naissance des

grandes plantations mécanisées.

Production massive et recherche des

marchés.

6)  Economie contrôlée par la

société

Economie libérale avec la liberté

d’entreprise 7)

 

Sociétés homogènes et très

unies ; prépondérance de l’Un.

Une seule morale, les mêmes

coutumes autour d’un seul

chef.

Sociétés hétérogènes et diversifiées

qui suscitent un discours multiple. La

diversité est aussi à l’origine de la

division sociale qui est reconnue et

promue.

8) 

Au niveau politique, c’est la

monarchie, pouvoir unifié

autour du Roi ou du chef. Le

lieu du pouvoir est occupé parl’égo-crate qui y est installé

souvent à vie

Dans la société moderne, le lieu du

pouvoir est un lieu vide comme le

montre Claude Lefort. Celui qui

occupe le pouvoir, ne l’occupe queprovisoirement ; alternance

politique et division du pouvoir (les

trois pouvoirs.

9)  Argument de l’autorité :

Respect absolu du statut de

celui qui parle

indépendamment de ce qu’il

dit. Le vieillard est le symbole

de la sagesse.

Argument de conviction : Respect de

ce qui est dit indépendamment de

celui qui parle. Quel que soit votre

statut, il faut arriver à convaincre. Le

vieillard est disqualifié parce qu’on

regarde plus en avant qu’en arrière. 

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II.  EVALUATION CRITIQUE DES DEUX TYPES DE SOCIETES

II.1 Les sociétés traditionnelles et la solidarité

Ce qui caractérise essentiellement la société traditionnelle, c’est la solidarité 

qui existe entre les différents membres. En parlant de solidarité, on ne peut pas

ne pas penser à l’Afrique pour qui la solidarité est une pièce maitresse de son

système social.

Au moment où règnent les deux idéologies prédominantes (capitalisme libéral

d’une part et communisme socialiste d’autre part) et qu’on parle à travers le

monde de la guerre froide, les pays africains accèdent à l’indépendance et il est

question de voir dans quel camp ils se situeront. Bien que certaines tendances

se soient manif estées, les Africains estiment qu’aucune des deux idéologies ne

correspond véritablement à leur vision du monde. C’est pourquoi «  la charte

africaine des droits de l’homme et des peuples » est conçue et adoptée le 27

 juin 1981 à Nairobi et elle indique à sa manière la vision anthropologique

africaine.

Cette vision est une recherche de compromis entre l’individualisme et le

communisme collectiviste. Elle conjure tout danger d’individualisme et exalte la

solidarité comme une des grandes valeurs traditionnelles africaines. La

primauté est accordée au sens de la communauté sans pour autant que les

libertés individuelles soient écrasées. Ce qui est sûr, c’est qu’en Afrique,

l’individualisme s’apparente à la sorcellerie : on se méfie de tout individu qui se

retire du groupe social et cherche à vivre seul. Le sorcier, c’est aussi celui-là qui

agit seul, à l’insu de la communauté et nuitamment.

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Parce que le groupe social est privilégié, on accorde une grande

importance à la famille, au clan, au lignage et au groupe ethnique. L’existence

de l’individu est inconcevable en dehors de ces différents groupes. L’homme

n’existe et ne vit que dans et pour le groupe. Il est un microcosme au sein du

macrocosme qu’est l’univers. L’homme est un être socialisé et sa socialisation

se fait de façon progressive et continue depuis la naissance jusqu’à la mort. Il

est relié au passé (Ancêtres et Traditions), relié au présent (La vie avec les

autres), relié au futur (Progéniture et prospérité du clan).

Au plan politique, l’individu n’est  pas un être isolé face à un pouvoir

solitaire et discrétionnaire. La cosmologie africaine veut que l’individu ne se

situe toutefois pas uniquement par rapport à ses semblables, mais également

par rapport à l’ordre naturel des choses qui l’entourent. Il y a tout un réseau de

liens avec les semblables et le cosmos qui lui assure une certaine sécurité. La

fonction du groupe est justement de garantir le confort de ses membres par la

solidarité. Tout ce qui peut porter atteinte à cette cohésion sociale est

fortement combattu.

Avec l’influence du modèle occidental, l’urbanisation et l’introduction de

la logique marchande, les solidarités traditionnelles ont certes connu une crise

profonde. Mais en dépit de tout, de nouvelles solidarités voient le jour,

solidarités beaucoup plus négociées, sinon que les solidarités traditionnelles

sont déportées en ville (Voir les solidarités organisées en ville par villages).

Dans tous les cas, l’homme africain ne se conçoit pas sans la communauté qui

lui procure le nécessaire vital et assure ses droits.

Cependant, des questions demeurent par rapport à cette solidarité

africaine : Dans quelles mesures la communauté n’est-elle pas un carcan pour

l’individu ? Cheikh Anta Diop mettait déjà en garde les Africains sur un « excès

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de vie communautaire » Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie ? , Présence

Africaine, Paris, 1981. Quant à Joseph Ki Zerbo, il reconnaissait que la solidarité

est une vertu si profondément ancrée dans les pratiques et les consciences

qu’elle finit par inhiber les efforts de développement par certains effets induits.

Joseph Ki Zerbo, « Les droits de l’homme en Afrique, Traditions et Modernité,

in Spritus, n° 144 (1996).

De fait, la solidarité africaine comporte elle aussi ses faiblesses :

Une solidarité clientéliste : qui veut que quiconque occupe un poste de

pouvoir est tenu d’en faire profiter les membres de sa famille et de son

clan, même s’il faut prendre le risque d’un détournement de fonds et de

deniers publics. Une telle conception est à l’origine de la corruption, de

la négation des compétences et du tribalisme, des maux qui sont l’envers

des droits de l’homme. 

La difficile autonomie de l’individu : En Afrique, la dette est le moteur de

la socialisation. Nul n’y échappe et chacun en entretient le cycle infini,

car chacun commence par être débiteur, avant de pouvoir prétendre à

son tour au statut de créancier. Si le poids de la dette est trop lourd,

l’individualisation comme processus d’autonomie devient très difficile.

Même si cette autonomie n’est pas rupture de la solidarité, mais

recomposition et refondation sur les bases d’une intersubjectiviténégociée. Dans tous les cas, l’homme doit devenir sujet, être libre et

responsable.

Solidarité et parasitisme : Une solidarité mal vécue ne peut engendrer

que le parasitisme. On compte tellement sur les autres qu’on finit par ne

plus rien faire. On croit que c’est un devoir d’aider et de soutenir ceux-là

qui ne veulent rien faire.

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Pour être opérationnelle et efficace, la solidarité africaine doit nécessairement

corriger toutes ces faiblesses. Autrement, il va sans dire que la solidarité reste

une vertu à promouvoir non seulement à l’échelle nationale, mais également

internationale. La mondialisation actuelle devrait aider à mieux le comprendre.

II.2 Sociétés modernes et Individualisme

Derrière la philosophie de Hobbes se profile une anthropologie, c’est-à-

dire une vision de l’homme qui nous amène à affirmer que Hobbes est l’origine

de l’individualisme moderne qui prend tout son essor avec le siècle des

lumières. On entre dans une nouvelle herméneutique du rapport dialectique

individu  –  communauté. Alors que les sociétés traditionnelles mettaient

l’accent sur la société, les sociétés modernes donnent la priorité à l’individu-roi.

Ce qui conduit à la recherche d’une autonomie absolue, liberté sans frein en

ruinant le sens du bien commun, de la solidarité, de la responsabilité et du

souci pour les plus démunis.

L’individu est antérieur et extérieur à la société. Dans la conscience

collective, l’individu est un être isolé, existant véritablement en soi et la société

est perçue comme la réunion d’une multitude d’individus. Etre moi, c’est être

distinct, différent des autres, responsable de ma différence. La modernité a

engendré l’individu comme entité distinguée et promue, reconnue dans son

unité et son unicité, tant par rapport à autrui que par rapport à la société en

général, comme valeur éminente, reconnue dans ses droits spécifiques.

Ce processus d’individualisation donne naissance au libéralisme, aux

philosophies du sujet qui se caractérisent par l’affirmation prioritaire de

l’autonomie de l’homme comme sujet et comme être capable de façonner le

monde, voire de la créer. C’est une vision du monde selon laquelle chacun est

pris dans son individualité et dans son droit à la liberté. Vision quelque peu

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narcissique et nombriliste (Le nombrilisme entendu comme l’attitude de celui

pour qui rien ne compte sinon lui et ses problèmes ; on ne songe qu’à soi ;

tendance à s’affirmer indépendamment des autres.

Pour Jean-Paul Sartre, un des pères du libéralisme, l’égo seul est à la

source du vrai, du bien et du sens. Il n’y a ni essence, ni nature humaine, pas

plus qu’il n’y a de déterminisme. L’homme est libre  ; il est liberté. L’existence

est un humanisme parce qu’il rappelle à l’homme qu’il n’y a pas d’autre

législateur que lui-même. Absoluité de l’égo qui fait du sujet conscient et libre,

la source absolue du sens.

Ainsi, dans la société moderne qui coïncide avec l’avènement de

l’individu-roi, celui-ci est renvoyé à lui-même, élevé au rang de référence

première et dernière. Moins encadré socialement, il lui revient de se constituer

en centre de décisions. Le relâchement des solidarités traditionnelles a pour

heureuses conséquences la libéralisation des initiatives. Mais il y a aussi des

conséquences néfastes. L’individu moderne est un être solitaire, être sans

tuteur et sans appui. Même les références traditionnelles sur lesquelles il

pouvait s’appuyer se sont effritées ou ont perdu leur créd ibilité sous la critique

de la rationalité moderne. Les sagesses ancestrales sont relativisées ; le vieillard

perd son statut d’homme d’expérience et de sagesse. Le développement rapide

des savoirs et des savoir-faire ne permet plus de se contenter des acquis.

L’acquis n’est qu’un point de départ transitoire et sans autre valeur. Les

références sociales deviennent floues, très instables et fragilisent l’individu qui

a du mal à nouer des relations durables. L’individu est toujours un être

insatisfait. Comme dit G. Mendel, c’est un individu sans appartenance.

« L’individu sans appartenance est celui qui ne reçoit plus son identité d’un Moi

du groupe mais c’est un Moi qui a la tâche de faire sa propre identité par ses

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libres choix. Il compose son existence à la carte sur le marché des idéologies,

des valeurs et des croyances et il repousse les menus tout faits d’avance : c’est

l’individu autonome qui veut décider par lui -même et qui refuse de signer des

chèques en blanc sur le long terme. C’est l’individu qui revendique le droit au

bonheur ici et maintenant, qui ne veut plus se sacrifier mais s’épanouir dans

toutes les dimensions de sa personnalité. »

-  G. MENDEL, 54 millions d’individus sans appartenance…

-  Louis DUMONT, Essai sur l’individualisme ; une perspective

anthropologique sur l’idéologie moderne. Seuil, Paris, 1983. 

-  Norbert ELIAS, La société des individus, Fayard, Paris, 1991.

Le capitalisme libéral

Le libéralisme qui est un système philosophique, n’en saurait rester au

niveau culturel. Il est traduit concrètement au niveau économique donnant

ainsi naissance au capitalisme libéral avec comme points forts la liberté de

l’individu et le respect de ses droits fondamentaux, la reconnaissance du rôle

fondamental et positif de l’entreprise, le droit à la propriété privée, la liberté

du marché qui se régule par lui-même sans qu’une autorité extérieure ait à

imposer sa volonté, le sens de l’émulation, de la concurrence et de la libre

créativité.

La doctrine sociale de l’Eglise, tout en reconnaissant les avantages d’un

tel système, estime également que ses inconvénients n’en sont pas moindres.

Sont pointés entres autres :

L’individualisme exacerbé qui ne correspond pas à la vérité de l’homme

et ruine le sens du bien commun. Cet individualisme est centré sur un

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Moi narcissique, sur des attitudes hédonistes et nombrilistes. La liberté

conçue comme une fin en soi comporte le risque de verser dans

l’arbitraire et dans le subjectivisme. Dans le même sens, le rôle de la

société et l’Etat est extrêmement affaibli. 

Le capitalisme libéral crée une société de consommation. L’activité

économique ne vise plus seulement à satisfaire les besoins primaires

comme c’était le cas autrefois, en améliorant la qualité de la vie, mais

elle crée de nouveaux besoins et de nouvelles méthodes de les satisfaire

en exploitant les instincts et les fragilités de l’homme sans égard à sa

dimension spirituelle (Voir le rôle de la publicité).

Ce système est plus orienté vers l’avoir que vers l’être. Le principe est de

toujours avoir plus sans se soucier de l’être. La société de jouissance est

néfaste à la santé spirituelle et physique de l’homme. On finit par faire

de l’avoir, l’essence même de la personne humaine ; l’homme ne vaut

que par les biens matériels qu’il possède. Le critère de l’efficacité et durendement prime sur tout. D’où l’abandon des vieillards, des invalides et

des handicapés : civilisation utilitariste.

Le capitalisme libéral est fondé sur une recherche excessive du profit.

L’économie devient un absolu. On assiste à une exploitation abusive de

l’homme par l’homme. Payer peu les ouvriers pour en tirer le plus grand

profit. On finit par opprimer l’homme et à l’aliéner en créant du même

coup des classes sociales disparates et injustes.

La question de l’écologie : Le désir de jouir et de consommer l’emportant

absolument, l’homme utilise de manière excessive et désordonnée les

ressources de la terre, ce qui aboutit à la destruction irrationnelle et

insensée du milieu naturel. Disposant arbitrairement de la terre, en la

soumettant sans mesure à sa volonté, l’homme finit par provoquer «  la

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révolte de la nature, plus tyrannisée que gouvernée ». D’où aujourd’hui

la nécessité de protéger la nature.

II.3 Le socialisme communiste

Au regard de tous les inconvénients que nous venons d’énumérer, le

socialisme apparaît comme une réaction, une alternative au libéralisme. Il y est

question de corriger tous ces défauts par le collectivisme communiste hérité du

marxisme et qui met la priorité du collectif sur l’individuel. Karl Marx part du

constat des inégalités et des injustices observées entre les classes sociales.

D’un côté, il y a une minorité qui détient tout le capital et tous les moyens de

production ; de l’autre, une majorité qui n’a que son travail, la force de ses bras

à offrir. La première classe, classe des non-travailleurs, exploite abusivement et

sans aucune honte la deuxième. Pour rétablir la justice, il faut engager une

révolution, renverser la classe dominante, supprimer la propriété privée,

nationaliser tous les moyens de production, mettre tout en commun et

procéder à une répartition équitable, à chacun selon ses besoins. Une telle

révolution (même violente) aurait dû avoir lieu depuis longtemps n’eût été la

religion, opium du peuple. Par son statut intermédiaire, elle maintient le statu

quo en prenant chez les bourgeois et en réinvestissant chez les pauvres sous

forme de charité. Or, ce dont ont besoin ces pauvres, ce n’est  pas la charité,

mais la justice qui rendrait à chacun ce qui lui revient de droit.

Bien qu’une telle idéologie semble alléchante, attrayante et même très

proche de la première communauté chrétienne, la doctrine sociale de l’Eglise la

trouve redoutable en pratique ; elle est truffée de beaucoup d’erreurs dont les

principales sont :

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La première erreur est d’ordre anthropologique  : dans cette idéologie,

l’individu est considéré comme un simple élément, une molécule de

l’organisme social en sorte que le bien de chacun est tout entier

subordonné au fonctionnement du mécanisme économique et social.

Refus d’une vision personnaliste de l’homme ; la personne n’est pas

considérée comme un sujet autonome de décision morale ; elle ne

dépend que de la structure sociale et de ceux qui la contrôlent. Elle est

conçue comme un être communautaire soumis à la société et à ses

forces collectives et dépersonnalisées. Sa valeur est subordonnée à celle

de l’Etat ou de la collectivité. Négation de la dignité transcendantale de

la personne humaine et violation de ses droits et libertés.

La deuxième qui découle de la précédente, c’est le rôle absolutisé de

l’Etat  ; Etat-providence qui a une trop forte influence, qui contrôle et

régente tout, y compris l’étatisation des moyens de production.

L’exaltation exagérée de l’Etat-Parti fait qu’il devienne la sourcepremière et suprême des droits et des libertés ; la personne humaine ne

représente qu’un tout petit élément du système. De fait, ce sont ceux qui

représentent cet Etat qui constituent désormais la nouvelle classe

bourgeoise dont la dérive totalitaire et la violence étatique écrasent les

individus qui deviennent des « sans-droit ».

La troisième erreur est la suppression de la propriété privée qui est

pourtant un droit inaliénable. En niant le droit à la propriété privée, on

tue par le fait même le sens de l’émulation, de la libre créativité et de la

concurrence qui sont des facteurs essentiels d’un développement

économique.

La quatrième erreur a trait à la négation des corps intermédiaires comme

la famille, les groupes sociaux, culturels et politiques que l’Etat redoute

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et qui sont pourtant des lieux où l’homme réalise sa nature sociale. Tant

que ces lieux ne sont pas reconnus, l’individu se trouve confronté

directement à la grosse structure de l’Etat qui ne peut que l’écraser. 

La cinquième erreur concerne l’exacerbation des conflits sociaux qui, à

travers la haine suscitée à l’égard des riches, la lutte des classes et la

prévalence du principe de la violence sur celui de la raison et du droit,

n’a fait que conduire à une logique de guerre. L’esprit de haine et de

vengeance conduit inéluctablement à un cycle tragique de guerres.

Enfin, il y a l’athéisme, négation de Dieu qui conduit à la négation de

l’homme et prive la personne humaine de ses racines et de l’ouverture à

la transcendance. Nier Dieu ne peut conduire qu’à la méconnaissance de

la dignité humaine.

Toutes ces erreurs font comprendre la lutte acharnée de l’Eglise contre le

marxisme communiste et les systèmes politiques qui en découlaient. Comme le

disait le pape Léon XIII, le communisme était un remède pire que le mal qu’il

entendait combattre. Heureusement, tous ces systèmes ont fini par s’écrouler

autour des années 1989 avec les événements survenus dans les pays de

l’Europe centrale et orientale. 

III. 

VISION CHRETIENNE DE LA DIALECTIQUE PERSONNE -

COMMUNAUTE

III.1 Le personnalisme communautaire

Ce courant se rapproche nettement de la vision chrétienne. On a même

parlé à son propos d’un humanisme chrétien représenté par E. MOUNIER,

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Manifeste au service du personnalisme, in Œuvres, t.1, Seuil, Paris, 1975. (Voir

aussi la collection Que sais-je ?, le personnalisme, PUF., Paris, 1985.)

C’est un courant qui veut réconcilier à la fois la dignité personnelle

inviolable, la liberté de l’individu et sa nécessaire ouverture à une communauté

d’autres individus. Il est né de la prise de conscience du caractère de plus en

plus impersonnel des rapports entre les hommes dans la société, avec pour

conséquence une dépersonnalisation croissante, une pauvreté de l’humain,

faisant de l’individu un être coupé de ses semblables et finalement étranger à

lui-même. Le concept-clé de ce courant est celui de « personne », entendu

comme l’axe central de la compréhension de l’homme. Ce concept est préféré

à tous les autres comme « conscience, sujet, moi, subjectivité, individu ». La

personne n’est pas un individu au sens d’un être refermé sur lui-même.

L’homme est une personne toujours ouverte sur ses semblables et dans la

société.

Ce courant affirme le primat de la personne sur les nécessités matérielles

et sur les esprits collectifs qui soutiennent son développement. Il accorde une

valeur incomparable à la personne humaine, une dignité sans prix au sens

kantien, c’est-à-dire qu’elle ne doit jamais être traitée comme une chose, un

moyen, mais toujours comme une fin. Le personnalisme reconnaît la

transcendance de la personne humaine par rapport aux institutions et à toutes

les réalités sociales, ainsi que le caractère irréductible de l’être humain qui ne

peut être confondu avec quoi que ce soit, ni être aliéné.

E. Mounier développe les cinq grandes dimensions  de la personne

humaine :

* Elle est transcendante (vision qui va à l’encontre du matérialisme et du

rationalisme).

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*Elle est corporelle : unité d’esprit et de corps ; vision qui va l’encontre

du dualisme platonicien qui tend à séparer le corps de l’âme. 

*Elle est libre (mais pas au sens d’une autarcie ou d’une liberté absolue

au sens sartrien).

*Elle est communication et communion ; relation d’amour avec et pour

les autres.

*Elle est conversion intime dans le sens où il ne faut pas figer la personne

humaine ; elle est susceptible de changement.

En bref, il s’agit d’une hypostase, c’est-à-dire d’une substance en soi. Sa dignité

ne dépend pas de son « socius », de son rôle joué dans la société. Réalité

unique, irremplaçable, valeur suprême, elle est plus qu’un individu parce

qu’elle est toujours en relation avec les autres personnes. Autrui, loin d’être un

enfer, est au contraire une grâce. « La personne n’existe que vers autrui, elle

ne se connaît que par autrui et elle ne se trouve qu’en autrui. »  Le

personnalisme, en luttant contre l’individualisme, le collectivisme, l’étatisme, la

matérialisme, entend promouvoir l’amour plus que le droit. Il n’y a pas d’abord

un moi et un toi, des individus séparés qui contractent ensuite pour former une

société. Le « nous » est immanent au « je » ; il est intérieur au « moi » et au

« toi ». La personne est ouverte à ce qui est au dessus d’elle comme à ce qui est

en dessous. Il y a un rapport dialectique entre personne et communauté si bien

que manquer la communauté, c’est manquer la personne ; manquer la

personne, c’est manquer la communauté.

III.2 LA PERSONNE HUMAINE en perspective chrétienne

Pour articuler le rapport personne humaine et communauté, la doctrine

sociale de l’Eglise fait siennes les grandes articulations du personnalisme

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communautaire et insiste davantage sur les traits caractéristiques que revêt la

personne. En toute circonstance, on devra tenir compte de ces traits

essentiels :

- La personne humaine : image de Dieu, « imago Dei  »

Le christianisme voit dans l’homme, dans chaque homme, l’image

vivante de Dieu lui-même. Cet homme reçoit de Dieu une dignité incomparable

et inaliénable. Dieu place la créature humaine au centre et au sommet de la

création (voir les récits de la création dans le livre de la Genèse et le psaume 8).

Tout lui est ordonné, y compris la société. Il doit être le sujet, le fondement et

la fin de toute institution sociale.

Par son incarnation, Jésus-Christ, Dieu fait chair, prend la condition

humaine. Il s’est en quelque sorte uni à tout homme, élevant la condition

humaine à sa plus grande dignité. D’où la dignité inaliénable de la personne

humaine.

Cette dignité inaliénable de la personne humaine vient du fait que

l’homme est une créature voulue pour elle-même par Dieu. Dieu fait de

l’homme le sommet de la création. Cette dignité qui doit être inviolable trouve

sa racine et sa garantie dans le dessein créateur de Dieu. Tout homme porte la

marque, le sceau et l’effigie de Dieu. Plus tard, Jésus s’identifie aux pauvres et

aux tout-petits : « En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à

l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.  » (Mt. 25,

40) Dans l’ordre social, économique et politique, la personne humaine doit être

considérée comme la fin dernière de la société et tout doit être ordonné à son

épanouissement. Elle ne saurait donc être manipulée à des fins étrangères à

son bonheur.

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- Unité et unicité de la personne humaine

La personne humaine forme un tout. Unité d’âme et de corps. L’homme

existe comme un tout complexe et unifié. L’âme spirituelle et immortelle est le

principe d’unité de cet être humain : corpore et anima unus. Le corps auquel

est promise la résurrection aura part à la gloire de même qu’existe un lien  

intrinsèque entre la raison, la volonté libre avec toutes les facultés corporelles

et sensibles. On ne saurait donc sombrer ni dans le spiritualisme, ni dans le

matérialisme.

La personne humaine est par ailleurs unique et inimitable. C’est un être

capable de s’auto-comprendre, de s’auto-posséder et de s’autodéterminer.

Etre intelligent et conscient, capable de réfléchir sur soi, d’avoir conscience de

soi et de ses actes. Il faut donc toujours comprendre la personne dans sa

singularité, avec une histoire unique et non comparable à une autre.

- La personne humaine : sujet de droits

Au nom de la dignité qui lui est intrinsèque, la personne humaine a des

droits fondamentaux qui ne sauraient être bafoués. Il s’agit des droits

universels, inviolables et inaliénables. Ces droits sont antérieurs à la société et

s’imposent à elle. Ils fondent la légitimité morale de toute autorité. 

- L’égale dignité de toutes les personnes

Dieu ne fait acception de personne (Ac.10, 34). Tous les hommes ont la

même dignité, ce qui fonde leur égalité fondamentale. S’il y a variétés dans les

capacités physiques, les forces intellectuelles et sociales ; cela ne saurait

 justifier toute forme de discriminations touchant les droits fondamentaux,

qu’elles soient sociales ou culturelles, fondées sur le sexe, la race, la couleur de

la peau, la condition sociale, la langue ou la religion. Ces discriminations

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doivent être dépassées et éliminées comme étant contraires à la dignité

humaine. Les inégalités sociales et économiques sont une injure à Dieu qui veut

une famille humaine unie et juste. Ces inégalités entre les personnes et les

peuples font scandale et obstacle à la justice sociale, à l’équité ; à la dignité de

la personne et à la paix sociale et internationale.

- La personne humaine : être libre et responsable

L’homme jouit d’une très grande liberté ; il peut manger du fruit de tous

les arbres du jardin  – Mais cette liberté n’est pas illimitée ; elle doit s’arrêter

devant l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Il n’y a pas de morale sans

liberté. C’est toujours librement que l’homme se tourne vers le bien (Gaudium

et Spes n° 11) 

La liberté n’est cependant pas la licence de faire n’importe quoi, pourvu que

cela plaise  – La vraie liberté est un don de Dieu qui a voulu laisser l’homme à

son propre conseil (Si. 15, 14). Cette liberté suppose la responsabilité ; elle est

intérieure et co-naturelle à l’homme, signe distinctif de sa nature. 

Cette liberté a des liens intrinsèques avec la vérité : « Vous connaîtrez la vérité

et la vérité vous rendra libres » (Jn. 8, 22). D’où le lien indissoluble entre liberté

 – responsabilité – vérité – loi. La liberté n’est donc pas permissivité, licence de

faire n’importe quoi, sans référence aux valeurs et aux lois morales.

- Le droit à la liberté religieuse

Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits

à toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de

quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul

ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir, dans de justes

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limites selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à

d’autres (Dignitatis Humamae 2) 

Aucune autorité humaine n’a le droit d’intervenir dans la conscience de

quiconque. La conscience étant le témoin de la transcendance humaine : un

sanctuaire inviolable. Mais elle n’est pas un absolu qui serait placé au-dessus

de la vérité et de l’erreur. Sa nature suppose un rapport avec la vérité

objective, universelle et égale pour tous qu’il faut rechercher et y adhérer dès

qu’on l’a découverte.

- Ouverture et socialité

* L’homme : un être spirituel. L’homme est en relation avec lui-même et

peut réfléchir sur soi. Les Ecritures Saintes parlent du cœur de l’homme, le

cœur désignant l’intériorité spirituelle de l’homme, ce qui le distingue de toute

autre créature. Ces facultés spirituelles propres à l’homme sont la raison, le

discernement du bien et du mal, la libre volonté.

* Ouverture à la transcendance. L’homme est ouvert à l’infini. Etre fini

qui tend de par sa nature à l’infini. Il est ouvert à l’infini c’est -à-dire à Dieu par

son intelligence et sa volonté. Il s’élève au-dessus de toute créature et de lui-

même. Il tend vers la vérité et le bien absolu.

Parmi toutes les créatures du monde visible, seul l’homme est capable de

Dieu : homo est Dei capax , créé pour être en relation avec lui. La ressemblance

avec Dieu met en lumière le fait que l’essence et l’existence de l’homme sont,

de manière constitutive, en relation avec Dieu de la façon la plus profonde qui

soit.

* Ouverture à ses semblables. La relation entre Dieu et l’homme se

reflète dans la dimension relationnelle et sociale de la nature humaine.

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L’homme n’est pas un être solitaire, une monade, mais foncièrement un  être-

en-relation de par sa nature profonde. Sans ses relations avec autrui, il peut

vivre ni épanouir ses qualités. D’où, dès l’origine, Dieu crée l’homme et la

femme. L’homme est insatisfait tant qu’il n’y a pas cet autre être qui est chair

de sa chair, et avec qui le dialogue et la vie sont possibles

- L’amour : essence de la vie humaine

Jésus-Christ est l’homme pour les autres, l’homme n’existant que pour

les autres. Son essence n’est pas d’être une hypostase, mais don et abandon de

soi. Il est Celui qui s’efface et ne vit que pour les autres. Son essence est

oblation et amour.

Cependant, il n’est pas évident que l’on s’accorde toujours sur la

définition du terme « amour », tout simplement parce qu’il s’agit d’une

expression qui recouvre des réalités fort diverses et prête à des confusions

multiples. Comme le constate le pape Benoît XVI, « le terme ‘amour’ est devenu

aujourd’hui un des mots les plus utilisés et aussi un des plus galvaudés, un mot

auquel nous donnons des acceptions totalement différentes. »1  Dans un tel

contexte, des précisions terminologiques s’imposent absolument. Il nous faut

dire exactement ce que nous entendons par amour.

 – Amour-Eros ou amour de jouissance.

Les philosophes depuis l’Antiquité distinguent l’amour-éros de l’amour-

agapè. L’amour-éros est un amour de concupiscence, un amour lié à la

sensibilité, un amour trop intéressé et très souvent égoïste. Dans cet amour, la

sensibilité, ou mieux la sensiblerie, occupe une place prédominante, très

souvent au détriment de la raison. Il est vrai qu’en tant personne humaine,

1  Ibid, n° 2

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nous sommes tous marqués par des sentiments. Ces sentiments font que nous

sommes spontanément attirés par d’autres personnes. Dans toute vie, il existe

des personnes vers qui je suis spontanément porté tout comme il y en a

d’autres qui me répugnent ou qui me laissent totalement indifférent. Cet

attrait physique est porté à son paroxysme avec ce que l’on appelle

communément le « coup de foudre » où la fusion est presque totale. Une des

premières questions sur laquelle on pourrait axer la réflexion est de chercher à

savoir pourquoi un tel attrait ou une telle répugnance spontanés ? L’on

s’apercevra à la longue qu’en fait, ce n’est pas tellement l’autre qui est aimé

pour lui-même, mais c’est nous-mêmes que nous aimons dans l’autre, c’est-à-

dire que d’une manière ou d’une autre, nous nous sommes retrouvés dans

l’autre. Ainsi, je ne suis attiré vers l’autre que parce qu’il est comme moi et

parce qu’il fait comme moi. Refus de la différence, de l’altérité au profit de la

mêmeté. S’il est possible que cet amour soit une étape vers le vrai amour, il

faut aussi reconnaître que s’il se limite à ce niveau, il est de soi pervers. Du fait

de la propension naturelle de l’homme à l’égoïsme, cet amour est une forme

de repli sur soi. Laissé à son propre mouvement, il ne tend pas à valoriser la

personne de l’autre, mais il porte directement sur le plaisir que fait éprouver sa

possession. Il rabaisse ainsi la personne au niveau d’un avoir, d’une chose en

niant sa dignité. En fait, dans cet amour, chacun n’aime que soi-même. Chacun

ne cherchant que son intérêt égoïste, l’autre est considéré comme moyen et

les deux partenaires ne font que se renvoyer l’écho de leurs égoïsmes

réciproques ; deux monologues dans lesquels chacun n’aime que lui-même

dans le plaisir que lui procure le commerce avec l’autre. Etant donné que cet

amour-éros est pris dans un sens appauvri et dégradé qui se contente d’une

littérature facile et que l’on n’y éprouve qu’un attrait et une satisfaction

physiques, l’on arrive très vite à l’accoutumance, à la routine ennuyeuse et à la

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dépréciation même du plaisir physique qui s’émousse rapidement par l’usage.

D’où le caractère éphémère de cet amour et l’ambiguïté du plaisir qui le fonde. 

 – Ambiguïté du plaisir.

Le plaisir que recherche absolument l’amour-éros et qui semble

constituer sa finalité est très ambigu. Une telle ambiguïté mérite d’être relevée

surtout aujourd’hui où nos contemporains accordent une très grande place à la

recherche du plaisir par rapport aux générations passées.

Il est vrai qu’en soi, le plaisir n’a rien de négatif. Au contraire, il donne

goût et saveur à la vie. Il est l’expérience de plénitude et de bonheur que

l’homme recherche à travers l’expression de ses besoins et de ses désirs.

Expérience gratifiante et heureuse, il contribue à la joie de vivre et à

l’épanouissement des personnes. Il nous ancre dans notre corps et dans le

monde puisqu’il est profondément lié à l’expérience du corps. Dans les

relations inter-humaines, le plaisir a un rôle positif et structurant. Dans son

expression sexuelle, il est particulièrement important pour nourrir et renforcer

la qualité de la vie du couple. Une vie sans plaisir serait pratiquement

inhumaine.

Cependant, rechercher le plaisir pour le plaisir est mortifère et très

aliénant. La quête démesurée du plaisir comporte la tentation de vouloir

échapper à toute limite et à la condition humaine précaire et mortelle. Le

plaisir est tentative d’absolutisation parce qu’il tend à faire coïncider le sujet

avec son corps. Celui-ci s’éprouve heureux dans la mesure où le sentiment

habituel de sa limite s’efface au bénéfice d’une jouissance extraordinaire. C’est

toute la personne qui a l’impression d’échapper au temps et à l’espace pour

vivre l’instant présent avec une plénitude rarement égalée. D’où l’imaginaire

de toute puissance dans lequel nous installe le plaisir. Par ailleurs, le plaisir

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pour le plaisir risque de s’épuiser dans une jouissance toute tournée vers soi-

même. Pure coïncidence de l’homme avec son propre corps, s’il est recherché

pour lui-même, le plaisir devient jouissance narcissique et l’on réduit l’autre à

n’être qu’un instrument, un objet ou un moyen. Chacun des partenaires de la

relation sexuelle a le sentiment de vivre avec l’autre une fusion à la fois

profonde, fugitive et éphémère. D’où l’exigence de la répétition qui cherche

constamment à revivre la même expérience en vain. Le plaisir devient alors

comme une drogue permettant de surmonter les angoisses ou les frustrations.

C’est pourquoi la recherche du plaisir pour le plaisir rend les hédonistes

entièrement dépendants. Pour quelques instants de jouissance, la volonté perd

en partie son contrôle, la maîtrise sur soi.

C’est cette ambiguïté du plaisir qui explique, sans toutefois la justifier

entièrement, la longue tradition chrétienne de méfiance à son égard. On dirait

que les générations passées avaient peur ou affichaient un mépris à l’égard du

plaisir et notamment du plaisir sexuel. L’on ne le justifiait parfois que pour

exercer la fonction procréatrice. Heureusement que nous nous sommes

débarrassés de ce jansénisme d’hier. Il n’y a ni à survaloriser ou à idôlatrer le

plaisir, ni à le mépriser ou en avoir peur. Le plaisir est l’accompagnement d’une

rencontre amoureuse réussie. Comme l’a reconnu le pape Pie XII, « en

recherchant et en profitant de ce plaisir, les couples ne font rien de mal. Ils

acceptent ce que le Créateur leur a donné ».2 Si Dieu n’a pas attaché pour rien

le plaisir à l’acte sexuel, ce n’est pas pour autant qu’il faut s’unir dans un but

exclusivement hédoniste. Le plaisir lui-même ne tire sa qualification morale

que d’une action déjà qualifiée qui est l’union charnelle, expression de la

tendresse, nourriture de l’amour, lieu d’apaisement et de pacification, lieu de

promotion mutuelle. Ce n’est qu’en rencontrant l’autre pour lui-même,

2 Pie XII, Discours aux sages femmes, le 29 octobre 1951.

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différent de moi, que le plaisir peut m’être donné, comme par surcroît, et qu’il

trouve toute sa vérité humaine. Le plaisir est alors signe d’une relation réussie

avec l’autre, partage, ouverture à  autrui, émerveillement réciproque dans la

communion. Il est à accueillir comme le fruit d’une relation amoureuse

patiemment bâtie et réussie. En parlant donc de l’amour, on ne saurait ne pas

aborder et préciser la place exacte du plaisir. Mais au-delà du plaisir, l’amour

fait aussi appel à la raison.

 – Amour-intérêt ou amour de la raison calculatrice. 

L’amour n’est pas que sentiment, simple attirance à l’égard de l’autre. Si

tel était le cas, il n’y aurait pas de différence entre l’homme et l’animal.

L’amour inclut nécessairement le déploiement de la raison et de la volonté. A

l’amour-éros vient se substituer subrepticement l’amour-intérêt pour la simple

raison que l’homme en vient à comprendre que l’on ne vit pas seulement des

sentiments. Quand deux amoureux se rencontrent et vivent pleinement et

intensément leur amour, il arrive toujours ce moment où ils sont appelés à

faire preuve de plus de réalisme. Ils doivent faire face aux multiples exigences

de la vie quotidienne. C’est à ce niveau que la raison f ait son irruption dans

l’amour pour évaluer les possibilités. Dans la tradition africaine comme nous

l’avons vu, ne pouvait se marier que le jeune garçon qui avait fini son initiation

pubertaire, qui avait acquis, même avec l’aide de ses parents, sa propre  

plantation et qui était capable de travailler et d’en tirer des revenus, celui qui

avait construit sa propre maison et qui disposait des moyens financiers et

matériels susceptibles de lui permettre d’entretenir une famille. Il s’agissait là

des préalables requis avant tout mariage. Il serait trop dire de croire que de nos

 jours cette réalité ait totalement changé. Qu’on le dise ou non, une certaine

évaluation des possibilités matérielles est faite même quand l’amour est au

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plus fort degré. Il est même à craindre que le seul critère du mariage moderne

soit devenu l’argent. Pour preuve, comme nous l’avons dit, dès qu’une fille

présente son fiancé à ses parents, la première et parfois l’unique question

qu’on lui pose est celle-ci : « Il fait quoi ? » Autrement dit : « Il a quoi ?  » C’est

sur cette base que se fondent les négociations nuptiales. C’est dire que la

raison calculatrice n’est pas absente dans tout amour. D’une manière ou d’une

autre, elle intervient dans la relation amoureuse pour évaluer, pour savoir ce

que l’on gagne ou ce que l’on perd, pour envisager l’avenir. Cette étape

constitue une avancée indéniable par rapport à l’amour-sentiments ou à

l’amour-éros. Elle est une étape normale du processus, mais seulement, il ne

faudrait pas s’y arrêter comme semble nous y inviter la civilisation

contemporaine. Le développement de cette civilisation lié à un progrès

scientifique et technologique réalisé de manière unilatérale porte les

empreintes du positivisme et de l’utilitarisme. L’utilitarisme est une civilisation

de la production et de la jouissance, une civilisation où chacun n’est perçu

qu’en fonction de son rendement, de son efficacité et de ses moyens financiers

et humains. A la longue, ce système favorise l’individualisme car, à la base de

l’utilitarisme éthique se trouve la recherche continuelle d’un maximum de

bonheur, bonheur utilitariste entendu simplement comme satisfaction

immédiate au profit exclusif de l’individu. Une telle civilisation basée sur

l’utilitarisme et le profit ne peut être qu’un obstacle au véritable amour. C’est

pourquoi elle doit être transcendée par l’amour-agapè.

 – Amour-Agapè ou Amour-vrai.

Compte tenu de l’importance de l’amour-agapè, amour-vrai vers lequel

tout homme devrait tendre, nous en donnons ici quelques caractéristiques ou

préalables en invitant fortement à lire la première encyclique du pape Benoît

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XVI, Deus Caritas Est, Dieu est Amour   pour se faire une idée tant soit peu

exacte de ce que signifie cet amour. L’amour-agapè suppose une série de

préalables :

Reconnaître l’unicité et la dignité de la personne humaine. Tout

homme a une valeur inestimable et fondamentale. Etre unique et

irremplaçable, il doit être respecté et aimé pour lui-même au

nom de la dignité qui lui est reconnue. En ce sens, l’amour-agapè

condamne toute aliénation de la personne humaine, toute

exploitation de l’homme par l’homme. C’est un amour qui lutte

contre toute tendance sexuelle dont le but serait de réduire

l’autre au rang d’objet. Personne dans la sexualité ne peut être ni

objet de plaisir, ni objet de consommation ou de propriété.

-  Reconnaître que l’amour est par essence décentrement. Dans

l’amour-vrai, c’est la personne de l’autre qui est recherchée et

aimée pour elle-même, pour sa richesse intérieure. C’est le bien

de cette personne qui est visé. Il y a ainsi un mouvement de

décentrement et de renvoi. L’amour devient don de soi,

attention à l’autre, vie-pour-autrui. Il exclut toute forme

d’égoïsme, de fermeture ou de repli sur soi pour devenir

dialogue, ouverture et communion. Aimer, c’est vivre pour

autrui.

Reconnaître l’égalité foncière de l’homme et de la femme. Si la

sexualité peut paraître comme un des lieux par excellence

d’agressivité, de domination et d’assujétissement, il faut dire

l’amour-agapè transcende toute forme de violence et reconnaît

l’égale dignité de l’homme et de la femme. En amour, il n’y a pas

d’infériorité ou de supériorité, mais mise au service de soi pour le

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bien de l’autre. Chacun devient comme « l’esclave » de l’autre.

L’homme et la femme, étant de même nature, partenaires réels

et égaux, différents l’un de l’autre, il y a une nécessaire

complémentarité mutuelle.

Reconnaître que l’amour n’est pas fusion. « C’est pourquoi

l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et

ils deviennent une seule chair. » (Gn.2,24) Devenir ainsi une seule

chair, ce n’est pas fusionner. L’amour-vrai est tout le contraire

d’une recherche de fusion. Chacun doit être reconnu et respecté

dans sa différence : communion différenciée et différenciante. Le

désir fusionnel cherche à absorber l’autre, désir de mêmeté où

l’autre n’existe plus en tant tel. Aimer l’autre, c’est respecter sa

différence, accepter qu’il ne soit pas et qu’il ne fasse pas comme

nous ; ne pas chercher à lui imposer à tout prix notre volonté

conscient que l’autre n’est et ne sera jamais une réduplication du

moi. L’autre est vraiment autre parce que différent et c’est

 justement cette différence qui permet la communion et la

complémentarité pour la promotion mutuelle. 

-  Reconnaître que l’amour est exigeant. La beauté de l’amour

réside dans le fait qu’il est exigeant. C’est un amour patient, qui

rend service et qui supporte tout.3

  Il édifie le vrai bien de

l’homme et le fait rayonner sur les autres. Il exige de nombreux

sacrifices. Parlant du mariage et de l’amour qui doit s’y vivre, en

considérant ses exigences profondes et radicales, comment

encore s’étonner que Moïse ait cédé et fait des concessions face

3 St Paul dans la première Epître aux Corinthiens écrit : « La charité est longanime ; la charité est serviable ;

elle n’est pas envieuse  ; la charité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; elle ne fait rien d’inconvenant, necherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal  ; elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle

met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. » (Ico. 13, 4-7) 

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aux requêtes de ses compatriotes ? Les Apôtres eux-mêmes, en

écoutant les paroles de Jésus sur ce point, répliquent : « Si telle

est la condition de l’homme envers la femme, il n’est pas

expédient de se marier ». (Mt.19, 10) Pourtant, pour le bien de

l’homme et de la femme, pour le bien de la famille et de la

société, le mariage reste d’une importance capitale. C’est la

vocation naturelle et ordinaire de l’homme. Les Apôtres, d’abord

craintifs au sujet du mariage et de la famille, sont ensuite

devenus courageux par l’effet de la grâce. Ils ont compris que le

mariage et la famille constituent une vraie vocation, un apostolat

venant de Dieu lui-même. A travers cet apostolat des laïcs, ils

contribuent à la transformation de la terre, au renouvellement

du monde, de la création et de toute l’humanité. Il ne faut donc

pas avoir peur de prendre des risques. Les exigences de l’amour

et du mariage montrent qu’il faut du courage et une force

spirituelle pour s’y engager. Dans ce domaine précieux, l’on doit

se garder de l’utopie et de la facilité. Aucun amour, aucun

mariage n’échappent à l’amertume d’une déception

momentanée après les trop belles espérances du premier amour.

L’apprentissage quotidien à supporter les défauts et les

faiblesses de l’autre reste de mise. Cependant, une croix portée

avec amour devient plus légère. C’est pourquoi le mariage est

une école de charité et de pardon. 

-  Reconnaître que l’amour se nourrit du pardon. Il n’existe pas

d’amour sans pardon puisque le pardon est déjà lui-même un

acte d’amour qui n’est jamais un dû, mais un don et qui restaure

malgré ou au-delà de la faute commise, une situation d’intégrité

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ou une relation positive. Le pardon est une nécessité car, l’on

s’imagine difficilement un monde sans pardon. Un tel monde

serait un monde où l’homme est à jamais enfermé dans l’acte

qu’il a accompli. L’on pourrait le comparer à une maison

construite exclusivement de murs sans portes ni fenêtres. Monde

dans lequel l’homme est livré à la logique de la haine, à la froide

et implacable mécanique de la vengeance et de la violence sans

fin ni limites. Dans ce sens, le pardon n’est pas seulement acte

d’amour, mais également mise en oeuvre d’une espérance

puisqu’il est ouverture d’avenir. Pardonner, c’est envisager un

avenir possible qui ne soit pas le prolongement du passé. Le

pardon ouvre sur une promesse et c’est pourquoi le Dieu de

miséricorde et du pardon est aussi le Dieu d’espérance, le Dieu

de la promesse. Pardonner est un acte de foi en l’homme et en

sa capacité à inventer un avenir neuf. Cependant, pardonner, ce

n’est pas oublier.4  Le pardon est même tout le contraire de

l’oubli. Pour un acte aussi important, l’on ne saurait forcer les

personnes à devenir amnésiques. En ce domaine, le symbolisme

de la souillure lavée et purifiée ne suffit plus car, remettre une

dette, ce n’est pas faire comme s’il n’y avait jamais eu de dette,

tout comme guérir une maladie, ce n’est pas faire comme s’il n’y

avait jamais eu de perturbations sanitaires. La santé restaurée

n’est pas une santé sans atteinte, mais une santé retrouvée au-

delà du mal. Ce qui explique mieux le fait que pardonner, c’est

effectuer un don qui déborde la justice que l’on pouvait en

attendre. Le pardon n’est possible que si l’on peut intégrer et

4 Virgil ELIZONDO, « Le pardon » in Concilium n° 204, avril 1986, pp. 87-98

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dépasser l’injure ou le tort subi. Il se situe au-delà de la

rétribution, de la sphère juridique et devient plus qu’une

exigence éthique. Il s’agit en fait, d’abolir quelque chose qui s’est

pourtant produit, non par l’oubli, mais par un acte d’amour

gratuit qui rétablit et renouvelle la relation. Si le pardon ré-

instaure une alliance, donc une réciprocité, il est par lui-même

unilatéral, nul ne pouvant prétendre avoir droit au pardon,

réclamer le droit d’être pardonné. La demande du pardon relève

de la prière et de la supplication.

En définitive, de ce qui précède, l’on peut comprendre que l’amour n’est

 pas un vague sentiment mais, il s’agit d’un long processus. Un processus qui

exige constamment un travail sur soi, une transformation de soi : sortir de son

égocentrisme pour apprendr e à se donner gratuitement. Ce qui fait que l’amour

est un long et patient apprentissage. Ce n’est que dans cette perspective que l’on peut dès lors comprendre les caractéristiques du mariage que sont la fidélité et

l’indissolubilité.

DEUXIEME PARTIE : LA POLITIQUE ET LE BIEN COMMUN

I)  NATURE ET ORIGINE DU POLITIQUE

La nature de la communauté politique est liée à la socialité de l’homme. Du

fait que l’homme est un être social, qu’il doit vivre en communauté avec et

pour les autres, il est nécessaire que cette communauté soit organisée et

dirigée. Individus, familles, groupements divers, tous ceux qui constituent la

communauté civile, ont conscience de leur impuissance à réaliser seuls une vie

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pleinement humaine et perçoivent la nécessité d’une communauté plus vaste à

l’intérieur de laquelle tous conjuguent quotidiennement leurs forces en vue de

la réalisation toujours plus parfaite du bien commun. C’est pourquoi ils forment

une communauté politique selon les types institutionnels variés. Etant donné

que les hommes qui se retrouvent dans cette communauté politique sont

nombreux et différents, à cause de la pluralité des options politiques, à cause

du fait que les hommes peuvent de bon droit incliner vers des opinions

diverses, justement pour empêcher que, chacun opinant dans son sens, la

communauté politique ne se disloque, une autorité s’impose qui soit capable

d’orienter vers le bien commun les énergies de tous, non de manière

despotique et mécanique, mais en agissant avant tout comme une force

morale qui prend appui sur la liberté et le sens de responsabilité des citoyens.

La communauté politique et l’autorité publique qui en découle, tirent leur

fondement de la nature humaine, c’est-à-dire que l’origine et la nature de l’Etat

découlent de la nature même de l’être humain qui ne peut se réaliser

pleinement que dans la vie en société. L’homme partage le sort de tous les

êtres vivants, qui est celui de dépendre de son milieu ambiant à partir duquel il

se construit. L’homme, être d’esprit et de liberté, pour parvenir à l’autonomie,

doit collaborer au sein des groupes humains. Parce qu’il est un être social par

nature, obligé de communiquer avec autrui, de nouer des relations avec ses

semblables pour un enrichissement humain et réciproque, il faut que la société

soit organisée pour atteindre cette fin. La communauté politique n’est autre

chose que la forme naturelle de cette vie sociale naturelle. L’ordre et la

fécondité de la vie en société dépendent de la présence d’hommes

légitimement investis de l’autorité. C’est ce qui explique par ailleurs la

nécessité de la communauté politique et de l’autorité publique.

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I.1 La nécessité du politique

Les institutions politiques sont une nécessité (c’est-à-dire ce qui ne peut pas

ne pas être) pour la société. Lorsqu’elles font défaut, la société et ses membres

sont plongés dans des hésitations, des contradictions et des violences dont la

gravité n’est plus à démontrer. L’Etat, c’est-à-dire la société politiquement

organisée, est une nécessité fondamentale, parce que naturelle, c.à.d. inscrite

dans la nature des hommes. Ignorer donc la nature de l’Etat, c’est atteindre

l’homme dans sa substance, dans son équilibre intime et dans sa liberté. Les

institutions politiques sont ainsi le cadre vivant qui exprime et protège l’unité

de la société. Elles sont en quelque sorte le corps de la société.

Dire que les institutions politiques sont naturelles ne signifie pas qu’elles

sont données toutes faites, ni qu’elles se développent d’elles-mêmes,

indépendamment de l’intervention active et raisonnable de l’homme. Comme

toute dimension naturelle de l’homme, elles sont à la fois un donné qu’on

reçoit, une création qu’on réalise, un devoir moral qu’il faut poursuivre et qui

s’impose à la conscience. L’exemple du corps humain pourrait nous aider à

mieux l’expliciter. 

*Mon corps est d’abord une donnée : dès que j’existe, j’ai un corps. Je ne

suis pas libre de l’avoir ou de ne pas l’avoir. Il est de ma nature d’être corporel.

Mon corps s’impose à moi. Je le reçois doté d’une structure bien définie, avec

une histoire et une hérédité.

Dans le même sens, les institutions politiques sont comme le corps, c’est -à-

dire une donnée. Dès que j’existe, je suis membre d’une société organisée. Je

ne suis pas libre d’être ou de ne pas être reliée à cette société. Il est de nature

d’être social. Ce cadre social avec son organisation s’impose à moi. Je suis relié

à l’histoire humaine, passée et présente, bref à toute une civilisation. 

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*Mon corps est aussi, en un sens très réel, mon œuvre, ma création. Il

m’appartient de le prendre en charge, de le faire toujours davantage mien, de

le développer, de le pénétrer d’humanité et d’en faire le lieu d’expression de

ma personnalité. Mon corps ne se développe pas et n’atteint pas son équilibre

sans moi.

Dans le même sens, les institutions politiques sont aussi l’œuvre de

l’homme, sa création. Elles ne se mettent pas en place toutes seules, de

manière mécanique et automatique, sans l’intervention de l’homme. Chaque

génération reçoit l’héritage qui lui est confié, le prend en charge, le fait sien, le

développe harmonieusement, le pénètre davantage d’humanité, en fait un

instrument qui contient, protège, exprime les personnes dans leur unité et leur

solidarité. Les institutions politiques sont dès lors le reflet du travail et de la

réflexion des hommes qui les mettent en place. C’est dans ce sens que nous

créons les institutions que nous voulons.

*Cette création est un devoir moral qui n’est jamais achevée. Développer

mon corps, non pas de manière arbitraire, mais en me conformant à la loi qui

est inscrite dans ma structure et que ma raison déchiffre. Le développement de

mon corps est une tâche morale car il doit être conforme à ma nature, pour ne

pas être désordonné et ruineux pour ma liberté. Je dois le faire à la lumière du

but à atteindre.

Dans le même sens, la création et l’animation des institutions politiques

sont un devoir moral. On ne les développe pas de manière arbitraire, mais en

se conformant à la loi de croissance qui est inscrite dans leur nature et dans

leurs buts propres. Sinon ce développement est désordonné et ruineux pour les

libertés. Il faut les développer en fonction but à atteindre qui est l’unité des

hommes et le bien commun, service rendu à l’homme. 

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Etant donné que les institutions politiques sont au service de l’homme et

que les citoyens sont des êtres libres et responsables, celles-ci doivent

fonctionner avant tout comme une force morale.

I.2 L’autorité : une force morale 

L’autorité politique ne doit pas s’appuyer exclusivement et principalement

sur la menace et la crainte des sanctions pénales. Ce serait contraire à la

dignité de l’homme, être libre, raisonnable et responsable. L’autorité est avant

tout une force morale qui fait appel à la conscience. (Voir la différence faite

entre autorité et pouvoir) 

L’autorité tire sa force d’un ordre moral objectif, transcendant, universel,

absolu, d’égale valeur pour tous. C’est de là que viennent sa force impérative et

sa légitimité morale – et non pas de l’arbitraire ou d’une volonté de puissance.

Toute autorité publique doit se laisser guider par la loi morale. De même,

l’autorité doit reconnaître, respecter et promouvoir les valeurs humaines et

morales essentielles ; celles-ci sont innées, découlant de la vérité de l’être

humain, exprimant et protégeant sa dignité. Aucune majorité, aucun Etat et

aucune personne ne pourront les modifier ou les abolir. Elles ne sont non plus

fondées sur des majorités d’opinions provisoires et changeantes. 

En se basant sur ces valeurs essentielles, l’autorité doit promulguer des

lois justes, c’est-à-dire conformes à la dignité de la personne humaine et aux

impératifs de la raison droite qui dérive de la loi éternelle. Si les lois sont justes,

celui qui refuse d’obéir à l’autorité, s’oppose à l’ordre établi par Dieu.

Pareillement, si l’autorité publique ne met pas tout en œuvre pour la

réalisation du bien commun, elle trahit sa fin spécifique et par conséquent se

délégitime. En d’autres termes, tant que l’autorité s’appuie sur l’ordre moral

objectif, sur la raison droite, les citoyens lui doivent obéissance. Cette

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obéissance qu’ils rendent aux détenteurs de l’autorité ne va pas à des hommes

comme tels ; elle est un hommage adressé à Dieu, Créateur et Providence, qui

a soumis les rapports humains à l’ordre qu’il a lui-même établi. Par contre, s’il

arrive aux dirigeants d’édicter des lois ou de prendre des mesures contraires à

l’ordre moral et par conséquent à la volonté divine, ces dispositions ne

peuvent obligées les consciences  –  car « il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux

hommes » (Ac. 5, 29). On parle alors d’objection de conscience – car en pareils

cas, l’autorité cesse d’être elle-même et dégénère en oppression.

I.3 Objection de conscience

Le citoyen n’est pas obligé en conscience de suivre les prescriptions des

autorités civiles si elles sont contraires aux exigences de l’ordre moral objectif,

aux droits fondamentaux des personnes et aux enseignements de l’Evangile .

Devant une loi ou une action injuste moralement, le citoyen a l’obligation de s’y

opposer. Ce refus constitue non seulement un devoir moral, mais aussi un droit

fondamental que la loi civile doit reconnaître et protéger. Comme dit le pape

Jean-Paul II : « Ceux qui recourent à l’objection de conscience doivent être

exempts non seulement de sanctions pénales, mais encore de quelque

dommage que ce soit sur le plan légal, disciplinaire, économique ou

professionnel. » (J.P. II, Encyclique Evangelium Vitae, n° 74)

Pour un chrétien, collaborer, même formellement, avec des pratiques qui,

bien qu’admises par la législation civile, sont en contraste avec la loi de Dieu,

est un grave devoir de conscience. Une telle collaboration ne peut être

 justifiée. Comme dit Saint Thomas : « On n’est tenu d’obéir… que dans la

mesure requise par un ordre fondé en justice. »

La résistance à l’oppression du pouvoir politique ne peut néanmoins avoir

recours légitimement aux armes que si les conditions suivantes sont réunies :

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1)  En cas de violences certaines, graves et prolongées des droits

fondamentaux ;

2) 

Après avoir épuisé tous les autres recours possibles ;

3) 

Etre sûr de ne pas provoquer des désordres pires ;

4)  Qu’il y ait un espoir fondé de réussite

5)  S’il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures. 

Autrement, il faut préférer la résistance pacifique et non violente à la lutte

armée car, elle est plus conforme aux principes moraux ; elle est non violente

et plus prometteuse de succès. Derrière le débat sur l’objection de conscience,

on doit comprendre l’origine divine de l’autorité. 

II : Finalité du politique : Le Bien Commun

(Voir à ce propos le livre édité sous la direction de Xavier DIJON et Marcus

NDONGMO, L’Ethique du bien commun en Afrique, Regards croisés,

l’Harmattan, Paris 2011, 212 p.) 

II.1 Le Bien commun

La fonction gouvernementale ou l’autorité publique n’a de sens qu’en

vue du bien commun. Seul le bien commun justifie l’existence et la présence de

l’autorité. L’Etat trouve sa finalité et sa fonction essentielle dans la constitution

du bien commun. Ce bien commun est défini par l’encyclique Mater et

Magistra comme « l’ensemble des conditions de vie en société qui permettent à

l’homme d’atteindre sa perfection propre de façon plus complète et plus

aisée. » (n° 65) Ainsi, les orientations que fixent les pouvoirs publics selon les

normes de la justice et dans les formes et les limites de leur compétence,

doivent tendre vers le bien commun. Dans tous les cas, celui-ci ne peut être

déterminé qu’en référence à l’homme et à son bien. C’est dire que les pouvoirs

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publics ont à servir les intérêts de tous, sans favoritisme pour telle classe

sociale si ce n’est la sollicitude particulière manifestée pour les membres les

plus faibles du corps social.

Par ailleurs, le bien commun concerne l’homme tout entier, avec ses

besoins tant matériels que spirituels. Il réclame des gouvernants une politique

appropriée, respectueuse de la hiérarchie des valeurs, ménageant en juste

proportion au corps et à l’âme les ressources qui leur conviennent.

Le bien commun a forcément un caractère d’aide et de médiation. Il

permet aux membres de la société d’obtenir tous les biens intermédiaires

d’ordre temporel, nécessaires à leur progression. Selon la formule du pape Pie

XII, c’est l’ensemble des conditions extérieures nécessaires à l’ensemb le des

citoyens pour le développement de leurs qualités, de leurs fonctions, de leur

vie matérielle, intellectuelle et religieuse.

Dans l’ordre social, le bien commun est prioritaire et supérieur à tous les

biens individuels – car ces biens individuels et particuliers ne sont possibles que

si le bien commun est réalisé. Parce qu’il est la condition de l’épanouissement

des personnes, le bien commun, sans être la somme des biens particuliers,

demande impérativement à être réalisé  –  quitte à ce que tel ou tel bien

particulier en pâtisse.

L’importance d’une juste appréciation du bien commun est capitale, car

l’idée que l’on s’en fait, conditionne celle de l’autorité politique dont il est la

fin. Ainsi, l’on l’érige en un absolu, destiné à absorber tous les biens privés, on

aboutit à un Etat de type collectiviste, qui nie les droits fondamentaux des

personnes humaines. C’est le cas du communisme où l’Etat-Providence se

substitue aux personnes dans l’acquisition de leurs biens et pense tout leur

donner.

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Si au contraire, on rabaisse le bien commun à un niveau très bas, on réalise un

Etat de type libéral où les personnes sont appelées à se débrouiller

anarchiquement dans l’accaparement des biens et l’Etat n’intervient que dans

les cas extrêmes pour pacifier les choses. On parle alors de l’Etat-gendarme

comme on voudrait que ce soit le cas dans les pays capitalistes. L’équilibre pour

définir normalement le bien commun n’est donc pas aisé.

Etant donné que le bien commun ne peut être défini doctrinalement,

dans ses aspects essentiels et profonds, ni non plus être déterminé

historiquement qu’en référence à l’homme, l’Etat doit comprendre qu’il n’a pas

à faire le bonheur des citoyens malgré eux ou sans eux, mais qu’il est là pour

les aider en créant les conditions communes optimales pour que chacun y

parvienne avec aisance, et en faisant converger les efforts de tous dans ce but.

Pour l’essentiel, le bien commun devrait garantir la protection des droits

fondamentaux.

II.2 Bien commun et Droits de l’homme

De nos jours, le bien commun réside surtout dans la sauvegarde des

droits et des devoirs de la personne humaine. Le rôle de l’Etat et des

gouvernants consiste surtout à garantir la reconnaissance et le respect des

droits, leur conciliation mutuelle et leur expansion. Il faut arriver à concilier les

droits-créances et les droits-libertés. Comme l’affirme le pape Jean XXIII, « La

mission essentielle de toute autorité politique est de protéger les droits

inviolables de l’être humain et de faire en sorte que chacun s’acquit te plus

aisément de sa fonction particulière. » (Radio-message de Noël, 1962 ;

Encyclique Pacem in terris, n° 38.)

Si les pouvoirs publics viennent à méconnaître ou à violer les droits de

l’homme, non seulement ils manquent au devoir de leur charge, mais leurs

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dispositions sont dépourvues de toute valeur juridique. C’est donc un devoir

fondamental des pouvoirs publics d’ordonner les rapports juridiques des

citoyens entre eux, de manière que l’exercice des droits chez les uns

n’empêche ou ne compromette pas chez les autres le même usage, et

s’accompagne des devoirs correspondants. (Il est à bien noter que l’Eglise ne

parle pas seulement des droits. La notion des droits est accompagnée de celle

des devoirs, car le droit de l’un correspond au devoir de l’autre ; pas droits sans

devoirs et réciproquement).

De même, il incombe aux pouvoirs publics de contribuer à la création

d’un état des lieux qui facilite à chacun la défense de ses droits et

l’accomplissement de ses devoirs. L’expérience montre que si l’Etat n’agit pas

opportunément en matière économique, sociale et culturelle, des inégalités

flagrantes s’accentuent entre les citoyens au point que les droits fondamentaux

de la personne restent sans portée efficace.

C’est pourquoi le bien commun dans son aspect formel  exige de mettre en

place des lois justes à travers la Constitution et de garantir la paix nécessaire à

l’épanouissement des personnes et au bon déroulement de leurs activités.

Quant à l’aspect matériel, les pouvoirs publics doivent se préoccuper de

favoriser l’aménagement social propice au progrès économique ; développer,

dans la mesure de la productivité nationale, des services essentiels tels que le

réseau routier, les moyens de transport et de communication, la distribution

d’eau potable, l’habitat, l’assistance sanitaire, l’instruction, les conditions

nécessaires à la pratique religieuse, les loisirs. L’Etat doit également organiser

les systèmes d’assurance pour les cas d’événements malheureux de sorte que

chaque être humain ne vienne à manquer les ressources indispensables pour

mener une vie décente, faire que les ouvriers en état de travailler trouvent un

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emploi proportionné à leurs capacités, que chacun d’eux reçoive un salaire

conforme à la justice et à l’équité, que les biens de la culture so ient accessibles

à tous. En retour, les citoyens ne sauraient rester passifs ; tous doivent

contribuer à la constitution du bien commun.

II.3 Participation de tous au bien commun

Le bien commun étant la mise en place de l’ensemble des conditions qui

permet à tous de s’épanouir, tous les citoyens sont tenus d’y participer. Chacun

doit librement prendre une part active à l’amélioration de la communauté

politique. Pour que la coopération des citoyens responsables aboutisse à

d’heureux résultats dans la vie politique de tous les jours, un statut de droit

positif est nécessaire. Celui-ci organise une répartition convenable des

fonctions et des organes, ainsi qu’une protection efficace des droits. Parmi les

devoirs civiques auxquels sont astreints tous les citoyens, il faut noter entre

autres :

-  L’amour de la patrie qui doit être cultivé avec magnanimité et loyauté,

sans étroitesse d’esprit, en prenant en considération le bien de toute la

famille humaine. Par la patrie, la personne humaine se sent rattachée à

un sol, à une histoire, à une communauté. C’est pourquoi le patriotisme

est une forme de vertu quand il n’est ni exclusif, ni agressif. Il ne doit pas

virer au chauvinisme ou au nationalisme exclusif. Le patriotisme peut

être menacé par le racisme ou le tribalisme qui fait mépriser les

membres d’autres races ou tribus, les traitant comme des êtres

inférieurs.

L’obéissance aux lois et aux autorités civiles quand celles-ci restent dans

les limites de leurs compétences.

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-  La participation aux élections. Si la démocratie est une forme de

gouvernement, s’il s’agit d’une nouvelle manière de concevoir la relation

entre l’Etat et le citoyen, ce dernier doit se rappeler que d’une certaine

manière, il est responsable de la nomination des gouvernants et du

contrôle de leur gestion. Ainsi la participation libre aux suffrages est

nécessaire car c’est du résultat que dépendra la manière dont sera géré

le bien commun.

-  Sacrifier une part de son temps ou de son avoir. Dans certains pays, on

parle du service militaire quand il s’agit de sacrifier une part de son

temps. Autrement, le citoyen doit toujours sacrifier une part de ses biens

(impôts ou taxes), pour le bien commun et permettre ainsi à l’Etat de

faire face aux besoins urgents de la communauté.

III. L’Eglise et la politique

(Voir à ce propos le livre de Marcus NDONGMO,  A la quête d’une laïcité à

l’africaine, Rapport Etats  – Eglises  – Sociétés à la lumière de l’encyclique Deus

caritas est et de l’exhortation apostolique  Africae munus du pape Benoît XVI

sur l’Afrique. Editions Taf & Melson, Yaoundé – Cameroun 2012.)

Il importe d’avoir une vue juste des rapports entre la communauté

politique et l’Eglise ; entre les actions que les fidèles, isolément ou en groupe,

posent en leur nom propre comme citoyens, guidés par leur conscience

chrétienne, et les actions qu’ils mènent au nom de l’Eglise, en union avec leurs

pasteurs.

D’emblée, il faut reconnaître que l’Eglise ne se confond en aucune

manière avec la communauté politique. Elle n’est liée à aucun système

politique, en raison de sa charge et de sa compétence. Sur le terrain qui leur est

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propre, la communauté politique et l’Eglise sont indépendantes l’une de l’autre

et autonomes.

Cependant, toutes les deux, quoique à de titres divers, sont au service de

la vocation personnelle et sociales des mêmes hommes. Elles exerceront

d’autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles chercheront

entre elles une saine coopération, en tenant compte des circonstances et des

lieux. L’homme qu’entendent servir l’Eglise et la politique a une double

dimension ; à la fois terrestre et transcendantale. Cet homme n’est pas limité

aux seuls horizons terrestres. En vivant dans l’histoire humaine, il garde une

vocation éternelle.

III.1 Les chrétiens et la politique

L’activité politique, en quelque lieu où elle se déploie, doit être abordée

et pratiquée dans un esprit de gravité, de lucidité, de rigueur et d’imagination

créatrice. Mais on ne saurait nier la dégradation des mœurs politiques faisant

parfois prévaloir l’esprit de parti sur la recherche du bien commun, la

tromperie ou les tractations occultes sur la franchise et la loyauté, l’impression

d’un maquis où règne la compromission, l’impression d’un monde impur où on

ne peut avoir que les mains sales comme le disait Sartre.

En dépit de tout cela, on ne peut pas ne pas affirmer et valoriser la

dignité et la nécessité de l’activité politique comme lieu d’aménagement et de

gestion de la communauté civile. De toutes les façons, les chrétiens et surtout

le laï cat ont à revaloriser la politique car, c’est par la politique que passent les

décisions fondamentales et que se construit la cité terrestre. Les chrétiens ne

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peuvent pas faire fi du politique, ni laisser ce domaine à d’autres. Ils doivent

prendre conscience du rôle particulier qui leur échoit dans la communauté

politique. Ils sont tenus de donner l’exemple en développant en eux le sens de

responsabilité et du dévouement au bien commun. A travers des faits concrets,

ils montreront comment harmoniser l’autorité avec la liberté, l’initiative

personnelle avec la solidarité et les exigences de tout le corps social, les

avantages de l’unité avec les diversités fécondes. Ils doivent également

promouvoir l’éducation civique et politique, car ceux qui sont appelés à exercer

l’art très difficile, mais aussi très noble de la politique, doivent s’y préparer.

Ainsi, les chrétiens doivent se livrer avec zèle, sans se soucier de leur intérêt

personnel, ni des avantages matériels, à la construction de la communauté

politique.

, fondée dans l’amour du Rédempteur, contribue à étendre le règne de la

 justice et de la charité à l’intérieur de chaque nation. En prêchant la vérité de

l’Evangile, en éclairant tous les secteurs de la vie humaine par sa doctrine et les

témoignages que rendent les chrétiens, l’Eglise respecte et promeut la liberté

politique et la responsabilité des citoyens. L’Eglise, pour assumer sa mission,

prend appui sur la puissance de Dieu qui, très souvent, manifeste la force de

l’Evangile dans la faiblesse des témoins. Pour annoncer l’Evangile, l’Eglise doit

utiliser les voies et les moyens propres à l’Evangile. Parfois, ces moyens ne sont

autres que ceux de la cité terrestre. En effet, dans la condition humaine, les

choses d’ici-bas et celles qui dépassent ce monde sont étroitement liées. Aussi

l’Eglise se sert d’instruments temporels dans la mesure où sa mission le

demande.

Cependant, elle n’a pas à mettre son espoir dans les privilèges offerts par

le pouvoir civil. Elle doit même y renoncer s’il est reconnu que leur usage peut

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faire douter de la pureté de son témoignage. Pour prêcher la foi avec une

authentique liberté, porter un jugement moral en des matières qui touchent

parfois au politique, accomplir sa mission sans entraves, il faut utiliser les

moyens conformes à l’Evangile.

III.2 La nécessité de l’Eglise 

Pour montrer la nécessité de l’Eglise et de l’amour qui fait son essence, le

pape Benoît XVI part d’une objection développée au dix-neuvième siècle et

notamment par la pensée marxiste. A ce propos, il écrit : « Depuis le dix-

neuvième siècle, on a soulevé une objection contre l’activité caritative de

l’Eglise, objection qui a été développée ensuite avec insistance, notamment par

la pensée marxiste. Les pauvres, dit-on, n’auraient pas besoin d’œuvres de

charité, mais plutôt de justice. Les œuvres de charité –  les aumônes – seraient en

réalité, pour les riches, une manière de se soustraire à l’instauration de la

 justice et d’avoir leur conscience en paix, maintenant leurs positions et privant

les pauvres de leurs droits. Au lieu de contribuer, à travers diverses œuvres de

charité, au maintien des conditions existantes, il faudrait créer un ordre juste,

dans lequel tous recevraient leur part de biens du monde et n’auraient donc

 plus besoin des œuvres de charité. »5 Pour mieux comprendre cette objection,

on peut se rappeler la célèbre affirmation de Karl Marx selon laquelle les

religions sont l’opium du peuple ; par leur complicité et leur collusion avec les

riches, elles ne servent qu’à maintenir le Statu quo, c’est-à-dire un ordre social

fondamentalement injuste fondé sur la division des classes et sur la propriété

privée (le capital). Par leurs œuvres de charité et leurs discours idéologiques

axés sur la paix, les béatitudes, la non violence et la promesse d’un salut

extratemporel, elles endorment les pauvres et les empêchent de revendiquer

5 BENOIT XVI, Lettre encyclique Deus Caritas Est  (Dieu est Amour, 25 décembre 2005, n° 26.

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leurs droits. C’est pourquoi il faut supprimer les religions et permettre ainsi à la

révolution de se réaliser pour une mise en commun des richesses de la terre

qui seront ensuite réparties selon les besoins de manière à éradiquer la

pauvreté. Par ailleurs, Karl Marx oppose la justice à la charité, l’Etat à l’Eglise,

prétextant que si la première remplissait convenablement son rôle, la seconde

deviendrait inutile. C’est à ce niveau qu’intervient le pape Benoît XVI pour

montrer que la justice et la charité ne sont pas opposées et que l’une ne

supprime pas l’autre. La charité-Amour est nécessaire et on ne saurait s’en

passer. Ecoutons ce qu’en dit le pape : « L’amour –   caritas –   sera toujours

nécessaire, même dans la société la plus juste. Il n’y a aucun ordre juste de

l’Etat qui puisse rendre superflu le service de l’amour. Celui qui veut s’affranchir

de l’amour se prépare à s’affranchir de l’homme en tant qu’homme. Il y aura

toujours de la souffrance, qui réclame consolation et aide. Il y aura toujours de

la solitude. De même, il y aura toujours des situations de nécessité matérielle,

 pour lesquelles une aide est indispensable dans le sens d’un amour concret pour

le prochain. »6  Ce que veut signifier ici le pape, est que l’amour est une

dimension fondamentale de tout homme et qu’il ne peut vivre sans aimer.

L’homme est fait pour aimer et être aimé. Priver l’homme de l’amour, c’est

l’handicaper par le fait même. Etant donné que cet amour qui est nécessaire

pour tout homme constitue l’essence même du christianisme, et donc de

l’Eglise, il va sans dire que l’Eglise est nécessaire et elle sera toujours là pour

mettre en œuvre cet amour. Cependant justice et charité ne se confondent

pas.

III.3 L’autonomie du politique et de l’Eglise

6  Ibid , n° 28.

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On présente habituellement la laïcité comme un produit, un fruit mûr de

la sécularisation. Mais il faut reconnaître, comme le dit du reste le pape Benoît

XVI, que « la distinction entre ce qui est à César et ce qui est à Dieu (cf. Mt.22,

21), à savoir la distinction entre Etat et Eglise ou, comme le dit le Concile

Vatican II, l’autonomie des réalités terrestres, appartient à la structure

 fondamentale du christianisme. »7 En clair, cela veut dire que le christianisme

n’a pas attendu la sécularisation pour affirmer l’autonomie des deux domaines.

Il ne s’agit pas pour l’Eglise d’une simple accommodation historique. Sans

doute, la période féodale aura quelque peu terni cette vérité, mais la

sécularisation a permis d’en avoir une conscience plus vive. Ainsi, comme

l’enseigne la doctrine sociale : « L’Eglise et la communauté politique, bien que

s’exprimant toutes deux à travers des structures d’organisation visibles, sont de

nature différente, tant par leur configuration que par les finalités qu’elles

 poursuivent. Le Concile Vatican II a solennellement réaffirmé : ‘Sur le terrain qui

leur est propre, la communauté politique et l’Eglise sont indépendantes l’une de

l’autre et autonomes.’ »8  Cette autonomie réciproque de l’Eglise et de l’Etat

apparaît clairement dans l’ordre de la nature, des moyens et des fins poursuivis

par chacun.

La norme propre de l’Eglise est l’amour ; Amour de Dieu révélé

pleinement aux hommes en Jésus-Christ qui nous a tellement aimés au point

de mourir sur la croix pour nous sauver. Autant, à la question du scribe qui veut

savoir quel est le premier de tous les commandements et Jésus répond : aimer

Dieu et aimer son prochain (Mc.12, 28-30), autant, l’évangélisation est

essentiellement fondée sur l’amour. Il s’agit de révéler aux hommes ce Dieu

d’amour qui nous introduit dans une logique de gratuité et de don. Faire

7 Ibid , n° 28.

8 Op Cit. Compend ium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, n° 424.

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comprendre que ce n’est pas à cause d’un quelconque mérite que nous

sommes créés et sauvés. C’est gratuitement que Dieu nous envoie son Fils

unique et qu’Il fait de nous des fils adoptifs. Dieu a l’initiative et c’est Lui qui

nous aime le premier. C’est pourquoi Il est décrit dans la Bible en termes de

prévenance, d’initiative gracieuse, de surabondance, de don sans retour ni

raison. A ce premier niveau, nous pouvons déjà comprendre que le spécifique

de l’Eglise est l’amour. 

A cette proposition d’amour, l’homme y répond par la foi. Acte personnel

ayant un caractère libre, rationnel et volontaire. D’où l’insistance de l’Eglise sur

la liberté religieuse9. Cela veut dire que c’est librement que l’homme se tourne

vers Dieu. Le chrétien sait qu’il vit une expérience de précédence, de

consentement à une filiation, de déplacement et d’excès. Il est appelé

d’emblée à se mettre dans une attitude de réceptivité par rapport à la

précédence du don de Dieu qui lui est fait. Croire au don gratuit du Salut de

Dieu en Jésus-Christ, c’est adhérer à ses paroles, croire en ceux qui ont mis leur

foi et leur espérance en Lui, croire en une tradition où Dieu se révèle Créateur

et Sauveur à travers l’économie d’une vie trinitaire. Celle-ci le fait connaître

comme Père bien aimant, comme Verbe incarné en Jésus de Nazareth, crucifié

et ressuscité, et comme Esprit Saint qui travaille l’histoire. A ce deuxième

niveau, comme caractéristique essentielle de l’Eglise, nous avons la foi. C’est

pourquoi l’Eglise se définit avant tout comme une communauté de foi. Cette

foi, bien que personnelle, a un caractère communautaire parce qu’elle

rassemble tous les croyants. Pour manifester cette foi, comme dit le

Compendium de la doctrine sociale : « L’Eglise demande donc la liberté

d’expression, d’enseignement, d’évangélisation  ; la liberté d’accomplir des actes

de culte en public ; la liberté de s’organiser et d’avoir ses propres règlements

9 Voir Concile Vatican II, Dignitatis Humanae, 7 décembre 1965.

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internes ; la liberté de choix, d’éducation, de nomination et de transfert de ses

ministres ; la liberté de construire des édifices religieux ; la liberté d’acquérir et

de posséder des biens adaptés à son activité ; la liberté d’association à des fins

non seulement religieuses, mais aussi éducatives, culturelles, sanitaires et

caritatives. »10

 

Il va sans dire que de cette foi en Dieu, Père, Fils et Esprit- Saint qu’on

pourrait désigner sous les vocables de kérygme ou de dogmatique, surgit

l’exigence éthique, car il n’y a pas de foi sans effectuation et sans engagement

dans l’histoire. Comme dirait le professeur Xavier Thevenot, l’impératif moral

surgit de l’indicatif du salut présenté par la confession de foi. Parce que le

chrétien se sait suscité par un don, ressuscité par un pardon, toute sa vie prend

une orientation nouvelle fondée sur l’humilité, la disponibilité et la mise de soi

au service des autres. La foi devient ce dynamisme qui nous porte et qui donne

sens et goût à notre vie contre toute tentation de l’absurde et du nihilisme. En

se situant dans un combat en faveur du sens, le chrétien sait que sa foi en

Jésus-Christ implique nécessairement un agir moral dont la portée éthique est

manifeste dans la mesure où elle ne transforme pas seulement les structures

sociétales en les humanisant, mais elle agit sur les hommes eux-mêmes.

Comme nous le verrons plus tard, si le salut de Dieu qui est la finalité de la

mission de l’Eglise ne sera révélé pleinement qu’à la fin des temps, il n’en

demeure pas moins que ce salut est déjà à l’œuvre dans l’aujourd’hui de la vie

et il appartient aux chrétiens de le signifier à travers leurs témoignages et les

œuvres de charité. A ce troisième niveau, on verra également comment Eglise

et Etat se rejoignent. Mais avant, intéressons-nous au spécifique du politique.

III.4 Interaction et coopération entre Etat / Eglise 

10 Op. Cit. Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, n° 426. 

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Si L’Eglise et L’Etat sont autonomes et indépendants chacun dans le

domaine qui lui est propre, il existe cependant des lieux de rencontre et de

coopération. Nous pouvons en cibler principalement trois, mais avant de les

parcourir, gardons clairement en mémoire ces affirmations fortes du pape

Benoît XVI qui indiquent l’esprit fondamental dans lequel évolue la coopération

: « L’Eglise ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier

une société la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de

l’Etat. Mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l’écart dans la lutte pour la

 justice. Elle doit s’insérer en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et

elle doit réveiller les forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui requiert

aussi des renoncements, ne peut s’affirmer ni se développer. La société juste ne

 peut être l’œuvre de l’Eglise, mais elle doit être réalisée par le politique.

Toutefois, l’engagement pour la justice, travaillant à l’ouverture de

l’intelli gence et de la volonté aux exigences du bien, intéresse profondément

l’Eglise. »11

 Si ce principe constitue un acquis indéniable, nous pouvons dès lors

revisiter les trois domaines où interfèrent le politique et l’Eglise. 

Nous l’avons clairement affirmé, la norme fondamentale de l’Etat est la

 justice. Un Etat qui ne serait pas dirigé selon la justice se réduirait à une grande

bande de vauriens. Mais, comme dit le pape Benoît XVI, « l’Etat se trouve de

 fait inévitablement confronté à la question : comment réaliser la justice ici et

maintenant ? Mais cette question en présuppose une autre plus radicale :

qu’est -ce que la justice ? C’est un problème qui concerne la raison pratique ;

mais pour pouvoir agir de manière droite, la raison doit constamment être

 purifi ée, car son aveuglément éthique, découlant de la tentation de l’intérêt et

du pouvoir qui l’éblouissent, est un danger qu’on ne peut jamais totalement

11 Benoît XVI, op. Cit., n° 28.

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éliminer. »12

 La distinction établie par Max Weber entre éthique de conviction

et éthique de responsabilité pourrait nous aider à mieux comprendre ce que

veut dire le pape à ce niveau. Si nous procédons de manière caricaturale, nous

pouvons dire que l’éthique de conviction est représentée par les philosophies,

la métaphysique, les religions et autres, tandis que l’éthique de responsabilité

concerne ceux qui sont directement engagés en politique, qui sont plongés

dans l’action au quotidien. S’il est vrai que la norme de l’Etat et du politique est

la justice, à la question de savoir qu’est-ce que la justice et comment la mettre

en œuvre ici et maintenant, la réponse à une telle question ne relève plus

tellement de l’Etat, mais de l’éthique de conviction. Seules les philosophies et

les religions peuvent mieux que quiconque dire exactement ce qu’est la justice

et on le constate du reste aisément tout au long de l’histoire. Englué dans

l’action et aux prises avec des intérêts de toutes sortes, le politique n’a ni le

temps nécessaire, ni la compétence, ni la liberté de mener une réflexion

approfondie sur le sujet. C’est pourquoi l’éthique de conviction constitue un

appui nécessaire à l’éthique de responsabilité. 

De cette manière, foi et raison, justice et charité se rejoignent et

s’éclairent mutuellement. La justice, sous toutes ses formes (commutative,

distributive, légale, sociale …) est certes une vertu cardinale qui, selon la

formulation classique, consiste dans la constante et ferme volonté de donner à

chacun ce qui lui revient. Mais à la question de savoir ce qui revient à chacun,

le débat reste constamment ouvert tout comme la justice elle-même en

général doit rester ouverte sur la charité. Comme disait le pape Jean-Paul II,

« Seule, la justice ne suffit pas. Elle peut même en arriver à se nier elle-même, si

elle ne s’ouvre pas à cette force plus profonde qu’est l’ amour . »13

 Si la justice

12  Ibid. 

13 Jean-Paul II, Message pour la journée mondiale de la paix 2004, 10 ; AAS 96 (2004) 121.

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est de soi propre à arbitrer entre les hommes pour répartir entre eux de

manière juste les biens matériels, seul l’amour au contraire est capable de

rendre l’homme à lui-même parce que l’amour présuppose et transcende la

 justice si bien que les rapports humains ne peuvent pas uniquement être réglés

par la justice. La justice, aussi bien au niveau conceptuel que pratique, doit

subir une refonde importante de la part de l’amour. 

Par ailleurs, comme le dit également le pape Benoît XVI, « politique et foi

se rejoignent. Sans aucun doute, la foi a sa nature spécifique de rencontre avec

le Dieu vivant, rencontre qui nous ouvre de nouveaux horizons bien au-delà du

domaine propre de la raison. Mais, en même temps, elle est une force

 purificatrice pour la raison elle-même. Partant de la perspective de Dieu, elle la

libère de ses aveuglements et, de ce fait, elle l’aide à être elle-même meilleure.

La foi permet à la raison de mieux accomplir sa tâche et de mieux voir ce qui lui

est propre. C’est  là que se place la doctrine sociale catholique ».14

  Une doctrine

qui a par elle-même valeur d’un instrument d’évangélisation et se développe

dans la rencontre toujours renouvelée entre le message évangélique et

l’histoire humaine. Son but étant toutefois l’humanisation de l’homme, un lien

intrinsèque est établi entre évangélisation et promotion humaine. En cela

aussi, le politique et l’Eglise se rejoignent puisque les deux institutions

travaillent à la promotion humaine.

Evangélisation et promotion humaine

La tâche essentielle de l’Eglise, c’est l’évangélisation, annonce de la

Bonne Nouvelle. Le but de cette annonce est le salut de l’homme ; adhésion et

attachement de foi à la personne de Jésus-Christ, mort et ressuscité pour

l’humanité. C’est l’objet de notre kérygme  : croire au don gratuit du salut de

14 Benoît XVI, op. cit . n° 28.

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Dieu en Jésus-Christ. La rédemption accomplie par le Christ et confiée à la

mission salvifique de l’Eglise est certes d’ordre surnaturel. « Mon Royaume,

nous dit Jésus, n’est pas de ce monde  ». Mais le surnaturel ne doit pas se

concevoir comme une entité ou un espace qui commencerait là où finit le

naturel, mais plutôt comme une élévation de celui-ci de sorte que rien de

l’ordre de la création et de l’humain ne soit étranger à l’ordre surnaturel et

théologal de la foi et de la grâce, ni n’en est exclu –  mais tout y est plutôt

reconnu, assumé et élevé15

  – c’est le sens même de la récapitulation définitive,

tension du déjà-là et du pas-encore-là.

L’eschatologie chrétienne n’est pas qu’une question de chronologie, mais

tension intérieure qui dynamise toute la vie. C’est pourquoi l’espérance

chrétienne ne s’oppose pas aux tâches terrestres mais au contraire, elle les

intègre et prend comme en relais les espoirs humains et leur infuse une force

divine et une certitude que le meilleur de ces espoirs ne sera pas perdu.

Comme rappelle Gaudium et Spes  au n° 21 : « L’espérance eschatologique ne

diminue pas l’importance des tâches terrestres, mais en soutient plutôt

l’accomplissement par de nouveaux motifs ». L’espérance nous pousse à

prendre au sérieux les réalités du monde. Ce qui n’enlève rien à la radicalité et

au caractère d’irruption de la nouveauté du salut de Dieu en Jésus-Christ.

Attendre cette nouveauté du salut de Dieu en Jésus-Christ, ce n’est pas

verser dans l’oisiveté, dans la paresse. Au contraire, c’est se mettre dans des

conditions qui favorisent l’accueil de ce don. Nous comprenons ainsi que la

Rédemption commence avec l’Incarnation. Le Royaume de Dieu est là, ici et

maintenant, dans la personne de Jésus-Christ. L’homme est rejoint par le Dieu

incarné dans l’entièreté de son être, être corporel et spirituel, être en relation

15 Voir Conseil pontifical « Justice et paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, Libreria Editrice

Vaticana, 2004, n° 64.

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d’amour avec et pour les autres. C’est tout l’homme et tout homme qui est

impliqué dans l’histoire du salut. Voilà pourquoi l’évangélisation est

intrinsèquement liée à la promotion humaine.

Le « Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise » rappelle fortement

que cet enseignement fait partie intégrante du ministère de l’évangélisation de

l’Eglise. Ce n’est pas du surajouté ou un dérivé. Evangélisation et humanisation

ne font pas nombre. Ce sont des termes synonymes. L’évangélisation vise

l’humanisation de l’homme. Tout ce qui concerne l’homme, situations et

problèmes relatifs à la justice, à la libération, au développement, à l’économie,

à la santé, à la paix, etc. n’est pas étranger à l’évangélisation. Dès la première

encyclique sociale, Rerum Novarum, en 1891, le pape Léon XIII réaffirme cette

vérité fondamentale selon laquelle l’Eglise ne saurait rester étrangère aux

réalités de ce monde. Si elle prêche un bonheur à venir dont l’accomplissement

ne sera révélé pleinement que dans l’au-delà, il n’en demeure pas moins que ce

bonheur s’effectue déjà, historiquement, à travers les situations humaines

concrètes et actuelles. L’Eglise, « experte en humanité », selon l’expression du

pape Paul VI, a une parole à dire dans les différents secteurs de toute la vie

humaine. Elle ne saurait se taire sans trahir ou faillir à sa mission, étant donné

que la parole qu’elle proclame, appartient à sa mission d’évangélisation. De

fait, comme le précise encore le « Compendium de la doctrine sociale de

l’Eglise » à la suite du pape Jean-Paul II, il existe des liens profonds et

intrinsèques entre évangélisation et promotion humaine16

.

Liens d’ordre anthropologique parce que l’homme à évangéliser n’est pas

un être abstrait, mais sujet aux questions sociales, économiques et

politiques. Comme l’a dit le pape Jean-Paul II, l’homme est la route de

16 Jean-Paul II, Ecclesia in Africa ( L’Eglise en Afrique), éd. Du Cerf, Paris 1885, n° 68.

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l’Eglise. Cet homme constitue « le principe, et le principe unique » qui

inspire la doctrine sociale de l’Eglise. Si l’Eglise ne s’occupe guère de

l’homme, de l’homme réel, concret, historique en tant qu’ il est situé au

centre de la société, quelle est donc sa fonction ? L’Eglise parle de l’unité

et de l’unicité de la personne humaine. Unité pour dire que l’homme

forme un tout unifié. Il n’y a pas d’un côté, l’âme ou l’esprit, et de l’autre

côté, le corps ou la matière, conception manichéiste ou platonicienne

erronée. C’est tout l’homme que l’Eglise doit prendre en considération.

Unicité pour dire que chaque personne humaine est unique,

irremplaçable et inimitable, voulue par Dieu pour elle-même. Les êtres

humains ne sont pas des fabrications en série et leur dignité ne dépend

pas de leur « socius », c’est-à-dire du rang ou de la fonction qu’ils

occupent dans la société. Dieu a créé chaque personne unique en son

genre et il faut la respecter et l’aimer comme telle.

Liens d’ordre théologique  puisqu’on ne peut pas dissocier le plan de lacréation du plan de la rédemption qui, lui, atteint les situations très

concrètes de l’injustice à combattre. Entre les deux, la logique de

l’incarnation nous montre à quel point le Christ a assumé la condition

humaine en toutes ses réalités excepté le péché. Si le Christ, en

s’incarnant, prend à ce point l’homme au sérieux avec toutes les réalités

qu’il vit, comment l’Eglise pourrait agir autrement ?

Liens d’ordre éminemment évangélique  qui est celui de la charité. La

charité, seule vertu théologale qui ne passera pas, nous dit saint Paul. La

foi et l’espérance passeront, mais la charité demeurera. Comment

proclamer l’amour de Dieu et du prochain sans promouvoir dans la

 justice et la paix l’authentique croissance de l’homme ? Dans l’Evangile

de Matthieu sur le jugement dernier (Mt. 25, ), nous constatons que le

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principal critère de jugement porte sur la charité ; j’avais faim et vous

m’avez donné à manger ; j’avais soif et vous m’avez donné à boire ;

 j’étais un étranger et vous m’avez accueilli ; j’étais malade et en prison et

vous m’avez visité… Le Christ ne demande pas combien de sacrements

nous avons reçus ? Combien de messes avons-nous célébrées ? Si toutes

ces réalités qui sont importantes et nécessaires au salut ne nous

conduisent pas à la charité, elles deviennent en quelque sorte vaines,

parce que nous les avons perverties et déconnectées de l’essentiel. 

Tous ces liens d’ordre anthropologique, théologique et évangélique

montrent que la doctrine sociale de l’Eglise est une partie essentielle du

message chrétien ; c’est un instrument approprié de l’évangélisation. Par ce

biais, nous pouvons constater que l’Eglise et le politique recherchent tous les

deux le bien de l’homme, la  promotion de la personne humaine. Mais si la

finalité est la même, il n’y a cependant ni confusion de rôles, ni usurpation, car

chacun agit dans le domaine qui lui est propre.