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Sociologie de l'utopie et autres « Essais » by Georges Duveau; d'André Canivez Review by: François-André Isambert Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 32 (Janvier-Juin 1962), pp. 183- 185 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40689191 . Accessed: 15/06/2014 15:00 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.253 on Sun, 15 Jun 2014 15:00:39 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Sociologie de l'utopie et autres « Essais »by Georges Duveau; d'André Canivez

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Sociologie de l'utopie et autres « Essais » by Georges Duveau; d'André CanivezReview by: François-André IsambertCahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 32 (Janvier-Juin 1962), pp. 183-185Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40689191 .

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soit à l'histoire, soit à l'histoire naturelle, soit à la médecine, ou à l'économie. Fasciné par le « positivisme scientiste », l'auteur n'accorde finalement aucun crédit aux sociologues de l'école française, à tel point qu'aucune analyse sérieuse et différenciante n'est faite de l'œuvre de Durkeim ou de Lévy-Bruhl. Seuls les anthropologues et les linguistes, et, jusqu'à un certain point, les historiens jusqu'à la mort de Michelet trouvent grâce à ses yeux au xixe ou au début du xxe siècle. Quant aux contemporains, l'auteur prend le parti d'ignorer la plupart de leurs travaux. Mais ne pense-t-il pas que, de leur côté, a la plupart des spécialistes des sciences humaines n'ont jamais entendu parler de « personnalité de base »? (p. 504). Ce qui a grâce devant ses yeux, c'est la Méditerranée de Fernand Braudel dans le domaine de l'histoire. Quant à la sociologie, il croit pouvoir sauver du désastre et embarquer sur le même radeau la sociologie fonctionnelle, le psychodrame de Moreno, Y Anthropologie structurelle de Lévi-Strauss et la sociologie de Georges Gurvitch comme « science de la liberté humaine » (p. 507). C'est qu'il importe peu, au fond, à l'auteur, que la recherche en sciences humaines se pose des problèmes de métier, et par-delà, vise à s'élever à des réflexions plus générales. D'emblée, la cause est entendue : il y a deux sortes de travaux, ceux qui laissent une place à la subjectivité du chercheur, et ceux-là valent d'être loués, et ceux que déshumanine soit le souci durkheimien d'objectivité, soit la mathématisation. Mais que propose-t-il dans la « conversion épistémologique » qu'il annonce ? Tenir compte du sujet qui cherche et pas seulement de l'objet interrogé ? (p. 495). L'idée de la socio- logie de la sociologie n'est pas nouvelle. Il y a, nous dit-il, des « techniques de l'existence qui, loin de menacer l'existence, lui fournissent au contraire des moyens d'accomplissement » (p. 509). On demande des exemples. Finalement, la requête de l'auteur est modeste : « L'historien, le sociologue, l'économiste, le médecin, l'ethnographe demeurent les maîtres de leur domaine que personne ne peut songer à leur contester. Le métaphysicien les appelle seulement, par- delà les limites de leur spécialisation, à pratiquer la vertu de curiosité et la vertu de sympathie (p. 511). Peut-on en demander autant au métaphysicien à l'égard de ses collègues sociologues et psychologues ?

C.N.R.S. F. -A. ISAMBERT.

Georges Duveau, Sociologie de Vutopie et autres « Essais », Introduction d'André Canivez, Paris, Presses Universitaires de France, 1961, 196 p.

Nous savions que Georges Duveau, lorsque la mort nous l'enleva, travaillait depuis sept ans à une Sociologie de Vutopie, dont il avait déjà donné des aperçus dans diverses revues et, en premier lieu, dans les Cahiers internationaux de Sociologie. Ce sont ces articles, auxquels sont joints quelques fragments inédits (dont le plus important, sur Thomas More, p. 73-80), que rassemble la « Biblio- thèque de Sociologie contemporaine ». Et l'on s'aperçoit que l'ouvrage projeté par Georges Duveau était déjà fait. Peut-être en eût-il autrement ordonné la matière. Mais la cohérence en est assurée d'une façon qui convient particuliè- rement à l'esprit de l'auteur ; une cohérence thématique, propre à mettre en relief les aperçus, les intentions, les paradoxes. Même les « autres essais », qui ne prennent pas explicitement pour sujet l'Utopie, en traitent et en maintiennent constamment la préoccupation. « Gomment je me suis posé le problème ? », demande l'auteur dans un de ses « fragments » (p. 190-191). D'abord « l'utopie dévalorisée » en sorte que tout l'ouvrage pourrait s'intituler Défense de Vutopie. Duveau a été frappé, traumatisé, pourrait-on dire, par la nuance péjorative qui s'est attachée au qualificatif d' « utopistes » attribué aux socialismes fran- çais qui ont mûri dans la première moitié du xixe siècle. Tout vibrant de N

l'esprit de 1848, il ne peut pardonner à Marx ses jugements en ce domaine et le premier de ses soucis est de montrer la fragilité de la ligne de démarcation

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entre socialisme scientifique et socialisme utopique. Est-ce pour dévaloriser Marx ? Au contraire, lorsqu'il écrit que « le vaisseau de Marx cingle vers File de More, vers l'Atlantide de Bacon » (p. 49), lorsqu'il retrouve dans le rôle assigné par Marx au prolétariat allemand « l'archétype de Venfant préservé » et qu'il conclut : « L'historisme n'a pas vaincu l'utopie » (ibid.), c'est non seule- ment pour compromettre Marx avec l'utopie, mais encore pour montrer qu'existe en lui une de ces dimensions, celle de l'imaginaire, sans laquelle il n'y aurait que froide analyse du présent sans anticipation créatrice. Car c'est sur ce point que se noue le problème fondamental de l'Utopie. Si la sociologie de l'utopie se trouve au carrefour de la sociologie religieuse, de la sociologie juridique et politique et de la sociologie de la connaissance, c'est parce qu'elle est une sociologie de l'anticipation. Ce caractère très général d'une sociologie qui veut situer l'utopie au sein d'un univers mental et historique n'est pas explicité dans l'ouvrage : et pourtant, il transparaît dans des réflexions telles que « La planification moderne, c'est la résurrection de l'utopie » (p. 190), ou encore dans la promotion de Saint-Simon au rang d'utopiste. Car comment appeler Saint-Simon ? Anticipateur, oui, prophète, sans doute. Utopiste au même sens que Thomas More, non. L'utopie prend donc, aux yeux de Georges Duveau, un sens très large et c'est dans son sein, plutôt qu'à ses côtés, que viennent prendre place et le messianisme d'Enfantin, et le prophétisme de Saint-Simon, et le phalanstérisme de Fourier et d'Owen, et le réformisme de Louis Blanc.

Et pourtant, l'utopie pour Duveau ne recouvre pas indistinctement toute anticipation. Il en est une qui se veut simplement rationnelle, qui se dit scien- tifique et à laquelle les auteurs ont donné habituellement le nom de « prévision ». Héritière de YAufklälrung, cette certitude du futur que croit posséder le Saint-Simon de Y Industrie, ou Auguste Comte, ne possède pas l'élément d' « illumination » que Marx et Engels mettent judicieusement au compte de l'utopie. A cette forme de nationalisme qui vise à déchiffrer simplement « l'alphabet de la nature » s'oppose la dialectique qui substitue à la nature l'histoire, aux bergeries le drame. La dialectique est logique de la guerre et Duveau en voit le succès plus dans les conflits mondiaux que dans les processus de transformation sociale (p. 35). A ces deux formes de rationalisme, l'une rose et l'autre noir, fait face le mythe. Peut-on, comme Georges Sorel, opposer le mythe à l'utopie ? Le mythe, vision sommaire et de forte charge affective, mobiliserait, alors que l'utopie perdrait l'homme dans la rêverie d'un monde sans difficulté. Duveau refuse une opposition aussi brutale, mais retient la distinction : « Mythes et utopies bourgeonnent sur un même rameau, sur le rameau de la pensée religieuse » (p. 18). Enfin, il faudra retenir la mise en regard mannheimienne de l'idéologie et de l'utopie. La première, sécrétée dans une atmosphère de lutte, comporte une vision de l'adversaire et du monde, à court terme, et tendrait même « à stabiliser la réalité sociale environnante » (ibid.). La seconde est « une arme à plus longue portée » (p. 19), mais est à base de rêves, de victoires imaginaires. Duveau n'accepte pas la vision pessimiste de Mannheim qui ne considère que des sociétés en voie de désintégration, mais conserve, jugements de valeur mis à part, la différence entre les deux termes. Au cours de ces confrontations, l'auteur ne cesse d'ébranler les barrières qu'il met en place, de montrer les convergences qui font contrepoids aux antagonismes. Souci de probité, esprit de finesse, mal à l'aise dans un découpage trop géométrique. Mais aussi perception d'une actualité de l'utopie. L'utopie est une vision parti- culière des choses, et particulier aussi le caractère de l'utopiste. Le secret de l'utopie réside peut-être dans cette confusion soigneusement entretenue par More, de l'étymologie, où le U peut aussi bien prendre racine dans le Eu que dans le Ou plus classique (p. 5 et 75). Lieu bon par essence, ou lieu de nulle part ? La seule raison d'être du Ou ne saurait être que le Eu, en sorte que l'on a une des utopies réalisées, situées il est vrai pour la plupart dans ce lieu qui, aux yeux

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des Européens, faisait figure de nulle part : les Amériques. L'utopie est-elle aussi hors du temps ? Oui, chez Fourier, non, chez Saint-Simon (p. 10) - mais n'est-ce pas justement que Saint-Simon n'est pas un utopiste ? - mieux encore, l'utopie n'est-elle pas en train de prendre sa revanche ? « Le monde moderne tend à vivre sous le signe de l'utopie. » Entraîné dans un mouvement technique et économique qui exige un regard vers l'avenir, l'homme moderne planifie. Par là même s'effritent les idées de spontanéité, d'automatisme économique ; « L'homme se trouve en face d'options » (p. 36) et non pas seu- lement de prévisions. Il construit - nous dirons même qu'il est contraint à construire - l'avenir, et ne peut se contenter de le déchiffrer. L'utopie, une utopie constructrice, à échéances chronologiquement assignables est évidem- ment en œuvre dans les pays socialistes, mais les pays capitalistes n'échappent pas au planning. Pas plus qu'ils n'échappent à cette autre forme d'utopie qu'est le roman d'anticipation. Émerveillement ou terreur, tels sont les sentiments de I' « homme-masse ». « II appelle l'utopie de l'avenir comme une narcose, comme un excitant, comme un roman policier », ou encore il « sent bien que sur l'évo- lution technique et les grandes options économiques il n'a guère plus de prises que sur les cataclysmes naturels ». Aussi les faits forcent-ils l'utopiste, 1' Auf- klärer et le dialecticien à se retrouver en un même carrefour. A y regarder de près, on s'aperçoit qu'ils ne se sont jamais complètement quittés. Telle est la leçon que nous retiendrons des deux chapitres « Les mobiles humains en histoire » et « L'Europe et le socialisme ». Dans le premier, il restitue la complexité de l'individu, l'inadaptation des grands hommes, cette forme de négation d'elle-même que comporte l'histoire qu'est sa fuite perpétuelle devant les schémas interprétatifs par lesquels l'historien la constitue. Dans le second, l'Europe apparaît, au xixe siècle, à la fois comme le royaume de l'utopique Réorganisation de Saint-Simon et le champ de bataille de la dialec- tique. Saint-Simon et Hegel, apparemment si opposés dans leurs références au xvine siècle, ne se retrouvent-ils pas jusque dans les mythes de l'histoire ? (p. 150). Napoléon-le-petit, doublure selon Marx, de son oncle, n'est-il pas - pour transposer le mot de Mme de Staël - Saint-Simon à cheval ? (p. 137). Et la Révolution de 1848 n'est-elle pas morte le 15 mai lorsque le Parlement refusa de courir au secours de la Pologne, abandonnant la vocation européenne de la France, au moins autant que dans les journées de juin ? (p. 167). Ainsi s'enchevêtrent les fils de la pensée et de l'histoire autour de cette Révolution de 1848 que se disputent les héritiers spirituels de Saint-Simon et ceux de Hegel. Georges Duveau fait éclater les étroitesses des uns comme des autres. Mais s'il insiste sur ce qui rassemble les uns et les autres, sa sympathie naturelle va aux premiers plus qu'aux seconds. C'est qu'en ces années, l'utopie euro- péenne a à ses yeux une force de réalisme trop longtemps méconnue et déva- lorisée par les prétentions au socialisme scientifique auxquelles, en définitive, il ne croit pas.

Ainsi, cette sociologie de l'utopie se présente-t-elle à la fois comme une tendresse à l'égard de cette forme d'anticipation semi-rationnelle et pourtant indispensable qu'est l'utopie, et comme une critique des réalismes, qu'ils se disent ou non scientifiques. L'utopie est multiforme et se glisse partout. N'at- teint-elle même pas jusqu'à un certain point le Guizot de V Enrichissez-vous ? (p. 122). Aussi, ce que Duveau reproche aux réalismes, ce n'est pas le grain de folie qu'ils ont laissé passer et qui fait germer en eux l'utopie, mais la critique froide et raide par laquelle ils se posent plus souvent que par le contact avec la réalité elle-même. Par leur volonté d'extirper l'utopie, c'est une des formes vitales de la pensée collective qu'ils visent à détruire. En définitive, Duveau n'hésite pas à fixer comme objectif aux sociologues : « Une phénoménologie de l'esprit grâce à l'utopie » (p. 191).

C.N.R.S. F. -A. ISAMBERT.

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