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SOCIOLOGIE ET HISTOIRE UNE OPPOSITION SANS CESSE RENOUVELÉE, MAIS UNE MÊME AVENTURE DE L’ESPRIT SOCIOLOGIE Jean-Serge ELOI UNIVERSITÉ DU TEMPS LIBRE DE BIARRITZ | 2017/2018

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SOCIOLOGIEETHISTOIREUNEOPPOSITIONSANSCESSERENOUVELÉE,MAISUNEMÊMEAVENTUREDEL’ESPRIT

SOCIOLOGIE

Jean-SergeELOIUNIVERSITÉDUTEMPSLIBREDEBIARRITZ|2017/2018

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SOCIOLOGIE ET HISTOIRE

Une opposition sans cesse renouvelée, mais une même aven-ture de l’esprit

INTRODUCTION

La question des relations entre sociologie et histoire, qui relèvent toutes les deux des sciences humaines et sociales, semble constamment en débat. Le sujet, devenu académique, est cependant susceptible d’être re-nouvelé tant on peut l’aborder de divers points de vue. Il est sans doute nécessaire d’y revenir, pour plusieurs raisons. Il n’est plus possible de dis-tinguer aujourd’hui les domaines respectifs de l’histoire et de la sociologie sur la base d’un découpage temporel qui réserverait l’étude du passé à l’histoire que Jules Michelet (1798-1874) définissait comme « connais-sance du passé humain » et celle du présent, du contemporain, à la socio-logie. Ce serait faire fi de l’existence d’une histoire du temps présent et d’une sociologie historique. De plus, chacune des deux disciplines a fina-lement renoncé à fédérer l’ensemble des sciences sociales. Les sociologues ont abandonné cette ambition qui correspondait davantage à une phase d’institutionnalisation de leur nouveau savoir qu’à une marche vers la ma-turité.1 Le projet de Fernand Braudel (1902-1985) qui visait à confier, après la seconde guerre mondiale, la fonction d’orchestre à l’histoire avait permis une certaine ouverture aux autres sciences de l’homme. Au-jourd’hui, les historiens remettent en cause cet héritage en tenant la socio-logie à distance alors qu’au contraire les sociologues sont plus soucieux d’un ancrage historique des phénomènes sociaux.2

La querelle du début du vingtième siècle, entre sociologues durkhei-miens et historiens « historisants » de l’école « méthodique » (nous aurons

1 - Philippe Besnard, « L’impérialisme sociologique face à l’histoire » in Historiens et sociologues aujourd’hui, Paris, Éditions du CNRS, 1986. 2 - François Chazel, « Sur quelles bases établir des relations stables entre historiens et sociologues ? », Revue européennes des sciences sociales, XLII-129, 2004.

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l’occasion de revenir sur ces adjectifs), a fait de l’histoire et de la sociologie deux sœurs ennemies. Quels sont alors les éléments de la controverse ? Dans les années 1930, les historiens des Annales, sous la conduite de Marc Bloch (1886-1944) et de Lucien Febvre (1878-1956), ont entrepris de so-ciologiser l’histoire en abandonnant ce qu’elle avait de singulier pour s’orienter vers l’étude des permanences. En quoi l’histoire fait-elle peau neuve sous leur plume ? Enfin, le projet de Braudel de fédérer, sous l’égide de l’histoire, l’ensemble des sciences sociales n’a-t-il pas finalement échoué en se brisant sur une crise d’identité de l’histoire qui du fait de son ouverture aux autres sciences de l’homme aurait fini par y perdre son âme alors que la sociologie poursuit son ancrage historique ?

On tentera d’examiner les éléments d’une controverse entre histo-riens et sociologues qui, au tournant du vingtième siècle, met en présence les tenants d’une discipline déjà ancienne, l’histoire, et les partisans d’une science nouvelle aux ambitions démesurées, la sociologie (I). Ensuite, il s’agira de montrer en quoi l’École des Annales, sous la direction de Marc Bloch et de Lucien Febvre fait preuve de capacités d’innovation (II). Enfin, il conviendra de mettre en évidence la tentative de Braudel, dans la lignée des Annales d’en appeler à la sociologie, et son échec final face à une crise d’identité de l’histoire qui lui fait tenir désormais la sociologie à distance (III). I/SOCIOLOGIE ET HISTOIRE, SŒURS ENNEMIES.

Les débuts du vingtième siècle voient s’affronter, par l’intermédiaire

d’historiens et de sociologues, deux disciplines qui entrent en concur-rence. D’un côté deux historiens, Victor Langlois (1863-1929) et Charles Seignobos (1854-1942), de l’autre les sociologues de la mouvance durkhei-mienne, notamment François Simiand (1873-1936). Rappelons briève-ment les éléments d’une confrontation désormais bien connue.3

3 -. Charles Seignobos est né en 1854 à Lamastre (Ardèche) dans une famille protes-tante et républicaine. Son père fut conseiller général de Lamastre et député de l’Ar-dèche. Au terme d’un brillant parcours scolaire et universitaire, il obtient l’Agrégation d’histoire en 1877, enseigne l’histoire moderne à la Sorbonne dès 1881 et devient spé-cialiste de l’histoire politique française du XIX e siècle. Intéressé par les questions de méthode, Charles Seignobos mène la contre-offensive vis-à-vis de la sociologie dans un ouvrage de 1901, La Méthode historique appliquée aux sciences sociales. Charles-Victor Langlois a vu le jour en 1863 à Rouen. Lauréat de l’Agrégation d’histoire en 1884, il s’oriente vers l’histoire politique et enseigne à la Sorbonne dès 1888. Il par-ticipe à L’histoire de France d’Ernest Lavisse pour la période 1226-1328. Dans l ’Ini-tiation aux études historiques (1928) publiée conjointement avec Charles Seignobos,

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L’article de 1903, paru sous la plume de François Simiand dans la Re-vue de synthèse historique, prend la forme d’une réponse à Langlois et Seignobos qui, quelques années auparavant, sans jamais avoir prononcé le mot de sociologie, niaient la possibilité pour cette « philosophie de l’his-toire » de se constituer en science du passé des hommes.

Ces deux auteurs écrivent que l’histoire et les sciences sociales sont dans une relation d’interdépendance : « Les sciences sociales fournissent la connaissance du présent, nécessaire à l’histoire pour se représenter les faits et raisonner sur les documents ; l’histoire donne sur l’évolution des renseignements nécessaires pour comprendre le présent ». 4 Leur do-maine respectif semble bien défini, à la sociologie (les sciences sociales) le présent, à l’histoire le passé. Pourtant, les méthodes vont différer.

A/ LES ÉLÉMENTS D’UNE CONFRONTATION L’historien ne se contente pas d’établir des faits, il a pour ambition de

construire une science entendue comme système de connaissances, l’his-toire. La construction d’une science sociale sur le modèle des sciences po-sitives (observation et expérimentation) de la nature heurte cependant les habitudes de pensée des historiens traditionnels, « historiens histori-sants » qui nient la possibilité de cette science elle-même. François Si-miand va s’employer à montrer que c’est à ce deuxième stade, celui de l’agencement et de la construction des faits, que l’on peut pointer les véri-tables divergences.

1/ Les trois idoles brisées par Simiand

Les contempteurs de la sociologie affirment que le social ne se ramè-

nerait en fait qu’à une abstraction et que la seule réalité accessible serait les individus. Les phénomènes sociaux ne pourraient procéder que de l’ac-tion, de l’accord ou de la convention des individus, retrouvant ainsi l’idée du contrat social. Pour Simiand, l’individualisation apparaît comme un « produit progressif » et aussi loin que l’on remonte dans l’histoire, c’est l’intégration de l’individu dans le groupe que l’on rencontre et nulle part le contrat. À l’opposé, on doit considérer le social comme un état de nature.

Charles-Victor Langlois examine les conditions, les procédés et les limites de la con-naissance en histoire. Il s’est intéressé à l’enseignement de l ’histoire dans les classes élémentaires des collèges et des lycées. 4 - C-V Langlois, Ch. Seignobos, 1898, Introduction aux études historiques, Paris, Kimé, 1992.

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L’auteur abat donc cette première « idole », individuelle, qui privilé-gie l’homme plutôt que l’institution, il réclame pour la sociologie, le droit à l’abstraction seule capable d’accéder à la scientificité. Les abstractions heureuses débouchent alors sur la mise en évidence de régularités ou mieux encore de lois. Il devient donc impératif d’écarter les motifs de l’ac-tion des hommes dans la recherche de la cause car, derrière ce voile, se cachent les intentions de l’historien. Les recherches historiques sont trop souvent ordonnées autour d’un homme et non pas d’un phénomène social, d’une institution ou d’une relation à établir.

Simiand cherche à briser une deuxième idole, « chronologique » cette fois. En histoire, les cadres de la construction des faits renvoient à la chro-nologie. « Une simultanéité ou une antériorité sont des rapports essen-tiels entre les faits ». Toutes les époques relèvent de la même importance. Cependant, l’histoire du présent devient difficile car, dans ces conditions, un historien a besoin de « l’après » pour connaître « l’avant ». Braudel écrira, des décennies plus tard, que le privilège de l’historien tient au fait qu’il connaît la suite de l’histoire.

Enfin, troisième idole à briser, l’idole « politique » qui conduit l’his-torien à exagérer l’importance des phénomènes politiques et à s’écarter de la scientificité en prêtant attention à la contingence et à l’imprévisibilité : la révolution de 1830 comme produit de l’inexpérience de Charles X, celle de 1848 comme conséquence de l’agitation d’obscurs démocrates socia-listes, la guerre de 1871 comme combinaison de l’œuvre personnelle de Bismarck et de Napoléon III. Les études historiques se voient imposer des cadres chronologiques bornés par les règnes et les grandes batailles

2/ La critique du refus d’une direction de l’esprit

Au total, Simiand critique l’obstination des historiens à refuser de grouper les faits selon un questionnement préalable, « une direction de l’esprit », seul gage de scientificité. Ce défaut d’esprit constructeur les con-damne en effet à accumuler des matériaux, mais l’histoire ne peut guère mettre d’ordre dans la « poussière d’événements ».

B/ LES IMPASSES D’UNE TELLE QUERELLE En France, les rapports entre la sociologie et l’histoire ont été profon-

dément marqués par la façon dont le premier débat entre les deux disci-plines fut mené, dans les premières années du vingtième siècle. La socio-logie était en phase d’institutionnalisation et, de ce fait, les sociologues

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durkheimiens ont sans doute forcé le trait pour souligner la spécificité de ce savoir nouveau et justifier ainsi sa prétention à incarner l’ensemble des sciences sociales, dont l’histoire. Chacune des deux disciplines se refuse à admettre la légitimité de l’autre.5

1/La sociologie engloberait les autres disciplines

Les Règles de la méthode sociologique (1895) de Durkheim (1858-1917) fournissent l’argumentaire aux sociologues dans leur opposition aux historiens. Il s’agit d’écarter les données subjectives et contingentes (sans importance). Négliger les éléments singuliers propres à une époque per-met la mise en œuvre de la méthode comparatiste, d’isoler certains inva-riants et de mettre au jour des lois scientifiques.

Dans ces conditions, le comparatisme apparaissant comme une spé-cificité de la sociologie, cette dernière peut annexer d’autres disciplines comme autant de provinces où elle puise les matériaux pour dégager des lois. François Simiand en vient à conclure : « Comme science autonome qui serait complète par elle-même, l’histoire n’a pas sa raison d’être et est destinée à disparaître ».6

L’histoire, de par son incapacité à découvrir des lois, ne peut jouer qu’un rôle modeste alors que les sociologues, qui viennent pour la plupart de la philosophie, utilisent le langage leur permettant de faire admettre la scientificité de leur pratique.7

2/ L’histoire est avant tout psychologie

Parallèlement, en Allemagne, tout un courant de pensée refuse de calquer ses méthodes sur celles des sciences de la nature. L’histoire y ap-paraît donc comme une science fondée sur le singulier et le vécu. Elle est alors une psychologie (et Durkheim prenait grand soin à distinguer la so-ciologie de la psychologie). Les historiens français n’ont pu utiliser les ar-guments de cette tradition à opposer à l’objectivisme durkheimien parce que la pensée républicaine finit par empêcher toute justification ayant re-cours à l’argumentation allemande.

5 -Gérard Noiriel, « Pour une approche subjectiviste du social » in Annales ESC, no-vembre-décembre 1986, N° 6. 6 - François Simiand, « La causalité en histoire », Bulletin de la société française de philosophie, 1906. 7 - Gérard Noiriel, op cit.

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Alors que Durkheim proposait aux historiens une collaboration plu-tôt qu’un combat, les ouvrages publiés par Seignobos et Langlois opposent une fin de non-recevoir dans la mesure où l’historien entend annexer les sciences sociales (entendre la sociologie, mot jamais prononcé). Ces deux auteurs feront donc l’objet des attaques de Simiand.

La querelle aboutit à une impasse, chaque camp déniant toute légi-timité à l’autre. Les durkheimiens pensaient que la sociologie absorberait l’histoire et leurs adversaires, Langlois et Seignobos, déniaient la possibi-lité pour la sociologie (sans la nommer) de se constituer en science du passé des hommes. En fin de compte, il reviendra à l’histoire de maintenir l’héritage durkheimien à travers l’aventure des Annales qui, sous la con-duite de Marc Bloch et Lucien Febvre, se vouèrent, au-delà de 1929, à l’étude des sociétés dans le temps comme dans l’espace. II/ L’HISTOIRE S’OUVRE À LA SOCIOLOGIE : L’HÉRITAGE DURKHEIMIEN DE LA PREMIÈRE ÉCOLE DES ANNALES.

L’École des Annales tient son nom d’une revue, fondée en 1929 (le premier numéro est daté du 15 janvier de cette année-là) par Marc Bloch et Lucien Febvre (ANNEXES 2 et 3), deux historiens.8 Les Annales d’his-toire économique et sociale ont pour ambition de faire tomber les cloison-nements entre les travaux des historiens qui appliquent aux documents du passé « leurs bonnes vieilles méthodes éprouvées » et ceux d’hommes tou-jours plus nombreux qui « consacrent, non sans fièvre parfois, leur acti-vité à l’étude des sociétés et des économies contemporaines ». Historiens et sociologues (ces derniers ne sont pas nommés en tant que tels) « se cô-toient sans se connaître ».9

Les historiens de l’École des Annales, tout en restant attachés aux bases empiriques de leur travail qui repose sur l’exploitation des docu-ments, entendent faire porter leurs efforts sur le questionnement que l’on pose à ces sources documentaires. C’est l’histoire-problème qui permet

8 - Marc Bloch, membre de la Résistance sous l’Occupation, arrêté par la Gestapo, tor-turé au Fort de Montluc est fusillé le 16 juin 1944 à Saint-Didier-de-Formans. Toute évocation de cette première École des Annales renvoie à la personnalité de Marc Bloch et à l’émotion suscitée par son destin tragique. Lucien Febvre lui rend un émouvant hommage, « De l’histoire au martyr : Marc Bloch 1886-1944 », dans le premier numéro des Annales à la Libération. 9 - Marc Bloch, Lucien Febvre, « À nos lecteurs », Annales d’histoire économique et sociale, 15 janvier 1929.

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d’échapper aux recherches sans perspective qui considèrent l’érudition comme une fin en soi.10

A/ LA LUTTE CONTRE L’HISTOIRE « HISTORISANTE » La « préhistoire » des Annales renvoie à l’ère Lavisse11 et à la domi-

nation de l’école méthodique, fille de Sedan (défaite dans la guerre contre la Prusse) et de la volonté de revanche qui doit conduire à la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine.12 Victor Langlois et Charles Seignobos en ont défini les ambitions en 1898.13

1/ L’histoire par le document

L’historien apparaît comme l’esclave des documents dont l’histoire n’est que la mise en forme. « Rien ne supplée aux documents : pas de do-cuments, pas d’histoire », préviennentLanglois et Seignobos. L’histoire se fait, en effet, avec les documents qui sont les traces laissées par les actes mais aussi les pensées des hommes d’autrefois.14 Cette démarche empi-rique qui rejette toute tentative de spéculation est fondée sur l’idée que les documents hérités du passé servent à mieux « comprendre comment les choses se sont passées ». Formule naïve, souvent critiquée, mais qui sup-pose qu’un lien indirect nous unit aux hommes et aux femmes d’autrefois. Certes ils ont disparu mais laissé derrière eux un certain nombre de traces : bâtiments, monuments, inscriptions, documents écrits. Le travail de l’his-torien consistera à répertorier, analyser, critiquer, comparer toutes ces traces. 15

La priorité est donnée au phénomène singulier, l’historien historisant ne recherche pas la causalité des phénomènes décrits, la science est à la remorque des documents, l’histoire entend éliminer toute forme de sub-jectivisme. Cet historien travaille sur des faits particuliers et propose de

10 - André Burguière, L’école des Annales : une histoire intellectuelle, Paris, Odile Ja-cob, 2006. 11 - Ernest Lavisse (1842-1922), fondateur de l’école positiviste, celui que Pierre Nora a joliment qualifié d’« instituteur national » et qui pensait que l’histoire ne s’apprend pas par cœur mais avec le cœur, publie (1900-1911) une Histoire de France, en plu-sieurs volumes, qui réunit l’élite des historiens républicains « méthodistes » 12 - François Dosse, L’histoire en miettes : des « Annales » à la nouvelle histoire, Paris, La Découverte, 1987. 13 - Victor Langlois, Charles Seignobos, 1898, Introduction aux études historiques, Pa-ris, Les Éditions Kimé, 1992 14 - Ibid. 15 - Gérard Noiriel, Introduction à la socio-histoire, Paris, La Découverte, 2006.

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les relier, de les coordonner et d’analyser les changements sociaux, mo-raux et politiques que les textes révèlent. L’histoire est alors la science du particulier.

De plus, elle relève d’une technique de recueil systématique des faits servant à l’élaboration du récit. Raconter les évènements avec toute la pré-cision chronologique nécessaire, décrire la vie d’un grand homme, faire le récit de ses combats, des batailles auxquelles il a participé et de ses secrets d’alcôve, tel est l’objectif ultime. L’histoire relève de la description. Le culte des faits, leur mise en scène, l’insistance à décrire le politique, la diploma-tique, ainsi que le constitutionnel, le goût pour la vie des grands hommes, pour le dire autrement, l’histoire événementielle, constituent une tradition solide qui participe du métier d’historien.

Les canons de la méthode historique reposent, selon Langlois et Sei-gnobos, sur la critique tant externe qu’interne des documents accumulés. La critique externe est une critique d’érudition alors que la critique interne relève d’une critique d’interprétation. La première porte sur les caractères matériels du document, le papier, l’encre, l’écriture et elle sert à débusquer les faux. Langlois est historien du Moyen-Âge et les médiévistes sont con-frontés à de nombreux faux. La critique externe ne dit cependant rien du sens du document. La critique interne peut alors prendre le relais : elle examine la cohérence du texte (par exemple la concordance entre les faits dont il parle et la date qu’il indique) et s’interroge sur sa compatibilité avec d’autres documents connus. Elle procède par rapprochements.

2/ L’histoire comme résidu

Le sens de la précision, la chronologie, la méfiance de l’anachronisme

apparaissent comme des techniques, utiles, certes, mais qui courent le danger d’occulter la signification sociologique des faits et des événements regroupés.

Les tenants du durkheimisme annexaient l’histoire dans la mesure où tout ce qui leur paraissait susceptible de faire l’objet d’une analyse ration-nelle leur appartenait. L’histoire était alors traitée en résidu, c’est-à-dire comme une mise en forme chronologique, tout au plus, d’évènements de surface, au fil du hasard, bref un récit.

L’historien, obsédé par les faits, manquerait du talent nécessaire pour généraliser. L’histoire n’est alors qu’une science du particulier et de l’or-donnancement chronologique des faits. Si l’histoire n’est que la science du singulier et de la description, le débat est clos, le dialogue et la coexistence des deux disciplines ne sont guère possibles.

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Les historiens de la première école des Annales ont reçu la critique

durkheimienne de l’histoire « historisante » en héritage, mais elle fonc-tionne comme un « impensé » plutôt que comme un legs dument assumé.

B/ LE TEMPS DE MARC BLOCH ET DE LUCIEN FEBVRE Marc Bloch et Lucien Febvre ont une sensibilité de gauche mais ils

n’appartiennent pas au noyau d’intellectuels marxistes. Lucien Febvre ne voit dans le discours marxiste qu’une prétention au jugement. Partisan d‘une valorisation de l’économique et du social, il partage avec Marx la vo-lonté globalisante et totalisatrice d’embrasser le réel.

1/ L’histoire ne se cantonne pas à l’étude du passé

L’École des Annales rompt avec la conception purement passéiste du discours de l’histoire. Marc Bloch ne tente pas de définition de l’histoire : toute définition est, en effet, prison. L’histoire ne peut être appréhendée comme science du passé. Pourquoi le passé, plus que le présent et le futur, serait-il un objet de science ? L’objet de l’histoire, comme l’ont enseigné Michelet et Fustel de Coulanges (1830-1889), c’est l’homme ou plutôt les sociétés humaines, les groupes organisés. L’historien cherche en effet à saisir l’homme derrière les paysages, les machines, les institutions, les croyances et les écrits, bref derrière tout ce qui intéresse l’histoire. L’his-toire ne pense cependant pas seulement « humain », son climat est aussi celui de la durée. Elle apparaît donc comme une science des hommes dans le temps, temps continu mais aussi en perpétuelles transformations. Il s’agit au contraire de mettre en relation le passé et le présent.

L’histoire a aussi pour champ d’étude la société contemporaine. Le présent aide à la recherche d’une histoire et permet de valoriser une his-toire-problème et d’enrichir la connaissance du passé. L’interrogation du passé permet de faire face aux problèmes du présent. La relation entre le passé et le présent peut aussi fonctionner dans l’autre sens : « entre le passé et le présent point de cloison étanche » telle sera l’antienne des An-nales. « Il n’y a d’histoire que du présent » ne cesse de répéter Lucien Febvre. L’historien n’entre jamais en contact direct avec le passé, mais seu-lement avec les signes, les traces qu’il a laissées, il ne peut le faire revivre mais seulement nous le représenter à partir des questions suggérées par

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notre époque.16 Ce sont les préoccupations de son époque qui guident l’his-torien dans sa manière d’interroger le passé.

Bouleversant l’ordonnancement du récit et de la chronologie, l’histo-rien peut partir du présent pour remonter au passé par une reconstruction progressive, à la manière d’un archéologue qui dégage les couches succes-sives jusqu’au niveau de l’époque fondatrice. Marc Bloch s’y essaie dans l’histoire rurale. En partant des photos aériennes du présent, il a pu re-constituer les mutations techniques, économiques et sociales de la vie ru-rale. Les différentes formes de propriété du sol et les modes de culture ont surchargé les terroirs de leurs traces successives qui révèlent l’histoire des campagnes.

La démarche de Lucien Febvre est similaire quand il enquête sur les fonds de cuisine. Les graisses en usage dans les cuisines sont des mar-queurs des habitudes alimentaires. Le goût alimentaire fonctionne comme une mémoire et les réponses des Français interrogés à la veille de la se-conde guerre mondiale ne sont pas le reflet des vocations agricoles des dif-férentes régions au moment de l’enquête, mais celui de leur ancienne agri-culture disparue. L’ouest poitevin par exemple est resté attaché au sain-doux alors qu’il est le principal foyer de production laitière.

L’École des Annales affiche un certain goût pour le présent dans la mesure où il fournit les instruments qui permettent d’appréhender le passé. André Burguière (né en 1938) parle du « présentisme » des An-nales.17 Point de départ et point d’arrivée de l’analyse historique, le présent demeure incompris si l’on ignore le passé, mais comprendre le passé reste un exercice vain si l’on ne sait rien du présent.18

2/ La valorisation de l’histoire problème

Marc Bloch et Lucien Febvre apparaissent comme des novateurs par leur volonté de valoriser l’histoire-problème. L’historien ne peut écrire sous la dictée des documents, il lui faut en effet poser des questions et les insérer dans une problématique. Ils rejoignent, en ce sens, François Si-miand qui mettait en avant la nécessité de regrouper les faits selon un questionnement préalable, une « direction de l’esprit ». Élaborer un fait, c’est construire et toute histoire relève d’un choix.

16 - André Burguière, op cit. 17 - André Burguière, op cit. 18 - Marc Bloch, 1949, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1961.

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Alors que les historiens « historisants » entendaient établir les faits à partir de documents bruts, Lucien Febvre leur opposera la fabrication par l’histoire de son objet, ce que font toutes les sciences. Le biologiste qui tra-vaille sur des coupes fabriquées à grand renfort de colorants et de tech-niques délicates « révèle », au sens photographique du terme, l’objet de ses recherches avant de se livrer à une interprétation. Sans théorie préa-lable, point de science.19

Marc Bloch reprend à son compte les arguments que Simiand avait opposés à Seignobos. Une recherche historique suppose que l’enquête ait déjà une direction indiquée par un questionnement à l’élaboration duquel la philosophie et la sociologie peuvent contribuer. L’apport des fondateurs des Annales aux progrès de la recherche historique consiste à élaborer une problématique qui guide la recherche empirique. L’histoire-problème ap-paraît comme un travail de « traduction » des apports extérieurs.20 Plus récemment, lorsque Antoine Prost (né en 1933) évoque le métier d’histo-rien, il fait implicitement référence au questionnement préalable : « l’his-torien doit y aller voir lui-même, remonter à la source, se faire une opi-nion personnelle. C’est dire qu’il sait en gros ce qu’il cherche. Il ne com-mande pas des cartons « pour voir » comme s’il allait à la pêche. Il a déjà des questions et un début d’argumentation qu’il a besoin d’appuyer sur des preuves et, il cherche dans les documents des réponses à des ques-tions, des éléments de preuve ».21

Si l’objet n’est pas donné mais construit, la sociologie peut servir à constituer le principe même de cette construction bien que de nombreux historiens répugnent à réduire leur discipline à la seule fonction de champ d’expérimentation pour des sociologues cherchant à rendre leurs concepts opérationnels. D’où le débat quelque peu stérile pour savoir si le document doit primer sur la question (à la manière de Lucien Febvre) ou si la docu-mentation n’a été rassemblée, conformément aux prescriptions durkhei-miennes, qu’à partir de la question préalable.

3/ L’histoire quantitative

Les rapports entre histoire et sociologie sont les plus fructueux au ni-veau de l’histoire sociale, une conception qui accorde plus d’importance au collectif, au groupe qu’aux individus. Lucien Febvre définissait ainsi

19 - Lucien Febvre, 1953, Combats pour l’histoire, Paris Armand Colin, 1992. 20 - Gérard Noiriel, Sur la crise de l’histoire, Paris, Belin, 1996. 21 - Antoine Prost, « Les pratiques et les méthodes » in Sciences Humaines, Hors-Sé-rie n° 18, L’histoire aujourd’hui : le métier d’historien, les grands courants.

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l’histoire : « Histoire, science de l’homme, ne l’oublions jamais. Science du changement perpétuel des sociétés humaines, de leur perpétuel et néces-saire réajustement à des conditions neuves d’existence matérielle, poli-tique, morale, religieuse, intellectuelle. Science de cet accord qui se négo-cie, de cette harmonie qui s’établit perpétuellement à toutes les époques entre les conditions diverses et synchroniques d’existence des hommes : conditions matérielles, conditions techniques, conditions spirituelles ».22

Une telle définition de l’histoire suppose que l’on assume l’interdé-pendance des différents paliers où évolue l’homme vivant en société. L’his-toire économique ne vaut que par sa résonnance sociale, voire politique ou mentale. L’histoire sociale n’a qu’une valeur limitée si elle ne renvoie pas aux réalités économiques, politiques, démographiques et mentales. L’his-toire tend ainsi à passer du stade qualitatif au stade quantitatif, du docu-ment individuel aux grandes séries et à l’introduction de la mesure même si elle apparaît plus facile en histoire économique qu’ailleurs. L’histoire, placée sous le signe de la mesure, peut accéder à la scientificité et si la me-sure n’est pas une fin en soi, elle permet une meilleure connaissance du passé des hommes, dans sa totalité. L’examen des titres d’articles dans les Annales, de recensions sous forme de notes critiques et de compte-rendu, fait une large place de 1929 à 1939, au mesurable, à l’économie (le prix du papyrus dans l’Antiquité grecque, l’activité industrielle de l’Allemagne) mais aussi à la démographie (les problèmes de la population en URSS). Des années plus tard, François Furet (1927-1997) et Adeline Daumard (1924-2003) estimeront qu’il n’est d’histoire sociale scientifique que dans une démarche quantitative.

« Découvrir les cadres, les systèmes et les éléments durables à l’in-térieur desquels évolue l’homme, tel est certainement un des objectifs de l’historien désireux d’expliquer adéquatement le passé ».23 L’historien, sans cesse confronté à une réalité sociale qu’il s’agit d’expliquer est con-duit, par les questions qu’il se pose et par celles suggérées par les docu-ments, à emprunter au sociologue des concepts, des méthodes, des tech-niques, peut-être des modèles. La sociologie enrichit les perspectives de l’historien, mais cet enrichissement n’abolira jamais l’intensité du contact avec les grands ensembles de documents. Une histoire plus riche de con-tenus sociologiques constituera un défi supplémentaire pour le sociologue désireux de marquer les antécédents des questions qu’il étudie mais aussi

22 - Lucien Febvre, 1953, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1992. 23 - Fernand Quellet, « Histoire et sociologie : le point de vue d’un historien », Histori-cal Papers 11 (1966).

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pour celui qui voit dans le passé un champ d’investigation pour le théori-cien. L’historien du social est donc intéressé par le même matériel humain que le sociologue.

Marc Bloch, dont l’influence au sein des Annales est décisive, renvoie l’image d’un durkheimien ouvert à l’histoire alors que la prégnance du durkheimisme est sans doute moins forte chez Lucien Febvre qui estime que la tâche de l’historien se situe au niveau de l’articulation de l’œuvre avec les conditions mentales et sociales qui l’ont fait naître.

Cependant, les durkheimiens ainsi que les Annales n’ont pas attaqué l’histoire, mais une forme d’histoire qu’ils qualifiaient d’historisante. Con-trairement à ce que prétendit Lucien Febvre, la position de Langlois et Sei-gnobos ne saurait être tenue pour représentative de l’état d’esprit des hommes du tournant du siècle. Seignobos apparaît en effet isolé. Gustave Bloch, approuvé par Lacombe et Glotz, défend la quête de régularité en histoire. Mantoux prône le dialogue entre histoire et sociologie. Henri Berr affirme, dans la Revue de Synthèse Historique qu’il anime, sa volonté d’unification des connaissances autour de la psychologie des peuples et de la géographie humaine. La Revue d’Histoire Moderne, lancée par Caron et Sagnac, entend « sociologiser » l’histoire. Seignobos lui-même, au plus loin de l’image d’érudit poussiéreux véhiculée par les durkheimiens et Lu-cien Febvre, eut l’ambition d’écrire une histoire sociale.24 L’Introduction aux études historiques de Langlois et Seignobos laissait en effet transpa-raître un espoir : « on peut penser qu’un jour viendra où, grâce à l’orga-nisation du travail, tous les documents auront été découverts, purifiés et mis en ordre, et tous les faits dont la trace n’a pas été effacée, établis. Ce jour-là, l’histoire sera constituée, mais elle ne sera pas fixée : elle conti-nuera à se modifier à mesure que l’étude directe des sociétés actuelles, en devenant plus scientifique, fera mieux comprendre les phénomènes so-ciaux et leur évolution ; car les idées nouvelles qu’on acquerra sans doute de la nature, de causes, de l’importance relative des faits sociaux conti-nueront à transformer l’image qu’on se fera des sociétés et des événe-ments passés ».25 Antoine Prost a montré qu’on ne pouvait faire de Sei-gnobos un tenant de l’histoire événementielle pas plus qu’un fétichiste du document (ANNEXE 3).26

24 - Laurent Muchielli, La découverte du social : naissance de la sociologie en France, Paris, La Découverte, 1998. 25 - Victor Langlois, Charles Seignobos, 1898, Introduction aux études historiques, Pa-ris, Les Éditions Kimé, 1992 26 - Antoine Prost, « Charles Seignobos revisité » in Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°43, juillet-septembre 1994. Dossier : Histoire au présent de la "political correctness" pp. 100-118.

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III/ APRÈS LA SECONDE GUERRE MONDIALE, L’HISTOIRE ENTEND REGROUPER AUTOUR D’ELLE L’ENSEMBLE DES SCIENCES SOCIALES

Après la seconde guerre mondiale, le projet de Braudel (ANNEXE 4) constituera le pendant de celui de Durkheim mais il s’en distingue par sa volonté, à une cinquantaine d’années de distance de regrouper l’ensemble des sciences sociales autour de l’histoire. Sociologie et histoire peuvent donc être réconciliées dans la diachronie, mais l’histoire y perdrait son âme. De son côté, la sociologie poursuit une voie divergente en ancrant plus fermement les phénomènes sociaux dans une dimension historique.

A/ LE PROJET DE BRAUDEL Il marque un rapprochement, non seulement avec la sociologie, mais

encore avec les autres sciences sociales. Pour Braudel, la sociologie se can-tonne à une actualité détachée de toute épaisseur temporelle et elle ne peut donc constituer un danger pour l’histoire.

1/ La prise en compte de la longue durée

L’histoire traditionnelle, souvent confondue avec l’histoire politique, celle qui donne la priorité au « temps court », est centrée sur l’individu, Le temps court est aussi celui du chroniqueur, du journaliste, de l’évènement. Ainsi, à côté du récit consacré à la conjoncture, se mettent en place des études qui appréhendent le passé par larges tranches de temps, dix, vingt ans, voire cinquante ans. C’est l’exemple d’Ernest Labrousse (1895-1988) qui étudie, dans son premier grand livre, le mouvement général des prix au dix-huitième siècle. Pour l’historien, il s’agit alors de se familiariser avec un « temps ralenti », parfois presque immobile.27

Braudel va déplacer le regard de l’historien vers les évolutions, les permanences, la longue durée. La rupture avec le temps court s’est réalisée au bénéfice de l’histoire économique et sociale et au détriment de l’histoire politique. Si cette dernière peut s’accommoder de la journée comme me-sure du temps, dès lors qu’il s’agit de s’intéresser aux mouvements de prix, de salaires, de taux d’intérêt ou encore à la pression démographique, le cadre de la temporalité s’élargit. Pour Ernest Labrousse, l’échelle du temps

27 - Fernand Braudel, « La longue durée » in Écrits sur l’histoire, Paris, Flammarion, 1969.

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est le siècle quand il se penche sur le mouvement des prix au dix-huitième siècle. 28

C’est ainsi que Braudel voit dans la révolution industrielle, que l’on situe généralement dans la deuxième moitié du dix-huitième siècle en An-gleterre et dans la première moitié du dix-neuvième en France, un phéno-mène à l’œuvre depuis plusieurs siècles. Le terme de révolution, qui évoque la soudaineté de transformations, serait alors peu approprié pour caractériser la période. L’événement est dilué dans la longue durée. Cer-tains historiens, parmi lesquels Emmanuel Leroy-Ladurie (né en 1929), proclament sa mort.29

2/ L’ouverture aux autres sciences de l’homme

En fait, c’est davantage à une forme d’histoire qu’à l’histoire elle-même que s’est attaqué François Simiand, l’histoire dite « historisante ». Il existe une histoire qui s’intéresse, non plus au particulier, au singulier, à ce qui n’arrive qu’une fois, mais à ce qui se répète. Il est difficile de passer sous silence que dès l’entre-deux guerres, des historiens « ont rompu avec une érudition facile et de courte durée ». 30 Si l’histoire s’emploie à étudier autant les faits singuliers que ceux qui se répètent l’historien se fait alors sociologue, économiste, anthropologue, démographe, psychologue, lin-guiste etc. Pour le dire autrement, l’histoire s’ouvre aux autres sciences de l’homme.

Même si Braudel se défend de toute volonté d’annexion, son projet entend regrouper sous l’égide de l’histoire l’ensemble des sciences so-ciales. Sur le plan de la longue durée, histoire et sociologie ne font pas que se rejoindre, elles se confondent. À ces rapprochements, il existe une li-mite, celle qui surgit du temps de l’histoire, ce temps qui tient à la plume de l’historien comme la terre colle à la bêche du jardinier. Le temps de l’historien comme celui de l’économiste renvoie à la mesure. Quand un so-ciologue avance l’idée qu’une structure ne cesse de se détruire pour se re-constituer, l’historien peut admettre ce processus de destruction créatrice, mais il voudra connaître, au nom de ses exigences habituelles, la durée précise de ces mouvements. Le temps, la durée, l’histoire doivent s’impo-ser à l’ensemble des sciences de l’homme. C’est bien l’histoire qui entend jouer la fonction de chef d’orchestre de l’ensemble des sciences de

28 -Ibid 29 - Ibid 30 - Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire Paris, Flammarion, 1969. 30 - Ibid

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l’homme. Programme ambitieux mais jugé « impérialiste » par un socio-logue comme Georges Gurvitch (1894-1945).

3/ La sociologie sans les sociologues

Le durkheimisme, exception faite pour Marc Bloch, a constitué le re-foulé des fondateurs de l’École des Annales qui emprunte à la sociologie mais qui néanmoins se donne des airs de liberté en s’insurgeant contre le « coup de force », « l’orthodoxie », « l’ambition totalitaire » de la sociolo-gie.31

L’histoire mettrait en œuvre la stratégie du Canada dry « qui permet d’avoir la sociologie sans la sociologie et surtout sans les sociologues » en cumulant les profits d’ordre technique nés de l’emprunt à la sociologie, mais aussi les profits d’ordre symbolique du refus et de la prise de dis-tance.32

On rencontre, sous la plume d’un certain nombre d’historiens, des concepts dégriffés comme « capital culturel », « modernisation », « biens symboliques » utilisés en dehors de toute référence aux théories dont ils sont indissociables.

Selon Pierre Bourdieu (1930-2002) il n’existe pas de différence épis-témologique entre l’histoire et la sociologie. Elles portent sur le même ob-jet et pourraient disposer des mêmes instruments, théoriques et tech-niques, pour le construire et l’analyser. L’objectif de Bourdieu est de faire de l’histoire une « sociologie historique du passé » et de la sociologie une « histoire sociale du présent ».33

B/ L’HISTOIRE Y AURAIT-ELLE PERDU SON ÂME ? En s’ouvrant sur les autres sciences de l’homme, l’histoire aurait

perdu son âme, elle serait entrée en « crise ». Les polémiques sur le sujet expriment l’opposition, au sein de la discipline, entre la « droite » et la « gauche ».

31 - Pierre Bourdieu, « Sur les rapports entre la sociologie et l’histoire en Allemagne et en France », (entretien avec Lutz Raphaël), Acte de la recherche en sciences sociales, 1995. 32 - Ibid 33 - Ibid

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1/ L’histoire doit se replier sur son identité propre

C’est le point de vue « traditionnaliste » incarné en France par Guy Thullier (né en 1932) et Jean Tulard (né en 1933). Selon ces deux auteurs, la crise du savoir historique est consécutive à la politisation de la discipline ainsi qu’à l’ouverture aux autres sciences sociales.

Les années 1960-1980 ont vu les historiens traditionnels tenant à leurs habitudes d’objectivité, de modération et de neutralité contester l’histoire « idéologique », celle qui cherche à enseigner la vérité, en expli-quant à toute force, en endoctrinant et en manipulant.

Sont ici visées l’histoire économique et l’histoire sociale marquées par des doctrines marxisantes et relevant d’une sociologie approximative. Ce courant de recherche historique n’intéresserait plus les jeunes générations de chercheurs.

2/ L’étude de la réalité humaine engage toujours un point de vue

À l’opposé, on trouve les historiens qui interprètent différemment la

crise de l’histoire même s’ils remettent en cause, eux-aussi l’héritage des Annales des années 1950-1970. Le premier argument opposé aux « tradi-tionnalistes » tient au fait qu’il est difficile de discuter de la vérité histo-rique, voire de son objectivité, sans un minimum de culture philoso-phique, sans accepter donc une certaine ouverture « interdisciplinaire ».

L’étude de la « réalité » s’engage toujours à partir d’un certain point de vue, celui d’où l’on parle et d’où l’on écrit. Opposer les bons nécessaire-ment modérés, nuancés et objectifs aux méchants manipulant la vérité his-torique pour satisfaire on ne sait quel fantasme politique relève d’une grande naïveté. Revendiquer l’objectivité ne revient-il pas à masquer des positions politiques conservatrices ? Privilégier comme thème de re-cherche l’étude de Napoléon, figure du « grand homme », donner en exemple Taine et Gaxotte,34 ne sont pas des déclarations d’impartialité.

Si pour Lucien Febvre, Marc Bloch et leurs successeurs directs, l’ob-jectivité demeurait un idéal à atteindre en luttant à la fois contre les pré-supposés et les influences partisanes, pour les travaux nés dans l’après 68, cet idéal relève de la mystification. Les marxistes ont mis en cause l’idée d’un savoir objectif sur le passé, l’histoire pratiquée par les universitaires

34 - Hippolyte Taine (1828-1883), philosophe et historien pessimiste « quel cimetière que l’histoire » a-t-il écrit. Sa pensée a alimenté les politiques conservatrices. Pierre Gaxotte (1895-1982), est un agrégé d’histoire dont l’historiographie apparaît contreré-volutionnaire et monarchiste.

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ne renvoyant qu’à un savoir bourgeois auquel il fallait opposer une « his-toire prolétarienne ».

Les polémiques se poursuivent car les historiens ne se révèlent plus capables de s’accorder sur ce qu’est la science de l’histoire. De plus, quand cette dernière s’ouvre sur la sphère politico-médiatique, les historiens qui veulent garder le contact avec le grand public évitent tout emprunt au « jargon » des sciences sociales. L’histoire et la mémoire entrent en con-currence et les sphères d’activité du journaliste-historien et de l’historien-journaliste se séparent. À l’histoire universitaire, le sérieux et la compé-tence, à l’histoire médiatisée, le succès et le nombre !

Quand les historiens mènent leurs recherches dans le temps présent, ils renoncent de fait à la distance temporelle que leurs ancêtres « positi-vistes » concevaient comme un rempart contre l’influence des passions et des intérêts sur leur travail. Certains historiens dénoncent la confusion entre histoire du temps présent et journalisme. Il est à remarquer que, du côté de la sociologie, l’étiquette « journaliste » est employée de manière souvent dévalorisante.

C/ L’ANCRAGE HISTORIQUE DE LA SOCIOLOGIE

Les sociologues soucieux d’un rapprochement entre histoire et socio-logie établissent que nombre de problèmes posés par la sociologie électo-rale, la stratification et la mobilité sociale, les mouvements sociaux, la dé-mographie relèvent, bien que sous une formulation différente, de l’histoire sociale. Les exemples qui suivent n’épuisent pas la réalité des relations entre sociologie et histoire.

1/ Le poids de l’histoire dans l’analyse du comportement électo-ral

On a longtemps analysé le comportement électoral à partir de l’iden-

tification partisane, entendue comme l’identification durable de l’électeur à un parti. Socialement déterminée, elle se transmettait de génération en génération conférant au comportement électoral un caractère de stabilité.

En France cette stabilité pouvait se repérer dès la Troisième Répu-blique et même au-delà parfois. On constate même une étrange ressem-blance entre la carte de la répartition départementale des suffrages, au se-cond tour de l’élection présidentielle du 19 mai 1974 obtenus par François Mitterrand et celle de la répartition des votes démocrate-socialistes, cette nouvelle montagne qui effraya tant les contemporains aux élections légi-slatives du 13 mai 1849. À 125 ans de distance, la même France de gauche !

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Dans le département de la Sarthe, le vote à droite aux élections légi-

slatives de 1958 épouse parfaitement la géographie des cantons ayant par-ticipé à l’insurrection chouane contre la République pendant la Révolu-tion.35 Le spécialiste de sociologie électorale trouve donc, par ce détour historique, une explication plausible du comportement électoral. Par la mise en perspective historique de la notion d’identification partisane, il met en évidence la stabilité électorale qui a longtemps prévalu.

Pour finir, les notions de gauche et de droite, dont les différences s’es-tompent aux yeux de nombreux observateurs ont longtemps structuré le comportement électoral des français. Ce clivage, apparu sous la Révolu-tion, résulte du vote par l’assemblée révolutionnaire sur l’opportunité d’accorder au roi un droit de véto. Les partisans de ce droit s’étaient rangés à la droite du président, ils formèrent la fraction monarchiste de l’Assem-blée. Les adversaires du droit de véto, rangés à la gauche du président, donnèrent naissance au camp républicain.

Plus près de nous, on constate que lors de la dernière élection prési-dentielle, il est possible d’opposer, à propos du vote Le Pen une France de l’est (en fait à l’est d’une ligne Le Havre-Perpignan) qui n’hésite pas à ac-corder ses suffrages à l’extrême droite et une France de l’ouest, plus rétive.

Les disparités territoriales sont perceptibles au niveau régional car l’importance du vote frontiste varie d’une région à l’autre. Alors que les habitants du nord et de l’est se voyaient comme vivant dans des régions dynamiques, locomotives de l’économie nationale, aujourd’hui elles con-sidèrent et notamment les populations ouvrières que leur région a « dé-croché » par rapport à celle des générations précédentes. Pour le dire au-trement, c’est un sentiment de déclin qui prévaut.

À l’inverse, les populations de l’ouest nourrissent aujourd’hui le sen-timent, peu présent il y a cinquante ans, de vivre dans des populations pré-servées et dynamiques. Le sentiment majoritaire qui y prévaut renvoie à une élévation du niveau de vie par rapport à la génération précédente. Le climat psychologique est ainsi moins propice à la progression du vote pour le Front national. Les intentions de vote pour Emmanuel Macron sont plus importantes dans l’électorat ouvrier de l’ouest que dans celui du nord.

L’histoire d’une région telle qu’elle est subjectivement vécue par ses habitants permet de comprendre des clivages auxquels un sociologue peu soucieux de dimension historique resterait aveugle.

35 - Paul Bois, Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l’époque révolutionnaire dans la Sarthe, 1971.

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2/ La mobilité sociale contrainte par l’évolution de la structure

sociale

L’étude de la mobilité sociale d’une génération à l’autre retrace le parcours des individus à travers la structure sociale et elle consiste, no-tamment, à déterminer ce que sont devenus les fils d’agriculteurs, d’ou-vriers ou de cadres et professions intellectuelles supérieures.

La dimension intertemporelle de la mobilité s’impose donc au socio-logue qui doit se faire l’historien du changement social dans la mesure où la circulation des individus apparaît en partie contrainte par l’évolution des structures sociales. Quand on cherche à mettre en évidence la destinée des fils d’agriculteurs, il devient impossible de faire l’impasse sur le pro-cessus de modernisation économique et social qu’a connu l’agriculture après la seconde guerre mondiale et que l’on nomme, à la suite d’Henri Mendras (1927-2003), la « fin des paysans ».

Il est impossible également de ne pas tenir compte de l’affaiblisse-ment durable de la classe ouvrière qui a fait l’objet d’un processus de des-truction physique (la diminution de la population active ouvrière) et moral (affaiblissement de sa conscience de classe). La condition ouvrière a vu disparaître les bastions de l’industrie (mines, sidérurgie, chantiers navals, textile) et avec eux les grandes concentrations de main d’œuvre. Au-jourd’hui, elle se loge dans des entreprises de taille plus réduite et dans les services autour des tâches de manutention. L’étude de la mobilité sociale est donc sous la dépendance de ce processus historique.

Le destin des enfants d’ouvriers et de paysans dépend en grande par-tie du fait que tous ne peuvent devenir agriculteurs ou ouvriers dans la mesure où ces deux catégories ont vu fondre leurs effectifs. Les sociologues parlent d’ailleurs de mobilité structurelle pour désigner cette contrainte imposée à la circulation des individus d’une position à l’autre, d’une géné-ration à l’autre.

Si l’augmentation des effectifs des catégories « professions intermé-diaires » et « cadres et professions intellectuelles supérieures » a permis une aspiration vers le haut de la structure sociale et donné à penser que l’ascenseur social fonctionnait, aujourd’hui il semble, sinon en panne, du moins considérablement ralenti dans sa capacité à assurer la promotion d’un nombre toujours aussi important d’individus. D’où la multiplication des recherches sur le déclassement.

3/ L’atonie démographique de La France et la transition démo-graphique

Au dix-neuvième siècle et dans la première moitié du vingtième, la

France occupe une position à part dans la démographie européenne. La

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natalité y est plus faible qu’ailleurs jusqu’au renouveau démographique des lendemains de la seconde guerre mondiale. Le sociologue qui s’inté-resse à un tel phénomène doit nécessairement le replacer dans un cadre historique, celui de la deuxième phase de la transition démographique.

Il faut entendre par transition démographique le passage d’un équi-libre de haut niveau (forte natalité, forte mortalité) à un équilibre de bas niveau (faible natalité, faible mortalité). Il s’est fait en deux temps, d’abord la baisse de la mortalité dès la fin du dix-huitième siècle, puis la baisse de la natalité à la fin du dix-neuvième siècle. Le cas de la France est spécifique parce que la baisse de la natalité a anticipé de près d’un siècle la deuxième phase de la transition démographique. Elle diminue en effet dès le début du dix-neuvième siècle.

On explique généralement cette baisse précoce de la natalité en France par le fait que les paysans auraient volontairement réduit leur des-cendance pour ne pas voir leurs propriétés se morceler à la suite des suc-cessions. En effet, en supprimant le droit d’ainesse, la Révolution avait in-troduit l’égalité des enfants pour hériter, ce qui conduisait, inévitable-ment, au morcellement des propriétés. Il faut remarquer que les paysans mirent en œuvre, en pratique, des stratégies visant à contourner la loi et ont continué à favoriser un seul de leurs enfants pour prendre la succes-sion à la tête de la propriété.

À travers ces trois exemples (et on pourrait les multiplier), on com-

prend que les sociologues cherchent à ancrer les phénomènes sociaux qu’ils étudient dans l’histoire, à leur conférer une épaisseur temporelle pour mieux les expliquer et les comprendre. Le détour historique s’impose à eux pour mieux éclairer le présent. CONCLUSION

De sœurs ennemies au début du vingtième siècle, la sociologie et l’histoire sont devenues des disciplines conjointes après 1945. Cependant, depuis le début des années 1980, la crise de l’histoire, attribuée pour cer-tains à la dissolution de son identité au sein de l’ensemble des sciences de l’homme, a ouvert la voie à une prise de distance progressive des historiens par rapport à la sociologie. Ces derniers dénoncent, de plus en plus sou-vent, les excès d’une certaine histoire sociale. L’histoire devrait en revenir au récit, à la narration et rejeter la vision des faits historiques qui privilé-gie, à l’excès, le rôle des facteurs sociaux.36 Le politique y tiendrait, selon François Furet, une sorte de revanche sur le social. La sociologie est encore

36 - François Chazel, « Sur quelles bases établir des relations stables entre historiens et sociologues ? », Revue européennes des sciences sociales, XLII-129, 2004.

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souvent considérée comme ayant des ambitions nomothétiques, c’est-à-dire comme une science généralisante qui a vocation à établir des régula-rités statistiques dans la synchronie (exemple : pour une période donnée, le taux de suicide varie avec l’âge, le sexe, la religion) et à dégager des ten-dances dans la diachronie (le taux de suicide varie, à plus long terme) quand la société se transforme. La revanche du politique sur le social et le retour du récit en histoire ainsi que la prétention encore présente de la sociologie à établir des lois constituent des obstacles au rapprochement des deux disciplines, une fois qu’elles ont abandonné, l’une et l’autre, leur volonté passée d’hégémonie sur l’ensemble des sciences humaines.

Depuis le début des années 1990, le terme « socio-histoire » est uti-lisé pour désigner des travaux qui se situent à l’interface de l’histoire et de la sociologie.37 Il ne suffit pas de se placer sous le patronage de la sociologie et de l’histoire pour relever de la « socio-histoire ». Encore faut-il combi-ner les principes fondateurs de ces deux disciplines tels qu’ils ont été fixés à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième.38 La « socio-his-toire » montre que les objets, les archives les bâtiments et les institutions sont les traces des activités passées des hommes. Il s’agit, derrière elles, de retrouver les individus en chair et en os. La « socio-histoire » va s’intéres-ser à la genèse des phénomènes qu’elle étudie pour mieux comprendre comment le passé pèse sur le présent. Elle entend également déconstruire les entités collectives de la sociologie, l’entreprise, l’État, l’Église, par exemple, pour retrouver le lien social c’est-à-dire les relations entretenues par les individus. Son but est de retrouver les fils invisibles (écriture, mon-naie etc.) qui relient des millions de personnes qui ne se connaissent pas et d’étudier ces formes d’interdépendance pour montrer comment elles af-fectent les relations de face à face. La voie est-elle ouverte pour une colla-boration fructueuse entre sociologie et histoire et faire de ces deux disci-plines une « même aventure de l’esprit » selon l’expression heureuse de Fernand Braudel ?

37 - Gérard Noiriel et Christian Topalov sont les principaux représentants de ce courant en France. 38 - Gérard Noiriel, Introduction à la socio-histoire, Paris, la Découverte, 2006.

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BIBLIOGRAPHIE

Besnard (Philippe), « L’impérialisme sociologique face à l’histoire » in Historiens et sociologues aujourd’hui, Paris, Éditions du CNRS, 1986. Bloch (Marc), 1949, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Pa-ris, Armand Colin, 1961. Bloch (Marc), Febvre (Lucien), « À nos lecteurs », Annales d’histoire économique et sociale, 15 janvier 1929. Bois (Paul), Des structures économiques et sociales aux options poli-tiques depuis l’époque révolutionnaire dans la Sarthe, 1971. Bourdieu (Pierre), « Sur les rapports entre la sociologie et l’histoire en Allemagne et en France », (entretien avec Lutz Raphaël), Acte de la re-cherche en sciences sociales, 1995 Braudel (Fernand), « La longue durée » in Écrits sur l’histoire, Paris, Flammarion, 1969 - « Unité et diversité des sciences de l’homme » in Écrits sur l’histoire Pa-ris, Flammarion, 1969. Burguière (André), L’école des Annales : une histoire intellectuelle, Pa-ris, Odile Jacob, 2006. Chazel (François), « Sur quelles bases établir des relations stables entre historiens et sociologues ? », Revue européennes des sciences sociales, XLII-129, 2004. Dosse (François), L’histoire en miettes : des « Annales » à la nouvelle histoire, Paris, La Découverte, 1987. Febvre (Lucien), 1953, Combats pour l’histoire, Paris Armand Colin, 1992. Langlois (Charles-Victor), Seignobos (Charles), 1898, Introduc-tion aux études historiques, Paris, Kimé, 1992. Muchielli (Laurent), La découverte du social : naissance de la sociolo-gie en France, Paris, La Découverte, 1998. Noiriel (Gérard) « Pour une approche subjectiviste du social » in An-nales ESC, novembre-décembre 1986, N° 6. - Sur la crise de l’histoire, Paris, Belin, 1996. - Introduction à la socio-histoire, Paris, La Découverte, 2006 Prost (Antoine), « Les pratiques et les méthodes » in Sciences Hu-maines, Hors-Série n° 18, L’histoire aujourd’hui : le métier d’historien, les grands courants. Quellet (Fernand), « Histoire et sociologie : le point de vue d’un histo-rien », Historical Papers 11 (1966). Simiand (François), « La causalité en histoire », Bulletin de la société française de philosophie, 1906.

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ANNEXES

ANNEXE 1

MARC BLOCH (1886 - 1944)

Marc Bloch, l'un des plus grands historiens français du XXe siècle, est issu d'une famille de juifs alsaciens qui ont opté pour la France après la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Mobilisé en 1914, il reçoit la Lé-gion d'Honneur et la Croix de guerre.

Après la Grande Guerre, il enseigne l'Histoire à la faculté de Stras-bourg. Il s'insurge contre une vision trop événementielle de l'Histoire et crée en 1929 les Annales d'Histoire économique et sociale avec Lucien Febvre.

Son ouvrage majeur, La Société féodale, témoigne de la nouvelle ap-proche qu'il veut promouvoir : en se référant aux archives et aux sources populaires, l'historien montre de façon vivante comment se sont tissés les liens féodaux au cours de l'époque carolingienne. Il ressort de son étude que l'État moderne est le lointain rejeton de cette féodalité bâtie sur les relations personnelles de suzerain à féal.

À 54 ans, le 24 août 1939, il obtient d'être mobilisé comme capitaine d'état-major, bien qu'ayant cinq enfants à charge. En 1943, l'intellectuel juif met sa famille à l'abri et rejoint la Résistance dans le groupe « Franc-

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Tireur». Il tire de cette expérience un petit ouvrage remarquable : L'étrange défaite (Albin Michel, nombreuses rééditions).

Marc Bloch est fusillé par les nazis le 16 juin 1944, près de Lyon, avec d'autres résistants. Il tombe en criant : « Vive la France !».

(Hérodote.net)

ANNEXE 2

LUCIEN FEBVRE (1878-1956)

Né en 1878 à Nancy, dans une famille universitaire, Lucien Febvre in-

tègre l'Ecole normale de la rue d'Ulm en 1898, après des études au lycée Louis le Grand à Paris. Il exerce rapidement une critique et une forte in-fluence sur l'histoire en tant que discipline, en collaborant à des revues sous la direction du philosophe Henri Berr qui cherchait à réaliser une synthèse des sciences historiques dès 1900.

Sa soutenance de thèse confirme dès 1911 la naissance d'un grand his-torien. Plus tard en 1929, il est à l'origine de la fameuse école historique, l'École des Annales, si féconde, creuset de l’histoire des mentalités. Lucien Febvre est un monument de l'historiographie française, dont la destinée est liée et éclipsée par celle de son ami l’historien Marc Bloch. Son œuvre et son écriture, aux envolées lyriques, exhortaient à « vivre l’histoire », formule qu'il lance en 1941.

Révolutionnaire par son approche méthodologique, en rupture avec les maîtres de l'histoire positiviste et événementielle, à l'opposé d’un théo-ricien de l'histoire, d'un érudit dans sa tour d’ivoire, il s'est intéressé à l’his-toire, qu'il voulait « totale » mais pas totalisante. Lucien Febvre a mené maints combats pour cette histoire à part entière. Son œuvre protéiforme,

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mal connue, révèle un esprit libre et actif au service de la communauté des historiens et de la société.

Strasbourgeois durant l'entre-deux-guerres, Parisien à nouveau, à partir de sa nomination au Collège de France en 1933, architecte du CNRS, Lucien Febvre fonde, avec Charles Morazé puis Fernand Braudel, la VI e

section de l’École Pratique des Hautes Études, EPHE-VI qu'il préside de 1948 jusqu’à sa mort à Saint-Amour dans le Jura en 1956.

(D’après Canal Académie, Les académies et l’Institut de France sur inter-net) ANNEXE 3

Charles SEIGNOBOS revisité

Parmi les figures mythiques de l’historiographie française, Charles

Seignobos tient l'emploi du repoussoir : il incarne l'histoire qu'il ne faut pas faire. Des étudiants qui n'en ont jamais lu une ligne affirment avec l'assurance d'une leçon bien apprise qu'il illustre une histoire rudimen-taire, indigente, périmée : l'histoire événementielle, politique, et, pour lâ-cher la condamnation suprême, l'histoire « positiviste » (…)

Dans la galerie de portraits des historiens, Seignobos figure celui qui croyait naïvement aux faits et aux documents. Qui réduisait l’histoire « à un précis d’événements politiques » et n’avait le sens ni du mouvement ni de la vie (…) Et si d’aventure un défenseur se risque à faire valoir que la politique n’était pas tout pour lui, que, par exemple la grande histoire de la France contemporaine qu’il dirigea avec Lavisse contient de solides cha-pitres sur l’économie ou que l’Histoire sincère de la nation française en consacre plusieurs aux classes sociales, il s’attirera la commisération afligée d’un chœur unanime : l’important n’est pas de traiter l’économie mais de l’intégrer à l’évolution globale. Seignobos, c’est le système de la commode, la bonne vieille commode en acajou, gloire des petits ménages bourgeois. Tiroir du haut, la politique, « l’intérieure » à droite, « l’exté-rieure » à gauche. Deuxième tiroir : le coin à droite, « le mouvement de la population », le coin à gauche « l’organisation de la société ».

On ne se remet pas d’une critique aussi enlevée et aussi drôle. La verve de Lucien Febvre respire la vie et l’intelligence. Personne n’y résiste, per-sonne ne demande s’il est bien juste de critiquer aussi férocement (…) Sei-

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gnobos (…) Pourtant, les historiens qui se sont donnés la peine de lire Sei-gnobos ont à, tout le moins, nuancé le verdict (…)

LA CONCEPTION DE L’HISTOIRE L’histoire a pour but de décrire, au moyen des documents, les sociétés

passées et leurs métamorphoses. Cette définition qu’il donne dans son pre-mier article résume à elle seule un projet. L’introduction de sa thèse sur Le régime féodal en Bourgogne l’amplifie à la manière d’un manifeste : « Le but de cette étude est de montrer les origines, le caractère et les transfor-mations de la société et des institutions dans une province française au moyen-âge (…) Là on a vu qu’avant d ‘atteindre les institutions, il fallait passer par les hommes auxquels elles servaient : avant de parler du gou-vernement, on a cherché à voir les classe qui formaient la société, l’ori-gine, la condition et le rôle de chacun »(...)

Un tel texte fait problème pour qui identifie Seignobos à l’histoire évé-nementielle ou politique. Au vrai, son projet d’une histoire sociale qui soit celle des classes sociales et des hommes qui les constituent lui tourne le dos. Le seul élément politique qui ait une place dans ce projet, ce sont le institutions (…)

Il faut enseigner, dit-il, l’histoire des institutions. D’abord comme an-tidote à l’histoire bataille (…) plus encore parce que les institutions ont un rôle central dans la structure d’une société. La définition très large qu’il en donne, et qui annonce Durkheim mérite d’être retenue : « par institution j’entends tous les usages qui maintiennent les hommes en corps de so-ciété » (…)

Il est clair, d’un point de vue épistémologique, qu’il ne s’agit en rien ici d’histoire politique événementielle et moins encore d’histoire-bataille : c’est un vrai projet d’histoire globale, à la fois sociale et institutionnelle (…) Comme bien d’autres historiens Seignobos n’a pas écrit l’histoire dont il avait fait la théorie (…)

LE STATUT DU DOCUMENT Au cœur de l’épistémologie de Seignobos, telle qu’on la pourfend, il y

aurait le culte du document (…) de fait, le document et sa critique sont essentiels pour Seignobos et les historiens de sa génération (…) Le docu-

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ment est ce qui crée la différence entre la véritable histoire, celle des pro-fessionnels et celle des essayistes, entre la science et la littérature.

On est très loin chez Seignobos d’un fétichisme du document. 0 dire vrai, sa spécialisation progressive en histoire contemporaine l’en aurait préservé. Dans ce domaine, les règles de la méthode sont tout bonnement impraticables (…) Seignobos substitue donc à l’étude directe des docu-ments, seule légitime logiquement mais évidemment impraticable, un pro-cédé plus imparfait logiquement et il se contente d’un travail de seconde main.

Seignobos sait très bien qu’on ne part pas des documents, mais qu’on

va y chercher la réponse à des questions (…) Les documents ont pour lui un statut instrumental, opératoire : ce sont des moyens indispensables à l’histoire mais elle n’y trouve pas son sens.

(Antoine Prost, « Charles Seignobos revisité » in Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°43, juillet-septembre 1994. Dossier : Histoire au présent de la "political correctness" pp. 100-118)

ANNEXE 4

FERNAND BRAUDEL

(1902-1985)

Fils d’un instituteur qui exerçait en région parisienne, Fernand Brau-

del est né à Lunéville-en-Ormois, dans la Meuse en 1902. Après des études au Lycée Voltaire à Paris et en Sorbonne, il est reçu à l’agrégation d’histoire

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en 1922 (à vingt ans !). Un an plus tard, il débute dans l’enseignement en Algérie au lycée de Constantine puis à Alger, au lycée et à la faculté, jusqu’en 1932 après une interruption pour effectuer son service militaire en Allemagne. Inscrit en thèse en 1927, il choisit comme sujet Philippe II et la politique espagnole en méditerranée de 1559 à 1574.

Nommé à Paris en 1932, il enseigne successivement aux lycées Pas-teur, Condorcet et Henri IV. Enseignant à la faculté de Sao-Paulo au Brésil de 1935 à 1937, il y rencontre Claude Lévi-Strauss ainsi que Lucien Febvre, ce dernier sur le bateau de retour. Prisonnier de guerre en Allemagne, il va rédiger sa thèse en captivité, loin de ses fiches restées en Paris et de toute bibliothèque de recherche, mais servi par une mémoire prodigieuse. Il la soutiendra en 1947 sous le titre La méditerranée et le monde méditerra-néen à l’époque de Philippe II.

Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, Fernand Braudel par-ticipe aux côtés de Lucien Febvre et de Charles Morazé à la création de la VIe section de L’École pratique des hautes études qui est ouverte, non pas aux seuls historiens mais à l’ensemble des sciences humaines. En 1949, il est élu à la chaire de civilisation moderne du collège de France où il rem-place Lucien Febvre. De 1950 à 1956, en tant que président du jury de l’agrégation d’histoire, il jouit d’un pouvoir et d’une influence considé-rables, d’autant plus qu’à la mort de Lucien Febvre, en 1956, il lui succède à la direction des Annales.

Entré à l’Académie française en 1985, il meurt peu de temps après.

Parmi une œuvre foisonnante, on retiendra : * Le monde et la méditerranée à l’époque de Philippe II (1947) * Écrits sur l’histoire (1969) * Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIe siècle

(1979) * L’identité de la France (1986) * Grammaire des civilisations (1987)