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Revue internationale de sécurité sociale 47 Revue internationale de sécurité sociale © 2013 AISS Revue internationale de sécurité sociale, vol. 66, 3-4/2013 LE RÔLE DES SOCLES NATIONAUX DE PROTECTION SOCIALE DANS L’EXTENSION DE LA SÉCURITÉ SOCIALE À TOUS Socle de protection sociale et gouvernance sociale mondiale: vers des synergies politiques et une coopération entre les organisations internationales Bob Deacon Université de Sheffield, Sheffield, Royaume-Uni Résumé Le présent article examine l’influence exercée par l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur les autres organisations internationales et les institutions mondiales afin qu’elles soutiennent le concept de socle de protection sociale (SPS). Il a été approuvé en 2012 par les Nations Unies sous la forme de l’initiative SPS adoptée par le Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies, par la Banque mondiale, qui l’a intégré à sa nouvelle stratégie pour la protec- tion sociale et l’emploi, et par le G20 lors du Sommet de Cannes. Le Fonds monétaire international a par ailleurs accepté de collaborer avec l’OIT sur les différentes possibilités de créer un espace budgétaire permettant de financer les SPS. En 2012 également, les Rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l’homme des Nations U nies ont demandé la constitution d’un fonds mondial de protection sociale pour permettre aux pays les plus pauvres de créer leurs propres socles. Enfin, une nou- velle autorité de coordination, le Conseil de coopération inter- institutions pour la protection sociale (SPIAC-B), a vu le jour en 2012 pour faciliter la coopération entre les institutions inter- nationales. Le présent article décrit et explique ces différents événements. Il examine si le renforcement apparent de la Adresse pour correspondance: Bob Deacon, Emeritus Professor of International Social Policy, University of Sheffield, Sociological Studies Department, Sheffield, S102TU, Royaume-Uni; courriel: B.Deacon@ sheffield.ac.uk.

Socle de protection sociale et gouvernance sociale mondiale: vers des synergies politiques et une coopération entre les organisations internationales

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Revue internationale de sécurité sociale © 2013 AISS Revue internationale de sécurité sociale, vol. 66, 3-4/2013

LE RÔLE DES SOCLES NATIONAUX DE PROTECTION SOCIALE DANS L’EXTENSION DE LA SÉCURITÉ

SOCIALE À TOUS

Socle de protection sociale et

gouvernance sociale mondiale:

vers des synergies politiques

et une coopération entre les

organisations internationales

Bob Deacon

Université de Sheffi eld , Sheffi eld , Royaume-Uni

Résumé L e présent article examine l ’ infl uence exercée par l ’ O rganisation internationale du T ravail ( OIT ) sur les autres organisations internationales et les institutions mondiales afi n qu ’ elles soutiennent le concept de socle de protection sociale ( SPS ). Il a été approuvé en 2012 par les N ations U nies sous la forme de l ’ initiative SPS adoptée par le C onseil des chefs de secrétariat des organismes des N ations U nies, par la B anque mondiale, qui l ’ a intégré à sa nouvelle stratégie pour la protec-tion sociale et l ’ emploi, et par le G 20 lors du S ommet de C annes. L e F onds monétaire international a par ailleurs accepté de collaborer avec l ’ OIT sur les différentes possibilités de créer un espace budgétaire permettant de fi nancer les SPS . En 2012 également, les Rapporteurs spéciaux du C onseil des droits de l ’ homme des N ations U nies ont demandé la constitution d ’ un fonds mondial de protection sociale pour permettre aux pays les plus pauvres de créer leurs propres socles. Enfi n, une nou-velle autorité de coordination, le C onseil de coopération inter-institutions pour la protection sociale ( SPIAC - B ), a vu le jour en 2012 pour faciliter la coopération entre les institutions inter-nationales. L e présent article décrit et explique ces différents événements. Il examine si le renforcement apparent de la

Adresse pour correspondance: Bob Deacon, Emeritus Professor of International Social Policy, University of Sheffi eld, Sociological Studies Department, Sheffi eld, S102TU, Royaume-Uni; courriel: B.Deacon@sheffi eld.ac.uk .

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coopération entre les instances de gouvernance sociale mon-diales dans le domaine de la protection sociale est réel ou s ’ il existe des contradictions, un chevauchement des activités ou une concurrence entre les différents mandats, ou des désac-cords politiques à l ’ échelle internationale.

Mots clés protection sociale , recommandation , gouvernance , organisation internationale , OIT , international

Introduction

Le présent article 1 traite de l ’ infl uence exercée directement ou indirectement par l ’ Organisation internationale du Travail (OIT) sur d ’ autres organisations interna-tionales et institutions mondiales pour qu ’ elles soutiennent le concept de socle de protection sociale (SPS) et coopèrent avec elle pour contribuer à sa mise en œuvre. En 2012, la Conférence internationale du Travail (CIT) a approuvé la recomman-dation (n o 202) sur les socles de protection sociale, 2012. Le concept a en outre été également approuvé par a) les Nations Unies, sous la forme de l ’ initiative du socle de protection sociale adoptée par le Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies pour la coordination (CCS) et menée conjointement avec l ’ OIT et l ’ Organisation mondiale de la santé (OMS), b) la Banque mondiale, qui l ’ a intégré à sa nouvelle stratégie pour la protection sociale et l ’ emploi, et c) le G20, lors du Sommet de Cannes ( G20, 2011a ). Le Fonds monétaire international (FMI) a par ailleurs accepté de collaborer avec l ’ OIT sur les différentes possibilités de créer un espace budgétaire permettant de fi nancer les SPS. En 2012 également, les Rap-porteurs spéciaux du Conseil des droits de l ’ homme des Nations Unies ont demandé la constitution d ’ un fonds mondial de protection sociale pour permettre aux pays les plus pauvres de créer leurs propres socles. Ce concept a suscité un large soutien et, en 2012 toujours, une nouvelle autorité de coordination (le Conseil de coopé-ration interinstitutions pour la protection sociale) a été créée pour faciliter la coopération entre les institutions. Ces différents événements portent à croire que l ’ année 2012 correspond au début d ’ une nouvelle ère en matière de gouvernance mondiale interinstitutionnelle dans le domaine de la protection sociale, qui mettrait fi n aux antagonismes historiques qui opposaient par exemple l ’ OIT et la Banque mondiale. Le présent article décrit et explique ces différents événements. Il examine si le renforcement apparent de la coopération entre les instances de gouvernance sociale mondiales dans le domaine de la protection sociale est réel ou s ’ il existe des contradictions, un chevauchement des activités ou une concurrence entre les

1 . Cet article est une version mise à jour et révisée du chapitre 5 de Deacon ( 2013 ).

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différents mandats, ou des désaccords politiques à l ’ échelle internationale. Le présent article est organisé comme suit. La première partie présente l ’ infl uence exercée par l ’ OIT sur les Nations Unies et la formation de l ’ initiative SPS. Après la description de la manière dont l ’ OIT s ’ est acquis le soutien du G20, l ’ article étudie les relations plus complexes existant entre l ’ OIT, la Banque mondiale et le FMI, avant d ’ exposer l ’ initiative indépendante prise par les Rapporteurs du Conseil des droits de l ’ homme. Il explique ensuite de quelle façon le Conseil de coopération interinstitutions pour la protection sociale a été créé. Enfi n, il examine en conclu-sion dans quelles mesures des synergies politiques se sont réellement mises en place dans ce domaine et ce qu ’ elles impliquent pour l ’ avenir de la gouvernance mondiale de la protection sociale.

Infl uence sur les N ations U nies

Les efforts déployés par l ’ OIT pour susciter l ’ adhésion de l ’ ensemble des Nations Unies et de ses institutions au concept général d ’ un socle social mondial ont cer-tainement commencé par la publication du rapport de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation ( 2004 ), voire avant 2 . En 2005, devenu directeur du Département de la sécurité sociale du Bureau international du Travail (BIT), Michael Cichon 3 s ’ attacha très rapidement à rechercher des soutiens à ce concept à l ’ extérieur de l ’ OIT, en créant la Coalition pour un socle de protection sociale mondial. Michael Cichon réunit au Centre de formation de Turin de l ’ OIT des représentants du Département des affaires économiques et sociales (DAES) de l ’ Organisation des Nations Unies (ONU), du Fonds des Nations Unies pour l ’ en-fance (UNICEF), d ’ HelpAge International et d ’ autres organisations afi n de «construire une coalition pour un socle de protection sociale mondial». Le proces-sus de formation de cette coalition a probablement démarré en 2007, avec l ’ appel lancé en faveur de la constitution d ’ une alliance entre les organisations, dans le but de parvenir à une mondialisation plus juste et d ’ établir un droit universel à la sécurité sociale, mû par la conviction qu ’ il était possible de créer un socle de pro-tection sociale mondial, outil indispensable pour réduire rapidement la pauvreté. La coalition devait regrouper des organisations internationales – DAES de l ’ ONU, Centre contre la pauvreté du Programme des Nations Unies pour le développement

2 . Voir le chapitre 3 de Deacon ( 2013 ), selon lequel le concept a été mentionné pour la première fois en 2000. 3 . Nommé directeur du Département de la sécurité sociale du BIT en 2005, Michael Cichon a quitté ce poste en décembre 2012, après la réalisation de tous les événements décrits dans cet article. J ’ ai écrit dans Deacon ( 2013 ) que l ’ intégration de la défi nition du SPS aux processus politiques internes de l ’ OIT lui incombe totalement et qu ’ il a contribué à l ’ infl uence exercée par l ’ OIT sur les autres institutions. Depuis 2013, le Département de la sécurité sociale s ’ appelle le Département de la protection sociale.

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(PNUD), OIT, UNICEF, Fonds des Nations Unies pour la popoulation (FNUAP), OMS –, des institutions d ’ aide bilatérales – Agence allemande de coopération tech-nique pour le développement (GTZ), Département du développement internatio-nal (DFID), Agence suédoise de développement international (SIDA) –, des partenaires sociaux – Confédération syndicale internationale (CSI), Organisation internationale des employeurs (OIE) –, et des Organisations non gouvernementales (ONG) – HelpAge International, Save the Children, International Council on Social Welfare. Elle devait initialement fonctionner sans cadre contractuel offi ciel. Elle serait simplement dotée d ’ un comité de direction, accueilli par l ’ ONU, l ’ OIT, l ’ UNICEF ou une autre institution des Nations Unies, dans l ’ esprit de l ’ initiative «une ONU unique». Cette campagne a bien évidemment donné lieu à de nom-breuses réunions en marge d ’ événements organisés par l ’ ONU.

C ’ est toutefois une initiative prise en 2009 par Juan Somavia 4 , Directeur général du BIT, qui a mis en lumière ces efforts de coordination. Elle a été lancée en réponse à la crise économique mondiale de 2008, et parce que l ’ OIT occupait alors la pré-sidence tournante du Comité de haut niveau chargé des programmes du CCS. Le document de discussion The global fi nancial crisis and its impact on the work of the UN system ( HLCP, 2009 ) fut publié à l ’ issue d ’ une réunion de ce conseil qui eut lieu à Paris en avril 2009. Cette réunion se fondait sur un rapport rédigé précédem-ment et qui avait été examiné en février 2009 par le Comité de haut niveau chargé des programmes du CCS, présidé et infl uencé par Juan Somavia. Réalisé par les principaux membres du Cabinet de Juan Somavia et le Département de l ’ intégra-tion des politiques du BIT, le rapport préconisait une action coordonnée entre les Nations Unies dans huit principaux domaines: a) la fi nance; b) le commerce; c) l ’ emploi et la production; d) l ’ environnement; e) la sécurité alimentaire; f) les services sociaux, l ’ autonomisation et la protection des populations; g) l ’ aide huma-nitaire, la sécurité et la stabilité sociale; et h) la coopération internationale pour le développement. C ’ est le point f) qui présente le plus d ’ intérêt pour cet article, puisqu ’ il visait à mettre en place un socle de protection sociale mondial qui garan-tisse «un accès aux services sociaux de base, un toit et l ’ autonomisation et la pro-tection des populations pauvres et vulnérables» ( HLCP, 2009 , p. 31). L ’ OIT et l ’ OMS ont initié cette politique, qui a été ensuite défendue par plusieurs autres institutions, telles que l ’ UNICEF et le DAES. Le socle de protection sociale mondial devint ainsi une politique de l ’ ONU, du CCS tout du moins. L ’ initiative de Juan Somavia créa donc la surprise dans la campagne en faveur d ’ une coalition pour un socle de pro-tection sociale mondial. Les objectifs de la campagne devinrent en effet soudain une politique offi cielle de l ’ ONU et les réunions informelles de la coalition qui

4 . Juan Somavia était alors Directeur général du BIT. Il a quitté ses fonctions en octobre 2012 et a été remplacé par Guy Ryder. J ’ indique dans Deacon ( 2013 ) que c ’ est essentiellement Juan Somavia, ainsi que son conseiller Vinicius Pinheiro, qui a infl uencé l ’ ONU et le G20 dans ce domaine.

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avaient été envisagées initialement se transformèrent en réunions interinstitution-nelles offi cielles dirigées par l ’ OIT et l ’ OMS. La première se déroula à Turin (une fois encore) en octobre 2009, sous la présidence de Michael Cichon.

Quatre réunions concernant l ’ initiative SPS ont eu lieu d ’ octobre 2009 à janvier 2012, les trois premières organisées par l ’ OIT, la dernière par l ’ UNICEF. L ’ enthou-siasme suscité par cette initiative commune novatrice attira un très grand nombre de participants à la première réunion, tenue au Centre de formation de l ’ OIT à Turin, qui réalisèrent un travail impressionnant. Figuraient ainsi parmi les partici-pants: l ’ OIT, l ’ UNICEF, l ’ OMS, le DAES, l ’ Organisation des Nations Unies pour l ’ éducation, la science et la culture (UNESCO), le FNUAP, la Banque mondiale, le Programme alimentaire mondial (PAM), l ’ Organisation météorologique mondiale (OMM), la Banque africaine de développement (BAD), le ministère fédéral alle-mand de la Coopération économique et du Développement (BMZ), le DFID du Royaume-Uni, la Finlande, la GTZ, HelpAge International, Save the Children et, en vidéoconférence, le PNUD, ONU-Habitat, le FMI et le CCS. Ils ont élaboré et approuvé un manuel et un cadre stratégique provisoires pour les opérations menées par l ’ ONU dans les différents pays, qui fut ensuite révisé et publié en novembre 2009 ( CCS, 2009 ). Le Coordonnateur résident de l ’ ONU jouera un rôle décisif en formant des équipes de l ’ ONU chargées de travailler avec les gouvernements et les différents acteurs des pays concernés et «devra veiller à ce que l ’ initiative soit inté-grée dans le processus du Plan-cadre des Nations Unies pour l ’ aide au développe-ment» ( CCS, 2009 , p. 15). Ces équipes auraient pour mission de sensibiliser les autorités, d ’ examiner les politiques en place, d ’ instaurer un dialogue national afi n de commencer à défi nir un SPS, d ’ en évaluer le coût et de déterminer l ’ espace budgétaire nécessaire, de contribuer à sa mise en œuvre, puis de le suivre et de l ’ évaluer. Il fut également convenu de former un réseau de conseil technique mondial (qui se traduisit en fait par les réunions de l ’ initiative SPS) et de constituer une plateforme d ’ échange des connaissances, initialement le site Internet du réseau de l ’ OIT d ’ extension mondiale de la sécurité sociale (GESS). Des formations seraient organisées pour les pays dans le Centre de formation de l ’ OIT, à Turin. Une deuxième réunion se déroula à Genève, en novembre 2010. Pour renforcer le soutien mondial à l ’ initiative, il fut décidé de créer sous l ’ égide de l ’ UNICEF un site Internet spécialement consacré au SPS, en sus du site GESS de l ’ OIT ( BIT, 2010 ). Un atelier de portée plus limitée se tint début 2011, puis une réunion rassemblant un grand nombre de participants fut organisée par l ’ UNICEF à New York début 2012. Il semblait alors qu ’ un mécanisme de coordination interinstitutionnel avait été réel-lement établi et qu ’ il permettrait de faire progresser l ’ initiative SPS. Les choses se sont toutefois compliquées en raison de l ’ infl uence que l ’ OIT a exercée sur le G20, principalement par l ’ intermédiaire de Vinicius Pinheiro, ancien attaché au Dépar-tement de la sécurité sociale, puis membre du Cabinet du Directeur général du BIT, chargé de la protection sociale.

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Le fait que l ’ OIT ait dirigé l ’ initiative SPS de l ’ ONU a permis à Juan Somavia d ’ exercer une plus grande infl uence à l ’ échelle mondiale en faveur du concept de SPS et de l ’ OIT elle-même, en fondant en août 2010 un Groupe consultatif sur le socle de protection sociale présidé par Michelle Bachelet, Présidente du Chili de 2006 à 2010 et actuellement Secrétaire générale adjointe de l ’ ONU et Directrice d ’ ONU Femmes. Le groupe comptait huit membres de renommée internationale, dont, personnalité importante s ’ il en est pour la suite de notre exposé (de par son infl uence sur le G20), Martin Hirsch, président de l ’ Agence française du service civique. Vinicius Pinheiro en fut nommé secrétaire exécutif. Sous l ’ égide du groupe consultatif, l ’ OIT a préparé le rapport publié sous le titre Socle de protection sociale pour une mondialisation juste et inclusive et plus généralement appelé «rapport Bachelet» ( Bachelet, 2011 ).

Ce rapport visait à infl uencer l ’ ONU, mais également le G20. S ’ il reconnaissait que l ’ initiative SPS de l ’ ONU avait déjà accompli des progrès en matière de rap-prochement des institutions ( Bachelet, 2011 , p. 81), il demandait clairement la création d ’ un mécanisme interinstitutionnel rassemblant les différents acteurs ( Bachelet, 2011 , p. 105).

Nous recommandons la création d ’ un mécanisme ad hoc de collaboration et de coordi-

nation qui inclue des experts des agences, des commissions régionales, des programmes

et des fonds concernés de l ’ ONU, ainsi que des institutions fi nancières internationales

impliquées dans les questions liées à la protection sociale. Ce mécanisme interagences ad

hoc aurait pour objectif d ’ assurer une action globale, coordonnée et collaborative pour

répondre aux défi s immédiats et à long terme en matière de protection sociale, en mettant

l ’ accent sur la construction d ’ un socle de protection sociale au niveau national, régional

et mondial.

Cette nouvelle entité devait en outre établir une plateforme de connaissances com-munes permettant le partage des expériences. Elle constituait en fait les prémices du Conseil de coopération interinstitutions pour la protection sociale (SPIAC-B), qui sera créé parallèlement à l ’ initiative SPS de l ’ ONU et compliquera la mise en place des synergies politiques et de la coordination interinstitutionnelle. La recom-mandation portant sur la création d ’ une plateforme de connaissances se traduisait par le fait que coexisteraient le site GESS de l ’ OIT et le nouveau site SPS géré par l ’ UNICEF mentionné plus haut, ainsi qu ’ un troisième site, administré par le PNUD et le G20, tel que préconisé par le rapport Bachelet.

Infl uence sur le G 20

Il était important de convaincre l ’ ONU d ’ adopter l ’ initiative SPS, mais c ’ était en fait le G20 qui acquérait alors le plus de pouvoir. Comment l ’ OIT a-t-elle infl uencé le G20 et comment le communiqué concluant le Sommet de Cannes 2011 en est-il arrivé à déclarer «nous reconnaissons qu ’ il est important d ’ investir dans des socles

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de protection sociale qui soient adaptés à chaque situation nationale» ( G20, 2011b , paragraphe 6), puis, plus loin (paragraphe 31), à appeler «les organisations interna-tionales, notamment les Nations Unies, l ’ OMC, l ’ OIT, la Banque mondiale, le FMI et l ’ OCDE, à renforcer leur dialogue et leur coopération, notamment sur l ’ impact social des politiques économiques, ainsi qu ’ à intensifi er leur coordination»? L ’ OIT a joué un rôle important lors de ce sommet. Ses représentants aux précédents sommets du G20 de 2008, 2009 et 2010 avaient en effet acquis une certaine expérience du déroulement de ces réunions. Son action a été également facilitée par la décision du président français d ’ inscrire la question de la protection sociale à l ’ ordre du jour du sommet, par la publication annoncée du rapport Bachelet sur le sujet et par les relations mi-fortuites mi-calculées existant avec le gouvernement français.

Lors d ’ une conférence de presse sur les priorités de la France au Sommet du G20 fi n janvier 2011, le Président Sarkozy a déclaré:

La France souhaite réfl échir à la mise en place d ’ un socle de protection sociale au niveau

international, dont les objectifs seraient a) de garantir un accès universel aux services

sociaux de base, comme l ’ éducation et la formation, ainsi que la santé et l ’ emploi, et

b) de fournir des transferts sociaux aux populations afi n de leur assurer un revenu et des

moyens de subsistance minimum leur permettant d ’ accéder aux services de base. Ce socle

de protection sociale comprendrait des prestations sociales pour les enfants, les adultes

en âge de travailler ne disposant pas d ’ un revenu minimum, les personnes âgées et les

handicapés.

Il apparaît que l ’ OIT avait d ’ ores et déjà manifestement rallié le gouvernement français à sa cause. Les mots employés par le président ne sont en effet pas le fruit du hasard. De nombreux liens s ’ étaient en fait noués. Christian Jacquier, Français travaillant au Département de la sécurité sociale du BIT, collaborait avec le repré-sentant du ministère français du Travail au consulat de Genève. Alors qu ’ il s ’ apprê-tait à quitter ses fonctions, il lui a été demandé de rester au moins jusqu ’ à la fi n de la Conférence des ministres du Travail du G20, en septembre 2011. Parallèlement, Martin Hirsch, qui participait déjà activement au Comité consultatif sur la protec-tion sociale, entretenait d ’ étroites relations avec le président. Il allait en outre bientôt lui-même publier un livre sur le socle de protection sociale ( Hirsch, 2011 ). Vinicius Pinheiro et Christian Jacquier représentaient l ’ OIT lors de la Conférence des ministres du Travail du G20 et leur action a été parfaitement orchestrée. Des copies du rapport Bachelet ont été remises aux participants avec une partie qui ne fi gurera pas exactement sous la même forme dans la version défi nitive qui sera publiée plus tard, comprenant un certain nombre de recommandations destinées au G20. Elles préconisaient de créer des socles de protection sociale, mais aussi de concevoir un mode de fi nancement international novateur pour aider les pays à faible revenu et d ’ établir un mécanisme de coordination regroupant l ’ OIT, le PNUD, l ’ UNICEF, l ’ OMS, l ’ UNESCO, la Banque mondiale, les banques régionales et le FMI, qui se fonderait sur l ’ initiative SPS pour renforcer la cohérence des

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politiques mondiales. En outre, comme si cela ne suffi sait pas, le Directeur général du BIT et le Secrétaire général de l ’ Organisation de coopération et de développe-ment économiques (OCDE) ont publié ensemble un rapport ( BIT et OCDE, 2011 ) et un communiqué de presse dans lesquels ils exprimaient leur inquiétude concer-nant la crise mondiale du marché de l ’ emploi et soulignaient la nécessité de la protection sociale.

Par conséquent, comme on pouvait s ’ y attendre, les Conclusions de la Conférence des ministres du Travail et de l ’ Emploi, qui s ’ est déroulée à Paris en septembre 2011, ont préconisé ( G20, 2011c , paragraphe 15) que le G20 contribue à «développer des socles de protection sociale défi nis nationalement, en vue d ’ une croissance écono-mique forte, durable et équilibrée et pour la cohésion sociale». Elles précisaient également que les socles de protection sociale devaient prévoir «un accès aux soins de santé, une garantie de revenu pour les personnes âgées et handicapées, l ’ octroi de prestations pour enfants à charge et une garantie de revenu pour les chômeurs et les travailleurs pauvres», et reprenaient les points relatifs à un mode de fi nance-ment novateur, à la cohérence politique, etc.

C ’ était une chose d ’ imposer le point de vue de l ’ OIT à la Conférence des ministres du Travail, mais serait-il aussi facile de le faire transparaître dans le communiqué fi nal du Sommet de Cannes, en novembre, surtout alors que l ’ Union européenne (et donc le Président Sarkozy) se trouvait au cœur de la crise de l ’ euro et de la dette souveraine? Une quinzaine des 32 paragraphes du communiqué ont effectivement été consacrés aux propositions avancées par le G20 pour résoudre la crise fi nancière, et ont retenu l ’ attention des médias. Cependant, une fois encore, en raison notam-ment du travail effectué par le représentant de l ’ OIT, les chefs d ’ Etat ont approuvé la plupart des conclusions des ministres du Travail.

Parallèlement à la Conférence des ministres du Travail du G20 se sont déroulées des réunions du Groupe de travail du G20 sur le développement, créé lors du G20 2010 à Séoul. Un vaste programme pluriannuel de développement, reposant sur neuf piliers d ’ activité 5 , avait alors été établi. Le sixième pilier, la croissance résiliente, était confi é à l ’ Australie, à l ’ Indonésie et à l ’ Italie, par l ’ intermédiaire des institutions de l ’ ONU. L ’ un des aspects de ce pilier comprenait le «développement de la pro-tection sociale», dont étaient chargés le PNUD et l ’ OIT. Le neuvième pilier, consacré au partage des connaissances, incombait à la Corée et au Mexique. La principale contribution de l ’ OIT au Groupe de travail sur le développement a suscité peu d ’ écho sur le moment, mais a eu ensuite une incidence considérable. Il s ’ agit du rapport réalisé conjointement avec le PNUD, Inclusive and resilient development: The role of social protection . Publié uniquement en interne en juin 2011 ( BIT et PNUD, 2011 ), ses conclusions et ses recommandations au G20 sur l ’ importance de

5 . Voir < http://www.g20.utoronto.ca/2010/g20seoul-development.pdf > .

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créer à l ’ avenir un réseau d ’ échange des connaissances «hébergé par une institution précise et détenu par plusieurs institutions» (paragraphe 78.2) et de défi nir un mécanisme de coordination entre les institutions afi n de faire progresser les sys-tèmes de protection sociale ont joué un rôle majeur. L ’ emploi du mot «système», au lieu de «socle», posera plus tard un problème, lorsque cette recommandation sera prise en compte et donnera lieu à la création d ’ un mécanisme de coordination de la protection sociale ne concernant pas exclusivement le SPS. Le rapport préco-nisait en particulier ( BIT et PNUD, 2011 , p. 41, paragraphe 78.3):

Le G20 pourrait appeler les organisations internationales qui fournissent des conseils

techniques en matière de protection sociale, notamment le FMI, l ’ OIT, le PNUD,

l ’ UNICEF, la Banque mondiale, le PAM, l ’ OMS et les banques régionales de développe-

ment, à défi nir un mécanisme visant à renforcer leur coordination et la cohérence de

leurs politiques afi n d ’ aider les pays à concevoir et à mettre en œuvre des systèmes natio-

naux de protection sociale. Ces organisations pourraient s ’ inspirer de l ’ Equipe de travail

de haut niveau sur la sécurité alimentaire mondiale ou d ’ autres entités de coordination

qui fonctionnent bien.

Le processus du G20 s ’ est poursuivi sous la présidence mexicaine en 2012. Les priorités du Mexique étaient différentes de celles de la France et de la Corée, qui l ’ avaient précédé à la tête du G20. Il s ’ est néanmoins engagé à suivre le programme approuvé en 2012 par les ministres du Travail et le Groupe de travail sur le déve-loppement. Ce sont une fois encore les représentants de l ’ OIT, dont Vinicius Pin-heiro, qui se sont chargés de veiller à ce que les questions intéressant l ’ Organisation demeurent à l ’ ordre du jour. C ’ est ainsi que le paragraphe suivant fi gure dans les Conclusions de la Réunion des ministres du Travail et de l ’ Emploi qui s ’ est tenue à Guadalajara, au Mexique, les 17 et 18 mai 2012 ( G20, 2012 , paragraphe 12):

Les systèmes de protection sociale jouent un rôle important de stabilisateurs automa-

tiques en cas de crise. Lors de la réunion de Paris, nous sommes convenus de développer

«des socles de protection sociale défi nis au plan national afi n de parvenir à une croissance

économique soutenue, durable et équilibrée et à la cohésion sociale» [ ... ]. Nous favorise-

rons aussi une plus grande coopération avec le Groupe de travail du G20 sur le dévelop-

pement pour aider les pays en développement à créer des capacités leur permettant de

mettre en œuvre des socles de protection sociale défi nis au plan national. [ ... ] Suite aux

recommandations prises à Paris, nous saluons la coopération qui s ’ est établie entre l ’ OIT

et le FMI, ainsi qu ’ entre d ’ autres organisations internationales, autour de la pérennité des

socles de protection sociale et encourageons sa continuité. Nous espérons que la recom-

mandation de l ’ OIT sur les socles de protection sociale sera adoptée lors de la Conférence

internationale du Travail en juin 2012.

Parallèlement, l ’ OIT (représentée par Vinicius Pinheiro) a continué à intervenir dans la défi nition des sixième et neuvième piliers (croissance résiliente et partage des connaissances) du Groupe de travail du G20 sur le développement ( Develop-ment Working Group – DWG). Elle a présenté à ce dernier deux rapports: le premier

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sur le mécanisme de coordination et le second sur une plateforme de connaissances partagées ( G20-DWG, 2012a et 2012b ). Le rapport 2012 du Groupe de travail sur le développement a fi nalement servi à présenter les projets de création d ’ un méca-nisme de coordination interinstitutionnelle et de plateforme de partage des connais-sances ( G20-DWG, 2012c , paragraphes 54 et 55).

Nous réaffi rmons à cet effet l ’ engagement que nous avons pris à Cannes en 2011 de

soutenir la mise en œuvre ou l ’ extension des socles nationaux de protection sociale dans

les pays à bas revenu, en répondant à leur demande, par le biais notamment d ’ une co-

opération nord-sud, sud-sud et triangulaire, et nous saluons les efforts déployés par l ’ OIT

pour faire progresser cette initiative (paragraphe 54) .

Le DWG accueille favorablement la mise en œuvre par l ’ OIT, la Banque mondiale et le

PNUD des engagements de protection sociale 2012 – plateforme de protection sociale

visant à aider les pays à bas revenu à développer des programmes de protection sociale

effi caces, novateurs et fi nancièrement viables et conseil destiné à améliorer la coordina-

tion multilatérale de haut niveau sur l ’ aide à la protection sociale [ ... ]. Nous nous effor-

cerons de poursuivre les actions entreprises plutôt que de les répéter. Nous demandons

qu ’ un rapport sur l ’ état d ’ avancement de ce projet soit remis dans deux ans (paragra-

phe 55) .

Il importe de souligner le glissement opéré entre le paragraphe 54, qui continue à appuyer le SPS, et le paragraphe 55, qui considère que la plateforme du PNUD et le conseil chargé de la politique de la protection sociale refl ètent plus globalement, ainsi que nous le verrons plus loin, les conditions auxquelles la Banque mondiale souhaitait être associée au projet. La mention concernant la nécessité de ne pas répéter les actions déjà entreprises témoigne de la complexité que revêt désormais le processus. L ’ initiative SPS de l ’ ONU axée autour du SPS coexisterait bientôt avec le nouveau conseil interinstitutionnel, de portée plus générale, de même que le site Internet sur le socle de protection sociale récemment lancé se développerait paral-lèlement à la plateforme de partage des connaissances du PNUD sur «les modes de protection sociale effi caces».

Collaborer avec la B anque mondiale et le FMI : une question de fonds ou de forme?

Les progrès accomplis au sein de l ’ ONU et du G20 ont donc été extrêmement importants de 2009 à 2012. Il était entendu qu ’ il importait d ’ établir des socles de protection sociale et de créer des mécanismes de coordination interinstitutionnelle et des plateformes de partage des connaissances. Jusqu ’ à quel point la Banque mondiale et le FMI ont-ils souscrit à ces idées et à ces injonctions à travailler ensemble?

Les divergences fondamentales existant entre l ’ approche, l ’ idéologie et la poli-tique préconisées par le Département de la sécurité sociale du BIT et la Division de

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Socle de protection sociale et gouvernance sociale mondiale

la protection sociale et du travail de la Banque mondiale dans le domaine des pen-sions, des fi lets de sécurité ou des prestations monétaires universelles, voire entre la défi nition et l ’ objectif même de la protection sociale, ont déjà été expliquées à maintes reprises ( Deacon, 2007 ; Orenstein, 2008 ; Voipio, 2011 ). Des membres de l ’ OIT avaient écrit des documents critiquant la gestion des risques appliquée par la Banque mondiale en matière de protection sociale et son approche préconisant la privatisation des pensions. Deux choses avaient toutefois désormais changé. Pre-mièrement, l ’ effondrement du marché des actions avait mis en évidence les insuf-fi sances de la méthode recommandée par la Banque mondiale pour la gestion des pensions. Deuxièmement, Robert Holzmann avait été remplacé par Arup Banerji à la tête de la Protection sociale et du Travail à la Banque mondiale, apparemment plus coopératif.

Arup Banerji lança immédiatement des consultations pour l ’ élaboration d ’ une nouvelle stratégie pour la protection sociale et l ’ emploi pour 2012-2022. La stratégie proposée ( Banque mondiale, 2011 ) prônait un mode de protection sociale reposant sur la prévention (assurance), la protection (aide) et la promotion (formation de capital humain grâce aux transferts monétaires conditionnels, à la création d ’ em-ploi et aux travaux publics). Elle mentionnait en note de bas de page la politique du socle de protection sociale de l ’ OIT et de l ’ ONU, sans toutefois l ’ approuver de manière formelle. Arup Banerji souhaitait transformer les projets de protection sociale en systèmes, se concentrer sur les pays à revenu faible et intermédiaire, privilégier la promotion et, bien sûr, faire de la Banque mondiale un centre de ressources majeur dans ce domaine. Cette première version de la stratégie traitait peu de la question des retraites. Michael Cichon, Krzysztof Hagemejer et Christina Behrendt, membres de l ’ équipe de l ’ OIT consacrée à la politique de la sécurité sociale, ont déclaré au sujet de cette version ( BIT, 2011a ):

Après des décennies [ ... ] de controverses au sujet des pensions et des politiques de fi let

de sécurité, cette note marque un nouveau départ. Elle constitue un tournant majeur et

un changement radical dans la stratégie de la Banque mondiale en matière de protection

sociale, même si elle ne l ’ affi rme pas de manière explicite. Il est regrettable que cette note

ne reconnaisse pas explicitement sa proximité avec les concepts défendus par les institu-

tions de l ’ ONU. [ ... ] Cette nouvelle politique peut néanmoins laisser penser que la Banque

mondiale sera désormais disposée à devenir un partenaire beaucoup plus actif en ce qui

concerne l ’ initiative du socle de protection sociale de l ’ ONU.

De fi n 2011 à début 2012, la question du renforcement de la coopération entre l ’ OIT et la Banque mondiale sur la politique de la protection sociale a été activement débattue, de différentes manières et à différents niveaux. D ’ un côté, Michael Cichon et ses proches collaborateurs rencontraient régulièrement Arup Banerji et son équipe à Washington et, de l ’ autre, au niveau de la Direction générale de l ’ OIT, la version défi nitive du rapport Bachelet, publiée à New York le 27 octobre 2011 ( Bachelet, 2011 ) indiquait: «Nous recommandons que l ’ approche du socle de

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protection sociale soit pleinement intégrée à la Stratégie de protection sociale 2012-2020 de la Banque mondiale, et aux programmes d ’ assistance technique mis en œuvre dans ce domaine par les banques régionales de développement». Comme nous l ’ expliquons ci-après, cette recommandation semble avoir eu une incidence réelle.

La version fi nale de la nouvelle stratégie pour la protection sociale et l ’ emploi de la Banque mondiale a été soumise pour commentaires le 16 mars 2012 ( Banque mondiale, 2012a ) et offi ciellement publiée lors des réunions de printemps de la Banque mondiale et du FMI, en avril 2012 ( Banque mondiale, 2012b ). L ’ allitération en «p» de son message principal, prévention (l ’ assurance sociale), protection (l ’ aide sociale) et promotion (l ’ accès au travail et le développement du capital humain), avait été abandonnée au profi t d ’ une formulation plus neutre évoquant la résilience, associée à l ’ assurance, l ’ équité, concernant l ’ aide sociale, et les opportunités, liées au travail et au développement du capital humain. Le présent article s ’ est particu-lièrement intéressé au fait que les observations effectuées par de nombreux com-mentateurs sur les première et deuxième versions de ce document ( Banque mondiale, 2012c ), portant sur la nécessité d ’ instaurer davantage de collaboration entre les institutions, avaient apparemment été prises en compte. Ainsi, une nou-velle partie du document, intitulée «Un défi mondial un consensus émergent» ( Banque mondiale, 2012b , p. 14), reconnaissait l ’ intérêt croissant accordé par la communauté internationale à l ’ élaboration d ’ une politique centrale de politique de protection sociale et du travail et précisait:

Ce consensus émergeant à l ’ échelle planétaire trouve son expression dans de nombreuses

actions menées à l ’ échelon national et des projets mis en œuvre au niveau international,

y compris l ’ Initiative des Nations Unies pour un socle de protection sociale (SPF-I),

adoptée par le Conseil des chefs de secrétariat en avril 2009 (encadré 3.1). La stratégie et

l ’ engagement adoptés en matière de protection sociale et de promotion du travail sont

conformes aux grands principes de l ’ Initiative SPF-I, notamment parce que la stratégie

met l ’ accent sur l ’ élaboration de programmes et de systèmes de protection sociale et de

promotion du travail à la fois solidaires, productifs, réactifs et adaptés aux contextes

nationaux. La Banque mondiale est un partenaire stratégique de la SPF-I et elle a un rôle

important à jouer dans l ’ assistance aux pays qui décident de passer à la mise en œuvre

de cette Initiative, ainsi que dans l ’ échange de connaissances.

Concrètement, la politique de résilience, d ’ équité et d ’ opportunités défi nie par la Banque mondiale se distingue toutefois à plusieurs titres du SPS de l ’ OIT. Le docu-ment de la Banque mondiale utilise ainsi davantage le concept de fi let de sécurité que celui de «socle» de protection sociale. Il prend également plus aisément en compte le rôle des acteurs privés dans la fourniture de prestations sociales et aborde la question des fonds sociaux et des microcrédits. Il comporte toutefois des lacunes en ce qui concerne la nécessité de défi nir un cadre législatif fi xant d ’ une part les droits des bénéfi ciaires et de l ’ autre les ressources fi nancières. La notion selon

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laquelle le SPS fait partie des droits de l ’ homme fondamentaux, qui constitue le fondement de l ’ approche de l ’ OIT, n ’ apparaît pas dans la stratégie de la Banque mondiale.

Par ailleurs, la Banque mondiale emploie le terme «système de protection sociale», qu ’ elle déclare vouloir inciter à se développer différemment des multiples couvertures inadéquates et fragmentées existant dans de nombreux pays. Ce concept correspond à une approche destinée à instaurer une couverture complète et vise un objectif supérieur à l ’ établissement d ’ un socle minimal de protection sociale. L ’ UNICEF, principale alliée de l ’ OIT dans la défense du SPS, a publié quasiment en même temps que la Banque mondiale, le 15 mars 2012, son propre cadre stratégique pour la protection sociale, intitulé Integrated social protection systems ( UNICEF, 2012 ), dans le résumé exécutif duquel elle précise: «l ’ UNICEF préconise le déve-loppement et le renforcement des systèmes de protection sociale intégrés (italiques de l ’ auteur) comme moyen de répondre effi cacement aux différentes et nombreuses situations de vulnérabilité rencontrées par les enfants et leurs familles» ( UNICEF, 2012 , p. 6), avant d ’ ajouter: «l ’ UNICEF soutient les pays qui veulent mettre en place un socle national de protection sociale – garantissant l ’ accès aux services de base et aux transferts sociaux – comme mesure initiale (italiques de l ’ auteur)» ( UNICEF, 2012 , p. 8). Le SPS de l ’ OIT fait partie de la stratégie à deux volets de l ’ Organisation visant à élargir la sécurité sociale horizontalement (le socle) et verticalement (une sécurité sociale reposant sur les salaires). L ’ on pourrait par conséquent penser que l ’ emploi du terme «système de sécurité sociale» par la Banque mondiale et l ’ UNICEF refl ète la volonté de ces organisations de suivre l ’ OIT. Il n ’ est par conséquent pas anodin que le document publié par le BIT en novembre 2012, comprenant à la fois les conclusions des débats menés sur la sécurité sociale lors de la CIT de 2011 (au cours de laquelle avait été défi nie la stratégie de sécurité sociale de l ’ OIT) et la recommandation (n o 202) sur les socles de protection sociale, 2012 ( BIT, 2012a ), s ’ intitule La sécurité sociale pour tous: mettre en place des socles de protection sociale et des systèmes complets de sécurité sociale .

La question de savoir comment, compte tenu de la nouvelle stratégie de la Banque mondiale, celle-ci pourrait collaborer plus concrètement avec l ’ OIT et les politiques adoptées dans le cadre de l ’ initiative SPS des Nations Unies a commencé à se poser véritablement dès les premiers mois de l ’ année 2012. La partie ci-après, consacrée à la création du Conseil de coopération interinstitutions pour la protec-tion sociale, décrit les luttes que se sont livrées les institutions lors de la constitution et de la défi nition du champ d ’ action de ce conseil (SPIAC-B).

Du côté du FMI, la probabilité que le Département de la sécurité sociale du BIT s ’ entende avec cette organisation sur la nature et le contenu d ’ une politique de protection sociale en général et du socle de protection sociale en particulier avait toujours été faible. La politique de protection sociale explicitement prônée par le FMI vise à soutenir uniquement les plus fragiles, alors que l ’ OIT souhaiterait

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donner au SPS une portée plus universelle. Cela dit, il apparaissait plus probable de parvenir à un accord aux termes duquel le FMI essaierait d ’ aider les pays à créer un espace budgétaire leur permettant de prévoir des dépenses de protection sociale. La première conférence historique entre l ’ OIT et le FMI s ’ est tenue en septembre 2010 à Oslo pour «stimuler un débat actif sur la manière dont la coopération internationale et l ’ innovation politique peuvent répondre au besoin urgent d ’ amé-liorer la capacité des économies à générer des emplois corrects en nombre suffi sant – des emplois décents – pour satisfaire aux attentes des populations» ( FMI et BIT, 2010 ). Lors de cette conférence, le FMI et l ’ OIT ont décidé d ’ élaborer ensemble une politique dans deux domaines précis, dont l ’ un visait à «explorer le concept d ’ un socle de protection sociale pour les personnes vivant dans la précarité et dans des situations de vulnérabilité, dans le contexte d ’ un cadre à moyen ou long terme de politiques macroéconomiques durables et de stratégies pour le développement» ( FMI et BIT, 2010 ).

Une réunion de suivi eut lieu le 3 décembre 2011 à la Brookings Institution 6 , avec l ’ aide de Kemal Dervi ş 7 . Elle concernait principalement le Salvador, le Viet Nam et le Mozambique, trois pays dans lesquels l ’ OIT et le FMI entretenaient une collaboration étroite. L ’ UNICEF intervenait également au Mozambique. Ainsi, lorsque la Conférence des ministres du Travail du G20 s ’ est réunie en mai 2012 au Mexique, l ’ OIT était en mesure de publier avec le FMI la première version d ’ un document témoignant de la réussite de leur collaboration dans ces trois pays. Il exposait la manière dont le FMI avait travaillé avec l ’ OIT pour créer un espace budgétaire et comment le protocole d ’ évaluation rapide de l ’ initiative SPS avait été utilisé pour estimer à chaque fois la couverture manquante, cette action étant citée pour illustrer la valeur de la collaboration entre les deux organisations ( BIT et FMI, 2012 , p. 17): «il fut par conséquent décidé d ’ augmenter les dépenses de protection sociale d ’ environ 40 pour cent».

Conseil des droits de l ’ homme: appel indépendant à la création d ’ un fonds mondial pour un socle de

protection sociale

La stratégie de l ’ OIT pour la sécurité sociale adoptée lors des CIT de 2011 et de 2012 ( BIT, 2012a ) ne prévoyait pas de fonds mondial pour la protection sociale des pays les plus pauvres. L ’ idée d ’ un fi nancement mondial a perdu de l ’ importance

6 . La Brookings Institution est un organisme politique public à but non lucratif installé à Washington, DC. < http://www.brookings.edu/ > . 7 . Kemal Dervi ş , membre du Groupe consultatif sur le SPS présidé par Michelle Bachelet, ancien direc-teur du Programme de développement des Nations Unies et ministre des Affaires économiques de la Turquie, est vice-président de la Brookings Institution et directeur du programme Global Economy and Development.

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Socle de protection sociale et gouvernance sociale mondiale

entre l ’ adoption de la recommandation et la défi nition du processus par l ’ OIT, qui précise uniquement que «les socles de protection sociale devraient être fi nancés par les ressources nationales», et que les pays «qui ne disposent pas des capacités éco-nomiques et budgétaires suffi santes pour mettre en place ces socles minimum pourront solliciter le soutien et la coopération de la communauté internationale pour compléter leurs efforts». C ’ est alors que le 9 octobre 2012 fut publiée la note d ’ information du Conseil des droits de l ’ homme des Nations Unies, rédigée par Olivier De Schutter, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l ’ alimen-tation, et Magdalena Sepúlveda, Rapporteur spécial des Nations Unies sur l ’ extrême pauvreté et les droits de l ’ homme, sans la participation d ’ aucun des principaux acteurs, Underwriting the poor: A Global Fund for Social Protection ( De Schutter et Sepúlveda, 2012 ). Ce document proposait notamment:

la création d ’ un fonds mondial pour la protection sociale, afi n de fournir aux Etats le

soutien fi nancier permettant de garantir la viabilité de la protection sociale. Ce fonds

mondial garantirait deux services: 1) répondre à la pauvreté «structurelle» ou endémique

en aidant les Etats à établir des socles de protection sociale de base et 2) proposer des

prestations de réassurance afi n de protéger les Etats en cas de chocs ébranlant de manière

imprévue leur système d ’ assurance sociale.

Il soulignait qu ’ il était important que les Etats les plus pauvres accomplissent tous les efforts possibles pour remplir les obligations imposées par les Conventions des Nations Unies sur le droit à l ’ alimentation et à la sécurité sociale, mais précisait également que les Etats plus développés avaient quant à eux l ’ obligation de les aider ( De Schutter et Sepúlveda, 2012 , p. 7).

En ce qui concerne le droit à la sécurité sociale, le Comité des droits économiques, sociaux

et culturels a déclaré que «en fonction des ressources dont ils disposent, les Etats devraient

faciliter l ’ exercice du droit à la sécurité sociale dans les autres pays, par exemple en appor-

tant une aide économique et technique. L ’ aide internationale devrait être fournie d ’ une

manière qui soit compatible avec le Pacte et les autres instruments relatifs aux droits de

l ’ homme, viable et acceptable du point de vue culturel. Il est, en particulier, de la respon-

sabilité et de l ’ intérêt des Etats parties économiquement développés d ’ aider à cet égard

les Etats en développement» 8 .

Selon la note d ’ information, le premier objectif du fonds mondial pour la protec-tion sociale consisterait à combler les insuffi sances existant entre le coût du socle de protection sociale et les ressources maximales dont disposent les Etats. Cela équivaudrait à moins de 2 pour cent du PIB mondial. Ce document se fonde par conséquent sur l ’ hypothèse selon laquelle les pays doivent s ’ engager à appliquer une politique fi scale à l ’ échelle nationale afi n de garantir la viabilité des contrats sociaux défi nis au titre des systèmes de protection sociale, en proposant de verser à partir

8 . Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n o 19: Le droit à la sécurité sociale, paragraphe 55, UN Doc. E/C.12/GC/19 (4 février 2008). Voir < http://www2.ohchr.org/english/bodies/cescr > .

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du fonds mondial un montant correspondant à environ le double des recettes fi s-cales collectées à des fi ns de protection sociale.

Bien que Magdalena Sepúlveda ait travaillé avec le Département de la sécurité sociale du BIT pour promouvoir l ’ approche de la protection sociale fondée sur les droits de l ’ homme et garantir que la recommandation n o 202 respecte cette approche, l ’ idée de la création d ’ un fonds mondial n ’ avait pas fait l ’ objet de ces travaux communs 9 . C ’ est Olivier De Schutter, coauteur de la note d ’ information, qui en était le principal instigateur. Des discussions s ’ étaient tenues en parallèle dans ces différentes instances. Ainsi, en octobre 2010, le Comité de la sécurité alimentaire (CSA) avait demandé au Groupe d ’ experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE) de mener des études sur le changement climatique et la sécurité alimentaire, et la protection sociale pour la sécurité alimentaire. Ce groupe d ’ experts a publié son rapport, La protection sociale pour la sécurité alimentaire ( HLPE, 2012 ) le 22 juin 2012, au moment même où les Etats Membres de l ’ OIT adoptaient la recommandation n o 202. Réalisé sous la direction de Stephen Deve-reux, du centre International Development Studies du Sussex, en Angleterre, ce rapport recommandait en premier lieu que «chaque pays doit s ’ efforcer d ’ élaborer et de mettre en place un système de protection sociale national et complet permet-tant de concrétiser le droit à une alimentation adéquate pour tous. [ ... ] Un modèle possible de système de protection sociale est celui du ‘socle de sécurité alimentaire minimale’, tel qu ’ il est proposé pour examen dans le présent rapport. Il défi nirait un ensemble minimum de mesures de protection sociale appropriées ainsi que d ’ autres interventions permettant de concrétiser le droit à l ’ alimentation dans chaque pays» ( HLPE, 2012 , p. 18). Lors d ’ une présentation effectuée devant le Comité de la sécurité alimentaire mondiale au moment de sa session annuelle à Rome en octobre 2012 10 , Stephen Devereux a fermement défendu l ’ idée de la créa-tion d ’ un mécanisme international soutenant le socle de protection sociale (ainsi que le prévoyait le fonds mondial pour la protection sociale, qu ’ il approuvait éga-lement), de même que le représentant de l ’ OIT.

Soumise trop tard, la proposition de constituer un fonds mondial pour la pro-tection sociale ne put être ajoutée à l ’ ordre du jour de la réunion du SPIAC-B du 29 octobre, à Hyderabad, présentée ci-après. Elle ne fut pas non plus débattue lors de la troisième réunion du SPIAC-B en février 2013, bien qu ’ un document ait alors été rédigé spécialement pour attirer l ’ attention des participants sur ce sujet 11 . Elle demeure par conséquent jusqu ’ à présent une idée en marge des nouveaux méca-nismes de coordination.

9 . Magdalena Sepúlveda, Rapporteur spécial sur l ’ extrême pauvreté et les droits de l ’ homme. Courriel du 17 octobre 2012. 10 . Voir < http://www.fao.org/fi leadmin/user_upload/hlpe/hlpe_documents/CFS39/HLPE_Social_Protection_Report-CFS39-Devereux-15-Oct-12.pdf > . 11 . Voir < http://staging.ilo.org/gimi/gess/ShowProjectRessource.do?ressourceId = 36169&pid = 1625 > .

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Socle de protection sociale et gouvernance sociale mondiale

Le nouveau C onseil de coopération interinstitutions pour la protection sociale ( SPIAC - B )

Nous avons vu précédemment comment le message appelant à l ’ instauration d ’ un mécanisme de coordination interinstitutionnelle et à une plateforme de partage des connaissances sur la protection sociale dépassant les efforts de coordination déjà entrepris au titre de l ’ initiative SPS de l ’ ONU avait été intégré aux recommanda-tions effectuées au G20 avec le rapport Bachelet et le rapport conjoint BIT-PNUD du Groupe de travail sur le développement, tous deux établis initialement par des membres du Cabinet du Directeur général du BIT. C ’ est ainsi que fi n 2011 le G20 a appelé à la création d ’ un nouveau mécanisme et d ’ une nouvelle plateforme de connaissances. Le Cabinet du Directeur général du BIT prit alors en charge cette demande au nom du G20 et confi a en partie au Département de la sécurité sociale la responsabilité de s ’ en occuper. Ce dernier, qui s ’ inquiétait alors surtout d ’ obtenir le soutien de l ’ OIT à la première version de sa recommandation, fut surpris par l ’ appel du G20. Comment ce département travaillant sur l ’ initiative SPS de l ’ ONU pouvait-il répondre à un «appel» du G20? L ’ OIT organisa une réunion à Washing-ton le 2 décembre 2011 rassemblant l ’ UNICEF, la Banque mondiale, le PNUD, l ’ Organisation panaméricaine de la santé (OPS, au lieu de l ’ OMS) et quelques autres organisations, afi n d ’ étudier les mesures à prendre pour répondre à la demande du G20 d ’ accroître la coordination interinstitutionnelle.

En vue de cette réunion, le Département de la sécurité sociale du BIT comman-dita un document non destiné à publication ( BIT, 2011b ) à un consultant qui travaillait auparavant à l ’ UNICEF, afi n de soumettre des recommandations sur la constitution d ’ une plateforme de connaissances et d ’ un mécanisme de coordination interinstitutionnelle. Les propositions relatives à la plateforme des connaissances étaient très diversifi ées en ce qui concerne le contenu des sites Internet et les diffé-rentes possibilités d ’ hébergement de ces derniers. L ’ OIT apparaissait comme le choix le plus évident, mais l ’ UNICEF et le PNUD étaient également possibles, bien que ce dernier ne possédait jusqu ’ alors que peu d ’ expérience en la matière. La Banque mondiale était écartée en raison de son manque d ’ impartialité et du fait qu ’ on risquait de lui prêter l ’ intention de vouloir augmenter son activité de crédit. Une option réunissant l ’ OIT et l ’ UNICEF, sur le principe de l ’ initiative SPS existant déjà, était aussi envisagée, de même que la gestion externalisée du site. En ce qui concerne le mécanisme de coordination, l ’ idée selon laquelle il pourrait se situer au niveau du CCS et prendre la forme d ’ un groupe de travail présidé par le Secré-taire général des Nations Unies fut abandonnée car elle supposait un mode de direction trop centralisé. Elle fut remplacée par la proposition de confi er le mécanisme à l ’ initiative SPS de l ’ ONU déjà en place (italiques de l ’ auteur). Le rapport indiquait la manière dont le mécanisme de coordination pouvait s ’ intégrer aux processus de l ’ initiative SPS déjà défi nis.

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Socle de protection sociale et gouvernance sociale mondiale

Au cours du débat sur le mécanisme de coordination, la Banque mondiale proposa de simplement organiser des séminaires de présentation, à l ’ instar de ceux qui se déroulent habituellement entre plusieurs organisations. Le Département de la sécurité sociale du BIT suggéra de s ’ inspirer des réunions de l ’ initiative SPS qui se tenaient depuis 2009, la prochaine devant être organisée le 30 janvier 2012 par l ’ UNICEF. Afi n de concilier ces deux approches, le PNUD proposa de fonder un Secrétariat et un Conseil interinstitutionnel de haut niveau, le Secrétariat fonction-nant au niveau de l ’ ONU, mais qui serait accueilli à tour de rôle par les différentes organisations. Le Secrétariat de la sécurité alimentaire de l ’ ONU fut avancé comme modèle 12 . Vinicius Pinheiro, représentant du Cabinet du Directeur général du BIT, appuya cette idée et expliqua comment elle pouvait se mettre en place. Ainsi que nous l ’ avons vu, il était à l ’ origine de cette proposition, qu ’ il avait intégrée au rapport commun BIT-PNUD remis en juin 2011 au G20. Le Département de la sécurité sociale demanda s ’ il était nécessaire de créer un tel dispositif, au lieu de s ’ en tenir à celui de l ’ initiative SPS.

Le débat sur la création de ce nouveau Secrétariat de l ’ ONU sur la protection sociale s ’ est parallèlement poursuivi au sein du Cabinet du Directeur général du BIT, dont les membres étaient les représentants offi ciels de l ’ OIT au G20 sous la présidence mexicaine. Lorsque la réunion du Groupe de travail du G20 sur le déve-loppement eut lieu les 19 et 20 mars 2012, la Banque mondiale avait rejeté l ’ idée de former un Secrétariat de l ’ ONU de haut niveau sur la protection sociale sur le principe du Secrétariat de haut niveau sur la sécurité alimentaire. Lors de la réunion, l ’ OIT et la Banque mondiale proposèrent par conséquent dans une note commune de créer un Conseil technique interinstitutions pour la protection sociale (SPIB), moins ambitieux, qui remplirait les fonctions suivantes ( G20-DWG, 2012a ):

un mécanisme de coordination interinstitutionnelle léger, souple et agile, composé des

représentants des organisations internationales concernées, des institutions partenaires

et des institutions bilatérales engagées dans la coopération technique internationale sur

la protection sociale. Les principaux objectifs du conseil seraient d ’ accroître la coordina-

tion et la promotion mondiale des questions de protection sociale et de coordonner la

coopération autour des actions prises à la demande des pays.

Concrètement, le conseil ( G20-DWG, 2012a , paragraphe 12): serait présidé par l ’ OIT et la Banque mondiale et comprendrait des représentants du FMI,

du DAES, du PNUD, de l ’ UNICEF, de l ’ OMS, des banques régionales de développement,

des commissions économiques régionales, d ’ autres organisations internationales concer-

nées, et, le cas échéant , des institutions bilatérales du G20 et de pays hors G20 travaillant

de manière internationale au niveau des pays pour promouvoir la protection sociale, la

fi nancer et/ou apporter des conseils techniques en la matière. Les partenaires sociaux et

12 . Minutes de la réunion de suivi du G20, 2 décembre 2011, bureau de l ’ OIT de Washington, entre l ’ OIT, la Banque mondiale, le PNUD, l ’ UNICEF, le DAES et l ’ OPS (à la place de l ’ OMS).

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Socle de protection sociale et gouvernance sociale mondiale

d ’ autres organisations, telles que les grandes ONG travaillant majoritairement dans le

domaine de la protection sociale, pourraient avoir le statut d ’ observateurs (italiques de

l ’ auteur) .

Il se réunirait au moins une fois par an et disposerait d ’ un petit secrétariat, basé dans un premier temps pour deux ans au BIT.

La plateforme de partage des connaissances prévue par le PNUD et le portail Internet de l ’ initiative SPS géré par l ’ UNICEF et l ’ OIT ont continué à se développer indépendamment l ’ un de l ’ autre. Le portail Internet de l ’ initiative SPS a été mis en ligne en avril 2012 13 . «C ’ est un projet sur lequel l ’ UNICEF travaille depuis fi n 2011 et auquel d ’ autres membres de la coalition, notamment l ’ OIT et HelpAge Interna-tional, ont participé par le biais de sessions de réfl exion, de planifi cation et d ’ exa-men [ ... ]. L ’ objectif de ce site est de proposer aux utilisateurs des données sur le SPS uniformisées et indépendantes des différentes organisations et d ’ apporter des informations aux personnes qui ne connaissent pas nécessairement le concept», a déclaré Isabel Ortiz 14 lors de la présentation du site à des membres de l ’ initiative SPS 15 . Bien que ce portail ait été mis en ligne, le DWG du G20 a poursuivi ses travaux sur la plateforme de partage des connaissances proposée par le PNUD. La note préparée pour la réunion du groupe de travail des 19 et 20 mars comportait peu de changements par rapport à ce que nous avons présenté en début de partie. Elle proposait que le PNUD, par l ’ intermédiaire de son Centre de politique inter-nationale pour une croissance inclusive (IPC-IG) et la plateforme de formation Sud-Sud sur la protection sociale, fournisse les outils nécessaires à la mise en place de ce dispositif de partage des connaissances, en coordination avec le réseau d ’ ex-tension mondiale de la sécurité sociale (GESS) géré par l ’ OIT, et avec d ’ autres organisations partenaires ( G20-DWG, 2012b ). Cette nouvelle plateforme pourrait être hébergée par le PNUD et dirigée par un groupe d ’ experts (OIT, PNUD, Banque mondiale et d ’ autres), en fonction des activités menées par le futur Conseil inter-institutions sur la protection sociale. Elle ne mentionnait pas le portail sur le socle de protection sociale lancé en avril par l ’ UNICEF et l ’ OIT.

Le SPIAC-B 16 allait donc certainement voir le jour, mais probablement compli-quer et non simplifi er la gouvernance mondiale de la protection sociale. Il ne serait

13 . Voir < http://www.socialprotectionfl oor-gateway.org > . 14 . Isabel Ortiz, alors chargée de l ’ analyse de la politique économique et sociale au siège de l ’ UNICEF, à New York, avait toujours appuyé l ’ idée du SPS, de l ’ établissement de la Coalition pour la promotion politique en 2007 à la création de l ’ initiative SPS et plus tard encore. Elle a aussi travaillé avec le FMI autour des possibilités de créer un espace budgétaire pour le SPS et a toujours plaidé en faveur de la levée des mesures d ’ austérité qui risquaient de mettre en péril le SPS (voir Ortiz et Cummins, 2012 ). Elle a quitté l ’ UNICEF en 2013 et a été nommée directrice du Département de la protection sociale du BIT en octobre de la même année. 15 . Courriel aux membres de l ’ initiative SPS du 23 avril 2012. 16 . Le changement de nom et d ’ acronyme fut approuvé lors de la première réunion du SPIB, le 2 juillet 2012.

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pas aussi ambitieux que le Secrétariat sur la sécurité alimentaire de l ’ ONU. Serait-il même autre chose qu ’ une instance de débats ne prenant aucune mesure concrète? Il mènerait ses activités parallèlement à l ’ initiative SPS, d ’ une façon assez peu défi nie, car la Banque mondiale ne voulait pas qu ’ elles se limitent au SPS. Vinicius Pinheiro, ardent défenseur de la création d ’ un Secrétariat de l ’ ONU de haut niveau, devint à ce moment-là Directeur adjoint du bureau de New York de l ’ OIT, qui fera fi nalement offi ce de secrétariat du SPIAC-B pour ses trois premières réunions.

La première réunion du SPIAC-B, portant sur la coopération interinstitution-nelle sur la protection sociale en général et la plateforme du PNUD sur la protection sociale, a eu lieu à New York les 2 et 3 juillet 2012 ( BIT, 2012b ). Plusieurs des ONGI (mais pas toutes) qui avaient participé aux réunions de l ’ initiative SPS étaient invitées en tant qu ’ observateurs, conformément aux statuts du conseil. Etaient ainsi présents le Conseil international d ’ action sociale (CIAS), HelpAge International et Save the Children. De nombreuses institutions de l ’ ONU, comme le PNUD, l ’ Or-ganisation des Nations Unies pour l ’ alimentation et l ’ agriculture (FAO), l ’ UNICEF, l ’ OMS, etc. participaient également. Michael Cichon (OIT), qui avait une idée bien précise du rôle de coordination que pouvait jouer le conseil, aurait dû présider la réunion conjointement avec Arup Banerji (Banque mondiale), mais dut renoncer pour des raisons de santé. Ce fut donc Vinicius Pinheiro, récemment nommé au bureau de New York de l ’ OIT, qui coprésida la réunion. Comme l ’ on pouvait s ’ y attendre, les débats de la première journée portèrent sur le chevauchement des activités du SPIAC-B et de l ’ initiative SPS. Les représentants des ONGI, qui avaient fi nalement été autorisés à intervenir et non à simplement assister à la réunion en tant qu ’ observateurs, s ’ intéressaient particulièrement aux conséquences de l ’ adoption par la CIT quelques semaines plus tôt de la recommandation n o 202 sur les socles nationaux de protection sociale et s ’ attendaient à en débattre. Ils constatèrent toutefois que la Banque mondiale orientait les débats sur la protec-tion sociale au sens large. Il fut néanmoins décidé que le conseil prendrait des mesures et ne se contenterait pas de comparer des rapports. Nommé jusqu ’ alors Conseil interinstitutions sur la protection sociale, il fut rebaptisé Conseil de co-opération interinstitutions pour la protection sociale et une réunion régionale fut prévue. Les minutes de la réunion relatent les débats qui ont entouré la défi ni-tion des relations entre le conseil et l ’ initiative SPS. Elles ont été présentées de la manière suivante ( BIT, 2012b ):

Les socles de protection sociale font partie de systèmes de protection sociale complets

(tels que le prévoit par exemple la stratégie bidimensionnelle 17 de l ’ OIT pour l ’ extension

17 . Il convient de préciser que l ’ AISS, dont le rôle traditionnel consiste à soutenir ce qu ’ il est désormais convenu d ’ appeler la dimension verticale du SPS, est membre du SPIAC-B et a participé à la première et à la troisième réunion. Voir < http://staging.ilo.org/gimi/gess/ShowProjectRessource.do?ressourceId = 35748&pid = 1625 > .

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de la sécurité sociale). Alors que l ’ initiative SPS répond à la dimension horizontale

(niveaux de protection sociale de base), le SPIAC-B fournit un dispositif plus large et plus

complet de partage des informations et de coordination entre les partenaires, prenant

ainsi en compte les systèmes de protection sociale dans leur globalité (y compris dans

leur dimension verticale). Le secrétariat commun, hébergé par l ’ OIT, garantira la cohé-

rence et l ’ harmonisation du processus de coordination. Le travail de l ’ initiative SPS se

poursuivra conformément au mandat du CCS (Initiative de l ’ ONU) et ses activités pour-

raient être renforcées dans le cadre du SPIAC-B. Ce dernier pourrait bénéfi cier de l ’ ex-

périence acquise au titre de l ’ initiative SPS, notamment à l ’ échelle des pays.

L ’ ordre du jour de la deuxième réunion du SPIAC-B, qui s ’ est tenue à Hyderabad le 29 octobre 2012, ne mentionnait pas du tout le SPS, certainement parce que la Banque mondiale, coprésidente du conseil, estimait que le conseil devait traiter des systèmes de protection sociale de manière plus générale. Il prévoyait un exposé du PNUD sur la plateforme de la protection sociale (qui n ’ a en fait pas été actualisée depuis sa création par le G20) et la présentation par l ’ OIT des formations de créa-tion de capacités en matière de protection sociale et du site Internet en cours de développement au Centre international de formation (à Turin). La troisième réunion s ’ est déroulée à New York en février 2013, alors que la réunion annuelle de la Commission de l ’ ONU pour le développement social portait précisément sur l ’ intégration de la protection sociale au sein de la Politique de développement de l ’ ONU pour l ’ après-2015. Selon le document présenté lors de cette réunion ( Equipe spéciale du système des Nations Unies sur le programme de développement des Nations Unies pour l ’ après-2015, 2012 , p. 10), «si le nouveau cadre de développe-ment s ’ appuie sur une approche ciblée comprenant des indicateurs quantifi ables, les objectifs de protection sociale pourraient être les suivants: 1) d ’ ici à 2030, tous les individus bénéfi cient d ’ une protection sociale au moins du niveau des socles nationaux de protection sociale». Parmi les autres documents soumis à cette réunion fi gurait un rapport rédigé par Magdalena Sepúlveda, Rapporteur spécial sur l ’ extrême pauvreté et les droits de l ’ homme, et Olivier De Schutter, Rappor-teur spécial sur le droit à l ’ alimentation, sur «la nécessité d ’ inclure une approche fondée sur les droits à la protection sociale au programme de développement de l ’ après-2015». En sus de plaider pour la prise en compte de la protection sociale, il reprenait l ’ idée déjà proposée de créer un fonds mondial pour la protection sociale. D ’ après les minutes 18 de la réunion, aucun consensus ne s ’ est dégagé en faveur de cette idée.

18 . Voir < http://staging.ilo.org/gimi/gess/ShowProjectPage.do;jsessionid = ece3c48ca1cc1420d230e58b90625889701742dc0a1f53890b307b1295388a46.e3aTbhuLbNmSe3uKa40?pid = 1625 > .

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Conclusion: les synergies en matière de politique sociale mondiale et la gouvernance de la protection sociale se

sont-elles améliorées?

Peut-on affi rmer en 2013 qu ’ il existe des synergies politiques mondiales plus impor-tantes dans le domaine de la protection sociale et une plus grande coopération entre les institutions travaillant à l ’ échelle internationale? Le tableau dressé ci-dessus comporte des éléments positifs et négatifs.

Du côté des synergies politiques en matière de protection sociale mondiale, des progrès ont incontestablement été accomplis. L ’ on observe une plus grande conver-gence entre l ’ OIT, l ’ UNICEF, la Banque mondiale, les organismes donateurs et plusieurs grandes ONGI sur l ’ importance de la protection sociale, sur la défi nition d ’ un socle de protection sociale et sur la manière dont il pourrait s ’ intégrer à un système de protection sociale plus large. L ’ on constate même que le FMI pourrait adhérer à ce concept, lorsqu ’ il contribue à la création d ’ un espace budgétaire pour la protection sociale. L ’ on ignore toutefois encore si le PNUD continuera à s ’ y intéresser et si le programme de développement de l ’ ONU pour l ’ après-2015 accor-dera toute l ’ attention nécessaire à la protection sociale, en la considérant comme un objectif de développement. Les initiatives prises en ce qui concerne l ’ élaboration des plateformes mondiales de connaissances sur la protection sociale se sont jusqu ’ à présent traduites par la création de trois sites, tous réalisés à l ’ instigation d ’ un acteur de l ’ OIT 19 .

Les résultats s ’ avèrent nettement plus contrastés en ce qui concerne la gouver-nance sociale mondiale. D ’ une part, la mise en place de l ’ initiative SPS a permis d ’ accroître la coopération entre l ’ OIT, plusieurs institutions de l ’ ONU, des ONGI et certains organismes donateurs liés au SPS, toujours sous l ’ égide de l ’ OIT ( BIT, 2012c ). D ’ autre part, la volonté d ’ amener le G20 à appeler à une plus grande co-opération interinstitutionnelle s ’ est traduite par la création d ’ un mécanisme de coordination parallèle, moins axé sur le SPS et portant davantage sur un pro-gramme de protection sociale au sens large. Dans la mesure où ses statuts prévoient la coprésidence de l ’ OIT et de la Banque mondiale, il pourrait perdre en effi cacité et s ’ éloigner des travaux déjà menés au titre de l ’ initiative SPS. L ’ avenir le dira. La troisième réunion du conseil proposait des débats davantage ciblés sur la question importante de la place du SPS au sein du programme de développement de l ’ ONU. La participation du G20 à la politique de protection sociale, avec un programme

19 . Le site de l ’ Extension mondiale de la sécurité sociale, à l ’ adresse < http://www.social-protection.org > , qui comprenait également des informations relatives aux réunions du SPIAC-B lors de la rédaction du présent article. Le site de l ’ initiative SPS de l ’ ONU (en anglais), à l ’ adresse < http://www.socialprotectionfl oor-gateway.org > (mais n ’ a pas été mis à jour depuis juin 2012). Enfi n, le site du PNUD réalisé à la demande du G20, < http://www.socialprotection.org > , ne rend pas compte des réunions du SPIAC-B.

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de développement défi ni à Séoul, complique également la situation. La version actuelle de la concurrence que se livrent de longue date les organisations interna-tionales en ce qui concerne le droit d ’ élaborer une politique de protection sociale mondiale et son contenu comprend un nouveau protagoniste, le G20, qui vient s ’ opposer à l ’ ONU. L ’ évolution du rôle du G20 suscite des critiques. Ainsi, selon Barry Herman ( 2011 , p. 2), le G20 n ’ est pas le forum international approprié pour parler du développement.

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