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AURELIA S TA PER T JUSTIFICATION DE TIRAGE De cet ouvrage, troisième titre de la collection Tradition et Culture » dirigée par M.-M. Davy il a été tiré deux mille exemplaires numérotés de 1 à 2.000 et vingt exemplaires hors commerce marqués H.C ., réservés aux collaborateurs. L'ensemble constituant l'édition originale. L'ANGE ROMAN dans la pensée et dans l'art préface de henry corbin collection «tradition et culture» berg international, éditeurs

STAPERT, A., L'ange roman dans la pensée et dans l'art, préface « La rencontre avec l’Ange » de Henry Corbin, Paris, Berg international, 1975

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AURELIA S TA PER T

JUSTIFICATION DE TIRAGEDe cet ouvrage,

troisième titre de la collectionTradition et Culture » dirigée par M.-M. Davy

il a été tiré deux mille exemplairesnumérotés de 1 à 2.000

et vingt exemplaires hors commercemarqués H.C ., réservés aux collaborateurs.

L'ensemble constituant l'édition originale.

L'ANGEROMAN

dans la penséeet dans l'art

préface dehenry corbin

collection «tradition et culture» berg international, éditeurs

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Voici, le ciel est en toi...

Tu verras en toi les anges

et leur lumière...

Isaac le Syrien

PREFACE

LA RENCONTRE AVEC L'ANGE

« Présence de l'Ange ». Tel est le titre de la premièrepartie du présent ouvrage. Qui dit présence, dit nécessaire-ment « rencontre ». Et c'est bien ce qui caractérise le travaild'Aurélia Stapert, ce qui en fait la valeur et ce qui lui vautnotre éloge.

Serait-ce un paradoxe de le dire ? La recherche scien-tifique postulerait-elle l'absence ou le non-être de son objet ?Personne ne serait prêt à admettre qu'un chercheur privé detoute oreille musicale, pût mener à bien une analyse musico-logique. Comment se ferait-il qu'une recherche en sciencereligieuse pût aboutir, si le chercheur est étranger à toutesprit religieux, voué par conséquent à parler de ce qui n'ajamais existé pour lui ? Le paradoxe est plutôt qu'il y aità rappeler ces choses, et à féliciter Aurélia Stapert d'avoirsu observer les rigueurs et les règles de la recherche scien-tifique, précisément parce qu'il y avait au point de départune rencontre réelle avec l'objet de sa recherche, rencontrese prolongeant dans une présence que l'on décèle dansl'émotion qui çà et là perce discrètement entre les lignes.

Et c'est précisément ce qui rend particulièrement déli-cate la tâche du préfacier. La tâche de celui-ci est toujoursdifficile, puisqu'elle l'oblige à s'immiscer en quelque sorteentre l'auteur et le contenu de son livre. Elle l'est particu-lièrement quand son immixtion risque d'atténuer, sinon d'an-nuler, l'immédiateté de la présence que le lecteur doitaffronter à son tour, s'il veut vraiment « comprendre ».Cependant, parce que j'ai eu le privilège de voir grandir

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d'année en année le présent livre, parce que mes propresrecherches m'ont voué à explorer l'angélologie dans des

domaines limitrophes, et aussi parce que, ce faisant, j'ai

l'impression de prolonger le souvenir d'une mémorable sou-tenance de thèse, à l'Université de Poitiers, au centre mêmede l'art roman, lors d'une journée qu'embrasait la lumièred'un début d'été, je cours lé risque d'introduire ces quel-ques pages, avec le seul souci de rendre plus urgente la« présence de l'Ange ».

En écrivant ces mots, me viennent à la pensée ceuxque proférait, dans la première moitié de ce siècle, un denos éminents philosophes français, en affirmant que la philo-sophie moderne avait commencé lorsque la philosophie avaitcessé de parler de l'Ange. L'absence de l'Ange serait ainsila condition d'une pensée philosophique digne de la qualifi-cation de « moderne ». Cet aphorisme aurait pour consé-quence fâcheuse de rendre assez précaire la situation d'unLeibniz, d'un Christian Wolf, et de quelques autres qui nesont plus là pour protester.

La conséquence serait d'autant plus fâcheuse que lamonadologie de Leibniz n'est pas sans connexion avecl'angélologie médiévale. Par cette dernière fut en effet posédans toute son acuité le problème du rapport entre l'individuet l'espèce, puisque, selon certains angélologues, chaqueindividualité angélique est à elle-même sa propre espèce.Ce qui exclut toute subordination de l'individu à l'espèce,comme toute exaltation de l'individu au-dessus de l'espèce,puisque les deux termes ont cessé de s'affronter. Transféréeau mode d'être de l'âme humaine, cette position de thèsesuggère que seule peut-être l'angélologie, la « présence de

l'Ange », est à même de sauvegarder ce que l'anthropologiephilosophique ou théologique de nos jours, déroutée ouperplexe devant les assauts de démons qu'elle ne sait mêmeplus comment nommer, semble hésiter désormais à pro-

clamer.

L'ample recherche d'Aurélia Stapert est tout entièreconsacrée à l'être de l'Ange et à sa manifestation dans l'art

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roman. Le matériel mis en oeuvre est considérable. L'enca-drement théologique est solide ; il fait appel à des textestrès sûrs et très variés de la tradition patristique. Les pré-sentes pages ne prétendent nullement les doubler. Elles vou-draient simplement suggérer l'encadrement plus vaste encoreque comporterait une Somme d'angélologie dont le travaild'Aurélia Stapert constituera désormais un chapitre capital.Une Somme qui n'a jamais encore été écrite, mais qui unjour sera peut-être le lieu idéal d'une manifestation inté-grale de la présence de l'Ange, parce qu'elle constitueraitla phénoménologie intégrale de sa rencontre.

Cette Somme angélologique, cette phénoménologie del'Ange, aurait tout d'abord à délimiter et à cerner le champde conscience religieuse où se manifestent les entités spiri-tuelles auxquelles est donné le nom d'Ange. S'il est vrai quel'ensemble constitué par les trois rameaux de la traditionabrahamique se présente comme étant par excellence lechamp de la conscience angélologique, la phénoménologiede l'Ange resterait en porte à faux si elle négligeait la péri-phérie qui délimite ce champ de conscience. Deux pôlesdéfinissent cette périphérie : le pôle iranien zoroastrien et lepôle grec néoplatonicien. Sans l'angélologie iranienne, cer-tains aspects de l'angélologie de l'Ancien Testament neseraient point tout à fait compris. Sans l'angélologie deProclus, celle de Denys dit l'Aréopagite ne serait point nonplus fondamentalement comprise. Je ne parle même pasd'influence. Si les récits de deux pèlerins me décrivent lemême temple, dirai-je nécessairement que le récit du pre-mier a influencé le récit du second ? Nullement. Tous deuxont tout simplement vu le même temple, bien que chacunle décrive à sa manière.

Dès lors, c'est le terme d'Angelos qu'il faudra exhausserjusqu'au sommet de sa signification. Que le mot signifiemessager, annonciateur, c'est exact. Mais interpréter cettefonction comme subalterne sous le prétexte tacite de ne pointmettre en péril un monothéisme mal compris, c'est trahir leconcept même de l'Ange et de l'angélologie aussi bien quele monothéisme lui-même. Ou mieux dit : la fonction de

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l'Ange s'identifie avec son mode d'~tre,._u.n mode d'être quiest essentiellement celui d'uri médiateur nécessaire: • Le nomtend dès lors à désigner dans la hiérarchie_' tre l'en-semble des êtres spirituels, bien que, che reclus ommechez Denys, il soit affecté en propre à un rang de la hiérarchiede ces êtres. La triade dans laquelle Proclus range les Angesdémiurgiques, les daïmôns et les héros, ne se comprend querattachée à l'ensemble des hiérarchies triadiques, ce queProclus nomme les « séries » ou les « chaînes ». L'abîmedivin est Silence. Ce Silence n'est rompu pour l'homme quepar des interprètes, des « herméneutes ». L'Ange est l'her-méneute du Silence divin. Son mode d'être est épiphaniquepar essence. Privé de cette épiphanie, l'homme, en présencedu Silence divin, s'abandonne à l'agnosticisme. Les Septanteont traduit le pluriel Elohim par le mot Anges. Les Angessont des Elohim, de même que Melkisédeq, si proche del'archange Michel dans un document de Qumrân, est l'undes Elohim.

Peut-être est-ce dans ce contexte que le phénoméno-logue saisira au mieux le sens de la présence des Sept.On a parfois rejeté l'idée d'une correspondance entre les septArchanges de la Bible ou des pseudépigraphes et les Amah-raspands (les « Saints Immortels ») de l'Avesta, sous pré-texte que ces derniers ne seraient que six. On a oubliésimplement que les Archanges zoroastriens sont égalementau nombre de sept, puisque Ohrmazd, le seigneur Sagesse,est le premier d'entre eux, donnant origine aux six autres,comme à autant de flambeaux s'enflammant à sa lumière.La phénoménologie de la heptade divine est donc fondéede part et d'autre. A partir des sept Archanges, se déploiel'angélologie avestique, en connexion avec la cosmogonieet la cosmologie, avec le drame cosmique inauguré parl'attaque des contre-puissances ahrimaniennes.

Dans cette dramaturgie, le rôle essentiel est confié àtoute une chevalerie céleste que typifie le concept caracté-ristique de l'angélologie avestique : les Fravartis (persanforûhar, farvahar), sans l'aide desquelles Ohrmazd n'auraitpu ni ne pourrait défendre sa création de lumière contre

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l'assaut d'Ahriman. Les Fravartis sont les entités spirituelles,les prototypes célestes de tous les êtres de la création delumière. Ohrmazd et ses Archanges ont eux-mêmes respec-tivement leur fravarti. Pour l'être humain, la fravarti est sacontrepartie céleste, son (Alter Ego-' céleste, sôn partenairedans le combat. Mais il y -a des hommes sans fravarti, deshommes sans Ange. Comparativementla conception chré-tienne courante de l' « Ange gardien » est assez inoffensive,comme un pâle reflet de la conception de l'Ange personneldans l'angélologie_ zo_r_Q_astrienne C'est celle-ci, avec toutesses implications cosmologiques et anthropologiques, quefera reparaître en Iran islamique, au Xlle siècle, l'intrépidecourage d'un jeune philosophe : Shihâboddîn Yahyâ Sohra-vardî (ob. 1191). Son interprétation des Idées platoniciennesen termes d'angélologie zoroastrienne sera un long et essen-tiel chapitre de la Somme d'angélologie intégrale évoquéeci-dessus. Elle marque le point de rencontre entre l'angélolo-gie de l'Avesta, l'angélologie de Proclus, celle de Philon, cellede l'Islam.

En Islam, certes, les conditions de l'angélologie appa-raissent différentes de ce qu'elles furent finalement dans unechrétienté dont les timidités théologiques, de capitulation encapitulation, nous donnent de nos jours, en Occident dumoins, le spectacle d'une chrétienté sans Ange. En Islam,l'Ange est un article de toi. Le concept de l'Ange est indis-sociable de la prophétologie fondamentale de la res religiosa.Mais, bien entendu, c'est auprès des penseurs qui turentles supports de ce qu'il est convenu d'appeler l 'ésotérismeislamique, qu'il y a lieu de s'informer du concept et de lafonction de l'angélologie.

La théologie du shî'isme en général, celle de l'écoleismaélienne en particulier, se caractérise par l'observanced'une rigoureuse théologie apophatique : la via negationis nesouffre aucune fissure. L'abîme divin, I'hyperousion, le super-être, Deus absconditus, ne supporte aucun nom ni attribut ;il est cela même que ne peut atteindre la suprême hardiessede la pensée. Ce n'est jamais « Dieu en soi » que l'on ren-contre, mais son Ange, celui que la Bible désigne comme

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).Malakh Yahveh, celui que la gnose ismaélienne désignecomme le Premier-Créé, le Protoktistos, et qui est le supportmême du nom « Al-lâh », Deus revelatus. Tel que le com-prennent les shî'ites ismaéliens, le suprême Nom divinimplique, chez celui qui en est le support, une nostalgie, unetristesse éternellement naissante de son impuissance à

atteindre le fond de son Principe. La suprême science que

l'homme peut avoir de la divinité, il la doit à celle qu'enatteint le Protoktistos, le premier Archange de la hiérarchie

des Kerubim, lequel est, comme chez Philon, l'Archange desArchanges (arkhôn tôn angelôn). 11 s'ensuit que l'on ne

peut parler affirmativement du mystère de l'Etre divin quegrâce à ses théophanies. Or, toute théophanie est eo ipsoune angélophanie. Seule la perception « théophanique »permet une perception qui soit authentiquement « théoso-

phique », mais elle est impossible sans l'Ange. Les gnostiquesismaéliens ont eu le sens aigu d'un monothéisme périssantdans son triomphe. Sans l'Ange théophanique, le mono-théisme est impossible. ll se retourne en la pire des idolâ-tries métaphysiques, celle qu'il avait précisément la hantised'éviter.

C'est bien sous cet aspect qu'il faudrait enfin étudiercomparativement l'angélologie de la théosophie islamique etl'angélologie de la Kabbale judaïque, et comparativementencore se demander pourquoi les motifs de cette exaltation

de l'angélologie sont absents, voire insoupçonnés, de l'angélo-

logie chrétienne, disons officielle. Cela du moins en Occi-dent, où semble bien absente dans l'iconographie la typi-fication des trois personnes de la Triade divine en la per-sonne des trois Archanges visiteurs d'Abraham, mais finale-ment représentés indépendamment de toute allusion à l'épi-sode. Le motif est en revanche très répandu dans tout l'art

hiératique procédant de Byzance ; il aboutit au chef-d'oeuvred'André Roublev. C'est à l'angélologie qu'il incombe ici d'êtrel'annonciatrice du secret de la Trinité divine.

Qu'il suffise alors de mentionner tout allusivement ici lamétaphysique des Sefîrôt de la Kabbale ; l'angélologie fonda-

mentale qu'expose le livre désigné comme le 3 e Enoch, un

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des plus anciens documents de la mystique de la Merkaba(la vision ézékiélienne du char divin), et recueillant le legs,peut-être, de l'angélologie des Esséniens, pour qui l'angélolo-gie était le suprême secret à ne pas dévoiler au profane.Secret de l'ange Métatron, Yahoel, le « Chérubin sur leTrône », l'Ange de la Face. Secret des « huit grands princes »qui sont nommés du nom même de leur Roi : 'AnaphielYahveh, Michaël Yahveh, etc. Nous sommes alors sur la voiede comprendre la christologie angélique ou angélomorphiquedu christianisme initial des judéo-chrétiens : Christos Angelos,Christos Michaël... Et simultanément aussi sur la voie decomprendre comment l'archange Gabriel est l'Ange de l'Es-prit-Saint ou « l'Ange Esprit-Saint ». Le livre de « l'Ascensiond'lsaïïe » et les livres d'Enoch sont les antécédents d'unevision de l'Ange qui a dominé la prophétologie de l'Islam etl'épistémologie de ses penseurs.

L'ange Gabriel est en effet l'ange de la Révélation trans-mise de prophète en prophète, renouvelée à chacune desmanifestations du « Vrai Prophète » (c'est le concept de laprophétologie judéo-chrétienne), jusqu'à Mohammad, le« Sceau des prophètes ». Simultanément les philosophes,Avicenne, Sohravardi, leurs continuateurs, rattachent leprocessus de la connaissance humaine à la hiérarchie desDix Intelligences, lesquelles-sofa les Chérubins (Karûbiyûn,Kerubim). Lentité qu'Aristote'désignait comme l'intellectactif le Noûs poïetikos, se transfigure en devenant la dixièmede la hiérarchie des Intelligences archangéliques : Gabriel.Et Gabriel est à la fois l'Esprit-Saint de la Révélation etl'intelligence agente des ph ilosophes. Il est l'Ange de l'huma-nité, celui dont émanent nos âmes. il est « celui qui révèle »aux prophètes, et il est celui qui illumine les philosophes.Prophète et philosophe ont vocation semblable, illuminés l'unet l'autre par le même Intellectus sanctus. L'angélologiesitue d'emblée la philosophie sur la voie d'un destin toutautre que celui qu'elle a connu finalement en Occident, ensuccombant à des dilemmes illusoires. La philosophie occi-dentale a succombé aux philosophies de l'Esprit absolu,sécularisées en idéologies socio-politiques. Qui pourrait dire

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ce qu'il en aurait été, ou ce qu'il en serait, d'une philosophieou d'une théosophie de l'Esprit-Saint qui aurait suivi, ou quisuivrait, la voie tracée ici par l'identité de l'Esprit-Saint et del'Intelligence agente en la personne de l'Ange Esprit-Saint, àla fois ange de la Révélation et ange de la Connaissance ?

Insistons, allusivement encore, sur ce qui dès lors con-joint gnoséologie et liturgie. On a pu définir pertinemmentl'oraison théosophique des Kabbalistes comme étant l'aspectopératit de la métaphysique des Seli rôt. Nous le compren-drons d'autant mieux en comparant avec ce que l'on peutdésigner comme oraison théophanique chez les gnostiquesde l'Islam, chez ;un Sohravardî comme chez un Ibn 'Arabi.Tout acte d'intellection porté à son niveau suprême, à sonincandescence, est une opération de l'Ange, une illumination(ishrâq) dispensée par l'Ange Esprit-Saint. L'acte de connais-sance et l'acte d'oraison sont chacun sous cet aspect un« événement » angélologique. L'acte de connaître est à sonsommet un acte liturgique, un service divin, une oeuvre divineou théurgie de la part de l'Ange, non pas une abstraction nimoins encore une magie de la part de l'homme. Du mêmecoup l'angélologie surmonte toutes les oppositions trivialesentre « intellect » et « mystique ». C'est également à ce pointde confluence que doit être saisi le synchronisme de laliturgie angélique et de la liturgie terrestre. Ce synchronismedomine toute la spiritualité de la communauté essénienne deQumrên. Le motif de la liturgie céleste est abondammenttraité, d'autre part, dans l'iconographie issue de Byzance.

On vient de parler d'événements angélologiques. C'estque là même est la réalité profonde qu'il faut atteindre pourcomprendre le sens de l'iconographie angélologique. Ce sensne peut être atteint que si l'on perçoit la réalité des « événe-ments dans le Ciel », réalité tout autant de plein droit quecelle des événements empiriques, mais non point soumiseaux normes qui régissent ces derniers. S'il y a des « événe-ments dans le Ciel », c'est en raison de ce synchronisme,liturgique ou gnoséologique, auquel on vient de faire allusion,et qui détermine les événements composant en quelque sortedes autobiographies d'archanges. L'impératif est de se

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défaire de ce préjugé rationaliste qui, encore au début dece siècle, ne voulait voir dans les hypostases angéliques— qu'il s'agisse de la Sophia ou des Anges — qu'unemanière de représentation encore enfantine, encore incapabled'atteindre à la parfaite abstraction.

II ne s'agit pas de représentation mais de présence.L'iconographie est un acte de la présence angélique. Il nes'agit nullement d'une abstraction intellectuelle avortée, maisde la perception visionnaire d'une présence. L'Ange n'estpas une allégorie ; nous ne dirons même pas qu'il est unsymbole. Il n'est pas une apparence derrière laquelle secacherait quelque chose ; il est une apparition, une figurequi montre ce qu'elle est et se montre telle qu'elle est. Cettefigure n'est pas allégorique, mais tautégorique. Pour cerner(com-prehendere) l'image de l'Ange, il faut, certes, commedans le cas de la métaphysique des Sefïrôt, disposer d'unemétaphysique de l'image et de l'imagination active, qui nousfait le plus gravement défaut de nos jours. Il faut cesserenfin de confondre avec l'imaginaire ou l'irréel ce que nosauteurs m'ont conduit à désigner comme l ' imaginal, éminem-ment réel d'une réalité sui generis. Sohravardî fut le premier,en théosophie islamique, à instaurer l'ontologie du mundusimaginalis, à en fonder l'autonomie et la fonction entre lemonde sensible et le monde intelligible.

Mais, d'autre part, Sohravardî, comme Ibn 'Arabi, aadmirablement discerné l 'ambiguïté de l ' Imagination active,prise comme entre deux feux : elle peut être au service dela perception empirique qu'elle ne fait que recomposer etmodifier. Elle peut être au service de l'Intellectus sanctus ;elle est alors l'organe de la perception visionnaire, et c'estce que nos contemporains, faute d ' angélologie précisément,ont peut-être le plus de mal à comprendre. Sans angélologie,impossible en effet de comprendre les « événements dansle Ciel » que sont tous les événements visionnaires à leursdifférents degrés, depuis la vision mentale jusqu'à la visionextatique. Par là même, absence de la norme rigoureuse etdes critères qui préservent de l'imaginaire et des fantasmes.D'où, rechute perpétuelle dans l'histoire et dans l'empirique,

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mais, comme ce n'est pas là que se passent les « événementsdans le Ciel », le sceptique à la dérive n'a plus qu'à nier toutsimplement ceux-ci. Ou bien à « démythifier ». Or, en termesd'angélologie il n'y a ni à historiciser le mythe, car lesévénements angélologiques ne sont pas du mythe. Ni àmythifier l'histoire, car il ne s'agit pas de l'Histoire au senscourant et ordinaire du mot. Les « événements dans le Ciel »déchirent la trame de l'Histoire et lui échappent. Le tempsde l'Ange n'est pas le temps continu de la causalité histo-rique. C'est un temps discontinu, tempus discretum.

Mundus imaginalis : monde du corps de lumière toutepuissante, surgissant d'une mosaïque de Byzance cernéed'or, ou transparaissant, du brasier du couchant, à traversla polychromie d'un vitrail.

La métaphysique du mundus imaginalis nous reconduitd'elle-même à la perception des formes spirituelles, au sensplastique du mot forme. Une philosophie qui succombe, d'unemanière ou d'une autre, au faux dilemme de la pensée et del'étendue, est du même coup impuissante à pressentir qu'ily ait des formes et des figures spirituelles au sens substantielde ces mots. Alors on ratiocine sur l'incorporéité des Anges.On se demande ce que peuvent signifier les formes et figuresque leur donne l'iconographie. Et l'on répond : rien qu'uneallégorie, bien entendu. Disons qu'il est absolument vain deposer un tel problème, si l'on n'a même pas le pressentimentde ce que peut être la réalité d'un corps subtil, d'une matièrequi n'est pas la matière physique, corps divin de lumière,corps spirituel, tout ce que suggère le terme de caro spiri-tualisa Sur ce point, les grands maîtres de l'angélologie sontJacob Boehme et ses continuateurs, Swedenborg en sonœuvre monumentale.

dent intentionnellement la province romane de l'angélologie.Mais il n'y a vraiment d'angélologie possible qu'à la condi-tion d'en mobiliser toutes les provinces.

Car il faut en recueillir toutes les présences, c'est-à-diretoutes les manifestations iconographiques ou mentales,comme étant autant de témoignages de la « rencontre avecl'Ange ». Témoignages, puisqu'elles nous informent de lamodalité de cette rencontre, et que par celle-ci l'être humainporte, qu'il le veuille ou non, un jugement sur lui-même.Tel est le lien profond entre l'angélologie et l'anthropologie.On l'a suggéré ci-dessus. Ce lien s'exprime au mieux chezles théosophes, les Ismaéliens par exemple, pour qui lacondition humaine, le statut de l'homme, est une conditiontoute transitoire. En vérité l'homme est un ange en puissanceou un démon en puissance. La vie lui est donnée pour qu'ildécide de celle des deux virtualités appelées à. éclore.

Et c'est pourquoi l'on ne saurait mieux conclure ceslignes qu'en se référant à celles où Maurice Maeterlinckdemande : « Dites-moi quel est votre Dieu, ce qu'il fait, cequ'il dit, ce qu'il pense, comment vous le voyez... » Trans-posant, comme l'angélologie l'exige, nous demanderons :Dites-moi quel est votre Ange. Dessinez-le moi, si vous lepouvez. Qu'ont fait d'autre en effet les iconographes de tousles temps ? Alors « je saurai qui vous êtes, mieux que sij'avais vécu dix années avec vous ». Et Maeterlinck ajou-tait : « Si je ne me sens pas forcé de respecter et d'adorervotre Dieu, c'est que vous ne valez pas grand'chose ».

Redoutable en vérité est la rencontre avec l'Ange.

Henry CORBIN,Mais ce n'est ici ni le temps ni le lieu de les évoquer.

Déjà les allusions et les indications se sont pressées en fouletrop compacte au cours de ces pages. Pourtant, nous nevoulions que suggérer ce qui nous est venu à la pensée enméditant les figures rassemblées et commentées par lessoins attentifs d'Aurélia Stapert. Certes, nos réflexions débor-

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Paris, septembre 1974.

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DEUXIEME PARTIE

L'ANGE DANS LA PENSEE ROMANE

Chapitre 1. L'ANGE DANS LE MONACHISME ROMAN .. 1491. - LES MODELES DES MOINES CHARTREUX ET CISTERCIENS :LES PERES DU DESERT - 151 - II. - LES CHARTREUX IMITA-TEURS DE LA VIE ANGELIQUE - 156 - III. - BERNARD DE CLAIR-VAUX ET L'ECOLE CISTERCIENNE - 164 - L'angélologie selonBernard de Clairvaux - 164 - Corporéité ou incorporéité desanges - 165 - Connaissance angélique - 169 - Hiérarchie angéli-que - 170 - Les serviteurs de Dieu - 172 - Les visites du Verbeet des anges - 175 - Discrétion de range - 179 - IV. GUILLAU-ME DE SAINT-THIERRY - 181 - V. - AELRED DE RIEVAULX - 184- VI. - ISAAC DE L'ETOILE - 185 - VII. - GUERRIC D'IGNY - 188.

Chapitre 11. L'ANGELOLOGIE DANS L'ECOLE DE SAINT-VICTOR ET DE CHARTRES ................................................191L'ECOLE DE SAINT-VICTOR ................................................... 1911. - HUGUES DE SAINT-VICTOR - 192 - li. - RICHARD DE SAINT-VICTOR - 193 - 111. - ACHARD DE SAINT-VICTOR - 198 - IV. -GODEFROY DE SAINT-VICTOR - 200.L 'ECOLE DE CHARTRES ......................................................... 200

Chapitre III. LES VISIONNAIRES'............................................ 2111. - HILDEGARDE DE BINGEN - 211 - II. - HADEWIJCH - 217.

Chapitre IV. LES ANGES DANS LA LITURGIE ET LAPRIERE.................................................................................. 221Les anges dans la liturgie eucharistique - 221 - Les anges dansla vie liturgique - 226 - Le rôle liturgique du diacre et la fonc-tion angélique - 235 - La prière des anges - 237 - La contempla-tion angélique - 239.

TROISIEME PARTIE

L'ANGE DANS L'ART ROMAN

Chapitre 1. VIE DE L'ANGE DANS L 'UNIVERS ROMAN .. 2451. - LE CADRE ROMAN - 245 - II. - L'ANGE ET LA MAISON DEDIEU - 247 - III. - HERITAGES DE L'ANGE ROMAN - 249 - IV. -LA REPRESENTATION DE L'ANGE ROMAN - 262 - V. - L'ANGESUR LES PORTES ET LES TYMPANS - 275 - VI. - LES CHAPI-TEAUX - 282.

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Chapitre II. THEMES ANGELIQUES DANS L'ART ROMAN 2911. - ANCIEN TESTAMENT - 291 - La Création - 291 - Gardien del ' entrée du paradis - 294 - L'Arche - 296 - Tour de Babel - 299 -Le repas des anges chez Abraham - 300 - Sacrifice d'Isaac -301 - Echelle de Jacob - 303 - Moïse recevant les Tables de laLoi - 303 - L'ange et Balaam - 304 - Songe de Salomon deman-dant la sagesse - 305 - Daniel dans la fosse aux lions - 305 -II. - NOUVEAU TESTAMENT - 306 - Joseph divinement avertien songe - 306 - L ' Annonciation - 307 - L' Incarnation - 309 - Lesbergers et les mages - 310 - Les anges et le baptême duChrist - 312 - La Tentation du Christ au désert - 315 - La cruci-fixion - 316 - L'ange et l ' eucharistie - 318 - Le Pain des anges -319 - L'Ange du tombeau du Christ ressuscité - 322 - L'Ascen-sion. Plénitude de la gloire du Christ - 325 - 1. Enluminure -325 - 2. Tympan-portail-façade - 326 - 3. Chapiteaux - 337 - 4.Fresques - 337 - Le Tétramorphe - 338 - Visions apocalyptiques- 341 - Michel et le dragon - 346 - La Vierge et les anges - 348.

Chapitre III. ARCHANGES.........................................................353Gabriel - 358 - Raphaël - 367 - Michel-Mercure - 370 - Originedu culte de saint Michel - 373 - L'iconographie de saint Michel- 376.

CONCLUSION 387BIBLIOGRAPHIE 393INDEX DES NOMS PROPRES 399INDEX DES SUJETS 405INDEX DES NOMS DE LIEUX 425TABLE DES PLANCHES 429TABLE DES FIGURES 435TABLE DES MATIERES 439

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Page 10: STAPERT, A., L'ange roman dans la pensée et dans l'art, préface « La rencontre avec l’Ange » de Henry Corbin, Paris, Berg international, 1975

(48. - CHAUVIGNY (Vienne). Chapiteau Gabriel. Annoncia-

tion aux bergers....................................................................36149. - FULDA (Allemagne). Eglise Neuenberg-s-André. Fresque

de la crypte (av. 1023) : ange portant un globe ...................36350. - BARCELONE (Espagne). Musée d'art catalan. Fresque

de Estahon. Eglise Sainte-Eulalie : l 'archange Gabriel.........36651. - SANT 'ANGELO IN FORMIS (Italie). Fresque de l'abside

(XI° s.) : l'archange Michel .................................................. 37052. - TORCELLO (Italie). Mosaïque, façade Ouest de la cathé-

drale (XII° s.) : l'archange Michel ........................................37753. - AUTUN (Saône-et-Loire). Tympan (vers 1100) (détail)

pèsement d'âmes ................................................................. 37954. - SAINT-MICHEL-D'ENTRAYGUES (Charente). Tympan

Michel terrassant le dragon ............................................... 38355. - BARCELONE (Espagne). Musée d'art catalan. Fresque

d 'Engolasters. Eglise Saint-Michel : l'archange Michel ........ 385

TABLE DES MATIERES

PREFACE par Henry Corbin : LA RENCONTRE AVECL'ANGE................................................................................................9

I NTRODUCTION.......................................................................................21

PREMIERE PARTIE

PRESENCE DE L'ANGE

Chapitre I. LE THEME DE L'ANGE................................................ 331. - LE MYSTERE DE L'ANGE - 34 - La nostalgie de l'ange - 40 -L'ange et le temps - 41 - Parenté de l'ange et de l'homme - 44- li. - L'ARBRE GENEALOGIQUE DE L'ANGE - 45 - Les géniesintermédiaires en Grèce et l'ange en Islam - 46 - III. - LE SYM-BOLE DE L'ANGE - 53 - L'ascension - 54 - Lumière et pureté -57 - L'ange annonciateur de métamorphoses - 61 - Les angeset la gloire divine - 63 - Beauté théophanique et vision deDieu - 66 - L'ange et le démon - 69.

Chapitre II. LES SOURCES DE L'ANGELOLOGIE ROMANE ... 731. - ANCIEN TESTAMENT - 73 - Existence et création des an-ges - 74 - Nature des anges - 77 - Le nom des anges - 80 - For-mes des anges - 84 - II. - NOUVEAU TESTAMENT - 87 - III. - LESANGES DANS LE LIVRE D'HENOCH - 91 - IV. - APOCRYPHESNEO-TESTAMENTAIRES - 95 - V. - LA MYSTIQUE DU TRONE -101.

Chapitre III. LES THEORICIENS DE L'ANGELOLOGIE 1051. - PHILON - 105 - II. - CLEMENT D'ALEXANDRIE - 110 - III. -ORIGENE - 114 - IV. - LES CAPPADOCIENS - 121 - V. - AUGUS-TIN - 127 - VI. - LA SYNTHESE DU PSEUDO-DENYS - 132 - LaPremière triade - 137 - La deuxième triade - 139 - La troisièmetriade - 141 - VII. - GREGOIRE LE GRAND - 143.

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l ' iconographie a été réuniepar Monique Gougaud D.

les dessins sont de l 'auteur

Cet ouvrage, achevé d ' imprimerpar l'imprimerie Poirier-Bottreau à Aurillac

le 14 mars 1975, a été tiré à 2.000 exemplaires numérotéspour le compte de Berg International, Editeurs,

28, rue Henri-Barbusse, Paris 50

Exemplaire : N°

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dépôt légal : 1°' trimestre 1975.