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L'extrême droite « folkiste » et l'antisémitisme Stéphane François 1 Il existe en France depuis le milieu des années soixante-dix une extrême droite visible qui se réclame du paganisme. Ce paganisme contemporain, ou néo-paganisme, s'est manifesté en premier, en 1963, dans le discours du groupuscule/revue Europe-Action proche des néo-nazis, puis à partir de 1968 au sein du GRECE (Groupement de Recherche et d'Etudes pour la Civilisation Européenne), lui-même héritier du précédent, et enfin dans ses dissidences radicales apparues au milieu des années quatre-vingt. Ce sont ces derniers groupes que nous appelons l'extrême droite « folkiste ». Nous avons constaté en travaillant sur notre thèse consacrée à la Nouvelle Droite, que ce courant, qui reste des plus groupusculaires (quelques centaines de militants), tend à se développer et surtout à se radicaliser depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Nous avons privilégié les sources écrites et été amené à brasser cette littérature folkiste (ouvrages, revues, brochures notamment) du fait de leur dissidence du GRECE. C'est en prenant conscience de la nature de celle-ci et de son aspect à la fois aberrant et dangereux que nous avons décidé d'écrire cet article. En effet, ces groupuscules néo-païens ont repris et réadapté un discours pagano-raciste à la généalogie tortueuse. Qu'est-ce que le néo-paganisme ? Le paganisme vient du latin paganus, paysan, et se dit surtout, par opposition à chrétien, des peuples polythéistes ou de ce qui se rapporte à ces peuples ou à leurs dieux. Ainsi, le paganisme est le nom donné par les chrétiens des premiers siècles au polythéisme gréco-romain, auquel les habitants des campagnes restèrent longtemps fidèles, puis ultérieurement, aux populations non évangélisées. Cette définition peut être enrichie d'un aspect ethnique, les païens, les pagani, étant les « gens de l'endroit » et les chrétiens, les alieni, les « gens d'ailleurs » 2 . Cet aspect ethnique a considérablement marqué le néo-paganisme. Ce dernier existe grosso modo depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle en Europe. À l'origine de celui-ci, il y a une fascination/idéalisation pour le paganisme antique. La rupture avec le christianisme, élément constitutif du néo-paganisme contemporain, a été toutefois progressive. Le néo-paganisme contemporain n'a que très peu à voir avec le paganisme antique. En effet, le premier se structure autour d'un concept moderne, le panthéisme. Sa modernité s'exprime aussi par son individualisme à l'opposé du paganisme « traditionnel », de nature holiste. Le néo-paganisme se manifeste enfin par la non-distinction entre le sacré et le profane, celle-ci étant fondamentale, a contrario, dans le paganisme 3 . De fait, la notion de sacré chez 1

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L'extrême droite « folkiste » etl'antisémitisme

Stéphane François1

Il existe en France depuis le milieu des années soixante-dix une extrême droitevisible qui se réclame du paganisme. Ce paganisme contemporain, ounéo-paganisme, s'est manifesté en premier, en 1963, dans le discours dugroupuscule/revue Europe-Action proche des néo-nazis, puis à partir de 1968au sein du GRECE (Groupement de Recherche et d'Etudes pour la CivilisationEuropéenne), lui-même héritier du précédent, et enfin dans ses dissidencesradicales apparues au milieu des années quatre-vingt. Ce sont ces derniersgroupes que nous appelons l'extrême droite « folkiste ». Nous avons constatéen travaillant sur notre thèse consacrée à la Nouvelle Droite, que ce courant,qui reste des plus groupusculaires (quelques centaines de militants), tend à sedévelopper et surtout à se radicaliser depuis la fin des années quatre-vingt-dix.Nous avons privilégié les sources écrites et été amené à brasser cettelittérature folkiste (ouvrages, revues, brochures notamment) du fait de leurdissidence du GRECE. C'est en prenant conscience de la nature de celle-ci etde son aspect à la fois aberrant et dangereux que nous avons décidé d'écrirecet article. En effet, ces groupuscules néo-païens ont repris et réadapté undiscours pagano-raciste à la généalogie tortueuse.

Qu'est-ce que le néo-paganisme ?Le paganisme vient du latin paganus, paysan, et se dit surtout, par opposition àchrétien, des peuples polythéistes ou de ce qui se rapporte à ces peuples ou àleurs dieux. Ainsi, le paganisme est le nom donné par les chrétiens despremiers siècles au polythéisme gréco-romain, auquel les habitants descampagnes restèrent longtemps fidèles, puis ultérieurement, aux populationsnon évangélisées. Cette définition peut être enrichie d'un aspect ethnique, lespaïens, les pagani, étant les « gens de l'endroit » et les chrétiens, les alieni, les« gens d'ailleurs »2. Cet aspect ethnique a considérablement marqué lenéo-paganisme. Ce dernier existe grosso modo depuis la seconde moitié duXVIIIe siècle en Europe. À l'origine de celui-ci, il y a une fascination/idéalisationpour le paganisme antique. La rupture avec le christianisme, élément constitutifdu néo-paganisme contemporain, a été toutefois progressive. Lenéo-paganisme contemporain n'a que très peu à voir avec le paganismeantique. En effet, le premier se structure autour d'un concept moderne, lepanthéisme. Sa modernité s'exprime aussi par son individualisme à l'opposé dupaganisme « traditionnel », de nature holiste. Le néo-paganisme se manifesteenfin par la non-distinction entre le sacré et le profane, celle-ci étantfondamentale, a contrario, dans le paganisme3. De fait, la notion de sacré chez

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les néo-païens est caractérisée par le « bricolage » au sens, non péjoratif,défini par Claude Lévi-Strauss4, c'est-à-dire composé d'éléments disparatesrassemblés et synthétisés par un individu ou un groupe d'individus. Néanmoins,ce bricolage renvoie à une conception précise de la religion. Ainsi, lenéo-paganisme se fonde sur un refus, parfois virulent, des valeurs et desdogmes des religions bibliques : refus de l'universalisme, refus du prosélytisme,etc. La principale composante cultuelle de ce néo-paganisme est uneconception panthéiste (la divinité est identifiée au monde) et/ou polythéiste (quiadmet une pluralité de dieux) de la religion.

Il existe différentes formes de néo-paganisme : la première, souventidéologiquement à droite, fait référence à des divinités ou à une traditioncultuelle précise et a généralement un fondement ethnique : il s'agit la plupartdu temps d'une reconstruction d'une religion préchrétienne fondée sur desrecherches historiques ; la seconde, plutôt à gauche, renvoie à un discoursécolo-panthéiste souvent de nature universaliste et à un paganisme créé detoutes pièces ; enfin la troisième regroupe sous le terme générique depaganisme un choix philosophique et/ou artistique. Les néo-paganismes, dontnous allons parler dans cette étude, font partie de la première catégorie et sontdes reconstructions des paganismes celtes et germano-scandinaves, symbolesde la « race blanche » et des Indo-Européens. Ces derniers auraient constituéun ensemble humain, spirituel et matériel de première importance au sein del'humanité. Peuples guerriers au mode vie hiérarchisée, ils auraient formé unepuissante communauté ayant atteint un haut degré de culture et de civilisationqui aurait civilisé les populations conquises.

Le paganisme « völkisch »L'apparition de ce type de pensée est une histoire complexe qui mériterait uneétude à elle seule. Elle plonge dans différentes genèses politiques, historiqueset métaphysiques. Le paganisme religieux est un héritier du romantisme parson refus des Lumières et du libéralisme qui en découle, et par sareconstruction des passés nationaux.

Le néo-paganisme « völkisch » s'est développé en France dans les annéessoixante, dans le groupuscule Europe-Action puis de façon systématique, ladécennie suivante, dans le discours du GRECE. Ces thèses lui ont ensuiteprogressivement échappé, subissant des distorsions importantes. Ainsi, parimprégnation idéologique et par les passages, d'un groupuscule à l'autre, desex-grécistes, le néo-paganisme va devenir, à partir de la seconde moitié desannées quatre-vingt, un élément important de la culture des droites radicalesfrançaises. Cependant, Pierre-André Taguieff insiste « sur un processussouvent observé en histoire des idées : les représentations et les argumentsforgés par le GRECE dans les années soixante-dix lui ont progressivementéchappé, étant repris, retraduits et exploités par des mouvements politiquesrejetant l'essentiel de sa “vision du monde”. Il s'agit donc d'éviter d'attribuer auGRECE les avatars idéologiques et politiques de certaines composantes de sondiscours, et plus particulièrement de son discours des années soixante-dix »5.

De fait, les néo-païens d'extrême droite évoluent, pour beaucoup d'entre eux,aux marges du néo-nazisme et de ceux qui ont été appelés les « Völkischer ».Le courant völkisch est une forme du néo-paganisme germanique apparue enAllemagne et en Autriche durant la seconde moitié du XIXe siècle. Le terme

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völkisch », réputé intraduisible en français, l'est souvent par « raciste ». Laracine « Volk » signifie « peuple », mais son sens va au-delà de celui de« populaire ». Il peut être compris comme nostalgie folklorique et raciste d'unepréhistoire allemande mythifiée.

Les Völkischer sont en partie les héritiers de Johann Gottfried Herder pour quile nationalisme devait avoir des fondements ethniques. Ce courant bigarrépuisait ses références dans le romantisme, dans l'occultisme, dans lespremières doctrines « alternatives » (médecines douces, naturisme,végétarisme, etc.) et enfin dans les doctrines racistes. La reconstitution d'unpassé germanique largement mythique a éloigné les Völkischer des religionsmonothéistes pour tenter de recréer une religion païenne, purementallemande6. Une frange des Völkischer se retrouvera d'ailleurs, lors del'avènement du national-socialisme, dans l'entourage de Heinrich Himmler, luitransmettant ainsi sa doctrine7. Mais il est vrai que Himmler fit lui-même partiede l'un de ces groupes, les Artamanen. Selon George Mosse, Hitler lui-mêmeavait adopté la vision irrationaliste et occultiste des Völkischer 8. Cependant, lesexpériences païennes, qu'elles soient de droite ou de gauche, furent interditespar le régime nazi dès la prise du pouvoir lors de la « mise au pas » de lasociété allemande comme tous les mouvements religieux minoritaires. Lesgroupes völkisch, qui refusèrent de se fondre au sein d'une structure nazie,furent interdits.

Les filiationsLe néo-paganisme d'extrême droite contemporain est par conséquent unhéritage plus ou moins direct du bricolage doctrinal völkisch de la SS. En effet,la « puissance de fascination exercée par le nazisme [est] interprétée commeun ordre secret porteur de lumière (ou représentant la véritable religionaryenne) en lutte contre les puissances des ténèbres (le dieu des Juifs ou deschrétiens) »9. De fait, les néo-païens s'appuient souvent sur un corpus de textesde SS historiques pour justifier leur discours, en particulier sur les textes de SSfrançais, comme Saint-Loup (pseudonyme de Marc Augier), Yves Jeanne etRobert Dun (pseudonyme de Maurice Martin). L'ancien gréciste Pierre Vialreconnaît la dette qu'il leur doit : il affirme d'ailleurs sans peine que Saint-Loupest à l'origine de son paganisme10. Pierre Vial fut aussi l'ami de Robert Dun. Demême, l'écrivain Jean Mabire a sous-entendu, dans sa contribution à l'ouvragecollectif Païens !, son intérêt pour le paganisme SS : « Pendant quelquesannées, je me suis livré corps et âme à certaines formules que je ne renie pas(comme beaucoup d'autres). Et dans une langue que je ne parlais pas, mecontentant de mots de passe : Gottglaubisch, Weltanchauung, Blut und boden,Ahnenerbe. […] Disons que je mélangeais un peu politique, religion et espritguerrier. Comme le bonheur pour Saint-Just, le paganisme était une idée neuveen Europe »11.

De fait, ces anciens SS ont toujours revendiqué leur « paganisme ». Ainsi, YvesJeanne a animé dans les années soixante-dix, une revue, Le Devenireuropéen, dans laquelle il affirme son paganisme ethniste et communautaire.Quant à Robert Dun, celui-ci a animé, sous le pseudonyme de « Gwawd », leGroupe Druidique des Gaules. Il animait aussi le Cercle Lux Fero dont lesmembres étaient « conscients “d'appartenir à une seule nation européenne deplus en plus menacée d'engloutissement dans le melting-pot universel voulu parles cosmopolites de tous poils” »12. Pour être admis dans ce groupe, il fallait

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être celte, c'est-à-dire blanc. Toutefois, ces SS français furent recrutés sur letard (ils ne combattirent qu'à partir de 1944) et furent imprégnés de l'idéologiedes dernières années de la guerre, époque où la SS, pour attirer des étrangers,fit l'éloge d'une aristocratie européenne. La dernière grande figure du nazismenéo-païen fut Savitri Devi qui naquit à Lyon en 1905. Elle embrassa les idéauxpaïens nationaux-socialistes dès les années trente. Elle partit en Inde à cetteépoque à la recherche d'un paganisme aryen encore vivant. Là, elle rejoignit lesnationalistes hindous et épousa un Brahmane. Toutefois, ce n'est qu'après laguerre qu'elle fit la propagande d'une religion « aryo-nazie » faisant d'AdolfHitler un avatar de Vishnu destiné à mettre fin à l'âge de fer et à inaugurer l'Âged'or. Elle devint alors une figure reconnue par les nazis et néo-nazis d'Europe etd'Amérique13.

Donc, selon les néo-nazis « occultisants », il aurait existé au sein de l'Ordre noirun autre ordre composé de l'élite de la SS, qui aurait reçu un enseignementésotérique païen structuré sur la mystique du sang, l'origine (mythique) despopulations germano-scandinaves et sur le paganisme nordique. Cette idée aété notamment diffusée de nouveau en 1990 dans Nazisme et Ésotérisme, unlivre du militant folkiste espagnol Ernesto Mila14. Cet auteur y développe aussil'idée selon laquelle la SS était une caste guerrière dont le fonctionnement étaitcopié sur l'ordre des Chevaliers Teutoniques et sur celui des Templiers (deshabitués de la littérature ésotériques). Toutefois, celui-ci insiste, de façoninquiétante, à la limite du négationnisme, sur le fait que « jamais la SS ne gardales camps de concentration »15. L'ancien Waffen SS français Saint-Loup parleun peu de cette quête mystique et de cet « enseignement » de la SS desdernières années dans deux ouvrages16 dont l'un a été publié en 1968. Sesthèses seront reprises par Jean-Michel Angebert, pseudonyme desnéo-droitiers Jean Angelini et Michel Bertrand, auteur de plusieurs livresd'« histoire mystérieuse » dans les années soixante-dix. Michel Bertrand a étéen outre, avec Yves Jeanne, l'un des animateurs de la section française de laWorld Union of National Socialists (WUNS), une association néonazie mondialefondée en 1962 par la fille de Christian Dior, Françoise Dior.

Le passage des idées des Völkischer historiques aux folkistes français s'estaussi fait durant les années cinquante et soixante à travers la création de liensentre les militants des différentes générations. Ainsi Pierre-André Taguieff amontré17 la transmission de ces idées via la Northern League (fondée en 1957sur l'initiative de Roger Pearson) et le recours doctrinal au raciologue nordicistenazi Hans F.-K. Gunther, lui-même membre fondateur de la Northern League etdécoré en 1941 par Alfred Rosenberg. Le but de la Northern League étaitd'« unir les intérêts, l'amitié et la solidarité de toutes les nations teutoniques ».Des membres du GRECE en firent partie et participèrent à certains colloquesde la Northern League ou à des manifestations de structures satellites decelle-ci. Selon Pierre-André Taguieff, « la Ligue Nordique est assurément unerésurgence des nombreuses associations se réclamant de l'idéalindo-germanique, aryen ou nordique, apparues en Allemagne dans le contextedessiné par la littérature völkisch »18.

La transmission est aussi perceptible dans le comité de patronage de la revue« scientifique » du GRECE, Nouvelle École. Nous trouvons, par exemple, desanciens SS (comme l'historien Franz Altheim, collaborateur de Himmler etmembre de l'Ahnenerbe, l'organisme de recherche de la SS), desanthropologues nazis (Ilse Schwidestzki, Bertil J. Lundman, Hans F. K. Gunther

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jusqu'à son décès), des racistes ségrégationnistes américains(Henry E. Garrett, Wesley C. George, Robert E. Kuttner), des théoriciensracistes (R. Gayre of Gayre, Johannes D. J. Hofmeyr, Jacques de Mahieu),ainsi que Goulven Pennaod (pseudonyme de Georges Pinault), un chargéd'enseignement de la linguistique celtique à Lyon III. Celui-ci assume clairementses positions nationales-socialistes et régionalistes. Il a aussi collaboré à uneautre revue de la Nouvelle Droite proche des folkistes, les Étudesindo-européennes. Ces personnes disparurent petit à petit du comité depatronage au fur et à mesure des évolutions doctrinales d'Alain de Benoist maisrestèrent des références pour les folkistes.

Enfin, ces idées ont aussi été transmises en partie par l'aristocrate, artiste,philosophe et historien des religions italien Julius Evola, autre grande référenceintellectuelle de la Nouvelle Droite. Celui-ci est un penseur complexe etinclassable. Sa pensée est construite en réaction à l'aristocratie catholique, sonmilieu d'origine, la tradition chrétienne et le « monde moderne ». Si sa critiqueradicale du monde moderne, conçue après sa lecture des premiers livres deRené Guénon, est cohérente, ses propositions « politiques » sont empreintesd'utopisme nostalgique et relèvent d'un bricolage mythologico-politiquedépourvu de fondements politiques réels. À partir de 1920-25, Evola serapproche des milieux ésotériques et francs-maçons. Il publie en 1928Impérialisme païen, jetant les bases d'un mouvement plus fasciste que lefascisme. La parution en 1934 de son livre Révolte contre le monde moderne luiouvre les portes de l'Allemagne nazie. Il accomplit, à partir de 1938, la tournéedes châteaux de l'Ordre de la SS et se passionne pour les études raciales encompagnie du raciologue Ludwig Ferdinand Clauss, inventant le concept de« race de l'esprit », visant les Juifs. Antisémite, il a écrit l'introduction de laversion italienne de 1938 des Protocoles des Sages de Sion. Il participe mêmelonguement à une revue violemment antisémite, La vita italiana. Cependant,Evola ne se fait pourtant guère d'illusions sur la valeur du « paganisme » naziou fasciste. Ses modèles étaient davantage les anciens ordres de chevalerieteutoniques dont il voyait les incarnations modernes dans la légion del'Archange Michel, du Roumain Corneliu Codreanu, dans la Phalange de JoséAntonio Primo de Rivera ou dans les SS. Julius Evola a réarmé moralement,dès la fin de la guerre, l'extrême droite italienne, puis la Nouvelle Droiteeuropéenne. Il publie après guerre deux ouvrages politiques Les Hommes aumilieu des ruines en 1953 et Chevaucher le tigre en 1961. Par la suite, il seconsacre de plus en plus à la contemplation, délaissant l'action.

Les « néo-völkischer » français : les folkistesLes « néo-völkischer », ou « folkistes », français se reconnaissent par leurdiscours ethno-différentialiste radical, identitaire et raciste. Cette tendance estreprésentée en France par l'association politico-culturelle Terre et peuple,fondée et animée par Pierre Vial, Jean Mabire et Jean Haudry. Vial assumepleinement l'étiquette völkisch : « dans la mesure où la notion de communautédu peuple est au centre de mes préoccupations et où tout ce qui est populaire(ce mot est la traduction la moins insatisfaisante de völkisch) m'est cher, car liéà l'identité »19. Les folkistes sont des « ethno-communautaristes » quidéfendent un paganisme ethnique fortement imprégné de nordicisme. Leurpensée peut être résumée, sans sombrer dans le réductionnisme, par la devise« une terre, un peuple ». Elle se caractérise par les traits suivants : refus de la

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mégalopole pour la vie dans des communautés villageoises ; éloge et défensedes particularismes régionaux ; attrait pour les activités folkloriques souvent denature païenne : célébration du solstice d'été, sapin de Noël, veillée, arbre demai, costumes régionaux, etc. ; éloge du naturisme et des médecinesnaturelles ; refus du christianisme universaliste destructeur des particularismesculturels locaux. Elle prône le régionalisme et refuse le métissage au nom de lapréservation des identités. Elle promeut donc un mode de vie autarcique,antimoderne et respectant les identités régionales et folkloriques. Ainsi, lesétrangers sont associés à la mise en péril de ce mode de vie entre soi. En effet,l'immixtion de ceux-ci dans cette vie autarcique, largement idéalisée, est perçuecomme l'un des effets de la modernité, destructrice d'identité.

Le retour de l'antisémitisme et du racialisme völkischL'antisémitisme réapparaît de façon violente dans certains groupusculesfolkistes. L'exemple du magazine Réfléchir et Agir, fondé en 1993 par ÉricLerouge, qui se considère comme faisant partie de la Nouvelle Droite païenne,est à ce titre symptomatique. Cette revue développe un discours auxsous-entendus antisémites évidents : elle défend entre autres le Suisse GastonArmand Amaudruz, néo-nazi et antisémite notoire et Jean Plantin, un éditeurnégationniste français. Elle soutient aussi le néo-nazi et négationniste, prochedurant une période de la Nouvelle Droite, Olivier Mathieu. De fait, cettepublication se pose en défenseur de la civilisation européenne. Elle promeutl'idée d'un grand ensemble européen « blanc » de Brest à Vladivostok, « avecdes idéaux socialistes et païens »20, c'est-à-dire nationaux-socialistes. Le tonde cette revue est particulièrement violent et raciste. Robert Dun y a participé àtous les numéros jusqu'à sa mort, tandis qu'elle se réfère explicitement àGunther. Nous y retrouvons aussi souvent une bonne des partie des folkistesfrançais de la première génération : Guillaume Faye, Pierre Vial, Jean Mabire,Jean Haudry, Bernard Marillier ou Bruno Favrit.

L'une des références des néo-païens d'extrême droite, le chantre du nordicismeet du racialisme Jacques de Mahieu, a permis l'élaboration d'un discoursantisémite fondé sur une approche « historique » et païenne. En effet, celui-cipostula aux début des années soixante-dix que les peuples autochtonesd'Afrique du Nord (allant du Maroc jusqu'en Israël) parlant des languesberbères sont des peuples racialement proches des Indo-Européens. Pourétayer cela, Jacques de Mahieu avance la théorie selon laquelle ces peuplesutilisant des langues dites chamitiques, et qu'il appelle de façon générique les« Libyens », se sont différenciés des Indo-Européens lors du recul des glaciersil y a dix mille ans, les uns restant autour de la Méditerranée et les autresmontant vers le Nord à la poursuite des gros gibiers. Cette thèse fut ensuitereprise par Jean Mabire qui l'enrichit à sa façon. En effet, ce dernier écriten 1978 dans Thulé, le soleil retrouvé des Hyperboréens 21 que les Philistins,peuple biblique, sont les descendants des « Peuples de la mer », d'originesgermaniques, selon la théorie d'un pasteur nazi, Jürgen Spanuth, qui ontattaqué les Grecs et l'Égypte au XIIIe siècle avant notre ère. Ces « Peuples dela mer » seraient des Hyperboréens fuyant la disparition de l'Atlantide,correspondant selon Spanuth au site de l'île d'Héligoland, en Mer du Nord. Cespeuples se seraient ensuite installés en Palestine avant de se faire massacrerpar les Hébreux. Cette vision de l'histoire porte en elle une forme implicite deracisme : les Hébreux ont tué un peuple européen avancé réfugié en Palestine,

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les descendants des « Atlantes », pour prendre sa place. En outre, cette origine« atlantéenne » des Indo-Européens sous-entend une supposée supérioritécivilisationnelle remplaçant le Ex oriente lux par un Ex septentrione dux. Mabire,critique littéraire pour la presse d'extrême droite, notamment National Hebdo,jusqu'à sa mort en 2006, a rendu un hommage indirect aux Juifs dans la noticeconsacrée à Emmanuel Berl22, qu'il assortit néanmoins d'une remarqueétrange : « Juif sans honte mais sans racisme »23. Cela signifie-t-il que les Juifssont racistes vis-à-vis des non-juifs ? Dans ce cas, nous assistons à unretournement du discours raciste : le « racisme » supposé des Juifs justifiantleur persécution.

Le médiéviste disciple d'Evola, et auteur identitaire, Bernard Marillier, bien quepaïen, utilise la théorie d'un Christ « aryen » victime des Juifs. En effet, ilpostule que le Christ, Galiléen, descendrait de l'un de ces « Peuples de lamer » septentrionaux. Ce discours est un héritage direct de la cultureésotérico-raciste völkisch. Cette idée, antisémite, est apparue à la fin du XIXe.Elle se retrouvait aussi dans les milieux du protestantisme nationaliste allemanddu « christianisme positif »24. Ces derniers refusaient les origines juives duchristianisme et désiraient les faire disparaître au profit d'une vision « aryenne »de celui-ci. Certains partisans de cette vision croyaient que la Bible futoriginellement écrite en allemand. Une tendance de ceux-ci, les irministes,professant un christianisme germanique, vénérait un prétendu ancien dieugermanique, Krist, qui, selon eux, fut transformé en Christ par les chrétiens25.Ces derniers voyaient dans l'apparition de la mystique des « peuples dudésert » l'origine de l'histoire conflictuelle de l'Europe. Cependant, le discoursfaisant du Christ un Indo-Européen se rencontrait aussi à la même époque chezles occultistes français. Mais il est vrai que l'antisémitisme était l'une deschoses les mieux partagées dans les années trente.

Bernard Marillier, soutient aussi l'idée racialiste d'un lien entre noblesse et racenordique, un lien qu'il idéalise fortement : « Les textes profanes nous donnentsouvent la description du modèle racial du “vrai chevalier” : grand, élancé, blancde peau, corps bien découplé, visage gracieux et régulier, cheveux blondsondulés (symbole des forces psychiques émanées de Dieu, de la chaleurspirituelle, et beauté royale), à l'image du roi David toujours représenté blondroux et surtout du Christ à la chevelure d'un blond lumineux à l'exemple desdieux ouraniens païens. Même si cette beauté, d'origine nordique, est restée unidéal servant de référence symbolique, elle n'en a pas moins correspondu, dumoins à l'origine de la chevalerie, directement issue d'un substrat racialnordico-germanique, à une réalité ethnique qui s'est conservée dans les hautescouches de l'ordre chevaleresque (empereurs, rois, princes et barons), commeen témoignent encore de nos jours certains éléments non dégénérés desfamilles nobles françaises et européennes, beauté et noblesse étant liées »26.

Il faut donc reconnaître que l'antisémitisme des néo-païens d'extrême droite sefonde, à l'instar de l'antisémitisme nazi, sur une vision raciale du Juif. Ce quiplace cette forme de néo-paganisme antisémite dans la tradition des culturesantisémites du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. Toutefois, cetantisémitisme virulent s'est parfois transformé, après la Seconde Guerremondiale, dans les discours de leurs héritiers, en un anti-judéo-christianismeplus « acceptable » qui permettra de violentes critiques de celui-ci. La critiquedu judéo-christianisme a d'ailleurs longtemps été l'un des thèmes privilégiés duGRECE. Ainsi, Pierre Vial condamnait en 1979, alors qu'il était membre du

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GRECE, « le fanatisme sectaire [qui] trouve son origine dans le monothéismedes “religions du Livre”. […] Cette maladie de l'esprit touche aujourd'hui lesmilieux les plus divers »27. Le Juif reste donc « une toxine sémite »28 qui estcombattue via le refus du monothéisme. De fait, ces néo-païens refusent d'être« spirituellement des sémites ». Il ressort donc de la lecture des textes desfolkistes l'idée selon laquelle, le paganisme, en particulier les religions celte etgermano-scandinave doivent être protégés du christianisme, religionuniversaliste destructrice d'identité. En effet, beaucoup de textes insistent à lafois sur l'origine orientale, pour ne pas dire juive, d'un grand nombre de Pèresde l'Église et sur la destruction, consécutive à l'évangélisation, des lieux decultes païens.

Ces groupes ont aussi réhabilité le discours racialiste virulent et délirant desracistes des années 1900-1930. Guillaume Faye, un ex-gréciste lui aussi, enest son principal théoricien français contemporain, selon Pierre Vial. Ainsi, lelivre de Faye, Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistanceeuropéenne 29, est considéré par Pierre Vial comme le manifeste de la penséefolkiste, ou identitaire, les deux étant visiblement des synonymes chez lui,comme son « dictionnaire fondamental de 177 mots-clés » car « il manquait aucourant identitaire une véritable doctrine de synthèse idéologique et politiquequi au-delà de tous les partis, tendances, chapelles et sensibilités, rassembleenfin autour d'idées et d'objectifs clairs l'ensemble des forces qui s'opposent audramatique déclin des Européens. […] Comme le fut pour la gauche duXIXe siècle le Manifeste du Parti communiste de Karl Marx, Pourquoi nouscombattons est destiné à devenir le manuel de base des forces identitaireseuropéennes du XIXe [XXIe ?] siècle. Sa possession et sa lecture attentive sontabsolument indispensables »30. En effet, Guillaume Faye est devenu le chantre,depuis la fin des années quatre-vingt-dix, d'une philosophie raciste fortementinfluencée par les thèmes « blubo » (de Blut und Boden, « Sang et Terre »).Ainsi, il écrit que « l'enracinement est la préservation des racines, tout ensachant que l'arbre doit continuer à croître. […] L'enracinement s'accomplitd'abord dans la fidélité à des valeurs et à un sang. […] Il doit impérativementinclure une dimension ethnique fondatrice »31. Il fait donc appel à la« conscience ethnique » des Européens, c'est-à-dire à « la conscienceindividuelle et collective de la nécessité de défendre l'identité biologique etculturelle de son peuple, indispensable condition au maintien dans l'histoire desa civilisation et à l'indépendance de cette dernière »32.

De fait, le racisme différentialiste des folkistes se réclame d'une supposéexénophobie antique, utilisant leur prisme néo-païen identitaire pour reconstruirel'histoire des mentalités païennes européennes. Ils affirment donc que lessociétés antiques pratiquaient le différentialisme radical en gardant jalousementpour elles les bienfaits de leur religion. Ce type de propos est particulièrementvisible en ce qui concerne l'antisémitisme. Ceux-ci s'appuient sur des textesantiques pour montrer l'intolérance des Juifs vis-à-vis des païens. L'historienMaurice Sartre a montré cette intolérance religieuse des Juifs. Ainsi, il rappelleque les Juifs antiques fuyaient la présence des païens et pratiquaient des ritesde purification s'ils les côtoyaient33. Cette attitude a alimenté la judéophobie desGrecs et des Romains. Celle-ci était aussi liée au statut particulier du Juif,accusé d'être un privilégié, et à l'incompréhension des peuples païens vis-à-visde cette religion. Cependant, cette xénophobie antique ne touchait pasprofondément ces sociétés puisqu'il était possible de s'y intégrer. Il s'agit donc

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d'une reconstruction anachronique de la mentalité antique, d'ailleursdifficilement reconstructible du fait des évolutions considérables des mentalitésdepuis cette époque.

Repositionnement ?Comme dans beaucoup de groupuscules d'extrême droite, la « question juive »reste chez les folkistes un thème important. Ainsi, Guillaume Faye lui aconsacré un chapitre entier de l'un de ses livres, paru en 2002, sobrementintitulé La Nouvelle Question juive 34. Selon lui, l'État d'Israël va disparaître sousla pression démographique palestinienne. Cependant, au cours des annéesdeux mille Guillaume Faye s'est rapproché de l'extrême droite juive du fait de sahaine de l'islam. Cela l'a incité à chercher des alliés au sein du judaïsmeradical. Il n'est pas le seul.

En effet, une partie de ces extrémistes a adopté une attitude « philosémite ».Ainsi, le folkiste Bruno Favrit louait, en 1996, le différentialisme du judaïsme :« À cause de l'acharnement qu'il montra à ne pas se mélanger, à ne pass'intégrer aux autres peuples, le Juif fut sans cesse montré du doigt au coursdes âges »35. Il y a donc un renversement de la position idéologique de cettedroite radicale vis-à-vis du Juif : nous sommes passés de la haine du Juif parceque Juif à un éloge du Juif parce que Juif. Cependant, il y a un enfermementconstant : le Juif reste enfermé dans une identité contraignante. Cette défensedu particularisme va aussi dans le sens du discours différentialiste identitaire,pour qui la particularité est synonyme d'identité. Nous sommes donc enprésence de l'une des ambiguïtés majeures des folkistes : l'antisémitisme a faitplace à un éloge du communautarisme ethnico-religieux radical.

Dès lors, nous pouvons nous demander pourquoi certains folkistes développentencore actuellement un discours antisémite. Il existe en fait plusieurs raisons.La première reste la persistance d'un fort antisémitisme, très virulent, hérité del'extrême droite d'avant 1945. C'est dans cette catégorie que nous rencontronsle plus de négationnistes. Cet antisémitisme violent se manifeste de plus enplus souvent sous le prétexte d'un antisionisme radical. La seconde raison,malheureusement peu étudiée et pourtant importante, est que l'antisémitisme,malgré et surtout par sa condamnation, reste un ciment permettant l'union desdifférentes tendances de l'extrême droite et l'« un des éléments les plus sûrs deson identification »36. Cependant, même si l'extrême droite continue d'utiliser etde diffuser les thématiques antisémites, elles sont largement supplantées parun discours visant principalement les Maghrébins et l'islam. Cette évolutionmontre aussi un complet retournement des positions de certains groupusculesnéo-nazis qui font traditionnellement preuve d'un philo-arabisme et d'unpro-islamisme.

Si l'antisémitisme est encore omniprésent à l'extrême droite, il est également unélément problématique. Il doit donc être tout à la fois maîtrisé, présent etinvisible. En effet, l'extrême droite n'a pas le choix, elle doit, pour s'intégrer dansl'espace public, s'en démarquer (en apparence) et/ou subvertir cet espacepublic. Les différentes stratégies mises en place pour se rapprocher de lacommunauté juive, à la suite de la médiatisation soudaine d'un antisémitismearabo-musulman et le sentiment de peur que cela entraîne chez les Juifs deFrance, participent de cette logique de démarcation. La problématique pourl'extrême droite est donc de connaître le seuil de tolérance du repositionnement

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vis-à-vis des Juifs. Elle n'entend pas perdre le soutien d'une partie de seséléments les plus radicaux qui ne sont visiblement pas tous prêts à pactiseravec l'ennemi, de peur de perdre leur âme. En effet, certains groupusculesviscéralement antisémites préfèrent se rapprocher des « nouveauxjudéophobes » plutôt que de se rapprocher des Juifs radicaux.

Le Juif reste donc, dans ce discours, le bouc émissaire : il est trop présent dansles médias, dans la finance, etc. Il devient le moteur de la mondialisationnéo-libérale, le persécuteur des Palestiniens qui se battent pour retrouver leurterre et garder leur identité (réapparition du discours identitaire), quand il nedevient pas le principal allié de l'Amérique bushiste, persistance depuisl'Antiquité d'une certaine forme de cosmopolitisme destructeur des identités àtravers la diffusion du judéo-christianisme. Toutefois, l'antisémitismecontemporain minore l'importance ethnique, sans la faire disparaître pourautant, pour remettre au premier plan la place prépondérante, à leurs yeux, desJuifs dans les médias, la culture et les finances : Pierre Vial, par exemple, citantl'économiste allemand Werner Sombart, voit l'origine du capitalisme dans lejudaïsme37, relançant implicitement les thèses antisémites sur le capitalismejuif.

L'antisémitisme reste donc très présent dans cette extrême droite païennemalgré son éloge d'une forme radicale du communautarisme. Toutefois, cetantisémitisme feutré ne fait pas l'unanimité chez les néo-païens, y compris ceuxmarqués à l'extrême droite. Ces derniers, philosémites, insistent sur l'originechrétienne de l'antisémitisme qui ne serait qu'une version laïque et racialiste del'antijudaïsme chrétien. Quel serait alors le pied de nez aux néo-païensantisémites : l'antisémitisme si cher à leur cœur n'était qu'une persistance enleur sein du christianisme tant détesté ! Quoi qu'il en soit, les folkisteseuropéens tentent de se fédérer depuis le début des années 2000 et de mettreen place une synergie européenne. Ainsi, les différents groupusculeseuropéens de Terre et peuple se sont rencontrés en Espagne ennovembre 2005 pour leur deuxième colloque38. De fait, ces groupes folkistesessaient de fonder un front anti-mondialisation, refusant le néolibéralisme, aunom d'un socialisme identitaire, et surtout refusant l'essor de l'immigration extraeuropéenne au nom de la défense de la race blanche, un thème déjà trèsprésent dans le discours d'Europe-Action.

Que faire vis-à-vis cette idéologie aberrante ? L'interdiction aurait un effetnégatif en créant un ciment entre les militants. Il suffit de voir, pour s'enconvaincre, la réaction des adeptes de secte serrant les rangs derrière leurgourou dès que les médias ou la justice s'intéressent à eux. En outre, leurspublications circulent de façon souterraine. Une interdiction n'arrêterait pas leurdiffusion, d'autant plus qu'ils utilisent Internet. Enfin, la persécution lesradicaliserait encore plus. Les combattre par une analyse et une déconstructionde leur discours, comme Raymond Aron désirait le faire vis-à-vis de celui duGRECE, serait tout aussi inutile car ils n'acceptent pas ou peu la valeur destravaux des universitaires aux « ordres », selon eux, de la « bien-pensance ».L'une des solutions serait de contrer les effets négatifs du néolibéralisme et dela mondialisation, deux de leurs chevaux de bataille importants avecl'immigration… Dans le cas contraire, cette idéologie risque de se développer etde gagner des militants déçus par l'atlantisme du Front national et l'activisme deson courant chrétien traditionaliste.

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Le Banquet, n°24, 2007/1.

1. Historien des idées, docteur en science politique, diplômé de l'IEP de Lille, auteur notamment de « The “Europagan”Music: Between Radical Right and Paganism », 'Journal for the Studies of Radicalism', n° 1, janvier 2007, MichiganState University ; 'La Musique europaïenne : ethnographie politique d'une subculture de droite', L'Harmattan, 2006, préf.de Jean-Yves Camus ; « 'The Gods Looked Down ': la “musique industrielle” et le paganisme », 'Sociétés', n° 88-2,juillet-août 2005, Bruxelles, De Boeck ; « Musique, ésotérisme et politique : naissance d'une contre-culture de droite »,'Politica Hermetica', n° 17, année 2003, Lausanne, l'Âge d'Homme ; en coll. avec E. Kreis, « Le conspirationnismeufologique », 'Politica Hermetica', n° 19, année 2005, Lausanne, l'Âge d'Homme.

2. Pierre Chuvin, 'Les Derniers Païens', Belles Lettres, 1991.

3. Mircea Eliade, 'Le Sacré et le Profane', Gallimard, 1985.

4. Claude Lévi-Strauss, 'Le Regard éloigné', Plon, 1962, p. 32.

5. Pierre-André Taguieff, 'Sur la Nouvelle droite', Descartes et Cie, 1994, p. VIII.

6. Francis Bertin, « Ésotérisme et vision de la race dans le courant “völkisch” », 'Politica Hermetica', n° 2, Lausanne,L'Âge d'Homme, 1988, p. 83-92.

7. Selon Guido Knopp, Himmler « devait nommer à des grades élevés de la SS de nombreux pionniers des idées'völkisch 'de la période munichoise », Guido Knopp (dir.), 'Les SS. Un avertissement pour l'histoire', Presses de la Cité,2004, p. 122.

8. George Mosse, 'La Révolution fasciste', Seuil, 2003, p. 159-182.

9. Pierre-André Taguieff, 'La Foire aux illuminés. Ésotérisme, théorie du complot, extrémisme', Mille et une nuits, 2005,p. 399.

10. Pierre Vial, 'Une terre, un peuple', Éd. Terre et Peuple, 2000, p. 128-129.

11. Jean Mabire, « Itinéraire païen », 'in' Collectif, 'Païens ! Cheminements au cœur de la véritable spiritualité del'Europe', Saint-Jean-des-Vignes, Éd. de la Forêt, 2001, p. 110-111.

12. Jean-Yves Camus et R. Monzat, 'Les Droites nationales et radicales en France', Lyon, Presses Universitaires deLyon, 1992, p. 238.

13. Nicholas Goodrick-Clarke, 'Hitler's Priestess: Savitri Devi, the Hindu-Aryan Myth, and Neo-Nazism', NewYork/Londres, New York University Press, 1998.

14. Ernesto Mila, 'Nazisme et Esotérisme', Puiseaux, Pardès, 1990.

15. 'Ibid.', p. 13-14.

16. Saint-Loup, 'Nouveaux Cathares pour Montségur', Presses de la Cité, 1968 et 'Götterdämmerung. Rencontre avecla Bête', Art et Histoire d'Europe, 1986.

17. Pierre-André Taguieff, « L'héritage nazi. Des Nouvelles droites européennes à la littérature niant le génocide », 'LesNo''u''veaux Cahiers', n° 64, printemps 1981, p. 3-22.

18. 'Ibid'., p. 11 et p. 12.

19. Pierre Vial, 'Une Terre, un Peuple', Éd. Terre et Peuple, 2000, p. 65.

20. Non signé, « Un week-end identitaire », 'Réfléchir et Agir', n° 14, printemps 2003, p. 5.

21. Jean Mabire, 'Thulé, le soleil retrouvé des Hyperboréens' [1978], Puiseaux, Pardès, 2002.

22. Jean Mabire, 'Que lire ?', tome 1, Lyon, Irminsul Éd., 2002, p. 29.

23. 'Ibid'., p. 30.

24. Jean Labussière, 'Nationalisme allemand et christianisme 1890-1940', Connaissances et savoirs, 2005.

25. En fait, l'origine de ce discours est à chercher dans les tentatives de conversion des peuples germaniques. En effet,une version épique des Évangiles fut réalisée au IXe siècle, destinée à convertir les Saxons. Dans cette version Jésusdevient un prince germanique, ses disciples des vassaux et les noces de Cana, un festin guerrier.

26. Bernard Marillier, 'Chevalerie', Puiseaux, Pardès, 1998, p. 36-37.

27. Pierre Vial in 'Élément's, n° 31, août 1979, p. 36.

28. Pierre-André Taguieff, « L'héritage nazi », 'art. cit'., p. 8.

29. Guillaume Faye, 'Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistance européenne', L'Aencre, 2001.

30. Site Internet de Terre et Peuple, rubrique « lectures ».

31. Guillaume Faye, 'Pourquoi nous combattons, op. cit.', p. 113.

32. 'Ibid'., p. 78.

33. Maurice Sartre, « Des rites abominables et des mœurs effrénées »,' L'Histoire', octobre 2002, p. 32-35.

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34. Guillaume Faye,' ''Avant-Guerre. Chronique d'un cataclysme annoncé', L'Aencre, 2002, p. 133-152.

35. 'Ibid'., p. 33-34.

36. Michel Winock, 'Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France', Seuil, 2004, p. 77.

37. Pierre Vial, « Le christianisme et l'argent », 'Éléments', n° 50, printemps 1984, repris in 'Une terre, un Peuple', 'op.cit'., p. 298.

38. Le sujet de la réflexion portait sur la potentialité de créer une Eurosibérie ethnico-politique, en fait l'unification despeuples blancs européens sur l'aire de diffusion des Indo-Européens. Parmi les participants nous retrouvons lenationaliste révolutionnaire italien Gabriel Adinolfi, rédacteur en chef de la revue 'Orion' et grand nostalgique de BenitoMussolini, les Allemands Pierre Krebs, animateur du Séminaire Thulé, et Andreas Molau, rédacteur en chef de'Deutsche Stimme' et enfin, Ernesto Mila, responsable de la section espagnole de Terre et Peuple, Tierra y Pueblo.

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