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Au moment où la crise économique frappe les entreprises, celles-ci doivent reconsidérer leurs modes de pensée et d’action stratégiques. Plus que jamais la performance relative sur les marchés financiers partagera gagnants et perdants. La création de valeur pour l’actionnaire en ces périodes difficiles, avec une extrême volatilité des cours, est un défi majeur qui doit être au cœur de l’action stratégique. Il faut assainir et renforcer les « fondamentaux » générateurs de cash-flow, pivot de la survie, de la sortie de crise et moteur de la consolidation ou des opportunités à saisir. Face à la crise la meilleure assurance possible reste le montant de cash disponible et son utilisation. Le dernier composant de la création de valeur pour l’actionnaire, les « multiples », sera le plus difficile à gérer. En effet, faire rêver les actionnaires au moment où les marchés empêchent les investisseurs de dormir n’est pas à la portée de tout le monde. MAURICE A. SAÏAS JEAN GREFFEUILLE IAE d’Aix-en-Provence, université Paul Cézanne Stratégie et création de valeur DOI:10.3166/RFG.196.113-130 © 2009 Lavoisier, Paris DOSSIER Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

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Au moment où la crise économique frappe les entreprises,celles-ci doivent reconsidérer leurs modes de pensée etd’action stratégiques. Plus que jamais la performance relativesur les marchés financiers partagera gagnants et perdants. Lacréation de valeur pour l’actionnaire en ces périodes difficiles,avec une extrême volatilité des cours, est un défi majeur quidoit être au cœur de l’action stratégique. Il faut assainir etrenforcer les « fondamentaux » générateurs de cash-flow,pivot de la survie, de la sortie de crise et moteur de laconsolidation ou des opportunités à saisir. Face à la crise lameilleure assurance possible reste le montant de cashdisponible et son utilisation. Le dernier composant de lacréation de valeur pour l’actionnaire, les « multiples », sera leplus difficile à gérer. En effet, faire rêver les actionnaires aumoment où les marchés empêchent les investisseurs dedormir n’est pas à la portée de tout le monde.

MAURICE A. SAÏASJEAN GREFFEUILLEIAE d’Aix-en-Provence, université Paul Cézanne

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DOI :10.3166/RFG.196.113-130 © 2009 Lavoisier, Paris

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Un grand nombre de responsablesd’entreprise s’accorde pour direque l’élaboration, formalisée ou

non, d’une stratégie occupe une place trèsimportante sur leur agenda. Ils regrettent,cependant, que les résultats ne soient pas àla hauteur des efforts consentis et que laplupart des processus utilisés, trop souventassujettis à des jeux politiques, engendrentpeu d’idées nouvelles. Une enquête récente(“Improving strategic planning : A McKin-sey Survey”, Web exclusive September2006) montre à quel point les démarches deplanification stratégique mises en œuvre serévèlent peu adaptées aux exigences nou-velles. Sur près de 800 dirigeants interro-gés, moins de la moitié (45 %) se déclarentsatisfaits et, moins du quart (23 %) consi-dèrent que ces processus ont effectivementservi de cadre aux décisions stratégiques lesplus importantes. Comment s’en étonner,dès lors que la majorité de ces plans straté-giques ne sont, en réalité, que des budgets à3 ou 5 ans, plus ou moins détaillés? Ils nepeuvent en rien être considérés comme unevéritable stratégie, c’est-à-dire au tracéd’une voie conduisant à un niveau fon-damentalement plus élevé de performances.Ces dernières, traditionnellement évaluéesen termes économiques, financiers ouconcurrentiels, pour répondre aux attentesdes actionnaires, des clients ou des concur-rents, doivent, de plus en plus souvent, inté-grer des métriques sociales, sociétales ou decomportement.Le succès stratégique, face à des enjeuxconstamment renouvelés, s’avère de plus enplus problématique, comme en attestent lesdisparitions d’entreprises : fusions, acquisi-tions, démembrements, faillites ou autres,etc. Les conclusions des recherches sur laréussite des entreprises performantes ne

résistent que rarement à l’épreuve du temps(Peters, Waterman, 1997), au-delà mêmedes biais méthodologiques ou des effets dehalo (Foster et Kaplan, 2001), dont ils peu-vent souffrir. Ainsi, Foster et Kaplan (2001)notent que seules 74 des 500 entreprises quicomposaient le Standard & Poor Index(S&P 500) en 1957 avaient survécu en1997. De plus, entre 1957 et 1998, 12d’entre elles, seulement, avaient atteint desperformances supérieures au S&P 500.Enfin, si en 2001 le S&P 500 avait été com-posé des mêmes entreprises qu’en 1957,son niveau aurait été de 20 % inférieurchaque année. Jim Collins, dans un articleaccompagnant le plus récent classement desFortune 500, note que sur les 500 entre-prises qui composaient la liste à l’origine en1955, il n’en reste que 71 en 2008, alors queprès de 2000 en ont fait partie, à un momentou à un autre (Collins, 2008).Ainsi, parvenir au sommet des perfor-mances économiques devient de plus enplus difficile et s’y maintenir, plus impro-bable encore. Le cycle de vie des entre-prises, lui-même, se raccourcit, les succèsdu passé ne garantissant en rien les résultatsà venir.L’effet « Red Queen » (Carroll, 1994) selonlequel : « il faut courir de plus en plus vitepour rester sur place » joue à plein. L’accé-lération des changements et les turbulencesdans un environnement globalisé, leuramplitude, leur complexité et leur intrin-sèque ambiguïté rendent obsolètes lesmodèles et modes de pensée stratégiquestraditionnels. Cependant, ces dernierscontinuent, encore trop fréquemment, à ser-vir de guides pour l’action. Un véritablehiatus se crée entre les modes d’analyse oud’action encore en place et les exigencesd’un monde qui change en permanence.

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Ainsi, les outils utilisés avec succès aucours des récentes décennies sont souventinexploitables, voire dangereux pour deschoix stratégiques qui, par nature, sont des-tinés à façonner l’avenir. L’action la pluspertinente aujourd’hui peut s’avérer catas-trophique demain, en raison de change-ments aussi radicaux que soudains. Il n’estqu’à voir les turbulences auxquelles sontsoumises les économies depuis juillet 2007pour s’en convaincre, crise financière etcrise économique aux évolutions et duréeimprévisibles. Combien de plans revus àl’été 2008 à cause de la hausse du prix desmatières premières doivent l’être à nouveauen fin d’année face à l’effondrement descours. Comme le faisaient remarquer, dés lemilieu des années 1990, Jack Welch et HerbKeheller : « Dès que vous aurez mis le pointfinal à votre plan stratégique à 3 ou 5 ans, ily a de fortes chances pour qu’il soit déjàobsolète. »1

Tout aussi préoccupant apparaît le désarroide certains dirigeants qui perdent pied faceà ces changements : « Le modèle écono-mique qui a fait notre succès pendant desdécennies s’avère, aujourd’hui, incapabled’assurer notre rentabilité. » reconnaît BillFord en 2005 ; « notre manière de concevoirnos activités a cessé d’être rentable et nousn’avons aucune idée de ce qu’elle devraitêtre » admet le P-DG de cette autre entre-prise qui figure parmi les cinq premièresdans le classement de Fortune Magazine, lamême année…Quelle est, en ce début du XXIe siècle, ladurée de vie d’un « modèle économique »?Récemment encore, rares étaient les entre-prises qui devaient envisager de radicales

transformations, partielles ou totales, tousles 3 ou 4 ans. Aujourd’hui, toutes ont inté-rêt à s’interroger. « Huit ou dix ans… denos jours, c’est le paradis » remarqueAdrian Slywotzky, comme le confirmentpar ailleurs les diverses études du BCG surla création de valeur (BCG, 2006 ; 2008,2003). La seule prévision fiable est que lechaos va durer et qu’il est sage de s’y pré-parer. Nous pouvons prétendre ignorer lechaos mais le chaos, lui, ne nous ignore pas.Parallèlement, et en premier lieu, malgrél’abondance de publications, la pensée stra-tégique traverse une crise ; Gary Hamelparle de l’absence d’un réel corpus théo-rique (Hamel, 1997). Ensuite, une crise deleadership est incontestable, dans tous lesdomaines, publics et privés, et ce, à tous lesniveaux. Plus il y a d’ouvrages écrits sur lesujet, plus il semble difficile de trouver devéritables leaders. Le comportement dou-teux de quelques-uns a entamé la crédibilitéde l’ensemble des dirigeants : originespubliques et privées de la crise financière de2007, parachutes dorés, rémunérations desdirigeants incontrôlées, fraudes, etc. Enfin,les exigences à court terme des actionnairesréduisent les marges de liberté pour lesdécisions stratégiques. Il devient, dès lors,légitime de s’interroger sur la nature despratiques stratégiques, sur leur possibleévolution et sur leurs conséquences. C’estprécisément l’objet de cet article, en limi-tant l’analyse aux composantes écono-miques et concurrentielles de la stratégie, etplus spécialement aux impératifs de la créa-tion de valeur pour l’actionnaire. Plusieursauteurs s’attachent, ailleurs, à discuter lesaspects sociaux, sociétaux et de comporte-

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1. Interview de Jack Welch et Herb Kelleher dans Fortune Magazine.

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ment de la stratégie ; variables qui serontassurément amenées à devenir des élémentsdéterminants de la réussite concurrentielleet financière au cours des années à venir.En théorie la stratégie d’une entreprisedoit mobiliser ses ressources financières,ses capacités organisationnelles et lesavantages concurrentiels de ses diversescomposantes afin d’accroître la valeurcréée pour les investisseurs. Aucune entre-prise ne peut se permettre d’ignorer lesmarchés de capitaux et la manière dont lesinvestisseurs évaluent son capital. En pra-tique, cependant, les stratégies ne sont querarement élaborées sur la base de la créa-tion de valeur. Même si cette dernière nedoit pas être la seule préoccupation desdirigeants, la symbiose entre stratégie etcréation de valeur reste indéniable. Eneffet, la création de valeur a un impactpositif qui dépasse très largement le cercledes actionnaires : pour les autoritéspubliques, elle signifie des prélèvementsfiscaux plus importants et moins de trans-ferts sociaux liés au chômage ; pour lesemployés, une plus grande sécurité d’em-ploi, de meilleurs salaires et des opportu-nités de carrière ; pour les consommateurs,de meilleurs produits et des évolutions deprix mieux contrôlées ; enfin, pour lasociété en général, des entreprises ayantune capacité accrue à intégrer les respon-sabilités sociales et sociétales.Notre contribution se borne à essayer decomprendre comment une stratégie d’entre-prise engendre de la valeur et comment lemarché des capitaux la monétise, en nousplaçant dans le cadre d’entreprises multi-activités, cas les plus fréquents aujourd’hui.Pour ce faire, nous utilisons les travaux dequelques grands cabinets de consultation en

stratégie comme le BCG, McKinsey, ATKearney ou IBM.

I – LA CRÉATION DE VALEURPOUR L’ACTIONNAIRE

La création de valeur se mesure communé-ment par le TSR (Total Shareholder Return)c’est-à-dire par la somme de la variation duprix de l’action (capitalisation boursière) etdu dividende reçu (politique de distribu-tion). La croissance rentable (profitable

growth), est généralement considéréecomme la clé de la création de valeur, àlong terme. Plus de vingt ans de recherchesont mis en évidence cette relation qui s’ap-puie sur des observations statistiquess’étendant sur des périodes plus ou moinslongues et différentes (Mc Grath et al.,2001 ; Smit et al., 2005 ; BCG, 2006 ; IBM,2004).L’étude d’A.T. Kearney (figure 1) révèleque la croissance du chiffre d’affairesexplique 78 % de la création de valeur (défi-nie comme la croissance de la capitalisationboursière corrigée des variations des capi-taux propres), et les résultats financiers(EBIT, Earnings Before Interest and Tax)22 % (McGrath, 2001).McKinsey (Smit et al., 2005), de son côté,à travers deux études, met en évidence uneforte corrélation entre croissance du chiffred’affaires et TSR, d’une part, et une impor-tante relation entre survie et croissance,d’autre part. La première, sur la période1994-2003, porte sur les 75 entreprises lesplus importantes en termes de chiffre d’af-faires et les 75 plus grosses capitalisationsboursières (après élimination des doublonsil en reste 102). Dans la deuxième, lesauteurs cherchent à déterminer l’évolution

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des performances sur une période pluslongue, utilisant les mêmes critères (75 et75 en 1984) en comparant les performancessur deux cycles : 1984-1993 et 1994-2003.Les conclusions sont édifiantes. D’une part,la croissance explique un peu plus de 60 %du TSR. D’autre part, les entreprises dont lacroissance est inférieure à celle du PIB surtoute la durée d’un cycle ont 5 fois plus dechances de disparaître que les entreprisesayant un taux de croissance supérieur auPIB.Le BCG et IBM (BCG, 2006 ; IBM, 2004),sur d’autres périodes et à partir d’échan-tillons différents en arrivent à des conclu-sions identiques en ce qui concerne le rôlede la croissance du chiffre d’affaires pourexpliquer les différences de création devaleur, même si les résultats chiffrés varientquelque peu. Une étude portant sur desentreprises françaises aboutit aux mêmesconclusions (Challenge, 2008).À partir de ces observations, une typologiedes performances des entreprises ou deleurs activités a été élaborée. D’inspiration

très proche, toutes les matrices proposéespour « classer » les performances prennenten compte la croissance du chiffre d’af-faires (top line growth), d’une part et cellede la valeur créée pour l’actionnaire,d’autre part. Seule la terminologie varie(figures 2 et 3).La relation indiscutable, au moins pour lepremier quartile des entreprises les plusperformantes, reste soumise à quelquesconditions. Tout d’abord le rendement descapitaux investis, doit être supérieur au coûtmoyen pondéré du capital. Ensuite, la crois-sance ne doit entraîner aucune érosion desmarges ou de la rentabilité des capitauxinvestis. Ce n’est pas seulement l’absencede rentabilité de la croissance qui fait réagirles investisseurs mais également la crois-sance « insuffisamment » rentable. Enfin, lacroissance, élément moteur de la créationde valeur à long terme, est loin d’en consti-tuer le principal déterminant à court terme.Il est parfois indispensable de créer de lavaleur à court terme, en augmentant la ren-tabilité par exemple, pour obtenir le droit

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Figure 1 – Analyse statistique des variables liées à la création de valeur

Source : A. T. Kearney Value-Building Growth Database.

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Figure 2 – La matrice de croissance de A. T. Kearney

Figure 3 – La matrice de croissance de McKinsey

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d’engendrer de la croissance et, en consé-quence de la valeur, à long terme. Loin des’opposer, court et long termes se complè-tent. L’ensemble de ces conditions contri-bue à expliquer pourquoi il est possible devoir le TSR augmenter sans avoir engendréde la croissance ou d’engendrer de la crois-sance sans être récompensé par les marchésfinanciers.Il convient également de s’attacher aux pro-grès que pourraient réaliser les entreprisesqui, bien que ne faisant pas partie du quar-tile supérieur, placeraient le TSR au cœurde leur processus de décision stratégique.Pour cela il est nécessaire de bien com-prendre les déterminants du TSR.

II – LES DÉTERMINANTS DU TSR

Les deux éléments constitutifs du TSR,évolution du prix de l’action et dividendeperçu par l’actionnaire, fondent sa supé-riorité par rapport à d’autres critères de per-formance tels le EPS (earning per share) ouceux qui s’appuient exclusivement sur le« cash », CFROI (cash-flow return on

investment), CROCI (cash return on capital

invested) ou CVA (cash value added). LeTSR intègre toutes les dimensions du sys-tème de création de valeur.L’EPS, construction comptable sujette àmanipulations, permet de justifier toutinvestissement ayant un taux de rendementsupérieur au coût de la dette, quand bienmême ce taux serait inférieur au coûtmoyen pondéré du capital.Les indicateurs reposant sur le cash-flowreflètent beaucoup mieux la réalité écono-mique. Au-delà des profits comptables, ilsmesurent le cash réellement engendré parl’entreprise et de plus ils incorporent expli-

citement le coût du capital. Cependant, ilsignorent l’impact que peuvent avoir les dif-férentes initiatives liées à la croissance surles attentes des investisseurs. Cet impactdoit être pris en compte au risque de pour-suivre des pistes de croissance qui, certes,engendrent un gain par action (EPS) plusélevé ou éventuellement des valeursactuelles nettes (NPV) positives mais quin’optimisent pas ou, même, détruisent de lavaleur pour l’actionnaire. En effet, diffé-rents types d’actionnaires ont des prioritésdifférentes en ce qui concerne le TSR, dif-férentes attitudes par rapport aux risques, etdonc, différentes attentes face à la crois-sance. La croissance peut détruire de lavaleur tout aussi facilement qu’elle peut encréer.Les dirigeants avisés savent que l’utili-sation du TSR comme mesure de la perfor-mance est optimale quand elle repose surune bonne compréhension de ses consti-tuants. Ignorer ou sous estimer lesvariables déterminantes pour l’évolutiondu prix de l’action ou les réactions liées àla répartition du cash-flow peut engendrerdes attentes irréalistes dans l’entreprise etchez ses investisseurs.Une analyse plus fine des deux élémentsconstitutifs du TSR s’impose donc. Pour cefaire nous retenons la méthodologie élabo-rée par le BCG (BCG, 2006). McKinsey aégalement construit un modèle qui, bienque reposant sur une argumentation assezdifférente, aboutit à des résultats compa-rables (Deelder et al., 2008).

1. L’évolution du prix de l’action

Il dépend de deux types de variables : cellesqui touchent aux « fondamentaux » c’est-à-dire à la valeur intrinsèque de l’entreprise,

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valeur actuelle et future de ses différentesactivités, et celles qui se rapportent à lamanière dont les marchés monétisent ces« fondamentaux » c’est-à-dire aux attentesdes actionnaires appréciées à travers les« multiples de valorisation ».

Les « fondamentaux »

Ils recouvrent l’ensemble des variables quise trouvent au cœur de la gestion de valeur(value management) et constituent la valeursous-jacente des activités de l’entreprisec’est-à-dire la valeur actualisée des futurscash-flows estimés à partir des marges, del’efficacité dans l’utilisation du total desactifs (fixes et circulants), de la croissanceet du coût du capital. Pour évaluer les « fon-damentaux », le BCG (2006) a recours àdes variables de substitution, combinant lacroissance du CA et l’évolution des margespour obtenir la croissance de l’EBITDA(Earnings Before Interest, Tax, Amortiza-

tion and Depreciation). Parmi ces « fonda-mentaux » la croissance du chiffre d’af-faires, si les conditions mentionnéesprécédemment sont respectées, représentel’élément déterminant du TSR à long terme.

Les attentes des actionnaires

ou « multiples de valorisation »

Elles se reflètent dans la prime boursièremesurée par la différence entre le cours del’action sur le marché et celui qui ressorti-rait de l’analyse de la valeur des seuls « fon-damentaux » de l’entreprise. Elle se mesurepar des « multiples », dont les métriquespeuvent varier selon les industries ou lasituation particulière d’une entreprise. LeBCG (2006) retient comme « multiple » leratio de la valeur de l’entreprise sur le mar-ché, c’est-à-dire la somme de la capitalisa-

tion boursière et de la dette, au résultat i.e.

à l’EBITDA.Tôt ou tard toute entreprise qui a connu unepériode de croissance rapide est condamnéeà voir son « multiple » se réduire et tendrevers la moyenne du marché, avec une primeboursière qui, elle-même, tend vers zéro.Par ailleurs, une partie de la prime échappeau contrôle de l’entreprise car elle est liée àdes facteurs tels que la croissance du PIB,l’attrait du secteur, etc. En fait, la valeurabsolue du « multiple » a moins de perti-nence que sa valeur relative, c’est-à-dire sacomparaison avec celle des concurrents. Lavaleur relative dépend d’éléments tels que :atteindre systématiquement les objectifsannoncés, être leader sur ses marchés, déve-lopper des marques reconnues et fortes,construire et maintenir un capital intellec-tuel reconnu, etc., qui restent sous lecontrôle de l’entreprise. En fait, lesvariables qui déterminent les « multiples »peuvent être regroupées en quatre catégo-ries : variables de croissance comme parexemple la croissance du chiffre d’affaires ;variables de rentabilité comme la margebrute ; variables de durée (« fade factor »)qui captent la confiance que les investis-seurs ont de voir la croissance et la rentabi-lité actuelles se poursuivent dans le futur ;enfin des variables de risque, comme lerisque relatif qui pèse sur les futurs cash-flows de l’entreprise. Le niveau du « mul-tiple » d’une entreprise peut faciliter ouhandicaper sa stratégie. Un « multiple »élevé peut servir de monnaie d’échangecommode pour une politique d’acquisi-tions, alors qu’un faible « multiple » rendral’entreprise vulnérable face à une attaqueconçue pour en prendre le contrôle. Enfinles attentes des actionnaires influencent for-

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tement les évolutions à court et moyentermes du TSR.

2. Le cash-flow libre (Free cash-flow)

Améliorer les « fondamentaux » se traduitpar un accroissement du cash. Comment dèslors utiliser ce cash? Faut-il le réinvestirpour nourrir la croissance (organique ouexterne) ou le distribuer au profit des créan-ciers et/ou des actionnaires sous forme deremboursement de la dette, de dividende oude rachat d’actions ? Ces décisions derépartition du cash-flow ont des consé-quences directes et indirectes sur le TSR. Ledividende, par exemple, a un impact directpuisqu’il est l’un des éléments constitutifsdu TSR. Il a aussi un effet indirect car déci-der une augmentation du dividende peutêtre perçu par les actionnaires comme unsignal de réduction du risque et par consé-quent peut contribuer à l’accroissement du« multiple ». Mais il faut aussi s’attacher àl’origine du financement du dividende quin’est pas neutre. Un financement par ladette peut avoir un effet négatif car il remetéventuellement en cause les dividendesfuturs. De même une distribution qui seferait aux dépens d’investissements promet-teurs peut contribuer à réduire les divi-dendes ultérieurs. Le plus souvent, cepen-dant, une politique de distribution ducash-flow a un impact positif, car elle forcel’entreprise à améliorer ses « fondamen-taux », en incitant les dirigeants à accroîtreles profits et à choisir les projets les plusrentables.Ainsi, les « fondamentaux », les attentesdes actionnaires (les « multiples ») et larépartition du cash-flow font partie inté-grante de la dynamique d’un système de

création de valeur. La modification de l’unedes trois composantes peut avoir un impactsur les autres. Pour le choix d’une stratégie,il est donc impératif de comprendre leursinteractions ainsi que les liens entre lesvariables qu’elles recouvrent, afin de s’as-surer que les actions entreprises se renfor-cent mutuellement au lieu de se contre-carrer. L’intelligence des interactionsconstitue la première étape d’un processusqui doit aboutir à l’élaboration d’une straté-gie centrée sur la création de valeur. Unecréation de valeur supérieure à la moyennefavorise l’accès à des capitaux moins coû-teux, encourageant ainsi stratégies de crois-sance ou de consolidation. Elle favoriseégalement l’obtention des ressources néces-saires pour améliorer le service aux clientset attirer les meilleurs talents séduits par lanotoriété ou les conditions offertes. Lacréation de valeur participe ainsi à laconstruction d’avantages concurrentielsessentiels pour les résultats à venir. Encorefaut-il qu’au-delà des stratégies d’activitéset de portefeuille, de véritables politiquesfinancières soient élaborées et que lesobjectifs et priorités des investisseurs soientréellement pris en compte.La stratégie de l’entreprise repose, en pre-mier lieu, sur les choix au sein de chaqueactivité. Chaque activité a sa propre straté-gie qui repose sur des avantages concurren-tiels existants ou à construire. Le rôle de lastratégie d’entreprise est, ensuite, de com-biner ces stratégies d’activités de manière àce que la valeur de l’ensemble soit supé-rieure à la simple addition des valeurscréées par chacune d’entre elles. Quel est lerôle que remplit une activité dans la créa-tion de valeur de l’entreprise et quelle est la

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logique qui lie l’ensemble des activités fai-sant de l’entreprise leur « propriétaire natu-rel »? Ces deux questions doivent trouverune réponse dans la stratégie de l’entre-prise. Toute réponse ambiguë ou obscureest pénalisée par les marchés, les investis-seurs s’interrogeant sur la contribution dechacune des activités à la création de valeur.De plus la stratégie de l’entreprise doit faireévoluer la composition du portefeuille carles activités arrivées à maturité ne créentplus assez de valeur pour les actionnaires.L’entreprise doit donc réduire le poids deces activités dans son portefeuille et endévelopper ou acquérir d’autres dont lepotentiel de création de valeur soit plusélevé du fait des capacités opérationnelles,financières ou de « parenting » existantes.Ce dilemme entre, d’un côté, la défense ducœur historique des activités et de l’autre, ledéveloppement organique ou externe, d’ac-tivités nouvelles, demeure, aujourd’hui,l’un des plus importants défis stratégiquesauxquels sont confrontées les entreprisesoccidentales face à la montée en puissancede la concurrence en provenance des paysémergents.La stratégie d’entreprise, c’est aussi, le pro-cessus par lequel les dirigeants élaborentleur politique financière et communiquentavec leurs investisseurs de manière à opti-miser la valeur réalisée sur la base de sesactivités.Quelle est la structure du capital idéale pourla société ? Quelle part du cash-flow engen-dré doit être réinvestie et quelle part distri-buée aux actionnaires sous forme de divi-dendes ou de rachat d’actions ? Comment lapart du cash-flow réinvestie doit-elle êtrerépartie entre les différentes activités ?Comment s’assurer que les marchés de

capitaux évalueront correctement le porte-feuille d’activités ?

III – VERS DE NOUVEAUX MODESDE CHOIX STRATÉGIQUES

Traiter en parallèle stratégie d’activité etd’entreprise, stratégie financière et stratégied’investisseurs au lieu de les considérerséparément forme la base de nouveauxmodes de choix stratégiques conduisant àde nouvelles pratiques. Les politiquesfinancières ainsi que les objectifs et priori-tés des investisseurs ont des implicationsimportantes pour les stratégies et récipro-quement. Ainsi prenons l’exemple d’uninvestissement dans une nouvelle activitéprometteuse de croissance et dont le rende-ment est supérieur au coût du capital. Laquestion est de savoir si, malgré tout, iln’aurait pas été plus judicieux de distribuerle cash réinvesti aux actionnaires. Lesentreprises surendettées ou sous-évaluées,ou celles qui souffrent d’un « multiple »plus faible que leurs concurrents ont sou-vent intérêt à accroître leur « multiple » etdonc leur TSR en distribuant le cash auxinvestisseurs ou en remboursant leursdettes. Tout choix d’investissement doit êtrecomparé aux autres utilisations possibles ducapital. Ceci ne peut être fait qu’en inté-grant politique financière et stratégie d’acti-vité et d’entreprise. De même tenir comptedes priorités des investisseurs fait intégrale-ment partie de la stratégie.Ainsi, les nouveaux modes de choix straté-giques s’articulent autour des stratégiesliées aux « fondamentaux », des stratégiesliées aux « multiples », des stratégies liéesau cash-flow, et des stratégies liées au choixdes investisseurs.

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1. Les stratégies liées aux « fondamentaux »

Le choix entre croissance et rentabilité estle premier écueil sur la route des décideurs.Bien évidemment engendrer une croissancerentable reste le principal objectif à longterme. Mais la route pour l’atteindre peuts’avérer chaotique. McKinsey (McKinsey2007, 2004) a tenté d’apporter quelqueséléments de réponse. Pour les entreprisesdont la rentabilité des capitaux employésest élevée, mettre l’accent sur une crois-sance supérieure à celle du marché plutôtque sur un accroissement de rentabilité a uneffet positif sur le TSR. Dans les matricesdes figures 2 et 3 il s’agit de faire passer lesactivités ou entreprises des positions de« TSR performers » ou « Profit seekers » àcelles de « Growth giants » ou « Value gro-wers ». Si la rentabilité est moyenne, lesentreprises ne peuvent pas se permettre devoir s’effriter leurs performances enmatière de croissance de chiffre d’affairesou de rentabilité. Celles, enfin, dont la ren-tabilité est faible doivent, avant toute ini-tiative de croissance, améliorer le rende-ment des capitaux investis. Par ailleurs, lesentreprises dont la stratégie repose essen-tiellement sur la croissance, doivent réaliserqu’elle ne peut être obtenue à n’importequelle condition. En effet, les voies de lacroissance ne sont pas toutes équivalentespar rapport à la création de valeur. Il estadmis que la croissance externe (M&A) asouvent un effet négatif sur la création devaleur et que les problèmes rencontrés lorsdes phases d’intégration détruisent de lavaleur. La croissance organique, souventmieux perçue, se présente, elle-même, sous

plusieurs formes avec des effets différents.Le développement de nouveaux produits oumarchés a le plus fort rendement en matièrede création de valeur, de l’ordre de 1,75 à 2(McKinsey 2007, 2004)2. L’expansion versdes marchés adjacents a également un effetpositif bien qu’inférieur au précédent, del’ordre de 0,30 à 0,75. La recherche dumaintien ou de l’augmentation de la part demarché, dans un marché en croissance, a unrendement qui se situe entre 0,10 et 0,50.Enfin, la recherche de parts de marché dansun marché stable obtient des rendementstrès faibles, voire devient destructrice devaleur.Bien que répondant aux exigences de ren-dement par rapport au coût du capital ou àla rentabilité actuelle, certaines initiativesde croissance peuvent représenter aux yeuxdes investisseurs un risque qui ne corres-pond pas à leurs attentes, et se traduire parun impact négatif sur le « multiple ». Parexemple l’introduction d’une activité nou-velle dans un portefeuille dont les compo-santes sont en phase de maturité peut, à lafois cesser de satisfaire les investisseursactuels et ne pas encore satisfaire desactionnaires intéressés par une croissancejugée toujours insuffisante.

2. Les stratégies liées aux « multiples »

Les « multiples » représentent la part derêve que les dirigeants font naître, à courtterme, chez les investisseurs. Mais, il fautéviter de voir le rêve à court terme se trans-former en cauchemar à long terme. Rêvecar un TSR élevé reflète les ambitions quepartagent les dirigeants avec les action-naires chaque fois qu’ils présentent leurs

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2. McKinsey appelle ce rendement « l’intensité de création de valeur » définie comme la création de valeur pourl’actionnaire par unité monétaire (dollar, euro, etc.)

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résultats passés et annoncent les résultats àvenir. Le prix de l’action sur le marchéintègre les taux de croissance et de rentabi-lité passés et attendus. Pour que le « mul-tiple » augmente ainsi que le cours de l’ac-tion et donc le TSR, l’entreprise doit« surprendre », positivement, les action-naires en réalisant des performances supé-rieures à celles qui sont déjà incorporées auprix actuel. Ces nouvelles performancesseront à leur tour intégrées au prix de l’ac-tion qui pour continuer à progresser exigerades performances encore supérieures. Lemoulin tourne de plus en plus vite. Quandune entreprise surpasse les attentes desinvestisseurs, non seulement le marchéréagit en faisant monter le prix de l’actionmais encore il fait tourner le moulin plusvite. Une entreprise avec un taux de crois-sance et de rentabilité élevés peut ainsi sevoir pénalisée sur le marché par rapport àun concurrent qui a obtenu des résultatsinférieurs. Le moulin de la première est enphase de décélération alors que celui de laseconde accélère. Le ralentissement, toute-fois, est difficile à éviter, les « multiples »tendant à long terme vers la moyenne dumarché, le « fade factor ». Le BCG a ana-lysé sur une période de 10 ans l’évolutiondes « multiples » de près de 2400 sociétésmondiales ayant une capitalisation bour-sière supérieure à 1 milliard de dollars.Seules 6 % d’entre elles ont réussi à obtenirun « multiple » plus élevé que la moyennede leur marché local pendant 8 ans et uneseule pendant toute la période de 10 ans(BCG, 2008). Les raisons en sont simples.Quand une entreprise grandit et que sonchiffre d’affaires augmente, à partir d’unecertaine taille le taux de croissance diminuece qui entraîne quasi automatiquement uneréduction du « multiple ». Le ralentisse-

ment du taux de croissance est lié au cyclede vie de l’activité et s’accompagne, du faitde pressions concurrentielles plus fortes,d’un affaiblissement des marges. Le cash-flow va souffrir. L’effet combiné de la dété-rioration des « fondamentaux » et desattentes joue sur le « multiple », le prix del’action et le TSR. Tôt ou tard, toute entre-prise qui a connu une phase de croissancerapide devra faire face à une compressionde son « multiple ». Ce phénomène naturelpeut-il être évité ou enrayé?Les dirigeants sont enclins à penser que les« multiples » échappent en grande partie àleur contrôle, car ils dépendent de facteursexogènes à l’entreprise tels que les condi-tions économiques générales, l’état et l’at-trait des secteurs d’activité, les secoussesgéopolitiques, les tendances démogra-phiques et socio-économiques, les poli-tiques fiscales, l’environnement réglemen-taire, etc. S’ils ont raison en ce quiconcerne la valeur absolue des « multiples», leur valeur relative, quant à elle, reste for-tement influencée par les actions des diri-geants. Le coût du capital, le caractère plusou moins risqué des activités, l’origine etl’utilisation du cash-flow, les perspectivesde croissance, les politiques financières, lavision des dirigeants et leur crédibilité, lastratégie de portefeuille, la force desmarques, etc. sont autant de variables quiagissent sur les « multiples » et restent sousle contrôle de l’entreprise. Il y en a biend’autres. Leur nombre et la complexité deleurs interrelations rendent plus difficilesles choix stratégiques et leur mise enœuvre. Le BCG a suggéré une typologie destratégies possibles en fonction d’une part,de la valeur des « fondamentaux » etd’autre part, de l’importance de la primeboursière (figure 4).

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D’un côté il faut trouver des activités à forttaux de croissance, en surpassant lesattentes des actionnaires ou au moins en enlimitant le déclin, de façon à prolonger lacroissance du « multiple » et du prix del’action.D’un autre coté il est possible d’opter pourune stratégie sacrifiant une partie de lacroissance au profit d’autres prioritéscomme, par exemple, l’accroissement desmarges de manière à faire évoluer les résul-tats plus fortement que le chiffre d’affaires.C’est au moment où les « multiples » sontau plus haut qu’il faut agir en pensant à l’in-évitable ralentissement, en utilisant un prixd’action élevé pour prendre le contrôled’entreprises dont l’action est plus faible-ment appréciée, ses potentiels de croissanceet de rentabilité incomplètement exploitéset où l’avantage « parental » du repreneurs’affirme clairement. C’est aussi le momentfavorable pour modifier la structure du por-tefeuille en y incluant des activités émer-gentes ou de construire un portefeuilled’initiatives (18) destiné à contrecarrer lesbaisses de « multiple » ultérieure. L’ampli-fication des capacités d’innovation devient

une priorité pour développer le potentiel decroissance.Les « Underperformers » n’ont pas d’autrechoix que de se concentrer sur les « fonda-mentaux » : rentabilité d’abord, croissance,ensuite, en essayant de convaincre lesactionnaires de la possibilité d’un redresse-ment radical. Les « Optimistes » ont déjàfait une partie du chemin en améliorant larentabilité grâce à des efforts de producti-vité et à une restructuration de leur porte-feuille. Ils peuvent alors se concentrer sur lacroissance afin de ne pas décevoir lesattentes des investisseurs, éventuellementpar le rachat d’une entreprise parmi les« Champions ignorés ». Ces derniers n’ontpas la confiance des investisseurs ; ils ne lesfont plus rêver. Soit le moulin tourne tropvite et les « fondamentaux » bien quesolides laissent planer un doute sur la capa-cité de l’entreprise à les améliorer substan-tiellement, et donc sur la crédibilité desdirigeants, soit la politique de communica-tion avec les actionnaires est déficiente,signe d’une transparence insuffisante. Uneautre solution consisterait à sortir du mar-ché. Les « Consolidateurs » doivent,

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Figure 4 – Matrice de l’espérance de prime

Source : BCG.

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comme nous l’avons vu précédemment, uti-liser leur prime boursière stratégiquementpuisqu’ils disposent d’une monnaied’échange, le prix de l’action, qui leur per-met d’accroître leur périmètre et de prépa-rer un éventuel atterrissage en douceur deleur « multiple ». Croissance externe etcroissance interne sont recommandées dansce cas ; il faut en profiter pour construireune position dominante.En bref une stratégie de « multiple » ne faitque renforcer un certain nombre de mes-sages familiers. À court et à long termebien gérer le portefeuille d’activités, créerdes initiatives de croissance pour chaqueactivité, atteindre l’excellence opération-nelle, utiliser les services du siège demanière optimale et avoir une stratégie quipermette de choisir ses investisseurs.

3. Les stratégies liées au cash-flow

Elles doivent être abordées sous troisangles : le premier est le montant du cash, ledeuxième tient à la structure du capital,endettement par rapport aux capitauxpropres, le troisième enfin, a trait à l’utili-sation du cash, soit le garder au bilan, soitle réinvestir, soit encore le distribuer ? Encas de distribution, faut-il rembourser lesdettes, augmenter les dividendes ou rache-ter ses actions ?Elles impliquent l’imbrication étroite desstratégies f inancières, d’entreprise etd’activités. Assurer l’équilibre entre lecash engendré à travers les « fondamen-taux » et le cash requis pour financer lacroissance future est le premier défi. Lacomparaison entre le taux de croissancesoutenable, le taux qui correspond auxambitions des dirigeants et celui quirésulte de la croissance organique sur les

marchés servis, est une base solide pourélaborer une stratégie d’entreprise. Être àcourt de cash pour financer la croissanceinduira une augmentation de l’endettementou un appel à l’actionnariat, toujours pro-blématique quand les ressources mobili-sables par l’entreprise apparaissent insuf-fisantes. Avoir un taux de croissancesoutenable largement supérieur au taux decroissance possible sera tout aussi pénali-sant car trop de liquidités vont se lancer àla poursuite d’un nombre réduit d’occa-sions d’investissement. L’intensité de laconcurrence rend alors plus aléatoire toutecréation de valeur s’appuyant sur la crois-sance interne. La croissance externe n’estpas plus aisée, un plus grand nombre deprédateurs pourchassant un nombre limitéde proies. Pour faire face à cette situationles entreprises ont recours à la distributionde dividendes ou au rachat d’actions, maisle problème n’est pas résolu pour autant,bien que le TSR puisse augmenter. Eneffet, la concurrence est devenue plusaiguë avec l’arrivée de nouveaux entrantstels que les sociétés de capital investisse-ment (private equity firms) dont la part surle marché des acquisitions s’est considéra-blement accrue jusqu’en 2007. En réalité,d’importantes réserves de liquidité, uncash-flow disponible trop élevé ou unecapacité d’endettement sous-utilisée ontun impact négatif sur le TSR et exposentl’entreprise à d’éventuels prédateurs dontfont partie les « private equity ».Le dilemme pour les dirigeants est de déci-der soit d’investir dans toute opportunité decroissance dont la rentabilité est supérieureau coût du capital même au prix d’uneréduction de la rentabilité actuelle, en étantpénalisés à court terme par les investis-

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seurs, soit de maintenir le niveau de renta-bilité actuelle en renonçant en partie à desinvestissements préparant la croissance àlong terme mais dont la rentabilité à courtterme est inférieure. De nos jours, uneentreprise a souvent intérêt à utiliser soncapital pour créer de la valeur à court termeafin de se garantir le droit de créer de lavaleur à long terme. Maximiser la flexibi-lité en conservant des liquidités pour defutures occasions de croissance n’est pastoujours prudent. En effet, longtempsconsidérée comme le signe d’un bilansolide, ce type de flexibilité est aujourd’huiperçu comme un signe de paresse. Lesliquidités constituent de plus en plus sou-vent un piège. En comparant le taux de ren-dement des liquidités au coût du capital ouau TSR moyen, il est facile de comprendrela réaction des investisseurs : un taux derendement des liquidités de 3 %, comparé àun coût du capital autour de 10 % ne peutsatisfaire les actionnaires. Dans ce cas,mobiliser des capacités d’endettementsous-utilisées pour leur rendre une partiedes liquidités oisives (« leverage payout »)contribuera à un abaissement du coût ducapital, à un meilleur « multiple » et à unTSR supérieur. Dans d’autres cas, toute-fois, disposer d’une réserve de liquiditépeut être bénéfique : en période de réces-sion économique ou quand se présente uneopération de rachat, par exemple, les liqui-dités permettent de mieux absorber leschocs ou d’agir plus rapidement. Déciderdu montant approprié de liquidités, ni tropni pas assez, trouver une répartition équili-brée entre réinvestissement et distribution,optimiser la structure du capital sont aucentre des stratégies conduisant à des TSRplus élevés.

Reste à choisir le mode de distribution desliquidités : dividende ou rachat d’actions.La plupart des entreprises font appel auxdeux, simultanément ou séquentiellement.L’impact d’une distribution sur le TSR seradifférent selon qu’il s’agisse d’un fait épi-sodique ou d’une pratique plus systéma-tique. Dans le premier cas le TSR ne serapas profondément modifié et le choix seraessentiellement lié au traitement fiscal dechaque mode. Dans le second, en revanche,l’impact est important et dépend du modede distribution retenu.Le rachat d’actions présente deux avantagesincontestables. Il est flexible car ne s’inscri-vant pas dans la durée et a un effet arithmé-tique immédiat sur le gain par action (EPS).Mais comme nous l’avons vu précédem-ment, le gain par action n’a que peu d’in-fluence sur les « multiples ». Quand il en a,encore faut-il savoir comment il a étéobtenu ; il peut augmenter alors que lavaleur intrinsèque, les « fondamentaux »,reste stable. Les signaux émis en ce quiconcerne la rentabilité à long terme ou lesobjectifs de création de valeur pourrontavoir sur le prix de l’action un tel effetnégatif, qu’il efface l’effet positif de l’ac-croissement du gain par action. Paradoxale-ment, les investisseurs qui vendent leursactions sont mieux récompensés que ceuxqui les conservent.Les dividendes, comme l’ont montré desétudes récentes, ont un impact très large-ment supérieur au rachat d’actions sur les« multiples » et le TSR (BCG, 2007 ; Hansell et Olsen, 2003; Dobbs et Rehm,2005). Ils sont moins aléatoires que lesrachats d’actions car il est rare qu’une entre-prise se permette de réduire considérable-ment les dividendes distribués d’une année

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sur l’autre. Leur caractère plus sûr fidéliseles investisseurs actuels, notamment lesfonds d’investissement qui intègrent lesdividendes dans leurs stratégies de porte-feuille, et en attirent de nouveaux qui privi-légient le long terme.Les stratégies financières devraient doncaider l’équipe de direction à choisir lastructure du capital qui optimise le coût ducapital, la part des liquidités qui doit êtredistribuée et la manière de le faire, la flexi-bilité financière optimale pour assurer lacroissance dans le futur.

4. Les stratégies liées au choix des investisseurs

Les investisseurs n’ont pas tous les mêmesattentes. Leurs attitudes et comportementsface au risque, à la croissance, à la rentabi-lité varient très sensiblement. La plupartdes entreprises se retrouvent face à desactionnaires de profils différents avec despriorités divergentes voire conflictuelles.Pour faciliter l’élaboration d’une stratégied’investisseurs les praticiens et leschercheurs s’accordent pour penser qu’ilconvient de les segmenter, comme on le faitpour les consommateurs.Plusieurs segmentations ont été suggé-rées. La plus traditionnelle distingue lesinvestisseurs qui recherchent la valeur(value investors), les opposant à ceux quisont plus enclins à privilégier la crois-sance (growth investors) et enfin, aumilieu, ceux qui sont attirés par la crois-sance à un prix raisonnable (growth at

reasonable price/GARP investors). Cettesegmentation traditionnelle a été critiquéeet une autre typologie a été proposée. Elledifférencie les investisseurs qui recher-chent la valeur intrinsèque (intrinsic

investors), de ceux qui décident en fonc-tion de critères et règles « mécaniques »strictes, déléguant leur pouvoir à l’ordina-teur (mechanical investors) et enfin des« traders » qui s’intéressent essentielle-ment aux gains à court terme (Palter et al.,2008 ; Jiang et Koller, 2007).Étant donné que c’est le TSR relatif quiimporte le plus et que, en fin de compte, lesactionnaires sont les juges de paix qui déci-dent si les décisions et les actions des diri-geants créent de la valeur, il est recom-mandé de comparer la composition de sonactionnariat face à celui des concurrents.Quels sont nos principaux investisseurs parrapport aux leurs ? Nos actionnaires sont-ilsen accord avec notre stratégie ? Quellespolitiques mettre en place pour faire migrernotre actionnariat afin d’obtenir unemeilleure adéquation entre nos ambitions etnos investisseurs? Ignorées pendant trèslongtemps ces questions doivent aujour-d’hui trouver des réponses sous peine de nepas obtenir les moyens nécessaires pourréaliser les ambitions des dirigeants et del’entreprise.Stratégie et création de valeur se rencon-trent aux croisements des objectifs de crois-sance, des routes choisies pour lesatteindre, de l’horizon temps envisagé, de laflexibilité et de la politique financières, dela composition et de la gestion du porte-feuille, de l’attitude face au risque et de lacapacité à « choisir » ses investisseurs.Ainsi, conception, choix et coordinationdans la mise en œuvre des stratégies liéesaux « fondamentaux », aux « multiples » etau cash-flow constituent, aujourd’hui lesimpératifs du succès stratégique. Il n’estnullement besoin d’insister sur le caractèreéminemment complexe de ces choix de

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même qu’il n’est pas difficile de com-prendre les conséquences de mauvais choix.Mettre au cœur de la stratégie d’entreprise(activités et portefeuille) la création devaleur à court et à long terme est probable-ment, de nos jours, la source la plus solideet la plus durable d’avantages concurren-tiels, celle qui permet de transformer lesambitions et rêves en réalités, celle qui per-

met le mieux de répondre aux espoirs desdifférents acteurs.Elle permet de gagner quand tout va bien etde moins souffrir quand l’environnementest moins porteur. Pour y arriver il fautd’abord faire l’effort de comprendre cequ’ont été les composants historiques duTSR et de construire les moteurs de lacroissance future.

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