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46 Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 6/Octobre 2006. © 2006. Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés. Psychiatrie Neurologie Gériatrie Pratique psychologique Stress, maladie d’Alzheimer et soutien psychothérapique F. Moulin (1), I. Cantegreil-Kallen (2), J. de Rotrou (2), E.Wenisch (1), F. Batouche (1), A. Richard (1),A.-S. Rigaud (3) (1) Psychologues, (2) Psychologues, PhD, (3) M.D, PhD, Chef de service. Hôpital Broca, 54-56, rue Pascal, 75013 Paris Correspondance : F. Moulin, adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] Résumé Le patient atteint de maladie d’Alzheimer est, tout au long de sa maladie, confronté à des situations de stress potentiellement impor- tantes. L’annonce du diagnostic de MA, même s’il était plus ou moins attendu, les épisodes de désorientation spatiale, le sentiment d’étran- geté face à des objets ou des situations qu’il ne comprend plus sont autant de situations émi- nemment perturbantes générant parfois un stress important. Ce stress doit pouvoir être reconnu, évalué et pris en charge. A des stades débutants, modérés ou modérément sévères de la maladie, le patient reste capable de dire ce qu’il ressent, de parler de ce qu’il ne comprend pas ou de ce qui lui fait peur. L’accompagner psy- chologiquement contribue à soulager sa dou- leur, à mieux comprendre ce qu’est sa maladie et, lorsque c’est possible, à améliorer sa coopé- ration et sa compliance dans son projet de soins. Mais il s’agit aussi bien entendu de conso- lider une identité qui chancelle du fait des troubles cognitifs, en particulier mnésiques, et du délitement progressif de la pensée. De même, maintenir la capacités d’investissement Summary Stress,Alzheimer’s disease and psychotherapeutic support The patient affected by Alzheimer’s disease is confronted with stressful and often painful situations all along his disease. Disclosure of diagnosis, even if expected, moments of spatial disorientation, feeling of strangeness facing objects and situations that he cannot understand anymore are some examples of disturbing situations that tend to generate important stress.This stress has to be recognized, evaluated and treated. At lower or moderate stages of Alzheimer’s disease the patient can still express what he feels and speaks about his understandings or his fears. In these cases, psychological support will con- tribute to relieve his pain, help him to under- stand his disease and, if possible, ameliorate his cooperation in its treatment. Consolidating his identity, being affected by cognitive decline, maintaining and reinforcing his capac- ity of communication are other important aims of psychological intervention during this disease.

Stress, maladie d’Alzheimer et soutien psychothérapique

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46 Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 6/Octobre 2006. © 2006. Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés.

Psychiatrie

NeurologieGériatrie

Pratique psychologique

Stress, maladie d’Alzheimeret soutien psychothérapique

F. Moulin (1), I. Cantegreil-Kallen (2), J. de Rotrou (2), E.Wenisch (1), F. Batouche (1),A. Richard (1),A.-S. Rigaud (3)(1) Psychologues, (2) Psychologues, PhD, (3) M.D, PhD, Chef de service.Hôpital Broca, 54-56, rue Pascal, 75013 Paris

Correspondance : F. Moulin, adresse ci-dessus.E-mail : [email protected]

Résumé

Le patient atteint de maladie d’Alzheimer est,tout au long de sa maladie, confronté à dessituations de stress potentiellement impor-tantes. L’annonce du diagnostic de MA, mêmes’il était plus ou moins attendu, les épisodes dedésorientation spatiale, le sentiment d’étran-geté face à des objets ou des situations qu’il necomprend plus sont autant de situations émi-nemment perturbantes générant parfois unstress important. Ce stress doit pouvoir êtrereconnu, évalué et pris en charge. A des stadesdébutants, modérés ou modérément sévères dela maladie, le patient reste capable de dire cequ’il ressent, de parler de ce qu’il ne comprendpas ou de ce qui lui fait peur. L’accompagner psy-chologiquement contribue à soulager sa dou-leur, à mieux comprendre ce qu’est sa maladieet, lorsque c’est possible, à améliorer sa coopé-ration et sa compliance dans son projet desoins. Mais il s’agit aussi bien entendu de conso-lider une identité qui chancelle du fait destroubles cognitifs, en particulier mnésiques, etdu délitement progressif de la pensée. Demême, maintenir la capacités d’investissement

Summary

Stress,Alzheimer’s disease andpsychotherapeutic supportThe patient affected by Alzheimer’s disease isconfronted with stressful and often painfulsituations all along his disease. Disclosure ofdiagnosis, even if expected, moments ofspatial disorientation, feeling of strangenessfacing objects and situations that he cannotunderstand anymore are some examples ofdisturbing situations that tend to generateimportant stress.This stress has to berecognized, evaluated and treated. At lower ormoderate stages of Alzheimer’s disease thepatient can still express what he feels andspeaks about his understandings or his fears.In these cases, psychological support will con-tribute to relieve his pain, help him to under-stand his disease and, if possible, amelioratehis cooperation in its treatment. Consolidatinghis identity, being affected by cognitivedecline, maintaining and reinforcing his capac-ity of communication are other importantaims of psychological intervention during thisdisease.

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Stress, maladie d’Alzheimer et soutien psychothérapiqueF. Moulin et al.

Key wordsStress, Alzheimer’s disease, psychotherapy.

relationnel et les capacités de communicationsont des objectifs centraux dans ces prises encharge du patient âgé dément.

Mots-clésStress, maladie d’Alzheimer, psychothérapie.

Moulin F., Cantegreil-Kallen I., De Rotrou J., Wenisch E., Batouche F., Richard A., Rigaud A.-S. NPG 2006; 6 (35): 46-48.

Le patient atteint de maladie d’Alzheimer est, tout au long de samaladie, confronté à des situations de stress potentiellementimportantes. Selon Kolbell (1), « le stress désigne un état de désé-quilibre physiologique et psychologique qui résulte d’une percep-tion subjective d’un individu de ne pas disposer des ressourcesinternes suffisantes pour faire face à la demande ». Ces épisodesde stress, lorsqu’ils se renouvellent trop souvent, peuvent entraî-ner un état de stress chronique dont on sait les effets délétèressur l’état cognitif du patient et sur son entourage proche, en par-ticulier sur son aidant naturel. De ce fait, ce stress doit être pris enconsidération et traité.Au cours de la maladie d’Alzheimer et du fait de ses troubles cogni-tifs, le patient risque de se trouver dans des situations génératricesde stress. C’est, par exemple, au moment de l’annonce du dia-gnostic qui peut faire émerger, parfois brutalement, des senti-ments et des émotions envahissants tels que la honte, la peur durejet et de l’échec ou la crainte de n’être plus pris au sérieux (2).C’est aussi la peur de l’avenir avec, en toile de fond, le spectre de ladépendance. A des stades plus évolués, le stress peut être déclen-ché par un sentiment d’incompréhension du monde environnant.De même, le chancellement de l’identité est une source majeurede stress et d’angoisse. Le stress entraîne des conséquences nom-breuses qui sont d’autant plus dommageables pour le patient qu’ils’installe durablement. En premier lieu, il affecte son assise nar-cissique dont témoignent à la fois la perte de confiance en sescapacités et la baisse de l’estime de soi. Il entraîne de l’anxiété,par-fois de l’angoisse, puis éventuellement, si rien n’est fait, de ladépression. L’évitement des situations difficiles et le repli sur soien sont des conséquences directes. En second lieu, il peut affecterl’environnement proche, en particulier l’aidant naturel dont le far-deau et l’épuisement augmentent. D’un point de vue relationnel,l’impact des troubles cognitifs et émotionnels peut être à l’originede conflits qui renvoient douloureusement le patient à ses inca-pacités. En outre, en retour, des réponses inadaptées de la familleou des aidants peuvent produire l’apparition de troubles du com-portement, voire une majoration des troubles cognitifs.Prendre en compte et gérer le stress constitue donc une priorité

pour le patient mais aussi pour sa famille. Le soutien psycholo-gique occupe une place de choix en ce qu’il va offrir un espace deparole où pourront s’exprimer les préoccupations, les craintes etles angoisses suscitées par la maladie. En outre, il faut pouvoiraider le patient à inscrire la maladie dans le décours de sa vie afinqu’elle prenne sens pour lui.Malgré tout, il est avéré que la prise en charge psychologique dela maladie ne pourra qu’être différenciée selon le stade de la mala-die et selon les ressources langagières du patient. Alors qu’à desstades débutants à modérément sévères de la maladie, les prisesen charge par la parole, individuelles ou en groupe, sont à privilé-gier, lorsque la maladie s’aggrave et que le langage se désarticule,les thérapies non verbales prennent le relais. Ce sont les thérapiespsychocorporelles qui privilégient la sensorialité telles que larelaxation, les massages, la balnéothérapie. Ce sont aussi l’art-thé-rapie, la musicothérapie, le travail sur les couleurs, le toucher ou legoût. Ici, l’objectif est la recherche du bien-être et le renforcementde l’identité. Certains auteurs (3, 4) insistent sur l’intérêt du tra-vail en groupe par la dynamique qu’elle produit.Nous nous attacherons ici particulièrement à la psychothérapiede soutien qui concerne donc des patients ayant conservé descapacités langagières suffisantes pour qu’un travail de ce typepuisse être envisagé. Au-delà des objectifs généraux des psycho-thérapies de soutien, les objectifs poursuivis dans le cadre de lamaladie d’Alzheimer varient en fonction de la problématiqueactuelle.Toutefois, dans tous les cas, il s’agit d’accompagner et desoutenir le patient dans les périodes difficiles.Au début de la maladie, c’est au moment de l’annonce du dia-gnostic qui est parfois vécue comme une déflagration psychiquesuivie de sidération puis d’angoisse. Il faut alors en soulageant lasouffrance aider le patient à accepter sa maladie et à comprendreses troubles. Il faudra aussi l’accompagner dans le travail de deuilde la fonction perdue et l’aider, lorsque c’est encore possible, àrelancer les investissements psychiques. Ceci contribuera à luttercontre l’apathie et le désintérêt dont on sait qu’ils apparaissentassez rapidement dans la maladie et qu’ils sont très mal toléréspar l’entourage. Lorsque la maladie est plus avancée, d’autres

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Pratique psychologique

chothérapiques devra être engagé afin de pouvoir proposer aupatient les axes de prises en charge les plus efficaces et les mieuxadaptés. ■

Références

1.Murphy LR,Hurell JJ,Sauter SL,Keita GP.When relaxation is not enough. Jobstress interventions.Washington DC : APA, 1995.2. Husband HJ. Disclosure of diagnosis in dementia :an opportunity for inter-vention? Int J Geriatr Psychiatry 2000 ; 15 : 544-7.3. Memin C. Les groupes de conversation. Gérontologie 1991 ; 78 : 10-3.4. Charazac P. Psychopathologie du sujet âgé. Paris : Dunod, 1998.5. Péruchon M, Thomé-Renault A. Destins ultimes de la pulsion de mort :figures de la vieillesse. Paris : Dunod, 1992.6.Hargrave TD,Midori-Hanna S.The aging family.New visions in theory,prac-tice and reality. New York : Brunner-Marel, 1997.7. Butler RN. The life review: an interpretation of reminiscence in the aged.Psychiatry 1963 ; 26 : 65-76.

objectifs se surajoutent. C’est, par exemple, la conservation descapacités de communication, notamment verbales, et des capaci-tés d’initiation et de maintien d’une relation interpersonnelle.Lorsque la pensée devient plus troublée, il s’agira plutôt de main-tenir les liens au niveau de la pensée (5) et de renforcer l’identitéqui vacille progressivement avec l’avancée de la maladie.Pour ce faire, diverses méthodes peuvent être utilisées, exclusive-ment ou conjointement, selon le patient et sa problématique oul’approche du thérapeute. Notons avant d’en décrire quelques-unes que, dans les pays anglo-saxons, il existe un large consensuspour affirmer que les thérapeutes, les patients et leurs famillesdoivent chacun être reconnus comme des experts (6). Dans notrepratique,nous adhérons à ce postulat de base car,en mettant cha-cun à même hauteur, il permet d’engager plus rapidement et plusaisément un processus thérapeutique actif. En premier lieu, nousciterons les méthodes qui s’appuient sur la mise au jour des carac-téristiques intrapsychiques des patients. Au niveau inconscient,cesont les mécanismes de défense ; à un niveau plus conscient, cesont les processus de coping. L’exploration de ces mécanismes etprocessus peut permettre, d’une part, de les utiliser pour résoudrela crise et développer de nouveaux champs d’investissement psy-chique, d’autre part, en les explicitant et en les réutilisant, de per-mettre l’acceptation de la maladie. Butler (6) propose par laméthode de « life review » de solliciter des souvenirs anciens afinde faire émerger des émotions qui seront utilisées pour avancervers l’acceptation de la maladie et l’inscrire dans la vie présente. Ici,la prise en charge ne peut être qu’individuelle et conduite par unpsychologue qui saura gérer les retours de souvenirs éventuelle-ment traumatiques.Au plan narcissique, un travail en groupe peut être efficace pouraméliorer la confiance en soi et l’estime de soi. Enfin, il est fonda-mental d’aider le patient à rechercher des supports d’aide quicontribueront à lutter contre le sentiment d’isolement. Un travaild’Hargrave et de Midori-Hanna (7) a montré que, pour éviter l’iso-lement, un patient doit disposer de deux personnes auxquelles ilpeut demander de l’aide en toute confiance. En outre, il faudra l’ai-der à développer sa confiance dans les autres,son entourage directou les soignants, dans le but d’améliorer sa compliance aux soinset, surtout, d’accepter l’aide de l’entourage, parfois vécue commeintrusive ou comme un signe de disqualification.Ainsi, la prise en considération de la souffrance du patient et deses préoccupations autour de la maladie et de l’avenir est primor-diale car, d’une part, elle permet l’amélioration de la complianceaux soins et, d’autre part, elle peut aider activement le patient àreconstruire une image de lui-même plus stable et plus positive.Pour cela, il nous semble toutefois nécessaire de promouvoir lacomplémentarité des approches afin de répondre aux besoins dupatient à un moment donné de la façon la plus pragmatique et laplus efficace.Dans les années à venir, un effort d’évaluation des pratiques psy-