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Headquarters International Crisis Group Avenue Louise 149 • 1050 Brussels, Belgium Tel: +32 2 502 90 38 • Fax: +32 2 502 50 38 [email protected] Sud de l’Algérie: turbulences à l’horizon Rapport Moyen-Orient et Afrique du Nord N°171 | 21 novembre 2016 Traduit de l’anglais

Sud de l’Algérie: turbulences à l’horizon · raison du recul de la production pétrolière et de la baisse des prix internationaux, l’Algérie est de moins en moins en mesure

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Sud de l’Algérie: turbulences à l’horizon Rapport Moyen-Orient et Afrique du Nord N°171 | 21 novembre 2016

Traduit de l’anglais

Table des matières

Synthèse .................................................................................................................................... i

I.  Introduction ..................................................................................................................... 1 

II.  Pourquoi le Sud compte ................................................................................................... 3 

A.  Le Sahara algérien ..................................................................................................... 3 

B.  Une région riche en ressources .................................................................................. 4 

C.  La transformation du Sud .......................................................................................... 6 

III.  Turbulences dans le Sud : trois études de cas .................................................................. 9 

A.  Ghardaïa ..................................................................................................................... 10 1.  Conflit ethno-sectaire : Mozabites vs Arabes ....................................................... 10 2.  Différences intra-communautaires ...................................................................... 11 3.  Une réponse confuse ............................................................................................ 13 

B.  In Salah ...................................................................................................................... 14 1.  D’un mouvement populaire pacifique … .............................................................. 14 2.  … à la violence et à la politisation......................................................................... 16 

C.  Ouargla : le mouvement des chômeurs ..................................................................... 18 1.  Les individus derrière la millioniya ..................................................................... 18 2.  Risques sécuritaires d’une mauvaise gestion de la « question du Sud » ............. 21 

IV.  Réponses de l’Etat ............................................................................................................ 23 

A.  Faire face à l’agitation du Sud .................................................................................... 23 

B.  Le Sud comme indicateur .......................................................................................... 24 

V.  Conclusion ........................................................................................................................ 26 

ANNEXES

A. Carte de l’Algérie .............................................................................................................. 28

B. Carte des champs de pétrole et de gaz en Algérie ............................................................ 29

C. Glossaire terminologique ................................................................................................. 30

D. A propos de International Crisis Group ........................................................................... 31

E. Rapports et briefings de Crisis Group sur l’Afrique depuis 2013 .................................... 32

F. Conseil d’administration de Crisis Group ........................................................................ 34

International Crisis Group

Rapport Moyen-Orient et Afrique du Nord N°171 21 novembre 2016

Synthèse

Depuis 2013, les zones riches en pétrole du Sud de l’Algérie, marginales politique-ment mais cruciales économiquement, ont connu des vagues successives de contes-tation qui peuvent sembler avoir été occasionnées par des problèmes économiques, environnementaux et communautaires locaux. Dans l’ensemble, cependant, une tendance se dégage : le ressentiment s’accroit à l’égard des autorités centrales dans une partie du pays longtemps restée secondaire politiquement. Face à ce méconten-tement croissant, les pouvoirs publics ont jusqu’à présent eu recours à la politique du bâton et de la carotte, qui a permis de sauvegarder une paix précaire mais n’a pas abordé les questions sous-jacentes. A l’approche d’une succession présidentielle in-certaine et compte tenu des conséquences douloureuses des faibles prix du pétrole, l’Algérie ne peut pas s’en tenir au traitement des symptômes ; elle devrait remédier aux insuffisances de la gouvernance et associer ses populations marginalisées à la prise de décision. Elle devrait le faire dès maintenant, tant que les difficultés sont encore amplement maitrisables, plutôt que de les laisser s’envenimer et influer dan-gereusement sur la transition politique à venir.

Trois mouvements distincts dans trois villes du Sud ont évolué ces dernières an-nées jusqu’à mobiliser des milliers d’Algériens, aussi bien dans la zone désertique qu’ailleurs dans le pays. Dans la ville historique de Ghardaïa, des affrontements récurrents ont eu lieu entre les Arabes sunnites et une minorité berbère adepte de l’ibadisme, une école islamique de jurisprudence, constituant l’un des rares cas de violence sectaire dans un pays majoritairement sunnite. C’est dans la ville de In Salah, dans l’extrême Sud, qu’est né le mouvement de protestation écologique le plus important du Maghreb, des milliers de personnes se mobilisant contre l’exploration du gaz de schiste que le gouvernement avait dissimulée. A Ouargla, le chômage gé-néralisé a suscité des émeutes parmi les jeunes, qui ont créé un mouvement exigeant qu’il soit mis fin à ce qu’ils estiment être un abandon des autorités centrales.

Ces questions, longtemps délaissées, doivent être prises au sérieux, non seulement dans l’intérêt de cette vaste région, mais aussi en raison de leur impact grandissant et bien réel sur le « cœur » politique du pays dans le Nord. Les autorités centrales d’Alger, qui ont tendance à regarder le mécontentement local avec méfiance, sous-estiment son ampleur. Elles continuent de raisonner en fonction de subventions, de répression et de maintien de l’ordre, des outils qui ont à peine pu empêcher qu’un cli-mat parfois violent ne dégénère. Le fait que la majeure partie du Sud reste calme et que l’Etat ait réussi à rétablir l’ordre dans les zones en proie aux turbulences indique que le malaise est encore maitrisable. Entraver l’éventualité d’une réapparition et d’une propagation de la contestation est une occasion autant qu’une nécessité : un engagement politique en profondeur porterait ses fruits à travers le pays.

Confrontée aux défis économiques les plus importants des dernières décennies en raison du recul de la production pétrolière et de la baisse des prix internationaux, l’Algérie est de moins en moins en mesure de substituer la dépense publique à une politique inclusive et à la bonne gouvernance. Une stratégie qui a contribué à la paix dans les années 2000 – alors que le pays se remettait d’un conflit entre l’Etat et les insurgés islamistes qui avait fait plus de 200 000 morts et qu’il recherchait la récon-

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ciliation nationale – n’est plus viable. L’instabilité de ces dernières années démontre que les citoyens du Sud ne sont plus disposés à taire leurs revendications d’un ren-forcement, par leur gouvernement, de la transparence, de la communication et du respect.

L’Etat algérien, né d’une longue lutte contre le colonialisme et partisan d’une doctrine stricte de la souveraineté, rejettera à coup sûr tout ce qu’il percevra comme de l’ingérence, ainsi qu’il interprète souvent les conseils extérieurs. Mais il devrait écouter ses citoyens : une grande partie de l’indignation des manifestants découle du sentiment qu’ils ne sont ni entendus ni impliqués. Le gouvernement devrait tenir compte de plusieurs exigences fondées dont la satisfaction contribuerait à renforcer la confiance. Celles-ci comprennent :

lancer une enquête parlementaire ou une autre forme d’investigation indépen-dante sous la direction de personnalités acceptées par les habitants de la région, pour examiner les relations intercommunautaires à Ghardaïa. Une telle entité pourrait rechercher les causes des violences passées, concevoir des mesures pour améliorer les relations communautaires, évaluer quelles réparations pourraient être faites et formuler des recommandations pour parfaire les stratégies de main-tien de l’ordre et la gouvernance locale ;

élaborer des procédures plus transparentes d’embauche dans le secteur public et améliorer les garanties d’équité lors de ces nominations. Promouvoir l’investis-sement privé responsable et la diversification de l’économie, actuellement très dépendante des industries extractives, dans les provinces sahariennes, permet-trait également de diminuer la pression sur l’Etat pour créer des emplois, qui pèse sur ses finances ; et

adopter une politique plus transparente en matière d’exploration et de production de gaz de schiste, en commençant par indiquer clairement où elle a lieu et en en-courageant la recherche sur ses effets potentiellement négatifs au niveau local et sur la façon de les atténuer. Cela pourrait revêtir la forme d’un dialogue avec les populations locales et d’une incitation du monde universitaire, des groupes de la société civile et des partenaires du secteur privé à participer. Au niveau national, les autorités devraient impulser un débat ouvert sur les avantages économiques et les écueils environnementaux potentiels de la fracturation hydraulique.

La contestation dans le Sud révèle un problème de gouvernance plus large dont les groupes jihadistes ont déjà cherché à tirer parti. Reconnue comme telle rapidement, elle pourrait encourager un changement de cap qui désamorcerait les tensions en ces temps de bouleversements géopolitiques mondiaux, de troubles régionaux, de réces-sion économique et d’incertitude politique. Les leçons tirées d’un tel exercice pour-raient être utiles pour relever d’autres défis auxquels le pays sera confronté dans les années à venir.

Alger/Bruxelles, 21 novembre 2016

International Crisis Group

Rapport Moyen-Orient et Afrique du Nord N°171 21 novembre 2016

Sud de l’Algérie: turbulences à l’horizon

I. Introduction

Le Sud de l’Algérie, vaste région si tuée au-delà des montagnes de l’Atlas et des hauts plateaux jouxtant la Méditerranée, qui occupe 85 pour cent du territoire national et comprend la quasi-totalité des réserves de pétrole et de gaz du pays mais moins de 9 pour cent de sa population, a longtemps été à l’abri des manifestations de masse et des insurrections armées qui ont sporadiquement éclaté dans le Nord depuis les an-nées 1980. Mais sous l’effet des soulèvements arabes et des griefs locaux, la politique dans le Sud est de plus en plus conflictuelle depuis 2013 et la région a supplanté le Nord comme épicentre de la contestation.

Trois sites, chacun avec des spécificités locales, ont démontré au cours des dernières années le potentiel de semer plus largement le trouble. Depuis 2013, les affrontements intercommunautaires entre Mozabites ibadites et Arabes sunnites malékites dans la vallée du Mzab ont causé des dizaines de morts, l’incendie et le pillage de milliers de commerces et de maisons et la destruction de sites du patrimoine culturel, notam-ment un tombeau ibadite classé par l’Unesco.1 La ville saharienne reculée d’In Salah est devenue le cœur d’une large mobilisation contre l’exploitation des gaz de schiste après l’annonce par le gouvernement du succès de forages exploratoires à proximité en décembre 2014. Des manifestations pacifiques contre le chômage dans les villes de Laghouat et Ouargla ont donné lieu à des arrestations et à des actes d’intimida-tion en 2013.

L’Etat est jusqu’à présent parvenu à contenir les tensions grâce à la politique bien connue de la carotte – qui comprend notamment les dhamanat (littéralement les « garanties » données, en l’occurrence de diverses réformes), le clientélisme et les largesses – et du bâton, via l’intimidation et le harcèlement des principaux artisans des manifestations. Aussi efficaces soient-elles à court terme, ces mesures, faute de traiter les causes politiques sous-jacentes des troubles, risquent à long terme de les exacerber. Déjà, les tensions et la violence se développent, se chevauchent et s’in-tensifient. De nouvelles formes de contestation apparaissent au fur et à mesure que le rôle joué par l’Etat-providence se réduit.2 Comme l’a préconisé Crisis Group en matière de politique étrangère, le gouvernement du président Abdelaziz Bouteflika, actuellement dans son quatrième mandat, doit construire une vision stratégique de long terme.3 1 Les Mozabites de la vallée du Mzab sont des adeptes amazighs de l’école ibadite de jurisprudence islamique, qui n’est courante qu’à Oman et Zanzibar, mais compte des adeptes en Algérie, en Libye et en Tunisie. Les malékites sont des adeptes de l’école de jurisprudence islamique fondée par l’imam Malik Ibn Anas, l’une des quatre principales écoles de l’islam sunnite et dominante au Maghreb. 2 La réduction des subventions à l’électricité, l’une des nombreuses mesures d’austérité modérée prévues dans les budgets de 2016 et 2017, suscite déjà de nouvelles protestations dans les villes du Sud comme Biskra, In Salah et Ouargla. Voir « Algérie : le Sud grogne contre une facture d’électri-cité salée », Jeune Afrique, 27 octobre 2016. 3 Rapport Moyen-Orient et Afrique du Nord de Crisis Group N°164, L’Algérie et ses voisins, 12 oc-tobre 2015.

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L’Etat algérien se présente souvent comme un modèle de sécurité et de stabilité en ces temps troublés, tandis que ses critiques dans le pays et à l’étranger affirment que la chute des prix du pétrole et l’incertitude quant à la succession présidentielle l’entrainent vers une nouvelle crise. La contestation dans le Sud pourrait être promet-teuse ou périlleuse, selon la façon dont elle est gérée. Prise en compte, elle pourrait encourager l’inclusion politique et la transparence ; sinon, une vulnérabilité majeure pourrait en résulter lorsque, probablement dans quelques années seulement, les recettes pétrolières s’amenuiseront.

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II. Pourquoi le Sud compte

A. Le Sahara algérien

L’Algérie n’a pris forme comme territoire unifié qu’aux dix-neuvième et vingtième siècles, après des vagues de conquête (par l’Empire ottoman au seizième siècle et la France au dix-neuvième siècle) et le règlement des différends territoriaux avec son voisin marocain (au vingtième siècle). Historiquement, le contrôle sur les régions qui constituent aujourd’hui le Sud était axé sur les routes commerciales ; le pouvoir était concentré autour de la côte, ne s’étendant que faiblement vers l’intérieur et à peine vers le Sahara.4 Les Français ont commencé à définir la frontière sud du pays au milieu du dix-neuvième siècle, un processus qui n’a abouti qu’au début du vingtième. Depuis l’indépendance en 1962, l’Etat s’est employé, de façon inégale, à intégrer le Sud dans le tissu national.

Les autorités centrales ont depuis longtemps une relation ambivalente avec les régions du Sud. Le faible contrôle qu’elles y exercent a posé des dilemmes sécuritaires. La région est par exemple connue pour avoir servi de refuge, au dix-neuvième siècle, à l’émir Abdelkader, le chef rebelle de la lutte anticoloniale contre les Français. Mû davantage par un vœu pieux que par une véritable compréhension de la réalité sur le terrain, l’Etat – d’abord français puis algérien – a considéré les populations du Sud comme mieux disposées à son contrôle que celles du Nord ; cette perception s’est re-flétée au milieu du dix-neuvième siècle dans la notion de « pénétration pacifique », qui a ensuite évolué vers l’idée de « Sud tranquille » à la fin du vingtième siècle, quand le Nord a sombré dans la violence.5 Mais alors que l’activisme politique a longtemps été plus dynamique dans le Nord, la perception erronée de la passivité du Sud a eu des conséquences réelles et dangereuses, contribuant sans doute à la négligence des décideurs politiques vis-à-vis des besoins et doléances de la région.

Tandis que l’Algérie indépendante bâtissait une identité nationale fondée sur des idéologies socialiste et nationaliste arabe, elle a cherché à réduire les disparités entre les régions, avec un succès limité. Les réserves d’hydrocarbures du Sud, découvertes dans les années 1950, ont façonné les infrastructures de la région, construites autour de l’extraction et du transport du pétrole et du gaz. La politique menée par l’Etat mettait officiellement l’accent sur l’égalité régionale, mais la sécurité, surtout mais pas seulement depuis la guerre civile des années 1990, était la pièce maîtresse. Tout comme la politique d’arabisation ; la poursuite de l’objectif affiché de la cohésion na-tionale et de l’intégration sociale, en imposant l’arabe comme langue de l’enseigne-ment et de l’administration, s’est faite au détriment des locuteurs du français et du tamazight (berbère), causant des protestations parmi ces derniers.

Au début des années 2000, le contraste entre un Sahara algérien riche en ressources et le relatif dénuement de ses résidents s’est accentué. Le Mouvement des enfants du Sud pour la justice (MSJ), fondé en 2004, a revendiqué de plus grandes perspectives

4 Y. Kouzmine, J. Fontaine, B.E. Yousfi et T. Otmane, « Étapes de la structuration d’un désert : l’espace saharien algérien entre convoitises économiques, projets politiques et aménagement du territoire », Annales de géographie, no. 670, 6 (2009), p. 659-685. 5 Voir Benjamin Claude Brower, A Desert Named Peace (New York, 2009), p. 22, 207. Voir Annexe C ci-après pour un glossaire terminologique.

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économiques et une répartition plus juste des richesses. Alors que les investissements étrangers étaient en hausse et que le marché de l’emploi s’améliorait, les habitants du Sud en profitaient peu, même si leur région produisait la majeure partie de la richesse du pays.

Parallèlement, l’activité jihadiste progressait. Abdelmalek Droukdel, chef du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), une organisation algérienne basée en Kabylie et créé en 1998, a détourné son attention du Nord, réfréné ses ambitions de frapper l’Europe, ce que son groupe avait échoué à faire, et s’est concentré sur la création de katibas (brigades) sahariennes. Sous Mokhtar Belmokhtar et Abdel-hamid Abou Zeid, celles-ci ont mené des attaques contre des cibles occidentales dans certaines parties du Sahara algérien et la plus vaste région du Sahel, comme le Mali et la Mauritanie, où la sécurité était faible.6 Elles se sont enrichies grâce à la contre-bande et aux rançons pour la libération d’otages occidentaux.7

Le GSPC s’est officiellement affilié à al-Qaeda en 2007, année où il a été rebaptisé al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI). L’intérêt jihadiste pour le Sahara, qui, au cours des années 1990, a surtout servi de plateforme logistique et d’appui, a culminé en 2012 avec la prise du Nord du Mali par AQMI, en collaboration avec les groupes jihadistes transsahéliens Ansar Dine et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). L’opération française Serval, lancée en janvier 2013, a abouti à la reconquête des villes du Nord du Mali, mais les attaques contre les cibles militaires et civiles restent communes dans la région, alors que la mise en œuvre de l’accord de paix d’Alger conclu en juin 2015 entre les rebelles du Nord non jihadistes et les autorités maliennes est au point mort.8

B. Une région riche en ressources

Les frustrations anciennes du Sud se sont renforcées au cours des quinze dernières années en raison de la mauvaise gestion et de l’évolution de l’économie mondiale. Au début des années 2000, le gouvernement du président Bouteflika avait fait naitre l’espoir d’une hausse de la prospérité en libéralisant le secteur du pétrole et du gaz.9 Une nouvelle loi sur les hydrocarbures, promulguée en 2005, destinée à attirer les

6 Le désert du Sahara englobe la majeure partie de l’Afrique du Nord à l’est des montagnes de l’Atlas et au sud des régions fertiles de la côte méditerranéenne. Dans ce rapport, le « Sahara algé-rien » désigne la partie située en Algérie et le Sahel renvoie à la région semi-aride à l’extrémité sud du Sahara s’étendant de l’océan Atlantique à la mer Rouge, y compris les zones les plus méridio-nales de l’Algérie et des parties des Etats voisins. 7 Voir Jean-Pierre Filiu, « The Fractured Jihadi Movement in the Sahara », Current Trends in Islamist Ideology, 10 janvier 2014. L’émir d’AQMI Abdelmalek Droukdel, un « Arabe afghan » et ancien commandant du GSPC, serait toujours basé en Kabylie. Son adjoint dans le Sahara, Abdel-hamid Abou Zeid, a été tué lors d’une frappe aérienne française au Nord du Mali en février 2013. Mokhtar Belmokhtar, cerveau de l’attaque d’In Amenas, commande le groupe jihadiste al-Mourabi-toune, qui a des liens avec al-Qaeda et l’Etat islamique (EI) et porte la responsabilité d’attaques vers l’ouest jusqu’en Côte d’Ivoire. Sa mort a été annoncée à maintes reprises, notamment après un raid aérien américain en Libye dont il était la cible en juin 2015, mais il serait toujours en vie. 8 Voir le rapport Afrique de Crisis Group N°226, Mali : la paix à marche forcée?, 22 mai 2015 ; et le briefing Afrique N°115, Mali : la paix venue d’en bas?, 14 décembre 2015. 9 De jeunes chômeurs urbains rappellent qu’ils espéraient bénéficier des nouveaux emplois et inves-tissements. Entretiens de Crisis Group, activistes du Sud, Ouargla, mai 2015.

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investissements étrangers en assouplissant les règles en matière de propriété, a dé-clenché une vague de prospection et de production dans le Sud.10 Mais Bouteflika, pour des raisons qui restent obscures, a fait marche arrière lorsque l’ordonnance pré-sidentielle relative aux hydrocarbures de 2006 a rétabli l’exigence que l’entreprise publique Sonatrach détienne une participation majoritaire dans la quasi-totalité des activités en amont, intermédiaires et en aval.

Au cours des années suivantes et jusqu’en 2013, les espoirs des populations du Sud ont pris un goût amer. Même lorsque les prix du pétrole se sont envolés, permet-tant à l’Algérie d’accumuler des réserves de change de 200 milliards de dollars en 2012, les investissements sociaux ne se sont pas concrétisés et les scandales de cor-ruption se sont multipliés. De nombreux habitants du Sud en sont venus à percevoir les autorités nationales et les entreprises multinationales au mieux comme impru-dentes, au pire comme criminelles. Un militant du Sud déclare ainsi : « Bouteflika les a autorisées à venir, toutes sortes d’entreprises avec toutes sortes d’activités ; elles ont foré dans le Sud sans protéger l’environnement et ne font rien pour la société. Elles ne créent même pas d’emplois locaux : elles ramènent leurs propres employés ».11

En 2010, après six mois d’enquête du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) – l’agence de renseignement aujourd’hui disparue mais puissante à l’époque et souvent à couteaux tirés avec la présidence au cours de la dernière décen-nie –, des accusations de corruption ont été portées à l’encontre de Mohamed Me-ziane, le PDG de Sonatrach, de ses deux fils et de plusieurs dirigeants. La corruption aux plus hauts niveaux de l’entreprise, impliquée dans chaque exploitation pétrolière du pays, aurait coûté à l’Algérie des milliards de dollars de revenus annuels dans le seul secteur pétrolier.12

Au cours des cinq dernières années, la production pétrolière a baissé, les obstacles bureaucratiques et la mauvaise gestion des réserves de pétrole et de gaz convention-nel faisant fuir les investisseurs. L’Algérie est très dépendante des exportations d’hy-drocarbures, qui représentent 98 pour cent de ses devises étrangères (70 pour cent du revenu national). Avec la baisse de la production destinée à l’exportation, la hausse de la demande intérieure due à la croissance démographique, et la chute vertigineuse des prix du pétrole en 2015, un point de rupture budgétaire se profile dans les trois années à venir : à niveau de dépenses constant, le Fonds de régulation des recettes, fonds souverain créé en 2000 pour gérer les recettes d’hydrocarbures excédentaires,

10 La loi de 2005 a mis fin au monopole de Sonatrach sur l’exploration, la production et le transport des hydrocarbures, l’obligeant à faire face à la concurrence d’entreprises pétrolières internationales investissant dans les activités libéralisées. 11 Entretien de Crisis Group, activiste du Sud, Adrar, mai 2015. 12 Aomar Aouli, « Algeria oil corruption trial begins after 5-year delay », Associated Press, 15 mars 2015. Pour des informations sur la rivalité entre le DRS et le président Bouteflika, voir le rapport L’Algérie et ses voisins, op. cit. Saipem, la filiale d’ENI, est actuellement en procès à la suite d’allé-gations selon lesquelles elle aurait versé 200 millions de dollars de pots-de-vin à Sonatrach entre 2007 et 2010, en échange de sept contrats d’une valeur de 8 milliards d’euros. Début 2016, un tri-bunal pénal a condamné six personnes, dont Meziane et ses deux fils, à la prison pour des délits de corruption allant du détournement de fonds publics à l’acceptation de pots-de-vin. « Affaire Sona-trach 1 : sursis pour Mohamed Meziane, prison ferme pour son fils », TSA, 2 février 2016.

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devrait s’assécher en 2016 et les réserves de devises, qui avaient chuté de 35 milliards de dollars, à 143 milliards de dollars en 2015, devraient être épuisées d’ici 2018.13

Le gouvernement a cherché une solution dans la prospection du gaz de schiste. L’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA) estime que l’Algérie détient près de 20 000 millions de mètres cubes de gaz de schiste techniquement récupé-rable et 5,7 milliards de barils de pétrole de schiste techniquement récupérable, ce qui la place au troisième rang après la Chine et l’Argentine en matière de ressources d’hydrocarbures de schiste techniquement récupérables.14 Un connaisseur de longue date du secteur algérien des hydrocarbures déclare :

Le schiste est une aubaine pour l’Algérie. En ce moment, le point de vue de l’in-dustrie est que le pays est un perdant – il est en train de produire du pétrole et du gaz mais pas de manière rentable ou concurrentielle. Mais s’il devient un produc-teur de schiste, alors il peut répondre à ses besoins énergétiques domestiques et exporter vers l’Europe.15

Les spécialistes du secteur affirment également qu’une meilleure gestion, l’adoption de mesures de lutte contre la corruption et l’allègement des lourdeurs administratives pourraient augmenter la production de gaz et de pétrole conventionnels de façon suffisante pour compenser la baisse des prix, et ce avec moins de répercussions poli-tiques que le développement des sources non conventionnelles comme le schiste.16

C. La transformation du Sud

Avec la chute des prix et de la production de pétrole, la capacité de l’Etat à acheter la paix sociale a également diminué, mais miser sur une économie de rente, même lorsqu’ elle fonctionne bien, pourrait s’avérer risqué. Le recours excessif à la seule redistri-bution de la rente peut masquer les raisons du mécontentement et les revendications de justice, d’égalité et de dignité.17 Un soutien généreux peut satisfaire temporaire-ment suffisamment de gens pour freiner la montée du ressentiment, mais cela n’est au mieux qu’une solution provisoire alors que l’économie se détériore, surtout quand des jihadistes dans les pays voisins ont démontré leur capacité à exploiter les crises sociales et plus encore les réponses gouvernementales inadaptées et souvent mus-clées. Le sentiment d’exclusion du Sud ne peut en fin de compte être soulagé que par

13 British Gas et Total ont chacun abandonné un champ au cours des deux dernières années, en rai-son d’obstacles comme un nouveau permis de prospection de trois ans, alors qu’un permis de cinq à dix ans est la norme dans le secteur. La réponse aux appels d’offres depuis 2007 a été « déplorable ». Entretien de Crisis Group, dirigeant d’une entreprise pétrolière internationale, Alger, mai 2015. George Joffe, « Fracking won’t fix Algeria’s oil woes », al-Araby al-Jadeed, 13 mars 2015. « Le fonds de régulation des recettes s’épuisera dès la fin de l’été 2016, selon des experts », Maghreb Emer-gent, 5 mars 2016. 14 Entretien de Crisis Group, analyste principal d’une société pétrolière, Alger, juin 2015. « World Shale Resource Assessments », EIA, 24 septembre 2015. 15 Entretien de Crisis Group, Geoff Porter, PDG, North Africa Risk Consulting, juin 2016. 16 Entretien de Crisis Group, conseiller principal d’une compagnie pétrolière étrangère, Alger, juin 2015. 17 Naoual Belakhdar, « “L’Eveil du Sud” ou quand la contestation vient de la marge », Politique africaine, no. 137, mars 2015, p. 27-48.

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une meilleure représentation et intégration au niveau national, la reconnaissance des besoins et des défis spécifiques de la région, et une répartition plus équitable des ressources.

Le Sud connait des mutations profondes, impulsées par près de 2 pour cent de croissance démographique annuelle au niveau national, une urbanisation rapide (69 pour cent de la population était rurale à l’indépendance ; 70 pour cent vit aujourd’hui en ville) et des attentes croissantes suscitées par l’éducation et l’ère d’Internet.18 La région ne compte que 10 pour cent de la population totale, mais 36 pour cent des communes pauvres du pays.19

La composition ethnique du Sud, qui inclut d’importantes communautés ethno-linguistiques amazighes comme les Touaregs, les Ouarglis et les Mozabites, com-plexifie davantage la dynamique sociale.20 Le parti au pouvoir à Alger, le Front de libération nationale (FLN), poursuit depuis longtemps une politique de cooptation des dirigeants politiques et religieux traditionnels des groupes du Sud, comme les zaouias (confréries soufies), les amenokal touaregs (chefs traditionnels tribaux et régionaux) et la direction politique mozabite organisée connue sous le nom de majlis al-qurthi. L’administration locale dans les provinces du Sud, considérée comme favorisant les Arabes et les élites amazighes cooptées, est généralement dirigée par des gens du Nord.21 La cooptation des élites crée un semblant d’inclusion mais tend à répartir les ressources de façon très étroite ; de nombreux habitants du Sud socia-lement influents, notamment la jeunesse urbaine, les syndicalistes et même les élites traditionnelles ont l’impression que des étrangers régissent leur vie en fonction de leurs propres priorités.

Les manifestations, les grèves et la violence occasionnelles dans le Nord dans les années 1970 et 1980, revendiquant les droits économiques et des minorités, avaient culminé avec les émeutes d’octobre 1988 contre la hausse des prix, le chômage et l’austérité. La contestation s’est estompée dans les années 1990, lorsque la crise sé-curitaire a éclipsé les questions sociales.22 Elle a refait surface dans le Sud au cours des quinze premières années de ce siècle, lorsque le MSJ nouvellement créé a exigé des solutions face au chômage et à l’inégalité régionale, inscrivant pour la première fois les préoccupations du Sud à l’ordre du jour national. Le Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) a été créé à Ouargla après une décennie d’incubation ; des citoyens à In Salah ont lancé un mouvement national contre la fracturation hydraulique, déclenchant des manifestations à Alger, Oran et Constan-tine, ainsi que dans des villes du Sud ; et les affrontements intercommunautaires à Ghardaïa ont provoqué la première grève des forces de sécurité à Alger, qui ont pro-testé devant le bureau du président.

18 « Rapport national sur l’habitat pour la Conférence sur l’habitat », République algérienne démo-cratique et populaire, juillet 2014. Le développement de l’éducation et des infrastructures dans les années 1970, conjugué aux politiques de sédentarisation et aux transferts de population, a préparé le terrain à un surplus de diplômés chômeurs à Ouargla et à une diffusion de l’expertise pétrolière et gazière à In Salah. 19 Luis Martinez et Rasmus Alenius Boserup (eds), Algeria Modern (Londres, 2016), p. 24. 20 Les chiffres sont flous car l’Etat a aboli les catégories ethniques lors du recensement de 1966. 21 Entretiens de Crisis Group, résidents locaux, Ghardaïa, Ouargla, In Salah, mai 2015, mai 2016. 22 Belakhdar, « “L’Eveil du Sud” », op. cit.

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L’agitation prolongée sur ces sites, même si elle est sporadique, suggère l’émer-gence d’une dynamique politique spécifiquement méridionale. Les lacunes de la gou-vernance dans ces zones riches en pétrole se ressentent de façon particulièrement forte. Le Sud, bien moins peuplé, bien plus important stratégiquement en matière de ressources naturelles et bien plus difficile à contrôler compte tenu de sa géographie, a remplacé les régions du Nord comme la Kabylie en tant qu’épicentre de la contes-tation. Ses doléances sont un ensemble de préoccupations sociales, économiques, politiques et environnementales étroitement liées, en partie spécifiques à ses com-munautés mais reflétant aussi le sentiment national, notamment le ressentiment à l’égard d’un Etat rentier en crise.

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III. Turbulences dans le Sud : trois études de cas

La simultanéité des troubles à In Salah, Ouargla et Ghardaïa, en particulier vu le calme relatif dans le reste du pays, démontre le rôle central du Sahara pour la paix et la sécurité en Algérie aujourd’hui.23 Alors que les hauts responsables ont tendance à décrire les militants du Sud comme des séparatistes, ces derniers se battent, de diffé-rentes façons, pour plus d’inclusion et pour avoir voix au chapitre dans les affaires publiques.24 Les revendications pour obtenir plus de bénéfices de l’extraction des ressources naturelles, ce qu’un analyste appelle « le régionalisme des ressources », ainsi que des préoccupations environnementales, alimentent les mouvements de protestation à Ouargla et In Salah.25 Une politique d’exclusion et la mauvaise gou-vernance dans une zone riche en ressources ont contribué à exacerber les tensions à Ghardaïa, où elles ont pris la forme d’un conflit intercommunautaire.

La crise de Ghardaïa est distincte en ce qu’elle combine la question des minorités ethniques et religieuses et les préoccupations politiques et économiques qui existent ailleurs dans le Sud.26 Les Mozabites de la vallée du Mzab, des disciples amazighs de l’école ibadite, disent que les politiques d’arabisation constituent une discrimination structurelle à leur égard, et qu’ils subissent des attaques d’Arabes malékites contre leurs domiciles, leurs symboles religieux et leurs entreprises.27

Leur prépondérance démographique historique dans la vallée du Mzab a été mi-née par un déplacement rapide de la population depuis les années 1980, dû en partie à la sédentarisation de tribus arabes par l’Etat et à la désignation de Ghardaïa comme capitale provinciale en 1985. Cela, affirment-ils, a multiplié les postes administratifs officiels occupés principalement par des Arabes et accentué les tensions entre les classes, opposant les Mozabites urbains relativement riches aux Arabes bédouins pauvres qui ont utilisé les partis nationaux arabes et leur influence pour la mobilité

23 Entretien de Crisis Group, Dida Badi, directeur de recherche, Centre national de recherches pré-historiques, anthropologiques et historiques, Alger, mai 2015. Néanmoins, alors que l’épicentre de l’agitation permanente s’est déplacé vers le Sud, un rapport officiel de gendarmerie a enregistré 429 « troubles à l’ordre public » au cours du deuxième trimestre de l’année 2016 (soit une moyenne de cinq par jour), avec des interventions dans les centres urbains du Nord comme Médéa, Alger, Bou-merdès, Blida, Annaba et Skikda. « La gendarmerie s’inquiète d’une situation sociale qui reste pré-occupante », TSA, 8 août 2016. 24 « [Le Premier ministre Abdelmalek Sellal] nous accuse d’être des séparatistes. Nous ne négocie-rons pas avec lui … ». Voir « Ouargla : les organisateurs de la marche du 14 mars refusent de ren-contrer l’envoyé spécial de Sellal », Algerie-focus.com, 11 mars 2013. 25 « Si le nationalisme des ressources consistait, pour des Etats, à exiger plus de bénéfices de l’ex-traction des ressources naturelles par des entreprises étrangères, alors le régionalisme des ressources, c’est lorsque les communautés locales réclament plus d’avantages à ces mêmes industries, mais aux dépens de l’Etat central. » Geoff Porter, « The new resource regionalism in North Africa and the Sahara », Dossiers du CERI, Centre de recherches internationales, juillet 2013. 26 Le « printemps berbère » a été une période d’activisme en Kabylie et à Alger en 1980, qui a été violemment écrasée par l’armée. 27 Les Mozabites d’Algérie sont les fondateurs d’une pentapole vieille de 1 000 ans (un groupe de cinq villes comprenant Ghardaïa, Beni Isguen, El-Ateuf, Melika et Bounoura, et englobant aussi les villes plus récemment établies de Berriane et Guerrara) à 600 kilomètres au sud d’Alger. Sur les allégations de discrimination contre les Mozabites, voir ci-après.

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sociale.28 Plus récemment, les prédicateurs takfiri de la région ont accentué la stig-matisation des Mozabites comme « apostats chiites », justifiant ainsi les violentes attaques à leur encontre.29

A. Ghardaïa

1. Conflit ethno-sectaire : Mozabites vs Arabes

Depuis 2013, les tensions locales entre Mozabites et Arabes se déclenchent vite et sont quasiment impossibles à dissiper.30 La province (wilaya) de Ghardaïa compte une douzaine de villes et environ 360 000 habitants. En octobre 2015, après avoir été postés là pendant dix mois dans des conditions difficiles, des centaines de poli-ciers anti-émeutes sont rentrés dans la capitale et, avec des collègues restés à Ghar-daïa et quelques dizaines d’autres à Oran, ont lancé la première grève par des forces de sécurité dans le pays, exigeant une amélioration des conditions de travail et la fin des longs déploiements.31 Quand les manifestants à Alger se sont rendus au palais d’El Mouradia, siège de la présidence, ils se sont retrouvés face à la garde présiden-tielle. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal les a reçus le soir même, promettant de répondre à leurs revendications, mais pas à la principale, à savoir le départ du chef de la police, le général-major Abdelghani Hamel.

L’escalade entre les groupes mozabites et arabes a commencé en novembre 2013, lorsque 150 personnes ont été arrêtées lors d’affrontements au cours d’un match de football à Guerrara, à 100 kilomètres au nord-est de Ghardaïa. Les Mozabites ont alors estimé que les forces de sécurité étaient intervenues aux côtés des Arabes, une perception partagée par des observateurs neutres.32 Le mois suivant, des manifes-tants mozabites ont bloqué le centre de Ghardaïa, exigeant que les autorités dévoi-lent des logements publics et des attributions de terre. Après la réouverture de la zone par la police, des commerces mozabites ont été incendiés, ce qui a entrainé de nouvelles représailles et contre-représailles. En fin de compte, quinze personnes ont été tuées, mozabites pour la plupart.33

28 Entretiens de Crisis Group, résidents mozabites, Ghardaïa, mai 2015. Nacer Djabi, « Solving the tensions in Algeria’s Ghardaia region », Arab Reform Initiative, juillet 2015. 29 Le takfir est l’acte par lequel un musulman déclare qu’un autre musulman est un kaffir (mécréant). Les takfiris sont des islamistes radicaux (y compris la plupart des groupes jihadistes sunnites con-temporains) qui pratiquent le takfir, souvent pour autoriser la violence meurtrière contre d’autres musulmans qui autrement violerait une injonction coranique. Certains takfiris considèrent à tort les Ibadites comme étant des chiites. 30 Des débordements ont eu lieu à Ghardaïa, Berriane et Guerrara. La violence actuelle a éclaté en 2013, mais les affrontements remontent à 1985, lorsqu’à Ghardaïa, des terres, appartenant presque entièrement à des Mozabites, ont été saisies et distribuées aux Arabes dans le cadre du processus de sédentarisation visant à étendre le contrôle sur les populations souvent nomades du Sud reculé. 31 L’unité de police anti-émeutes des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) était responsable de la grève, exigeant de meilleures conditions de travail, le droit de se syndiquer et le départ du directeur général de la sécurité nationale (DGSN), le général-major Abdelghani Hamel. 32 Entretiens de Crisis Group, activistes mozabites, journalistes locaux, Ghardaïa et Alger, mai 2015 ; Ghardaïa, mai 2016. 33 Les Mozabites affirment que le chef de la sécurité de la wilaya, Abdelhak Bouraoui, apparait clai-rement dans la vidéo filmée avec un téléphone portable de la profanation d’un cimetière mozabite et de la destruction du mausolée du cheikh mozabite Ammi Said, un site sacré pour les Mozabites et

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Pendant les deux années suivantes, dans un climat de violence occasionnellement mortelle, les quartiers mixtes de la communauté ont opéré une auto-ségrégation. Des résidents de longue date ont été poussés au départ sous les menaces de voisins et par leurs propres peurs. Les Mozabites et les Arabes qui s’aventuraient loin de leur rue ou de leur quartier couraient un danger ; seuls les migrants subsahariens, consi-dérés comme neutres, pouvaient traverser sans crainte ces frontières invisibles. Armés de couteaux et de cocktails Molotov, les Mozabites ont constitué des groupes d’autodéfense et filmé et diffusé des vidéos de policiers protégeant des manifestants arabes, preuve selon eux du parti pris des autorités.34

La violence a culminé en 2015. En juin, pendant le Ramadan, des Arabes ont lancé des cocktails Molotov sur une voiture à Berriane, brûlant gravement quatre Moza-bites. Le mois suivant, il y a eu des dizaines de morts et des centaines de blessés de part et d’autre en moins d’une semaine. L’armée a été déployée pour maitriser la situation, mais entre-temps, des milliers de foyers et de commerces avaient été in-cendiés et les écoles fermées pendant de longues périodes.35

2. Différences intra-communautaires

Les tensions ont mis en évidence des différences non seulement entre les deux com-munautés, mais au sein de celles-ci. Tandis que les conditions sociales et économiques se détérioraient, les élites mozabites – qui forment des réseaux spirituels, politiques, tribaux et de voisinage fortement structurés et imbriqués – ont perdu le soutien de certains jeunes de la communauté.36 Les autorités traditionnelles, incapables de pro-téger les leurs et considérées comme cooptées par l’Etat, perdent du terrain au profit d’ardents militants comme Fekhar Kameleddine, le médecin devenu activiste qui a fondé le Mouvement pour l’autonomie du Mzab et écrit au Secrétaire général de l’ONU pour dénoncer une campagne de « nettoyage ethnique » menée par l’Etat algérien.37

classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Voir ImazighenLibya, youtube.com/watch?v=kyUhr0_ FAzo, YouTube, 6 février 2014 et mzab europe youtube.com/watch?v=i7N21E0nsQI, YouTube, 14 avril 2014. 34 Entretien de Crisis Group, journaliste local, Ghardaïa, juin 2015. « Nous avons commencé à for-mer des groupes d’autodéfense quand on s’est rendu compte que nos maisons étaient en train d’être brûlées et que la police intervenait du côté des Arabes. » Entretien de Crisis Group, chef d’un groupe mozabite d’autodéfense, Ghardaïa, mai 2015. Il a affirmé que des dizaines de patrouilles de voisinage se sont formées depuis, et que même les élèves du secondaire avaient des unités avec des armes légères. « En Algérie, Ghardaïa enflammée par les violences communautaires », Le Monde, 19 février 2014. 35 « Ghardaïa : nouvelles échauffourées entre jeunes à Berriane », Algérie Presse Service, 17 juin 2015. Les combats les plus intenses et prolongés se sont déroulés dans des quartiers mixtes comme Thienniet al-Makhzen et Hajj Massoud, et autour du bloc de logements d’al-Qurthi, auquel un mil-lier de résidents arabes ne pouvaient accéder qu’en traversant une zone mozabite où ils étaient la cible de pierres et de cocktails Molotov. 36 Il y a environ 200 groupes tribaux dans la communauté mozabite, répartis entre sept villes prin-cipales – la pentapole de Ghardaïa, plus Guerrara et Berriane – chacune avec une autorité tribale (majmua ashair) chargée de questions sociales comme l’éducation. Le majlis al-qurthi regroupe les élites des sept villes et sert d’interface politique avec les autorités algériennes. 37 « Appel de détresse et demande d’intervention urgente!! », lettre ouverte du Dr Kameleddine Fekhar au secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon, 3 juillet 2015, publiée par siwel.info.

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Beaucoup de jeunes Mozabites, qui perçoivent leurs difficultés en termes com-munautaires, ont conclu que leur seule option réaliste était de riposter.38 Les organes conservateurs traditionnels de la communauté, comme le majlis al-qurthi (le conseil régional qui maintient des liens forts avec l’Etat) ont au contraire appelé au calme et expliqué que le climat d’insécurité était moins dû à la violence ethnique qu’à la dété-rioration de l’ordre public. Justifiant la préférence du conseil pour la négociation, l’un de ses membres déclare :

De notre point de vue, il ne s’agit pas d’incidents intercommunautaires. Des at-taques répétées sont menées par des mafias criminelles organisées. Mais de notre côté, conscients que nous avons subi la plupart des dommages, nous avons d’abord essayé de prendre un moment pour réfléchir et observer. Et nous avons rappelé à l’Etat son devoir de préserver, conformément à la Constitution, la sécurité des citoyens et de leurs biens.39

Alors que le conseil se dit satisfait de la façon dont l’Etat fait face à la situation, l’un de ses membres a récemment quitté la maison qu’il habitait depuis 40 ans dans le quartier autrefois mixte et maintenant auto-ségrégué de Tahnia el-Makhzen à Ghar-daïa, après que des Arabes l’ont saccagée. Il déplore : « Tout ce qu’on peut faire, c’est ravaler l’humiliation et sourire ».40

Les communautés arabes se fragmentent aussi, mais différemment. Comparés aux Mozabites, les Arabes de la région de Ghardaïa manquent de structures unifica-trices. Ils constituent un amalgame de tribus régionales, les Chaamba, Medebi, Said et Mokhadema, en plus des migrants économiques venus d’autres régions en Algérie. Dans l’ensemble, elles deviennent plus salafistes et comprennent des éléments mili-tants.41 L’incitation à la violence est venue, par exemple, d’Ahmed Seqlab, un jeune prédicateur de Berriane formé en Arabie saoudite et qui bénéficie d’un large audi-toire en ligne. De même, la chaîne privée de télévision par satellite saoudienne Iqraa, populaire parmi les salafistes algériens, a diffusé la fatwa d’un religieux algérien déclarant que les Ibadites étaient « les ennemis d’Allah ».42

L’antipathie des Arabes pour leurs voisins mozabites a aussi d’autres origines. Etablis depuis longtemps dans les villes, ayant bâti des liens commerciaux et investi dans l’éducation, les Mozabites ont tendance à mieux réussir sur le plan commercial. Ils bénéficient également de certains droits réservés aux minorités ; les méthodes et le contenu de l’enseignement dans leurs écoles privées et leurs mosquées, par exemple, ne sont pas soumis au contrôle de l’Etat, contrairement à ceux des Arabes. Pourtant, dans l’ensemble, ces derniers ont tendance à se sentir représentés par l’Etat

38 Entretiens de Crisis Group, groupes mozabites d’autodéfense, Ghardaïa, juin 2015. Les sites pro amazigh comme siwel.info et tamazgha.fr affirment que les Mozabites sont confrontés à des cam-pagnes d’éradication ; certains groupes sur Facebook incitent ouvertement à la violence. 39 Entretien de Crisis Group, direction du majlis al-qurthi, Ghardaïa, mai 2015. 40 Entretiens de Crisis Group, membres du majlis al-qurthi, Ghardaïa, mai 2015. 41 Entretien de Crisis Group, Dida Badi, directeur de recherche, Centre national de recherches pré-historiques, anthropologiques et historiques, Alger, mai 2015. 42 « Message au gouvernement algérien », www.youtube.com/watch?v=2MXJD35U3SY, YouTube, 4 août 2014. « Ghardaïa : les tenants et aboutissants d’une fitna organisée », Algerie-Focus.com, 9 juillet 2015.

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algérien.43 En ce sens, l’autonomie culturelle mozabite est pour les Arabes moins une chose à imiter qu’une menace à contenir, et l’Etat est pour ce faire un allié. Un res-ponsable communautaire arabe déclare :

Les Mozabites qui passent par les écoles privées ont des complexes vis-à-vis des Arabes. Les Ibadites disent qu’ils sont le seul groupe à être sur la bonne voie ; ils se considèrent supérieurs. L’Etat devrait placer ces écoles sous son contrôle.44

3. Une réponse confuse

Ni les autorités locales ni les autorités nationales n’ont été en mesure de mener des négociations fructueuses pour sortir de l’impasse. Les appels à un dialogue pacifique des autorités traditionnelles mozabites et arabes n’ont pas réussi à endiguer la vio-lence et les autorités nationales n’ont pas encore répondu aux demandes des Arabes, des Mozabites et du Parlement d’une enquête publique officielle sur les affrontements. Le calme n’a été rétabli qu’avec la militarisation de la province, placée en juillet 2015 sous l’autorité du général-major Abderrazak Chérif.45 Toutefois, le déploiement de milliers de policiers, de gendarmes et de soldats est au mieux une solution temporaire. Au pire, cela risque de provoquer davantage de violence, comme en témoignent les affrontements entre la police et des Arabes dans des quartiers à majorité arabe, et entre les gendarmes et des Mozabites dans des quartiers mixtes comme al-Qurthi.

Les partis politiques, en cherchant à tirer profit du sectarisme croissant, l’ont renforcé. La section locale du FLN, le parti au pouvoir au niveau national, est depuis longtemps dominée par la puissante communauté arabe chaamba, qui combine des identités nationaliste et culturelle arabes et un comportement parfois brutal.46 Les radicaux ont affaibli les élites traditionnelles mozabites qui se sont ralliées au dis-cours dominant modéré du deuxième parti au pouvoir, le Rassemblement national démocratique (RND).47 Fekhar Kameleddine, par exemple, a établi des liens avec le Front des forces socialistes (FFS), un parti historique d’opposition pro-amazigh avant de fonder son propre mouvement séparatiste militant. Seuls les partis islamistes, Nahda et le Mouvement de la société pour la paix (MSP, la branche algérienne des Frères musulmans), dépassent le clivage communautaire et comptent des membres de chaque communauté dans leurs rangs.48

Les accusations de responsabilité pour le chaos se multiplient. Le gouvernement a essayé de rejeter la faute sur différents acteurs : le Premier ministre Abdelmalek Sellal, le chef de cabinet du président Bouteflika, Ahmed Ouyahia, et le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, ont accusé le Maroc d’avoir semé le trouble,

43 Entretien de Crisis Group, Moustapha Rebbahi, professeur arabe de sociologie, Université de Ghardaïa, Ghardaïa, juin 2015. 44 Entretien de Crisis Group, responsable communautaire arabe, Ghardaïa, juin 2015. 45 « Algérie – La wilaya de Ghardaïa passe sous l’autorité de l’armée », Canal Algérie, 8 juillet 2015. 46 Une source basée à Ghardaïa se rappelle que les politiciens locaux du FLN fermaient les yeux sur l’expropriation des terres mozabites par les Arabes. Entretien de Crisis Group, journaliste algérien, Ghardaïa, mai 2015. 47 Entretiens de Crisis Group, membres du majlis al-qurthi, Ghardaïa, mai 2015. 48 Le maire de Ghardaïa est par exemple un membre ibadite de la coalition de l’Alliance islamiste verte.

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tandis que le ministre des Affaires religieuses Mohamed Aissa a imputé la violence à une conspiration salafiste.49 Certains Mozabites affirment que le régime a attisé les peurs et créé la discorde pour maintenir Bouteflika au pouvoir et pour que son camp garde le contrôle, soulignant la promotion de plusieurs responsables sécuritaires aux commandes pendant des périodes de chaos à Ghardaïa. D’autres encore dans les camps mozabite et arabe, essayant de montrer que les promesses de Bouteflika de mainte-nir la stabilité sont vides, font allusion à une conspiration du DRS pour inciter à la violence à Ghardaïa.50

Ces théories sous-estiment les sources complexes des conflits communautaires. Même si les facteurs nationaux et régionaux ne doivent pas être ignorés, les causes locales de l’agitation, parmi lesquelles le manque de confiance des Mozabites à l’égard des autorités et le secret entourant les opérations du régime figurent en bonne place, sont plus importantes. Dans un premier temps, les autorités devraient enquêter pu-bliquement sur les affrontements, en particulier sur le rôle que les forces de sécurité ont pu jouer.

B. In Salah

1. D’un mouvement populaire pacifique …

Il y avait peu de raisons de penser qu’In Salah, une ville située à 1 200 kilomètres au sud d’Alger et comptant moins de 40 000 habitants, deviendrait le centre d’un mou-vement environnemental à l’échelle nationale. En décembre 2014, au lendemain de l’annonce par le ministre de l’Energie Youcef Yousfi du succès du premier forage pilote de schiste en Algérie, à 30 kilomètres d’In Salah, près de 5 000 habitants ont occupé la place centrale, Sahat Soumoud, et bloqué des routes. La ville, comme le reste du pays, a appris la nouvelle par les médias ; même les responsables locaux n’avaient pas été informés.

La mobilisation a été spontanée, résultat de niveaux élevés d’éducation, en parti-culier à propos du secteur des hydrocarbures ; d’une tradition de conscience envi-ronnementale, en particulier chez les femmes ; et de forums sur des médias sociaux comme Facebook, qui ont diffusé des informations sur les risques de la fracturation hydraulique.51 Le fait que les autorités algériennes ont autorisé l’entreprise française Total à essayer des techniques d’extraction non conventionnelles, proscrites en France, a suscité un profond ressentiment à In Salah, en partie parce que la zone avait déjà

49 « Ghardaïa: Lamamra prend le relais de Sellal et Ouyahia pour accuser le Maroc », www.yabiladi. com, 1er août 2015 ; « “Un pays frère a financé ce qui s’est passé à Ghardaia’’ selon Sellal », www. algerie1.com, 12 juillet 2015 ; « Ghardaïa : Mohamed Aïssa met en cause des salafistes extrémistes liés à l’école yéménite de Dammaj », Huffington Post Algérie, 19 juillet 2015. 50 Entretiens de Crisis Group, Mozabites, Ghardaïa, mai 2015. 51 Entretien de Crisis Group, Mohamed Belamine, parlementaire, Front national pour la justice so-ciale, mai 2015. Deux des figures les plus influentes du mouvement, Hacina Zegzag et Fatiha Touni, ont conduit les femmes de la ville lors de marches et de sit-in et ont parlé à la presse. Les femmes, traditionnellement chargées de l’approvisionnement en eau dans les sociétés sahariennes, sont par-ticulièrement sensibles aux risques de pollution des eaux souterraines que présente la fracturation hydraulique. Le documentaire américain « Gasland », dans lequel une femme tenant un briquet sous son robinet déclenche une explosion de gaz, a été largement diffusé sur les réseaux sociaux.

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servi de laboratoire pour mettre à l’essai des technologies nouvelles et dangereuses, dont des armes nucléaires françaises dans les années 1960.52

Le soir où le forage d’essai a été annoncé, un ingénieur local de Sonatrach, mili-tant des énergies renouvelables, Abdelkader Bouhafs, a mobilisé des étudiants et des ingénieurs en géologie, en hydrogéologie et en forage, pour faire du porte-à-porte et avertir les habitants que la fracturation hydraulique polluerait la nappe phréatique.53 Ces activistes, dont la plupart travaillaient dans le secteur des hydrocarbures, ont ensuite créé le « Comité des 22 », qui a conduit et représenté les milliers d’habitants venus le lendemain à Sahat Soumoud. L’atmosphère était joyeuse et familiale, des hommes, des femmes et des enfants lisant des poèmes et chantant et des volontaires en gilet jaune guidant des centaines de personnes à travers les rues. Ce rassemble-ment est devenu le foyer du mouvement algérien contre le forage du schiste, s’attirant du soutien d’autres régions du pays.54

En revanche, les zaouias, confréries soufies ayant une forte influence religieuse, culturelle et politique dans la région, ont refusé de prendre position sur le gaz de schiste, consolidant l’idée selon laquelle elles seraient cooptées par l’Etat.55 Leur ré-serve sur cette question hautement politisée a ouvert la voie à d’autres : des militants ont encouragé l’utilisation proactive des médias conventionnels et sociaux – long-temps craints comme des instruments d’ingérence, étrangers et domestiques – pour répandre l’idée que l’activisme, y compris la désobéissance civile, peut entraver les politiques gouvernementales.56 Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont grandement contribué à coordonner les actions et à obtenir du soutien dans le Sud et à l’échelle nationale : après les premières manifestations d’In Salah, des rassemblements de solidarité ont eu lieu à Tamanrasset, Timimoune, Metlili, Adrar, Touggourt, Ghardaïa et Ouargla, qui partagent des traditions com- 52 Total a acquis une participation de 47 pour cent dans le bassin d’Ahnet en 2009. Officiellement, Sonatrach a entrepris le projet pilote de forage de gaz de schiste, mais l’implication de Total était un secret de Polichinelle et a été confirmée lorsque l’entreprise a annoncé en janvier 2015 qu’elle n’avait pas été sur le site depuis juin 2014. « Total Algérie : Nous n’avons jamais eu de licence de gaz de schiste », Algérie-Focus.com, 3 mars 2015. La fracturation hydraulique est interdite en France depuis 2011, en raison de la pression publique alimentée par des préoccupations environnemen-tales. Voir Tara Patel, « The French public says no to “le fracking” », Bloomberg Businessweek, 31 mars 2011. 53 Entretien de Crisis Group, Hacina Zegzag, membre fondatrice, Comité pour un moratoire natio-nal sur le gaz de schiste, Adrar, juin 2015. 54 Voir par exemple « Rassemblement anti-gaz de schiste à Alger », https://www.youtube.com/ watch?v=iVuJ-w8397s, YouTube, 17 janvier 2015. 55 A la fin des années 1980, le régime algérien est passé de la répression à la relance des zaouias en vue de les coopter. « L’image officielle est remarquablement simpliste et essentialiste : les zaouias sont décrites comme des “sanctuaires de paix”, prétendument “inchangés depuis des siècles”, “éloi-gnés des affaires de ce monde” et “profondément apolitiques”. Cependant, tant leur instrumentali-sation par l’Etat que les intérêts et les activités propres des zaouias sont en net contraste avec ces indications. » Isabelle Werenfels, « Promoting the “good Islam”: the regime and Sufi brotherhoods in Algeria », Eurasia Review, 12 septembre 2011. 56 Entretien de Crisis Group, Mohad Gasmi, meneur de la protestation anti-gaz de schiste, Adrar, juin 2015. Une douzaine de figures éminentes des protestations contre le gaz de schiste et le chô-mage ont suivi en 2013 une formation donnée par le cofondateur et activiste du CNDDC de Laghouat, Yacine Zaid, sur l’utilisation des technologies de l’information et l’interaction avec les médias. « Notre activisme n’est pas centralisé, mais chacun de nous a bénéficié de cette formation. » Ibid.

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munes, des relations familiales et une dépendance au même aquifère, ainsi que, plus au nord, à Tizi Ouzou, Bejaïa et enfin Alger.

2. … à la violence et à la politisation

Surpris par l’immédiateté et l’intensité de la réaction populaire, le gouvernement a dépêché le ministre de l’Energie Youcef Yousfi pour apaiser le Comité des 22, sans succès. Les participants, dont beaucoup étaient eux-mêmes experts de divers aspects de l’extraction des ressources naturelles, l’ont trouvé condescendant, surtout, disent-ils, parce qu’il a douté de leur compréhension des rudiments de la fracturation hydraulique.

Après la poursuite des occupations des lieux publics et des marches pacifiques pendant deux autres mois, le président Bouteflika a envoyé une délégation à In Sa-lah, conduite par le chef de la police nationale Abdelghani Hamel. Cette visite s’est également soldée par un échec, lorsque ce dernier a répondu à l’appel lancé par le Comité des 22 pour arrêter le forage exploratoire (comme condition à la poursuite des discussions) par une liste des risques sécuritaires auxquels était confronté le pays. Quelques jours plus tard, le Premier ministre Sellal a assuré à la télévision pu-blique que la fracturation hydraulique était dans une phase strictement exploratoire et qu’aucun permis d’exploitation n’avait été délivré, ce qui a décuplé les manifesta-tions, les militants ayant revendiqué un moratoire sur toutes les fracturations.57

Le moratoire était au cœur des revendications lors d’une marche non autorisée de l’opposition politique à Alger le 24 février 2015, jour du 44ème anniversaire de la nationalisation des ressources naturelles du pays.58 Il a à nouveau occupé le premier plan le 14 mars, avec environ 8 000 manifestants lors de la deuxième millioniya à Ouargla (littéralement « marche d’un million de personnes », un terme popularisé par les soulèvements arabes de 2011).59

Le Comité des 22 a réussi à préserver le caractère pacifique des manifestations pendant deux mois. Les contestataires ont accueilli chaleureusement les centaines de policiers envoyés du Nord pour surveiller la place, leur ont fourni des cigarettes, de l’ombre et des boissons fraîches.60 Mais frustrés par la réponse évasive des respon-

57 Entretien de Crisis Group, chefs de file de la protestation anti-gaz de schiste, Mohad Gasmi et Hacina Zegzag, Adrar, juin 2015. « Gaz de schiste : le DGSN Abdelghani Hamel quitte In Salah sans régler le problème », El Watan, 18 janvier 2015. « Quand Sellal fait flamber In Salah », Liberté, 23 janvier 2015. 58 Le jour anniversaire de la nationalisation des ressources en 1971, les coalitions d’opposition Ins-tance de suivi et de coordination de l’opposition (ISCO) et Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) ont défié l’interdiction de manifester et marché dans la capi-tale avec des slogans liant la mobilisation anti-fracturation à leurs propres revendications d’une transition démocratique. 59 « Des milliers des personnes au sit-in d’Ouargla », www.leconews.com, 14 mars 2015. Les slo-gans comprenaient « Non au gaz de schiste », « samidoun, samidoun, lil ghaz essakhri raffidoun » (« inébranlables, inébranlables, nous resterons inébranlables contre le gaz de schiste »), « la shamal, la janoub, el-jazair fil quloub » (« pas de Nord, pas de Sud, l’Algérie est dans tous les cœurs »), et « el-wihda wa essiyada, li-iqqaf el-ghaz essakhri » (« unité et souveraineté, pour l’arrêt du gaz de schiste »). 60 Entretiens de Crisis Group, Mohad Gasmi, Hacina Zegzag, chefs de file de la protestation anti-gaz de schiste, Adrar, juin 2015.

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sables publics et encouragés par le vaste soutien dont ils bénéficiaient, les manifestants d’In Salah ont essayé de façon plus agressive, quatre jours après le rassemblement d’opposition de février à Alger, de bloquer la route d’accès vers un deuxième site de forage exploratoire de gaz de schiste, géré par Sonatrach et Halliburton, à 10 kilo-mètres au nord de la ville. Cela a conduit aux premiers affrontements violents avec les forces de sécurité. Les gendarmes ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles ré-elles, blessant grièvement trois manifestants, et incendié le campement temporaire de Sahat Soumoud.61

La mobilisation d’Alger a provoqué un autre développement fâcheux dans le Sud. Durant les deux premiers mois, le mouvement était plus ou moins resté au-dessus de la mêlée politique.62 De peur d’être cooptés par les principaux partis politiques d’opposition, et sceptiques quant à leurs intentions, puisqu’ils ne s’étaient pas mobi-lisés contre la loi de 2013 sur les hydrocarbures autorisant l’exploitation du gaz de schiste, les chefs de file ont qualifié leur mouvement de purement social.63 Il est de-venu plus difficile de conserver cette ligne après la marche du 24 février dans la capi-tale, les activistes s’alliant plus largement à des partis d’opposition et liant leur cause aux critiques plus globales de la gouvernance nationale.64

Les autorités ont finalement étouffé les manifestations en intimidant et en coop-tant le Comité des 22.65 Le ministre de l’Energie Yousfi a annoncé le 23 février 2015 la création d’un observatoire indépendant, bien que financé par l’Etat, à In Salah, où de nombreux membres du Comité se sont vu offrir des postes à responsabilité. L’observatoire n’a cependant pas vu le jour. D’autres ont obtenu des emplois ou des promotions chez Naftal, une filiale de Sonatrach, à la chaîne de télévision pro-régime Ennahar ou à la wilaya de Tamanrasset.66

Avec la disparition du Comité, la pression sur le gouvernement pour changer de cap sur le gaz de schiste s’est évaporée. Ce dernier n’a pas répondu officiellement à la demande de moratoire.67 Les dirigeants du secteur pétrolier affirment que le travail

61 Entretiens de Crisis Group, témoins, Adrar, juin 2015. 62 « Pas de partis politiques et pas de politisation du mouvement » était un slogan populaire. Entre-tien de Crisis Group, Mohad Gasmi, chef de file de la protestation anti-gaz de schiste, Adrar, mai 2015. 63 Entretiens de Crisis Group, activistes anti-gaz de schiste, Adrar, juin 2015. « Loi no. 13-01… », Journal officiel de la République algérienne no. 11, 24 février 2013. 64 « Puisque le gouvernement ne répond pas à nos revendications, c’est le droit de la population d’utiliser l’opposition pour faire valoir ses droits ». Entretien de Crisis Group, Mohad Gasmi, chef de file de la protestation anti-gaz de schiste, Adrar, juin 2015. 65 Entretien de Crisis Group, Hacina Zegzag, membre fondatrice, Comité pour un moratoire natio-nal sur le gaz de schiste, Adrar, juin 2015. Elle ajoute : « Je ne pense pas qu’ils aient quitté [la place] à cause des emplois. Je pense qu’ils sont partis parce qu’ils avaient peur. Ils ont subi des pressions et ça a été efficace ». 66 « Gaz de schiste : vers la création d’un Observatoire indépendant », El Watan, 24 février 2015. Entretiens de Crisis Group, chefs de file de la protestation anti-gaz de schiste, Adrar, juin 2015. Bouhafs n’a accepté aucun poste ni promotion et continue de s’opposer à l’exploitation du gaz de schiste notamment à travers des publications en ligne. Courriels de Crisis Group, Abdelkader Bou-hafs, novembre 2016. 67 « L’affirmation selon laquelle la fracturation hydraulique était gelée, qu’ils cesseraient les forages et la fracturation, évalueraient le potentiel et décideraient d’ici 2019 de poursuivre ou non, était fausse, dans une tentative de calmer la population. En réalité, la production est encore prévue pour 2022 ». Entretien de Crisis Group, conseiller juridique algérien pour une entreprise pétrolière multinatio-

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sur le gaz de schiste n’a jamais été interrompu et le président Bouteflika s’est prononcé clairement en faveur de l’exploitation en qualifiant le gaz de schiste, au même titre que le pétrole, le gaz conventionnel et les énergies renouvelables, de « dons de Dieu ».68

Pourtant, ce que l’activisme n’a pas accompli, le coût élevé de production et la chute des prix du pétrole l’ont fait. En janvier 2016, le quotidien El Khabar a révélé que, confrontée à la hausse des coûts et à la baisse des recettes, Sonatrach avait dé-cidé de suspendre la production de gaz de schiste en attendant un retour des prix à 80 dollars le baril. (Le prix du pétrole brut n’a pas dépassé 60 dollars le baril depuis novembre 2014 ; il a oscillé entre 30 et 50 dollars le baril au cours des neuf premiers mois de 2016.) Le gouvernement se prépare cependant pour ce jour : le Premier mi-nistre Sellal a proposé une coopération sur le gaz de schiste avec l’entreprise russe Gazprom lors de sa rencontre avec son homologue russe Dimitri Medvedev le 27 avril 2016.69

C. Ouargla : le mouvement des chômeurs

1. Les individus derrière la millioniya

Les principales manifestations du Sud ont eu lieu à Ouargla, une ville d’environ 140 000 habitants présentant une importance stratégique, située près des grands champs pétrolifères de Hassi Messaoud et des champs de gaz de Hassi Rmmel, qui abrite une base militaire couvrant la zone saharienne centrale et nord-est. Les griefs se sont mélangés de telle sorte qu’il est devenu difficile de les décomposer et tout autant d’y répondre. Il s’agit notamment de la croissance rapide de la population, du déclin de l’agriculture et de la baisse du commerce transfrontalier à la suite de la fermeture des frontières avec la Libye, la Tunisie et le Mali par souci sécuritaire. Ils ont exacerbé une crise socioéconomique qui s’étend à tout le pays, mais qui est pire dans le Sud, où les taux de chômage non officiels peuvent atteindre 30 pour cent, en particulier chez les jeunes.70

Le climat antigouvernemental régnant dans le monde arabe en 2011 a trouvé un terrain fertile dans ce contexte. Le mouvement des jeunes du CNDDC, basé à Ouar-gla et constitué essentiellement d’hommes, était présent lors des premières manifes-

nale, Alger, septembre 2015. Le gouvernement a fait des déclarations contradictoires sur l’avenir du forage de gaz de schiste et a remplacé Yousfi peu de temps après les protestations. Le Collectif na-tional pour un moratoire sur les gaz de schiste, un mouvement dissident du Comité, a organisé des réunions et utilisé les médias sociaux pour continuer à faire pression en faveur d’un moratoire. 68 Entretien de Crisis Group, conseiller principal d’une entreprise pétrolière étrangère, novembre 2015. « Bouteflika : “Le gaz de schiste est un don de Dieu” », www.algeriepatriotique.com, 24 fé-vrier 2015. 69 « Algérie : Sonatrach suspend l’exploitation du gaz de schiste », RFI, 21 janvier 2016. « Les Algé-riens ont interrompu le gaz de schiste non parce qu’ils se soucient [des effets environnementaux], mais parce que ce n’est pas rentable. Les entreprises pensent [qu’elles] finiront par aller de l’avant sur le gaz de schiste quand les prix seront intéressants ». Entretien de Crisis Group, Geoff Porter, PDG, North Africa Risk Consulting, juin 2016. « Algeria could cooperate with Russia’s Gazprom on shale gas », Sputniknews.com, 27 avril 2016. 70 Entretien de Crisis Group, expert du marché du travail, Alger, mars 2014. Officiellement, le chô-mage est passé de 30 pour cent en 2000 à 11,2 pour cent en 2015, selon les chiffres de l’Office na-tional de la statistique (ONS).

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tations. Ses dirigeants transcendent les lignes partisanes opposant généralement les islamistes aux militants laïques. Son meneur le plus connu, Taher Belabbes, qui mi-lite depuis dix ans, a travaillé avec Yacine Zaid, syndicaliste et défenseur des droits humains d’une quarantaine d’années, et Khencha Belqacem, un islamiste spécialiste de l’organisation sociale à grande échelle.71

Le groupe a cherché, avec un certain succès, à développer un mouvement paci-fique et inclusif, bénéficiant d’un large soutien parmi les libéraux, les islamistes et les étudiants. Ils se sont unis autour d’un certain nombre d’idées communes : le chômage pousse les populations du Sud au fatalisme, au radicalisme religieux et aux actes violents ; les subventions peuvent temporairement faire taire les griefs mais pas les éliminer ; la mauvaise gestion économique de l’Etat a créé une dépendance pour les populations du Sud, et non des perspectives ; et le Sud est un « territoire déshonoré » parce qu’extrêmement négligé par rapport au Nord.72

Le 8 juin 2011, des centaines de manifestants ont affronté les forces de sécurité à Ouargla, plusieurs mois de manifestations pacifiques, d’occupations de lieux publics, de suicides et d’immolations dans cette ville et à Hassi Messaoud n’ayant suscité aucune réaction officielle. De nouveaux affrontements ont éclaté six mois plus tard à 260 kilomètres de là, à Laghouat, entre les forces de sécurité et des résidents dénon-çant le chômage, la corruption dans le secteur des logements sociaux et des pro-cédures de recrutement favorisant selon eux les habitants du Nord. Le CNDDC a conduit les habitants du Sud, pour la première fois de mémoire d’homme, à exiger d’avoir leur mot à dire sur la distribution des ressources nationales et à appeler le gouvernement à justifier ses politiques économiques.73

En 2013, la capacité de mobilisation du CNDDC avait augmenté. Le 14 mars, entre 5 000 et 10 000 manifestants se sont rassemblés devant la mairie de Ouargla pour une millioniya, munis de drapeaux et de banderoles et scandant des slogans revendiquant des emplois et le développement du Sud. Belabbes a déclaré :

Avec [la millioniya], nous nous arrogions le droit de protester et de nous exprimer publiquement … partout en Algérie, à l’exception d’Alger qui reste à conquérir. C’était aussi notre réponse aux déclarations calomnieuses et insultantes du Pre-mier ministre Abdelmalek Sellal et de Daho Ould Kablia, alors ministre de l’Inté-rieur. Les gens du Sud se souviendront toujours de cette formule malheureuse de Sellal qui a qualifié les jeunes chômeurs de chirdhima [insignifiants] ou de groupes terroristes mineurs. Les mots scandaleux d’Ould Kablia, qui a parlé de « neutrali-ser » les manifestations et de contrôler la situation sécuritaire dans le Sud pour protéger les installations pétrolières, résonnent encore à mes oreilles.74

71 Entretien de Crisis Group, Yacine Zaid, 12 août 2016. 72 Entretien de Crisis Group, activiste du CNDDC, Ouargla, mai 2015. 73 Luis Martinez, « Algérie : le calme avant la tempête? », Le Monde, 10 janvier 2012. 74 « Je démissionne pour couper court aux subterfuges du gouvernement », Taher Belabbes, ancien porte-parole de la Coordination nationale de défense des droits des chômeurs, El Watan, 21 février 2014.

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La millioniya de 2013, qui a eu lieu pacifiquement en présence des forces de sécuri-té, a poussé l’Etat à prendre les manifestations au sérieux et à mettre en œuvre une série de mesures d’urgence.75 Les chefs de file des contestations pensaient avoir éta-bli le mouvement comme interlocuteur des autorités locales et nationales sur la dis-tribution des ressources dans le Sud.76 Cependant, comme avec d’autres mouvements de protestation dans le Sud, leurs espoirs ont été vite déçus. La réforme en profon-deur – l’éradication de la corruption et du népotisme dans le recrutement et la mise en place de formations efficaces pour accéder à des emplois locaux lucratifs dans le secteur du pétrole et du gaz – ne s’est jamais concrétisée. Des divisions au sein de la direction ont affaibli le mouvement et ralenti son élan.77 Mais la surveillance cons-tante, le harcèlement et l’intimidation des organisateurs, accusés sans aucune preuve par les médias de toxicomanie ou d’alcoolisme, d’être des agents de l’étranger et de lut-ter secrètement pour l’autonomie du Sud, ont peut-être joué un rôle plus important.

En 2015, Belabbes avait quitté la direction du mouvement et Zaid le pays, et Bel-qacem était en prison.78 Le CNDDC s’était tellement affaibli avant la millioniya annuelle que l’opposition politique nationale, partageant la tendance du régime à ignorer les préoccupations locales, a été en mesure de coopter l’événement, atténuant

75 Sellal a ordonné une série de mesures d’urgence : rendre disponibles des prêts bancaires sans intérêt pour le développement dans le Sud, faire pression sur les entrepreneurs étrangers et natio-naux ainsi que sur les agences nationales pour recruter localement et augmenter les salaires des fonctionnaires. Belakhdar, « “L’Eveil du Sud” », op. cit. Le gouverneur a également reçu une déléga-tion de chômeurs et leur a offert des emplois, surtout dans la gendarmerie. 76 Les manifestants ont dit qu’après le mouvement, ils avaient plus d’estime de soi et avaient l’im-pression d’avoir commencé à jouer un rôle plus fructueux dans la société en se confrontant à ceux qui les percevaient comme étant dociles, insignifiants ou criminels. Entretien de Crisis Group, Ouar-gla, juin 2013. Belakhdar, « “L’Eveil du Sud” », op. cit. 77 Un centre de formation créé en 2014 a montré des lacunes : sur les 40 apprentis ayant achevé le premier semestre, aucun n’a été engagé par Sonatrach et seulement douze ont pu trouver un emploi. Les 30 participants du deuxième groupe étaient toujours au chômage six mois après leur formation. « Ouargla à bout de patience », El Watan, 13 mars 2015. Entretiens de Crisis Group, Ouargla, mai 2013. Belabbes a commencé à dénoncer des responsables politiques et militaires et à demander plus de changements radicaux sur le plan national. Zaid a mis l’accent sur le CNDDC lui-même et sur les objectifs locaux. 78 Dès 2011, Belabbes a été convoqué pour interrogatoire et battu. En janvier 2013, il a été condamné à un mois de prison pour rassemblement non autorisé et violation de la sécurité de l’Etat. « Taher Belabbes interpellé par les RG de Batna », Quotidien d’Algérie, 17 octobre 2011 ; « les policiers ont frappé Taher Belabbes », Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap), www.youtube.com/watch?v=LccYnGIC7jY, YouTube, 4 mai 2011 ; communiqué du Sna-pap, 7 janvier 2013, www.algeria-watch.org/fr/mrv/mrvrap/snapap_arrestation_belabbes.htm. En octobre 2012, Zaid a été condamné à six mois de prison avec sursis pour avoir agressé un agent de sécurité. En 2014, il a fui le pays à la suite de menaces contre lui et sa famille. « Yacine Zaid con-damné à six mois de prison avec sursis », Le Matin d’Algérie, 8 octobre 2012 ; entretien de Crisis Group, Zaid, Laghouat, 2014. Belqacem a été arrêté en janvier 2015. Le tribunal de première ins-tance de Laghouat l’a condamné ainsi que huit autres chefs de file du mouvement des chômeurs à des peines de prison allant de douze à dix-huit mois pour « rassemblement non autorisé » après leur rassemblement en faveur de l’indépendance de la justice devant le tribunal de Ouargla. Quelques mois après sa libération, il a été condamné à six autres mois pour avoir publié sur Facebook une vidéo critiquant l’emprisonnement d’un autre activiste. « Algérie: Condamné à une peine de prison pour avoir critiqué une décision de justice », Human Rights Watch, 7 juin 2016.

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ses messages contre le chômage et la fracturation hydraulique pour mettre plutôt l’accent sur la transition démocratique.79

2. Risques sécuritaires d’une mauvaise gestion de la « question du Sud »

La répression à Ouargla, une constante depuis 2011, a poussé certains militants à employer des méthodes extrêmes. En février 2013, quelques jours après l’arrestation par la police de plus d’une douzaine de militants du CNDDC qui s’étaient donné ren-dez-vous à Laghouat pour brûler leur diplômes devant l’agence pour l’emploi, des affrontements ont éclaté entre les forces de sécurité et des manifestants rassemblés en solidarité avec leurs collègues détenus. Plus récemment, les manifestants ont adopté des tactiques nouvelles et inquiétantes, comme se coudre la bouche et se tail-lader les bras et la poitrine.80

Le parcours d’une précédente génération de dirigeants devrait donner à réfléchir au gouvernement avant d’ignorer les revendications locales. Le MSJ, fondé en 2004 par Abdesslam Tarmoune et Lamine Bencheneb pour exiger des perspectives éco-nomiques et une meilleure répartition de la richesse dans le Sud, est un avertisse-ment. Après près d’une décennie de manifestations pacifiques infructueuses, il s’est scindé en une faction (CNDDC) qui est restée essentiellement pacifique et deux fac-tions radicalisées qui ont pris les armes. La faction de Bencheneb a collaboré avec le groupe al-Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar pour planifier et mettre en œuvre l’attaque contre le complexe gazier d’In Amenas dans le Sud en janvier 2013 ; Tar-moune a pris le maquis et menacé de rétablir avec violence les « droits usurpés » des jeunes du Sud.81

L’échec persistant à engager le dialogue avec les populations du Sud et à répondre à leurs demandes est particulièrement dangereux étant donné la prolifération des groupes jihadistes et les réseaux de contrebande qui les aident parfois. Au-delà de l’attaque d’In Amenas en janvier 2013, AQMI a revendiqué une attaque à la roquette contre l’usine de gaz de Krechba, exploitée par British Petroleum (BP) et Statoil, dans la province d’In Salah le 18 mars 2016. La déclaration de revendication d’AQMI affir-mait qu’elle avait pour objectif non seulement de « faire la guerre aux intérêts des croisés », mais aussi de protéger l’environnement et de décourager l’exploration des

79 L’opposition politique nationale incluait la Coordination nationale pour les libertés et la transi-tion démocratique (CNLTD), qui comprend Ahmed Benbitour, ancien Premier ministre, et Sofiane Djilali, président du parti Jil Jadid (nouvelle génération), ainsi que des représentants du parti du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et des islamistes du Mouvement de la socié-té pour la paix (MSP) affilié aux Frères musulmans. 80 « Violentes émeutes à Laghouat : les jeunes réclament du travail », Liberté, 24 février 2013. « Les nouvelles formes de protestation des chômeurs à Ouargla », TSA, 24 février 2016. 81 Hannah Armstrong, « The In Amenas attack in the context of southern Algeria’s growing social unrest”, CTC Sentinel, vol. 7, no. 2, 24 février 2014. « Enquête sur la disparition des jeunes du Sud suspectés d’avoir rejoint les rangs du MSJ », Echourouk Online, 17 juin 2013. Le 2 février 2014, les résidents de la ville méridionale de Djanet, le long de la chaîne de montagnes Tassili n’Ajjer où Tarmoune était caché, ont organisé un sit-in pour le soutenir, demandant aux autorités d’arrêter les opérations militaires et d’ouvrir un dialogue pour sa reddition. « A Djanet, on veut que l’armée dia-logue avec Abdessalam Tarmoune », El Watan, 7 février 2014.

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gaz de schiste, preuve que les groupes jihadistes sont à l’écoute des doléances du Sud et cherchent à les exploiter.82

Par ailleurs, le Sahara algérien, situé au cœur d’une région de plus en plus instable et reliant la Libye et l’Afrique de l’Ouest au Mali et au Niger, est également exposé aux réseaux florissants du commerce illicite. La contrebande peut attirer de jeunes méridionaux sans emploi qui se sentent abandonnés par les autorités. Le trafic d’armes en particulier est à la hausse : l’armée a saisi plus d’armes de gros calibre entre fé-vrier et avril 2016 que jamais depuis le début de la « décennie noire » en 1992.83

82 « Situation on Krechba plant in Algeria clarified », www.statoil.com/en/NewsAndMedia/ News/ 2016/Pages/Algerieoppdatering1803.aspx. « Algerian army kills militants behind Krechba gas plant attack : source, Reuters », 20 mars 2016. Clifford Krauss, « BP and Statoil pull employees from Algeria gas fields after attack », The New York Times, 21 mars 2016. Aucun des plus de 600 em-ployés n’a été blessé. 83 « Dans le Sud algérien, le spectre de la radicalisation des mouvements de protestation », tsa-algerie.com, 5 mars 2015. « Saisies d’armes : Du jamais vu dans l’histoire de l’Algérie », El Watan, 15 avril 2016.

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IV. Réponses de l’Etat

A. Faire face à l’agitation du Sud

Les autorités algériennes prennent des mesures pour améliorer l’administration du Sud et poursuivre le dialogue. En mai 2015, par exemple, elles ont annoncé un redé-coupage administratif, créant dix nouveaux districts, chacun dirigé par un wali (gou-verneur provincial) délégué, notamment Ghardaïa et Ouargla, ainsi que Tamanrasset, où se trouve In Salah. Les élus locaux saluent cette initiative qui pourrait renforcer l’administration, bien qu’il y ait une certaine méfiance sur le fait que cela va aussi étendre et affiner les structures de sécurité et le contrôle.84

Les efforts déployés depuis 2016 par la ministre de l’Education, Nouria Bengha-brit, pour combler l’écart entre les indicateurs de l’éducation dans le Sud et dans le Nord ont également été bien accueillis, même si ce projet à long terme ne résoudra pas rapidement les défis du premier.85 Le dialogue entre les parties prenantes locales et les hauts responsables a permis de répondre à certaines revendications des mani-festants, comme la création d’emplois.86 Les troubles ont également eu des avantages intangibles, comme accroitre la visibilité des populations du Sud, ce qui les a aidées à faire avancer leur cause et à faire valoir que les solutions ne peuvent venir que de leur engagement, pas d’une imposition du sommet à la base.

Il est toutefois peu probable que cela suffise. Bien que positives, les réponses de l’Etat ont jusqu’à présent été en grande partie tactiques et hésitantes et n’abordent pas les questions qui nécessitent des changements de politique de grande envergure, comme l’éradication de la corruption et du népotisme, et la concertation sur les tech-niques de forage controversées. Les activistes du Sud sont encore plus pessimistes quant au fait que l’Etat aille plus loin pour reconnaitre leur « dignité en tant que ci-toyens », c’est-à-dire construire une société nationale inclusive qui tienne pleinement compte de leur identité culturelle et leur assure largement le bien-être économique. Sans ça, les petits pas, bien qu’appréciés, sont perçus comme autant de moyens de faire taire la contestation.87 Dida Badi, un anthropologue de Tamanrasset, affirme :

84 Entretien de Crisis Group, Mohamed Hadou, député régional, Assemblée populaire de la Wilaya d’Adrar, Adrar, mai 2015. La réforme, qui a vu le jour comme une promesse de campagne de Boute-flika en 2014, vise à développer les services publics, à accroître l’emploi dans le secteur public et à améliorer les relations entre les citoyens et l’Etat dans le Sud, en tenant compte du vaste territoire géré par une seule wilaya et des frais engagés à cet effet. Il s’agit également de faciliter la surveil-lance des citoyens et du trafic transfrontalier. 85 « Education : Benghebrit au secours du Sud », El Watan, 27 mai 2016. 86 A Ouargla, la millioniya a établi le mouvement des chômeurs comme interlocuteur des autorités locales, avec des négociations sur l’attribution des emplois. Voir section III.C ci-dessus. 87 Entretiens de Crisis Group, activistes du CNDDC, Ouargla, mai 2013. « Elles [les autorités] réa-gissent comme elles le font toujours face à une crise socioéconomique : elles envoient un haut res-ponsable de l’Etat, engagent des fonds, puis disparaissent. Il n’y a pas de sécurité quand il n’y a pas de développement. Le développement serait le tourisme, des marathons, attirer des gens ici. Ce n’est pas le cas ». Entretien de Crisis Group, diplomate occidental, Alger, mai 2015. « Quand il y a un problème qui peut avoir des conséquences politiques, il ne suffit pas de donner des consignes pour recruter les gens du Sud. Il faut faire davantage, un plan Marshall par exemple. … Le gouver-nement ne s’en rend-il pas compte? … Obliger une entreprise américaine à embaucher dans le Sud

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Il n’y a pas de stratégie. D’abord ils ont essayé d’utiliser les élites locales, parce qu’ils pensaient que c’était un problème des jeunes. Quand cela n’a pas fonctionné, ils ont utilisé la police, la force, la répression, à Ghardaïa, à Ouargla, à In Salah. Puis ils ont vu que cela ne fonctionnait pas, parce que ces mouvements devenaient nationaux, voire internationaux. Que vont-ils faire maintenant?88

La réponse récente du gouvernement indique son orientation, ainsi que la différence par rapport à il y a trois décennies : les protestations des années 1980 dans le Nord ont été brutalement réprimées ; les tactiques plus nuancées d’aujourd’hui visent les dirigeants des protestations et favorisent la cooptation.

B. Le Sud comme indicateur

Le gouvernement, sous le quatrième mandat de Bouteflika, a pris des mesures de grande ampleur, promises pour la première fois en 1999, au nom de la promotion de l’Etat de droit, qui ont abouti au démantèlement du puissant DRS en janvier 2016 et à l’adoption en février d’une Constitution amendée. Mais si ces mesures ont radica-lement circonscrit et même éliminé l’immixtion de l’agence de sécurité dans la vie politique et pourraient augurer de nouvelles garanties pour les libertés civiles et les droits des minorités, l’avenir reste incertain.89 La présidence a été renforcée et un centre de pouvoir concurrent éliminé, mais il reste à voir si cela conduira à l’institu-tionnalisation de l’Etat de droit. En fin de compte, le gouvernement doit consolider les réformes pour convaincre les citoyens qu’il travaille pour eux, compte tenu notam-ment de la crise économique, la plus grave qu’a connu le pays depuis des décennies, et de l’agitation sur une grande partie de ses frontières.

Le contexte historique a conféré aux préoccupations du Sud une portée politique nationale tant pour le gouvernement que pour l’opposition. Cette dernière y voit un levier potentiel pour redorer son blason et faire pression en faveur de la démocra-tisation, en commençant par une transition transparente.90 Le bloc d’opposition CNLTD a d’abord recueilli des soutiens en unissant pour la première fois partis isla-mistes et laïques, contre le quatrième mandat de Bouteflika en 2014. Il a néanmoins perdu de sa pertinence, car il a fini par être considéré comme ayant été détourné par des personnalités pro-régime et fragmenté en interne. La plupart des membres de la coalition ont fait partie de gouvernements par le passé, manquent d’une plateforme pour le changement et concentrent étroitement leurs critiques sur le président plutôt que sur l’ensemble du système.91 En rejoignant la millioniya à Ouargla et en envoyant

ne fonctionne pas et ne résout pas le problème ». Entretien de Crisis Group, Moustapha Bouchachi, ancien parlementaire du FFS, Alger, mai 2015. 88 Entretien de Crisis Group, Alger, mai 2015. 89 La Constitution amendée consacre le tamazight comme langue officielle (article 4) et ne fait plus mention des délits de presse. Pour le texte intégral, voir le Journal officiel de la République algé-rienne N°14, 7 mars 2016, at www.joradp.dz/FTP/jo-francais/2016/F2016014.pdf. 90 « Nous commençons à comprendre que pour être plus efficaces, nous devons coordonner nos actions et aller dans la même direction, au bon moment ». Entretien de Crisis Group, Salah Dab-bouz, président, bureau national de la LADDH, et membre, Instance de suivi et de concertation de l’opposition (ISCO), Alger, mai 2015. 91 Entretien de Crisis Group, diplomate occidental, Alger, mai 2015.

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une délégation à In Salah en 2015, le CNLTD essayait de recouvrer une part de sa crédibilité perdue.

Les activistes du Sud se méfient de la cooptation mais semblent prêts à risquer la coopération avec l’opposition compte tenu de ses ressources substantielles et de la visibilité qu’elle donne à leur cause.92 L’opposition elle-même n’a pas encore recueilli beaucoup de soutien dans le Sud ; ses apparitions isolées sont insuffisantes pour susciter une large adhésion ou pour convaincre ses populations que son engagement est sincère plutôt qu’opportuniste.

Ce qui importe peut-être encore plus, c’est que le Sud est devenu un indicateur des intentions du régime. Les protestations sont une occasion de montrer à quoi ressem-blerait un mouvement en faveur d’un régime civil démocratique et d’une meilleure gouvernance. Les signaux ne sont pas encourageants. La conjugaison des mesures de sécurité, du soudoiement ou de la poursuite des chefs de file des protestations sur de fragiles accusations, inspire peu de confiance quant au fait que l’Etat aborde les ques-tions nationales plus fondamentales.

92 Entretiens de Crisis Group, activistes, Ouargla, In Salah, Alger, mai 2015.

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V. Conclusion

Les turbulences dans le Sud sont très sensibles en et pour l’Algérie, non seulement en raison des réserves en ressources qui y sont présentes, mais aussi à cause des pré-occupations de longue date sur la souveraineté nationale. Les récentes reconfigura-tions géopolitiques, comme l’autonomie croissante du Kurdistan irakien, l’indépen-dance du Soudan du Sud et la désagrégation de la Libye, ont alimenté les inquiétudes, d’aucuns diraient la paranoïa, quant à des desseins occidentaux de partition des pays arabes pour contrôler leurs réserves énergétiques.93 Mais les autorités imaginent des penchants séparatistes là où il n’y en a pas chez les manifestants du Sud, dont les problèmes sont l’injustice et la mauvaise gestion : que l’Etat dissimule le forage de gaz de schiste, exacerbe les tensions intercommunautaires et ne répond pas efficacement aux doléances légitimes du Sud comme le chômage. L’approche gouvernementale axée sur la sécurité traite les manifestants comme un risque pour l’ordre public plu-tôt que comme un acteur avec lequel il faut dialoguer.

Après que les forces armées ont fait baisser la violence à Ghardaïa sans s’occuper des facteurs sous-jacents, le calme reste fragile. Indemniser les commerçants pour les saccages et les pillages est un premier pas mais n’empêchera pas des affronte-ments futurs. Conformément aux demandes locales, les autorités devraient nommer un comité chargé d’enquêter sur les récentes flambées de violence et tenir pour res-ponsable les individus impliqués au sein des communautés arabe et mozabite et des forces de sécurité.

Les revendications du Sud pour l’emploi et la protection de l’environnement, in-carnées par le mouvement des chômeurs à Ouargla et les manifestants anti-gaz de schiste à In Salah et au-delà, soulèvent des défis d’intégration et de représentation que les autorités doivent relever. L’amélioration de la communication avec les chefs de file des protestations et leur base pourrait être un premier pas. L’Etat devrait enta-mer ces efforts de dialogue en clarifiant sa position là où une ambiguïté existe. Si la situation économique implique que le gaz de schiste est sa seule option, il devrait le dire. La Tunisie a annoncé en juin 2016 la publication « complète et immédiate » de tous ses contrats pétroliers en réponse à la campagne « Où est le pétrole? » et aux affrontements avec les forces de sécurité.94 De même, si l’Algérie a de bons arguments pour montrer que le gaz de schiste peut être extrait sans nuire à l’environnement, elle doit le faire dans la transparence. Il en va de même de la discussion sur la créa-tion d’emplois.

Ces efforts devraient être menés, le cas échéant, avec Sonatrach et ses partenaires opérant dans cette zone car il s’agit d’employeurs importants qui sont en outre direc-tement touchés par les troubles locaux. Les entreprises pétrolières et gazières étran-gères se plaignent du fait que l’Etat rend la responsabilité sociale des entreprises dif-ficile, voire impossible. Cela pose problème car l’investissement durable repose sur

93 L’Algérie favorise la préservation de l’unité nationale et des frontières de l’après-indépendance et s’est attelée à éviter les discussions de partition au Mali, en Libye et en Syrie. Rapport de Crisis Group, L’Algérie et ses voisins, op. cit. ; entretiens, diplomates algériens, responsables sécuritaires, Alger, 2015. 94 « La Tunisie entame la publication des contrats pétroliers en “open data” », Jeune Afrique, 17 juin 2016.

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l’engagement social et nécessite non seulement des permis d’exploitation officiels, mais aussi un « permis social » des acteurs locaux.95

Le défi, tant pour le gouvernement que pour l’opposition, est de traiter le Sud et ses doléances avec pondération plutôt que de les considérer comme un instrument étranger de déstabilisation ou un raz-de-marée populaire à coopter. C’est aussi, plus largement, l’occasion de repenser la gouvernance et de profiter du moment, alors que le pays aborde une transition ou du moins un renouvellement de la classe politique. Ce qui ajoute un caractère d’urgence à la situation, c’est le risque que le méconten-tement du Sud ne devienne l’instrument d’une opposition cherchant à présenter le système actuel comme illégitime et inefficace, ou pire encore, à exacerber le senti-ment antigouvernemental et l’impression de négligence et d’exclusion qu’exploitent les groupes radicaux.

Alger/Bruxelles, 21 novembre 2016

95 Entretien de Crisis Group, analyste principal d’une entreprise pétrolière étrangère, Alger, juin 2015. Le secret et la bureaucratie imposés par l’Etat garantissent un large gouffre entre les entre-prises et les résidents. « En matière de responsabilité sociale des entreprises, on parle d’exploitants de permis sociaux … Vous voulez que les intervenants locaux voient votre présence et vos activités comme quelque chose de positif dont ils peuvent bénéficier. En ce qui concerne le gaz de schiste, vous avez des protestations contre la fracturation, mais pas contre les projets conventionnels, ce qui signifie qu’il sera plus difficile de recevoir ce type de permis social pour opérer. Mais les [projets] non conventionnels sont évidemment considérés comme l’avenir ». Ibid.

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Annexe A : Carte de l’Algérie

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Annexe B : Carte des champs de pétrole et de gaz en Algérie

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Annexe C : Glossaire teminologique

Ansar Dine Groupe jihadiste dirigé par des Touaregs au Nord du Mali et ayant des liens avec AQMI

AQMI al-Qaeda au Maghreb islamique

CNDDC Comité national pour la défense des droits des chômeurs

CNLTD Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique, coalition d’opposition

CRS Compagnies républicaines de sécurité, police anti-émeutes

DRS Département du renseignement et de la sécurité, agence militaire de renseignement autrefois puissante, dissoute en janvier 2016

FFS Front des forces socialistes, parti d’opposition historique avec une importante base en Kabylie

FLN Front national de libération, parti historique au pouvoir après l’indépendance

GSPC Groupe salafiste pour la prédication et le combat, précurseur d’AQMI

ISCO Instance de suivi et de coordination de l’opposition, coalition de l’opposition

Al-Mourabitoune Groupe jihadiste dirigé par Mokhtar Belmokhtar, affilié à AQIM

MSJ Mouvement des enfants du Sud pour la justice, groupe activiste du Sud

MSP Mouvement de la société pour la paix, principale formation de la coalition islamiste de l’Alliance verte, le plus grand groupe d’opposition au Parlement

Mujao Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique occidentale, une branche d’AQMI active en Afrique de l’Ouest

Nahda Mouvement de renaissance islamique, membre de la coalition islamiste de l’Alliance verte

RND Rassemblement national démocratique, partenaire du FLN dans la coalition gouvernementale

Sonatrach Compagnie pétrolière nationale

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Annexe D : A propos de l’International Crisis Group

L’International Crisis Group est une organisation non gouvernementale indépendante à but non lucratif qui emploie près de 120 personnes présentes sur les cinq continents. Elles élaborent des analyses de terrain et font du plaidoyer auprès des dirigeants dans un but de prévention et de résolution des conflits armés.

La recherche de terrain est au cœur de l’approche de Crisis Group. Elle est menée par des équipes d’analystes situées dans des pays ou régions à risque ou à proximité de ceux-ci. À partir des informations recueillies et des évaluations de la situation sur place, Crisis Group rédige des rapports analytiques rigou-reux qui s’accompagnent de recommandations pratiques destinées aux dirigeants politiques internatio-naux, régionaux et nationaux. Crisis Group publie également CrisisWatch, un bulletin mensuel d’alerte précoce offrant régulièrement une brève mise à jour de la situation dans plus de 70 situations de conflit (en cours ou potentiel).

Les rapports de Crisis Group sont diffusés à une large audience par courrier électronique. Ils sont égale-ment accessibles au grand public via le site internet de l’organisation : www.crisisgroup.org. Crisis Group travaille en étroite collaboration avec les gouvernements et ceux qui les influencent, notamment les mé-dias, afin d’attirer leur attention et de promouvoir ses analyses et recommandations politiques.

Le Conseil d’administration de Crisis Group, qui compte d’éminentes personnalités du monde politique, diplomatique, des affaires et des médias, s’engage directement à promouvoir les rapports et les recom-mandations auprès des dirigeants politiques du monde entier. Le Conseil d’administration est présidé par Mark Malloch-Brown, ancien vice-secrétaire général des Nations unies et administrateur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). La vice-présidente du Conseil est Ayo Obe, juriste, chroniqueuse et présentatrice de télévision au Nigéria.

Le président-directeur général de Crisis Group, Jean-Marie Guéhenno était le secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix des Nations unies de 2000 à 2008, et l’envoyé spécial adjoint des Nations unies et de la Ligue arabe en Syrie en 2012. Il a quitté ce poste pour présider la commission de rédaction du livre blanc français de la défense et de la sécurité nationale en 2013.

Crisis Group a son siège à Bruxelles et dispose de bureaux dans neuf autres villes : Bichkek, Bogotá, Dakar, Islamabad, Istanbul, Nairobi, Londres, New York et Washington DC. L’organisation a également des représentations dans les villes suivantes : Bangkok, Beyrouth, Caracas, Delhi, Dubaï, Gaza, Ciudad de Guatemala, Jérusalem, Johannesburg, Kaboul, Kiev, Mexico, Pékin, Rabat, Sydney, Tunis et Yangon.

Crisis Group reçoit le soutien financier d’un grand nombre de gouvernements, de fondations institution-nelles et de donateurs privés. Actuellement, Crisis Group entretient des relations avec les agences et départements gouvernementaux suivants: le ministère allemand des affaires étrangères, l’Agence améri-caine pour le développement international, le ministère australian des Affaires étrangères et du com-merce, l’Agence autrichienne pour le développement, le ministère canadien des Affaires étrangères, du commerce et du développement, la Principauté du Liechtenstein, le Département fédéral des affaires étrangères de la Confédération suisse, le ministère finlandais des Affaires étrangères, le ministère fran-çais des Affaires étrangères, le ministère luxembourgeois des Affaires étrangères, le ministère néer-landais des Affaires étrangères, le ministère néo-zélandais des Affaires étrangères et du commerce, le ministère norvégien des Affaires étrangères, le ministère suédois des Affaires étrangères, et Irish Aid.

Crisis Group entretient aussi des relations avec les fondations suivantes : la Carnegie Corporation de New York, la Fondation John D. et Catherine T. MacArthur, la Foundation Koerber, la Fondation de Henry Luce, la Fondation Humanity United, la Fondation Tinker, le Fonds Ploughshares, les Fondations Open Society, l’Initiative Open Society pour l’Afrique de l’Ouest, et le Fond des frères Rockefeller.

Novembre 2016

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Annexe E : Rapports et briefings sur Moyen-Orient et Afrique du Nord depuis 2013

Rapports Spéciaux

Exploiting Disorder: al-Qaeda and the Islamic State, Rapport spécial, 14 mars 2016 (aussi disponible en arabe).

Seizing the Moment: From Early Warning to Early Action, Rapport spécial N°2, 22 juin 2016.

Israël/Palestine

Buying Time? Money, Guns and Politics in the West Bank, Rapport Moyen-Orient N°142, 29 mai 2013 (aussi disponible en arabe).

Leap of Faith: Israel’s National Religious and the Israeli-Palestinian Conflict, Rapport Moyen-Orient N°147, 21 novembre 2013 (aussi disponible en arabe et hébreu).

The Next Round in Gaza, Rapport Moyen-Orient N°149, 25 mars 2014 (aussi disponible en arabe).

Gaza and Israel: New Obstacles, New Solu-tions, Briefing Moyen-Orient N°39, 14 juillet 2014.

Bringing Back the Palestinian Refugee Ques-tion, Rapport Moyen-Orient N°156, 9 octobre 2014 (aussi disponible en arabe).

Toward a Lasting Ceasefire in Gaza, Briefing Moyen-Orient N°42, 23 octobre 2014 (aussi disponible en arabe).

The Status of the Status Quo at Jerusalem’s Holy Esplanade, Rapport Moyen-Orient N°159, 30 juin 2015 (aussi disponible en arabe et hébreu).

No Exit? Gaza & Israel Between Wars, Rapport Moyen-Orient N°162, 26 août 2015. (aussi disponible en arabe).

How to Preserve the Fragile Calm at Jerusa-lem’s Holy Esplanade, Briefing Moyen-Orient N°48, 7 avril 2016 (aussi disponible en arabe et hébreu).

Israel/Palestine: Parameters for a Two-State Settlement, Rapport Moyen-Orient N°172, 28 novembre 2016.

Irak/Syrie/Liban

Syria’s Kurds: A Struggle Within a Struggle, Rapport Moyen-Orient N°136, 22 janvier 2013 (aussi disponible en arabe et en kurde).

Too Close For Comfort: Syrians in Lebanon, Rapport Moyen-Orient N°141, 13 mai 2013 (aussi disponible en arabe).

Syria’s Metastasising Conflicts, Rapport Moyen-Orient N°143, 27 juin 2013 (aussi disponible en arabe).

Anything But Politics: The State of Syria’s Politi-cal Opposition, Rapport Moyen-Orient N°146, 17 octobre 2013 (aussi disponible en arabe).

Iraq: Falluja’s Faustian Bargain, Rapport Moyen-Orient N°150, 28 avril 2014 (aussi dis-ponible en arabe).

Flight of Icarus? The PYD’s Precarious Rise in Syria, Rapport Moyen-Orient N°151, 8 mai 2014 (aussi disponible en arabe).

Lebanon’s Hizbollah Turns Eastward to Syria, Rapport Moyen-Orient N°153, 27 mai 2014 (aussi disponible en arabe).

Iraq’s Jihadi Jack-in-the-Box, Briefing Moyen-Orient N°38, 20 juin 2014.

Rigged Cars and Barrel Bombs: Aleppo and the State of the Syrian War, Rapport Moyen-Orient N°155, 9 septembre 2014 (aussi dis-ponible en arabe).

Arming Iraq’s Kurds: Fighting IS, Inviting Con-flict, Rapport Moyen-Orient N°158, 12 mai 2015 (aussi disponible en arabe).

Lebanon’s Self-Defeating Survival Strategies, Rapport Moyen-Orient N°160, 20 juillet 2015 (aussi disponible en arabe).

New Approach in Southern Syria, Rapport Moyen-Orient N°163, 2 septembre 2015 (aus-si disponible en arabe).

Arsal in the Crosshairs: The Predicament of a Small Lebanese Border Town, Briefing Moy-en-Orient N°46, 23 février 2016 (aussi dis-ponible en arabe).

Russia’s Choice in Syria, Briefing Moyen-Orient N°47, 29 mars 2016 2016 (aussi disponible en arabe).

Steps Toward Stabilising Syria’s Northern Bor-der, Briefing Moyen-Orient N°49, 8 avril 2016 (aussi disponible en arabe).

Fight or Flight: The Desperate Plight of Iraq’s “Generation 2000”, Rapport Moyen-Orient N°169, 8 août 2016 (aussi disponible en arabe).

Afrique du Nord

Tunisie: violences et défi salafiste, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°137, 13 fé-vrier 2013 (aussi disponible en anglais et en arabe).

Trial by Error: Justice in Post-Qadhafi Libya, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°140, 17 avril 2013 (aussi disponible en arabe).

Marching in Circles: Egypt's Dangerous Second Transition, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°35, 7 août 2013 (aussi disponible en arabe).

La Tunisie des frontières : jihad et contrebande, Moyen-Orient/Afrique du Nord N°148, 28 novembre 2013 (aussi disponible en an-glais et en arabe).

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L’exception tunisienne : succès et limites du consensus, Briefing Moyen-Orient/Afrique du Nord N°37, 5 juin 2014 (aussi disponible en arabe).

La Tunisie des frontières (II) : terrorisme et pola-risation régionale, Briefing Moyen-Orient/Afrique du Nord N°41, 21 octobre 2014 (aussi disponible en anglais et en arabe).

Elections en Tunisie : vieilles blessures, nou-velles craintes, Briefing Moyen-Orient/Afrique du Nord N°44, 19 décembre 2014.

Libya: Getting Geneva Right, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°157, 26 fevrier 2015. (aussi disponible en arabe).

Réforme et stratégie sécuritaire en Tunisie, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°161, 23 juillet 2015 . (aussi disponible en anglais).

L’Algérie et ses voisins, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 (aussi disponible en anglais et en arabe).

The Prize: Fighting for Libya’s Energy Wealth, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°165, 3 décembre 2015 (aussi disponible en arabe).

Tunisie : justice transitionnelle et lutte contre la corruption, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°168, 3 mai 2016 (aussi disponible en arabe).

Violence jihadiste en Tunisie : l’urgence d’une stratégie nationale, Briefing Moyen-Orient/Afrique du Nord N°50, 22 juin 2016 (aussi disponible en anglais et arabe).

The Libyan Political Agreement: Time for a Re-set, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°170, 4 novembre 2016 (aussi disponible en arabe).

Algeria’s South: Trouble’s Bellwether, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°171, 21 no-vembre 2016.

Iran/Yemen/Golfe

Spider Web: The Making and Unmaking of Iran Sanctions, Rapport Moyen-Orient N°138, 25 février 2013 (aussi disponible en farsi).

Yemen’s Military-Security Reform: Seeds of New Conflict?, Rapport Moyen-Orient N°139, 4 avril 2013 (aussi disponible en arabe).

Great Expectations: Iran’s New President and the Nuclear Talks, Briefing Moyen-Orient N°36, 13 août 2013 (aussi disponible en farsi).

Make or Break: Iraq’s Sunnis and the State, Rapport Moyen-Orient N°144, 14 août 2013 (aussi disponible en arabe).

Yemen’s Southern Question: Avoiding a Break-down, Rapport Moyen-Orient N°145, 25 sep-tembre 2013 (aussi disponible en arabe).

Iran and the P5+1: Solving the Nuclear Rubik’s Cube, Rapport Moyen-Orient N°152, 9 mai 2014 (aussi disponible en farsi).

The Huthis: From Saada to Sanaa, Rapport Moyen-Orient N°154, 10 juin 2014 (aussi dis-ponible en arabe).

Iran and the P5+1: Getting to “Yes”, Briefing Moyen-Orient N°40, 27 août 2014 (aussi dis-ponible en farsi).

Iran Nuclear Talks: The Fog Recedes, Briefing Moyen-Orient N°43, 10 décembre 2014 (aussi disponible en farsi).

Yemen at War, Briefing Moyen-Orient N°45, 27 mars 2015 (aussi disponible en arabe).

Iran After the Nuclear Deal, Rapport Moyen-Orient N°166, 15 décembre 2015 (aussi dis-ponible en arabe).

Yemen: Is Peace Possible?, Rapport Moyen-Orient N°167, 9 février 2016 (aussi disponible en arabe).

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Annexe F : Conseil d’administration de l’International Crisis Group

PRESIDENT DU CONSEIL

Lord (Mark) Malloch-Brown Ancien vice-secrétaire général des Nations unies et administrateur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD)

PRESIDENT-DIRECTEUR GENERAL

Jean-Marie Guéhenno Ancien sous-secrétaire général du Département des opérations de maintien de la paix des Nations unies

VICE-PRESIDENTE DU CONSEIL

Ayo Obe Présidente du Conseil, Gorée Institute (Sénégal) ; avocate (Nigéria)

AUTRES MEMBRES DU CONSEIL

Fola Adeola Fondateur et président, FATE Foundation

Ali al Shihabi Écrivain; Fondateur et ancien président, Rasmala Investment bank

Celso Amorim Ancien ministre brésilien des Relations extérieures; Ancien ministre de la Défense

Hushang Ansary Président, Parman Capital Group LLC; ancien ambassadeur d’Iran aux Etats-Unis et ministre des Finances et des Affaires économiques

Nahum Barnea Chroniqueur politique, Israël

Kim Beazley Ancien vice-Premier ministre d’Australie et ambassadeur aux Etats-Unis ; ancien ministre de la Défense

Carl Bildt Ancien ministre des Affaires étrangères de la Suède

Emma Bonino Ancienne ministre italienne des Affaires étrangères ; ancienne commissaire européenne pour l’aide humanitaire

Lakhdar Brahimi Membre, The Elders; diplomate des Nations unies; ancien ministre algérien des Affaires étrangères

Cheryl Carolus Ancienne haut-commissaire de l’Afrique du Sud auprès du Royaume-Uni et secrétaire générale du Congrès national africain (ANC)

Maria Livanos Cattaui Ancienne secrétaire générale à la Chambre de commerce internationale

Wesley Clark Ancien commandant suprême des forces alliées de l’Otan en Europe

Sheila Coronel Professeur « Toni Stabile » de pratique de journalisme d’investigation et directrice du Centre Toni Stabile pour le journalisme d’investigation, Université de Columbia

Frank Giustra Président-directeur général, Fiore Financial Corporation

Mo Ibrahim Fondateur et président, Fondation Mo Ibrahim ; fondateur, Celtel International

Wolfgang Ischinger Président, Forum de Munich sur les politiques de défense; ancien vice-ministre allemand des Affaires étrangères et ambassadeur en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis

Asma Jahangir Ancienne présidente de l’Association du Barreau de la Cour suprême du Pakistan ; ancienne rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion ou de conviction

Yoriko Kawaguchi Ancienne ministre japonaise des Affaires étrangères ; ancienne ministre de l’Environnement

Wadah Khanfar Co-fondateur, Forum Al Sharq ; ancien directeur général du réseau Al Jazeera

Wim Kok Ancien Premier ministre des Pays-Bas

Andrey Kortunov Directeur général du Conseil russe pour les affaires internationales

Ivan Krastev Président du Centre pour les stratégies libérales (Sofia) ; membre fondateur du conseil d’administration du Conseil européen des relations internationales

Ricardo Lagos Ancien président du Chili

Joanne Leedom-Ackerman Ancienne secrétaire internationale de PEN International ; romancière et journaliste, Etats-Unis

Helge Lund Ancien président-directeur général de BG Group Limited et Statoil ASA

Shivshankar Menon Ancien ministre indien des Affaires étrangères et conseiller à la sécurité nationale

Naz Modirzadeh Directeur du Programme sur le droit international et les conflits armés de la Faculté de droit de Harvard

Saad Mohseni Président et directeur général de MOBY Group

Marty Natalegawa Ancien ministre indonésien des Affaires étrangères, représentant permanent auprès de l’ONU et ambassadeur au Royaume-Uni

Roza Otunbayeva Ancienne présidente de la République kirghize ; fondatrice de la « Roza Otunbayeva Initiative », fondation internationale publique

Thomas R. Pickering Ancien sous-secrétaire d’Etat américain ; ambassadeur des Etats-Unis aux Nations unies, en Russie, en Inde, en Israël, au Salvador, au Nigéria et en Jordanie

Olympia Snowe Ancienne sénatrice américaine et membre de la Chambre des représentants

Javier Solana Président du Centre pour l’Economie globale et la Géopolitiques ESADE ; membre émérite, The Brookings Institution

Alexander Soros Membre, Open Society Foundations

George Soros Président, Open Society Institute ; président du Soros Fund Management

Pär Stenbäck Ancien ministre finlandais des Affaires étrangères et de l’Education ; président du Parlement culturel européen

Jonas Gahr Støre Chef du Parti travailliste norvégien et du groupe parlementaire du Parti travailliste ; ancien ministre norvégien des Affaires étrangères

Lawrence H. Summers Ancien directeur du Conseil de la sécurité économique et secrétaire du Trésor des Etats-Unis ; président émérite de l’Université de Harvard

Helle Thorning-Schmidt Directrice générale de Save the Children International ; ancienne Première ministre du Danemark

Wang Jisi Membre du comité de conseil en politique étrangère du ministère des Affaires étrangères chinois ; ancien directeur, Ecole des affaires internationales, Université de Pékin

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CONSEIL PRESIDENTIEL Groupe éminent de donateurs privés et d’entreprises qui apportent un soutien et une expertise essentiels à Crisis Group.

ENTREPRISES

BP

Shearman & Sterling LLP

Statoil (U.K.) Ltd.

White & Case LLP

DONATEURS PRIVES

(5) Anonyme

Scott Bessent

David Brown & Erika Franke

Stephen & Jennifer Dattels

Herman De Bode

Reynold Levy

Alexander Soros

CONSEIL CONSULTATIF INTERNATIONAL Donateurs privés et entreprises qui fournissent une contribution essentielle aux activités de prévention des conflits armés de Crisis Group.

ENTREPRISES

APCO Worldwide Inc.

Atlas Copco AB

BG Group plc

Chevron

Edelman UK

HSBC Holdings plc

MetLife

Shell

Yapı Merkezi Construction and

Industry Inc.

DONATEURS PRIVES

(2) Anonymous

Mark Bergman

Stanley Bergman & Edward

Bergman

Elizabeth Bohart

Neil & Sandra DeFeo Family

Foundation

Sam Englebardt

Neemat Frem

Seth & Jane Ginns

Ronald Glickman

Rita E. Hauser

Geoffrey R. Hoguet & Ana

Luisa Ponti

Geoffrey Hsu

Faisel Khan

Cleopatra Kitti

Virginie Maisonneuve

Dennis Miller

Kerry Propper

Nina K. Solarz

CONSEIL DES AMBASSADEURS Les étoiles montantes de divers horizons qui, avec leur talent et leur expertise, soutiennent la mission de Crisis Group.

Luke Alexander

Gillea Allison

Amy Benziger

Tripp Callan

Victoria Ergolavou

Christina Bache Fidan

Beatriz Garcia

Lynda Hammes

Matthew Magenheim

Madison Malloch-Brown

Peter Martin

Megan McGill

Rahul Sen Sharma

Leeanne Su

AJ Twombly

Dillon Twombly

Grant Webster

CONSEILLERS Anciens membres du Conseil d’administration qui maintiennent leur collaboration avec Crisis Group et apportent leurs conseils et soutien (en accord avec toute autre fonction qu’ils peuvent exercer parallèlement).

Martti Ahtisaari Président émérite

George Mitchell Président émérite

Gareth Evans Président émérite

Kenneth Adelman Adnan Abu-Odeh HRH Prince Turki al-Faisal Óscar Arias Ersin Arıoğlu Richard Armitage Diego Arria Zainab Bangura Shlomo Ben-Ami Christoph Bertram Alan Blinken Lakhdar Brahimi

Zbigniew Brzezinski Kim Campbell Jorge Castañeda Naresh Chandra Eugene Chien Joaquim Alberto Chissano Victor Chu Mong Joon Chung Pat Cox Gianfranco Dell’Alba Jacques Delors Alain Destexhe Mou-Shih Ding Uffe Ellemann-Jensen Gernot Erler Marika Fahlén Stanley Fischer Carla Hills Swanee Hunt

James V. Kimsey Aleksander Kwasniewski Todung Mulya Lubis Allan J. MacEachen Graça Machel Jessica T. Mathews Barbara McDougall Matthew McHugh Miklós Németh Christine Ockrent Timothy Ong Olara Otunnu Lord (Christopher) Patten Victor Pinchuk Surin Pitsuwan Fidel V. Ramos