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7/23/2019 Sur Le Fond, l'Accord Grec Ne Règle Rien
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Sur le fond, l'accord grec ne règle rienPAR LUDOVIC LAMANTARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 16 JUILLET 2015
Le principal mérite de l'accord intervenu lundi estd'éviter une sortie chaotique de la Grèce de la zoneeuro, jugent des économistes joints par Mediapart.Mais les conditions fixées à Athènes sont contre-productives. Aucune leçon n'a été tirée depuis 2010.
De notre envoyé spécial à Bruxelles.-« Ils sont
unanimes dans leur haine envers moi, et je me réjouis
de cette haine », avait ironisé Yanis Varoufakis, citantRoosevelt, à l'issue d'un Eurogroupe particulièrementmouvementé, fin avril à Riga. De début février jusqu'àson éviction, le 6 juillet, le reproche formulé àl'encontre du ministre des finances grec fut toujours lemême: il donne des leçons d'économie à ses collègues,lorsqu'il devrait plutôt apprendre à négocier, chiffres àl'appui, pour avancer vers un compromis.Peter Kazimir, le ministre des finances slovaque(social-démocrate), l'un des plus durs à l'encontred'Athènes, s'était agacé, le 27 juin, avant la tenue
d'un énième Eurogroupe à Bruxelles. Qu'attendez-vous de Varoufakis, lui avait demandé, en substance,un journaliste à son arrivée dans la capitale belge. Etle Slovaque de répondre: « Des exposés [lectures–
ndlr], comme d'habitude! » À chaque fois, la critiquerevenait en boucle, pour discréditer le Grec: c'est ununiversitaire qui passe sa vie à donner des leçons,incapable de négocier un texte précis.
[[lire_aussi]]
Sur le fond, l'intrus Varoufakis à Bruxelles révèle
quelque chose de bien plus profond: l'Eurogroupen'est pas un lieu où l'on débat de théorie économique,mais un cénacle où l'on prend des décisions, coûteque coûte. Comme s'il était impossible de combinerexpertise économique et prise de décision efficace.Comme si tout débat d'idées n'avait pas sa place dansla capitale belge. Depuis, Varoufakis a quitté la scènebruxelloise. Un préaccord, encore très fragile, a été
conclu lundi matin, entre Athènes et ses créanciers,ouvrant de nouvelles négociations censées déboucher
sur un troisième programme d'aide d'ici l'automne.
La plupart des économistes joints par Mediapartsont très critiques à l'encontre de ce futur troisième
programme, qui pourrait grimper jusqu'à 86 milliardsd'euros sur trois ans. À leurs yeux, le risque est grandde reproduire les erreurs commises depuis 2010, lorsdes deux précédents méga-prêts (d'un total cumulé de240 milliards d'euros, mais l'ensemble des prêts n'a pasété débloqué). «C'est catastrophique», juge l'« atterré» Henri Steryniack, de l'OFCE. Pour son collègueXavier Timbeau (OFCE lui aussi), plus prudent, «c'est
un accord incomplet, qui a le mérite d'éviter la rupture
avec la zone euro». « On a évité le pire mais le prix
est quand même très élevé », avance le Belge Paul deGrauwe, de la London School of Economics (LSE).Certains économistes, très proches des discussionsentre les murs des institutions bruxelloises, sontcarrément plus sceptiques. « C'est tellement insensé
que j'ai le sentiment qu'ils ont voulu préparer la sortie
de la Grèce pour dans un an, analyse l'un d'entre eux,sous le sceau de l'anonymat. On fait les mêmes erreurs
que dans les deux premiers plans, mais en allant
encore plus loin. Ça donne l'impression d'être délibéré
pour revenir dans un an autour de la table, en disant:
voilà, on leur a donné leur chance, et maintenant, on
passe au plan B. »
Tous s'entendent sur un point : rien n'est réglésur le fond. D'autres négociations devront suivre,qui s'annoncent là encore périlleuses. Passage enrevue des points durs et des inconnues qui subsistent(l'intégralité de l'accord de lundi est à télécharger ici).1 - Des objectifs budgétaires aux effets récessifsL'accord dresse la liste de « pré-conditions » pourbaliser la négociation des semaines à venir. Il
faudra encore attendre pour connaître le détail dumémorandum. Mais dès jeudi soir, Athènes avait
envoyé un document à Bruxelles s'engageant sur 13milliards d'euros d'économies sur trois ans, d'ici fin2018. Ce cocktail de hausses d'impôts et de coupesbudgétaires aura un eff et récessif à court terme.Selon les premiers calculs qui circulent, celaentraînerait une contraction d'environ deux points dela « demande agrégée » dès la première année, et, parricochets, une chute de 3 à 4 points de PIB (à cause du «
multiplicateur keynésien », qui aggrave les effets
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récessifs). Et encore: ces prévisions déjà sombres neprennent pas en compte l'incertitude des derniers mois
en Grèce, et l'impact sur l'activité du pays, sans doutelourd, du contrôle imposé aux banques depuis fin juin.«On a été si loin dans cette volonté de punir que le
résultat sera que la Grèce va se maintenir dans la
récession pendant de nombreuses années », prévientPaul de Grauwe.Mécaniquement, si la Grèce repasse par la caserécession, cela gonflera encore un peu plus son ratiodette / PIB (puisque le PIB va plonger). Exactementl'inverse de l'objectif annoncé par ce plan d'« aide
» à la Grèce. Dans un rapport révélé lundi, le FMIpronostique d'ailleurs un fardeau de la dette à 200%du PIB d'ici deux ans (contre 177% ces jours-ci et127% avant le début de la crise)… La commissioneuropéenne semble avoir déjà anticipé la dynamique,pariant déjà sur une croissance négative comprise entre-2 et -4% du PIB sur 2015.
Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit.
Pour rappel, le texte soumis au vote du Parlementgrec mercredi prévoit un mécanisme de coupes
budgétaires «quasi-automatiques » en cas de non-respect des engagements budgétaires pris auprès desinstitutions de l'ex-Troïka. «Dans un pays où l’un
des principaux problèmes est actuellement l’économie
grise et le paiement de l’impôt, le plan adopté
prévoit notamment d’accroître de 13% à 23% la
TVA sur la restauration (elle est de 10% en
France) : combien faudrait-il embaucher de policiers
pour qu’une telle mesure ait la moindre chance
d’entrer effectivement en vigueur ? Surréaliste…», juge Guillaume Duval, rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques.
2 - Le vieux filon des privatisationsÀ la demande explicite de Berlin, la Grèces'engage à mettre sur pied un fonds financéà hauteur de 50 milliards d'euros, grâce à laprivatisation d'actifs grecs. Une moitié de ces actifsserait affectée au remboursement de la dette. Uneautre à l'investissement dans l'économie. « Ils
n'obtiendront jamais 50 milliards, il n'y aura rien
pour l'investissement», balaie Sterdyniak. « Ça frôle
l'imposture intellectuelle », commente un conseiller
politique à Bruxelles, sous le sceau de l'anonymat.Ce n'est pas la première fois que les créanciersmisent sur le magot des ports, aéroports et autresentreprises de transports publiques, pour trouver ducash rapidement. Elles étaient déjà présentes noir surblanc dans les deux précédents plans d'aide. Maisau fil des ans, conscientes des difficultés sur leterrain, les institutions de l'ex-Troïka avaient arrondiles angles et revu leurs prévisions à la baisse. En 2011,elles tablaient ainsi sur des recettes cumulées de 50
milliards d'euros pour les caisses de l'État d'ici fin2015. La prévision chutait à 19 milliards d'euros dès2012. En 2013, elle n'était plus que de… 8,7 milliardsd'euros.Au-delà des prévisions, les résultats constatés sont
encore plus délicats. Ces opérations ont dégagé en2011 un peu moins de 1,6 milliard d'euros (contre 5milliards espérés). La vente d'immeubles publics avaitpermis de dégager, fin 2013, 378 millions d'euros (rienen 2011, ni en 2012). Créée pour l'occasion, l'agencecensée superviser les privatisations, le « Taiped », esttrès contestée, confrontée, en particulier, à une valsede ses directeurs et à des soupçons de favoritismeau profit des proches de certains partis politiques.À ce stade, on voit mal qui peut vraiment croire àun fonds doté de 50 milliards d'euros d'actifs publics(l'équivalent de près du quart du PIB grec!) prêts à êtrevendus du jour au lendemain.
Dans le décryptage de l'accord qu'il a entrepris sur sonblog, l'ex-ministre des finances grec Yanis Varoufakisrésume à sa manière le projet de ce fonds: « Des
biens publics seront cédés, et les maigres sommes qui
seront dégagées seront affectées au service d'une dette
impossible à servir – et il ne restera rien pour des
investissements publics ou privés. »
Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit.
3 - La restructuration de la dette : un premier pas ?C'est le point le plus important des négociations, etcelui que les Allemands se refusent à aborder à courtterme. Selon le document conclu lundi, il n'est pasquestion d'une annulation partielle de la dette (unhaircut ). Tout au plus d'un rééchelonnement, dont le
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calendrier reste très flou: «Ces mesures dépendront
de l'application complète des mesures décidées dans
le cadre d'un nouvel arrangement avec la Grèce, et seront considérées après un satisfecit de la première
“revue” du programme.»
Le document se contente de reprendre le précédentengagement des créanciers lors d'un Eurogroupe, ennovembre 2012. À l'époque, les ministres s'étaientengagés à ouvrir un débat sur une éventuellerestructuration du fardeau. Mais cette promesse nes'était en fait jamais concrétisée. Les choses seraient-elles différentes aujourd'hui? Oui, sans doute. Le
FMI – qui défend de longue date une restructuration dela dette, au grand dam de Berlin – ne cesse d'accroîtrela pression.L'institution de Washington avait déjà publié uneétude sur la Grèce allant dans ce sens, le jeudiprécédant le référendum du 5 juillet. Elle acommuniqué à ses partenaires, en fin de semainedernière, un nouveau document (de trois pages, à
télécharger ici), dans lesquelles elle répète que ladette grecque n'est « pas soutenable ». « La dette de la
Grèce ne pourra être rendue soutenable qu'à travers
des mesures d'allègement de la dette, qui vont bien
plus loin que ce que les Européens ont jusqu'à présent
accepté de considérer », est-il écrit dans ce texte, quia valeur d'avertissement musclé à l'adresse de Berlin.Ces derniers jours, Paris a plutôt soutenu le FMI surle sujet.La restructuration de la dette reste donc un chantiergrand ouvert. L'accord de lundi est extrêmement flousur le sujet. Mais la bataille n'est pas terminée. PourXavier Timbeau (OFCE), «l'accord inclut un point
de désaccord majeur, sur la dette». «Il faudra dutemps aux Allemands pour avaler la pilule, assure-t-il. La discussion sera sans doute plus facile avec
Berlin quand les doutes des Allemands sur la capacité
des Grecs à mettre en œuvre des réformes prévues
par le programme, ce qu'ils appellent le “sérieux”,
auront été levés. Mais c'est évident qu'il y aura une
négociation sur la dette. On ne pourra pas l'éviter.
Si les réformes avancent bien, les Allemands n'auront
plus d'arguments pour refuser d'ici un an. La crainte
des Allemands, c'est qu'une fois que l'on commence
à restructurer, cela ne s'arrête jamais, qu'on le fasse
tous les cinq ans, pendant 50 ans, que c'est un puits
sans fond, que les Grecs n'y arriveront jamais.»
L'analyse de Yanis Varoufakis est plus directe: «La
Troïka va laisser le gouvernement grec travailler, sous
une masse de dettes impossibles à rembourser et,
lorsque le programme aura échoué, que la pauvreté
aura encore progressé, et les rentrées d'argent se
seront encore un peu plus effondrées, alors nous
pourrons enfin procéder à des annulations partielles
de la dette – c'est ce que la Troïka avait consenti en
2012.»
4 - Un plan de relance à 35 milliards d'eurosJean-Claude Juncker l'avait déjà dévoilé en juin,et les conclusions le reprennent in extenso : unplan de relance de 35 milliards d'euros est prévuà destination de la Grèce. Dans le détail, c'est unpeu plus compliqué: il s'agit d'une mobilisation, plusrapide, de l'ensemble des fonds structurels fléchés pourAthènes, ces fonds européens déjà budgétés dans lecadre des lignes budgétaires 2014-2020 en Europe.Mais la commission s'engage à faciliter le déblocage
de cet argent, en particulier en jouant sur les critèresde cofinancement (en théorie, chaque euro avancé parBruxelles doit être accompagné d'un euro débloqué parl'État grec, mais cette règle va être allégée). C'est cequ'on appelle, en jargon bruxellois, du « re-packaging
».« C'est un point d'interrogation, juge Xavier Timbaud.Soit l'o pération consiste à remettre une couche de
peinture fraîche sur des choses qui de toute façon,
ne fonctionnent pas. Soit c'est un moyen d'arriver
à mobiliser de manière plus efficace des fonds quiexistent à Bruxelles, et peuvent vraiment compenser
les effets de l'austérité prévue dans l'accord… Cela
pourrait changer beaucoup de choses », veut-il croire.« Sur les 35 milliards annoncés, considérez qu'il y
aura un milliard d'argent frais », juge, de son côté,Yanis Varoufakis dans son décryptage de l'accord.5 - Une méthode contre-productiveDepuis fin 2014, le commissaire européen PierreMoscovici et d'autres promettaient la fin de la Troïka.À Bruxelles, la « task force » pour la Grèce,
cette équipe de fonctionnaires européens chargés de
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travailler avec l'administration grecque pour mettreen place les mesures prévues par les mémorandums,
n'existe plus en tant que telle. La victoire de Syriza, en janvier 2015, semblait avoir définitivement enterré laméthode agressive de la Troïka.Mais l'accord conclu lundi marque un retour en arrièrenet. Deux passages de l'accord de lundi confirment ceque certains dénoncent comme une « mise sous tutelle
». D'abord, provocation absolue pour Alexis Tsipras,qui avait promis la fin de la Troïka, il est bien écritque l'exécutif grec devra « normaliser ses méthodes
de travail avec les institutions, y compris le travail
nécessaire sur le terrain à Athènes, pour améliorer lamise en application du programme et son évaluation ».Et plus gênant encore, preuve de l'état de confiance àpeu près nul qui existe entre Athènes et ses créanciers:
« Le gouvernement devra consulter et s'entendre avec
les institutions, pour n'importe quel brouillon de loi
en préparation, dans les secteurs concernés, avec unlaps de temps suffisant avant de le soumettre à la
consultation publique ou au parlement. »
« Cette disposition est assez révolutionnaire, c'est du
jamais vu, pour ce genre de programmes, depuis le
début de la crise des dettes souveraines en Europe
», confie un observateur habitué à décortiquer lesmémorandums à Bruxelles. Sur le front économique,ces mesures n'ont pas d'incidence directe. Maiscette humiliation politique risque de compliquer l' «
appropriation » par les Grecs de ces réformes, etmettre en péril, une fois de plus, l'avancée des réformessur le terrain.
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