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Fiches de recommandations de la SFEO Surveillance endoscopique des maladies inflammatoires chroniques de I'intestin M. BARTHET G. GAY, D. SAUTEREAU, T. PONCHON, B. NAPOLI~ON, J. BOYER, J.-M. CANARD, P.-A. DALBIt~S, J. ESCOURROU, M. GREFF, J. LAPUELLE, J.-C. LETARD, B. MARCHETTI, L. PALAZZO. Les maladies inflammatoires chroniques de l'intes- tin, la rectocolite hdmorragique et la maladie de Crohn, constituent un probl6me authentique de sant6 publique. La fr6quence de la rectocolite h6morra- gique (RCH), stabilis6e depuis le d6but des anndes 1980, est proche de 10 pour 100000 habitants [1]. La MC est une affection dont la frdquence semble en augmentation avec une incidence globale h 5,6 /100 000 [1], multipli6e par 5 ou 6 depuis les anndes 1960 jusqu'aux ann6es 1980. Cette prdvalence impor- tante d'une affection chronique se double d'un risque d'apparition de cancer digestif qui demeure une crainte importante tant pour les patients que pour les m6decins, et qui justifie une surveillance endosco- pique rdguli6re. Malheureusement, cette surveillance est mal codifi6e, r6alis6e de mani~re empirique. L RISQUE ET FACTEURS DE RISQUE DE CANCER DIGESTIF a. Rectocolite h6morragique Les premieres 6tudes bas6es sur des s6ries essen- tiellement hospitali6res faisaient 6tat d'un risque de cancer digestif probablement surestim6 de 5 ~ 21% apr6s 20 ans d'6volution [2]. Le risque est apparu plus faible : 3,1% et 5 % a 20 ans dans deux sdries r6centes [2]. Les chiffres les plus proches de la vdrit6 ont pro- bablement 6t6 6tablis par une m6ta-analyse r6cente qui a 6valu6 le risque de cancer digestif ~ 2 % 10 ans, 8 % ~ 20 ans, et 18 % ~ 30 ans [3]. Le facteur de risque le plus reconnu est la dur6e d'dvolution. Le risque ddbute aprbs 8 ~ 10 ans d'dvo- lution [2], puis augmente rdguli6rement de 0,5 ~ 1% par an [4]. L'fige de ddbut de la maladie apparait maintenant comme un facteur inddpendant [2]. L'extension de la maladie est 6galement un facteur bien connu. Ainsi, dans l'6tude suddoise, le risque de cancer 6tait de 14,8 en cas de pancolite ; de 2,8 en cas de colite gauche; de 1,7 en cas de proctite [2,4]. Le risque de cancer en cas de proctite ou de colite gauche est surtout d6cal6 dans le temps d'une dizaine d'ann6es [2,4]. En revanche, la s6v6rit6 de l'affection ne semble pas constituer un facteur de risque particu- Acta Endoscopica lier [2]. Plusieurs 6tudes ont montr6 un risque plus 61ev6 de cancer du c61on en cas de cholangite scl6ro- sante [2]. Un r61e protecteur des folates 6tait sugg6r6 dans cette m~me 6tude mais aussi du 5 ASA dans un autre travail [5]. Un ant6c6dent familial de cancer sporadique du c61on multiplie par deux le risque de cancer colique en cas de RCH, de faqon ind6pen- dante [2]. b. Maladie de Crohn Deux 6tudes r6centes ont montr6 que le risque de cancer colique 6tait identique dans la MC et la RCH [5,6]. Le risque de cancer digestif est multipli6 par un facteur de 2,6 a 3,4; le risque de cancer du gr6le variant de 15,6 a 50 [6]. La dur6e d'6volution ne semblait pas 6tre un fac- teur de risque [7]. Un fige de d6but inf6rieur a 30 ans ou ?a25 ans augmente le risque, ind6pendamment de la dur6e d'6volution de la MC [7]. Le risque de lym- phome digestif en cas de MC, mais aussi en cas de MICI, est augment6, le r61e des immunosuppresseurs 6tant controvers6 [8]. II. SURVEILLANCE ENDOSCOPIQUE DES MICI: STRA T[~GIE, MODALITf.S, LIMITES a. Rectocolite h6morragique Stratdgies et modalitds Le risque de cancer colorectal d6bute apr6s 8 10 ans d'6volution si bien que la surveillance endo- scopique doit d6buter h partir de 8 ans en cas de pan- colite et ~ partir de 15 ans en cas de colite gauche [2]. La fr6quence de la surveillance recommand6e est variable selon la dur6e d'6volution de la maladie [2]: 3 ans entre 10 et 20 ans d'6volution, et annuelle apr6s 30 ans d'6volution. Le rythme de la surveillance doit 6tre augment6 par l'existence de facteurs de risque clairement identifi6s comme l'~ge jeune de d6but de la maladie, l'association h une cholangite scl6rosante ou l'existence d'ant6c6dents familiaux de cancer colique. Volume 34 - N ~ spdcial CREGG - 2004 441

Surveillance endoscopique des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin

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F i c h e s d e r e c o m m a n d a t i o n s d e la SFEO

Surveillance endoscopique des maladies inflammatoires chroniques de I'intestin

M. BARTHET

G. GAY, D. SAUTEREAU, T. PONCHON, B. NAPOLI~ON, J. BOYER, J.-M. CANARD, P.-A. DALBIt~S, J. ESCOURROU, M. GREFF, J. LAPUELLE, J.-C. LETARD,

B. MARCHETTI, L. PALAZZO.

Les maladies inflammatoires chroniques de l'intes- tin, la rectocolite hdmorragique et la maladie de Crohn, constituent un probl6me authentique de sant6 publique. La fr6quence de la rectocolite h6morra- gique (RCH), stabilis6e depuis le d6but des anndes 1980, est proche de 10 pour 100000 habitants [1]. La MC est une affection dont la frdquence semble en augmentation avec une incidence globale h 5,6 /100 000 [1], multipli6e par 5 ou 6 depuis les anndes 1960 jusqu'aux ann6es 1980. Cette prdvalence impor- tante d'une affection chronique se double d'un risque d'apparition de cancer digestif qui demeure une crainte importante tant pour les patients que pour les m6decins, et qui justifie une surveillance endosco- pique rdguli6re. Malheureusement, cette surveillance est mal codifi6e, r6alis6e de mani~re empirique.

L RISQUE ET FACTEURS DE RISQUE DE CANCER DIGESTIF

a. Rectocolite h6morragique

Les premieres 6tudes bas6es sur des s6ries essen- tiellement hospitali6res faisaient 6tat d'un risque de cancer digestif probablement surestim6 de 5 ~ 21% apr6s 20 ans d'6volution [2]. Le risque est apparu plus faible : 3,1% et 5 % a 20 ans dans deux sdries r6centes [2]. Les chiffres les plus proches de la vdrit6 ont pro- bablement 6t6 6tablis par une m6ta-analyse r6cente qui a 6valu6 le risque de cancer digestif ~ 2 % 10 ans, 8 % ~ 20 ans, et 18 % ~ 30 ans [3].

Le facteur de risque le plus reconnu est la dur6e d'dvolution. Le risque ddbute aprbs 8 ~ 10 ans d'dvo- lution [2], puis augmente rdguli6rement de 0,5 ~ 1% par an [4]. L'fige de ddbut de la maladie apparait maintenant comme un facteur inddpendant [2].

L'extension de la maladie est 6galement un facteur bien connu. Ainsi, dans l'6tude suddoise, le risque de cancer 6tait de 14,8 en cas de pancolite ; de 2,8 en cas de colite gauche; de 1,7 en cas de proctite [2,4]. Le risque de cancer en cas de proctite ou de colite gauche est surtout d6cal6 dans le temps d'une dizaine d'ann6es [2,4]. En revanche, la s6v6rit6 de l'affection ne semble pas constituer un facteur de risque particu-

Acta Endoscop ica

lier [2]. Plusieurs 6tudes ont montr6 un risque plus 61ev6 de cancer du c61on en cas de cholangite scl6ro- sante [2]. Un r61e protecteur des folates 6tait sugg6r6 dans cette m~me 6tude mais aussi du 5 ASA dans un autre travail [5]. Un ant6c6dent familial de cancer sporadique du c61on multiplie par deux le risque de cancer colique en cas de RCH, de faqon ind6pen- dante [2].

b. Maladie de Crohn

Deux 6tudes r6centes ont montr6 que le risque de cancer colique 6tait identique dans la MC et la RCH [5,6]. Le risque de cancer digestif est multipli6 par un facteur de 2,6 a 3,4; le risque de cancer du gr6le variant de 15,6 a 50 [6].

La dur6e d'6volution ne semblait pas 6tre un fac- teur de risque [7]. Un fige de d6but inf6rieur a 30 ans ou ?a 25 ans augmente le risque, ind6pendamment de la dur6e d'6volution de la MC [7]. Le risque de lym- phome digestif en cas de MC, mais aussi en cas de MICI, est augment6, le r61e des immunosuppresseurs 6tant controvers6 [8].

II. SURVEILLANCE ENDOSCOPIQUE DES MICI: STRA T[~GIE, MODALITf.S, LIMITES

a. Rectocolite h6morragique

Stratdgies et modalitds

Le risque de cancer colorectal d6bute apr6s 8 10 ans d'6volution si bien que la surveillance endo- scopique doit d6buter h partir de 8 ans en cas de pan- colite et ~ partir de 15 ans en cas de colite gauche [2]. La fr6quence de la surveillance recommand6e est variable selon la dur6e d'6volution de la maladie [2]: 3 ans entre 10 et 20 ans d'6volution, et annuelle apr6s 30 ans d'6volution. Le rythme de la surveillance doit 6tre augment6 par l'existence de facteurs de risque clairement identifi6s comme l'~ge jeune de d6but de la maladie, l'association h une cholangite scl6rosante ou l'existence d'ant6c6dents familiaux de cancer colique.

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Le nombre de biopsies et leur localisation demeu- rent un sujet de controverses. La plupart des auteurs s'accordent ~ dire que plus les biopsies sont nom- breuses, plus la probabilit6 d'obtenir un diagnostic de dysplasie augmente [2]. Le nombre de biopsies doit augmenter au niveau du c61on gauche, le risque de transformation de dysplasie en cancer invasif d6pas- sant 50 % [9]. Les masses ou 16sions surdlevdes du c61on (DALM: dysplasia associated lesion or mass) associ6es g une dysplasie pr6sentent un risque de can- cer 61ev6 [10]. Ces DALM n~cessitent une sur- veillance attentive de la part des endoscopistes afin de rdaliser de nombreuses biopsies dirig6es [2, 10].

ROsultats des Otudes

Les r6sultats des 6tudes sont difficiles ~ interpr6ter en l'absence de randomisation, de pdriodes standar- disdes de surveillance, de nombre de biopsies r6ali- s6es [6]. Dans le cadre d'un programme de sur- veillance, il faudrait rdaliser 476 coloscopies selon l'6quipe de Axon, ou 66 selon celle de Connell, pour ddpister un cancer colorectal curable [2, 11]. La sur- veillance endoscopique de la RCH semble capable d'augmenter le nombre de cancers d6pist6s/~ un stade prdcoce, et de r6duire la mortalit6 par cancer colorec- tal [12].

Limites des Otudes

La dysplasie de bas grade est rencontr6e dans les biopsies de surveillance de 17 % jusqu'~t 80 % apr6s 40 ans d'6volution [2,9]. Le risque de transformation est 6galement diversement apprfici6 (10-54%) [2,9,11]. La reproductibilit6 interobservateur du dia- gnostic de dysplasie de bas grade de malignit6 est dis- cutable avec un taux de 17 % de concordance [11]. La dysplasie de haut grade est associ6e h u n risque de malignit6 dans 35 ?a 44 % des cas [11]. La reproducti- bilit6 interobservateur est meilleure, atteignant 57 % [11]. I1 est conseill6, en cas de diagnostic de dysplasie, d'obtenir une confirmation par un deuxi~me anato- mopathologiste [2].

Le probl6me des ad6nomes n6cessite de faire la diff6rence entre les ad6nomes sporadiques qui ne sont pas propres aux MICI, et peuvent 6tre influenc6s par l'existence d'ant6cddents familiaux, et les DALM qui sont des 16sions polypoides, ou en 16ger relief, ad6nomateuses ou ad6novilleuses dont l'apparition est li6e h l'6volution de la MICI [10]. Les polypes spo- radiques peuvent 6tre traitds par polypectomie endo- scopique alors que les DALM devraient conduire ~t une colectomie totale [13].

Rapport cofit/efficacitO

Les 6tudes de rapport cofit/efficacit6 sont d'origine am6ricaine et, par lg m6me, difficilement applicables au syst~me de soins fran~ais. Si le taux de cancer colo- rectal ddpassait la valeur de 27 % ~ 30 ans, la sur- veillance endoscopique a un rapport cofit/efficacitd favorable. Une variation du cofit de la coloscopie de 200 $, 500 $ e t 1.5005 modifie le seuil ,<de rentabilit6 >> du taux cumul6 de cancer cotorectal h 30 ans ~ 18 %, 21%, 35 % respectivement. Le cofit, par ann6e de vie gagn6e, croit consid6rablement, avec, pour une surveillance tousles 4 ans, 83.700 $/LY et 1 an, 247.200 $/LY (LY life year).

b. Maladie de Crohn

Une 6tude vient d'etre publi6e, 6tudiant la sur- veillance de la maladie de Crohn colique [7]. Six cent soixante-trois coloscopies avec des biopsies tousles 10 cmet un intervalle m6dian de 2 ans ont dt6 effec- tu6es chez 259 patients. Le programme de sur- veillance a permis de d6pister 16 % de dysplasie dont 4 de haut grade, et 5 cancers. La probabilit6 de ddpis- ter une dysplasie ou un cancer 6tait de 22 % ~ la qua- tri~me endoscopie de surveillance.

III. SURVEILLANCE ENDOSCOPIQUE DES MICI: RECOMMANDA TIONS

Des recommandations peuvent ~tre propos6es ~a partir des r6sultats de la litt6rature et des travaux r6cents de Eaden et al. : surveillance g partir de 8 ans d'6volution pour une pancolite, et 15 ans pour une colite gauche mais avec une p6riode variable tous les 3 ans entre 10 et 20 ans; tous les 2 ans entre 20 et 30 ans; et tousles ans au-del~ de 30 ans d'6volution [2]. Le rythme de surveillance doit 6tre accru en cas d'as- sociation g une cholangite scl6rosante. Les colosco- pies doivent ~tre effectu6es en p6riode de rdmission avec deux ~ quatre biopsies tousles 10 cm, en aug- mentant le nombre de biopsies sur les zones sur61e- vdes, st6nos6es ou ulcdr6es et dans le c61on gauche. En cas de dysplasie de haut grade ou de DALM, une colectomie est recommand6e. En cas de dysplasie de bas grade, une confirmation histologique doit 6tre effectude en cas d'ambiguit6, et la d6cision d'une colectomie doit 6tre discut6e avec le patient. Ce der- nier doit 6tre inform6 que, en cas de colectomie, un cancer peut ne pas ~tre trouv6 sur la piece op6ratoire ou en cas d'endoscopie de contr61e, la dysplasie peut ne pas ~tre retrouv6e.

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