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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2 133 RUBRIQUE PRATIQUE Surveillance et complications des blocs périphériques utilisés pour l’analgésie postopératoire Nathalie Bernard (photo), Xavier Capdevila Les bloc nerveux périphériques sont couramment utilisés pour l’analgésie postopératoire après de nombreuses interventions chirurgicales des mem- bres et des ceintures (1). Leur effica- cité a été largement démontrée, tant en injection unique qu’en perfusion continue sur cathéter (2, 3). En France 20 % des actes anesthésiques étaient effectués en 1996 sous ALR (anesthésie locorégionale) (soit 1 760 000 ALR) contre seu- lement 4 % en 1980 (4). Comme toutes les techniques d’anesthésie, les blocs nerveux périphériques sont grevés de certains risques, avec des effets adverses de gravité variable, certes rares mais dont on ne peut pas faire abstraction. Des complications drama- tiques sont possibles, comme les trois cas d’arrêt cardiaque (sur 21 278 blocs) recensés par Auroy et coll. dans une large étude épidémiologique (5). Ces effets indésirables graves sont exceptionnels mais on dénombre d’autres effets secondaires beaucoup plus fréquents. Ainsi, la paralysie diaphragmati- que homolatérale est constante après bloc interscalénique, elle est rarement symptomatique mais concerne 3 patients sur 4 lorsque le bloc est continu (6). Un syndrome de Claude-Bernard Horner ou une extension péridurale sont également possibles (2). Des blocs moteurs ou sensitifs gênants, des neuropathies parfois invalidantes peuvent aussi compliquer tout bloc nerveux périphérique (7, 8). En ce qui concerne les cathéters périneuraux, des complica- tions infectieuses ont été décrites (9, 10), ainsi que des tra- jets aberrants. Des problèmes techniques inhérents au cathéter sont également classiques (8). il faut donc respec- ter scrupuleusement les règles de bonne pratique lors de la réalisation de l’ALR, et assurer une surveillance spécifique et adaptée à ces techniques, afin de dépister précocement tout effet secondaire et complication. Toxicité systémique des anesthésiques locaux Les anesthésiques locaux à fonction amide sont absorbés dans la circulation sanguine avant d’être métabolisés par le foie et éliminés par voie rénale. Le pic d’absorption des anesthésiques locaux dépend du site d’injection et décroît selon l’ordre suivant : bloc cervical, intercostal, du plexus brachial, fémoral, ilio-inguinal, sciatique. Des manifesta- tions toxiques peuvent survenir soit lors d’une injection intraveineuse directe, soit quand les doses sont trop importantes. Les doses maximales à respecter pour une première injection chez l’adulte sont de 5 à 6 mg/kg pour la mépivacaïne, de 2 à 2,5 mg/kg pour la bupivacaïne adré- nalinée et de 3 à 4 mg/kg pour la ropivacaïne. La toxicité de la plupart des anesthésiques locaux est d’abord neuro- logique, puis cardiaque, à l’exception de la bupivacaïne qui peut être cardiotoxique d’emblée (surtout chez l’enfant) (11). La toxicité neurologique se manifeste pour des concentrations sub-théra- peutiques et de façon inversement proportionnelle à la puissance des anesthésiques locaux. En effet le rap- port des toxicités neurologiques pour la bupivacaïne, la ropivacaïne et la lidocaïne est d’environ 4:3:1. Cependant, tous les anesthésiques locaux sont susceptibles de provoquer des convulsions dont l’incidence varie selon les études de 0 à 35/10 000 (Tableau 1). La prévention des ces accidents passe par une surveillance étroite lors de la réalisation des blocs, avec installation d’un monitorage identique à celui d’une anesthésie générale, oxygénation nasale ou par masque facial et proximité immédiate d’un chariot de réanimation (11). La surveillance clinique comporte la recherche de signes de toxicité neurologique subjectifs (engourdisse- ment des lèvres, vertiges, bourdonnements d’oreille, sen- sation de goût métallique, diplopie par exemple) ou objectifs (frissons, nystagmus, agitation, empâtement de la voix). Le traitement des convulsions passe par le maintien de la liberté des voies aériennes, l’oxygénation, ainsi que l’injec- tion de benzodiazépines ou de thiopental si les convul- sions ne cèdent pas rapidement. En cas d’état de mal subintrant, on peut être amené à recourir à une intubation facilitée par de la succinylcholine. La cardiotoxicité est liée au bloc de conduction intraven- triculaire induit par les anesthésiques locaux (bupivacaïne ou ropivacaïne par exemple), avec risque de réentrées Les doses maximales sont de 5 à 6 mg/kg pour la mépivacaïne, 2 à 2,5 mg/kg pour la bupivacaïne adrénalinée et de 3 à 4 mg/kg pour la ropivacaïne.

Surveillance et complications des blocs périphériques utilisés pour l’analgésie postopératoire

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Page 1: Surveillance et complications des blocs périphériques utilisés pour l’analgésie postopératoire

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2 133

R U B R I Q U E P R A T I Q U E

Surveillance et complications des blocs périphériques utiliséspour l’analgésie postopératoireNathalie Bernard (photo), Xavier Capdevila

Les bloc nerveux périphériques sontcouramment utilisés pour l’analgésiepostopératoire après de nombreusesinterventions chirurgicales des mem-bres et des ceintures (1). Leur effica-cité a été largement démontrée, tanten injection unique qu’en perfusioncontinue sur cathéter (2, 3). EnFrance 20 % des actes anesthésiquesétaient effectués en 1996 sous ALR

(anesthésie locorégionale) (soit 1 760 000 ALR) contre seu-lement 4 % en 1980 (4). Comme toutes les techniquesd’anesthésie, les blocs nerveux périphériques sont grevésde certains risques, avec des effetsadverses de gravité variable, certesrares mais dont on ne peut pas faireabstraction. Des complications drama-tiques sont possibles, comme les troiscas d’arrêt cardiaque (sur 21 278blocs) recensés par Auroy et coll. dansune large étude épidémiologique (5).Ces effets indésirables graves sontexceptionnels mais on dénombre d’autres effets secondairesbeaucoup plus fréquents. Ainsi, la paralysie diaphragmati-que homolatérale est constante après bloc interscalénique,elle est rarement symptomatique mais concerne 3 patientssur 4 lorsque le bloc est continu (6). Un syndrome deClaude-Bernard Horner ou une extension péridurale sontégalement possibles (2). Des blocs moteurs ou sensitifsgênants, des neuropathies parfois invalidantes peuventaussi compliquer tout bloc nerveux périphérique (7, 8). Ence qui concerne les cathéters périneuraux, des complica-tions infectieuses ont été décrites (9, 10), ainsi que des tra-jets aberrants. Des problèmes techniques inhérents aucathéter sont également classiques (8). il faut donc respec-ter scrupuleusement les règles de bonne pratique lors de laréalisation de l’ALR, et assurer une surveillance spécifiqueet adaptée à ces techniques, afin de dépister précocementtout effet secondaire et complication.

Toxicité systémique des anesthésiques locauxLes anesthésiques locaux à fonction amide sont absorbésdans la circulation sanguine avant d’être métabolisés parle foie et éliminés par voie rénale. Le pic d’absorption des

anesthésiques locaux dépend du site d’injection et décroîtselon l’ordre suivant : bloc cervical, intercostal, du plexusbrachial, fémoral, ilio-inguinal, sciatique. Des manifesta-tions toxiques peuvent survenir soit lors d’une injectionintraveineuse directe, soit quand les doses sont tropimportantes. Les doses maximales à respecter pour unepremière injection chez l’adulte sont de 5 à 6 mg/kg pourla mépivacaïne, de 2 à 2,5 mg/kg pour la bupivacaïne adré-nalinée et de 3 à 4 mg/kg pour la ropivacaïne. La toxicitéde la plupart des anesthésiques locaux est d’abord neuro-logique, puis cardiaque, à l’exception de la bupivacaïnequi peut être cardiotoxique d’emblée (surtout chezl’enfant) (11).

La toxicité neurologique se manifestepour des concentrations sub-théra-peutiques et de façon inversementproportionnelle à la puissance desanesthésiques locaux. En effet le rap-port des toxicités neurologiquespour la bupivacaïne, la ropivacaïne etla lidocaïne est d’environ 4:3:1.Cependant, tous les anesthésiques

locaux sont susceptibles de provoquer des convulsionsdont l’incidence varie selon les études de 0 à 35/10 000(Tableau 1). La prévention des ces accidents passe parune surveillance étroite lors de la réalisation des blocs,avec installation d’un monitorage identique à celui d’uneanesthésie générale, oxygénation nasale ou par masquefacial et proximité immédiate d’un chariot de réanimation(11). La surveillance clinique comporte la recherche designes de toxicité neurologique subjectifs (engourdisse-ment des lèvres, vertiges, bourdonnements d’oreille, sen-sation de goût métallique, diplopie par exemple) ouobjectifs (frissons, nystagmus, agitation, empâtement de lavoix).Le traitement des convulsions passe par le maintien de laliberté des voies aériennes, l’oxygénation, ainsi que l’injec-tion de benzodiazépines ou de thiopental si les convul-sions ne cèdent pas rapidement. En cas d’état de malsubintrant, on peut être amené à recourir à une intubationfacilitée par de la succinylcholine.La cardiotoxicité est liée au bloc de conduction intraven-triculaire induit par les anesthésiques locaux (bupivacaïneou ropivacaïne par exemple), avec risque de réentrées

Les doses maximales sont de 5 à 6 mg/kg pour la mépivacaïne,

2 à 2,5 mg/kg pour la bupivacaïneadrénalinée et de 3 à 4 mg/kg

pour la ropivacaïne.

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2134

(17). Elle se traduit par une bradycardie avec élargisse-

ment du QRS, une tachycardie ventriculaire ou des torsa-

des de pointes, souvent suivies de fibrillation ventriculaire

ou d’asystolie. L’incidence de ces accidents toxiques est

heureusement faible et la plupart ont été décrits avec la

bupivacaïne, cependant deux cas de toxicité cardiaque

ont récemment été publiés après injection intraveineuse

accidentelle de ropivacaïne, tous deux d’évolution favora-

ble après réanimation appropriée (18, 19). En ce qui con-

cerne la lévobupivacaïne (isomère lévogyre de la

bupivacaïne), quatre cas de surdosage accidentel ont été

récemment publiés ayant entraîné des convulsions sans

signe de cardiotoxicité (20). Les trois dernières grandes

séries de blocs anesthésiques publiées (dont celle établie

à partir des données de SOS ALR en France) n’ont pas rap-

porté d’accidents graves liés à une toxicité systémique des

anesthésiques locaux (5, 12, 16). Un des moyens de pré-vention de ces accidents toxiques est d’effectuer uneinjection lente et fractionnée, entrecoupée de tests d’aspi-ration itératifs. L’utilité de la dose test est en revanche dis-cutée, car elle n’a de valeur que positive. La réalisationd’un bloc anesthésique sous anesthésie générale ou séda-tion prononcée n’est pas recommandée afin de ne pas per-dre le contact verbal avec le patient durant l’injection dela solution anesthésique, les réactions du patient permet-tant de détecter rapidement les prodromes d’un accidentneurotoxique.

La réanimation de l’arrêt cardiocirculatoire s’effectueselon les manœuvres classiques de réanimation ; lesexperts préconisent l’administration de faibles dosesd’adrénaline (5-10 μg/kg) (11).

La surveillance d’un bloc anesthésique débute lors de saréalisation (moment crucial) et se poursuit avec l’évalua-tion de l’installation de l’anesthésie et de l’efficacité dubloc. La toxicité des anesthésiques locaux peut se mani-fester au cours de l’installation du bloc, ou secondaire-ment, voire en postopératoire en cas de migrationintraveineuse secondaire d’un cathéter d’analgésie. C’estpour ces raisons que la réalisation d’un bloc, la mise enplace d’un cathéter et la première injection d’anesthési-que locaux sont du ressort exclusif d’un médecin anesthé-siste.

En conclusion, un respect des posologies maximales, desrègles de réalisation de l’ALR, une détection précoce dessignaux d’alarme et une surveillance par un monitorageadéquat doivent permettre de diminuer l’incidence desaccidents toxiques liés aux anesthésiques locaux.

Complications neurologiques des blocs nerveux périphériques

Les complications neurologiques après bloc anesthésique

périphérique sont rares, 4 fois moins fréquentes que les

complications systémiques des anesthésiques locaux ou

que les complications neurologiques des anesthésies péri-

médullaires. On évoque en général trois mécanismes, plus

ou moins intriqués, pour expliquer une atteinte neurologi-

que (21) :

– ischémie nerveuse par compression ou étirement dont

les mécanismes principaux sont une injection intrafascicu-

laire, un hématome périneural par traumatisme lié à

l’aiguille ou à la mise en place d’un cathéter, ainsi qu’une

vasoconstriction (diminution du débit sanguin nerveux

périphérique induite par les anesthésiques locaux et

l’adrénaline) ;

– traumatisme direct du nerf par le biseau de l’aiguille

entraînant un hématome et/ou un œdème au sein des fibres

nerveuses ;

Tableau 1Toxicité neurologique des anesthésiques locaux : incidences des convulsions.

Études Nombrede patients

Convul-sions

Incidence/10 000

Brown (12) 7 532 blocs plexus brachial

15 20

– 6 620 axillaires 8 12

– 659 BIS 5 76

– 253 BSC 2 79

Urban (13) 266 BIS 0 0

242 blocs axillaires

1 41

Tetzlaff (14) 563 BIS 2 35

Carles (15) 1 417 BCH 2 14

Auroy (5) 21 278 BNP 16 7,5

11 229 ALRIV 3 2,7

Auroy (16) 50 223 BNP 6 1,2

BIS : blocs interscaléniques, BSC : blocs supraclaviculaires, BCH : blocsau canal huméral, BNP : blocs nerveux périphériques.

Page 3: Surveillance et complications des blocs périphériques utilisés pour l’analgésie postopératoire

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2 135– neurotoxicité directe des anesthésiques locaux par injec-tion intranerveuse, majorée par l’adjonction d’adrénaline àla solution. Les symptômes sont dans ce cas souvent diffé-rés de 48 heures. On distingue trois types de lésions nerveuses provoquées :– neurapraxies : le nerf est intact et le bloc de conductionest en général réversible ;– axonotmésis : suite à un traumatisme par élongation ou àune neuro-ischémie prolongée, il s’installe une dégénéres-cence axonique mais les gaines nerveuses sont intactes.Dans ce cas, on peut escompter une récupération avec letemps, mais elle reste souvent partielle ;– neurotmésis : l’axone et ses gaines sont complètement oupartiellement sectionnés. Il faut parfois réparer chirurgica-lement le nerf pour escompter une récupération.Le diagnostic d’une neuropathie postopératoire est difficileet se fonde sur :– l’anamnèse : type de chirurgie, incident lors de la réalisa-tion du bloc (douleurs lors de la recherche du bloc ou lorsde l’injection), existence d’un déficit nerveux préopéra-toire, durée de pose et pression dugarrot chirurgical ;– les signes cliniques : paresthésies oudouleurs, allodynie, hyperpathie,troubles sensitifs et/ou moteurs, sou-vent de même topographie que lesparesthésies survenues pendant laréalisation du bloc ;– la topographie des lésions ;– l’imagerie : échographie à la recherche d’un hématomeou d’adénopathies compressifs, TDM, IRM ;– l’électromyogramme, qui étudie les contractions muscu-laires et les vitesses de conduction, est l’examen de réfé-rence. Il permet de faire un bilan objectif de l’atteintenerveuse et peut renseigner sur le niveau et par conséquentle mécanisme lésionnel, ainsi que sur la sévérité des lésions.Il permet également de guider le traitement. Il doit être réa-lisé de façon bilatérale et comparative, le plus précocementpossible (pour servir de référence), puis à 4 semaines (à larecherche de signes de dénervation), à 3 mois (évaluationde la progression de la réinnervation) et ensuite tous les 4à 6 mois.L’incidence des neuropathies est variable selon les études(Tableau 2). Dans le travail d’Auroy et coll. (5) quatreradiculopathies sur 21 278 blocs nerveux périphériquesont été rapportées (0,04 %), et les patients avaient tousressenti des douleurs ou des paresthésies lors de l’injec-tion (de même topographie que les radiculopathies). Stanet coll. (22) ont décrit deux paresthésies résolutives en unmois, sur 996 blocs axillaires (par approche transarté-rielle !). Horlocker et coll. (23) ont rapporté une préva-

lence de traumatismes nerveux de 0,4 % sur 1 614 blocsaxillaires. Cuvillon et coll. (9) ont signalé un cas de pares-thésies prolongées après la mise en place de 211 cathétersfémoraux (0,4 %). D’autres auteurs n’ont retrouvé aucuncas de troubles neurologiques sérieux rémanents au retraitdu cathéter sur des séries de 415 et 228 patients (3, 24).Urban et coll. (13) retrouvaient après blocs à la paresthé-sie, 9 % de paresthésies à J1 et 3 % à J15 sur 266 blocsinterscaléniques et 19 % de paresthésies à J15 après242 blocs axillaires. Fanelli et coll. (25), rapportaient en1999, 69 neuropathies (1,7 %) à 1 mois sur 3 996 blocsnerveux périphériques, toutes ayant régressé dans desdélais de 4 à 12 semaines. En 2002, la base de données deSOS ALR en France colligeait 12 neuropathies sur50 223 ALR périphériques (0,02 %), dont 7 patients avecdes séquelles à 7 mois. L’incidence des neuropathies étaitvariable selon le type de bloc, et elle était maximale pourles blocs sciatiques poplités (0,31 %) (Tableau 3).Dans une étude récente portant sur 405 cathéters axillaires,les auteurs ont rapporté quatre déficits neurologiques pos-

topératoires (1 %) dont deux étaientimputables à la réalisation du bloc(26). Enfin, sur 1 416 cathéters péri-neuraux colligés en 1 an, quatrepatients (0,2 %) ont présenté desneuropathies (2 cathéters fémorauxet 2 cathéters iliofasciaux), avec uneimputabilité à l’ALR douteuse pour

un patient (8). Il ressort de ces études que l’incidence desneuropathies périphériques avec séquelles neurologiquesest plus faible que l’incidence des paresthésies non inten-tionnelles lors de la réalisation des blocs. De plus, ellesont permis de dégager des facteurs de risques de neuro-pathies périphériques. Certains sont liés à la techniqued’ALR : blocs avec recherche de paresthésies (13), neuros-timulateur défectueux, intensité de stimulation tropbasse (< 0,5 mA) (16), douleurs à la ponction et/ou àl’injection des AL, réalisation de l’ALR sous sédation pro-fonde ou sous AG. La bupivacaïne induirait plus de neu-ropathies que la lidocaïne ou la carbocaïne (13). Enfin,les recommandations actuelles préconisent des aiguillesà biseau court et peu acéré (11). Les facteurs liés aupatient et pouvant majorer le risque de complicationsneurologiques sont l’existence d’une compression ner-veuse rachidienne, un diabète, une insuffisance rénalechronique, la dénutrition, l’alcoolisme et les pathologiesdémyélinisantes (11).Au total, on recommande donc de réaliser un bloc anesthé-sique chez un patient éveillé et capable d’alerter l’opérateursur la survenue de douleurs ou de paresthésies et d’utiliserdes aiguilles à biseau court.

Les trois mécanismes de lésions nerveuses sont l’ischémie,

le traumatisme et la neurotoxicité.

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2136

La surveillance postopératoire d’un bloc analgésique doitêtre rigoureuse et ce surtout si on a posé un cathéter péri-nerveux et s’il existe des facteurs de risque de complica-tions liés au patient ou à la chirurgie. Elle consiste en uneévaluation biquotidienne du bloc sensitif et moteur, ainsi

que de l’intensité de la douleur. Pour les injections uniques,il faut s’assurer de la levée complète du bloc et de l’absencede paresthésie résiduelle.

COMPLICATIONS INFECTIEUSES DES BLOCS NERVEUX PÉRIPHÉRIQUES

Le risque de complications infectieuses (abcès au niveaudu point de ponction, abcès profond, infection secondairede matériel prothétique ou d’ostéosynthèse) lors de la réa-lisation de blocs nerveux sans mise en place de cathéterest pratiquement nul si on respecte les contre-indications(inflammation ou infection préexistante au voisinage dupoint de ponction) et les règles d’asepsie usuelle (désin-fection cutanée en deux temps, port de gants, masque etcalot). Le risque semble supérieur en cas de cathétérisme,mais la littérature est extrêmement pauvre à ce sujet.Cuvillon et coll. (8) n’ont rapporté aucune infection dusite d’insertion après mise en place de 208 cathéters fémo-raux. Nessler et coll. (27) n’ont constaté aucune complica-tion septique chez 104 patients qui avaient un cathéterfémoral, sur une durée moyenne de 6 jours (maximum,44 jours). Dans notre propre expérience portant sur1 416 cathéters (10), un accident septique a été colligéaprès mise en place d’un cathéter fémoral pour arthroplas-tie totale du genou. Il s’agissait d’une myosite du psoas àStaphylococcus aureus chez une patiente diabétique,révélée par un psoïtis et une fièvre et diagnostiquée partomodensitométrie.

Les complications infectieuses sont rares, mais la coloni-sation des cathéters périnerveux, est fréquente avec deschiffres rapportés de 57 % sur 208 cathéters fémoraux(8) et 28,2 % sur 986 cathéters, avec alors prédominancedes localisations axillaires (36,5 %) et sciatiques (30,4 %)(10). Ces chiffres sont comparables à ceux rapportéespour les cathéters périduraux (28) (28,8 % sur un collec-tif de 1 443 cathéters) mais ils posent le problème desconditions de réalisation des prélèvements bactériologi-ques et de la possibilité d’une contamination par des ger-mes cutanés lors de la mise en culture. La prépondérancede Staphylococcus epidermidis parmi les germes identi-fiés dans ces études est à ce propos tout à fait significa-tive (62,9 % des bactéries isolées dans notre expérience(10)). Cependant, nous avons dégager certains facteursde risque de colonisation des cathéters et d’inflammationau point de ponction : sexe masculin (risque relatif2,09), durée de cathétérisme supérieure à 48 heures (ris-que relatif 4,61) et absence d’antibioprophylaxie (risquerelatif 1,92). Il faut donc tenir compte de ce risquepotentiel en se référant au rapport bénéfices/risques dela technique escomptée et surveiller chaque jour les

Tableau 2Incidence et type de complications nerveuses après réalisation de bloc périphérique.

Nombrede blocs

(technique)

Nombrede cas

d’atteintenerveuse

Délai Inci-dence(%)

Auroy (5) 21 278 4(déficit)

0,04

Stan(22)

996(axillaire)

2(paresthé-

sies)

Résolu-tives

à 1 mois

0,2

Horlocker(23)

1 614 ( axillaire)

6 0,4

Cuvillon(9)

211(fémoral)

1(paresthé-

sies)

0,5

Urban(13)

266(interscalé-

nique)

8(paresthé-

sies)

15 jours 3

242(axillaire)

46(paresthé-

sies)

19

Fanelli(25)

3 996 69 Résolu-tives4-12sem.

1,7

Auroy(16)

50 223 12 7 séquel-

lesà 7 mois

0,07

Bergman(26)

405(axillaire)

2(déficit)

0,9

Pirat(8)

1 416 (cathéters)

4 0,28

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2 137

patients en utilisant notamment des pansements transpa-rents (Op-site®). Tout signe local ou général doit faireretirer le cathéter et mettre son extrémité distale en cul-ture. S’il existe des signes généraux d’infection faisantévoquer une implication du cathéter, il faut réaliser uneéchographie du point de ponction, éventuellement unetomodensitométrie de la région d’insertion.

COMPLICATIONS NON SPÉCIFIQUES DES BLOCS NERVEUX PÉRIPHÉRIQUES

Même quand on respecte les contre-indications liées auxtroubles de l’hémostase, des hématomes au point deponction sont possibles : 5 cas ont été décrits pour 1 001blocs supraclaviculaires (29), ainsi qu’un hématome ducreux axillaire pour 405 cathéters axillaires (26) et 2 cas(seulement !) pour 1 000 blocs axil-laires réalisés par la technique tran-sartérielle (22). Les hématomes sonten règle sans conséquence, sauf encas de blocs profonds ou s’il y acompression d’un nerf. Un trauma-tisme chirurgical, le garrot ou unplâtre peuvent majorer le risqued’hématome. Le risque d’hématomeest une raison supplémentaire pour surveiller le point deponction, surtout après ponctions itératives et/ou dif-ficiles.On peut également signaler l’existence de complicationsmineures liées au cathétérisme périnerveux : retrait acci-dentel du cathéter ou cathéters coudés ou arrachés. Dansune étude (8), ces complications étaient notées dans 17,9 %des cas.

COMPLICATIONS SPÉCIFIQUES DES BLOCS NERVEUX PÉRIPHÉRIQUES

Certaines complications sont spécifiques au type de blocpratiqué.

Blocs interscaléniques (BIS) et supraclaviculaires (BSC)Ces blocs sont responsables d’une paralysie diaphragmati-que homolatérale qui peut provoquer une décompensationrespiratoire chez des sujets à risque (pathologie respiratoirecontrolatérale ou insuffisance respiratoire sévère) et deparalysies laryngées et récurentielles (entraînant des trou-bles de la déglutition) (6, 8, 30). Le risque de pneumotho-rax fait contre-indiquer les blocs supraclaviculaires chez lespatients souffrant de pathologie respiratoire. Des anesthé-sies rachidiennes ont été rapportés et leur prévention passe

par l’utilisation d’aiguilles

≤ 50 mm etpar une orientation des aiguilles évi-tant l’axe du rachis lors de la ponc-tion.La surveillance des patients ayantbénéficié d’un BIS ou d’un BSC doitêtre scrupuleuse, a fortiori en cas decathétérisme : fréquence respiratoire,recherche d’une dyspnée…

Blocs du plexus lombaire par voie postérieure (BPLVP)Ce bloc a des complications potentiellement graves qui doi-vent faire bien peser ses indications en se référant au rap-port risque-bénéfice pour chaque patient. Après laréalisation du bloc, une diffusion spinale ou péridurale dela solution d’anesthésique local est possible (31), ainsi que

Tableau 3Nombre et incidence des neuropathies périphériques selon le type de bloc nerveux périphéri-que (BNP), d’après les données de SOS ALR (16).

BNP BIS BSC BAx BCH BPLVP BF BS BSP

3 459 1 899 11 024 7 402 394 10 309 8 507 952

n 1 0 2 1 0 3 2 3

n/10 000 2,9 0 1,8 1,4 0 2,9 2,4 31,5

BIS : blocs interscaléniques, BSC : blocs supraclaviculaires, Bax : blocs axillaires, BCH : blocs au canal huméral, BPLVP : blocs du plexus lombaire par voie postérieure, BF : blocs fémoraux, BS : blocs du nerf sciatique, BSP : blocs sciatiques poplités.

Il faut utiliser un pansement transparent pour fixer

les cathéters et surveiller le point de ponction.

Page 6: Surveillance et complications des blocs périphériques utilisés pour l’analgésie postopératoire

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2138la migration intra- ou rétropéritonéale des cathéters (8).Dans la base de données de SOS ALR (16), on signaleun décès sur 394 BPLVP (soit une incidence de 25,4/10 000 blocs) et deux détresses respiratoires (par migrationpéridurale, soit une incidence de 50,8/10 000), ce qui estconsidérable ! Ces résultats ont été attribués à un effet« courbe d’apprentissage » de la technique, qui avait été dif-fusée sur une large échelle peu de temps avant la réalisationde l’enquête, ainsi qu’à une technique inappropriée de réa-lisation du bloc du fait d’une orientation médiale (vers l’axedu rachis) de l’aiguille de ponction, qui doit être évitée àtout prix. Enfin des injections intravasculaires ont égale-ment été décrites, responsables d’arrêts cardiaques (18, 19)Une injection lente et fractionnée de la solution anesthési-que avec tests d’aspiration itératifs est ici particulièrementde mise. On recommande également un contrôle radiologi-que de la position des cathéters.

CONCLUSION

En conclusion, les blocs nerveux périphériques, qu’ilssoient effectués en injection unique ou en perfusion conti-nue, sont susceptibles d’être à l’origine d’incidents mineursrelativement fréquents mais le plus souvent sans consé-quences cliniques, mais de véritables complications sontpossibles, imposant une surveillance adaptée, pluriquoti-dienne.L’opacification des cathéters n’est pas systématique maiselle est recommandée quand il s’agit d’un cathéter péri-plexique (bloc lombaire postérieur, bloc supraclaviculaire,bloc parasacré…), quand le bloc n’est pas efficace (recher-che d’un trajet aberrant), en cas de ponctions itératives etde difficultés de mise en place, ou s’il existe un doute surune position erratique (11).Il est par ailleurs impératif de former tout le personnelmédical et paramédical (kinésithérapeutes, infirmiers) à lasurveillance de ce type d’analgésie.Enfin, le médecin anesthésiste doit aussi se poser pour cha-que patient la question du rapport bénéfice-risque, notam-ment dans le cas des blocs profonds (plexus lombaire parvoie postérieure et supraclaviculaires).

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Tirés à part : Nathalie BERNARD,Département d’Anesthésie Réanimation A,

CHU Lapeyronie, 371 avenue du doyen G. Giraud,34295 Montpellier cedex 5,

France.