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"L'Africain" n° 245, juin-juillet 2010 40 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 245, juin-juillet 2010 Page 1 Éditorial E. VAN SEVENANT 2 Fondation Père Everard : rapport 2010 3 PHOTOS ÉCONOMIE ET DÉVELOPPEMENT 4 Les mutuelles de santé au Sud-Kivu (RD Congo) J. VARRASSE 9 Comment vivent les paysans du Sankuru (RD Congo) … F. BELOKO T. 13 Terre-Neuve Asbl J.M. NDUWAMUNGU CULTURE ET SOCIÉTÉ 15 Les élections des porte-paroles des étudiants à Bukavu R. BIRHASHIRWA 18 Haro sur le lingala facile ! TEDANGA I. B. PERSPECTIVES ET POLITIQUE 19 Afrique/Haïti : bilan des indépendances (suite et fin) Th. AMOUGOU 24 Entretien avec A. KISONGA sur l'indépendance de la RD Congo 27 Les partis politiques congolais et la question des moyens J.-P. MBELU 30 Thèses de doctorat défendues par des Africains ou concernant l'Afrique (LXXI) : Gembloux Agro-Bio Tech (XV) ; Université de Liège (XIV) À TRAVERS LIVRES ET REVUES 32 Réponse de M. NDJOND'À NGELE à S. BALONGA 37 J.-C. WILLAME, La guerre du Kivu. E. VAN SEVENANT 38 J. GÉRARD-LIBOIS et al., Congo 1960. E. VAN SEVENANT 39 PHOTOS Page 2 de la couverture : présentation de "L'Africain" Page 3 de la couverture : mots croisés n° 266 Vincenzo SORETTI "L'Africain" : éd. responsable : Eddy VAN SEVENANT, dir. du C.A.C.E.A.C. Asbl, Michel Hakizimana, secrétaire de rédaction, rue Léon Bernus 7, 6000 Charleroi, Tél. ++ 32 (0)71 31 31 86. Fax : ++ 32 (0)71 31 31 84 E-mail : [email protected] Comité de rédaction : Antwerpen : G. Muheme Bagalwa ; Bruxelles : Valérien Mudoy, Camille Tedanga Ipota ; Liège : J.C. Mputu ; Louvain-la-Neuve : Sabine Kakunga ; Namur : Tite Kubushishi, Eustache Niyitugabira. Allemagne : Shungu M. Tundanonga-Dikunda, e-mail : [email protected] France : Anicet Mobe Fansiama RD Congo : Jean-Pierre Mbwebwa Kalala et François Budim'bani Yambu, FCK. B.P. 1534, Kinshasa. ABONNEMENTS : 48 ème année : Année académique 2009-2010. abonnement ordinaire : Belgique : 15 Europe : 22 reste du monde : 25 abonnement de soutien : 25 payables au CCP 000-1178819-75 du C.A.C.E.A.C. Asbl, Charleroi (Belgique) ou par mandat postal international (si par chèque bancaire, ajouter les frais). Si payement par virement à partir de l'étranger, utiliser les codes : IBAN BE05 0001 1788 1975 BIC BPOTBEB1 Les articles n'engagent que leurs auteurs. Cette revue est publiée avec le soutien de la DGCD.

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TABLE DES MATIÈRES"L'Africain" n° 245, juin-juillet 2010

Page

1 Éditorial E. VAN SEVENANT2 Fondation Père Everard : rapport 20103 PHOTOS

ÉCONOMIE ET DÉVELOPPEMENT4 Les mutuelles de santé au Sud-Kivu (RD Congo) J. VARRASSE9 Comment vivent les paysans du Sankuru (RD Congo) … F. BELOKO T.

13 Terre-Neuve Asbl J.M. NDUWAMUNGUCULTURE ET SOCIÉTÉ15 Les élections des porte-paroles des étudiants à Bukavu R. BIRHASHIRWA18 Haro sur le lingala facile ! TEDANGA I. B.

PERSPECTIVES ET POLITIQUE19 Afrique/Haïti : bilan des indépendances (suite et fin) Th. AMOUGOU24 Entretien avec A. KISONGA sur l'indépendance de la RD Congo27 Les partis politiques congolais et la question des moyens J.-P. MBELU30 Thèses de doctorat défendues par des Africains ou concernant l'Afrique (LXXI) :

Gembloux Agro-Bio Tech (XV) ; Université de Liège (XIV)À TRAVERS LIVRES ET REVUES32 Réponse de M. NDJOND'À NGELE à S. BALONGA37 J.-C. WILLAME, La guerre du Kivu. E. VAN SEVENANT38 J. GÉRARD-LIBOIS et al., Congo 1960. E. VAN SEVENANT39 PHOTOS

Page 2 de la couverture : présentation de "L'Africain"Page 3 de la couverture : mots croisés n° 266 Vincenzo SORETTI

"L'Africain" : éd. responsable : Eddy VAN SEVENANT, dir. du C.A.C.E.A.C. Asbl, Michel Hakizimana,secrétaire de rédaction, rue Léon Bernus 7, 6000 Charleroi, Tél. ++ 32 (0)71 31 31 86. Fax : ++ 32 (0)71 31 31 84E-mail : [email protected]é de rédaction : Antwerpen : G. Muheme Bagalwa ; Bruxelles : Valérien Mudoy, Camille Tedanga Ipota ;Liège : J.C. Mputu ; Louvain-la-Neuve : Sabine Kakunga ; Namur : Tite Kubushishi, Eustache Niyitugabira.

Allemagne : Shungu M. Tundanonga-Dikunda, e-mail : [email protected] : Anicet Mobe FansiamaRD Congo : Jean-Pierre Mbwebwa Kalala et François Budim'bani Yambu, FCK. B.P. 1534, Kinshasa.

ABONNEMENTS : 48ème année : Année académique 2009-2010.abonnement ordinaire : Belgique : 15 €

Europe : 22 €reste du monde : 25 €

abonnement de soutien : 25 €payables au CCP 000-1178819-75 du C.A.C.E.A.C. Asbl, Charleroi (Belgique) ou par mandat postal international(si par chèque bancaire, ajouter les frais). Si payement par virement à partir de l'étranger, utiliser les codes :IBAN BE05 0001 1788 1975 BIC BPOTBEB1

Les articles n'engagent que leurs auteurs.Cette revue est publiée avec le soutien de la DGCD.

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Éditorial

’Afrique envahit l’Europe ! C’est une boutade évidemment etcependant, il est un fait patent que de plus en plus de manifestationsdiverses, ayant l’Afrique comme centre d’intérêt, se déroulent dans nos

pays occidentaux.

De semaine en semaine, nous sommes avertis de conférences, d’événementsfestifs, de soutenances de thèses, de représentations théâtrales, de concerts, de films,d’expositions, de cérémonies religieuses et que sais-je encore, organisés pour desAfricains ou par les Africains.

Cela pourrait ressortir d’un simple engouement qu’on imaginerait passager :"l’Afrique est à la mode !". Mais comme le phénomène ne fait qu’amplifier, il fautsûrement en conclure que bien plus que d’une toquade momentanée, il s’agit d’unelame de fond déferlant maintenant sur notre vieux continent, qui risque bien de dureret de marquer durablement notre univers occidental.

C’est ainsi par exemple que la ville de Hannut vient d’organiser la 3ème éditionde "Saga Africa" (du 5 au 6 juin 2010) aux objectifs ambitieux dans le domaine de lacoopération : après 50 ans d’indépendance, il est temps de consolider les ponts entreici et là-bas. Début juillet, ce sera la "Journée africaine de Charleroi", aux multiplesactivités programmées et où les "Anciens africains carolos" se mobilisent pour lebien-être de tous.

Bref, la présence de l’Afrique se marque de plus en plus nettement, j’allais dire"chez nous" mais quant à la nouvelle génération de jeunes Africains, pour la plupartnés en Belgique, ils sont forcément aussi bien de chez nous et sont doncparticulièrement bien placés pour jeter ces ponts évoqués plus haut entre desconceptions de vie très différentes au départ et qui tendent maintenant de plus en plusà converger pour, souhaitons-le, finir par se rejoindre harmonieusement par delà lesdifférences.

Au moment où nous écrivons cet éditorial, nous parvient la triste nouvelle del’assassinat, à Kinshasa, de Floribert CHEBEYA, grand défenseur des DroitsHumains et Président de la "Voix des Sans Voix". C’est une perte cruelle pour tousles artisans de paix en RD Congo. Les plus hauts responsables de la police semblentimpliqués dans ce meurtre et un peu partout, non seulement en RD Congo mais dansle monde entier, l’émotion est immense et les manifestations de soutien semultiplient.

Une fois de plus, ce que j’expliquais plus haut, le retentissement desévénements d’Afrique dans les pays du Nord, se vérifie et se concrétise. Et leSecrétaire général de l’ONU en personne se joint au concert de ceux qui réclament àhauts cris une enquête indépendante, ce qu’il n’avait même pas exigé en 1994 lors dela tragédie du Rwanda à propos de l’attentat sur l’avion des deux Présidents.Espérons que, dans ce cas-ci, cette enquête aura lieu et que les responsables dequelque niveau politique qu’ils soient seront mis à la cause et condamnés.

E. VAN SEVENANT

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FONDATION PÈRE EVERARD : RAPPORT 2010

Comme chaque année, notre revue publie le compte-rendu des aides que laFondation Père EVERARD a pu distribuer aux étudiants en difficultésfinancières et qui ont été sélectionnés. Nous remercions en leur nom lesgénéreux donateurs : qu’ils soient assurés que ces aides vont réellement profiterà des jeunes qui se démènent au milieu de gros problèmes pour réussir desétudes qui leur tiennent à cœur et qu’ils veulent absolument réussir en dépit detous les écueils.

Nous recevons en fait beaucoup plus de demandes que nous n’en pouvonshonorer car nos ressources sont limitées. Cette fois cependant, nous avons puinverser la tendance à la baisse des années précédentes, accepter plus decandidats et les doter plus largement. Espérons que cette tendance pourra semaintenir car d’autres organismes boursiers (le CNA par exemple) ont jetél’éponge et nous risquons fort de nous retrouver avec encore davantage desollicitations. Nous avons donc accepté 23 candidatures au lieu de 19 l’andernier et distribué 12.900 €au lieu de 8.700 en 2009, 11.000 en 2008 et 14.600en 2007.

Les étudiants retenus sont originaires des pays suivants : Maroc (3),Cameroun (17), Sénégal (1), RD Congo (1) et Haïti (1). Ils étudient à Charleroi,Mons et Tamines. Ils se répartissent dans les branches suivantes :électromécanique, sciences de l’ingénieur, sciences économiques, soinsinfirmiers, médecine, informatique, comptabilité et sciences sociales.

Les aides ont été réparties comme suit : 18 x 600€; 2 x 500€; 2 x 400€; 1 x300€pour un total de 12.900€

Nous renouvelons notre appel à la générosité des donateurs en faveur de la

Fondation Père EVERARD qui aide les étudiants démunis du Tiers-Monde auxétudes en Belgique.

Ils ont besoin de vous. Nous comptons sur vos dons généreux, petits ougrands. Vous pouvez les verser au compte du CACEAC ASBL à Charleroinuméro : 000-1178819-75, avec la mention "Fondation Père EVERARD".

Si vous désirez recevoir une attestation fiscale pour votre don en faveurdes étudiants du tiers-monde aidés financièrement par l'Asbl CACEAC (dansles critères de la Fondation ou en dehors), vous pouvez le verser au compte 000-0000041-41 de Caritas Secours International qui soutient notre projet, avec lamention "CACEAC projet P161".

À l'occasion d'un jubilé, d'un mariage ou d'un autre événement familial,songez à faire un double plaisir en désignant la Fondation comme bénéficiairede la générosité de vos amis.

Grand et cordial MERCI de la part du CACEAC et de tous lesbénéficiaires.

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É C O N O M I E E T D É V E L O P P E M E N T

Les mutuelles de santé au Sud-Kivu (RD Congo)

Ndlr : Depuis quelques années, des mutuelles de santé se sont développées autour dela ville de Bukavu (RD Congo) grâce à la collaboration entre le bureau diocésain desœuvres médicales de l’archidiocèse et les mutualités chrétiennes de Hainaut-Picardie (VoirL'Africain n° 231, octobre-novembre 2007, p. 2). Il nous a paru bon de faire connaître cetteréalisation encourageante et pleine de promesses ; puisse-t-elle servir d’exemple à d’autrespopulations d’Afrique. Nous sommes heureux de fournir ici des renseignements présentéspar un des principaux responsables de ce projet.

Présentation

es mutuelles de santé,micro-assurances santéalternatives sont

nécessaires et possibles. Elles permettentun accès aux soins de santé non excluantet gérable au Sud-Kivu pour lespopulations à faibles revenus et vivant enéconomie informelle. Leur reconnaissanceet leur existence juridique dépendent de lalégislation congolaise (loi de 1958) ; ellessont suivies par le Ministère de laPrévoyance sociale. Une nouvellelégislation est à l’étude au niveau de l’EtatCongolais ainsi qu’au niveau Provincial.

But, mission, objectifs

Au cours des trois dernièresdécennies, les crises multiformes connuespar la RD Congo ont eu un impact négatifsur tous les secteurs de la vie nationale.Le secteur sanitaire a été particulièrementtouché, rendant inaccessibles aux soins desanté des millions de personnes à revenusinstables ou inexistants. Face à cettesituation, les mutuelles de santé ont étéinitiées par le Bureau Diocésain desŒuvres Médicales (BDOM) del’Archidiocèse, en vue d’aider lapopulation à se prendre en charge dans ledomaine sanitaire. Chargé de laplanification, de la coordination et dusuivi des actions de santé en partenariatavec le Ministère de la santé, le BDOMcontribue à améliorer l’état de santé de lapopulation avec la participation de celle-ci.

Son action tend à rendredisponibles et accessibles les services desanté à l’ensemble de la population, ainsique les médicaments essentiels etmatériels médicaux de base. Un de sesservices est la Cellule d’Appui auxMutuelles de santé (CAMS) .

L’hypothèse de base de cetteinitiative, en 1996, était que, par descotisations solidaires et par unestructuration participative et responsable,la population pourrait accéder aux soinsavec une qualité d’offre suffisante etinstaurer les prémisses d’un systèmed’assurance santé jusque-là inexistant. LaCAMS assure les études de faisabilité, laformation des acteurs mutuellistes, lesanalyses, le suivi des conventions entreles mutuelles et les prestataires de soins etl’évaluation des activités. Elle appuie etgère le fonctionnement des mutuelles etconstitue une banque de données. Elle estpartenaire de recherches-actions dans lesdomaines de la santé et de la formationdes cadres.

L’existant

Le BDOM est présent dans 19zones de santé sur les 34 que compte laprovince du Sud-Kivu. Via desconventions de partenariat avec l’Etatcongolais, il est mandaté commegestionnaire principal de 10 zones. Sesactivités principales concernent lacoordination médicale, les maladieschroniques (diabète, épilepsie), lapharmacie diocésaine et le laboratoire, lecomité de lutte contre le sida et violencessexuelles, la CAMS, l’unité de fabrication

D

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des emballages plastiques, le programmed’Action Familiale et l’unitéd’encapsulation de panneaux solaires. Surle plan de l’offre, il gère 11 Hôpitauxgénéraux de référence, trois centreshospitaliers, 150 centres de santé dont 28avec maternité, un hôpital provincial deréférence, un centre provincialpsychiatrique et un centre pourhandicapés. La CAMS coordonne et gèreactuellement 16 mutuelles de santé qui,non seulement, se maintiennent maisprogressent dans 10 des 34 zones.

Cette offre de santé a pu résisteraux guerres et tensions, fournissant unensemble d’outils de planification, degestion, d’expertise et de renforcementdes capacités des pouvoirs publics et desacteurs de santé déjà présents sur place.Le travail réalisé au niveau de l’existantgarantit une action systémique plus forteet plus efficiente. Les années à venirpeuvent dès lors être un momentimportant, initiateur des consolidations etextensions souhaitées par les pouvoirspublics provinciaux et les populations des34 zones de santé de la Province du Sud-Kivu.

Basée sur un existant reconnu et surune réalité sociale et médicale mesurable,partenaire à côté de l’offre de soins et despolitiques menées par les pouvoirspublics, l’alternative mutuelliste commedispositif de micro-assurance santé estune réponse solidaire à l’accès à la santé.L’accès non-exclusif, volontaire etresponsable de la population aux soins desanté et notamment des populations de"l’activité et de l’économie informelles" et"à faibles revenus" couvrait, au 1er mars2010, 65.000 adhérents pour 10 des 34zones de santé. En 1977, on était parti de4.324 membres dans une seule zone !

Perspectives

En trois ans, les mutuelles de santédoivent permettre l’adhésion de 222.500personnes à l’accès aux soins hospitalierset ambulatoires sur 10 zones de santénouvelles, soit 14,8% des populations deszones couvertes.

Actuellement, les adhérents sontcomposés du public visé par unedémarche volontaire, accessible, partagéepuis gérée par la communauté composéede ménages du secteur formel et informel,tant en milieu rural qu’en milieu urbain,notamment dans la "ville-réceptacle" desmisères que sont devenues Bukavu et sesextensions. L’accès à la santé de cettepopulation concrétise la démarcheexistante. Il y manque l’étape desextensions à d’autres zones de santé. Nousvoulons conforter tout cela dans un largecercle autour de Bukavu et vers d’autresdirections, et proposer les dispositifs demicro-assurance santé à d’autres zones desanté, notamment à 10 nouvelles d’entreelles, suivant les stratégies deplanification concertées avec les pouvoirspublics. L’accès à la santé via lescouvertures des risques concrétise ladémarche existante.

Les dix nouvelles zones de santévisées dans les mois à venir pourronts’appuyer sur un programme en cours enmatière de renforcement des capacités despouvoirs publics et des acteurs de santé(partenariat entre les provinces du Hainautet du Sud-Kivu) ainsi que sur les suivis etexpertises mutualistes (mutualité Hainaut-Picardie et ONG Wereld Solidariteit-Solidarité Mondiale).

Méthodologie

Après une étude de faisabilité etune enquête "ménages" pour vérifier lespossibilités de cotiser, la mise en placedes mutualités de santé communautairessur base familiale demande sensibilisationet participation.

- La solidarité africaine se mani-feste dans les communautés au cours dedivers événements sociaux, comme lemariage, le deuil et, dans une certainemesure, la maladie. Pourquoi ne pas fairede la prise en charge des dépenses desanté une affaire de la communauté ? Undes principaux proverbes utilisés est qu’"un homme seul ne peut venir à bout du‘léopard maladie’". Le léopard peutappauvrir et endeuiller toute une famille.

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- L’entraide, comme en témoignentles diverses formes de tontines, existedepuis longtemps. Pourquoi ne pasl’élargir grâce à des cotisationssolidaires ? Des proverbes comme "lemuntu n’est fort qu’à côté de son frère"soutiennent le renforcement de l’entraide.

- Les formes d’entraide tradi-tionnelles concernent souvent un petitnombre de personnes dont les cotisationssont généralement faibles et fixées auhasard. Pourquoi ne pas adopter laprévoyance des dépenses de santé grâce àdes cotisations solidaires, partant duprincipe que les biens portants aident lesmalades à se faire soigner sans aucunedistinction ; "l’homme prudent voit le malde loin".

Considérant les plus-values auniveau d’un financement régulier et dèslors une gestion plus facile, lesgestionnaires et personnels de formationmédicale appuient l’initiative.

La solidarité entre les membrespasse aussi par le partage d’intérêtscommuns. L’expérience des interventionsmenées dans le cadre du développementcommunautaire a démontré qu’en plus desacquis collectifs, les membres participantà une action commune savent que lesintérêts économiques sous-tendent laparticipation dans les objectifs sociaux. Lecaractère démocratique des mutuellesexige une large participation des membresà tous les niveaux de prises de décision.

Dans le cadre des mutuelles desanté, il est cependant important de savoirque la libération d’une cotisation est toutd’abord une privation dans un contexte oùle revenu est non seulement bas maissouvent inexistant et non structuré.

Vaincre les oppositions

Les mutuelles de santé s’inscriventcomme une alternative socialementnovatrice, gérable dans la durée, en pleineresponsabilité. Nous refusons l’exclusion,l’impossible, la gratuité.

1) Une assurance privéecommerciale qui s’attaque au marchésolvable de la santé et propose desproduits souvent chers et sophistiquésconduit à l’exclusion. Une très grandemajorité de la population (au Sud-Kivu,95% de la population est dans l’informel,la précarité, l’indigence) ne pourrait yavoir accès. Cela cantonne également lespouvoirs publics à quitter un champd’assurance-santé "gérable" pour unrégime d’assistanat public.

2) Une assurance professionnellecouverte par l’Etat pourrait créer desconditions possibles d’avancée en matièrede "protection santé". L’expérience deRAMA au Rwanda, prémices d’unsystème généralisé, en est une expressionpositive. En RD Congo, compte tenu dunon paiement des salaires, cetteéventualité est impossible à envisager.

3) La gratuité des soins, qui a toutesa pertinence dans les situations d’urgenceainsi que sur le long terme, en matière devaccination par exemple, ou pour descampagnes indispensables de prévention,tue littéralement toute possibilitéd’organiser un système durable, gérable etresponsable.

À ces actions rencontrées, il fautopposer le fruit de l’expérience desmutuelles de santé qui veulent doter leSud-Kivu d’un système solidaire,accessible, non exclusif, susceptible d’êtregéré en responsabilisant. Par rapport auxenjeux d’inclusion et d’exclusion, nouspourrions écrire, sans doute de manièreprovocatrice, qu’il faut moins s’occuperdes pauvres de manière spécifique etsouvent caritative, ou encore en mettantl’action sur les effets plutôt que de lesinclure dans un système de protectionouvert à tous. Dernièrement, une ONGfrançaise, voulant intervenir dans le cadredes violences faites aux femmes,souhaitait donner son argent pour desaccompagnements et suivispsychologiques et médicaux. L’utilisationde cet argent pour mettre en place unemutuelle accessible à tous nestigmatiserait pas ces femmes souvent

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rejetées par leur communauté. Proposeraux victimes un cadre général d’accueil etun service plus spécifique (suivipsychologique et médical), faire prévaloirune "systémie" plutôt que le "one shot"dans l’aide, telle est la philosophie del’action mutuelliste.

Sur le plan qualitatif, le projetaidera à améliorer les prestations desacteurs en assurant une meilleure collectedes données et leur analyse grâce à unlogiciel performant, à mener des étudesdes cas et à les publier pour un publicvarié. La collaboration avec lesuniversités et les chercheurs attirera aussinotre attention. On mettra aussi en placedes actions de synergie avec d’autrespartenaires, en ce compris l’Etatcongolais, pour que la prise en charge desindigents soit possible à travers lesmutuelles de santé communautaires.

Pertinence démontrée

Après une phase de fragilité liéeaux guerres et tensions vécues dans l’estde la RD Congo, la forte progressiondémontre la pertinence des choixmutuellistes. Déjà actuellement, lescotisations accessibles (deux dollars parmembre de la famille par an pourl’hospitalier, trois à cinq dollars enfonction de chaque mutuelle locale par anpour l’hospitalier et l’ambulatoire)permettent une gestion bénéficiaire.Demain, le projet permettra d’élargirencore l’assiette des cotisations et demaintenir les cotisations aux taux de base,en régulant davantage la gestion deshôpitaux et centres de santé.

Engagés dans la durée

Les populations à faibles revenusont droit, par l’intermédiaire dumouvement mutuelliste, à un service deprise en charge et d’accès aux soins dontelles sont les protagonistes responsables.Les mutuelles de santé leur appartiennentcollectivement. Elles y exercent uneresponsabilité réelle, et sur le planfinancier via un ticket modérateur et surles plans stratégiques et de gestion. Il y a

là un axe de dignité pour ces personnessouvent écartées des arcanes des décisionspersonnelles ; il y a là les éléments d’unmouvement social en construction.

Environ 15% des cotisants ont ouauront un recours annuel aux soins desanté en milieu hospitalier. En soinsambulatoires, 40 à 60% peuvent avoirrecours aux centres de santé via desvisites, consultations et accès auxmédicaments. Cela explique sans doutel’adhésion de plus en plus forte (+ 38% de2007 à 2008 ; + 42% de 2008 à 2009 ; +63% de 2009 à 2010).

La gestion mutuelle par mutuellepermet aux membres et à leursreprésentants, au sein des comités degestion et des assemblées générales, deconduire et de contrôler l’outilmutuelliste, dont un critère essentiel estque le différentiel "cotisations-prises encharge" doit toujours être positif sansintervention d’un bailleur de fonds . Celaseul permet d’inscrire le servicemutuelliste dans la durée et de constituerune garantie pour les ménages adhérents.

Choisir la solidarité

Le Sud-Kivu a choisi la solidarité.Sans doute le travail inlassable des acteursde la société civile de la province a-t-ilconforté ce choix porté maintenant par lesacteurs politiques de la région. Déjà trèsprésents en province du Sud-Kivu, leconseil provincial, le gouvernorat et leministère provincial de la santé entendentprendre place comme opérateursincontournables des stratégies de santé,avec comme ambition la mise en placed’une assurance santé généralisée. Sousl’impulsion du BDOM, de la CAMS etdes pouvoirs publics provinciaux, unpartenariat renforcé engage au Nord laProvince du Hainaut et la Mutualitéchrétienne Hainaut-Picardie. Lorsque lepragmatisme et le souci des plusvulnérables servent de leviers à un projetsocial et politique concerté, tout devientpossible. Lorsque les actions concertéesforment le socle d’un partenariat, les

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solidarités engendrées sont porteusesd’espoir et de justice.

Le "cercle vertueux" de l’actionmet en synergie trois réalités nécessaires :

1) le renforcement des capacités despouvoirs publics

C’est au nom des liens historiquesentre la RD Congo et la Belgique et dansle contexte des Objectifs du Millénairepour le développement que la charteunifiant les deux provinces a été signée.Elle vise à "renforcer les capacités de laprovince du Sud-Kivu en matièred’organisation des soins de santé et decoordination des acteurs de santé en vued’instaurer une assurance santégénéralisée". Le partenariat ainsi nouéoffre au Hainaut la possibilité des’affirmer comme vecteur dedéveloppement en mettant son expertisedans le domaine de la gestion régionale auservice d’une province du Sud. À traverscette charte, le Hainaut s’est engagé àassurer un lien institutionnel solide vis-à-vis du Sud-Kivu. Le programme négociéobéit à une logique de multi-partenariatsdéfinie au travers de plusieurs atelierstenus dans le Sud-Kivu en présenced’acteurs hainuyers. Les résultats doiventpermettre aux acteurs provinciaux etnationaux de créer un environnementfavorable au développement d’un systèmede santé solidaire. Les pouvoirs publics –en se basant notamment sur l’expertise dupartenaire institutionnel du Nord – ont,par rapport aux résultats escomptés, untriple rôle de régulation, de contrôle et depromotion.

2) La disponibilité d’un outil qualitatif auniveau de l’offre

Le renforcement des capacités n’estcertainement pas un but en soi, il n’a desens que s’il s’opérationnalise. Les deuxprovinces ont, pour cela, choisi decapitaliser les expériences mutualistesvivaces et les services de l’offrequalitative de santé au Sud-Kivu etd’évoluer vers un système de santésolidaire généralisé. Cela induit larecherche de résultats visantspécifiquement à professionnaliser lagestion du système et à garantir une offreminimale en améliorant cette offre ensoins de santé en vue de permettre lasignature de conventions avec lesmutuelles de santé.

3) Un accès possible pour les ménagessans discrimination ni exclusion

Renforcer les capacités despouvoirs locaux coutumiers et de lapopulation par la formation, informer etsensibiliser pour favoriser une adhésionau processus, ainsi que renforcer lescapacités (connaissances et expertises) desacteurs provinciaux chargés des mutuelleset encourager leur mise en réseau, toutcela favorise les économies d’échelle etdonne un poids relatif plus important auxacteurs de ce secteur par rapport auxprestations de soins ainsi qu’aux autoritéspubliques. Ceci va dans le sens d’uneautonomie et d’une responsabilisationaccrue des acteurs mutualistes.

Jacques VARRASSEResponsable du service de Coopération Internationale

Mutualité chrétienne Hainaut Picardie

VENTE DE "L'AFRICAIN" AU NUMÉROÀ Bruxelles, L'Africain est en vente à

Librairie U.O.P.CAvenue Gustave Demey 14-16

1160 BRUXELLES

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Comment vivent les paysannes et paysans du Sankuru50 ans après l’indépendance de la RD Congo ?

a dure réalité observée dansla majorité des différentsvillages de six territoires du

Sankuru, c'est la pauvreté, la misère, ladésolation … Hommes, femmes, jeuneset vieux, parents et enfants, touscroupissent dans un dénuement completindigne du XXIème siècle. Les efforts qu'ilsfont pour survivre sont herculéens sinon,aucune vie. Le Sankuru rural n'a plusd'infrastructures ni de tissus économiques; les ruraux ne mangent plus à leur faim,ne se déplacent plus dignement et ne sesoignent plus dans de bonnes conditions.

La population rurale est aujourd’huimise en condition, à l’instar du peupled’Israël dans le désert, d’envier sasituation précédente en Egypte !

Au niveau de l’éducation, lespremiers responsables de ce secteur auSankuru, l’Etat et les parents, se sontdésengagés à grande échelle depuisplusieurs années. Plus de subsides auxécoles, plus d’internats comme autrefois ;les enseignants en charge des enfants sontde moins en moins motivés - mal payés oupas du tout.

Les infrastructures scolaires, à 99%héritées du colonisateur ou construitesavant 1970 en matériaux durables, sonttombées en ruines aujourd’hui. Lesnouvelles écoles construites en matériauxfragiles (paille, terre) ont une durée de viede moins de trois ans et sont dépourvuesde mobilier (bancs, pupitres, tableaux,étagères, ...).

En l’absence de craies, certainsenseignants utilisent du charbon de boispour écrire sur un tableau fait d'unmorceau de bois brut.

Les manuels et autres fourniturespédagogiques sont inexistants ou de trèsmauvaise qualité. Le principe que l’onavait à l’époque, "un élève = un livre", estremplacé aujourd’hui par "une classe-un

seul livre". Ce seul livre, qui n’a plus decouverture pour savoir l’année d’édition,est entre les mains du seul maître ouenseignant, alors que la forêt du Sankurupeut produire une quantité de pâte àpapier capable de couvrir les besoins dupays entier pendant plusieurs annéesscolaires. Conséquence, beaucoupd’élèves du niveau primaire et secondaireau Sankuru terminent leurs études sansfeuilleter un manuel.

À l’école primaire, la majorité desenfants sont assis à même le sol, faisant lacalligraphie par terre, fautes de cahiers, debics et d’ardoises.

L’inefficacité et le malfonctionnement des écoles contribuent àprolonger inutilement la scolarité decertains enfants du Sankuru à l’écoleprimaire ou secondaire, rendant certainsinadaptés aux études qui leur sontoffertes.

Aujourd’hui, les parents, qui,autrefois, prenaient en charge les étudesde leurs enfants, sont devenus dépendantsde ces derniers (leurs enfants), surtout, lesjeunes filles qui doivent vendre au marchépour faire nourrir la famille et se payer lesfrais scolaires elles-mêmes.

Dans ces circonstances, un grandnombre de filles et fils du Sankurutombent ou retombent chaque année dansl’analphabétisme, ce qui fait chuter d’unefaçon dramatique les pourcentagesd’enfants scolarisés dans ce district.

Au niveau de l'emploi, depuisplusieurs années, il n’y a plusd’employeurs fiables au Sankuru, que cesoit au niveau public ou au niveau privé.S’il en existe, l’article 17 (mon frère estlà) prime pour l’obtenir. Sinon, il fautapporter une chèvre, un bouc et autresobjets en nature pour les hommes. Pourles femmes, si elles sont belles, la choseest simple, mais si elles ne sont pas

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admirées par l’employeur, la seuleréponse est que l’on ne voudrait pas avoirde problèmes avec votre mari si c’est unefemme mariée ou fiancée. Sinon,l’employeur dira que "les travaux àeffectuer sont lourds" même si dansl’annonce on cherche un ou secrétaire dedirection.

En outre, le peu d’employés quiexercent actuellement leurs métiers sont,soit mal payés ou pas du tout, soit lessalaires sont insignifiants, et parfois, ilssont payés en nature. Malgré cela, cesderniers (employés) sont soumis à desoppressions à cause des taxes.

Au niveau de la gestion de bienscommunautaires, elle est très mauvaise àtous les niveaux et ceci a pour corolaire lamisère pour la population du Sankuru.Ceci décourage toute bonne initiative tantinterne qu’externe.

Quand on regarde les routes dedesserte agricole, aucune d’entre ellesn'est en bon état : soit elles sont endégradation très avancée, soit en abandontotal. Il n'existe quasiment plus de routescarrossables, ni de ponts praticables, ni debacs sur beaucoup de rivières du Sankuru.

Les soins de santé au Sankuruméritent une note spéciale car certainshôpitaux de référence et les centres desanté visités sont devenus des champs deprolifération de toutes épidémiesimaginables : syphilis, blennorragie, sida,malnutrition, fièvre, typhoïde, etc.L’environnement étant d’une insalubritéindescriptible, c’est à croire que lemicroscope n’est plus utilisé pour voir oùse cachent les microbes dans les centresde santé.

Les infrastructures médico-sanitaires ont connu une dégradationsystématique. Il manque partout desproduits pharmaceutiques, du matérielmédical et des literies. Il y a très peu demédecins pour les 1.700.000 habitants dudistrict.

L'hebdomadaire new yorkais "TheWall Street Journal", dans un longreportage publié le 1er décembre 2000, adonné une description à peine croyablesur la situation sanitaire au Sankuru. Pourillustrer cela, il cite notamment le cas dudocteur MALABA de l'hôpital de Lodja àl’époque qui, pour se soigner d'uneblessure, a dû recourir aux herbes et auxracines (médecine traditionnelle).

Le tissu économique estcomplètement désarticulé et détruit. Laguerre a mis en évidence beaucoup defaiblesses très graves du district, l'absenced'infrastructures scolaires, médicales,routières, agricoles, télécommunication,etc.

Au Sankuru, l'économie n'a pas faitque stagner, mais s'est plutôt étiolée. Il y aune désindustrialisation intégrale outotale. Il s’agit ici des anciens fleurons dedéveloppement pré-indépendance qui onttous été démantelés : les cotonnières deLodja et de Tumba pour la SociétéColocoton ; les usines de traitement decaoutchouc de Kutusongo et de Pelengepour la Société Sakalom ; établissementOPEDU qui était devenuSODIKAS/SPRL ; la stationexpérimentale de l'Institut Nationald'Études et des Recherches Agricoles àMukumari Lomela ; les huileries deLusambo, les savonneries, les rizeries etles fabriques d'huile palmiste de Lodja,sans oublier les petites unités depanification. Rien de tout cela ou presquen'existe plus aujourd'hui ; le Sankuru s'estdonc ruralisé entièrement.

Les administrations locales nedisposent plus de pouvoir d'initiative enmatière économique. Les opérateurséconomiques, quant à eux, font tous lelibéralisme commercial. Les élitesintellectuelles sont, non seulementdivisées, mais dispersées dans les quatrecoins du monde, parce que la terre natalene leur garantit plus la moindreperspective. Il n'existe plus un certainesprit de saine concurrence inter-territoriale susceptible de générer

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l'émulation entre les entitésadministratives du Sankuru.

À l'exception du diocèse de Kole oùMgr NKINGA a fait installer une petitehydraulienne pour la production del'électricité dont la puissance est trèsinstable, partout ailleurs, les projets debarrage sont restés souvent lettre morte,notamment celui d'un barrage sur larivière Lokombe à Tshumbe Sainte-Marie, celui d'équipement d'une petitechute aménagée par les Chinois près de laconfluence de la rivière Londa à Lodja etle barrage de Lubobo dont la capacité deproduction d’énergie était estimée jusqu’à15.000 watts.

L'agriculture est devenue quasimentnulle par rapport à son potentiel. Lasituation de pauvres paysans du Sankuruqui ne vivaient que de la vente de leursrécoltes est très critique depuis plus d'unedécennie. Obligés de marcher surplusieurs kilomètres entre Lodja et lesautres territoires, avec des lots dequelques kilogrammes de récolte sur leurstêtes ou sur leurs épaules pour pouvoir seprocurer juste un morceau de savon, ilssont démotivés et ne désirent plus cultiverau-delà des besoins de subsistance. Lebon gain pour un agriculteur provientsurtout de l'élevage. Malheureusement, auSankuru, aucune politique ni initiativepour intensifier l'élevage et la pisciculture.

Le commerce de la viandeboucanée constitue l'activité la plusrentable au Sankuru rural actuellementparce qu'elle n'est pas soumise auxsaisons. Mais le prix à payer, c’estplusieurs espèces animales qui sont envoie de disparition. Car la viande de"bonobo, de léopard, d’okapi, decrocodile", qui, jadis, était interditedevient aujourd'hui la pluscommercialisée parce qu'on peut lesabattre facilement. Les "animaux" les plusabattus sont les femelles. Une fois qu'ellessont abattues, le bébé qui s'agrippe à lapoitrine de la mère ou à côté de celle-ciest récupéré pour être vendu ou mangé entemps voulu.

Les populations autochtonesconsidèrent la forêt aujourd’hui commeleur "supermarché". Ils en tirent lanourriture, la viande, la bière palmiste, lesmédicaments, les matériaux deconstruction, le charbon de bois et le boisde chauffe et appauvrissent à grandevitesse leur environnement.

Les rivières, comme les forêts, nesont pas épargnées. Plus de poissonneusesni d’autres produits des pêches commedans le passé. Cependant, le déficitprotéique est très prononcé au Sankuru,surtout chez les enfants et les femmesenceintes ou qui allaitent leurs enfants.

Au Sankuru, la débrouillardise desjeunes commerçants ambulants continue àalimenter le fameux article 15(débrouillez-vous), car ils ramènentconstamment des médicaments (parfoispérimés et accessibles sans ordonnance),du sel, de la friperie, du savon, descahiers, etc.

Les trafiquants qui occupent lesecteur diamantifère à Lodja (Onyama) etdans d’autres trous à diamant dans leterritoire de Lomela ne sont pas souventdes natifs du Sankuru et n’achètent pascorrectement ces pierres précieuses. Trèssouvent, le troc prime (moto, radio,télévision, chaine musicale, vélo, etc.).Après quelques années d’usage, ilsdoivent débourser d’autres sommes pourentretenir ou faire fonctionner cesappareils ou moyens de déplacement(achat de piles ou batterie, pièces derecharge, réparation, …).

Les infrastructures administratives,qui symbolisaient autrefois l'autorité del'Etat, sont dans un état de délabrementavancé quand il n'est pas total.

Les relations entre certains groupesethniques au Sankuru n’ont jamais étépacifiques, notamment entre les gensd’Ekonda (Forêts) et d’Eswe (Savane),entre les bantous et les pygmées. Surtoutcelles qui existent entre les pygmées et lesbantous sont très regrettables et de plus enplus déshonorantes aujourd’hui. La

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première source de conflit entre lesbantous et les pygmées au Sankurucommence dans l’appellation pygmée,mot dérivé d’un terme grec qui veut dire"un individu qui mesure une coudée"(Ndlr : une coudée équivaut à plus oumoins 50 cm).

Cette distinction sociale, qui faitdes pygmées des gens de petite taille, estdevenue une injure : "espèce de pygmée" ;parfois, c’est une affirmation gratuite :"quel vrai pygmée !".

Et pour exprimer une curiosité,l’on se laisse dire "donc c’est un pygmée".Lorsqu’un pygmée peut exceller dans unquelconque domaine, ses voisinsbantous disent : "même les pygméesaussi ?"

Au Sankuru, jusqu’au 21ème siècle,les pygmées sont encore une propriété desautres tribus. Les voisins disent : "ça, cesont les pygmées de mon grand père", ouencore, "nos pygmées ne se déplacentjamais sans notre autorisation, ils nepeuvent pas aller sans notre avis".

Les bantous s’aiment si bien qu’ilsne sentent pas leurs propres odeurs, maisrépugnent au moindre effluve chez lespygmées ; c’est ainsi que l’on entend direque "les pygmées sentent mauvais."

L’erreur est humaine. Maislorsqu’il arrive à un pygmée de se trompersur un sujet donné, les bantous disent :"un pygmée reste un pygmée", sous –entendu la bêtise.

Pourtant, lorsque les bantous ontbesoin des services des pygmées pour uneguérison ou un autre service, le pygméedevient "mon frère ou ma sœur ou monami".

Sur le plan scolaire, il est dit que lascolarité est obligatoire aux enfantscongolais de moins de 12 ans ; or, il y aplus de 90 % d’enfants pygmées auSankuru qui n’ont pas accès à l’éducationni à la formation générale, c’est-à-direqu’ils ne savent ni lire ni écrire leursnoms.

Du point de vue économique, lespygmées, de tradition cueilleurs etchasseurs, ne sont pas formés pour lestravaux de la terre ; bien au contraire, ilssont aujourd’hui utilisés par leurs maîtresbantous comme une main d’œuvre àexploiter de façon outrancière dans lestravaux agricoles pour être payés ensachets de sel ou avec de la friperie.

En ce qui concerne les soins desanté, une femme pygmée au Sankuru neprend plus la peine d’amener son enfantmalade à l’hôpital, car non seulement lepersonnel de santé se moque d’elle parcequ’elle est mal vêtue, mais encore, cepersonnel exige le carnet de santé del’enfant ainsi que l’argent qu’elle n’a paspour payer les frais de consultation. Bref,les pygmées du Sankuru vivent dans uncontexte de déshumanisation permanente.

Floribert BELOKO TAKANAKIAndragogue, expert en développement rural intégré

Chef de projets de développement au Sankuru

Brève présentation du district de Sankuru situé dans la provincedu Kasaï Oriental (RD Congo)

Superficie : 104.331 km², soit près de 5% du territoire national. Subdivision administrative :six territoires, 42 secteurs et 403 groupements (découpage de 1967). Population : 1.798.119habitants (2003). Densité : 17 habitants / km². Altitude moyenne : de 550 à 650 m. Reliefsubdivisé en trois zones : zone des plaines, zone des bas plateaux et zone des plateaux.

Température moyenne : environ 25° C.

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Terre–Neuve asbl

erre–Neuve est uneassociation sans but lucratifde droit et d’obligation belge

reconnue par la publication au Moniteurbelge dans son édition du 15 avril 2004(Ndlr : numéro d’entreprise :864.492.110). Elle cherche à mener etpromouvoir un ensemble d’actions denature à stimuler la mise en place desconditions propices à la communicationnon-violente (CNV) et la gestion positivedes conflits. Elle s’inspire de laphilosophie du professeur MarshallRONSENBERG qui a fondé le processusde communication non-violente depuis lesannées soixante.

Née de l’initiative de J.–M.NDUWAMUNGU, belge d’origineburundaise dont l’expérience de vie et detravail dans différentes ONG l’a poussé àpréconiser et développer une philosophieet mode de vie fondées sur la nonviolence, en essayant de trouver un terraind’entente pour différentes composantes dela population sur le plan social, ethniqueou religieux. L’idée de créer une ASBLaux objectifs cités s’est renforcée à lasuite d’une formation en communicationnon violente suivie à Louvain-la-Neuve,formation dont il est sorti avec une fermevolonté de partager cet outil du "bon vivreensemble" en créant" "Terre Neuve".Comme on ne peut lancer seul une actionde grande envergure, il a pris contact aveccertaines personnes qu’il estimait partagerla même vision, entre autres F.RYCKMANS, M. BATAMURIZA, A.WAELBROECK, A. BACANAMWO, S.VANDENBULCKE, M.VANDENBULCKE …..

De par cette vision, Terre-Neuveavait comme première population cible,celle du Burundi, pays marqué par desviolences cycliques au cours de ces quatredernières décennies. Dans un premiertemps, Terre-Neuve a trouvé mieux deconcentrer son action sur une seuleprovince, celle de Gitega, au centre dupays. À présent, une équipe de Terre-Neuve est active dans cette province et

pourra étendre son action dès que lesmoyens le permettront.

Des actions et projets de Terre-Neuve

Comme on l’a dit plus haut,l’association a pour objectif depromouvoir, d'encadrer, de former etde favoriser l’entente entre despersonnes, quelles que soient leursorigines ethniques, leurs convictionsreligieuses et les couches socio-économiques auxquelles ellesappartiennent. Pour atteindre cetobjectif, Terre–Neuve procède par desformations théoriques et pratiques enmatière de la communication non-violente(CNV) et de la gestion positive desconflits ainsi que par l’initiation desprojets de nature à améliorer l’accès descommunautés démunies à des outils etméthodes qui les aident à développer desactivités socio-économiques.

Quelques réalisations passées :

Au Burundi

- Mission d’identification, du 29juin au 11 août 2003 ;

- Séminaire en communication non-violente (CNV) et en gestion positive desconflits pour les membres de l’équipe deTerre–Neuve burundaise ;

- Intervention aux activités socio-économique en province de Gitega ;

- Mission d’instruction, du 29 aoûtau 19 septembre 2005 ;

- Elaboration d’un projet pour undélai de trois années ;

- Atelier de Communication NonViolente (CNV) au Burundi, chef-lieu dela province Gitega, mai 2006 ;

- Mission d’instruction, du 29 marsau 16 Avril 2007 ;

- Formation en communication nonviolente (CNV) et en gestion positive desconflits à Gitega, du 5 au 11 Avril 2007 ;

T

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- Mission d’instruction, du 22juillet au 19 août 2007 ;

- Mission d’instruction, du 30septembre au 11 novembre 2007 ;

- Elaboration d’un plan dedéveloppement communautaire TN auBurundi ;

- Elaboration d’un plan d’actionhumanitaire TN pour les pays sinistrés ;

En Belgique

- Participation aux ateliers de lacommunication non-violente (CNV) et dela gestion positive des conflits,

- Intervention dans la résolution desdifférends dans diverses communautés ;

- Organisation de standsd’informations sur nos projets pour leBurundi lors des festivités dans toute laBelgique ;

- Formation en communicationnon-violente (CNV) et en gestion positivedes conflits dans le cadre de l’égalité deschances entre hommes et femmes àWaimes sous le haut patronage de Mme

Brigitte GROUWELS, Secrétaire d’État àla région de Bruxelles – Capitale, du 24au 26 novembre 2006 ;

- Formation en communicationnon-violente (CNV) et en gestion positivedes conflits dans le cadre de l’égalité deschances entre hommes et femmes àWaimes sous le haut patronage de Mme

Brigitte GROUWELS, Secrétaire d’État àla région de Bruxelles – Capitale, du 4 au6 mai 2007 ;

- Elaboration d’un projet pourl’intégration des personnes issues del’immigration pour la commission de lacommunauté flamande au niveau de larégion de Bruxelles – Capitale ;

- Elaboration d’un plan d’action TNpour la Belgique.

Les stands déjà tenus et activités enCNV

- La ville de Bruxelles : du 30 juinau 2 juillet lors des événements du festivalCouleur café ;

- Commune d’Uccle : le 21 août2006, lors du marché hebdomadaire ;

- Commune de Braine l’Alleud, du2 au 3 septembre 2006, lors de la braderieannuelle ;

- Commune de Ganshoren, du 9 au10 septembre 2006, lors du marché annuel;

- Le 13 septembre 2006,intervention sur les thèmes : la violence etla délinquance chez les jeunes lors de labalade en bateau avec quatre-vingtparticipants, en présence de Mme laMinistre Brigitte GOUWELS, au canal deBruxelles ;

- Commune d’Uccle, le 16septembre 2006, lors de la foire annuelle ;

- Le 17 septembre 2006, Provincede Namur, Commune de Havelange,localité de Maffe et Méan lors de la foiredes fromages.

Quelques projets en cours

- Mise au point d’un planstratégique pour cinq ans au Burundi. Ceplan stratégique Terre–Neuve cherchera àaméliorer les conditions des groupes-cibles à travers des actions déjàidentifiées.

- Mise au point d’un projet desensibilisation de l’opinion publique belgeaux problématiques de développement enpays subsaharien. L’amélioration desconditions matérielles ne suffit pas à elleseule pour apporter des changements chezune population meurtrie par des années deviolence.

Ramener la confiance entre voisinsou ennemis d’hier pourrait être uninvestissement de départ visant à lancerdes activités diversifiées. Concrètement,le projet Terre-Neuve vise les objectifsspécifiques suivants : renforcer la culturede la paix notamment par la promotion dela communication non-violente dans lesdifférentes couches de la population dansl’intérêt de favoriser le dialogue entre lesdifférentes composantes de la populationencore marquées par les années de

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conflits, des déplacements intérieurs etd’exil ; transmettre et diffuser lestechniques permettant une meilleuregestion des conflits.

Non seulement cela, Terre-Neuveasbl dispose des programmes et desprojets diversifiés en Belgique, auBurundi et dans le reste du monde. Toutesnos actions sur le Burundi se développenten collaboration avec Terre-NeuveBurundi.

Pour soutenir les actions de Terre–Neuve, se tenir informé des actions de

Terre–Neuve et/ou devenir membre deTerre-Neuve, vous pouvez envoyer uncourrier au siège de l’association àl’adresse suivante : Rue de Bodeghem, 181000 Bruxelles. E-mail :[email protected]

Faire un don à l’asbl Terre –Neuve, qui a aussi besoin de votre appuifinancier selon vos possibilités, estpossible au numéro de compte del’association : 068 -2376776 -12

J.-M. NDUWAMUNGUPrésident-Fondateur

C U L T U R E E T S O C I É T É

Les élections des porte-parole des étudiants à Bukavuquel modèle pour la société ?

ans les institutionsd’enseignement supérieuren RD Congo, chaque

année, les étudiants doivent élire un porte-parole. Le déroulement de ces électionsest-il représentatif de la sociétédémocratique que nous voulons former ?

Les attentes

L’activité électorale bienorganisée constitue un gage de stabilitésociale. L’élection légitime le pouvoir del’élu, qui bénéficie du soutien réel desélecteurs pour la durée de son mandat. Larencontre d’un certain nombre de critèresassure une bonne organisation électorale.Les candidats doivent faire preuve dematurité, d’un sens élevé de laresponsabilité, de l’engagement, deloyauté, d’honnêteté, de capacité éprouvéede bien cerner les problèmes complexesliés aux étudiants. Bref, il faut un candidatdoué d’une personnalité bien avérée.Quant aux électeurs, ils devront exercerleur rationalité électorale. Cette valeurprivilégie le recours à la raison, dontl’objectivité est l’expression et le civismele fondement. Les enjeux électoraux duporte-parole sont à chercher dans lesconditions d’étude des étudiants. Les

problèmes sont nombreux et touchent tousles secteurs de la vie académique. Lesétudiants se plaignent de l’élasticité desannées académiques. Actuellement, aucuncalendrier uniforme et bien observén’existe dans les institutions supérieureset universités. On ne connaît pas la datede la rentrée académique, encore moinscelle de sa clôture. Les prévisionsbudgétaires des étudiants basculent,surtout pour ceux qui résident dans lescampus, loin de leur famille.

Apparenté à ce problème, celui dela qualité de l’enseignement se pose avecacuité, principalement en raison del’absence de professeurs permanents.Comment faire un calendrier quand lamajorité des enseignants sont desvisiteurs ? Un autre problème pressantdécoule de la considération même del’étudiant, qui estime avoir perdu sonstatut d’antan. Selon lui, sesrevendications (bourses, bâtimentsdécents, création de l’emploi, …) ne sontplus prises en compte par l’Etat, quidevrait pourtant jouer un rôle moteur dansl’encadrement des étudiants. Visiblement,ces problèmes et d’autres encore sont aucœur des préoccupations des étudiantsélecteurs.

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Les appartenances tribalo-ethniques

Lors des élections dans les grandsinstituts supérieurs de la place, deuxgroupes d’étudiants se dessinent : lagrande famille, constituée par lesétudiants de la tribu Shi, et la petitefamille, majoritairement Rega. Lesétudiants des tribus minoritaires serangent d’un côté ou de l’autre selonqu’ils s’estiment plus proches des uns oudes autres. En période post-électorale, cesclivages subsistent, souvent d’unemanière occulte. Bien que les critèresd’éligibilité soient clairement définis parles autorités académiques (ne pas être enclasse terminale d’un cycle, avoir payéune tranche au moins des fraisacadémiques, être inscrit au rôle), ceuxposés pour être électeurs (êtrerégulièrement inscrit, avoir payé 50% desfrais académiques) sont souvent contestéspar les étudiants incapables de s’yconformer. Pour eux, ce critère lié aupaiement vise à les exclure. Ilssoutiennent que cette exclusion entraîneral’échec de leur candidat. Ils considèrentque les autorités font preuve de partialité,non seulement envers la personne ducandidat mais aussi de sa tribu. Ils disentque les autorités visent à soutenir lecandidat qui défendra le mieux leursintérêts.

Autant qu’il lui paraît possible, lecandidat cherche à mobiliser des moyenspour payer les frais académiques desélecteurs de sa tribu. Au cas contraire, soncamp se sent frustré. En revenant sur cecritère tribal, on peut se demander si unporte-parole élu sur cette base défendrales intérêts de tous les étudiants ou plutôtceux des siens. Pour ces derniers, ilapparaît que la personne n’est pas prise encompte, car elle est dissoute dans ce quesa communauté représente pour les autres.Dans ces institutions, les étudiantss’identifient entre eux suivantl’appartenance à un espace géographiquecommun, à une langue. Ces sentimentsexacerbent l’exclusion entre les étudiants,compte tenu des communicationsconventionnelles reconnues à chaquegroupe.

Le constat de R. STEICHEN et P.SERVAIS1 est frappant : il est fortpossible qu’un même locuteur module unemême langue selon des stratégiesconventionnelles très mouvantes,cherchant ainsi à faire valoir un sentimentd’appartenance, une inclusion identitaireen exploitant un lexique familier. Dans lesnominations des ministres, les critères decompétence, d’honnêteté sont bafoués, cequi expose à la défaillance, àl’inefficacité, voire à la médiocrité dans letravail. En pareille situation, toute idée decontradiction, d’innovation ne trouve pasd’unanimité. En résulte le statu quo dansl’action du gouvernement. Du fait que lesétudiants constituent une force sociale, lepouvoir du porte-parole ne se limite pasau niveau de son institution. Parfois, lespolitiques en mal de positionnement s’enservent pour solliciter un appui afin desoutenir leurs ambitions politiques. Lapolitisation du milieu universitaire estdevenue un phénomène récurrent,entraînant des dégâts incalculables.L’appui que le porte-parole et les siensapportent aux politiques est une réponseau soutien financier reçu lors descampagnes électorales. Ce soutien despolitiques est réel, au vu des sommesqu’exige la campagne : location devéhicules, cocktail, impression de photos,t-shirts … La précarité de la vie aucampus ne permet pas au candidat desupporter seul ce coût. Quoi qu’il en soit,un soutien financier proviendrait de tiersqui trouvent en ces élections l’occasion dese positionner.

Les conséquences

Contestations et violences sonttrès fréquentes au lendemain de lapublication des résultats. Elles prennentplusieurs formes : de l’insoumission auxordres des autorités jusqu’aux arrêts desenseignements, des barricades routièresaux destructions méchantes, desoppositions larvées aux bagarres rangées.Ceci reflète bien l’image des politiques au

1R. STEICHEN et P. SERVAIS (sous la direction),

Identification et identités dans les familles,individus ? personne ?, sujet ? Louvain-la-Neuve,Academia-Bruylant, 1998, p .176.

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lendemain de la publication des résultatsdans la plupart des pays africains. Toutporte à croire que l’étudiant, loin d’être unintellectuel, reste le simple dépositaired’un diplôme, passif pour répondre auxproblèmes de son temps. Cette absence deconscience intellectuelle perturbe la bonnemarche de la société. Il est nécessaire deredresser les mentalités pour quel’étudiant joue valablement son rôle. Sirien n’est fait, ces antivaleurs risquentd’embraser toute la société. L’institutionuniversitaire en serait la première victime.Elle serait en train de former des étudiantscontre elle-même et contre toute lasociété. Pour remplir sa mission,l’université a besoin d’étudiants intègreset responsables. Par contre, l’attitudeponctuée par le tribalisme est inquiétante.

Il est bon de préciser que laculture de la facilité domine dans nosuniversités. Au nom de la tribu, l’étudiantobtient facilement des points, pratiqueconnue sous l’expression "pointstribalement transmissibles". L’étudiantmobilise sa tribu pour attirer et capterl’attention de l’enseignant. Elle est uneforme de corruption qui s’ajoute àd’autres (biens matériels, "pointssexuellement transmissibles"…). Ellenous paraît la plus dangereuse, comptetenu de son expansion et de son impactsur d’autres secteurs sociaux. Une foissortis de l’université, ces hommes et cesfemmes sont appelés à servir dansdifférentes institutions. À ce moment, ilsdevront prouver leur sens de l’éthiqueprofessionnelle. Les antivaleurs tribalesqui gangrènent le monde professoral nefont-elles pas suite à celles déjà vécuesdans les universités ?

Les raisons d’espérer : changementsd’attitudes

Les enseignants : une mission de plus

Les enseignants sont directementconcernés par cette mission. En plus del’acquisition du savoir, les étudiants ontbesoin d’une bonne formation éthique, envue de devenir des citoyens responsables.Les enseignants doivent servir de miroirset de modèles. Ils sont des acteurs

incontournables appelés à s’impliqueractivement pour un avenir meilleur denotre société. Par leur manière d’être etleur façon d’agir, ils serviront de modèles.Tous les agents de socialisation doiventremplir valablement leur rôle. On attendde l’université qu’elle joue bien son rôlecapital. De l’avis d’A. TOURAINE,l’université tient une place centrale parceque la production de la connaissance estun élément très important dudéveloppement social. À ses yeux, lesuniversitaires sont des intercesseurs entreles valeurs de la société, ils possèdent uneculture fondée sur l’universalisme de laconnaissance. Conscients de cetteresponsabilité, ils doivent adopter uncomportement conséquent. S’ilsintériorisent cette grande mission, ilsseront de vrais acteurs pour transformer lasociété.

Priorité au renforcement des capacitésde l’étudiant

Cette dynamique sera plusprometteuse si son contenu est novateur.Elle privilégie la nécessité d’assurer uneformation permanente aux individus, envue d’accroître leur rendement. Cetteformation devra être réaliste. Elle tenterad’outiller l’étudiant de stratégies efficacespour l’intégrer d’abord au sein de soninstitution, et plus tard dans sa corporationprofessionnelle. L’impact de cettedémarche sera palpable, compte tenu de lapertinence des thèmes sur lesquels porterala formation, thèmes liés à la dynamiquede groupes, à la culture démocratique, à lanon-violence active, au développement.Leur mesure de vérification sera fonctionde l’adoption de nouvelles attitudespositives. Dans cette même approcheseront encouragées des activités ludiques,culturelles et sportives dont l’impact seravisible. Celles-ci assurerontl’épanouissement social de l’étudiant pardes échanges permanents. Ellespermettront aux étudiants de serapprocher davantage les uns des autres.Dans ce cas, le milieu universitaire sera lelieu où se développe une cultured’excellence, apanage de l’étudiant.

Roger BIRHASHIRWA, licencié en sociologie, Bukavu

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Haro sur le lingala facile !

e concept de "lingala facile" est construit sur le modèle de celui du"français facile". Nous allons brièvement montrer que,malheureusement, les deux concepts ne fonctionnent pas de la même

manière dans les deux langues et que le concept de "lingala facile" est nuisible àl’image de cette langue et à notre patriotisme linguistique, si l’on nous permet cettegrandiloquence.

Radio France Internationale diffuse périodiquement son journal "en françaisfacile". Qu’est-ce à dire ? Cette expression repose sur la réalité que chaque langue aplusieurs niveaux d’expression ou registres. Il y a un registre disons savant, peuaccessible au grand nombre et un registre plus "soft" (passez-nous cet anglicisme) etdonc accessible au plus grand nombre. Ces registres sont des réalitésintralinguistiques. Nous voulons dire que ces registres sont des réalités identifiées ouà identifier à l’intérieur d’une langue donnée. La même réalité, on peut l’exprimer demanière simple, accessible à tout un chacun ou en recourant au langage technique,plutôt opaque.

À présent, donnez-vous la peine d’écouter le journaliste qui diffuse sur internetles informations en "lingala" soi-disant facile. Que constatez-vous ? Ce "lingala soi-disant facile" consiste en un amalgame entre quelques mots du lingala et des mots dela langue française. Autrement dit, le lingala facile ne joue pas sur la réalité desregistres intralinguistiques auquel recourt le français facile. Le lingala facile est basésur une capitulation linguistique, sur l’ignorance ou le sentiment expriméinconsciemment de l’absence de niveaux de langage en lingala et sur l’incapacité detransmettre l’information en n’utilisant que les seuls mots de cette langue. Cettepratique langagière dénie le caractère d’omnipotence linguistique au lingala (langueofficielle en RD Congo depuis la Conférence Nationale Souveraine).

L’omnipotence linguistique est cette capacité intrinsèque à toute languenaturelle comme le lingala. Cette caractéristique permet "aux signifiés de s’appliquerpar élasticité à des sens toujours nouveaux" et se traduit par la "créativité de parole",la "créativité métaphorique" sans cesse renouvelée. En bref et pour être moinstechnique, chaque langue a la capacité de traduire l’expérience de ses usagers demanière quasi infinie. Autrement dit, grâce au lingala, au kikongo, au ciluba ou aukiswahili, nous pouvons transmettre toutes les informations de manière autonome etsans emprunter aussi servilement comme le fait le "speaker" du lingala facile. Il y adans notre pays des spécialistes auxquels on peut faire appel pour aider à élaborer unlingala autonome et bouter dehors cette espèce de langue hybride qui choque notrepatriotisme linguistique profond. Les Kinois n’ont aucun respect envers le lingala.Tous (musiciens, politiques, hommes de la rue, Belgicains, etc.) s’expriment ainsi etne font aucun effort pour maîtriser le fond lexical de cette langue qui est plus richeque ne le laissent entendre quelques raccourcis infondés. Compatriotes, le lingalafacile est une honte et une trahison.

TEDANGA Ipota Bembela

L

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P E R S P E C T I V E S E T P O L I T I Q U E

Afrique/Haïti : le bilan en clair-obscurdes indépendances en postcolonies noires (suite et fin)

1- Qu’est-ce que les autres, c’est-à-direles acteurs historiques dominants, ontfait d’Haïti et de l’Afrique noire ?

a première question consisteà porter une attention auxconditions historiques

externes qui expliquent la pauvretépolitique et économique d’Haïti et ducontinent noir au 21ème siècle. Il ne s’agitpas ici de se positionner dans un registreou une posture victimaires, mais d’utiliserl’histoire, ses acteurs et ses actionscomme causes explicatives de nombreusescarences haïtiennes et africainesd’aujourd’hui. De nombreuses étudesscientifiques, notamment économiques,montrent que les conditions initialesinfluencent positivement ou négativementles trajectoires de développement despays.

Les théories de la croissanceendogène ainsi que la geographicaleconomics, dont l’un des inspirateurs estle prix Nobel d’économie PaulKRUGMAN, montrent que des pays quise sont intégrés au commerceinternational par des créneaux subalternescomme les pays africains (spécialisationrentière), restent actuellement bloquésdans des trends de croissance bas. Haïti etl’Afrique ont été intégrés au commerceinternational comme fournisseurs dematières premières à l’économie-mondeoccidentale née au 15ème siècle. S’agissantd’Haïti, la question : "qu’est-ce que lesautres, c’est-à-dire les acteurs historiquesdominants, ont fait d’Haïti ?" esthautement importante.

Il faut, en effet, rappeler,concernant Haïti, que les Espagnols puisles Français y ont installé un Etat colonialbasé, non seulement sur la supérioritéproclamée et instituée de la race blanchesur la race noire, mais aussi surl’appropriation raciale des richesses de

l’île au profit de la race blanche et le dénide citoyenneté aux autochtonesesclavagisés. Les Français s’installentdonc à Saint-Domingue et y bâtissent desfortunes colossales sur lesquelles règnenten maître 30.000 colons sur 500.000esclaves noirs. L’ordre est fondé surl’exploitation, la violence et la terreurenvers les esclaves. À la sortie del’Ancien Régime, Haïti représente près dusixième de toute la richesse de la France.

La suite de l’histoire montre queNapoléon, n’appréciant pas la révolte desesclaves menée par ToussaintLOUVERTURE, enverra une arméedirigée par son beau-frère, le généralLECLERC, afin de rétablir l’esclavage etla domination française, le 20 mais 1802.Les Français feront prisonnier ToussaintLOUVERTURE qui mourra à Joux(France) en 1803.

Le comble de l’injustice estqu’après l’assassinant de Jean-JacquesDESSALINES en 1806, CHARLES Xpose une condition nauséabonde pourreconnaître la souveraineté d’Haïti : laFrance ne reconnaîtra l’indépendanced’Haïti qu’en échange d’un paiement de150.000.000 de francs-or d’indemnités.Une somme exorbitante qui plomberadurablement le développement du jeuneÉtat même si elle est ramenée à 90millions2. Haïti réglera cette sommejusqu’en 1888 ! Comme quoi, si tu neveux pas que je t’envahisse à nouveau, tume paies.

Cette histoire montre comment,pour avoir la paix, c’est-à-dire le droit demériter son indépendance et de ne pas sefaire envahir à nouveau par la France,Haïti, déjà spolié par la même Francependant des centaines d'années, dut

2 GAUTERET J., "Haïti, la malédiction", LeMonde, 15 janvier 2010, p. 15.

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transférer des ressources à ladite Francepour que celle-ci indemnise des colons quiavaient été chassés par les Haïtiens. C’estaussi ces conditions initialesd’exploitation et d’injustice qui expliquentencore aujourd’hui les oppositions etaffrontements entre mulâtres et Noirshaïtiens. Les premiers, considérés plusproches des Blancs dont la race futproclamée supérieure à celle des Noirs,ont gardé une longue mémoire de leurcomplexe de supériorité. De même, ladéforestation poussée dont souffreaujourd’hui le pays provient aussi dupassage de l’agriculture exportatrice àl’agriculture de subsistance extensiveaprès l’abolition de l’esclavage.

Ces conditions historiques initialesd’Haïti sont très proches de celles del’Afrique qui, de 1800 à 1960, vaconnaître la traite négrière, la colonisationet l’exploitation à outrance de sesressources humaines et naturelles. Forceest de constater que c’est le pacte colonial,régime commercial autarcique de cettepériode-là, qui a défini la formed’intégration rentière de l’Afrique aucommerce international. C’est le mêmeprofil d’échanges qui se poursuit au seinde la coopération UE/ACP et des Accordsde Partenariats Économiques (APE) ennégociation de nos jours.

En outre, les indépendancesafricaines ont vu l’élimination physiquede tous ceux des Africains qui voulaientune indépendance réelle des nouveauxÉtats par rapport aux anciennespuissances coloniales. Le pouvoirpolitique est ainsi tombé aux mains deceux des Africains qui acceptaient que lesmétropoles gardent la main sur lesnouveaux États indépendants. Lenéocolonialisme ne s’est, par la suite, quenaturellement renforcé dans un monde oùles intérêts dominent et où les États fortssont des loups pour des États faiblescomme les États africains. Ces conditionsinitiales influencent donc pendant trèslongtemps les dynamiques futures desÉtats car Haïti d’aujourd’hui et les Étatsafricains d’aujourd’hui traînent encore leseffets retardataires induits par ce que les

autres ont fait d’eux. Il n’y a pas devictoire sans victimes. Les pays ditsdéveloppés ont remporté la bataille dudéveloppement et ont obligatoirement faitdes victimes. Celles-ci sont aujourd’huiles pays du Sud dont l’Afrique et labiodiversité en péril.

2- Qu’est-ce qu’Haïti et l’Afrique noirese sont faits à eux-mêmes pour encoreêtre à ce point à la traîne au 21ème

siècle ?

Cette deuxième question sembleaussi utile sinon plus cruciale que lapremière car, comme déjà signalé, celafait 200 ans d'indépendance pour Haïti et50 ans d’indépendance pour l'Afrique. Quidit indépendance, dit aussiautomatiquement prise de pouvoir par desHaïtiens et par des Africains quideviennent ainsi maîtres de leurs destins.Qui dit prise de pouvoir dit aussi maîtrisedu temps, de l’espace et orientation de sonécosystème socio-politique suivant lesobjectifs que l’on juge utiles pour ledéveloppement de celui-ci. Le reconnaîtreimplique donc aussi d’accepter quel’image que présentent Haïti et l’Afriqueaujourd’hui est aussi celle que les leadershaïtiens et africains postcoloniaux y ontfabriquée.

Les gouvernances meurtrières,régressives et néfastes des MOBUTU,AHIDJO, SEKOU TOURE, MaciasNGUEMA, BOKASSA, Léon MBA, IdiAMIN DADA et de leurs successeursOmar BONGO, Paul BIYA, SASSOUNGUESSO, EYADEMA, LANSANACONTE, Blaise CAMPAORE, SamuelNDO, Charles TAYLOR, BOZIZE etd’autres, sont largement responsables del’absence de développement en Afriqueautant que l’est le règne de l’atrocedictature de François DUVALIER de1956 à 1986 en Haïti.

À la place du développement, lesHaïtiens et les Africains ont eu droit à laterreur et à l’exploitation orchestrées parleurs propres frères au pouvoir depuis lesindépendances. Les "tontons macoutes"des tristement célèbres "papa et baby

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Doc" ont donc terrorisé et tué autant que"les chimères", les bandes arméescomposées de Noirs avec lesquelles leprêtre Jean-Bertrand ARISTIDE vainstaurer sa dictature en Haïti de 1991 à1994. Tous ces pouvoirs haïtiens etafricains ont, au lieu de développer leurpays, à chaque fois laissé ceux-ci au bordde la faillite politique et économique avecles conséquences sociales qui se passentde commentaires.

Tout semble montrer que lesdirigeants haïtiens et africains d’après lesindépendances seraient tous des"névrosés" de la colonisation au sens oùleur gouvernance a consisté à rétablir unordre colonial cette fois-ci endogène. Ceque Franz FANON3 espérerait, c’est-à-dire la naissance d’un Homme nouveaugrâce aux indépendances, n’a pas eu lieu.Ceux qui ont succédé aux colons ontreproduit des classifications et desdominations en vigueur lors de l’État-colonial. Les peaux noires, masquesblancs se sont multipliés au point decroire que les violences physique,politique et structurelle étaient lesprincipaux objectifs poursuivis par lesdirigeants haïtiens et africains.

En conséquence, les Africains sontencore très majoritairement du côté desdamnés de la terre4 au 21ème siècle. Il yeut pourtant un mouvement nègre5 quiprépara une "belle aurore" et des tempsmeilleurs pour un continent occupé etméprisé pendant longtemps. Lesindépendances et la pensée noires qui sedéveloppèrent par le biais duditmouvement nègre de la France à Harlemen passant par l’Afrique, permirent aucontinent, à ses hommes, femmes etenfants de naître de nouveau pleinementau monde, non parce qu’ils n’y étaient pasavant, mais parce qu’une hiérarchisation

3 FANON F., Peau noire, masques blancs.Paris, Le Seuil, 1952.4 FANON F., Les Damnés de la terre.Paris, Librairie François Maspero, 1968.5 DEWITTE P., Les Mouvements nègres enFrance, 1919-1939. Paris, L’Harmattan,1985.

et une organisation raciales les enexclurent pendant un certain temps.

Cependant, au 21ème siècle, l’imagedu "Nègre comique et laid" dans untramway, à l’allure simiesque, modelé oudéfiguré par une pauvreté absolue et dontla simple vue horrifia l’étudiantmartiniquais du cahier d’un retour aupays natal parce qu’elle lui fit prendreconscience du racisme6, n’est pas trèsdifférente de celles qui passent en boucleaujourd’hui dans les médiasinternationaux et qui montrent uneAfrique pauvre, une Afrique malade, uneAfrique affamée et une Afrique en guerre.Ces images occultent peut-être l’autreAfrique et d’autres Africains qui gagnentet innovent, mais elles sont aussi la tristeréalité de ce continent où la révolutionafricaine que souhaitait Franz FANON7 detoutes ses forces et par tous les moyens, ycompris la violence, n’a toujours pas eulieu. Il eut pourtant quelques éclairscomme Thomas SANKARA quel’Afrique aura elle-même contribué àéradiquer.

Il est donc important, au momentoù nous parlons du cinquantenaire desindépendances africaines, que lesAfricains et l’Afrique pensent d’abord àce qu’ils se sont faits à eux-mêmes depuisun demi-siècle. Il est crucial qu’ilsregardent et jugent froidement le sortqu’ils se sont eux-mêmes réservé. Cecinquantenaire ne peut être fructueux etdigne d’enseignements opportuns pourl’avenir que si les Africains, comme le ditle proverbe, balaient d’abord devant leurspropres cours avant de regarder lessaletés qui tapissent celles des autres.

CAMARA LAYE, dont l’ouvrage,L’enfant noir, fut critiqué par d’autresAfricains écrivains parce qu’il écrivit unlivre dénué de toute référence à lacolonisation8 n’avait pas totalement tort.

6 CESAIRE A., Cahier d’un retour au paysnatal. Paris, Présence Africaine, 1956.7 FANON F., Pour la Révolution africaine.Paris, La Découverte, 2006.8 CAMARA L., L’enfant noir. Paris,Nathan, 1964.

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La vie du jeune africain au sein de saforge et vivant au gré de l’Afrique desvillages9 dont parle Jean-Marc ELA, sertaussi à regarder sa propre vie del’intérieur ainsi que cette Afrique-là qu’ilfaut sortir du statut d’éternelle victimepour devenir un objet de critique réflexivepar les Africains eux-mêmes10. C’est aussiça être indépendant !

À ce titre, L’aventure ambiguë,11

dont parlait déjà Cheik HAMIDOUKANE, il y a de cela plusieurs années, estencore plus ambiguë aujourd’hui au pointoù il n’est pas exagéré de dire quel’Afrique fête, en 2010, ses CinquanteAmbiguës. Étant donné que lestribulations de BANDA, personnagecentral de Ville cruelle d’AlexandreBIYIDI12, sont encore semblables, voirepires que celles des subsahariensd’aujourd’hui, l’Afrique ne semble pasencore sortie de la crise du Muntu13 dontparle Fabien EBOUSSI BOULAGA dansson ouvrage devenu un classique. C’estscandaleux, cinquante ans après lesindépendances.

3- Qu’est-ce qui cloche réellement enpostcolonies noires au 21ème siècle ?

Les postcolonies, ces entitésterritoriales, socio-politiques etéconomiques sorties du joug colonial il ya quelques cinquante ans dans le cas del’Afrique, sont, comme le dit AchilleMBEMBE, à analyser dans la statureépistémologique d’une faille14. Celle-cimontre, par le biais de deux questionsprécédentes, que l’Afrique est, dans le cas

9 ELA J-M., L’Afrique des villages. Paris,Karthala, 1987.10 SHANDA TOMNE J.C., Fondementsculturels du retard de l’Afrique. Paris,L’Harmattan, 2009.11 HAMIDOU KANE C. L’aventureAmbiguë. Paris, Julliard, 1961.12 EZA-BOTO, Ville cruelle. Paris,Présence Africaine, 1988.13 EBOUSSI BOULAGA F., La crise duMuntu. Authenticité africaine etphilosophie. Paris, Présence Africaine,1997.14 MBEMBE A., De la Postcolonie. Essaisur l’imaginaire politique dans l’Afriquecontemporaine. Paris, Karthala, 2000.

d’espèce, à la fois le produit de ce que lesautres ont fait d’elle et de ce qu’elle s’estfaite à elle-même. Les dynamiquesexogènes (cultures importées) etendogènes (cultures autochtones) y sonten confluence et sont obligées de produireun monde au service de la vie desHommes. Être en situation de devoirproduire des conditions de possibilité etde fonctionnalité d’une vie sociétale etsociale digne à partir du point derencontre d’au moins deux dynamiquescontraires, n’est pas le propre de la seuleAfrique.

Il semble, étant donné qu’aucunecivilisation n’a vécue en autarcie et queplusieurs ont été détournées et mêmephagocytées, que c’est très souvent lasituation à partir de laquelle plusieurspeuples doivent rebâtir ou ont été amenésà le faire. Si la Chine est la puissancequ’elle est aujourd’hui, c’est parce qu’ellea trouvé en elle-même la capacité de serelancer après les deux guerres del’opium, la destruction du célèbre etluxueux palais d’été de Pékin par lesAnglais et les Français au 19ème siècle,l’invasion du Japon et les catastropheshumaines de la révolution culturelle deMAO ZEDONG. Mêmement pour l’Indequi s’en sort aussi honorablement, malgrél’occupation anglaise qui ne fut pas moinstraumatisante que la colonisation del’Afrique par les puissancescolonisatrices.

Si ces deux pays, parmi d’autres, serebâtissent et deviennent des endroits oùla vie redevient digne d’être vécue, c’esten grande partie et surtout grâce à desélites qui ont décidé de prendre leurresponsabilité. Les postcolonies africainespeuvent donc aussi le faire à conditionque les pouvoirs en place soient au servicede la vie des Hommes. Le problèmeinterne fondamental aux postcoloniesafricaines est donc celui des politiquesmenées (policies), de la gouvernance ausens de logique propre de l’ordre politique(polity) de laquelle dépend le produit del’activité politique (politics).

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Si les conditions initiales ethistoriques rendaient complètementirréversibles le trend de développementd’un pays, l’Allemagne, la Pologne quiparfois disparaissait et réapparaissaitcomme pays, la France et le Japon détruitsaprès la Deuxième guerre mondiale,seraient parmi les pays les plus pauvresaujourd’hui. Mais la force des Hommes etdes politiques a remis debout ces États.D’aucuns diront que ce fut possible grâceau plan MARSHALL mais le planMARSHALL ne put relancer ces pays queparce que ceux qui gérèrent ses ressourcesle firent avec un esprit civique etresponsable. Celui-ci manque cruellementdans une Afrique et un Haïti du 21ème

siècle où la corruption, les détournementsde deniers publics, de l’aide audéveloppement, l’enrichissementpersonnel et le népotisme sont devéritables "régresseurs" dedéveloppement.

C’est au niveau de la nature dupouvoir et du mode de gouvernance quien résulte qu’il y a problème, étant donnéque l’Afrique regorge de spécialistesmondialement reconnus dans tous lesdomaines des sciences exactes, dessciences humaines, des arts, du sport et dela politique. Elle a aussi toutes lesressources naturelles qui peuvent existerau monde et concourir à sondéveloppement. Mobiliser son capitalnaturel et le rendre utile à la vie grâce àson capital humain, dépendent despolitiques qui sont menées localement.

La mondialisation ne peut êtreheureuse et maîtrisée qu’à partir du local.Si un élu local comme Alain JUPPEtransforme Bordeaux en France, c’estparce que c’est au niveau local que leshommes politiques ont les coudéesfranches. C’est au niveau local qu’ellestiennent les manettes du pouvoir structurelet peuvent réaliser du concret qui améliore

la vie des Hommes. La décentralisationest donc centrale en Afrique au 21ème

siècle, non pour se conformer auxexigences du marché et augmenter lesimpôts, mais pour donner de laconsistance aux pouvoirs locaux quis’occupent du quotidien des populations.

Le niveau national est sans cessecontrarié par les injonctions de lamondialisation au point où ledéveloppement et l’intégration del’Afrique à la mondialisation se feront parle développement local où le point focalde la faille peut facilement expulser lesexternalités négatives des dynamiquesexogènes en servant d’incubateur auxcultures et manières de vie des terroirs.

Ceci dit, cinquante ans après,l’Afrique s’est libérée formellement de laprésence physique sur ses territoires deshommes, des femmes, des lois et desmodes de vie venus d’ailleurs. Sonidentité actuelle est un cocktail entre cequi était déjà là et ce qui s’est ajouté àcette préséance culturelle et normative.Son grand combat actuel est de se libérerd’elle-même, c'est-à-dire des Africains quiont le pouvoir depuis cinquante ans mais(ré) asservissent leur continent. Les luttesdoivent donc continuer au 21ème siècle enpostcolonies noires.

Elles ne sont plus seulement àmener contre un système internationalparfois historiquement injuste, mais aussicontre une certaine Afrique et certainsAfricains devenus de véritables semeursdu désespoir. Tels sont les termes d’unnouveau combat capable de mettre fin àl’irruption des pauvres une fois lessociétés des postcolonies noiresvainqueurs du pouvoir, de l’ingérence etde l’argent (ELA J.M., Afrique,L'irruption des Pauvres - Société contreingérence, pouvoir et argent. Paris,L'Harmattan, 1994). Le salut des peuplesdoit en effet rester la loi suprême.

Thierry AMOUGOU

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À propos de l'indépendance de la RD CongoEntretien avec A. KISONGA MAZAKALA,

ancien ambassadeur à Bruxelles

L'Africain : D'après un de vos livres, aumoment de l'indépendance, vous étiez déjàactif sur le plan politique malgré votrejeune âge à l'époque. Pouvez-vous nousdécrire l'ambiance qui régnait dans lepays, et plus particulièrement dans lesvilles que vous connaissiez à l'époque,parmi les Congolais, les Belges, etc. ?

. K. : Le pays était évidemmentsous tension. De toutes lespuissances coloniales, la Belgique

était la moins préparée à décoloniser.Trois ans auparavant, le Professeur VanBILSEN avait fait scandale en proposantun plan de 30 ans pour mener le Congo àl’indépendance. Mais les pressionsinternationales et l’éveil, quoi que tardif,des citadins congolais finirent par obligerle gouvernement belge à sortir de sonimmobilisme. Toutefois, la volonté, toutenouvelle, de Bruxelles d’avancer sur lechemin de la décolonisation rencontra larésistance farouche des coloniaux locaux,aussi bien dans l’administration, l’armée,l’église que dans les milieux industriels etd’affaires.

L’idée que le Noir puisse devenirun être responsable et égal en droit avaitdu mal à passer chez certains Blancs. Et,bien sûr, la répression de l’administrationcoloniale qui avait lieu contre lespoliticiens congolais les plus revendicatifsne fit qu’ajouter à la tension.

Dans la majorité des villescongolaises, la tension était perceptible. ÀLéopoldville, alors majoritairementhabitée par les Bakongo, les habitantsvoulaient en découdre, d’autant plus qu’enface, à Brazzaville, un Mukongo dirigeaitle gouvernement provisoire de ce paysfrère, dont la grande partie avait naguèrefait partie du prestigieux royaume pré-colonial de Kongo dia Ntotila. ÀElisabethville (Lubumbashi), lesemployés congolais et travailleurs del’Union minière, majoritairement

kasaïens, étaient revendicatifs alors queles colons, profitant des contradictionsentre autochtones et kasaïens, se mirent àdresser les uns contre les autres. ÀLuluabourg, l’administration fut accuséed’avoir provoqué le conflit Lulua-Luba.Les premiers sont des autochtones. Lesseconds, venus du Sud Kasaï, occupaientles principales fonctions de collaborationauprès des fonctionnaires blancs ou dansles sociétés commerciales. À Stanleyville(Kisangani), fief du MNC de PatriceLUMUMBA, un des partis les plusrevendicatifs, population noire etadministration belge s’observaientévidemment en chiens de faïence. Il enétait de même à Bukavu et pratiquementdans toutes les villes congolaises.

La situation s’aggrava, à Bukavupar exemple, lorsque l’administration semit à transférer quasi-clandestinement auBurundi, et peut-être aussi au Rwanda,certains biens, dont les avoirs de laBanque centrale.

Au total, on peut dire que beaucoupde personnes s’attendaient à desdérapages lors de l’indépendance.

L'Africain : Quels sont les événements, lesparoles, les aspects, etc. qui vous ontparticulièrement marqué durant cettepériode ?

A. K. : Je crois pouvoir dire, 50 ans après,que c’est le discours des politiciensnationalistes qui m’ont marqué à cettepériode. Ces hommes, faiblementinstruits, n’avaient pour seule ambitionque de travailler beaucoup et de payerplus d’impôts pour prouver aux Blancsque le Noir n’était pas un incapable. Ils neprétendaient pas inventer quoi que ce soitmais montrer seulement que dans lesmêmes structures posées par lecolonisateur, ils allaient faire mieux rienque par un surcroît de travail. Au lieu de 8heures que nous prestons pour la colonie,

A

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nous allons travailler 10-12 heures pour leCongo indépendant ; au lieu de payer 100francs d’impôt, nous allons payer 200francs. Telles furent les paroles de PatriceLUMUMBA au cours d’un meeting àBukavu.

Il semble que cette volontéexprimée par les politiciens nationalistesincita les détracteurs des Congolais àélaborer des stratégies mieux conçuespour les empêcher de réussir, cetteéventuelle réussite étant envisagée parcertains colons comme étant une défaitepersonnelle pour eux. D’où des fondsimportants débloqués pour créer de toutespièces des leaders pro-coloniaux et, par lasuite, décapiter le gouvernementLUMUMBA par des coups d’État, jusqu’àl’assassinat physique, pour finir parinstaller au pouvoir des agents de la sûretécoloniale que furent MOBUTU,NENDAKA et consorts.

L'Africain : D'après vous, le Congod'alors, et l'Afrique en général, était-ilvraiment prêt pour l'indépendance ?

A. K. : Certainement. J’ai la convictionque les peuples ont toujours su se gérer,depuis le début de l’histoire del’humanité. Certes, le fait que c’est lecolonisateur qui avait créé nos pays, nonpas en implantant des étrangers sur leurespace mais en unifiant les tribus locales,ce fait donc constituait un défi particulier.En se lançant dans la lutte pourl’indépendance, les élites nationalesavaient choisi de s’inscrire dans le sens del’histoire. De toutes les façons, il nepouvait pas en être autrement. Dès lorsque l’histoire s’était mise en marche, lemouvement était irréversible. À plus forteraison que le colonisateur ne pouvait pas,par sa propre volonté, assurerl’indépendance des peuples assujettis. Dureste, considérées du point de vue del’histoire, les contre-performancesafricaines sont un épiphénomène. Ladifficulté provient du fait de lamondialisation. L’information, à traversles mass-médias, parvient en même tempssur toute la planète. La culture semondialise, les frontières culturelles

tombent. Dès lors, on s'attend à ce quetout le monde se comporte de la mêmefaçon, singulièrement au point de vue del’organisation économique. C’estpourquoi les situations africaineschoquent autant les étrangers que lesAfricains eux-mêmes. Pour preuve, noscompatriotes sont de plus en plus tentésde chercher à l’étranger de meilleuresconditions de vie.

Le véritable problème de l’Afriqueconsiste en l’absence d’élites à consciencehistorique, comme on le voit en Asie,voire en Amérique latine.

L'Africain : D'après ce que vous écrivezdans un de vos livres, vous n'étiez pasd'accord avec votre père à propos del'indépendance du Congo. Avez-vouschangé d'avis entretemps et vu les 50 ansd'indépendance du Congo ?

A. K. : Mon père était un pur produit de lacolonie. Il n’avait pas cru enl’indépendance. C’était un hommehonnête, travailleur, impressionné par latechnicité du Blanc. Mais je crois qu’iln’avait pas compris le sens de l’histoire.Pour ma part, je crois que l’indépendanceest la plus formidable conquête despeuples africains, même si nous regrettonsque nos pays soient mal dirigés.

L'Africain : Certains disent que l'Afriquen'est pas vraiment indépendante. Qu'endites-vous ?

A. K. : Les Africains doivent apprendre àvoir les choses de façon moins émotive. Iln’est que normal que des États sanséconomie forte, mal gérés, souvent mis encoupe réglée par leurs dirigeants au su etau vu du monde entier, ne suscitent pasbeaucoup de considérations. À plus forteraison que certains États survivent parl’aide étrangère. Au demeurant, la notionde souveraineté est relative dans sonexpression véritable. Mais l’histoire est entrain de nous apprendre que lorsqu’unpays en a la volonté, il peut égalementaller à la quête de puissance et arriver àchanger en sa faveur les rapports desforces. Il y a moins de deux siècles,

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certains jardins de Shangaï affichaientl’écriteau suivant : Interdit aux chiens etaux Chinois. En moins d’un demi-siècle,les Chinois sont parvenus à faire ce queles Japonais avaient réussi à faire avanteux, à savoir, trouver des points d’ancragedans le système capitaliste qui leur ontpermis de bâtir des économies fortes.L’indépendance, même formelleseulement, fut une conquête.L’indépendance réelle ne sera acquise quepar une lutte acharnée, intelligente,consciente, conduite par des élites ayantlié leur sort à leurs peuples, et non pas desélites dont l’unique ambition estl’enrichissement personnel.

L'Africain : Supposons qu'un de vospetits-fils vous demande maintenant desconseils pour contribuer à libérerréellement l'Afrique. Que lui diriez-vous ?

A. K. : Je dirais à mes petits-fils qu’ilsdoivent se sentir intimement etpersonnellement concernés par le sort deleurs peuples et, par conséquent, dans ledomaine où ils travaillent, œuvrer pourchanger le regard de l’autre sur nous. Lediscours de la victimisation n’a plusbeaucoup d’intérêt. C’était un discoursvalable lors de la lutte pourl’indépendance. Le discours que le mondeattend de nous aujourd’hui est celui dedire : nous produisions 200.000 tonnes deriz, nous en sommes maintenant à 800.000tonnes ; nous importions des bicyclettes,nous les produisons maintenant ; lesmoteurs des motoculteurs utilisés dansnotre agriculture sont maintenant produitschez nous ; nos exportations, enparticulier en produits à grande valeurajoutée, ont été multipliées par tel chiffreen telles années ; nous avons construitautant d’universités techniques, d’institutsprofessionnels, etc. en autant d’années.

Je leur dirais que le monde attenddes Noirs qu’ils puissent copier ce qui aété inventé par les autres au lieu que leursélites continuent à donner l’impressionqu’elles ne sont intéressées que par leurstanding de vie. Dans le cadre destechnologies modernes, les Chinois n’ont

rien inventé ; ils n’ont fait que copier cequi a été fait en Occident.

Je dirais à mes petits-enfants derefuser cette injure qui dit que le Noir estun grand enfant. C’est par notre capacité ànous organiser, à privilégier l’intérêtgénéral et à respecter la loi commune quenous pourrons amener nos détracteurs àchanger l’opinion qu’ils ont sur nous.Cela passe par l’effort, un effort constant,conscient, pour faire en sorte que notrecontinent cesse d’être un enfer pour sesenfants, dont des millions s’expatrient à larecherche des meilleures conditions devie, et ne soit plus un eldorado que pourses dirigeants.

L'Africain : Si vous avez un commentaireà faire à propos des 50 ansd'indépendance et auquel on n'a paspensé, vous pouvez l'exprimer

A. K. : Le cinquantenaire desindépendances survient à un moment oùun drame sans pareil a projeté sur ledevant de la scène le dramatique sort deHaïti, la première république noire del’histoire. Si cette similitude est fortuite,je pense que les élites noires du mondeentier devraient se sentir interpellées.Comment, en effet, expliquer que nosfrères Haïtiens, dont les ancêtres sontpartis de notre continent depuis plus aumoins trois siècles, continuent à avoir lesmêmes comportements économiquesqu’en Afrique ? Pour faire court, c’estparce que leur culture, notre culture,demeure tributaire d’instruments deproduction primitifs, houe et machette.Or, il est connu qu'outils et rapports deproductions qui en découlent façonnentles comportements. Par conséquent, ceque le drame de Haïti m’a permis decomprendre est que, sans révolutionner lesoutils de production, il sera impossible auNoir de s’approprier la culturetechnologique et industrielle. Il faut quecette révolution se fasse de telle sorte queles nouveaux instruments de productionsoient produits dans l’environnement deleur utilisateur de manière à ce que celui-ci puisse l’intégrer. La chose est possibleen implantant des écoles professionnelles

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et techniques dans cet environnement, enorganisant toute la logistique matérielle,financière et managériale pendant troisdécennies au moins de sorte que ce quis’appelle transfert technologique s’opèreréellement. Cela passe également par lechamboulement des habitudes

alimentaires, les conditions de logement,l’organisation de loisir etc. qui doivent deplus en plus se rapprocher du modèleéconomique et culturel dominant. C’est ceque fait l’Asie.

L'Africain : Merci de nous avoir accordécet entretien.

Les partis politiques congolais et la question des moyens

ux dires de certains acteurspolitiques Congolaisopérant au pays, la RD

Congo compte plus ou moins 300 partispolitiques. C’est un secret depolichinelle : plusieurs de ces partis sontalimentaires et/ ou électoralistes.

Si, dans les pays dits de "vieilledémocratie", les partis politiquesbénéficient du financement de l’État aumoment des élections par exemple, cheznous, plusieurs de ces partis sedébrouillent par eux-mêmes. Et à uncertain moment, ils posent, presque tous,la question des moyens. Et cette questionest réduite à celle de la mobilisation desmoyens matériels. Or, à analyser de plusprès la misère dans laquelle notre pays estplongé, plusieurs analystes s’accordent àdire qu’elle est anthropologique. C’est-à-dire qu’elle est à la fois économique(matérielle), politique, socio-culturelle etspirituelle. Que plusieurs partis politiquescongolais se limitent, souvent, si pastoujours, à la quête des moyens matériels,cela pose quand même un tas deproblèmes.

L’un de ces problèmes serait lié ànotre capacité d’apprendre des autres et denotre propre histoire. Il nous semble que,quand LUMUMBA et ses amis gagnentles élections législatives organisées en1960, ils mobilisent beaucoup plus lesmoyens idéologiques que les moyensmatériels. Et puis, comment les choses (sesont-elles passés et) se passent-ellesailleurs, là où les gouvernementstravaillant pour leurs peuples essaientd’émerger ?

Il est possible que plusieurs d’entrenous aient lu le livre d’A. PEYREFITTE

(Quand la Chine s’éveillera…le mondetremblera, Paris, Fayard, 1973). Ceux-làsavent que la Révolution culturellechinoise fut une révolution intégrale ayantmis un accent particulier sur "l’éducationou la mise en condition de l’enfance" et larééducation des adultes.

Comment étaient orientés lesprogrammes de cette éducation ? "Ils seregroupent en trois rubriquesd’importance voisine : l’éducationphysique, où dominent la gymnastiquemilitaire et le maniement d’armes ;l’enseignement moral- éthiquecommuniste et pensée-maotsetung ;l’enseignement intellectuel et pratique."(p.137) Au cours de cette Révolution,"MAO avait sans cesse manifesté sonsouci de former la jeunesse par uneéducation simple et près de la terre, où letravail manuel et la formation idéologiquetiendraient une place prépondérante, où lafréquentation s’étendrait à tous sansdiscrimination." (p.139) La Révolutionculturelle assumait un principe selonlequel "toute connaissance qui n’est pasutilisable est une connaissance inutile,donc, nuisible (…)." (p.147)

Cette Révolution avait opéré unerupture en "supprimant "diplômes","notes", "examens" et "concours", ces"vestiges de l’ancienne bureaucratie"(…)." (p.149) Les notes ont étéremplacées par des signes fouettantl’ardeur des écoliers. "En marge d’unmauvais devoir, les enseignants écriventla citation du Président : Sois énergique etdécidé, fais effort pour arracher lavictoire." (p. 149)

La Révolution culturelle chinoiseavait réussi à identifier ses ennemis de

A

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l’intérieur (les révisionnistes) et ceux del’extérieur (l’impérialisme américain et lecommunisme russe). "Les petits gardesrouges entretiennent une correspondancesuivie avec leurs camarades du Nord-Vietnam, du Cambodge et du Laos, "quiluttent de toutes leurs forces contrel’impérialisme américain" (…). À l’école,les petits Chinois apprennent à abattre lesavions américains et à faire prisonniers lessoldats russes." (p.142)

Tout en prenant une certainedistance critique vis-à-vis du maoisme, ily a plusieurs leçons à apprendre du livred’A. PEYREFITTE et de la Révolutionculturelle chinoise. Quand, en RD Congo,la coopération avec la Chine passe aupremier plan, elle n’intègre pas certainséléments du moule où plusieurs dirigeantsde la Chine actuelle ont été fabriqués.Non. Elle se limite au marché, au troc : lesmatières premières contre lesinfrastructures. Où sont passés nosingénieurs ? À quoi ont servi l’éducationet la formation dispensées à nos enfantsdepuis plus de 50 ans ? À rien ?

Nos bureaux sont pleins dechômeurs déguisés en train de chercher àmanger au quotidien auprès de quelquesvieux carriéristes politiques et autresPDG. Nos villages sont désertés et/ ouvendus comme carrés miniers pendant queles populations de nos bidonvillesmeurent de faim ou souffrent demalnutrition. Pendant ce temps, nosuniversités forment des ingénieurs et desprofesseurs d’université qui, demain, irontgonfler les rangs des conseillers de leursexcellences messieurs les Ministres, seretrouveront au chômage ou irontchercher du boulot ailleurs.

À quoi sert-il de multiplier lespartis politiques dans un pays où lapolitique n’est plus l’art de gérer la cité enpartant de fondements anthropologiquessolides ?

Examinons un autre exemple, celuide la Bolivie actuelle.

Avant qu’Evo MORALES n’accèdeau pouvoir, il a passé son temps comme

militant d’un syndicat dans un pays où lepeuple est habitué à célébrer ses 500 ansde résistance contre l’impérialisme. Cinqjours avant sa dernière investiture en tantque Président, voilà ce qu’EvoMORALES dit : "Quand j’ai commencé àêtre dirigeant syndical, en 88, y comprisquand je participais aux congrès de laCSUTCB (Confédération Syndicale Uniedes Travailleurs Paysans de Bolivie),quand Genaro FLORES en était à la tête,dans les discussions on débattait dupouvoir et du territoire. Le slogan disait :"pour le pouvoir et le territoire". Pourquoile territoire ? Le territoire, c’est nosressources naturelles, que ce soit dans lesous-sol, le sol ou le "sur-sol", oul’espace, tout ça est à nous. Quand onparlait de la terre, on parlait de la terrepour la cultiver, ça c’est la terre.

Et pourquoi le pouvoir ? En tantque propriétaires millénaires de cetteterre, nous devons nous gouverner nous-mêmes. Comment ? Moi, nous, on vapouvoir se gouverner nous-mêmes. Dansles années 89 et 90 a commencé lacampagne pour les 500 ans de résistanceindigène populaire, on parlait del’invasion espagnole, européenne, del’année 1492. Avant l’Amérique latines’appelait Abya Yala." (Lire l’entretienréalisé le 17 janvier 2010 par le quotidienbolivien Cambio et intitulé EvoMORALES : "Deux erreurs US ont donnél’impulsion au MAS", surwww.michelcollon.info).

Disons qu’Evo MORALES a unCV et est engagé dans une luttes’inscrivant dans une longue tradition dela résistance "pour le pouvoir et leterritoire" avant qu’il ne pose sacandidature aux élections présidentielles.Il lutte tout en partageant une conviction :"En tant que propriétaires millénaires decette terre, nous devons nous gouvernernous-mêmes." Fort de cette conviction, illutte en s’appuyant sur son peuple. Sonmouvement (MAS-IPSP, pourMouvement Vers le Socialisme) est"Instrument Politique pour laSouveraineté des Peuples" (IPSP), auservice du peuple et c’est ce peuple qui lefinance. "Quand nous avons commencé,

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confie Evo MORALES, il n’y avaitaucune ONG, aucune fondation, aucunmécène ; le peuple finançait. Parfois,quand de nouveaux dirigeants, militantsou candidats, arrivaient, ils medemandaient de l’argent. Mais il n’y aaucun argent, c’est le peuple qui apportel’argent. En 2002, j’ai rencontré desmilitants de Manfred qui m’ont demandé :Quel salaire reçoivent vos militants pourfaire campagne ? Je leur ai dit qu’il n’yavait rien de ce genre chez nous. Dans lespartis néolibéraux, c’est le propriétairequi finance la campagne, et ensuite, ilveut récupérer sa mise en volant l’argentdu peuple. C’est l’origine de lacorruption, la campagne est à l’origine dela corruption, c’est de là que viennent lespots-de-vin, les cadeaux." (Ibidem)

Si, chez nous, le peuple n’arrive pasà financer et à apporter l’argent aux partispolitiques, n’est-ce pas là un signe quiinterpelle sur la nature de la plupart de nospartis politiques ? Comment naissent-ils ?Qui en est le propriétaire ? Le peuple(c’est-à-dire les militants) ou "les nègresde service", alliés de l’impérialisme ? Nel’ont-ils pas aidé à récupérer sa mise de500 millions de dollars ayant financé lesélections de 2006 en élaborant des loisfacilitant le climat d’affaires pour les transet les multinationales ?

Il arrive que la pauvreté matériellede nos populations serve d’alibi aux"nègres de service" pour justifier leursoumission à la politique néolibérale des"faiseurs de rois". Dépourvus d’idéologiesrencontrant les préoccupations de nospopulations et de projets de sociétépouvant en faire les actrices majeures deleur destinée, ces "nègres de service"multiplient leurs partis alimentaires aulieu de constituer de grandsrassemblements au sein desquels les petitsmoyens mis en commun pourraiententraîner des miracles.

Supposons qu’en attendant que lesgestionnaires de "ces 300 boutiquespolitiques" comprennent que la division

qu’ils entretiennent profite auximpérialistes et qu’ils se regroupent entrois grands partis : un de la droite, un ducentre et un de la gauche (même si toutesces dénominations ont été gagnées par letriomphe de la cupidité) et que chacun deces trois partis réussisse à regrouper 100"boutiques politiques", les moyens d’unpetit parti peuvent être multipliés par 100.Qu’est-ce que ça ne donnerait pas commemoyens en termes de capacité demobilisation, de mise en commun desintelligences et des pratiques ? Au lieu des’engager sur la voie des pratiquesfédératrices, nos partis politiquessemblent tendre vers une tour de Babel oùl’accès au dieu-pouvoir-pour-le-pouvoir etau dieu-argent-facile passe par la mise àl’écart des méthodes efficaces du pouvoirau service du peuple, du territoire et de laterre. Or, emprunter la voie de la tour deBabel, c’est opter pour la confusion deslangues, le refus de l’échange, de lacommunication, de la solidarité et del’union (comme à la Pentecôte), pourtoutes ces choses diaboliques nocives aubonheur collectif et lit du capitalisme dudésastre.

"Les petits restes" sauront-ils peserde tout leur poids dans ce cheminementabracadabrant en faisant comprendre auxvendeurs d’illusions politiques que lamisère congolaise étant de natureanthropologique, les moyens pour laconjurer doivent être anthropologiques(politique, économiques, socio-culturels etspirituels) ? Qu’une résistance populairese crée sur le temps ? Que les carnetsd’adresses détenus par "certains nègres deservice" ne pourront jamais remplacerl’éveil des consciences des massespopulaires (critiques) dans un pays quiveut se libérer du joug impérial ? Et quel’éducation et la formation intégrales à lacitoyenneté, bien que prenant beaucoup detemps, sont les meilleures armes pourl’émancipation des peuples ? Pourvuqu’elles rompent avec des théories et despratiques stériles, nuisibles pour ledevenir commun.

J.-P. MBELU

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THÈSES DE DOCTORAT DÉFENDUES PAR DES AFRICAINSOU CONCERNANT L'AFRIQUE (LXXI)

FACULTÉ UNIVERSITAIRE DES SCIENCESAGRONOMIQUES DE GEMBLOUX (XV)15

ASSOMOI Allah Antoine (Côte d'Ivoire) : "Production de xylanases par penicilliumcanescens 10-10c en milieu solide." 26/06/2009. Promoteurs : Professeurs J.DESTAIN et P. THONART

HAMMAMI Hédi (Tunisie) : "Genotype by environment Interaction for ProductionTraits of Holsteins Using Two Countries as Model : Luxembourg and Tunisia."07/05/2009. Promoteur : Professeur N. GENGLER

KPENAVOUM Chogou Sylvain (Bénin) : "Réforme des marchés agricoles : coûts detransaction, choix des modes de transaction des producteurs et dynamique del'efficacité du marché des céréales : cas du maïs au Bénin." 15/12/2009. Promoteurs :Professeurs A. ADEGBIDI et P. LEBAILLY

LAMINOU Manzo Ousmane (Niger) : "Fixation des dunes dans le sud-est du Niger :évaluation de l'efficacité de la barrière mécanique, espèces ligneuses adaptées etpotentialités d'inoculation mycorhizienne." 05/01/2010. Promoteur : Professeur R.PAUL

RUGANZU Vicky (Rwanda) : "Potential of Improvement of Acid Soils Fertility byIncorporation of Natural Fresh Plant Biomass Combined with Travertine in Rwanda(Potentiel d'amélioration de la fertilité des sols acides par l'apport de biomassesvégétales naturelles fraîches combinées à du travertin au Rwanda)." 10/12/2009.Promoteurs : Professeurs L. BOCK et M. CULOT

UNIVERSITÉ DE LIÈGE (XIV)16

FACULTÉ DE MÉDECINE

HOUNSA Anita (Côte d'Ivoire) : "Étude de la délivrance des antibiotiques dans lespharmacies privées de la ville d'Abidjan en Côte d'Ivoire." 26/01/2010. Promoteur :Professeur P. DE MOL

MUTESA Léon (Rwanda) : "Analyse génétique des gènes CFTR et ENaC chez despatients africains présentant des signes de mucoviscidose." 12/012009. Promoteur :Professeur V. BOURS

SUMAILI KISWAYA Ernst (RD Congo) : "Epidémiologie de la maladie rénalechronique à Kinshasa (en RD Congo)." 29/04/2009. Promoteur : Professeur J.-M.KRZESINSKI

FACULTÉ DE MÉDECINE VÉTÉRINAIRE

DAHOUDA Mahamadou (Bénin) : "Contribution à l'étude de l'alimentation de lapintade locale au Bénin et perspectives d'amélioration à l'aide de ressources nonconventionnelles." 19/06/2009. Promoteur : Professeur J.-L. HORNICK

15 La 14ème série a paru dans L'Africain n° 239 d'avril-mai 2009. Il est à noter que, depuis le 1er octobre 2009, laFaculté de Gembloux fait partie de l'Université de Liège sous le nom de Gembloux Agro-Bio Tech.16 La 13ème série a paru dans L'Africain n° 238 de février-mars 2009.

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FACULTÉ DE PHILOSOPHIE ET LETTRES

MWAMBA ISIMBI Tang'Yele Justin (Congo) : "Écriture thématique et cohérencesémantique dans l'œuvre de Suzanne LILAR. L'amour comme fil conducteur del'œuvre." 22/10/2008. Promoteur : Professeur J.-M. KLINKENBERG

FACULTÉ DES SCIENCES

BOUAZIZ Djamil (Algérie) : "Mécanique quantique avec un principe d'incertitudegénéralisé. Application à l'interaction 1/r²." 31/07/2009. Promoteur : Professeur M.BAWIN

EFFEBI Rose (Côte d'Ivoire) : "Lagunage anaérobie : modélisation combinant ladécantation primaire et la dégradation anaérobie." 10/03/2009. Promoteur :Professeur J.-L. VASEL

IBANNAIN Fatiha (Maroc) : "Modélisation des données géographiques de référenceau Maroc. Préalables à la mise en place d'une infrastructure nationale de donnéesspatiales." 26/03/2009. Promoteur : Professeur J.-P. DONNAY

KONE Yéfanlan José-Mathieu (Côte d'Ivoire) : "Dynamique du dioxyde de carboneet du méthane dans des écosystèmes tropicaux (Mangroves de Ca Mau, Rivières etlagunes de la Côte d'Ivoire)." 19/12/2008. Promoteurs : Professeurs A. BORGUES etF. RONDAY

MONTCHOWUI Hounnon Elie (Bénin) : "Étude de la biologie de reproduction et dela multiplication artificielle d'une espèce de poisson cyprinidae du bassin du fleuveOuémé, Bénin : Labeo parvus Boulenger, 1902." 09/07/2009. Promoteurs :Professeurs J.-C. PHILIPPART et P. PONCIN

NIZIGAMA Gloriose (Burundi) : "Quantification sl(p+q, IR) – équivariante."22/06/2009. Promoteur : Professeur P. MATHONET

NZAU MATONDO Billy (Congo) : "Étude de l'hybridation de trois espèces depoissons cyprinidae de la Meuse : le gardon, Rutilus rutilus L., la brème bordelière,Blicca bjoerkna et la brème commune, Abramis brama L. – Aspects biologiquesfondamentaux et implications pour la gestion des milieux aquatiques." 08/10/2009.Promoteurs : Professeurs J.-C. PHILIPPART et P. PONCIN

YAO Amenan Anastasie (Côte d'Ivoire) : "La fermentation du manioc en gari dansl'Afrique de l'Ouest : production d'un starter de bactéries lactiques lyophilisées."03/06/2009. Promoteur : Professeur P. THONART

ZOUHIR Fouad (Maroc) : "Modélisation d'une filière de traitement des eaux usées.Chénal algal à haut rendement." 10/12/2008. Promoteur : Professeur J.-L. VASEL

FACULTÉ DES SCIENCES APPLIQUÉES

BOUTAAYAMOU Mohamed (Maroc) : "Méthode de perturbation pour lamodélisation par éléments finis des systèmes électrostatiques en mouvement –Application aux MEMS électrostatiques." 05/03/2009. Promoteur : Professeur P.DULAR

KANIKI TSHAMALA Arthur (Congo) : "Caractérisation environnementale desrejets minéro-métallurgiques du copperbelt congolais." 11/12/2008. Promoteur :Professeur J. FRENAY

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KITOBO SAMSON Willy (Congo) : "Dépollution et valorisation des rejets minierssulfurés du Katanga." 07/07/2009. Promoteur : Professeur J. FRENAY

NZISABIRA Jonathan (Burundi) : "Intégration de l'écoefficience dans la conceptionpréliminaire des véhicules propres : une approche basée sur l'optimisationmultidisciplinaire." 04/09/2009. Promoteur : Professeur P. DUYSINX

NZURU NSEKERE Jean-Pierre (Congo) : "Contribution à l'analyse et à laréalisation des mises à la terre des installations électriques en régions tropicales."24/04/2009. Promoteur : Professeur J.-L. LILIEN

À T R A V E R S L I V R E S E T R E V U E S

NDLR : Pour conclure la polémique amicale qui s'est développée autour du livre de C.TEDANGA (voir la recension dans le numéro 241 d'octobre-novembre 2009, p. 38), nouslivrons ci-dessous le texte de Maurice NDJOND'À NGELE. Sans doute les argumentsopposés ne manqueront pas encore mais nous ne pourrons plus les publier et nous laisseronsdonc les auteurs continuer entre eux cette féconde discussion.

Réponse de Maurice NDJOND’A NGELE à Sylvain BALONGA àpropos du sous-bassement historique dans Le Destin d’Esisi

fiction romanesque de TEDANGA Ipota Bembela

a satisfaction est grande en considérant l’intérêt qu’a suscité ma recensionde l’ouvrage de TEDANGA au regard de la promptitude avec laquelle ledébat vient d’être lancé par en particulier Sylvain BALONGA qui publie sur

cette tribune un texte intitulé : Réponse à Maurice NDJOND’A NGELE. à propos du sous-bassement historique dans Le Destin d’Esisi, fiction romanesque de TEDANGA IpotaBembela.

BALONGA introduit son texte en disant que, à travers mon commentaire, la fictionest en passe de devenir une réalité et surtout une réalité historique, ce qui est inadmissible,selon lui, d’un point de vue scientifique. Sans risque d’être démenti, je réponds qu’au-delà dela fiction, le texte de TEDANGA fait un clin d’œil à l’histoire de la contrée, laisse entrevoirdes non-dits et lorgne suffisamment sur la culture du peuple concerné, culture dont l’auteurest inévitablement empreint en tant que fils du pays. C’est pourquoi, en parlant du sous-bassement historique dans le roman Le Destin d’Esisi et en ma qualité d’historien deformation, j’étais d’office sorti de l’imaginaire romanesque de l’auteur pour embrasser lesréalités du décor spatio-temporel dans lequel se déroule l’intrigue du roman.

La lecture de l’ouvrage Le Destin d’Esisi m’a donc conduit à plancher sur la questiondu pouvoir coutumier actuel dans la chefferie Ndengese-Ikolombe-Isolu, espace dans lequelse déroule l’intrigue du texte de TEDANGA. Je m’interroge en particulier sur la question del’authenticité et de la légitimité de ce pouvoir coutumier même s’il est vrai que le romann’aborde pas la question telle quelle. Ma recension a souligné également la question del’origine septentrionale du clan Bushong, bâtisseur du royaume Kuba ("BOSENG’Etoci(Musheng’Etoci) à Boseng’a Nyimi), question cette fois largement évoquée dans le roman enquestion. J’ai aussi parlé brièvement de la révolte de NSIMB’ITOYI en tant que réalitégravitant autour de notre thématique et à laquelle le texte romanesque ne fait pas allusion.

Je suis d’accord avec BALONGA pour dire, comme il l’écrit, que le roman retrace unpassé lointain et imaginaire des Ndengese tout en faisant un clin d’œil à leurs voisins et qu’il

M

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souligne les valeurs culturelles des Ndengese au travers des personnages imaginés parl’auteur. En dehors de l’espace et des valeurs culturelles, les faits évoqués et les personnagesainsi que les histoires relatées sont totalement le fruit de l’imagination de l’auteur qui, dansson génie créateur et avec la facilité de son verbe, a su rendre une certaine vivacité à sonroman. Mais je ne dirai pas, comme lui, que c’est cette vivacité qui fait croire à un lecteuravisé comme moi que les récits développés sont des vérités historiques car je distingueparfaitement bien ce qui est fiction de ce qui se réfère à l’histoire.

Voici une affirmation de mon contradicteur BALONGA, affirmation que je vaisréfuter ci-dessous : "Comme tous les peuples de la forêt, les Ndengese n’ont jamais eu uneorganisation politique centralisée et structurée. Le royaume Ndengese n’a jamais existé. Lepouvoir était clanique et personne ne l’exerçait en dehors de son clan. Les groupementsactuels, bien que reflétant la réalité de nos différences, sont le fruit des enquêtes menées parles colonialistes, qui, en ayant le souci d’asseoir une organisation structurée pour les besoinsde l’administration, seront amenés à désigner, à la tête des groupements, des responsablesparmi les personnes influentes, propriétaires terriens. C’est à partir de ces groupements quesortira la création de la chefferie, œuvre coloniale par excellence".

L’organisation politique des Ndengese se structure effectivement au niveau du villageen clans et familles disposant d’un espace connu et appartenant à la communauté sousl’autorité du dignitaire local, un Etoci fondateur du village et disposant d’un appareiljudiciaire élaboré appelé ISENDJEY. Le dignitaire disposait, pour sa sécurité et celle de sesadministrés, d’agents de l’ordre appelés Toyolo tandis que ses administrés lui payaient untribut.

Selon des études récentes et notamment selon celle du professeur I. NDAYWEL-E-NZIEM, cette fragmentation du pouvoir chez les Mongo est due, tout au long de leursparcours, au phénomène dit de "LOKAPA KOPO". Ce fut un phénomène désintégrateur ence qu’il a favorisé toutes les scissions qui s’opéraient dans le groupe initial. En effet, lepouvoir était symbolisé par la détention du kaolin initial et la séparation était entérinée par lepartage de ce kaolin initial dont le partant emportait une part qui lui octroyait les mêmespouvoirs et droits que le détenteur d’origine.

Si effectivement et en apparence l’organisation politique se structurait au niveau desvillages, des clans et des familles, cela n’entrait pas en contradiction avec l’existence d’uneorganisation centralisée au travers de l’institution Etoci , de la langue, de la coutume, c’est-à-dire de la loi reconnue par tous et du fait que tous ces villages, clans et familles sereconnaissaient comme formant un seul et même peuple, les Ndengese Bolamba, une identitéopposable à d’autres comme les Iyadjima, Isodvu, Ikolombe, Ohendo, Ikela et Indanga. Lepouvoir à tous les niveaux était exercé par un Etoci. La légitimité du pouvoir venait del’institution Etoci. Or, tous les anciens reconnaissaient la primauté de l’Etoci de Bosenge. Cedernier était une sorte de primus inter pares. D’ailleurs, le village de Bosenge se désigneautrement Boseng’Etoci pour dire que l’institution d’Etoci a été créée dans cette localité etque l’Etoci de Bosenge est reconnu comme l’aîné, même s’il ne dirige pas au quotidien desvillages situés dans le lointain. Il y avait donc une centralisation latente de l’organisationpolitique. Etoci est la source du pouvoir chez les Ndengese.

C’est cette uniformité culturelle, politique, judiciaire, linguistique, coutumière, moraleet cette primauté d’IKONGAMBONGO, Etoci de Bosenge, qui permettent à l’auteur duroman d’imaginer un royaume centralisé dirigé par un roi. C’est parce que les NdengeseBolamba se reconnaissent comme un et comme obéissant à une seule loi et à un seul roi,même virtuel, que la lecture du roman ne les surprend pas. Nous allons plus loin en disantque l’auteur n’a pu organiser le microcosme de son roman que grâce à sa connaissance del’organisation effective et virtuelle de sa nation. Nous y revenons.

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BALONGA enfonce le clou plus loin en affirmant ce qui suit : "C’est dire que lepouvoir coutumier à Dekese n’a pas été exercé antérieurement par un quelconque dignitairequi aurait été floué au profit du tenant du pouvoir actuel. L’exercice du pouvoir coutumierorganisé commence avec la colonisation. Avant cette dernière, chacun vivait chez soi etpersonne n’avait une quelconque autorité sur l’autre. Cela est d’autant plus vrai que personnene peut circonscrire dans le temps et dans l’espace la période de l’organisation d’un pouvoircentralisé chez les Ndengese avant l’arrivée du colonisateur."

Je réplique en disant que la tradition des Ndengese Bolamba permet de savoir que tousles chefs de clans aînés sont investis du pouvoir d’Etoci et que le tenant aîné de tous les Tociest l’Etoci de Bosenge, c’est-à-dire IKONGAMBONGO à cette époque. Même si,aujourd’hui, ils ne le disent pas volontiers par crainte des représailles, tous les anciens chezles Ndengese Bolamba savent que le personnage historique d’IKONGAMBONGO, Etoci deBosenge et reconnu aîné de tous les Toci, a été évincé du pouvoir de la manière que nousallons analyser. Le nier, ce serait vider l’histoire de ce peuple de toute sa substance et ladésincarner totalement. La centralisation du pouvoir est virtuelle à travers la soumission àune seule loi, à une même culture, aux mêmes institutions et à la primauté de l’Etoci deBosenge. Lorsque, à l’époque, furent annoncées les fameuses assises des notabilitésndengese, le colonisateur a été contraint de les faire tenir à Bosenge, sièged’IKONGAMBONGO, source de légitimité d’Etoci. Ces assises ne pouvaient pas se tenirailleurs. C’est une preuve supplémentaire de la primauté de Bosenge et d’EtociIKONGAMBONGO.

On sait que le futur grand chef IKONGANSAMO (qui n’était pas Etoci et qui n’étaitpas invité) s’empressa de se faire investir Etoci. Pourquoi ? Parce qu’il savait pertinemmentbien que la source du pouvoir chez les Ndengese, c’est l’institution Etoci. En outre, àl’approche du départ en retraite de ce Grand Chef IKONGANSAMO, son fils aîné etsuccesseur virtuel LOOMBA André, se fit investir Etoci pour la même raison. À la mort dece dernier, deux frères rivaux, BOKELE IKONSAMO et SIKI, se disputaient sa succession.L’on vit également avec quel empressement les deux s’étaient fait Etoci. Pourquoi ? Parceque la légitimité du pouvoir tire sa source de l’institution Etoci. BALONGA reconnaîtd’ailleurs l’antiquité du pouvoir d’Etoci lorsqu’il frise la fiction et l’irréel en affirmant quel’avènement d’Etoci est antérieur à la création des Ndengese comme peuple.

J’en profite pour signaler que la question du port de la médaille est un fait queBALONGA, partisan du chef IKONGANSAMO, aurait dû taire. Car il s’agit, dans le chefd’IKONGANSAMO, d’un vil cas d’escroquerie au détriment de son frère aîné ITUKUBOSONGO. N’ayant pas été invité aux assises de Bosenge, IKONGANSAMO a réussi à sefaufiler après avoir pipé les dés à son frère aîné ITUKU BOSONGO, chef fondateur du clande Bosango, aîné des Ngelendjale. IKONGANSAMO a, par des détours habiles, subtilisé àson frère la médaille qui lui avait été décernée longtemps avant et se présenta à ce titre auxassises de Bosenge sans en avoir la qualité. La présence du jeune IKONGANSAMO a étécritiquée en raison du fait que les invités aux assises étaient constitués de gérontes, c’est-à-dire de personnes ayant un certain âge. À la veille de l’indépendance, ce problème futsoulevé par les successeurs d’ITUKU BOSONGO. Les Ndengese furent témoins deslaborieuses négociations qui contraignirent IKONGANSAMO à céder définitivement legroupement à la famille abusée. C’est ainsi que feu Hubert ITUKU devint à l’époque chef degroupement des Ngelendjale.

Je voudrais réfuter l’affirmation de BALONGA selon laquelle les groupements actuelssont le fruit des enquêtes menées par le colonisateur. Avant l’arrivée de ce dernier, le peupledes Ndengese Bolamba était déjà subdivisé en huit sous-ensembles : Itende, Ngandeolo,Ikongolo, Veekfu, Ndombolongo, Ngele Ndjale, Ngelokenye et Cike. Ces subdivisionsethniques se reflètent même au plan linguistique et jusqu’à ce jour. Les groupements actuels

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n’ont donc pas été façonnés ou décrétés par le colonisateur. Ils s’étaient constitués toutnaturellement à la faveur des flux migratoires issus de IDJI LOKAPA KOPO.L’administration coloniale a repéré ces différentes structures sub-ethniques préexistantes ets’en est servi pour asseoir sa domination. Ce que dit BALONGA est une véritable hérésiehistorique.

Lorsque nous affirmons que la légitimité du pouvoir coutumier ne pouvait seconcevoir en dehors d’IKONGAMBONGO, c’est en fait en partant de l’évidence quel’organisation politique des Ndengese était sous l’empire d’Etoci, émanationd’IKONGAMBONGO, résidant à BOSENG’ETOCI.

La présence de plusieurs Etoci dans un même village ne s’oppose pas à la détentionréelle du pouvoir et ne compromet rien. Elle procède de l’attrait que ce pouvoir exerçaitauprès de la population. En effet, pour tout homme sérieux, la question identitaire estcapitale. Toute dissimulation de son identité réelle témoigne d’une carence de direction enmatière idéologique. Pour admettre quiconque au sein de l’institution Etoci, les Ndengeseenquêtaient pour savoir si le postulant était d’ascendance servile ou s’il était un homme libre.Avant de consacrer quiconque Etoci, on devait déterminer ou connaître si ses parents sontréellement ses géniteurs. L’investiture d’Etoci permettait d’attester de l’identité d’unindividu ou de sa qualité d’homme libre. C’est pourquoi certains individus ont pu s’en servircomme une garantie pour asseoir la pureté de leur origine sociale. Parfois et suite à cephénomène, il se produisait une inflation d’Etoci dans un village donné. Même dans ce cas,seul l’Etoci du clan aîné avait l’imperium : il présidait l’appareil judiciaire Isendjey etdisposait de toyolo commis à sa sécurité et à celle des administrés qui lui payaient un tributappelé beki en guise de reconnaissance.

Sylvain BALONGA est très fier de raconter que le Grand Chef IKONGANSAMO asu lire et écrire sans être allé à l’école. Je dois dire que je ne vois pas ce que cette mentionapporte à ce débat. De toute manière, le chef n’a pu savoir lire, écrire et modeler sa signatureque durant l’exercice de ses futures fonctions et pour des besoins administratifs. Il n’est pasnécessaire d’aller à l’école pour savoir lire et écrire. En plus et certes, on a vuIKONGANSAMO lire et signer son nom mais on ne possède pas de textes conçus et rédigéspar lui.

Grâce à ses relations antérieures parmi les Blancs, IKONGANSAMO, futur chef de lachefferie par la volonté du colonisateur, fut désigné interprète des assises de Bosenge.Habilement, il s’employa à dénaturer les déclarations d’IKONGAMBONGO, à attirerl’attention du colonisateur sur l’hostilité au relent nationaliste d’IKONGAMBONGO et à seprésenter lui-même comme étant disposé à faire usage de la chicotte et à réprimerimplacablement les Ndengese réputés pour leur insubordination. C’est cette supercherie etcette trahison des Ndengese qui firent pencher la balance du côté d’IKONGANSAMO.L’erreur n’avait donc pas été évitée de justesse comme l’affirme Sylvain BALONGA. Aucontraire, elle fut commise au grand dam de la coutume et de la communauté tout entière.

La sagesse recommande d’éviter des déclarations du type "jamais" : il faut une légèredose de candeur et de vérité dans la pratique historique. Si le royaume des Ndengese n’a pasexisté avant la colonisation, il faut souligner que ces mêmes Ndengese avaient leurorganisation : clanique, structurée en familles et villages, une même langue, une mêmeculture, une origine commune, une référence à un même Ancêtre éponyme. Même untroupeau a un chef et une meute le sien. Les Ndengese avaient leurs chefs : ils s’appelaientEtoci … Parmi les Toci, c’est celui de Bosenge qui avait la primauté. Est-ce la colonisationqui a structuré le peuple en groupements ? Que non ! Elle a tout simplement calqué sonorganisation sur les clans préexistants. Le pouvoir coutumier se constate, se reconnaît, sedécouvre. Il ne s’octroie pas, il ne se décrète pas. Le colonisateur n’avait pas à octroyer un

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pouvoir qui lui est antérieur. C’est pourquoi, prenant en compte l’antériorité etl’inaliénabilité de ce pouvoir, le décret du 06 octobre 1891 parle de la "reconnaissance" deschefs indigènes comme collaborateurs du pouvoir colonial et celui du 06 juin 1906 affirmeque la chefferie est reconnue. Pour récompenser ses braves "serviteurs", le pouvoir colonial adécidé de les imposer comme Grands Chefs coutumiers et comme chefs de secteur,circonscription artificielle non régie par la coutume et pour que cela ne heurte pas lacoutume. Le fait de nommer IKONGANSAMO chef "coutumier" indique unereconnaissance explicite de l’existence antérieure de la coutume, de la loi ancestrale qui arégi la nation ndengese.

L’histoire a ses lois qui procèdent au filtrage serré de tout témoignage avant d’établirla véracité des faits. L’erreur de notre contradicteur est d’avoir pris pour argent comptant laversion de la cour cheffale et de s’être cramponné sur des témoignages excessivementlaudatifs et sur des faits notoirement anodins mais au total dénués de toute portée historique.

La chefferie érigée par le colonisateur est une structure destinée à servir d’appui à lapolitique coloniale. Aujourd’hui, après l’indépendance du Congo, cette sorte de chefferienon voulue par la coutume a été vidée de toute sa raison d’être et devrait de ce faitdisparaître comme le système qui l’a décrétée. Cette coquille vide continue à fonctionnerpour la seule subsistance du chef et la survie de sa cour. La chefferie est demeurée sansvision du bien-être de la communauté. Ce faisant, il est impératif que des relations de typesuzerain - vassaux laissent la place à celle de dirigeant - administrés et que les Ikolombe etles Isolu soient exonérés de rachat de tribut et de tout ce qui s’y apparente pour autant qu’ilsn’ont été ni sujets, ni vaincus, ni achetés mais injustement inféodés à une chefferieartificielle par le pouvoir colonial. Cette chefferie, c’est celle dénommée chefferie desNdengese-Ikolombe-Isolu. Avant l’intervention et l’ingérence du colonisateur, Ikolombe etIsolu avaient leurs organisations politiques indépendantes et ne dépendaient nullement dupouvoir coutumier des Ndengese. C’est cela l’histoire.

Contrairement à ce qu’affirme BALONGA Sylvain, la révolte de NSIMBITOYI en1931 et celle de la jeunesse lumumbiste en 1960 furent bel et bien dirigées contre le chefIKONGANSAMO et donc contre l’ordre institué par le colonisateur. Il n’est pas exact dedire que la révolte de 1931 découle uniquement des exactions de l’exploitation ducaoutchouc datant de la période léopoldienne. Comme la célèbre révolte des Pende autourdes années 30 et comme toutes les autres révoltes généralisées à travers le Congo belge, larévolte de NSIMBITOYI est une contestation subséquente aux investitures et intronisationshasardeuses des chefs indigènes. En 1960, juste après le départ des Européens considéréscomme les béquilles du chef IKONGANSAMO, la jeunesse du Nord de Dekese a prisd’assaut le chef-lieu du territoire dans l’unique but de se débarrasser d’IKONGANSAMOconsidéré par eux comme un imposteur imposé chef coutumier par les Blancs. Toutepersonne désireuse de s’instruire n’a qu’à lire le rapport de M. CH. SHILLINGS qui éclairelargement sur cette question de la prétendue légitimité du chef IKONGANSAMO et sur sagestion implacable.

Le fait que BALONGA Sylvain soit si fier d’affirmer le caractère néocoloniald’IKONGANSAMO paraît surréaliste. Cette attitude est celle du réformisme en politique. Jepropose à mon contradicteur de méditer sur cette réaction des deux Congolais par rapport àde telles attitudes : "(…) quiconque en appellera toujours à un maître pour faire face auxinstances dans lesquelles se trouve engagé le destin de sa survie, se voue, par ce fait même, àla perpétuation de son esclavage. Car alors, le maître définira pour lui non seulement sesraisons mais aussi les moyens de vivre et les limites dans lesquelles le maître pourra tolérer

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que se déploient les facultés dont l’esclave se trouve doté"17. De tels Congolaisréactionnaires qualifiés à l’époque d’évolués, selon la terminologie coloniale belge, (…) ont,sans doute, adressé à leurs souteneurs coloniaux, cette supplique surréaliste que Ch. A. DIOPfait dire à un supposé suppôt néo-colonisé : "Nous sommes vos fils spirituels …, votreémanation noire ; faites de nous à temps les dépositaires de vos intérêts (…) moraux,[économiques, etc.] et la situation sera sauvée ! On ne vous verra plus, bien que vous soyezencore là ; nous servirons d’écran ; ce ne sera plus vous, mais nous, Africains, contred’autres Africains, qui défendrons vos idéaux"18 . On ne peut s’empêcher, en évoquant toutcela, de penser à un ancien parti politique congolais appelé P.N.P. (Parti National duProgrès) auquel la gouaille populaire kinoise19 avait collé le sobriquet de "Parti des NègresPayés" pour fustiger ses positions rétrogrades. Le chef IKONGANSAMO a adhéréévidemment à ce parti dirigé au plan national par des relais réformateurs, véritables satrapesau verbe désorienteur "nationaliste" (F. FANON) et véritable mouvance réactionnaireopposée, avec la bénédiction du néocolonialisme triomphant, à la faction nationalistecongolaise. C’est pourquoi la jeunesse du nord de Dekese, nationaliste de manière écrasante,était opposée à l’attitude politique réactionnaire du chef IKONGANSAMO.

Maurice NDJOND'A NGELE

J.-C. WILLAME, La guerre du Kivu. Vues de la salle climatisée et de la véranda.Bruxelles, éditions GRIP, 2010. 172 pages.

L’auteur a écrit plusieurs ouvrages sur l’Afrique centrale et sur les nombreuxproblèmes vitaux rencontrés par l'ex-colonie belge de la région. Il nous livre ici uneanalyse particulièrement fouillée et bien documentée sur une région parmi celles quiont le plus souffert et qui continue d’ailleurs de souffrir des convoitises suscitées parses diverses et généreuses potentialités.

J.-C. WILLAME examine la situation de deux points de vue différents maisconvergents : ce qu’il appelle "la véranda", où il explicite les données du terrainproprement dit, là où s’affrontent les différentes populations en cause et ce qu’ilnomme "la salle climatisée" dans laquelle il décortique l’action officielle etinternationale qui tente vaille que vaille d’intervenir dans le conflit pour essayer de lerégler.

Dans la première partie donc, l’auteur décrit et analyse l’évolution du contextepolitique et socio-économique dans lequel les problèmes se sont posés depuis delongues décennies, avant même l’époque coloniale et dont les événements plusrécents découlent en partie (l’expansion démographique du Rwanda par exemple). Iltraite ensuite la série des lamentables conflits qui ont ensanglanté le Kivu deKABILA à NKUNDA et à toutes les bandes armées qui ont dévasté et dévastenttoujours ce malheureux pays.

La deuxième partie, la salle climatisée, met en scène tous les intervenantsextérieurs : ONU, Union Européenne, ONGs, MONUC et leur impuissance foncièreà régler les conflits successifs malgré les énormes moyens mis en œuvre. Il explicite

17 NGWEY N.N. et ATOMATE, E.N.A.A., "Tradition et modernité face au problème de développement", dansConception africaine et conditions de développement. Actes du 1er Séminaire Interrégional de Mbeo du 21 au 23avril, Recherches philosophiques africaines 14, Kinshasa, 1989, FCT, p. 71.18 DIOP Ch., Civilisation ou barbarie : anthropologie sans complaisance, Paris et Dakar, Présence Africaine,1981, p. 49.19 Ethnique dérivé de Kinshasa, nom de la capitale de la RD Congo.

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les différents échecs de la Communauté internationale classique comme par exemplecelui de la réinsertion des combattants démobilisés, notamment les enfants-soldats.Et il pointe le rôle joué à présent par de nouveaux acteurs comme la Chine quis’engouffrent dans les brèches laissées par les faiblesses de la coopération despartenaires habituels.

Comme élément de sortie de crise, l’auteur souhaiterait que les acteursextérieurs se désengagent tant soit peu pour laisser une grande place à l’économieinformelle et à la reprise des relations interethniques d’autrefois marquées par unecertaine "supportabilité mutuelle". Tout ceci étant sécurisé par une "stratégie dubâton" qui viserait à la fois les bandes armées rebelles ou officielles et égalementl’élite dirigeante congolaise. La Justice doit fonctionner, notamment la CPI (CourPénale Internationale) dont l’action a trop souvent été entravée par de puissantsintervenants aux objectifs parfois inavouables.

Un livre donc qui fait bien le point sur un des conflits les plus sanglants et lesplus honteux de notre temps et qui reste objectif sur un sujet où il est bien difficile dele rester.

E. VAN SEVENANT

J. GÉRARD-LIBOIS et al., Congo 1960, échec d’une colonisation. Bruxelles,André Versailles éditeur-GRIP, 2010. Introduction de C. BRAECKMAN et post-facede J.-C. WILLAME. 156 p.

Quelques auteurs qui ont été impliqués de près ou de loin dans les événementsqui ont marqué l’indépendance du Congo belge, nous livrent ici leurs analysespertinentes de l’avant et de l’après 1960.

Ces analyses, qui reprennent des textes parfois déjà anciens, sont encadrées parune introduction et une postface qui datent par contre de ces derniers mois, MmeBRAECKMAN survolant dans son introduction l’ensemble de la période en laissantpointer son regret un peu nostalgique que les choses aient finalement si mal tourné etJ.-C. Willame consacrant sa postface aux échecs successifs des missions de l’ONUpour ramener la paix dans un pays torturé par d’incessants conflits.

Entre ces deux textes contemporains donc, des analyses bien documentées surl’entreprise coloniale à partir de Léopold II, sur l’organisation du Congo au tempsdes Belges, sur la course vers l’indépendance à partir de 1956, sur le mois desrébellions et des mutineries en juillet 1960, et sur les périodes troublées qui se sontsuccédées entre 1960 et 1965.

Un petit livre très clair qui reprend l’essentiel de ce qu’il convient de retenird’une période qui fut difficile mais passionnante pour ceux qui l’ont vécue et quicontinue apparemment d’intéresser beaucoup toute une frange de l’opinion publiqueen Belgique comme en RD Congo.

E. VAN SEVENANT

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