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LES POUVOIRS MUNICIPAUX RELATIFS AUX DÉRO- GATIONS MINEURES ET AUX PLANS DIMPLANTATION ET DINTÉGRATION ARCHITECTURALE M e Pierre Laurin * TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION ........................................................................ 331 I.– LES DÉROGATIONS MINEURES .................................. 332 A. Généralités .................................................................... 332 B. Les conditions préalables à l’exercice du pouvoir ............. 335 C. Les conditions d’exercice du pouvoir d’accorder une dérogation mineure ........................................................ 343 1. La dérogation doit être mineure ........................... 344 2. Le respect des objectifs du plan d’urbanisme ....... 350 3. Les zones de contrainte...................................... 351 4. Le préjudice sérieux ........................................... 357 5. L’atteinte à la jouissance du droit de propriété des immeubles voisins ........................................ 358 6. Travaux en cours ou déjà exécutés ..................... 362 7. Avis préalable du comité consultatif d’urbanisme ....................................................... 366 8. Procédure.......................................................... 366 9. Dérogations conditionnelles ................................ 367 * Avocat chez Flynn, Rivard. Texte inédit présenté dans le cadre du colloque Développements récents en droit municipal (2002), tenu à Bécancour le 15 mars 2002. Il fut mis à jour le 1 er janvier 2003. L’auteur remercie monsieur Mathieu Trépanier, LL.B., ainsi que madame Maud Rivard, LL.B., pour l’indispensable travail de recherche qui a précédé la rédaction de ce texte. Toute erreur ou omission est toutefois la seule responsabilité de l’auteur.

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LES POUVOIRS MUNICIPAUX RELATIFS AUX DÉRO-GATIONS MINEURES ET AUX PLANS D’IMPLANTATION ET D’INTÉGRATION ARCHITECTURALE Me Pierre Laurin∗

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION........................................................................331

I.– LES DÉROGATIONS MINEURES ..................................332

A. Généralités ....................................................................332

B. Les conditions préalables à l’exercice du pouvoir .............335

C. Les conditions d’exercice du pouvoir d’accorder une dérogation mineure ........................................................343

1. La dérogation doit être mineure ...........................344 2. Le respect des objectifs du plan d’urbanisme .......350 3. Les zones de contrainte......................................351 4. Le préjudice sérieux ...........................................357 5. L’atteinte à la jouissance du droit de propriété

des immeubles voisins........................................358 6. Travaux en cours ou déjà exécutés .....................362 7. Avis préalable du comité consultatif

d’urbanisme .......................................................366 8. Procédure..........................................................366 9. Dérogations conditionnelles ................................367

∗ Avocat chez Flynn, Rivard. Texte inédit présenté dans le cadre du colloque Développements récents en

droit municipal (2002), tenu à Bécancour le 15 mars 2002. Il fut mis à jour le 1er janvier 2003.

L’auteur remercie monsieur Mathieu Trépanier, LL.B., ainsi que madame Maud Rivard, LL.B., pour l’indispensable travail de recherche qui a précédé la rédaction de ce texte. Toute erreur ou omission est toutefois la seule responsabilité de l’auteur.

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D. Contrôle judiciaire ..........................................................368

1. Jurisprudence et doctrine....................................368 2. Grille d’analyse et application aux municipalités ...372 3. Analyse des dispositions législatives ...................377 4. La norme de contrôle..........................................378

E. Les dérogations mineures et les recours prévus dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme ..............................386

II.– LES PLANS D’IMPLANTATION ET D’INTÉG RATION ARCHITECTURALE ......................................................390

A. Remarques générales ....................................................390

B. Cadre juridique...............................................................391

1. Les conditions préalables à l’exercice du pouvoir ..............................................................391

2. Les conditions d’exercice du pouvoir ...................399

C. La norme de contrôle......................................................400

CONCLUSION...........................................................................402

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INTRODUCTION

1 Dans l'arrêt Loblaw Québec Inc., le juge Forget explique la particularité des pouvoirs municipaux en matière de dérogations mineures et de plans d'implantation et d'intégration architecturale, ainsi que la question qu'elle soulève :

2 [En dépit du principe que l’application de la régle-mentation d’urbanisme ne doit être ni discrétionnaire ni discriminatoire et les règlements suffisamment précis pour permettre aux citoyens de connaître l’étendue exacte de leurs droits et obligations à leur seule lecture], le législateur, au cours des dernières années, a décidé d’accorder une certaine discrétion aux autorités municipales en matière de zonage, puisqu’il s’avère parfois impossible d’anticiper toutes les situations.

3 Le législateur a toutefois accordé sa discrétion en exigeant que la municipalité se dote d’un comité consultatif d’urbanisme (art. 146 à 148 de la loi) et agisse dans le cadre d’un règlement adopté à cette fin.

4 Ainsi, dans un premier temps, on a permis aux municipalités d’accorder, par résolution, des déroga-tions mineures à la réglementation de zonage (art. 145.1 à 145.8). Le législateur voulait ainsi éviter, à titre d’exemple, qu’un citoyen puisse obtenir la démo-lition de la résidence de son voisin, qui empiétait de quelques centimètres sur la marge latérale.

5 En ce qui nous concerne ici, le législateur a aussi accordé une certaine discrétion aux conseils munici-paux en matière de plan d’aménagement d’ensemble et de plan d’intégration. Mais quelle est l’étendue de cette discrétion ?1

6 Nous tenterons de répondre à cette question dans le présent texte. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux limites que le législateur a imposées à l'exercice des pouvoirs conférés aux conseils municipaux ainsi qu'au pouvoir d'intervention des tribunaux lorsqu'ils ont à examiner si ces limites ont été dépassées.

1 Loblaw Québec inc. c. Alimentation Gérard Villeneuve (1998) inc., 2000

R.J.Q. 2498, 2510 (C.A.).

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7 Traditionnellement, les normes édictées par les règle-ments d'urbanisme devaient être impersonnelles et précises, répondant ainsi à un des canons du droit administratif. Cette obligation faisait toutefois de ces règlements des instruments de contrôle beaucoup trop rigides. Ils ne permettaient pas de tenir compte de la myriade de situations auxquelles le planifica-teur urbain — élu ou fonctionnaire — est confronté. Prenant exemple de la législation canadienne et américaine, le législateur québécois a donc doté les conseils municipaux, depuis une quinzaine d'années, d'outils qui permettent d'assou-plir leurs interventions : il s'agit des règlements relatifs aux dérogations mineures aux règlements d'urbanisme2, des règlements relatifs aux plans d'aménagement d'ensemble3 et des règlements relatifs aux plans d'implantation et d'intégration architecturale4. La rigidité normative comporte toutefois l'avan-tage de la sécurité juridique : le planificateur connaît les limites de son intervention réglementaire, le citoyen, celle de ses droits et obligations et le juge, celle de son intervention. Le champ de compétence municipale est clairement défini et, partant, il est plus facile pour les tribunaux de déterminer s'il fut excédé. Inversement, la souplesse qu'accordent ces trois types de règlements aux conseils municipaux rend plus flous les contours de leur compétence et, par conséquent, plus difficile la détermination de ses limites ainsi que la norme d'intervention des tribunaux.

I.– LES DÉROGATIONS MINEURES

A. Généralités

8 Les articles 145.1 à 145.8 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme5 traitent des dérogations mineures. Ces dispositions ont été ajoutées en 19856. Ce régime s'inspire de régimes semblables qui existaient dans d'autres provinces. Il faut toutefois être prudent lorsqu'on désire utiliser la 2 Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (ci-après « LAU ») articles 145.1-145.8,

ajoutés par L.Q. 1985 c. 27, a.6. 3 Articles 145.9-145.14, ajoutés par L.Q. 1987, c. 53, a.4. 4 Articles 145.15-145.20.1, ajoutés par L.Q. 1989, c. 46, a.11 et L.Q. 1994, c.

32, a.19. 5 L.R.Q. c. A-19.1. 6 Supra, note 2.

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jurisprudence ou la doctrine provenant d'autres juridictions, parce que le cadre juridique de l'octroi des dérogations mineures peut-être bien différent ailleurs. Ainsi, en Ontario, les dérogations sont autorisées par un comité créé par le conseil municipal. Le comité peut notamment autoriser la dérogation « s'il estime cette dérogation opportune pour l'exploitation ou l'utilisation appropriées du terrain, du bâtiment ou de la construction et s'il estime que l'objet du règlement municipal et du plan officiel, le cas échéant, est respecté ». La décision du comité peut être portée en appel devant la Commission des affaires municipales7.

9 Ce pouvoir relatif aux dérogations mineures était tout à fait novateur. En effet, le but d'un règlement sur les dérogations mineures est de permettre à un conseil municipal d'accorder à un citoyen l'autorisation de déroger à un règlement dûment adopté et en vigueur. Il s'agit d'une mesure exceptionnelle, tant par sa forme que par son objet.

10 Un conseil municipal peut, par une simple résolution, autoriser un citoyen à déroger en toute légalité à un règlement dûment adopté. L'effet est de modifier la réglementation muni-cipale à l'égard d'un immeuble spécifique. Or, le législateur a prévu, pour les règlements d'urbanisme, la plus complexe des procédures d'adoption de tout le corpus réglementaire muni-cipal : adoption de projets de règlements, consultations, procé-dures référendaires, vérification de conformité8. La Loi sur les cités et villes9 et le Code municipal10 disposent qu'un règlement ne peut être amendé que par un autre règlement adopté de la même manière. Sur le plan de la forme, la situation est donc exceptionnelle.

11 Elle l'est également quant à l'objet. Un des principes fondamentaux du droit administratif, plus particulièrement en ce qui concerne les règlements municipaux, est la prohibition d'adopter une mesure discriminatoire11. Or, cette règle est 7 Loi sur l'aménagement du territoire, L.R.Q., 1990, c. P-13, art. 44 (1), 45 (1)

et 45 (12). 8 Article123 LAU. Cette affirmation s'avère plus particulièrement à l'égard des

dispositions des règlements de zonage et de lotissement énumérés au premier paragraphe du troisième alinéa de l'article 123.

9 L.R.Q., c. C-19, article 365 LAU. 10 Code municipal du Québec, L.R.Q., c. C-27.1, article 453 LAU. 11 Montréal c. Arcade Amusements Inc., [1985] 1 R.C.S 368.

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totalement écartée par le législateur lorsqu'il autorise un conseil municipal à modifier, à l'égard d'un immeuble précis, sa réglementation.

12 On ne saurait pourtant voir, dans le pouvoir d'accorder des dérogations mineures, un moyen détourné d'amender sys-tématiquement la réglementation d'urbanisme, court-circuitant ainsi la procédure édictée par le législateur et individualisant des normes de conduite qui, en principe, doivent être impersonnelles. Nous croyons donc qu'un conseil municipal se doit de respecter strictement le cadre juridique imposé par le législateur pour l'exercice de ce pouvoir exceptionnel. Nous croyons également que les tribunaux, avec toutes les nuances que nous verrons plus loin, devraient examiner avec rigueur si, dans un cas particulier, un conseil municipal a respecté ce cadre. L'objet des articles 145.1 et suivants LAU est de conférer au conseil municipal un pouvoir exceptionnel et il doit être, dans chaque cas particulier, apprécié comme tel.

13 D'autre part, le législateur a réservé aux municipalités locales le pouvoir d'adopter un règlement sur les dérogations mineures. En effet, l'article 145.1 LAU dispose : « Le conseil d'une municipalité doté d'un comité consultatif d'urbanisme peut adopter un règlement sur les dérogations mineures […] ».

14 Or, l'article 1.1 LAU précise que le mot « municipalité » désigne une municipalité locale, sauf dans l'expression « municipalité régionale de comté ». De plus, une MRC ne peut avoir de comité consultatif d'urbanisme12 et ce, même si un règlement de contrôle intérimaire peut contenir des règles particulières en matière de zonage ou de lotissement13 14.

15 Enfin, une dernière remarque générale d'ordre prati-que : certains règlements d'urbanisme contiennent une « disposition intégrée » de dérogations mineures. On y dispose qu'une variation de 5 % par rapport à la norme réglementaire n'est pas considérée dérogatoire15. Une dérogation mineure ne

12 Articles 146-148 LAU. 13 Article 64 LAU. 14 GIROUX, Lorne, « Quelques problèmes d'actualité dans le droit de

l'aménagement », (1988) 5 C.P. du N., 131, 166. 15 Voir, à titre d'exemple : Ville de Sillery (devenue Québec depuis le 1er janvier

2002), Règlement de zonage numéro 950, a. 1.7.6.

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sera donc nécessaire que si cette zone de tolérance doit être excédée.

16 Ces quelques remarques étant présentées, examinons le cadre juridique du régime des dérogations mineures.

B. Les conditions préalables à l’exercice du pouvoir

17 L'octroi d'une dérogation mineure suppose que le con-seil municipal a préalablement respecté certaines conditions générales.

18 Le conseil doit d'abord avoir créé un comité consultatif d'urbanisme puisque aucune dérogation ne peut être accordée sans que l'avis de ce comité ait préalablement été obtenu16.

19 Le conseil doit de plus avoir adopté un règlement sur les dérogations mineures. Ce règlement doit minimalement prévoir :

1. la procédure requise pour demander au conseil d'accorder une dérogation mineure et les frais exigibles pour l'étude de la demande ;

2. l'identification, parmi les zones prévues par le règlement de zonage, de celles où une dérogation mineure peut être accordée ;

3. l'énumération des dispositions des règlements de zonage et de lotissement qui peuvent faire l'objet d'une dérogation mineure17.

20 Le règlement peut viser une partie du territoire municipal.

21 Le conseil peut-il distinguer parmi les zones où une dérogation mineure peut être accordée ? Les dispositions auxquelles il est possible de déroger peuvent-elles varier d'une zone à l'autre ? Nous croyons que le texte législatif commande une réponse négative. Lorsque le législateur a voulu que le conseil municipal puisse distinguer entre les zones, il l'a précisé. La disposition de base, en la matière, est le paragraphe troisième du deuxième alinéa de l'article 113 LAU :

16 Article 145.7 LAU. 17 Articles 145.1 et 145.3 LAU.

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22 [Le règlement de zonage] peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs des objets suivants :

23 […]

24 3° spécifier, pour chaque zone, les constructions et les usages qui sont autorisés et ceux qui sont prohibés, y compris les usages et édifices publics, ainsi que les densités d'occupation du sol.

25 Les paragraphes suivants énumèrent les sujets qui peuvent faire l'objet du règlement de zonage. Pour chacun de ces paragraphes, la volonté du législateur de permettre au conseil municipal de distinguer entre les zones est spécifiée le cas échéant. Ainsi, le paragraphe 14° permet au conseil de « régir, par zone, la construction, l’installation, le maintien, la modification et l'entretien de toute affiche, panneau-réclame ou enseigne déjà érigé ou qui le sera à l'avenir »18.

26 Or, si on examine les deuxième et troisième paragra-phes de l'article 145.3 LAU, on constate que le règlement sur les dérogations mineures doit prévoir l'identification des zones où une dérogation mineure peut être accordée ainsi que l'énumération des dispositions des règlements de zonage et de lotissement qui peuvent faire l'objet d'une dérogation mineure. Il aurait été facile d'y indiquer, tout comme à l'article 113 LAU, que cette énumération peut être distincte par zone19.

27 Le conseil peut donc déterminer les zones où une dérogation mineure est possible et les dispositions réglemen-taires pouvant faire l'objet d'une telle dérogation. Il semble toutefois que ces pouvoirs ne puissent être combinés de façon à ce que le régime de dérogation mineure varie d'une zone à l'autre.

28 En vertu de l'article 145.1 LAU, seules les dispositions des règlements de zonage et de lotissement autres que celles qui sont relatives à l'usage et à la densité d'occupation du sol peuvent faire l'objet d'une dérogation mineure. Il ne peut y avoir de dérogation mineure au règlement de construction20, sans

18 Voir également les paragraphes 4, 5, 5.1, 6, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 18, 19, 20

et 22. 19 Voir également, à titre d'exemple, l'article 145.17 LAU. 20 Article 118 LAU.

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doute parce qu'il s'agit d'un règlement dont les normes visent à assurer la sécurité et la salubrité des constructions.

29 Les dispositions relatives à l'usage sont facilement iden-tifiables. Il est de l'essence même d'un règlement de zonage de classifier les usages et de prévoir, pour chaque zone, ceux qui sont autorisés et ceux qui sont prohibés21. Ces dispositions constituent en quelque sorte l'épine dorsale du règlement de zonage. Elles sont, aux yeux du législateur, intouchables. Dans la décision 151951 Canada Inc. c. Val-des-Monts (Municipalité de)22, le Tribunal a considéré que la dérogation relative à un usage est non seulement prohibée spécifiquement par le législateur mais que, de toute façon, elle serait majeure.

30 L'identification des dispositions des règlements de zonage et de lotissement relatives à la densité d'occupation du sol est plus complexe. Les auteurs que nous avons recensés sont partagés quant à la portée qu'il faut donner à cette exception.

31 En principe, la notion de « densité d'occupation du sol », dans le contexte de l'article 145.1 LAU, réfère spécifiquement à l'exercice du pouvoir prévu au troisième paragraphe du deuxième alinéa de l'article 113 LAU :

32 [Le Règlement de zonage] peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs des objets suivants :

33 […]

34 3° spécifier, pour chaque zone, les constructions ou les usages qui sont autorisés et ceux qui sont prohibés, y compris les usages et édifices publics, ainsi que les densités d'occupation du sol.

35 Ces densités seront exprimées, par exemple, en nombre de logements à l'hectare. Plusieurs auteurs sont toutefois d'opinion que la limite au pouvoir d'autoriser une dérogation mineure s'applique non seulement aux dispositions d'un règlement de zonage adopté en vertu du paragraphe précité, mais également à toute autre disposition pouvant avoir une incidence sur la densité. Ainsi, dans un document publié par le ministère des Affaires municipales en 1991, on peut lire :

21 Article 113, al. 2, par. 1 et 3 LAU. 22 [1990] RJQ 834, 841.

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36 Par contre, il ne sera pas possible d'autoriser, grâce à une dérogation mineure, l'implantation d'un com-merce ou d'un immeuble multifamilial dans une zone où l'usage prévu est exclusivement résidentiel de type unifamilial. Il s'agit, dans le cas du commerce, d'un changement d'usage et, dans le cas de l'immeuble multifamilial, d'un changement d'usage et possiblement de densité à l'intérieur de la zone.

37 Par contre, une demande qui viserait la réduction de la superficie de tous les lots dans un projet de lotissement pourrait constituer une dérogation à la densité qui irait à l'encontre des dispositions prévues dans la loi (art. 145.1). 23

38 À la même époque, les professeurs Duplessis et Hétu ont écrit :

39 De même, nous sommes tout à fait d'accord avec Me Michel Cantin [Les dérogations mineures en droit québécois (1989) 9 Bulletin municipal 1)] lorsqu'il soutient qu'un requérant devrait essuyer un refus, s'il requiert une dérogation aux fins de réduire les exigences réglementaires en ce qui a trait à : la superficie d'une construction au sol; la superficie totale de plancher d'un bâtiment par rapport à la superficie totale du lot; ou encore, la proportion du terrain qui peut être occupée par une construction ou un usage au motif que cesdits éléments sont des composantes du concept de densité d'occupation du sol. Ainsi, celui qui désire obtenir un assouplissement des règles relatives à l'usage ou à la densité d’occu-pation du sol n'aura d'autre alternative que de s'adresser au conseil municipal pour lui demander de modifier son règlement de zonage.24

40 Plus près de nous, Mes Gaston Bélanger et Louise Bouvier écrivent :

41 En matière de lotissement, on peut, par dérogation mineure, accorder des ajustements mineurs, mais non pas systématiquement réduire la superficie de tous les terrains et d'un développement domiciliaire

23 COMITÉ CONSULTATIF D'URBANISME, Les dérogations mineures, ministère des

Affaires municipales, octobre 1991, pages 2 et 3. 24 La Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, Chambre des notaires, Répertoire

de droit, avril 1991, Document 6 g, page 225.

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qui aurait pour effet d'augmenter la densité de la population dans ce secteur. 25

42 Me Marc-André Lechasseur, pour sa part, adopte une interprétation plus restrictive :

43 À ce stade, nous sommes d'opinion que le texte de la loi peut être lu en gardant à l'esprit la définition de « densité d'occupation du sol » donnée par la Cour dans l'affaire Sillery (Ville de) c. Villa Ignatia inc. et que les articles précités réfèrent, implicitement du moins, à l'article 113, alinéa 2, paragraphe 3, LAU. En conséquence, les rapports découlant d'un calcul du nombre de logements par bâtiment et du nombre de logements par hectare (densité brute ou nette) ne pourraient être « modifiés » par l'octroi d'une dérogation mineure. 26

44 Les professeurs Giroux et Poirier ont analysé en profondeur la notion de densité d'occupation du sol27. Ils écrivent notamment :

45 Si l'interprétation que nous donnons aux paragraphes [5o et 6o] de l'article 113 de la Loi est exacte, il s'ensuit que les dispositions du règlement de zonage auxquelles on fait référence à l'article 145.1 ne peuvent être que celles adoptées en vertu du paragraphe 3o de l'article 113 de la Loi et non celles adoptées sur la base des paragraphes 5o et 6o de l'article 113 de la Loi. S'il fallait ne pas limiter aux dispositions du règlement de zonage adoptées en vertu du paragraphe 3o in fine du second alinéa de l'article 113 les cas où une dérogation mineure ne peut être accordée en matière de densité d'occupa-tion du sol, il faudrait logiquement étendre la limita-tion non seulement aux dispositions du règlement de zonage adoptées en vertu des paragraphes 5o et 6o

25 Les dérogations mineures : si c'est mineur pourquoi s'en occuper ?, Chambre

des notaires, Cours de perfectionnement, novembre 1999, pages 331 et 337. 26 « Les règlements à caractère discrétionnaire en vertu de la Loi sur

l'aménagement et l'urbanisme », (2000-01) 31 R.D.U.S. 199, 224; voir également, du même auteur : Loi sur l'aménagement et l'urbanisme annotée, Les Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1998, pages 1712.

27 GIROUX, Lorne et Michel POIRIER, « Les notions d'usage et de densité d'occupation du sol, de même que les problèmes relatifs aux avis de motion dans la Loi sur l'aménagement : des questions toujours d'actualité », Développements récents en droit municipal (1998), Les Éditions Yvon Blais inc., Cowansville, page 195. Idem, pages 220-221.

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mais aussi notamment à celles traitant de la hauteur permise des bâtiments ou du nombre d'étages autorisé, des dispositions de cette nature ayant assurément un impact sur la densité d'occupation du sol. Il faudrait, en outre, exclure la possibilité d'octroyer une dérogation mineure à l'égard des dispositions du règlement de lotissement adoptées en vertu des paragraphes 1o, 3o et 4o de l'article 115 de la Loi, les prescriptions réglementaires régissant les dimensions minimales ou maximales des terrains participant tout autant du contrôle de la densité d'occupation du sol que celles relatives aux coeffi-cients d'occupation du sol et aux rapports plancher/ terrain. De telles conclusions nous paraissent difficilement supportables.28

46 Nous préférons également une interprétation restrictive de l'expression « densité d'occupation du sol », c'est-à-dire celle qui renvoie exclusivement aux dispositions réglementaires adoptées en vertu du troisième paragraphe du deuxième alinéa de l'article 113 LAU.

47 Sauf indication contraire, un mot ou une expression sont toujours utilisés dans le même sens dans un texte législatif. L'expression « densité d'occupation du sol » est utilisée dans la LAU à l'égard de chacun des instruments de planification ou de contrôle conféré aux municipalités : le schéma d'aménagement, le plan d'urbanisme et le règlement de zonage. Outre l'article 113, al. 2, paragraphe 3 précité, on la trouve aux articles suivants :

48 Article 6 LAU : 49 Le schéma d'aménagement peut, à l'égard du

territoire de la municipalité régionale de comté :

50 1° déterminer toute zone, principalement à l'intérieur d'un périmètre d'urbanisation, susceptible de faire l'objet, de façon prioritaire, d'un aménagement ou d'un réaménagement, établir la priorité entre les zones ainsi déterminées et déterminer pour une telle zone ou pour les différentes parties de celle-ci les affectations du sol et la densité approximative d'occupation;

28 Idem, pages 220-221.

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51 2° déterminer la densité approximative d'occupation pour les différentes parties du territoire, hors de toute zone déterminée conformément au paragraphe premier.

52 Article 83 LAU : 53 Un plan d'urbanisme doit comprendre :

54 1° les grandes orientations d'aménagement du territoire de la municipalité;

55 2° les grandes affectations du sol et les densités de son occupation;

56 […]

57 Article 85 LAU : 58 Un plan d'urbanisme peut aussi comprendre un

programme particulier d'urbanisme pour une partie du territoire de la municipalité.

59 Ce programme d'urbanisme peut comprendre :

60 1° l'affectation détaillée du sol et la densité de son occupation;

61 […]

62 Le concept de densité d'occupation du sol est donc utilisé à répétition dans la LAU. Il faut présumer qu'il vise toujours la même réalité. Or, avec respect, nous ne croyons pas que cette réalité soit celle des exemples donnés par Me Michel Cantin, auxquels réfèrent Mes Duplessis et Hétu dans le passage cité plus haut : la superficie d'une construction au sol; la superficie totale de plancher d'un bâtiment par rapport à la superficie totale du lot; la proportion du terrain qui peut être occupée par une construction ou un usage. Ces normes sont en effet adoptées en vertu des paragraphes 5 ou 6 du deuxième alinéa de l'article 113 LAU, et non en vertu du paragraphe 3. Ces paragraphes n'ont pas leur équivalent dans les dispositions traitant du contenu du schéma d'aménagement ou du plan d'urbanisme. Pourtant, ces dernières traitent de densité d'occupation au sol. Nous concluons donc que, pour le législateur, il s'agit de réalités différentes.

63 D'ailleurs, l'article 113 LAU énumère de façon méthodi-que les différentes catégories de normes qui peuvent être incluses dans un règlement de zonage (par. 1 à 22 du deuxième alinéa). Puisque le législateur réfère spécifiquement

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au concept de densité d'occupation du sol, au paragraphe 3, pourquoi aurait-il exprimé la même réalité, avec des mots différents, aux paragraphes 5 ou 6 ?29 Quelle serait l'utilité d'une telle répétition ?

64 Nous croyons que le concept de densité d'occupation du sol réfère à une norme exprimée, comme c'est générale-ment le cas dans les schémas, plans ou règlements, en nombre de logements par bâtiment ou par hectare.

65 En résumé, nous croyons que la limite imposée par l'article 145.1 LAU vise les normes de densité d'occupation du sol exprimées comme telles. Par extension, elle pourrait égale-ment viser une demande à l'égard d'une norme qui peut légalement être incluse dans le règlement de dérogation mineure, lorsque cette demande a une portée telle qu'elle ferait échec à une norme de densité d'occupation du sol. C'est ainsi que nous comprenons l'exemple suivant, dans le document Les dérogations mineures publié par le ministère des Affaires municipales30 :

66 Par contre, une demande qui viserait la réduction de la superficie de tous les lots dans un projet de lotissement pourrait constituer une dérogation à la densité qu'il y aurait à l'encontre des dispositions prévues dans la loi (art. 145.1).

67 La Cour supérieure s'est récemment penchée sur la question dans l'affaire Carter Fraser Entreprises inc. c. Mont-Tremblant (Ville de)31. Le Tribunal énonce comme suit la question à laquelle il doit répondre32 :

68 Une municipalité qui, par résolution, accepte une dérogation mineure à l'une des dispositions de son règlement de zonage concernant le rapport plancher/ terrain d'un bâtiment à être construit, affecte-t-elle ainsi la densité d'occupation du sol ?

29 C'est également l'opinion exprimée par les professeurs Giroux et Poirier,

supra, note 27, page 220. 30 Supra, note 23, pages 9 et 10. 31 C.S., Terrebonne, 700-05-011734-021, 2002-08-14, J.E. 2002-1615 (en

appel). 32 Ibid, par. 1.

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69 Après une longue analyse où le Tribunal cite avec approbation les textes de Me Lechasseur et des professeurs Giroux et Poirier, il conclut notamment :

70 Attendu que la formule « densité d'occupation du sol » utilisée dans la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme et, en particulier, aux articles 83, 113(3o) et 145.1 ne comprend par les normes de coefficients d'emprise au sol et des coefficients d'occupation du sol qu'une municipalité peut édicter en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 113(5o) de cette loi;

71 […]

72 Attendu que l'expression « densités d'occupation du sol » qui se trouve [à l'article 113] a un sens quantitatif et réfère au nombre de bâtiments ou de logements autorisé par unité de surface dans une zone ou dans un secteur de zone;

73 […]

74 Attendu que les dispositions autorisées par l'article 113(5o) de cette loi, incluant les normes concernant la superficie totale de plancher d'un bâtiment par rapport à la superficie totale du lot (le rapport plancher/terrain), peuvent faire l'objet d'une demande de dérogation mineure qu'un conseil municipal a discrétion d'accepter ou de refuser, selon les circonstances […]33

75 La tendance est donc à l'interprétation restrictive de la notion de « densité d'occupation du sol » utilisée à l'article 145.1 LAU.

C. Les conditions d’exercice du pouvoir d’accorder une dérogation mineure

76 Une fois le comité consultatif d'urbanisme constitué et le règlement sur les dérogations mineures dûment adopté, le conseil municipal peut exercer son pouvoir d'accorder de telles dérogations. Ce pouvoir a toutefois été limité de diverses façons par le législateur. Ces limites sont les suivantes :

♦ la dérogation doit être mineure34 ;

33 Ibid, par. 37, 39, 40. 34 Article 145.4 LAU.

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♦ elle doit respecter les objectifs du plan d'urbanisme35 ;

♦ elle ne peut être accordée dans une zone de contrainte36 ;

♦ l'application du règlement doit avoir pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui demande la dérogation37 ;

♦ elle ne doit pas porter atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété38 ;

♦ si elle vise des travaux en cours ou déjà exécutés, ils doivent avoir fait l'objet d'un permis de cons-truction et avoir été effectués de bonne foi39 ;

♦ la procédure doit avoir été suivie40 ;

♦ le conseil doit avoir reçu l’avis préalable du comité consultatif d’urbanisme41.

77 Comme on le constate, tous ces éléments sont des limites au pouvoir d'un conseil municipal d'accorder des dérogations mineures. Aucun d'eux n'a pour objet d'obliger le conseil à accorder une telle dérogation.

78 Voyons de plus près ces limites.

1. La dérogation doit être mineure

79 L’essence du pouvoir du conseil municipal est exprimé au premier alinéa de l’article 145.4 LAU :

80 Le conseil d’une municipalité sur le territoire de laquelle est en vigueur un règlement sur les déroga-tions mineures peut accorder une telle dérogation.

81 Le caractère mineur de la dérogation est la première condition pour qu’elle soit octroyée. En pratique, les comités consultatifs d’urbanisme et les conseils municipaux peuvent

35 Article 145.2 LAU. 36 Idem. 37 Article 145.4 LAU. 38 Idem. 39 Article 145.5 LAU. 40 Articles 145.3 premièrement et 145.6 LAU. 41 Article 145.7 LAU.

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avoir tendance à oublier cette évidence et à confondre le respect des autres limites que nous avons énumérées, avec ce caractère mineur. Une dérogation peut très bien être majeure tout en respectant les objectifs du plan d'urbanisme, en ne portant pas atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété, etc. Dans ce cas, la demande devra être refusée.

82 Inversement, une dérogation peut être mineure (par exemple : réduction de quelques centimètres de la marge de recul avant), mais devoir être refusée par le conseil parce que, par exemple, l'application du règlement ne cause pas un préjudice sérieux au demandeur.

83 Mais comment déterminer si une dérogation est mineure ? C'est là toute la difficulté. Le Petit Larousse définit l’adjectif « mineur » comme « d’une importance, d’un intérêt secondaire, accessoire ». Voilà qui est bien relatif !

84 Les professeurs Duplessis et Hétu écrivent : 85 En résumé, nous pouvons soutenir sans crainte de

nous tromper que la notion de dérogation mineure est indéfinissable. Il n’existe aucune méthode infaillible pour déterminer ce qu’est une dérogation mineure. En revanche, tous s’entendent pour affirmer qu’on ne peut qualifier une dérogation de mineure ou de majeure en lui appliquant une règle, formule ou équation mathématique. Il serait absurde d’établir une règle universelle qui ferait en sorte qu’en deçà d’un pourcentage donné la dérogation est mineure alors qu’au-delà elle est majeure.

86 S’agit-il d’une dérogation mineure ? C’est, à notre avis, une question de fait qui doit être étudiée en tenant compte des particularités de chaque dossier. En d’autres termes, chaque cas est un cas d’espèce qui requiert une analyse qualitative et non quantita-tive des éléments en présence.42

87 Il revient donc au conseil municipal d’apprécier, cas par cas, le caractère mineur ou majeur de la dérogation demandée. En pratique, l’absence de références objectives facilitant une telle qualification, jointe à l’absence d’un droit d’appel de la décision du conseil, équivaut à donner à ce dernier un pouvoir

42 Supra, note 24.

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passablement discrétionnaire. Nous reviendrons sur cette question plus loin.

88 Deux exemples illustrent le caractère relatif de la notion de dérogation mineure.

89 La plupart des règlements de zonage des municipalités urbaines interdisent, en zone résidentielle, la construction d’un garage isolé dans la cour avant. Manifestement, il s’agit d’une norme ayant pour but de protéger l’esthétique des rues rési-dentielles, en assurant que les cours avant ne seront pas encombrées de bâtiments secondaires. Dans ces circonstan-ces, la construction d’un garage dans une cour avant peut difficilement être vue comme une dérogation mineure43. Imaginons toutefois le scénario suivant : un lot est situé en majeure partie à l’arrière d’un autre lot. Il est néanmoins considéré comme ayant front sur la rue puisqu’il y est relié par une étroite bande de terrain qui longe le lot avant, ce qui est permis par la réglementation municipale. Dans une telle situation, le propriétaire du lot arrière pourrait demander au conseil une dérogation mineure afin qu’il puisse construire un garage dans sa cour avant, sur la partie de terrain située entre le mur avant de sa maison et la limite arrière du terrain en front de la rue. Le garage ne serait pas visible de la rue puisqu’il serait caché par la maison avant. Dans ces circonstances, la dérogation qui normalement devrait être considérée comme majeure semble plutôt anodine.

90 Second exemple : un règlement de zonage dispose que la hauteur des bâtiments est calculée à partir du niveau du sol naturel, sur tout le périmètre d’une construction. Dans une zone résidentielle, un terrain est en forte pente de l’avant vers l’arrière, où il est bordé par une rivière. Le propriétaire de ce terrain demande une dérogation mineure afin d’y construire une résidence dont le rez-de-chaussée sera au niveau de la rue à l'avant mais, à l’arrière, deviendra le premier étage puisque le sous-sol sera entièrement dégagé à cause de l’inclinaison du terrain. A cause de ce dégagement, la hauteur du bâtiment excède de façon importante la norme. Pourtant, vu de la rue, le faîte du toit ne dépassera pas celui des maisons voisines. La dérogation, quelle que soit l’importance en chiffre

43 C’est la conclusion à laquelle le Tribunal en est venu dans l’affaire Stukely

Sud (Municipalité de) c. Labrèche, 1994, R.D.I. 90 (C.S.). Il s’agissait d’une requête en vertu de l’article 227.

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absolu du dépassement, apparaîtra nécessairement, dans ces circonstances, comme mineure.

91 Une publication du ministère des Affaires municipales, parue peu après l’introduction de la notion de dérogation mineure dans la LAU, pouvait laisser croire qu'une approche mathématique permettait de distinguer le caractère mineur ou majeur d'une dérogation :

92 C’est la détermination de ce qu’est une dérogation « mineure » qui constitue la pierre d’assise de cet outil […] ce qui est mineur dans une situation peut être majeur dans une autre.

93 Ainsi, une municipalité peut recevoir deux demandes de dérogations mineures semblables de propriétaires différents. Dans les deux cas, une réduction de 0,5 m est demandée en ce qui concerne la norme relative à la marge latérale, c’est-à-dire la distance entre le bâtiment et la ligne latérale de l’eau. Toutefois, les deux propriétaires se trouvent dans des zones différentes. Dans une zone, la marge latérale exigée est de 5 m, tandis que dans l’autre, elle n’est que de 2 m. On peut ainsi comprendre qu’une demande de réduction de 0,5 m peut constituer une dérogation mineure dans le premier cas (réduction de 5 m à 4,5 m), mais risque d’être majeure dans le deuxième (réduction de 2 m à 1,5 m). 44

94 Une telle approche est réductrice. Elle s’attache à l’appréciation du caractère majeur ou mineur de la dérogation par rapport à la norme elle-même, plutôt que par rapport à l’objet de cette dernière. Les normes urbanistiques visent à assurer un développement harmonieux et ordonné du territoire municipal. La dérogation demandée, indépendamment de son importance mathématique, va-t-elle à l’encontre de cet objectif ? Si la dérogation est accordée, quelles seront les conséquences sur le plan esthétique ? Le conseil risque-t-il de recevoir une cascade de demandes semblables de la part d’autres propriétaires ? Est-ce que la dérogation vise une disposition réglementaire que le conseil juge de première importance, comme par exemple l’obligation pour un proprié-taire de garnir son terrain d’arbres dans un milieu où le décor naturel est une valeur importante ? Voilà autant de questions 44 MINISTÈRE DES AFFAIRES MUNICIPALES, Les dérogations mineures

aux règlements d’urbanisme, 1986, page 6.

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que peut se poser un conseil municipal et dont la réponse n’est pas quantifiable.

95 Ainsi, dans l'affaire Auger c. Lévis45, le demandeur attaquait une résolution du conseil municipal accordant une dérogation mineure ayant pour effet de réduire à zéro la marge latérale pour un abri d'auto. Sur le plan mathématique, il est difficile d'imaginer une dérogation plus grave ! Pourtant le Tribunal, après un examen détaillé des faits, conclut que le conseil pouvait valablement accorder la dérogation mineure et rejette l'action.

96 Cela signifie-t-il qu’une approche mathématique doit être systématiquement écartée ? Nous ne le croyons pas.

97 Dans Desautels c. Sainte-Anne-de-Sabrevoie46, le demandeur réclamait des dommages après qu'il eut érigé une maison sur un terrain de 16 000 pieds carrés alors que la superficie minimale devait être de 32 289 pieds carrés. Il reprochait à la municipalité de lui avoir délivré un permis de construire malgré la superficie dérogatoire de son terrain. En défense, la municipalité reprochait à Desautels de ne pas lui avoir demandé une dérogation mineure, qu'elle aurait manifes-tement octroyée. Le Tribunal a rejeté ce moyen, mettant notamment en doute le caractère mineur de la dérogation suggérée :

98 C'est la détermination de ce qu'est une dérogation mineure qui peut poser problème en certains cas. Ce qui est mineur dans une situation peut être majeur dans une autre.

99 En l'espèce, il ne s'agit pas ici de corriger une anomalie à une situation dérogatoire mais plutôt de littéralement mettre de côté les normes réglemen-taires. La Municipalité ne peut, par l'octroi d'une dérogation mineure, autoriser une superficie de terrain de 16 000 pi2 alors que la réglementation applicable requiert, pour la construction d'une maison, que cette superficie soit de 32 289 pi2. Si la Municipalité peut passer outre à son propre règlement en réduisant de cette façon la superficie minimale, on peut questionner quel était l'objet du

45 C.S. Québec, no 200-05-000899-877, le 4 mai 1989. 46 C.S. Iberville, no 755-05-000528-966, le 18 décembre 2001, J.E. 2002-419 (en

appel).

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règlement auquel on veut déroger et qui a prévu de façon expresse des superficies minimales qui n'ont aucune commune mesure avec celle que l'on veut valider par l'octroi de la dérogation.

100 […]

101 Dans les circonstances, la Municipalité ne peut reprocher à Desautels de douter du caractère mineur de la dérogation en cause ou de sa légalité si elle était accordée, non plus qu'elle est susceptible de lui conférer un droit incontestable. 47

102 Nous n'avons pas relevé d'autres jugements, relative-ment aux articles 145.1 et suivants LAU, où le Tribunal discute de l'approche mathématique afin de qualifier la dérogation. Toutefois, l'aspect mineur d'une dérogation fut discuté dans plusieurs jugements rendus en vertu des articles 227 LAU et suivants. Il est maintenant fermement établi, en jurisprudence, que les tribunaux peuvent exercer une discrétion judiciaire à l'égard des requêtes fondées sur ces articles et qui ont pour objet d'obtenir le respect de la réglementation d'urbanisme. Si, aux yeux du tribunal, la dérogation est mineure, il pourra alors refuser l'ordonnance recherchée48.

103 En analysant le caractère mineur ou majeur d'une dérogation, les tribunaux réfèrent souvent, entre autres, à la norme mathématique. Ainsi, dans l'arrêt Ibitiba, la MRC requérante reprochait à l'intimée d'avoir aménagé une voie de circulation qui ne respectait pas la distance minimale entre une route et un cours d'eau. Pour le juge Beaudoin, à l'opinion duquel ses collègues souscrivent, la violation n'est pas mineure notamment parce que « sur une longueur de route de 750,5 m, ce sont 42 % de celle-ci qui sont directement en contravention avec les normes imposées, soit 315 m qui longent le lac à une distance inférieure à 75 m »49.

104 Dans la décision Municipalité du canton de Wentworth c. Serre50, la municipalité a demandé la démolition d'un garage 47 Ibid, par. 26-30. 48 Legris c. Doucet (1986) 31 M.P.L.R. 317 (Que. C.A.); Ville de Pierrefonds c.

Pépinière de l'Ouest de l'Ile inc., J.E. 90-310 (C.A.); Boily c. Bélanger [1989] RJQ 512 (C.A.); Municipalité régionale de comté d'Abitibi c. Ibitiba ltée [1993] RJQ 1061 (C.A.). Voir pages 62 et suivantes.

49 Ibitiba, ibid, à la page 1069. 50 J.E. 94-1662 (C.S.), p. 8.

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construit à 1,15 m de la voie publique alors que le règlement exigeait une marge de recul avant de 10 m. Le Tribunal écrit :

105 À tout événement, la dérogation souhaitée était loin d'être mineure. Il y a une marge entre 1,15 m et 10 m. Une dérogation d'un mètre aurait sans doute été accordée par le conseil, un permis eut-il été émis à l'avance, mais une dérogation de 8,85 m ?

106 Plus près de nous, la Cour écrit, dans l'affaire Municipalité de Marieville c. Dufour51 :

107 Premièrement, la dérogation provoquée sciemment par l'intimé Dufour est loin d'être mineure. En effet, sa nouvelle construction empiète sur 3,65 m, soit plus de la moitié de la marge minimum de 7 m requise entre la façade principale de la maison mobile et la ligne la séparant de nos voisins.

108 Inversement, on peut lire, dans l'affaire Ville de Sainte-Catherine c. Gestion Seattle inc.52 :

109 S'il ne s'agissait que d'un empiétement restreint, de quelques centimètres, le Tribunal, exerçant sa discrétion, pourrait y voir une dérogation mineure. Cependant, il s'agit d'un empiétement important, d'environ 1 m.

110 Par contre, dans l'affaire Kaczynski c. Bernier53, la Cour supérieure a conclu qu'une dérogation de plus de 13 m, quant à la marge avant, était néanmoins mineure.

111 Il y a une similitude évidente entre l'analyse des tribunaux et celle d'un conseil municipal quant à la nature de la dérogation que l'on demande de tolérer ou d'accorder. Comme nous l'avons vu, les juges ne sont pas insensibles à l'approche mathématique. Elle ne peut, toutefois, à elle seule déterminer la conclusion du tribunal ou du conseil.

2. Le respect des objectifs du plan d’urbanisme

112 L'article 145.2 LAU dispose qu'une dérogation mineure au règlement de zonage et de lotissement doit respecter les objectifs du plan d'urbanisme. Il s'agit sans doute de la limite

51 REJB 2000-19673 (C.S.); pour un autre exemple de la même approche, voir

Ville de Boucherville c. Dessureault , J.E. 91-646 (C.S.). 52 J.E. 94-1663 (C.S.), désistement d'appel, 99-07-21, J.E. 1999-numéro 31. 53 J.E. 91-259 (C.S.).

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au pouvoir d'accorder des dérogations mineures qui est la plus méconnue des comités consultatifs d'urbanisme et des conseils municipaux ! De plus, c'est celle qui soulève sans doute le moins de débat, comme l'explique le professeur Giroux :

113 Ce critère est probablement le moins litigieux, car le plan d'urbanisme est en général formulé en termes généraux et ne descend pas au niveau des détails d'implantation comme le fait le règlement de zonage et, encore plus, la dérogation mineure. 54

114 On remarquera que la loi exige qu'une dérogation mineure respecte les objectifs du plan d'urbanisme. Cette exigence est moins stricte que si on imposait le respect intégral au plan.

115 Le contenu obligatoire d'un plan d'urbanisme relative-ment simple et ces objectifs n'ont pas à être expressément énoncés55. Ces objectifs pourront néanmoins être clairement énoncés dans le plan. À défaut, on les déduit à partir de l'ensemble des éléments du plan. Bref, on peut sans doute appliquer, par analogie, la règle énoncée à l'article 8 LAU quant aux objectifs d'un schéma d'aménagement :

116 Pour les fins de la présente loi, on entend par « objectifs d'un schéma d'aménagement » non seule-ment les intentions qui y sont prévues explicitement mais encore les principes découlant de l'ensemble de ces éléments.

3. Les zones de contrainte

117 Le deuxième alinéa de l'article 145.2 LAU dispose : 118 Aucune dérogation mineure ne peut être accordée

dans une zone où l'occupation du sol est soumise à des contraintes particulières pour des raisons de sécurité publique.

119 Cet alinéa a été ajouté à l'article 145.2 LAU en 1998, en même temps que le paragraphe 1.1 était ajouté au deuxième alinéa de l'article 6 LAU:

120 Le document complémentaire prévu au deuxième alinéa de l'article 5 peut :

54 Supra, note 14, 172. 55 Article 83 LAU.

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121 […]

122 1.1° prévoir, à l'égard d'un immeuble qu'il décrit et qui est situé dans une zone d'inondation, pour un usage du sol, une construction, un ouvrage ou une opéra-tion cadastrale qu'il précise, une dérogation à une prohibition ou à une règle imposée par application des paragraphes 1° et 3° du deuxième alinéa de l'article 5; […]

123 Les paragraphes 1 et 3 du deuxième alinéa de l'article 5 LAU se lisent comme suit :

124 Le schéma doit également comprendre un document complémentaire établissant des règles minimales qui obligent les municipalités dont le territoire est compris dans celui de la municipalité régionale de comté à :

125 1° adopter des dispositions réglementaires en vertu du paragraphe 16e ou 17e du deuxième alinéa de l'article 113 ou du paragraphe 3e ou 4e du deuxième alinéa de l'article 115;

126 […]

127 3° prévoir dans les dispositions réglementaires des règles au moins aussi contraignantes que celles établies dans le document complémentaire.

128 Les dispositions mentionnées au paragraphe 1 précité se lisent comme suit.

129 Article 113 LAU, deuxième alinéa : 130 Ce règlement peut contenir des dispositions portant

sur un ou plusieurs des objets suivants :

131 [...]

132 16° régir ou prohiber tous les usages du sol, constructions ou ouvrages ou certains d'entre eux, compte tenu, soit de la topographie du terrain, soit de la proximité d'un cours d'eau ou d'un lac, soit des dangers d'inondation, d'éboulis, de glissements de terrain ou d'autres cataclysmes, soit de tout autre facteur propre à la nature des lieux qui peut être pris en considération pour des raisons de sécurité publique ou de protection environnementale des rives, du littoral ou des plaines inondables; prévoir, à l'égard d'un immeuble qu'il décrit et qui est situé dans une zone d'inondation où s'applique une prohibition ou une règle édictée en vertu du présent paragraphe,

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une dérogation à cette prohibition ou règle pour un usage du sol, une construction ou un ouvrage qu'il précise;

133 […]

134 17° régir l'emplacement et l'implantation des maisons mobiles et des roulottes; […]

135 Article 115 LAU, deuxième alinéa : 136 Ce règlement de lotissement peut contenir des

dispositions sur un ou plusieurs des objets suivants :

137 [...]

138 3° prescrire la superficie minimale et les dimensions minimales des lots lors d'une opération cadastrale, compte tenu soit de la nature du sol, soit de la proximité d'un ouvrage public, soit de l'existence ou, selon le cas, de l'absence d'installations septiques ou d'un service d'aqueduc ou d'égout sanitaire;

139 4° régir ou prohiber toutes les opérations cadastrales ou certaines d'entre elles, compte tenu, soit de la topographie du terrain, soit de la proximité d'un cours d'eau ou d'un lac, soit des dangers d'inondation, d'éboulis, de glissements de terrain ou d'autres cataclysmes, soit de tout autre facteur propre à la nature des lieux qui peut être pris en considération pour des raisons de sécurité publique ou de protec-tion environnementale des rives, du littoral ou des plaines inondables; prévoir, à l'égard d'un immeuble qu'il décrit et qui est situé dans une zone d'inonda-tions où s'applique une prohibition ou une règle édictée en vertu du présent paragraphe, une déroga-tion à cette prohibition ou règle pour une opération cadastrale qu'il précise.

140 Il ressort de ce chapelet de dispositions législatives que le législateur a décidé, en 1998, de confier à la MRC la responsabilité de déterminer dans quel cas une dérogation à une norme de sécurité peut être accordée, dans une zone d'inondation56. En vertu de l'article 6, 1.1 LAU précité, une telle dérogation doit être accordée dans le document complémen-taire accompagnant le schéma.

56 Sous réserve, bien entendu, de la conformité du document complémentaire

aux orientations gouvernementales. Articles 53.7, 53.8, 56.14 et 56.15 LAU.

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141 Le deuxième alinéa de l'article 145.2 LAU, prohibant toute dérogation mineure « dans une zone où l'occupation du sol est soumise à des contraintes particulières pour des raisons de sécurité publique » est un corollaire de ce choix du législateur : le pouvoir d'accorder une dérogation étant confié à la MRC, il devait être retiré aux conseils locaux57. Le problème est qu'il a retiré aux conseils locaux plus de pouvoirs qu'il en a accordés aux conseils des MRC.

142 D'abord, le deuxième alinéa de l'article 145.2 LAU édicte une prohibition à l'égard de toute dérogation mineure. Aucune disposition des règlements de zonage et de lotissement ne peut donc faire l'objet d'une telle dérogation. Or, comme nous l'avons vu, la dérogation qui peut être prévue dans le document complémentaire au schéma d'aménagement ne vise que les règles contenues aux paragraphes 16 ou 17 du deuxième alinéa de l'article 113 LAU ou aux paragraphes 3 ou 4 du deuxième alinéa de l'article 115 LAU. Par conséquent, dans une zone visée par l'article 145.2 LAU, il n'existe aucun mécanisme de dérogation aux règles imposées par d'autres paragraphes des articles 113 ou 115 LAU comme, par exemple, celles relatives à l'architecture ou à l'apparence extérieure des constructions ou encore à la superficie ou aux dimensions d'un lot.

143 D'autre part, la prohibition édictée par le deuxième alinéa de l'article 145.2 LAU s'étend à toute zone « où l'occupation du sol est soumise à des contraintes particulières pour des raisons de sécurité publique ».

144 Ces « raisons de sécurité publique » sont variées. Les articles suivants de la LAU nous en donnent des exemples.

145 Article 5 : 146 Le schéma d'aménagement doit, à l'égard du

territoire de la municipalité régionale de comté :

147 […]

148 4o déterminer toute zone où l'occupation du sol est soumise à des contraintes particulières pour des raisons de sécurité publique, telle une zone d'inon-dation, d'érosion, de glissement de terrain ou d'autres cataclysmes […]

57 Pour plus d'information sur l'historique de ces modifications législatives, voir:

ministère des Affaires municipales, Muni-Express, numéro 5, 11 mai 1999.

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149 Article 113 LAU, deuxième alinéa : 150 Ce règlement peut contenir des dispositions portant

sur un ou plusieurs des objets suivants :

151 […]

152 16o régir ou prohiber tous les usages du sol, constructions ou ouvrages, ou certains d'entre eux, compte tenu […] soit des dangers d'inondation, d'éboulis, de glissement de terrain ou d'autres cataclysmes, soit de tout autre facteur propre à la nature des lieux qui peut être pris en considération pour des raisons de sécurité publique […]

153 Le quatrième paragraphe du deuxième alinéa de l'article 115 LAU reprend ce dernier texte, mais à l'égard des opérations cadastrales.

154 Les contraintes réglementaires peuvent donc être reliées à différentes « raisons de sécurité publique ». Or, ce n'est qu'à l'égard des zones d'inondation que le schéma d'aménagement peut prévoir une dérogation. Il faut donc conclure que, dans les parties de territoire où des contraintes sont imposées pour des raisons d'éboulis, d'érosion, de glissement de terrain ou d'autres cataclysmes, aucune dérogation n'est possible, que ce soit par l'entremise du document complémentaire au schéma d'aménagement ou d'une dérogation mineure accordée par le conseil local.

155 Par ailleurs, le deuxième alinéa de l'article 145.2 LAU prohibe toute dérogation mineure dans une zone où l'occu-pation du sol est soumise à des contraintes. Faut-il donner au mot « zone » sa signification habituelle ? La difficulté est que les contraintes imposées pour des raisons de sécurité publique couvrent des parties de territoire qui, souvent, ne correspon-dent pas aux limites d'une zone créée en vertu du paragraphe premier du deuxième alinéa de l'article 113 LAU :

156 [Le règlement de zonage] peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs des objets suivants :

157 1° pour fins de réglementation, classifier les constructions et les usages et, selon un plan qui fait partie intégrante du règlement, diviser le territoire de la municipalité en zones […]

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158 Faut-il conclure que la prohibition du second alinéa de l'article 145.2 LAU s'appliquerait à l'ensemble d'une zone même si une partie de celle-ci n'est assujettie à aucune contrainte puisque, par exemple, il n'y a aucun risque de glissement de terrain ? Nous ne le croyons pas. Le mot « zone », tel qu'employé à l'article 145.2 LAU, devrait être interprété à la lumière du sixième alinéa de l'article 113 et du troisième alinéa de l'article 115 LAU. Le premier se lit comme suit :

159 Pour l'application du paragraphe 16o ou 16.1o du deuxième alinéa, le règlement de zonage peut, de façon particulière, diviser le territoire de la municipalité, […]

160 Le troisième alinéa de l'article 115 LAU, pour sa part, dispose :

161 Pour l'application du paragraphe 4o ou 4.1o du deuxième alinéa, le règlement de lotissement peut, de façon particulière, diviser le territoire de la municipalité, […]

162 Il est courant de référer à des « zones d'inondation », « zones d'éboulis », etc., qui sont distinctes des zones appa-raissant au plan de zonage et ayant pour but de regrouper, sur les différentes parties du territoire, des usages semblables. Comme nous l'avons vu, le législateur lui-même utilise les mots « zones d'inondation, d'érosion, de glissement de terrain ou d'autres cataclysmes »58. C'est à ces parties de territoire que la prohibition du deuxième alinéa de l'article 145.2 LAU doit s'appliquer. Nous croyons que c'est l'interprétation conforme à l'objet de cet article.

163 Enfin, une dernière remarque s'impose. Nous avons vu, dans les dispositions législatives précitées, que le législateur a clairement distingué entre les contraintes imposées pour des raisons de sécurité publique et celles qui sont imposées pour des raisons de protection environnementale des rives, du littoral et des plaines inondables. Or, la prohibition contenue au deuxième alinéa de l'article 145.2 LAU ne vise que les premières. Cela signifie donc qu'une dérogation mineure peut être accordée à l'égard des dispositions réglementaires

58 Article 5, al. 1, par. 4 LAU; voir également l’article 6, al. 3, par. 1.1 LAU.

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imposant des contraintes pour des raisons de protection environnementale.

4. Le préjudice sérieux

164 En vertu du deuxième alinéa de l'article 145.4 LAU, « la dérogation ne peut être accordée que si l'application du règlement a pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui la demande ».

165 En dictant cette exigence, le législateur indique clairement que l'octroi d'une dérogation mineure ne doit pas être un acte de complaisance. Non seulement l'application du règlement doit-elle causer un préjudice au requérant, mais encore faut-il que ce préjudice soit sérieux.

166 Les professeurs Duplessis et Hétu écrivent : 167 De plus, l'application du règlement doit avoir pour

effet de causer un préjudice sérieux au demandeur. Partant, nous sommes d'avis qu'une demande de dérogation sera refusée, à moins de circonstances exceptionnelles, lorsqu'une personne peut donner suite à son projet de construction ou de lotissement tout en se conformant à la réglementation municipale applicable en matière de zonage et de lotissement et que la dérogation n'est sollicitée que pour une question de commodité, de convenance ou de caprice. En d'autres termes, lorsqu'une demande peut respecter la réglementation municipale, elle doit s'y soumettre et la demande de dérogation doit être rejetée.59

168 Me Lechasseur partage la même opinion60.

169 Il est exact qu'une dérogation mineure ne doit pas être accordée uniquement pour un motif de commodité. Ainsi, un conseil municipal ne devrait pas accorder une dérogation mineure à un amateur de mécanique automobile qui désirerait construire un garage privé d'une superficie plus grande que celle autorisée par règlement, uniquement pour pouvoir mieux se consacrer à son loisir préféré. Par contre, nous ne croyons pas que l'affirmation finale des professeurs Duplessis et Hétu doive être prise à la lettre. Le législateur n'exige pas, pour qu'une dérogation puisse être octroyée, qu'il soit absolument 59 Supra, note 24, page 235. 60 Loi sur l'aménagement et l'urbanisme annotée, supra, note 26, page 1714.

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impossible de se conformer au règlement. Il suffit que l'application du règlement cause un préjudice sérieux au demandeur.

170 Dans l'affaire Auger c. Ville de Lévis61, le Tribunal réfère à ce critère. Le demandeur recherchait l'annulation de la résolution du conseil municipal accordant une dérogation mineure au mis-en-cause Lemelin. Cette dérogation régulari-sait la construction d'un abri d'auto à la limite du terrain du demandeur, ce qui contrevenait à la norme réglementaire qui prévoyait une marge de trois pieds. Le Tribunal rejeta l'action et écrivit, notamment :

171 En somme, si le mis-en-cause se devait de respecter la marge de recul de trois pieds, il lui faudrait entre-prendre des travaux majeurs dont une des consé-quences pourrait être de ne plus avoir d'abri de ce côté, et les modifications qu'il aurait ainsi apportées à sa propriété lui causerait un préjudice sérieux.62

172 La démonstration du préjudice repose entièrement sur les épaules du demandeur et c'est, bien entendu, au conseil municipal qu'il revient d'apprécier si ce critère est respecté.

5. L’atteinte à la jouissance du droit de propriété des immeubles voisins

173 L'article 145.4 LAU, in fine, dispose : 174 [La dérogation mineure] ne peut non plus être

accordée si elle porte atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété.

175 Cette limite peut sembler étonnante.

176 Le droit de propriété est défini au premier alinéa de l'article 947 du Code civil du Québec :

177 La propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer librement et complètement d'un bien, sous réserve des limites et des conditions d'exercice fixées par la loi.

178 Le Code énonce, de plus, une règle générale relative aux relations entre voisins :

61 Supra, note 45. 62 Ibid, page 26.

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179 [Art. 976] Les voisins doivent accepter les inconvé-nients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds ou suivant les usages locaux.

180 Enfin, une série de dispositions particulières régissent les droits et obligations des voisins en matière de bornage63, des eaux64, des arbres65, de l'accès au fond d'autrui et de sa protection66, des vues67, du droit de passage68 et des clôtures et des ouvrages mitoyens69.

181 On voit donc que le Code civil du Québec définit le droit de propriété et instaure un régime encadrant les relations entre voisins. Nul ne prétend que le pouvoir d'accorder une déroga-tion mineure à certains règlements municipaux emporte celui d'autoriser une dérogation à d'autres dispositions législatives ou réglementaires, tels ces articles du Code civil du Québec. Dans ces conditions, quelle est l'utilité de l'article 145.4 LAU in fine ?

182 En pratique, nous soupçonnons que les CCU et conseils municipaux appliquent ce critère en fonction de la nuisance aux propriétés voisines. Ils ont tendance à refuser une demande de dérogation qui cause des inconvénients aux voisins et ce, même s'il ne s'agit pas d'une atteinte au droit de propriété de ces derniers ou un inconvénient intolérable au sens de l'article 976 C.c.Q. Bref, ils se posent la question suivante : la dérogation affectera-t-elle le bénéfice que tirent les voisins du règlement de zonage ou de lotissement ? Par exemple, est-ce qu'elle obstruera leur vue sur un magnifique panorama, alors que les règles d'implantation du règlement de zonage la protègent ? En l'absence de la servitude appropriée ou d'abus de droit, la protection d'un tel panorama ne fait pourtant pas partie des accessoires du droit de propriété.

63 Articles 977-978 C.c.Q. 64 Articles 979-983 C.c.Q. 65 Articles 984-986 C.c.Q. 66 Articles 987-992 C.c.Q. 67 Articles 993-996 C.c.Q. 68 Articles 997-1001 C.c.Q. 69 Articles 1002-1008 C.c.Q.

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183 Nous croyons que cette interprétation de l'article 145.4 LAU, qui s'éloigne un peu d'une lecture littérale, est la bonne.

184 L'affaire Auger c. Ville de Lévis70 donne un exemple d'un inconvénient causé par une dérogation mineure, mais qui n'équivaut pas à une atteinte à la jouissance du droit de propriété :

185 Il n'en demeure pas moins que l'herbe susceptible de jaunir et l'esthétique ne nous apparaissent pas porter atteinte à la jouissance du demandeur. Certainement pas au point d'équivaloir au préjudice sérieux que peut subir le mis-en-cause. 71

186 C'est sans doute à l'égard de ce critère que la réaction des voisins, s'il en est, à la suite de la publication de l'avis relatif à la demande de dérogation mineure72, a le plus d'impact. Toutefois, cette réaction ne fait pas foi, à elle seule, du respect de cette condition :

187 Il appartiendra aux conseils et aux comités de déterminer si le poids de la dérogation aura pour effet de porter atteinte à la jouissance du droit de propriété des propriétaires des immeubles voisins. En d'autres termes, le silence des voisins ou le fait qu'ils ne contestent pas la demande de dérogation n'implique pas qu'elle devrait être accordée. Dans les faits, il s'agira pour eux de juger de la qualité des arguments des voisins sur leur opposition à la demande de dérogation plutôt que de simplement additionner le nombre de voisins qui s'y opposent.73

188 Quels sont les immeubles voisins de celui du requérant ? Le dictionnaire Petit Larousse définit l'adjectif « voisin » comme « situé à faible distance ». Duplessis et Hétu écrivent :

189 Quand le législateur mentionne les propriétaires des immeubles voisins, réfère-t-il aux voisins immédiats ? Nous ne le croyons pas. Selon nous, sont visés tous

70 Supra, note 45. 71 Ibid, page 27. 72 Article 145.6 LAU. 73 DUPLESSIS et HÉTU, supra, note 24, p. 237, art. 428, cité dans Lis c. Kemeny,

J.E. 96-2013 (C.S.), p. 10.

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ceux qui sont susceptibles d'être directement affectés si le conseil accorde la dérogation. 74

190 Giroux75 et Lechasseur76 abondent dans le même sens. Cette interprétation nous semble conforme à l'intention du législateur. On ne verrait pas pourquoi les propriétaires qui ne sont pas immédiatement voisins du requérant devraient être moins protégés que ceux qui le sont.

191 Dans l'affaire Carter Fraser Entreprises inc . c. Mont-Tremblant (Ville de)77, le Tribunal a conclu qu'une des deman-deresses n'était pas propriétaire d'un immeuble voisin et qu'il ne pouvait y avoir atteinte à la jouissance de son droit de propriété puisque sa résidence était séparée par une vingtaine de propriétés du terrain faisant l'objet de la dérogation mineure. La distance entre les deux immeubles était d'environ deux kilomètres et ils ne se trouvaient pas dans des zones contiguës. Enfin, la partie demanderesse n'occupait pas elle-même cette résidence78.

192 Enfin, dans l'affaire Auger c. Ville de Lévis79, le Tribunal a eu l'occasion de rappeler que le conseil municipal n'a pas à examiner d'autres types d'atteinte que celle à la jouissance du droit de propriété. Dans cette affaire, le demandeur recherchait l'annulation d'une résolution accordant une dérogation mineure ainsi qu'une condamnation à des dommages. En accordant la dérogation mineure, soit la réduction à zéro de la marge latérale d'un abri d'auto, le conseil municipal régularisait une situation qui perdurait depuis de nombreuses années et qui avait engendré un conflit entre deux voisins immédiats. Le Tribunal écrivit :

193 Nous n'avons pas tenu compte, dans l'appréciation de l'atteinte à la jouissance du demandeur, de certains ennuis pour lesquels il réclame des domma-ges comme par exemple, la perte de sommeil qui est un élément qui n'est pas relié directement au droit de propriété et reste sujet à une appréciation. Nous

74 Supra, note 24, page 236. 75 Supra, note 14, page 173. 76 Les règlements à caractère discrétionnaire en vertu de la Loi sur

l'aménagement et l'urbanisme, supra, note 26, page 231. 77 Supra, note 31. 78 Ibid, par. 16. 79 Supra, note 45.

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n'avons pas non plus considéré d'autres éléments du même genre telles que les démarches qu'il a entreprises, d'autant plus que celles -ci se situent véritablement seulement à compter de 1983. 80

6. Travaux en cours ou déjà exécutés

194 Le législateur a expressément prévu qu'une dérogation mineure pouvait régulariser des travaux en cours ou déjà exécutés :

195 La résolution peut aussi avoir effet à l'égard de travaux en cours ou déjà exécutés, dans le cas où ces travaux ont fait l'objet d'un permis de construction et ont été effectués de bonne foi.81

196 Ainsi, la possibilité de régulariser les travaux en cours ou déjà exécutés n'est pas offerte à des citoyens négligents ainsi qu'à ceux qui entendent mettre la municipalité devant un fait accompli.

197 La première condition est claire et facilement vérifiable : le permis de construction doit avoir été émis. Au cas contraire, l'irrégularité peut sans doute être tolérée, mais pas régularisée. L'affaire Municipalité du canton de Wentworth c. Serre82 offre un exemple d’application stricte de cette condition. Rappelons que la municipalité requérante demandait à la Cour supérieure d’ordonner la démolition d’un garage privé construit, sans permis, à 1,15 mètre de la voie publique. Le règlement exigeait une marge de recul avant de 10 mètres. La preuve révéla que, compte tenu de la topographie du terrain, il était impossible de construire un garage ailleurs. Suivant l’intimée, le garage fut construit sans permis car il était urgent d’abriter l’auto pour l’hiver puisqu’elle et son mari quittaient pour la Floride. Elle présenta une demande de dérogation mineure qui fut refusée puisque la marge de recul demandée, dans ce cas, « ne [tombait] pas dans l’ordre d’une dérogation mineure »83.

198 L’ensemble des circonstances rendait la cause de l’intimée sympathique. Toutefois, le Tribunal estima qu’il n’avait

80 Ibid, pages 27 et 28. 81 Article 145.5 LAU. Pour un exemple de l'application de cet article, voir Auger

c. Ville de Lévis, supra, note 45. 82 Supra, note 50. 83 Ibid, page 5.

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pas le choix, notamment parce qu’un permis n’avait pas été émis :

199 Il est certain que le refus du conseil d’accorder une dérogation mineure cause un préjudice sérieux à l’intimée. De plus, il semble évident que la dérogation ne porterait pas atteinte à la jouissance des propriétaires des immeubles voisins.

200 Mais hélas, l’article 145.5 est sans détour : « A défaut d’avoir obtenu un permis de construction et d’établir leur bonne foi », l’intimée et son époux ne peuvent réclamer avec succès cette dérogation même si l’évaluateur municipal a taxé le garage aux fins d’évaluation municipale tel qu’il appert des docu-ments produits à l’audience. 84

201 La seconde condition est que les travaux aient été effectués de bonne foi. Plus difficilement vérifiable que la première, elle vise à éviter que le conseil soit mis devant un fait accompli. Sans elle, le propriétaire de mauvaise foi pourrait obtenir un permis de construction puis y déroger sciemment, comptant sur le fait que le conseil municipal trouvera plus commode d’accorder la dérogation.

202 Dans l'affaire Marceau Grimard c. Ville de Mont-Saint-Hilaire et als85, le Tribunal a distingué les faits de ceux mis en preuve dans l'affaire Wentworth :

203 Dans le présent dossier, M. Cholette a exécuté les travaux de fondation du garage après que le Conseil eut approuvé les plans qu'il avait soumis conformé-ment au règlement sur les PIIA et il les a interrompus dès que l'inspecteur lui a signifié une contravention le 15 septembre 2000.

204 Selon son témoignage, les travaux de remblaiement qui furent exécutés le 16 septembre n'avaient pour but que de sécuriser l'emplacement dans l'attente d'une décision sur la demande de dérogation présentée le 7 septembre. 86

84 Ibid, page 7. 85 C.S. Saint-Hyacinthe, no 750-05-001907-004, 12 août 2002. 86 Ibid, par. 132-133.

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205 L’article 2805 C.c.Q. dispose : « La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n’exige expressément de la prouver ».

206 L’article 145.5 LAU ne contient pas une telle exigence expresse. En principe, donc, le demandeur devrait bénéficier de cette présomption. En pratique, le conseil municipal devrait utiliser sa discrétion quant à l’octroi de la dérogation pour exiger la démonstration de la bonne foi. Cette démonstration peut plus particulièrement être effectuée au moyen du témoignage d’un tiers comme par exemple l’entrepreneur ou l’arpenteur-géomètre dont l’erreur est à l’origine de la contra-vention réglementaire. À défaut d’une telle démonstration, le conseil municipal devrait refuser d’octroyer la dérogation.

207 Comme le fait remarquer le professeur Giroux, le conseil peut octroyer une dérogation mineure dans le cas d’une irrégularité protégée par droits acquis :

208 On remarquera de plus que rien dans ces dispositions n’empêche, si les conditions prévues à l’article 145.5 LAU sont respectées, qu’une déroga-tion mineure soit accordée pour rendre conforme le bâtiment non conforme et protégé par des droits acquis. Il doit s’agir cependant d’une non-conformité à l’égard d’une norme autre qu’une norme d’usage ou de densité. 87

209 Dans un tel cas, l’octroi d’une dérogation mineure n’a pas pour but de régulariser une contravention au règlement puisque l’immeuble est déjà protégé par des droits acquis. L’avantage gagné est plutôt de cristalliser, de façon publique et officielle, ce droit acquis. La légalité de la situation, malgré l’apparente contravention réglementaire, deviendra facilement démontrable et, partant, incontestable.

210 Enfin, le Tribunal a décidé, dans Desautels c. Sainte-Anne-de-Sabrevoie88 qu'une municipalité ne peut utiliser la dérogation mineure uniquement pour régler le problème créé par la délivrance illégale d'un permis de construction. La juge écrit :

211 En droit administratif, il est acquis que l'autorité doit se servir de ses pouvoirs, surtout de ceux qui sont

87 Supra, note 14, page 183. 88 Supra, note 46.

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extraordinaires par nature, pour les seules fins prévues par le législateur et non pour des fins personnelles ou d'expédients, ou pour des fins contraires au but immédiat du statut.

212 Or, il appert au Tribunal que la Municipalité suggère à Desautels d'utiliser la dérogation mineure pour contourner le plan et les règlements d'urbanisme dans le but d'uniquement solutionner la problémati-que créée par la délivrance illégale des permis par [l'inspecteur] Dufresne.

213 Dans les circonstances, la Municipalité ne peut reprocher à Desautels de douter du caractère mineur de la dérogation en cause ou de sa légalité si elle était accordée, non plus qu'elle est susceptible de lui conférer un droit incontestable.

214 Desautels n'avait pas l'obligation, comme condition préalable à l'exercice de son recours en dommages, de présenter une telle demande, compte tenu notamment de l'incertitude potentielle qui résulterait de son octroi.89

215 Nous croyons que cette affirmation péremptoire doit être nuancée. Comme nous l'avons mentionné plus haut90, la dérogation envisagée (un terrain d'une superficie de 16 000 pieds carrés alors que la norme minimale est de 32 289 pieds carrés) était importante et son caractère mineur pour le moins contestable. Par contre, nous ne voyons rien dans les articles 145.1 et suivants LAU qui empêche une municipalité d'octroyer une dérogation lorsque toutes les conditions légales, y compris son caractère mineur, sont intégralement respectées, simplement parce qu'il s'agit là d'un moyen de corriger l'erreur commise par un fonctionnaire lors de la délivrance du permis.

216 En d'autres termes, si la dérogation mineure permet de corriger l'erreur du propriétaire ou de son entrepreneur qui, par exemple, calcule erronément la marge de recul au moment de la construction, pourquoi ne pourrait-elle pas permettre de réparer également l'erreur commise par un fonctionnaire municipal ? Nous croyons donc que les deux véritables questions qui se posaient dans l'affaire Desautels étaient : la dérogation souhaitée par la Municipalité aurait-elle été mineure

89 Ibid, par. 28, 31. 90 Pages 348 et 349 du présent texte.

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et, d'autre part, peut-on reprocher à un propriétaire de ne pas présenter de demande à cet effet même si la Municipalité est prête à y faire droit ?

7. Avis préalable du comité consultatif d’urbanisme

217 Le premier alinéa de l’article 145.7 LAU dispose : « Le conseil rend sa décision après avoir reçu l’avis du comité consultatif d’urbanisme ».

218 Voilà pourquoi le législateur a prévu, à l’article 145.1 LAU, que le conseil d’une municipalité doté d’un comité consultatif d’urbanisme peut adopter un règlement sur les dérogations mineures.

219 Comme son nom l’indique, le rôle du comité est essentiellement consultatif. Bien qu’essentiel à la validité de la décision du conseil, son avis ne lie pas ce dernier91.

8. Procédure

220 La procédure applicable à une demande de dérogation mineure se trouve dans le règlement adopté par le conseil92 ainsi qu'à l'article 145.6 LAU :

221 Le greffier ou le secrétaire-trésorier de la municipalité doit, au moins quinze jours avant la tenue de la séance où le conseil doit statuer sur la demande de dérogation mineure, faire publier, aux frais de la personne qui demande la dérogation, un avis confor-mément à la loi qui régit la municipalité.

222 L'avis indique la date, l'heure et le lieu de la séance du conseil et la nature et les effets de la dérogation demandée. Cet avis contient la désignation de l'im-meuble affecté en utilisant la voie de circulation et le numéro d'immeuble ou, à défaut, le numéro cadastral et mentionne que tout intéressé peut se faire enten-dre par le conseil relativement à cette demande.

223 Les personnes intéressées ont donc le droit d'être consultées. Bien que leur influence politique soit indéniable, rien n'oblige le conseil à donner suite à leurs représentations. Les élus demeurent les ultimes juges de l'opportunité de la demande.

91 Carter Fraser Entreprises c. Mont-Tremblant (Ville de), supra, note 31. 92 Article 145.3, par. 3 LAU.

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224 Dans le cadre du présent texte, nous n'analyserons pas les conséquences du défaut de respecter la procédure puisque les principes applicables ne sont pas spécifiques au régime de dérogation mineure93.

9. Dérogations conditionnelles

225 Il peut être tentant pour un conseil municipal d’assortir l’octroi d’une dérogation mineure de certaines conditions. Ainsi, le conseil pourrait être d’accord pour réduire la marge latérale d’une construction, dans la mesure toutefois où l’inconvénient causé est atténué par l’implantation et le maintien d’une haie opaque et d’une certaine hauteur.

226 L’article 145.4 LAU donne au conseil municipal le pouvoir d’accorder une dérogation mineure. Il n’est nullement fait mention du pouvoir d’y greffer des conditions. Le conseil ne peut donc qu’accorder le droit d’enfreindre le règlement, sans plus. Les auteurs s’entendent sur ce point94.

227 On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure une dérogation à laquelle le conseil juge nécessaire de greffer d’une condition est véritablement mineure. Comme dans l’exemple ci-haut, la condition visera normalement à atténuer les effets de la dérogation. Dès lors, cette dernière ne porte-t-elle pas atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété ? Une dérogation véritablement mineure et qui respecte les conditions imposées par le législateur ne devrait pas nécessiter qu’on y greffe des éléments atténuateurs.

228 Il faut également voir que l’ajout de conditions entraîne l’obligation, pour la municipalité, d’assurer leur respect. Se rappellera-t-on véritablement, 10 ou 15 ans plus tard, de ces conditions même si elles apparaissent dans une résolution du conseil ?

229 En somme, bien que l’ajout de conditions à une dérogation mineure puisse paraître commode dans certains

93 Voir notamment, à ce sujet, ROUSSEAU , Gilles, « Le vice de forme et le droit

municipal », (1982) C.D. 407; LAURIN , Pierre, « Les règlements municipaux d'urbanisme : certains problèmes de procédures », Développements récents en droit municipal (1997), Les Éditions Yvon Blais inc., Cowansville, page 267.

94 GIROUX, supra, note 14, page 184; DUPLESSIS et HÉTU, supra, note 24, page 238.

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cas, nous ne croyons pas que le conseil puisse ainsi créer, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir en matière de dérogations mineures, une série de règles sur mesure.

230 En terminant, il convient de commenter l’arrêt Saint-Léonard de Portneuf (Corporation municipale) c. Girard95. Dans cette affaire, la municipalité s’était engagée, après qu’une construction ait été érigée sans permis, à accorder une déroga-tion mineure à deux conditions : la production d’un rapport d’ingénieur attestant que la capacité de support du terrain était suffisante pour recevoir le bâtiment érigé et la production d’un certificat de localisation. Estimant que ces conditions n’avaient pas été respectées, la municipalité refusa d’accorder la déroga-tion, d’où requête en mandamus. La Cour supérieure donna raison au propriétaire et la Cour d’appel confirma ce jugement, affirmant que le propriétaire avait respecté les conditions.

231 Comme on peut le constater, la situation est différente de celle que nous venons de discuter. En l’espèce, les condi-tions imposées par la Ville étaient préalables à la dérogation. Il ne s’agissait pas de conditions qui viennent se greffer à la dérogation elle-même et qui constituent, dans les faits, des normes urbanistiques particulières. On ne saurait donc invoquer l’arrêt Saint-Léonard de Portneuf à l’appui de la position suivant laquelle une dérogation mineure peut être assortie de telles conditions.

D. Contrôle judiciaire

1. Jurisprudence et doctrine

232 L’examen du pouvoir conféré au conseil municipal par les articles 145.1 et suivants LAU suscite inévitablement la question du contrôle judiciaire de ce pouvoir. Il y a peu de décisions portant spécifiquement sur cette question. Cela est possiblement dû au fait qu’une dérogation mineure, par définition, pose rarement un problème justifiant un débat judiciaire. Il faut dire, toutefois, que les tribunaux se sont montrés jusqu’à maintenant fort peu accueillants pour ceux qui ont voulu contester la décision d’un conseil municipal en matière de dérogations mineures.

95 C.A.Q. no 200-09-000707-965, 16 avril 1997, REJB 1997-00666, conf. Girard

c. Linteau, J.E. 96-404 (C.S.)

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233 La décision fondamentale est certes le jugement rendu dans l’affaire Centre d’accueil Deauville inc. c. Deauville, (Corp. du village de)96.

234 Il s’agit d’une requête en mandamus. La requérante avait entrepris des travaux d’agrandissement d’un édifice après avoir dûment obtenu un permis de construction. Lorsque les fondations de l’agrandissement furent complétées et la cons-truction passablement avancée, un certificat de localisation révéla que la marge de recul était inférieure à la norme réglementaire. La requérante présenta alors une demande de dérogation mineure visant à corriger la situation. Cette demande fut rejetée, d’où la requête en mandamus.

235 Le juge Tôth détermina d’abord que le pouvoir d’accorder une dérogation mineure est discrétionnaire et non pas lié. Il écrivit :

236 Pour décider s’il s’agit de pouvoir discrétionnaire ou de pouvoir lié, il faut rechercher l’intention du législateur. Certes la loi prévoit certaines limites à la discrétion (usage et densité d’occupation du sol, atteinte à la jouissance par les propriétaires des immeubles voisins, objectifs du plan d’urbanisme) et est subordonnée à la condition que le requérant en dérogation souffre un préjudice sérieux par l’appli-cation du règlement de zonage. A l’intérieur de ces limites, le pouvoir du conseil est discrétionnaire et ceci de par la nature même du pouvoir que le législateur a jugé bon de conférer aux corporations municipales. Cette discrétion, sauf le cas de violation de la loi, d’abus ou de fraude, échappe au contrôle des tribunaux.97

237 Puis le juge précise : 238 Si une dérogation de 1,7 mètre sur 12 (14 %)

constitue ou non une dérogation mineure ou plutôt majeure, si une telle dérogation nuit ou non aux voisins sont des questions de faits dont la constata-tion et leur appréciation dans leur contexte sont du ressort du pouvoir discrétionnaire du conseil munici-pal et ne sont pas susceptibles d’être révisés par la Cour supérieure.

96 1988 R.D.I. 347 (C.S.), appel rejeté sur requête, 10 août 1990. 97 Ibid, page 349.

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239 [...]

240 C’est une règle bien établie que les tribunaux ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organis-me désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que le Tribunal aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombée. 98

241 Cette décision fut citée avec approbation par la Cour supérieure dans les affaires 151951 Canada inc. c. Val des Monts (Municipalité de)99, et Lis c. Kemeny100.

242 Sans référer à l’affaire Deauville, le jugement rendu dans Auger c. Lévis101, rejette une action en annulation d’une résolution accordant une dérogation mineure et, ce faisant, applique une norme de contrôle élevée :

243 Il nous apparaît que le conseil municipal qui avait lui aussi discrétion pour agir, a eu l’occasion de peser le pour et le contre en fonction de ce que le règlement qu’il avait adopté exigeait, lequel est basé sur la loi elle-même. C’est ainsi qu’il s’est arrêté au préjudice et à l’atteinte de la jouissance du droit de propriété ainsi qu’aux autres éléments que nous avons déjà analysés avant d’atteindre sa conclusion qu’il pouvait accorder la dérogation, de sorte que nous considé-rons qu’il n’y a pas lieu d’intervenir dans la décision qui a été prise, laquelle ne nous apparaît pas déraisonnable. En somme, ceci nous fait un peu penser à une évocation.102

244 Peu après la publication du jugement dans l’affaire Deauville, le professeur Giroux écrivait :

245 Il nous apparaît évident que le conseil municipal exerce un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il décide d’une demande de dérogation mineure et que c’est à lui et non à la Cour supérieure que le législateur a confié l’appréciation des critères prévus à la loi.

246 De plus, […] ce n’est pas parce que le Tribunal aurait exercé différemment la discrétion que le législateur a

98 Ibid, page 350. 99 Supra, note 22. 100 Supra, note 73. 101 Supra, note 45. 102 Idem, pages 29-30.

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confié au conseil municipal qu’il peut alors intervenir. 103

247 En somme, les tribunaux ont rejeté toute tentative de contester la décision d’un conseil municipal relativement à l’octroi d’une dérogation mineure.

248 Malgré cette fermeture jurisprudentielle, les auteurs affirment qu’il peut y avoir un contrôle judiciaire de diverses facettes d’une décision accordant une dérogation mineure. Le professeur Giroux écrit :

249 Pour ces motifs, nous sommes d’avis que, même si la loi confie au conseil municipal l’appréciation des critères prévus aux dispositions de la LAU sur les dérogations mineures, même si le conseil municipal jouit d’une grande discrétion dans l’appréciation et même si les tribunaux ne peuvent substituer leur jugement à celui du conseil municipal sur une question d’opportunité, les dispositions actuelles de la LAU démontrent que c’est l’intention du législateur de laisser le contrôle judiciaire s’exercer sur une décision d’un conseil municipal accordant une dérogation mineure. Ce contrôle peut s’exercer sur le caractère mineur de la dérogation ainsi que sur les critères prévus à la loi104.

250 Les professeurs Duplessis et Hétu sont d’accord : 251 Il ressort de [la décision du Centre d’accueil Deauville

inc.] que le conseil devra agir à l’intérieur de certaines limites à défaut de quoi les tribunaux pourront intervenir pour exercer leur pouvoir de surveillance et de contrôle en regard d’une résolution du conseil municipal qui accorde ou rejette une demande de dérogation mineure. C’est d’ailleurs l’opinion, à laquelle nous souscrivons, de notre collègue le professeur Lorne Giroux […]105

252 La Cour suprême du Canada a toutefois rendu plusieurs arrêts, ces dernières années, relatifs à la grille d’analyse applicable par les tribunaux à l’égard des décisions de l’administration106. Nous analyserons, dans les lignes qui

103 Supra, note 14, pages 177-178. 104 Idem, page 183. 105 Supra, note 24, page 240. 106 Voir notamment Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de

l’Immigration) [1998] 1 R.C.S. 982; Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817;

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suivent, le contrôle du pouvoir municipal en matière de dérogation mineure à la lumière des principes qui se dégagent de cette jurisprudence.

2. Grille d’analyse et application aux municipalités

253 Dans l’arrêt récent Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature)107, le juge Arbour résume bien l’approche qu’adopte la Cour suprême en matière de révision judiciaire :

254 37. Dans ses arrêts, la Cour en est venue à adopter une approche pragmatique et fonctionnelle quant à la détermination de la norme de révision applicable, approche qui met l’accent sur la question fondamentale que le juge Spinka a clairement formulée dans Pasiechnyk c. Saskatchewan (Worker’s Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890, par. 18:

255 La question soulevée par la disposition est-elle une question que le législateur voulait assujettir au pouvoir décisionnel exclusif de la Commission?

256 […]

257 38. Cette approche pragmatique et fonctionnelle donne lieu à un spectre de degrés de retenue requis. Comme le dit le juge Bastarache dans l’arrêt Pushpanathan, précité, par. 27, au sujet de l’arrêt Southam, précité, par. 30 :

258 Traditionnellement, la norme de la « décision correcte » et la norme du « caractère mani-festement déraisonnable » étaient les deux seules méthodes à la disposition de la Cour appelée à exercer le contrôle judiciaire. Mais dans [Southam], la norme de la « décision raisonnable simpliciter » a été appliquée, étant jugée la plus fidèle à l’intention du législateur quant à la compétence conférée au tribunal. En effet, la Cour a affirmé que

Nanaimo (Ville de ) c. Rascal Trucking Ltd, [2000] 1 R.C.S. 342; Centre hospitalier Mont-Sinaï c . Québec (Ministre de la Santé et des Services Sociaux) [2000]; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CSC 3; Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11.

107 Ibid.

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l’éventail des normes existantes était un spectre dont l’une des extrémités exige « le moins de retenue » et l’autre en exige « le plus ».

259 A l’extrémité exigeant le moins de retenue se trouve la norme de la décision correcte, qui prévoit relativement peu de retenue à l’égard de la décision faisant l’objet de la révision et confère à la Cour un vaste pouvoir discrétionnaire d’enquête, tandis qu’on retrouve à l’extrémité exigeant le plus de retenue la norme de la décision manifestement déraisonnable. La norme de la décision raisonnable simpliciter, ou celle de la décision déraisonnable, se situe vers le milieu de ce spectre, comme l’a décrit le juge Iacobucci dans Southam, précité, par. 57 :

260 La différence entre « déraisonnable » et […] « manifestement déraisonnable » réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du Tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Cepen-dant, s’il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable mais non manifestement déraisonnable.

261 Comme la Cour l’a exprimé clairement dans Pushpanathan, Southam et Baker, précités, il faut tenir compte de quatre facteurs principaux, dont aucun n’est concluant en soi, pour déterminer la norme de révision applicable à la décision d’un tribunal administratif :

262 (i) La nature du problème faisant l’objet de la révision et la question de savoir s’il s’agit d’une question de droit, d’une question de fait ou d’une question mixte de droit et de fait;

263 (ii) Le libellé de la loi habilitante du tribunal administratif et, ce qui est le plus important, la question de savoir s’il existe une clause privative;

264 (iii) L’objet de la loi habilitante du tribunal administratif et la question de savoir si cet objet se prête à une moins grande ou à une plus grande retenue;

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265 (iv) La question de savoir si le tribunal administratif possède une expertise particulière relativement à la question faisant l’objet de la révision.

266 L’arrêt Nanaimo (Ville de) c. Rascal Trucking ltd.108 illustre l’utilisation de cette approche à l’égard d’une décision d’un conseil municipal. Dans cette affaire, la Ville de Nanaimo avait adopté une résolution déclarant qu’un tas de terre amassé par Rascal sur un terrain dont elle était locataire était une nuisance et lui ordonna de l’enlever. Vu le défaut d’obtem-pérer, la Ville déposa une demande de jugement déclaratoire lui reconnaissant les droits d’accès au terrain et d’enlèvement du tas de terre. Rascal et le bailleur contre-attaquèrent en demandant l’annulation des résolutions adoptées par le conseil municipal.

267 Dans un premier temps, la Cour suprême confirma que le Municipal Act conférait à Nanaimo le pouvoir d’adopter les résolutions attaquées. Puis la Cour répondit à une seconde question : selon quelle norme la décision de l’appelante devait-elle être examinée ?

268 Au nom de la Cour, le juge Major écrivit : 269 En l’espèce, nous examinons la norme de contrôle

applicable à la fonction juridictionnelle d’une munici-palité par opposition à son rôle en matière de prise de décisions de principe. Il est clair que la décision en question était de nature juridictionnelle puisqu’elle comportait une audience contradictoire ainsi que l’application de règles de fond à des cas particuliers et qu’elle avait des répercussions importantes sur les droits des parties. (Voir 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, au par. 24.) Dans l’arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, et dans des arrêts subséquents, notre Cour a adopté une démarche « pragmatique et fonctionnelle » à l’égard de la déter-mination des normes de contrôle applicables aux tribunaux administratifs, qu’il s’agisse de délégués des gouvernements fédéral ou provinciaux. Comme les municipalités exercent aussi des pouvoirs délé-gués par le gouvernement provincial, il est approprié d’utiliser la démarche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer quelle est la norme de contrôle

108 Supra, note 106.

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applicable aux municipalités qui exercent une fonction juridictionnelle. 109

270 La décision relative à une demande de dérogation mineure relève également de la fonction juridictionnelle d’une municipalité. Il ne s’agit pas d’une décision de principe. Le point de vue du requérant est présenté et tout autre intéressé a le droit de se faire entendre par le conseil relativement à la demande110. Il s’agit d’une décision qui touche un cas particu-lier et qui peut avoir des répercussions importantes sur les droits des parties.

271 La démarche « pragmatique et fonctionnelle », adoptée par la Cour suprême depuis l’arrêt Bibeault, est donc appropriée.

272 Le juge Major poursuivit : 273 Il a récemment été noté dans l’arrêt Pushpanathan c.

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, aux par. 29 à 38, que plusieurs facteurs doivent être pris en considération pour décider s’il y a lieu de faire montre de retenue à l’endroit d’un tribunal administratif. La démarche est contextuelle et doit être adaptée à l’organisme en question. Dans le cadre de cette démarche, l’examen porte sur l’existence d’une clause privative, le cas échéant, l’expertise de l’organisme, l’objet de la loi habilitante de l’organisme et la nature du problème, à savoir s’il s’agit d’une question de droit ou de fait. En l’espèce, le conseil municipal doit, en application de l’art. 936, appliquer des principes d’interprétation des lois pour répondre à la question de droit touchant l’étendue de son pouvoir. Sur de telles questions, les municipalités ne sont pas dotées d’une compétence ou d’une exper-tise institutionnelles plus grandes que celles des tribunaux, qui justifieraient un degré plus élevé de retenue de la part du tribunal d’examen. Le critère à appliquer quand il s’agit de questions de compétence et de questions de droit est celui de la décision correcte.111 [Nos soulignés]

109 Ibid, pages 354-355. 110 Article 145.6 LAU. 111 Supra, note 106, page 355.

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274 Puis le juge Major ajouta certains arguments prenant en compte la nature du gouvernement municipal et l’étendue de l’expertise de la municipalité et qui militaient également contre l’application du principe de la retenue judiciaire quand il s’agit d’une question de compétence.

275 Avant d'étudier la norme de contrôle applicable, la Cour avait conclu que le Municipal Act accordait le pouvoir au conseil de Nanaimo d’adopter les résolutions attaquées. Le juge Major conclut donc, par implication nécessaire, que le conseil avait pris une décision correcte en interprétant l’article pertinent comme lui conférant la compétence d’adopter ces résolutions112. Dès lors, suivant quelle norme la Cour devait-elle examiner la décision prise par la municipalité dans les limites de sa compétence ? Le juge Major écrivit :

276 Les conseillers municipaux sont élus par les commet-tants qu’ils représentent et, de ce fait, ils sont plus au courant des exigences de leur collectivité que ne le sont les tribunaux. Le fait que les conseils munici-paux sont composés de représentants élus de leur collectivité et partant, qu’ils sont responsables devant leurs commettants est un élément pertinent de l’examen des décisions prises dans les limites de leur compétence. La réalité qui veut que les municipalités doivent souvent soupeser des intérêts complexes et opposés pour arriver à des décisions conformes à l’intérêt public est tout aussi importante. Bref, les considérations qui précèdent justifient que l’on fasse preuve de retenue dans le cadre de l’examen des décisions prises par les municipalités dans les limites de leur compétence.

277 […]

278 J’estime que ces commentaires sont également persuasifs lorsqu’il s’agit d’examiner des résolutions municipales. La conclusion est évidente. La norme suivant laquelle les tribunaux peuvent examiner les actions d’une municipalité accomplies dans les limites de sa compétence est celle du caractère manifestement déraisonnable.113 [Nos soulignés]

279 Nous retenons donc ce qui suit de l'arrêt Nanaimo :

112 Ibid, page 357. 113 Ibid, pages 357-358.

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1. En matière de norme de contrôle, il faut d'abord distinguer la fonction juridictionnelle d'une municipa-lité et son rôle en matière de prise de décision de principe.

2. La norme de contrôle applicable à une décision prise dans le cadre de la fonction juridictionnelle d'une municipalité doit être déterminée suivant la démarche pragmatique et fonctionnelle décrite par la Cour suprême dans l'arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault ainsi que dans de nombreux arrêts subséquents.

3. Sur des questions de compétence ou de droit, les municipalités ne sont pas dotées d'une expertise institutionnelle plus grande que celle des tribunaux de sorte que le critère à appliquer est celui de la décision correcte.

4. Par contre, les actions d'une municipalité accom-plies dans les limites de sa compétence doivent être examinées suivant la norme du caractère manifeste-ment déraisonnable.

280 Examinons de plus près les dispositions législatives pertinentes.

3. Analyse des dispositions législatives

281 Le pouvoir d’accorder des dérogations mineures est énoncé au premier alinéa de l’article 145.4 LAU :

282 Le conseil d’une municipalité sur le territoire de laquelle est en vigueur un règlement sur les déroga-tions mineures peut accorder une telle dérogation.

283 Outre l'adoption d’un règlement sur les dérogations mineures, cette disposition semble laisser pleine discrétion au conseil pour accorder une dérogation mineure. Toutefois, comme nous l’avons vu, l’octroi d’une dérogation mineure est assujetti à plusieurs limites.

284 Rappelons les conditions imposées par le législateur pour qu’une dérogation mineure puisse être légalement octroyée :

1. La dérogation doit porter sur une disposition des règlements de zonage et de lotissement autre que celles qui sont relatives à l’usage et à la densité

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d’occupation du sol et, le cas échéant, autre que celles énumérées au règlement sur les dérogations mineures114.

2. La dérogation doit respecter les objectifs du plan d’urbanisme115.

3. Elle doit être mineure116.

4. Elle ne peut être accordée dans une zone de contrainte117.

5. L’application du règlement doit avoir pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui demande la dérogation118.

6. La dérogation ne peut porter atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété119.

7. Si elle vise des travaux en cours ou déjà exécutés, ils doivent avoir fait l’objet d’un permis de cons-truction et avoir été effectués de bonne foi120.

8. Le comité consultatif d’urbanisme doit avoir donné son avis au conseil municipal121.

9. La procédure prévue à la loi et au règlement doit avoir été suivie.

4. La norme de contrôle

285 Les conditions que nous venons d'énumérer encadrent l’exercice du pouvoir d’octroyer une dérogation mineure. Le législateur n’a, par contre, prévu aucune limite au droit de refuser une telle dérogation. Par conséquent, on peut déjà conclure qu’il sera beaucoup plus difficile de convaincre un tribunal d’intervenir à l’égard de ce dernier type de décisions plutôt qu’à l’égard du premier. Le professeur Giroux l’a 114 Articles 145.1 et 145.3, par 3 LAU. 115 Article 145.2 LAU. 116 Article 145.4 LAU. 117 Article 145.2 LAU. 118 Article 145.4 LAU. 119 Article 145.4 LAU. 120 Article 145.5 LAU. 121 Article 145.7 LAU.

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d’ailleurs fait remarquer, il y a une quinzaine d’années, commentant l’affaire Deauville122 :

286 Par ailleurs, le juge Tôth était saisi d’une requête visant à forcer un conseil à accorder une dérogation qu’il avait refusée. Dans un tel cas, comme la Cour l’a rappelé :

287 C’est également une règle bien établie qu’un mandamus ne peut être accordé pour contraindre une corporation municipale à exercer dans un sens plutôt qu’un autre un pouvoir discrétionnaire.

288 La situation serait différente s’il s’agissait d’un voisin lésé par l’octroi d’une dérogation mineure malgré son opposition et qui voudrait seulement faire casser ou annuler la résolution l’accordant. Le contrôle judi-ciaire pourrait-il alors s’exercer ? Nous sommes d’avis que la réponse à cette question devrait être positive, du moins en principe.123

(i) Le refus d’octroyer une dérogation mineure

289 Le refus d'octroyer une dérogation mineure est donc nullement encadré par le législateur. Un demandeur malheu-reux ne pourrait s’appuyer sur aucune disposition législative pour affirmer que le conseil municipal avait l’obligation de lui accorder la dérogation mineure. Au mieux pourrait-il prouver un des motifs de contrôle judiciaire d'une décision discrétionnaire (mauvaise foi, abus de pouvoir, illégalité de la procédure, etc.), auquel cas le Tribunal pourrait, suivant les circonstances, annuler la décision du conseil municipal.

290 La plus grande discrétion est accordée par le législateur à un conseil municipal qui désire refuser une dérogation mineure. Il ne faut pas oublier le caractère exceptionnel d’une telle dérogation. Par définition, elle suppose qu’un conseil a préalablement adopté, dans l’intérêt public, une norme géné-rale et impersonnelle sous forme réglementaire et à laquelle le demandeur veut déroger. Personne n’a droit à une telle déro-gation. Même si une demande répondait à tous les critères prévus à la loi, rien n’obligerait le conseil municipal à l’accor- 122 Supra, note 96. 123 Supra, note 14, page 178; voir également, du même auteur : Droit public et

administratif, Volume VII, Collection de droit 2000-2001, Les Éditions Yvon Blais inc., page 342.

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der. Ainsi, il peut être d’opinion qu’il n’est pas opportun d’acquiescer à la demande puisque cette décision déclenche-rait une avalanche de demandes semblables provenant des propriétaires du secteur où est situé l’immeuble concerné.

291 Comme nous l’avons vu dans l’arrêt Nanaimo124, la norme de contrôle des décisions d’un conseil municipal, agissant à l’intérieur des limites de sa compétence, est celle de la décision manifestement déraisonnable.

292 Le principe applicable aux décisions discrétionnaires a encore plus récemment été réaffirmé dans l’affaire Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux)125 :

293 Notre Cour a souligné dans l’arrêt Baker c. Canada, précité, (le juge L’Heureux-Dubé, par. 53) que les décisions ministérielles de nature discrétionnaire font habituellement l’objet d’une très grande retenue, citant Mapple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada [1982] 2 R.C.S. 2, p. 7-8. Le juge L’Heureux-Dubé précise, au par. 56 :

294 La démarche pragmatique et fonctionnelle peut tenir compte du fait que plus le pouvoir discrétionnaire accordé à un décideur est grand, plus les tribunaux devraient hésiter à intervenir dans la manière dont les décideurs ont choisi entre diverses options.

295 […]

296 La norme de retenue la plus élevée, celle du carac-tère manifestement déraisonnable, doit généralement être appliquée aux décisions que prennent des ministres en exerçant des pouvoirs discrétionnaires en contexte administratif.126

297 Dans l’arrêt Baker127, la juge L’Heureux-Dubé avait écrit :

298 Le principe est qu’on ne peut exercer un contrôle judiciaire sur les décisions discrétionnaires que pour des motifs limités, comme la mauvaise foi des

124 Supra, note 106. 125 Ibid. 126 Ibid, pages 21-22. 127 Supra, note 106.

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décideurs, l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans un but incorrect, et l’utilisation de considérations non pertinentes.128

299 Cette position correspond bien entendu aux principes établis depuis longtemps parmi les tribunaux. Ainsi, dans Ville de Prince Georges c. Payne129, le juge Dickson au nom de la Cour, écrivit :

300 Mais il ne relève pas des devoirs de la Cour d’évaluer la sagesse de la décision du conseil, à supposer que ce dernier ait le pouvoir inhérent de refuser le permis. Le seul souci de la Cour est de savoir si le conseil a agi dans les limites de sa compétence. 130

301 Plus près de nous, la Cour d’appel du Québec a rappelé, dans l’arrêt classique La corporation de St-Joseph de Beauce c. Lessard131 :

302 Le pouvoir discrétionnaire d’un conseil municipal, soit dans la constatation des faits, soit dans l’appréciation d’une situation quelconque, échappe au contrôle de la Cour supérieure, à moins que l’exercice même de sa discrétion ne comporte une grave violation de la loi ou ne soit accompagné de fraude. 132

303 Même dans un cas extrême où la preuve démontrerait que la décision de refuser une dérogation est, par exemple, entachée de la plus pure mauvaise foi, le remède approprié poserait problème. Le tribunal pourrait sans doute annuler la résolution mais nous ne voyons pas comment il pourrait ordonner, en lieu et place du conseil municipal, l’octroi de la dérogation.

304 En conclusion, en cas de refus d’une dérogation mineure, il ne pourrait y avoir d’intervention judiciaire que dans les cas où la décision apparaît manifestement déraisonnable. Malgré l’évolution de la grille d’analyse, cela rejoint l’affirmation du juge Tôth dans le jugement Deauville133 :

128 Ibid, page 853. 129 [1978] 1 R.C.S. 458. 130 Ibid, page 463. 131 [1954] B.R. 475. 132 Ibid, p. 479. La Cour citait alors sa décision dans Roy c. Corporation d'Aubert-

Gallion (1929) 46 B.R. 15 133 Supra, note 96.

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305 À l’intérieur de ces limites, le pouvoir du conseil est discrétionnaire et ceci, de par la nature même du pouvoir que le législateur a jugé bon de conférer aux corporations municipales. Cette discrétion, sauf le cas de violation de la loi, d’abus ou de fraude, échappe au contrôle des tribunaux.134

(ii) L’acceptation d’une dérogation mineure

306 Il est possible d’imaginer que l’octroi d’une dérogation mineure soit contesté pour un des graves motifs qui peuvent être allégués à l’encontre d’un refus : mauvaise foi, fin impro-pre, etc. Toutefois, en pratique, la contestation sera plus probablement fondée sur le défaut de respecter une des conditions d’octroi de la dérogation. Nous avons vu que dans l’arrêt Nanaimo135, la Cour suprême a conclu que la norme de la décision correcte devait être appliquée lorsqu’il s’agissait de questions de compétence et de droit.

307 L’examen des conditions nécessaires à l’octroi d’une dérogation mineure révèle qu’elles peuvent être classées, sauf une exception, en deux catégories : celles où se pose essentiellement une question de droit et celles où se pose essentiellement une question de faits.

308 Font partie de la première catégorie les conditions suivantes :

♦ la dérogation ne peut porter que sur des disposi-tions des règlements de zonage et de lotissement énumérées au règlement sur les dérogations mineures, autres que celles qui sont relatives à l’usage et à la densité d’occupation du sol;

♦ elle doit respecter les objectifs du plan d’urbanisme;

♦ elle ne peut être accordée dans une zone où l’occupation du sol est soumise à des contraintes particulières pour des raisons de sécurité publique.

309 Font partie de la seconde catégorie, les conditions suivantes :

♦ il doit s’agir d’une dérogation mineure;

134 Ibid, page 349. 135 Supra, note 106.

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♦ l’application du règlement doit avoir pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui la demande;

♦ une dérogation ne doit pas porter atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété;

♦ lorsque la dérogation est demandée à l’égard de travaux en cours ou déjà exécutés, ils doivent avoir fait l’objet d’un permis de construction et avoir été effectués de bonne foi;

♦ l’obtention d'un avis préalable du comité consultatif d’urbanisme.

310 Nous excluons de ces catégories le respect de la procédure prévue à la loi et aux règlements. En effet, le défaut de suivre cette procédure doit être analysé à la lumière de règles jurisprudentielles particulières et qui ne sont pas propres à la procédure de dérogation mineure136.

311 L’application de la norme de la décision correcte ne pose pas de problème quant aux conditions de la première catégorie. Il s’agit essentiellement de questions de droit au sujet desquelles le conseil ne possède aucune compétence particulière et auxquelles le tribunal peut très bien répondre.

312 Dans la seconde catégorie, l’obligation d’avoir obtenu un permis de construction, lorsqu’une dérogation est deman-dée à l’égard de travaux en cours ou déjà exécutés, ne pose aucune difficulté quant au contrôle judiciaire. Il s’agit là d’un fait objectivement vérifiable. Il en est de même de l'obligation d'obtenir un avis préalable du comité consultatif d'urbanisme.

313 Les autres conditions sont plus problématiques : compte tenu qu’il s’agit de conditions qui réfèrent à des notions aux contours pour le moins flous (le caractère mineur de la dérogation, le préjudice sérieux, l’atteinte à la jouissance de la propriété, la bonne foi), les tribunaux doivent-ils néanmoins appliquer la norme de la décision correcte ? Malgré l’énoncé de la Cour suprême, dans l’arrêt Nanaimo, quant à la norme applicable, nous savons que le domaine du contrôle judiciaire, et plus particulièrement la détermination de la norme applica-ble, se prêtent fort mal aux règles « mur à mur » et immuables.

136 Voir la section I.-C.9 « Dérogations conditionnelles ».

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314 En fait, la question est la suivante : lorsque la limite à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dépend essentiellement de l’appréciation d’une situation factuelle aux contours incertains, la norme de la décision correcte demeure-t-elle applicable ?

315 Nous croyons que l'affirmation contenue dans l'arrêt Nanaimo, quant à l'application de la norme de la décision correcte relativement à des questions de compétence, ne peut trouver application lorsqu'il s'agit de déterminer la norme de contrôle judiciaire des questions de fait que nous avons examinées plus haut. Notre raisonnement est le suivant :

1. L'évaluation de critères tel l'aspect mineur d'une dérogation, le préjudice sérieux, l'atteinte à la jouissance du droit de propriété ou la bonne foi du demandeur laissent place à une bonne dose d'appréciation factuelle. Cette évaluation ne se prête pas à une approche purement objective.

2. Le législateur a confié au conseil municipal la responsabilité d'apprécier le respect de ces critères et ce, à l'exclusion de toute instance d'appel.

3. Les tribunaux ont traditionnellement été réticents à appliquer la norme de la décision correcte à l’égard de l’évaluation de faits. Dans l’arrêt Pushpana-than137, le juge Bastarache cite le passage suivant de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop138 : « Les cours de justice font généralement preuve de retenue à l’égard des questions de faits en raison de "l’avantage capital" dont jouit le juge des faits. »139

4. Appliquer la norme de la décision correcte à l'égard d'un critère essentiellement factuel et aux contours incertains, telle la notion de bonne foi, équivaudrait à demander aux tribunaux de faire preuve de moins de retenue, à l'occasion d'une action en nullité de la décision du conseil municipal, que lorsqu'ils siègent en appel. Ce résultat serait étonnant, d'autant plus que, comme nous l'avons vu, le législateur n'a pas

137 Supra, note 106, page 1010. 138 (1993) 1 R.C.S. 554. 139 Ibid, page 599.

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voulu instaurer un régime d'appel des décisions municipales en matière de dérogation mineure.

316 Notons que dans l’éventualité d’une contestation judiciaire de la décision du conseil, le demandeur ne devrait pas être autorisé à prouver des faits autres que ceux qui ont été portés à la connaissance du conseil municipal faute de quoi le tribunal se trouverait, de facto, à entendre une demande de dérogation mineure sur une base différente de celle qui fut étudiée par le conseil. Le tribunal siégerait donc, en quelque sorte, en première instance à l’égard de cette demande, usurpant ainsi le rôle du conseil municipal.

317 Somme toute, nous croyons que les tribunaux devraient appliquer la norme de la décision déraisonnable simpliciter lorsqu'ils contrôlent la légalité de la décision d'un conseil municipal à l'égard des conditions de faits qui ne sont pas objectivement vérifiables. En pratique, pour avoir gain de cause, le demandeur devra donc « choquer la conscience judiciaire », c'est-à-dire présenter une preuve suffisamment forte pour convaincre assez facilement le juge que l’apprécia-tion factuelle du conseil est erronée.

318 C'est en quelque sorte le test qu'a tenu le Tribunal dans l'affaire Carter Fraser Entreprises inc. c. Mont-Tremblant (Ville de)140. La demanderesse prétendait que l'application du règlement au projet ayant bénéficié d'une dérogation mineure n'aurait pas eu pour effet de causer un préjudice sérieux. Le Tribunal exprime son désaccord eu égard à la preuve apportée et ajoute :

319 Quoi qu'il en soit, si la défenderesse a erré dans son appréciation du préjudice que subirait la mise en cause si la dérogation n'était pas accordée, ce qui n'est à nouveau que l'expression d'une opinion de la part des demandeurs, nullement appuyée par les faits, elle l'a fait de bonne foi, sans mauvaise intention, et il n'appartient pas au Tribunal de déterminer si son appréciation est erronée. 141

320 En conclusion, rappelons ce qu'écrivait le juge Tôth dans l'affaire Centre d'accueil Deauville Inc. :

140 Supra, note 31. 141 Ibid, par. 11.

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321 Certes la loi prévoit certaines limites à la discrétion (usage et densité d'occupation du sol, atteinte à la jouissance par les propriétaires des immeubles voisins, objectifs du plan d'urbanisme) et est subor-donnée à la condition que le requérant en dérogation souffre un préjudice sérieux par l'application du règlement de zonage. À l'intérieur de ces limites, le pouvoir du conseil est discrétionnaire et ceci, de par la nature même du pouvoir que le législateur a jugé bon de conférer aux corporations municipales. Cette discrétion, sauf le cas de violation de la loi, d'abus ou de fraude, échappe au contrôle des tribunaux.

322 [...] Si une dérogation de 1,7 mètres sur 12 (14 %) constitue ou non une dérogation mineure ou plutôt majeure, si une telle dérogation nuit ou non aux voisins sont des questions de fait dont la constatation et leur appréciation dans leur contexte sont du ressort et du pouvoir discrétionnaire du conseil municipal et ne sont pas susceptibles d'être révisées par la Cour supérieure.142

323 Avec respect, nous voyons une certaine contradiction entre ces deux passages. La discrétion du conseil échappe au contrôle des tribunaux, sous réserve de violation de la loi, d'abus ou de fraude, lorsqu'elle est exercée à l'intérieur des limites imposées par le législateur. Or, les exemples donnés dans la seconde partie de la citation constituent de telles limites. Nous croyons donc qu'elles sont susceptibles d'être révisées par la Cour supérieure, suivant la norme de contrôle de la décision déraisonnable simpliciter.

E. Les dérogations mineures et les recours prévus dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme

324 La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme contient son propre régime de sanctions et recours143. Il s’agit essentielle-ment d’une gamme de requêtes introductives d’instance, présentables à la Cour supérieure, par lesquelles le requérant demande à la Cour d’émettre un ordre ayant pour but d’assurer le respect de la réglementation. Les plus connues sont la requête présentée en vertu de l’article 227 LAU visant à obtenir une ordonnance de cesser une utilisation du sol ou d’une

142 Supra, note 96. 143 Titre III, articles 227-233 LAU.

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construction incompatible avec la réglementation d’urbanisme et celle en vertu de l’article 231 LAU visant à obtenir une ordonnance de démolition à l’égard d’une construction non sécuritaire.

325 À l’origine, certains juges avaient décidé que ces articles ne conféraient aucune discrétion à la Cour supérieure : lorsqu’une contravention à la réglementation était prouvée, l’ordre devait nécessairement suivre144. Mais la Cour d’appel a depuis affirmé à plusieurs reprises que le Tribunal a discrétion pour rejeter la requête si la dérogation, bien que prouvée, est mineure. C’est ainsi qu’en 1986, dans l’arrêt Legris c. Doucet145, on pouvait lire :

326 En accord avec le juge de première instance, nous sommes tous d’avis que le mot « peut » dans l’article 227 est non seulement attributif de juridiction mais également attributif de discrétion.

327 La démolition de la construction n’est pas obligatoi-rement le remède approprié pour toute violation d’un règlement de zonage si minime soit-elle, du moins à l’initiative d’un particulier. La Cour n’est pas obligée par l’article 227 d’ordonner la démolition d’une cons-truction une fois que le propriétaire de terrain prouve que la construction de son voisin enfreint légèrement le règlement de zonage ou de construction. Dans le cas actuel […] il demeure que toute violation quant aux marges aurait été mineure.

328 Ce n’est pas dire qu’il est permis au constructeur de faire fi du règlement; simplement que lorsque par inadvertance il a commis une infraction mineure, il est loisible au juge de ne pas imposer de démolition de l’ouvrage.146

329 Les arrêts Pierrefonds (Ville de) c. Pépinière de l’Ouest de l’Ile inc.147, Renault c. Pavages Citadins inc.148, Boily c. Bélanger149, Abitibi (Municipalité régionale de comté d’) c.

144 Giroux c. Legault, J.E. 81-57 (C.S.); Paquin c. Prescott, 1983 C.S. 1053; voir

également le commentaire de Me HÉTU, 31 M.P.L.R. 317. 145 Supra, note 48, 31 M.P.L.R. 317. 146 Ibid, page 324. 147 Supra, note 48. 148 1988 R.L. 504. 149 Supra, note 48.

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Ibitiba Ltée150, Asselin c. Corporation municipale de St-Faustin151 et Municipalité de la paroisse de St-Hubert c. Martin152 sont au même effet.

330 Le pouvoir de refuser l’ordre requis, si la dérogation est mineure, est donc maintenant incontestable.

331 On se rappellera que la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme fut adoptée en 1979153 mais que le pouvoir d’accorder une dérogation mineure ne fut accordé aux conseils municipaux qu’en 1985. Dans l’affaire Boily c. Bélanger154, l’appelante a prétendu que l’article 227 LAU ne pouvait être interprété comme accordant une discrétion au Tribunal, depuis l’octroi de ce pouvoir. Le juge Tyndale balaie cet argument du revers de la main :

332 À mon avis, cette loi n’a eu ni le but ni le résultat d’enlever la discrétion accordée à la Cour supérieure par l’article 227, qui reste inchangé.155

333 La coexistence d’un régime municipal de dérogations mineures et de la discrétion judiciaire reconnue par la jurispru-dence pose, du moins à première vue, certaines difficultés. Ainsi, la Cour supérieure peut-elle utiliser cette discrétion même à l’égard d’une contravention au sujet de laquelle une demande de dérogation mineure a préalablement été refusée par le conseil municipal ? Si un conseil municipal a dû refuser une demande de dérogation, par ailleurs sympathique, à l’égard d’une construction en cours parce qu’aucun permis de construction n’avait été préalablement émis (art. 145.5 LAU), le Tribunal peut-il néanmoins conclure que, quant à lui, il s’agit d’une dérogation mineure et refuser de la sanctionner ?

334 Pour répondre à ces questions, il faut revenir aux fondements des deux régimes. Le régime municipal de dérogations mineures fut créé, comme nous l’avons vu, afin de permettre l’assouplissement d’une norme réglementaire dans

150 Ibid. 151 C.A.M. no 500-09-000755-884, 12 janvier 1996. 152 C.A.Q. no 200-09-001409-975, 31 août 1999; REJB 1999-14282. 153 L.Q. 1979, c. 51. 154 Supra, note 48. 155 Ibid, p. 575.

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un cas particulier qui le justifie. La discrétion judiciaire, quant à elle, est expliquée par le juge Beaudoin dans l’arrêt Ibitiba156 :

335 Il est normal, en effet, que les tribunaux gardent une certaine marge de pouvoir discrétionnaire, de façon à pallier les iniquités et injustices qu’une application stricte et rigoureuse de la loi et des règlements pourrait entraîner dans certaines espèces.157

336 Dans l’arrêt Legris, on peut lire : 337 La démolition de la construction n’est pas obligatoire-

ment un remède approprié pour toute violation d’un règlement de zonage si minime soit-elle, du moins à l’initiative d’un particulier. 158

338 Dans l’arrêt Pierrefonds159, les juges Chevalier et Beaudoin sont d’avis que le Tribunal doit établir une équiva-lence raisonnable entre l’importance de la violation et le remède recherché.

339 Alors que le conseil municipal se demande s’il est opportun d’octroyer la dérogation demandée et si elle répond aux conditions législatives et réglementaires, le juge, quant à lui, se demande plutôt si le remède est disproportionné par rapport à la maladie. Il s’agit, dans ce dernier cas, d’une appli-cation particulière de la maxime de minimis non curat praetor.

340 Il est donc possible que les réponses ne soient pas identiques.

341 Il faut souligner que le rejet d’une requête parce que le Tribunal juge que la contravention est mineure n’équivaut pas à accorder une immunité totale au contrevenant. La décision signifie simplement qu’aux yeux du juge, la faute commise ne justifie pas l’ordre recherché. Rien n’empêche une municipalité de demander une sanction pénale plutôt que civile.

342 Malgré la possibilité de conclusions apparemment contradictoires, le régime municipal de dérogations mineures et la discrétion judiciaire en matière de recours particuliers à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme peuvent donc coexister.

156 Supra, note 48. 157 Ibid, page 1068. 158 Supra, note 48, page 324. 159 Supra, note 48, page 13.

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II.– LES PLANS D’IMPLANTATION ET D’INTÉ-GRATION ARCHITECTURALE

A. Remarques générales

343 Quatre ans après avoir accordé aux municipalités le pouvoir d’autoriser des dérogations mineures, le législateur leur a donné un outil additionnel facilitant des interventions parti-cularisées en matière d’urbanisme : les plans d’implantation et d’intégration architecturale160.

344 Dans l’affaire Accoca c. Ville Mont-Royal161, le juge Mercure explique, à la faveur de citations doctrinales, le but qui était recherché par le législateur :

345 Ces citations font ressortir le but visé par le législateur à la section VIII portant sur les PIIA : c’est d’accorder une discrétion au conseil pour exercer un contrôle qualitatif sur l’implantation et l’architecture des constructions, ce contrôle devant s’exercer cas par cas. Les règlements de zonage et de construc-tion étant trop rigides pour permettre la réglementa-tion à l’avance de l’aspect qualité architecturale dans un milieu donné, c’est précisément dans le but de pallier à [sic] cette difficulté que l’outil plus souple des PIIA a été mis à la disposition des municipalités.162

346 Il poursuit toutefois : 347 Les requérants ont raison d’affirmer que tout discré-

tionnaires qu’ils soient, les pouvoirs conférés au conseil par les articles 145.15 à 145.20.1 doivent être exercés de façon encadrée, de façon à ne pas ouvrir la porte à l’arbitraire et, encore moins, à la discrimination.163

160 Supra, note 4. 161 C.S. Montréal, no 500-05-061898-001, 11 septembre 2001; appel rejeté sub.

nom. Accoca c. Montréal (Ville), C.A.M. n-o 500-09-011455-011, 13 juin 2002, REJB 2002-32173.

162 Ibid, page 10. 163 Ibid, page 11; voir également GIROUX, Lorne, « Les pouvoirs municipaux en

matière d’urbanisme », Recueil de formation permanente du Barreau du Québec (2000-2001), Volume VII, Droit public et administratif, Les Éditions Yvon Blais inc., 2000, 337, 338; ST-AMOUR, Jean-Pierre, « Les plans d’im-plantation et d’intégration architecturale » (1994) 1 B.D.M., Volume I, numéro 7, page 74; DELORME, Michel, « Les plans d’aménagement d’ensemble et les

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348 Assouplir la capacité d’intervention du conseil munici-pal, mais néanmoins à l’intérieur d’un certain cadre juridique, voilà donc le but que recherchait le législateur en adoptant les articles 145.15 à 145.20.1 LAU.

B. Cadre juridique

1. Les conditions préalables à l’exercice du pouvoir

349 L’article 145.15 LAU dispose : 350 Le conseil d’une municipalité dotée d’un comité con-

sultatif d’urbanisme peut, par règlement, assujettir la délivrance de permis de construction ou de lotisse-ment ou d’un certificat d’autorisation ou d’occupation à l’approbation de plans relatifs à l’implantation et à l’architecture des constructions ou à l’aménagement des terrains et aux travaux qui y sont reliés.

351 Le pouvoir ainsi accordé est donc assujetti aux conditions préalables suivantes :

♦ adoption d’un règlement constituant un comité consultatif d’urbanisme164;

♦ adoption d’un règlement sur les PIIA.

352 La seconde condition mérite certains commentaires.

353 On note d’abord que le règlement assujettit la déli-vrance de permis ou de certificats « à l’approbation de plans relatifs à l’implantation ou à l’architecture des constructions ou à l’aménagement des terrains et aux travaux qui y sont reliés ».

354 Les plans exigibles et, partant, l’objet de l’éventuelle décision du conseil, concernent l’implantation, l’architecture ou l’aménagement d’immeubles. Le conseil municipal ne saurait, sous le couvert d’un règlement sur les PIIA, viser autre chose que ces trois types d’intervention165.

355 C’est précisément sur cette question que s’est penchée la Cour supérieure dans le jugement récent Ferme Geléry inc.

plans d’implantation et d’intégration architecturale », Développements récents en Droit municipal, 1990, Les Éditions Yvon Blais inc., 1990, page 63.

164 Articles 146-148 LAU. 165 St-Amour, supra, note 163, page 74.

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c. La municipalité de Laverlochère166. La municipalité préten-dait, par son règlement relatif aux PIIA, contenir les effets nuisibles des projets d’élevage. Le Tribunal constata toutefois que les objectifs et critères énoncés dans le règlement ne concernaient aucunement l’implantation et l’architecture des constructions ou l’aménagement des terrains. Il écrivit :

356 Le règlement 176 de la municipalité ne porte aucune-ment sur l’approbation des plans d’implantation et d’architecture ou sur l’aménagement des terrains même si on le désigne comme règlement relatif aux plans d’implantation et d’intégration architecturale.

357 La municipalité a voulu contrôler des nuisances que peuvent générer des projets d’élevage en procédant de la même façon que les articles 145.15 et suivants de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme l’autorisent pour l’approbation des plans relatifs à l’implantation et à l’architecture des constructions ou à l’aménagement des terrains. Les articles 145.15 et suivants de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme n’autorisent pas la municipalité à procéder de cette façon pour tous les règlements qu’elle peut adopter à l’intérieur de son champ de compétence.

358 La municipalité a voulu contrôler les nuisances générales par les projets d’élevage en s’octroyant une discrétion absolue puisqu’elle n’édicte aucune norme et en impose aux contribuables les exigences qu’elle va chercher ici et là et qu’elle modifie à son gré comme ce fut le cas pour la taille des conifères. Elle impose à la requérante des exigences qui n’ont aucune relation avec l’implantation et l’architecture des constructions ou l’aménagement des terrains et à ce sujet, on a qu’à penser à l’obligation d’avertir les voisins au moins deux semaines avant l’épandage du lisier. Le Tribunal doute fortement que l’exigence d’épandre le lisier par système de rampe et pendil-lard ait quelque relation que ce soit avec l’implanta-tion et l’architecture des constructions ou avec l’aménagement des terrains.167

359 Ce jugement nous rappelle les limites d’un règlement sur les PIIA. Le conseil municipal ne peut utiliser cet outil

166 C.S. Témiscamingue, no 610-05-000203-013, 27 novembre 2001, J.E. 2002-

166, en appel C.A. no 200-09-003883-029, J.E. 2002, # 6. 167 Ibid, pages 21-22.

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réglementaire à une fin autre que celles indiquée à l’article 145.15 LAU. En ne respectant pas cette limite, il excède ses pouvoirs.

360 Le contenu du règlement est précisément encadré. En vertu de l'article 145.16 LAU :

361 Le règlement doit :

362 1o indiquer toute zone ou catégorie de constructions, de terrains, ou de travaux visés […]

363 Notons qu'en vertu de l'article 145.17 LAU, le conseil peut prévoir des règles différentes selon les zones, les catégories de constructions, de terrains ou de travaux ou toutes combinaisons de zones ou de catégories.

364 Dans l'arrêt Accoca168, l'appelant attaquait pour cause d'ambiguïté et d'imprécision le texte réglementaire suivant :

365 L'approbation, au préalable, d'un plan d'implantation et d'intégration architecturale constitue une condition essentielle à l'émission de tout permis ou certificat d'autorisation décrits ci-dessous :

366 1 o tout permis relatif à l'édification, la modification, l'enlèvement, le déménagement ou le changement d'usage de tout immeuble ayant pour effet d'affecter l'environnement bâti de la Ville;

367 […].

368 La Cour d'appel rejeta cette prétention : 369 À mon avis, les appelants ont tort. Le paragraphe 8

(1o) du PIIA n'est pas imprécis et n'entraîne pas de sous-délégation illégale en faveur du directeur. Cette disposition indique clairement que l'approbation par le conseil municipal est une condition essentielle à la délivrance d'un permis visant la modification d'un immeuble « ayant pour effet d'affecter l'environne-ment bâti de la Ville », comme en l'espèce. Ainsi, le directeur ne peut délivrer un tel permis sans avoir préalablement eu l'approbation du conseil municipal et seul ce dernier a le pouvoir d'approuver les plans. D'ailleurs, [le directeur des services techniques] a affirmé dans son témoignage non contredit que « tous les plans qui touchent l'extérieur de la maison

168 Supra, note 161.

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[sont] soumis au CCU ». De plus, [l'adjointe au directeur des services techniques] a affirmé qu'une fois qu'elle avait vérifié la conformité de la demande de permis au règlement de zonage no 1310 et au règlement de construction no 1311, elle soumettait le projet au CCU. Il en découle que le directeur n'a aucune discrétion pour délivrer un tel permis de construction et qu'il n'évalue pas les aspects qualitatifs des plans.169

370 À la lumière de cette décision, on peut conclure que l'expression « catégorie de constructions, de terrains, ou de travaux visés » par le règlement peut être exprimée en des termes qui ne sont pas parfaitement précis. Cette approche est conforme à l'économie générale d'un règlement sur les PIIA.

371 2o déterminer les objectifs applicables à l'implantation et à l'architecture des constructions ou à l'aména-gement des terrains, ainsi que les critères permettant d'évaluer si ces objectifs sont atteints; […]

372 Ces objectifs et critères sont au cœur du règlement.

373 Les principes de droit administratif exigent qu'un règlement municipal édicte des normes précises. Le conseil municipal peut choisir les normes qu'il juge adéquates mais, après ce choix, il n'a plus aucune marge de manœuvre sous réserve d'amendements réglementaires. Voilà pourquoi la délivrance d'un permis ou d'un certificat, par le fonctionnaire désigné, est un acte lié170. Or, la particularité d'un règlement sur les PIIA est de donner au conseil le pouvoir de s'écarter d'une approche aussi rigide.

374 Les objectifs et critères ont été définis comme suit : 375 Un objectif relatif à l'implantation ou à l'intégration

architecturale doit exprimer le but recherché, alors qu'un critère doit permettre d'évaluer et d'interpréter l'atteinte d'un objectif. Les objectifs sont donc plus généraux que les critères. Les objectifs justifient le pourquoi des choix effectués en matière d'implanta-tion et d'intégration architecturale. Les critères déterminent comment mettre en œuvre les objectifs.

169 Ibid, par. 58. 170 Articles 120-122 LAU.

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Par conséquent, ceux-ci sont plus précis et détaillés que les objectifs.171

376 Les critères n'ont pas à être aussi précis et rigides que les normes des règlements de zonage, lotissement ou cons-truction, sans quoi le règlement sur les PIIA n'aurait aucun objet. En matière d'architecture, par exemple, l'article 113 LAU donne aux municipalités le pouvoir de régir, par le règlement de zonage, « l'architecture, la symétrie et l'apparence extérieu-re des constructions, le mode de groupement d'un ensemble de constructions sur un terrain et les matériaux de revêtement des constructions ». Ces normes doivent toutefois être préci-ses, contrairement aux objectifs et critères du règlement sur les PIIA.

377 La spécificité d'un tel règlement réside donc dans le mode d'intervention qu'il permet plutôt que dans l'objet même de cette intervention.

378 Il est donc tout à fait conforme à la nature du règlement sur les PIIA que les critères permettant d'évaluer si les objectifs sont atteints n'aient pas le même degré de précision que les normes du règlement de zonage, par exemple.

379 Dans l'arrêt Accoca172, l'appelant prétendait à la nullité pour cause d'ambiguïté et d'imprécision, dans le cadre du para-graphe 145.16(2) LAU, des dispositions réglementaires suivantes :

380 16. L'objectif est de préserver la physionomie et le caractère spécifique du cadre bâti du milieu d'insertion.

381 17. La conformité à cet objectif est évaluée sur la base des critères suivants :

382 1o les constructions doivent s'établir en rapport direct avec le milieu bâti environnant et avec le paysage de la rue, particulièrement en termes de gabarit de construction, d'échelle et de proportion d'espaces libres;

383 2o les constructions doivent refléter l'architecture dominante du cadre bâti en termes de forme du bâtiment, de pente de la toiture et de proportions des

171 Ministère des Affaires municipales, Les plans d'implantation et d'intégration

architecturale, Guide explicatif, mars 1994, page 8. 172 Supra, note 161.

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couvertures, de type et de localisation de l'entrée principale, de type et couleur de matériaux de revêtement ou de détails architectoniques pertinents;

384 3o l'interaction visuelle et fonctionnelle entre les bâtiments et la rue doit être conservée. En outre, le rez-de-chaussée et l'entrée principale doivent être établis à un niveau correspondant à celui du milieu environnant.173

385 La Cour d'appel rejeta cette prétention : 386 À mon avis, ici encore les arguments des appelants

ne peuvent être retenus. L'article 16 du PIIA est précis quant à l'objectif visé, soit « la préservation du caractère du cadre bâti » dans lequel le bâtiment s'insère. Il est clair que [la Ville] veut préserver la physionomie et le caractère spécifique du cadre bâti dans le milieu d'insertion. Je suis également d'avis, en lisant l'article 17 du PIIA, que celui-ci énonce clairement les critères permettant d'évaluer la conformité à cet objectif. […]174

387 Le Tribunal appuie cette conclusion sur une analyse détaillée des textes réglementaires concernés.

388 Deux mises en garde s'imposent toutefois.

389 D'abord, le règlement sur les PIIA ne peut être utilisé pour supplanter ou mettre en échec les normes contenues dans les autres règlements d'urbanisme. Les objectifs, et surtout les critères, ne doivent pas entrer en conflit avec ces autres normes. De même, la marge de manœuvre qui est laissée au conseil lors de l'étude de plans ne lui permet pas de faire fi de ces normes. Dans l'arrêt Loblaw, la Cour d'appel écrivait :

390 La discrétion, il me semble, ne peut permettre au conseil municipal de mettre en échec la réglementa-tion, à plus forte raison en matière de zonage alors que le législateur a accordé une voix importante aux citoyens intéressés en leur permettant d'exercer un contrôle sur les décisions du conseil municipal par la voie de l'approbation référendaire.

391 […]

173 Ibid, par. 11. 174 Ibid, par. 62.

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392 Je ne vois aucune indication aux articles 145.15 à 145.20.1 de la loi laissant voir que ce plan d'inté-gration (P.I.I.A.) pourrait permettre de déroger aux normes réglementaires; il me semble plutôt que ces exigences s'ajoutent à celles du règlement de zonage.175

393 C'était également l'opinion que les auteurs avaient exprimé auparavant176.

394 D'autre part, la souplesse conférée aux conseils municipaux ne leur permet pas d'adopter un règlement sur les PIIA qui ne contient aucun objectif et critère ou encore, dont les objectifs et critères sont si vagues qu'ils ne signifient rien. C'est la situation que le Tribunal avait à examiner dans l'affaire Ville de Magog c. Les Auberges Giroma inc.177. Alors que les objectifs pour les zones concernées étaient relativement bien décrits, les critères d'évaluation étaient énoncés comme suit :

395 Pour les bâtiments :

396 – la volumétrie;

397 – les matériaux;

398 – les ouvertures;

399 – les couleurs;

400 – les éléments de transition.

401 Pour les terrains :

402 – l'aménagement paysager;

403 – le maintien ou l'ajout d'arbres.

404 Le Tribunal écrivit : 405 Il faut donc comprendre que le but visé par le

législateur est d'accorder une discrétion au conseil pour exercer un contrôle qualitatif sur l'implantation et

175 Supra, note 1, 2510. Voir également Accoca c. Ville Mont-Royal, supra, note

161, p. 8 et Ville de Magog c. Les Auberges Giroma inc., C.S. St-François, no 450-05-004369-019, 16 janvier 2002, p. 6.

176 GIROUX, Lorne, supra, note 163, p. 337; LECHASSEUR, Marc-André, Loi sur les aménagements et l'urbanisme annotée, supra, note 26, page 1853; ST-AMOUR, Jeanb-Pierre, supra, note 163, page 74; MINISTÈRE DES AFFAIRES MUNICIPALES, Les plans d'implantation et d'intégration architecturale, supra, note 171, page 2; DUPLESSIS et HÉTU, supra, note 23, page 193.

177 Supra, note 175.

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l'architecture des constructions, ce contrôle devant s'exercer cas par cas.

406 Mais tout discrétionnaires qu'ils soient, les pouvoirs conférés au conseil doivent être encadrés de façon à ne pas ouvrir la porte à l'arbitraire.

407 […]

408 On constate dans l'affaire sous étude que même si l'objectif visé est relativement bien cerné, il n'y a par ailleurs aucun critère de spécifié. Au surplus, la grille qui a servi à l'application de ce critère a été établie postérieurement à l'exécution des travaux.

409 De plus, il y a absence totale de critère. En effet, ce que l'on décrit au règlement comme critères ne sont en fait que les attributs de toute chose matérielle ou corporelle, à savoir volumétrie, matériaux, ouvertu-res, couleurs, éléments de transition.

410 Dans l'affaire Accoca, les critères étaient beaucoup plus précis. Ils permettaient et doivent permettre à un citoyen de connaître à l'avance les balises requises sans enlever le pouvoir discrétionnaire du comité d'urbanisme et de la ville.

411 Ici, il n'y en a aucune. Il aurait été simple de qualifier la volumétrie, les couleurs comme par exemple : foncée, claire, opaque, etc. ainsi que tous les autres éléments.178

412 Le Tribunal déclare en conséquence ultra vires et de nul effet l'article du règlement sur les PIIA établissant les objectifs et critères pour la zone concernée.

413 À notre avis, l'essence de l'opinion du Tribunal tient dans ces mots :

414 [les critères] doivent permettre à un citoyen de connaître à l'avance les balises requises sans enlever le pouvoir discrétionnaire du comité d'urba-nisme et de la ville.

415 Nous croyons que le juge établit un équilibre juste entre l'arbitraire, illégal, que permettrait l'absence de critère ou des critères d'une généralité telle qu'ils n'aient aucune signification, et l'avantage que confère néanmoins une certaine discrétion.

178 Ibid, pages 7-8.

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416 3o Prescrire le contenu minimal des plans et exiger, notamment, qu'ils contiennent l'un ou plusieurs des éléments suivants :

417 a) la localisation des constructions existantes et projetées;

418 b) l'état du terrain et l'aménagement qui en est projeté;

419 c) l'architecture des constructions qui doivent faire l'objet de travaux de construction, de transformation, d'agrandissement ou d'addition;

420 d) la relation de ces constructions avec les constructions adjacentes;

421 4o Prescrire les documents qui doivent accompagner les plans;

422 5o Prescrire la procédure relative à la demande de permis de construction ou de lotissement ou à la demande d'un certificat d'autorisation ou d'occupation lorsque la délivrance de ce permis ou certificat est assujettie à l'approbation des plans.

423 L'adoption d'un règlement sur les PIIA et l'obtention d'un avis du comité consultatif d'urbanisme sont donc des conditions préalables à l'exercice, par le conseil, de ces pouvoirs.

2. Les conditions d’exercice du pouvoir

424 Le conseil municipal pourra se pencher sur un projet auquel s'applique le règlement sur les PIIA après le dépôt conforme d'une demande de permis ou de certificat et son examen par le comité consultatif d'urbanisme. De plus, l'article 145.18 LAU lui permet de décréter que les plans produits seront soumis à une assemblée publique de consultation, suivant la procédure habituelle en matière d'urbanisme.

425 L'article 145.19 LAU dispose qu'à la suite de ces consultations, « le conseil de la municipalité approuve les plans s'ils sont conformes au règlement ou les désapprouve dans le cas contraire ». Ce texte laisse très bien paraître la volonté du législateur d'accorder au conseil municipal une discrétion enca-drée. Le pouvoir du conseil est, jusqu'à un certain point, lié.

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426 Notons que l'examen de la conformité des plans ne se fait pas uniquement à la lumière des objectifs et critères prévus au règlement, mais bien à celle de l'ensemble des dispositions de ce dernier. Les conseils municipaux devraient conserver à l'esprit cet élément lorsqu'ils prescrivent, dans le règlement, le contenu minimal des plans ainsi que les documents qui doivent les accompagner. Ils devraient notamment résister à la tentation d'exiger un trop grand nombre d'informations ou de documents, surtout pour les projets d'importance moindre (par exemple, un projet de construction d'un bâtiment accessoire).

427 Techniquement, le dépôt de plans qui ne respectent pas les exigences du règlement en matière d'informations ou de documents accessoires devrait être rejeté pour cause de non-conformité au règlement. Cette objection, qui peut sembler bien théorique, pourrait être soulevée dans le cadre de la contestation d'un projet controversé.

C. La norme de contrôle

428 Comme nous l'avons vu, le législateur oblige expressément le conseil municipal à approuver les plans s'ils sont conformes au règlement ou à les désapprouver dans le cas contraire. On ne retrouve pas ici la discrétion dont jouit le conseil en matière de dérogation mineure.

429 Dans l'hypothèse de l'approbation des plans, on peut imaginer qu'une personne intéressée, vraisemblablement un voisin, désire contester la résolution du conseil au motif qu'il a mal évalué la demande et qu'elle est non conforme au règlement. Si une action en nullité était intentée, quelle norme de contrôle appliquerait le Tribunal ?

430 Si le motif invoqué est l'illégalité (par exemple : défaut de consulter le comité consultatif d'urbanisme ou de respecter la procédure prévue au règlement), le Tribunal ne fera preuve d'aucune retenue. Par contre, il est plus probable qu'une contestation soit fondée sur une application erronée, par le conseil, des objectifs et critères applicables au projet. Rappelons qu'en vertu de l'article 145.19 LAU, le pouvoir du conseil municipal, en matière d'approbation de plans, est lié : s'ils sont conformes au règlement, le conseil doit les approuver et, dans le cas contraire, les désapprouver.

431 Il est intéressant de noter que ce texte ne diffère pas véritablement de celui des articles 120, 121 ou 122 LAU relatifs

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aux pouvoirs du fonctionnaire désigné quant à la délivrance de permis ou certificats. Ainsi, l'article 120 LAU dispose :

432 Le fonctionnaire désigné […[ délivre un permis de construction ou un certificat d'autorisation si :

433 1o la demande est conforme au Règlement de zonage et de construction et, le cas échéant, au règlement adopté en vertu de l'article 116 et au règlement adopté en vertu de l'article 145.21 […].

434 Toutefois, la particularité de la disposition réglementaire relative aux objectifs et critères est que sa rédaction sera sans doute, comme nous l'avons vu, moins précise que celle des normes contenues, par exemple, dans un règlement de zonage. Il en résultera une discrétion qui est l'essence même d'un règlement sur les PIIA. Cette relative imprécision jouera en faveur du conseil municipal dont la décision est attaquée.

435 En effet, le Tribunal refusera d'annuler la résolution s'il estime que la décision du conseil s'inscrit à l'intérieur des objectifs et critères réglementaires et ce, peu importe l'opinion personnelle du juge quant à l'opportunité de cette décision. Par contre, si le Tribunal conclut que la résolution du conseil ne respecte pas ces objectifs et critères, la résolution sera alors annulée puisque ultra vires.

436 L'arrêt Accoca179 est dans ce sens. Au nom de la Cour, le juge Dussault écrit :

437 [le juge de première instance] rejette l'argument des appelants suivant lequel les travaux qui leur ont été refusés ont été acceptables pour des résidences situées sur la même rue ou dans le voisinage immédiat de leur résidence. Il indique que les photos prises par les appelants ne les convainquent pas que le CCU a exercé ses pouvoirs de manière arbitraire ou discriminatoire. Selon le juge, les photos prises par l'inspecteur Blais […] constituent une démonstration tout aussi valable sur laquelle [la Ville] s'appuie pour prétendre le contraire des appelants.

438 De plus, le juge précise que le CCU ne fait que des recommandations au conseil municipal et que ce dernier peut les accepter ou les rejeter. En l'absence d'une preuve de fraude, d'abus de pouvoir ou de discrimination, le juge refuse de s'immiscer dans les

179 Supra, note 161.

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recommandations du CCU ou dans les décisions du conseil municipal pour y substituer sa décision.

439 […]

440 Comme lui, je suis d'avis qu'en l'absence d'une preuve de fraude, d'abus de pouvoir ou de discrimi-nation, la Cour n'avait pas à substituer son opinion à celle du conseil municipal.180

441 En pratique, l'imprécision des objectifs et critères entraî-nera sans doute l'application de la norme de la décision déraisonnable simpliciter, car l'illégalité de la décision du conseil sera plus difficile à démontrer de façon objective.

442 La seconde hypothèse est celle où le conseil désap-prouve les plans et que cette décision est contestée. Comme nous l'avons vu, le deuxième alinéa de l'article 145.19 LAU oblige le conseil à motiver cette décision. Dans un tel cas, le propriétaire concerné tentera d'obtenir du Tribunal une décision annulant la résolution et déclarant les plans conformes au règlement. Pour les motifs que nous venons d'expliquer, nous croyons que le Tribunal appliquera la norme de la décision déraisonnable simpliciter.

CONCLUSION

443 Les règlements sur les dérogations mineures ainsi que ceux sur les PIIA sont devenus des outils populaires auprès des conseils municipaux. Une fois adoptés, il sont régulière-ment utilisés.

444 Comme nous l'avons vu, les premiers n'ont pas fait l'objet de beaucoup de décisions de la part de nos tribunaux, bien que plusieurs aspects juridiques de l'exercice du pouvoir ainsi conféré aux conseils municipaux demeurent à être clarifiés. Nous souhaitons que les tribunaux le fassent à court terme.

445 Quant aux seconds, la jurisprudence récente fut plus abondante. Elle permet de mieux dégager les contours du pouvoir conféré aux conseils municipaux. Nous souhaitons que cette jurisprudence se consolide, particulièrement quant au

180 Ibid, par. 46-47, 59.

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contrôle judiciaire de l'appréciation des critères et objectifs inscrits dans tout règlement sur les PIIA.

446 D'ici à ce que les tribunaux nous apportent un éclairage additionnel sur ces règlements, nous espérons que le présent texte y aura contribué quelque peu.

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