Telephone Au Cinema

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  • Michel CHION

    Ceci est une nouvelle version, un peu plus dveloppe, du texte mis en ligne au dbut de lanne. Jinvite les tudiant(e)s le lire attentivement et sexercer sur diffrents films. TLPHONE AU CINMA, version augmente ( mai 2009) 1) Prsentation du cours 2) Extrait dun chapitre d Un art sonore, le cinma 3) Dfinition de quelques notions 4) Dfinition rel digtique/rel cinmatographique 5) Comment analyser un film dans la faon dont il traite le tlphone (prcisions pour le dossier) 6) Exemple danalyse sur La Dolce Vita, de Fellini 7) Prcision sur lutilisation de la typologie.

    1) Prsentation du cours. Le tlphone, au cinma, nest pas quun accessoire pittoresque ou un simple prtexte scnes effrayantes ou amusantes. Il est, historiquement, lune des sources avres du procd de montage altern ou parallle dans les courts-mtrages muets de David Wark Griffith. Dans ses diffrentes versions techniques, il ne cesse de suggrer la fois de nouvelles situations dramatiques et de nouvelles formules cinmatographiques. Au dpart, en permettant de sparer le son de limage pour faire voyager le premier sparment, la situation du tlphone dcoupe automatiquement et mcaniquement la ralit un peu comme, avant dtre un procd esthtique, le cadrage cinmatographique dcoupe le temps et lespace. Cela donne un signifiant cinmatographique qui outrepasse ses diffrents emplois. Car le tlphone nest pas juste un effet dramatique, interprter suivant un code fig et immuable (le tlphone reprsenterait le lien vocal avec la mre, le danger ou le charme acousmatique). Cest dabord un effet signifiant, un prt--signifier disponible pour toutes sortes de sens. Prenons une oeuvre aussi connue que La Mort aux trousses: le hros, Thornhill, y donne ou y reoit trois coups de tlphone, pas plus - or, ces trois tlphmes sont associs au personnage de sa mre, avec laquelleThornhill avait rendez-vous avant dtre enlev: soit quil appelle celle-ci, soit quil reoive lui-mme un coup de fil en prsence de sa mre. Or, sa mre est celle dont il lui faut quitter la sphre pour devenir un big boy.

  • Dans dautres films, au contraire, lemploi du tlphone permettra de crer des contrastes rhtoriques: lun des deux interlocuteurs est lextrieur, dans la rue, dans un cadre populeux; lautre est chez lui, assis, dans son environnement familier, etc.. Nous avons observ les tlphmes (nous empruntons ce terme de tlphme , unit de conversation tlphonique un journaliste du dbut du 20e sicle) dans plusieurs centaines de films, et partir de ce recensement, nous les avons classs en six types fondamentaux, selon la faon dont ils sarticulent au montage cinmatographique. Relvent du type 0 les tlphmes en montage altern ou parallle, mais sans le son, donc trs employs au temps du muet; du type 1, les tlphmes en montage altern ou parallle mais avec le son; du type 2, ceux o lon reste avec lun seulement des deux locuteurs sans entendre ni voir la personne lautre bout du fil. Du type 3 ceux, classiques dans les thrillers, mais pas seulement, o lon reste galement avec lun des deux personnages et o on ne fait quentendre, sans le voir, la voix filtre de linterlocuteur. Et du type 4, ceux o lon peut tre avec lun ou lautre des deux locuteurs, tout en entendant son interlocuteur/trice en voix filtre. Aux diffrentes varits du type 5 appartiendraient les tlphmes atypiques ou paradoxaux. Ces tlphmes napparaissent pas dun coup avec le cinma parlant, mais certains types entrent en scne progressivement (par exemple, le type 3 se dveloppe au cours des annes 30, alors que les types 1 et 2 sont prdominants au dbut du parlant). En revanche, une fois un type apparu, il ne se substitue pas aux autres, mais sajoute la liste. La banalisation du tlphone portable bouleverse autant la conception dramatique des films quelle a boulevers la vie quotidienne, le travail, etc. On lui accordera donc une place particulire. Seront tudis, entre autres, des films comme: Lopinion publique, de Chaplin, Lhomme qui en savait trop, version anglaise, de Hitchcock, Faisons un rve, de Sacha Guitry, Amore, de Rossellini, Raccrochez cest une erreur, dAnatole Litvak, Chronique dun amour, dAntonioni, Mon oncle, de Jacques Tati, Dr Folamour, de Stanley Kubrick, La Dolce Vita, de Federico Fellini, La Peau douce et La femme d ct, de Franois Truffaut, Laffaire Thomas Crown, de Norman Jewison, Terreur sur la ligne, de Fred Walton, Il tait une fois en Amrique, de Sergio Leone, Le pige de cristal, de John McTiernan, Le Sacrifice, de Tarkovski, The Player, de Robert Altman Thelma et Louise, de Ridley Scott, Lost Highway, de David Lynch, Rouge, de Kieslowski, Et le vent lemportera, dAbbas Kiarostami, Scream, de Wes Craen, The Hole, de Tsai-min Liang, Matrix, de frres Wachowski,

  • Eyes Wide Shut, de Stanley Kubrick, In the Mood for Love, de Wong Kar Wai, Lemploi du temps, de Laurent Cantet, Phone Game, de Joel Schumacher, Uzak, de Bilge Ceylan, etc. Michel Chion, 31 janvier 2009

    2) Extrait du chapitre XXI dUn art sonore, le cinma, d. Cahiers du Cinma, 2003

    Typologie du tlphme au cinma Au commencement du rcit cinmatographique - son origine mme peut-tre - fut le tlphone. La conversation tlphonique, o lon parle quelquun qui nest pas dans le mme espace, ne cre-te-elle pas un montage de lieux simultans, qui serait lorigine du montage paralllle griffithien? Pour une fois que nous navons pas crer un nologisme ou assembler deux mots de faon indite, nous empruntons un journaliste du dbut du XXe sicle le mot charmant de tlphme. Un tlphme est tout simplement une unit de conversation tlphonique. Il y en a de plusieurs types au cinma, pour lesquels nous proposons notre classement, mais qui ne correspondent pas un sens fixe chaque fois. On peut donc classer en sept cas principaux les figures de dcoupage tlphonique.

    1) Le type 0 (nous lui donnons ce numro, car il appartient au muet), pourrait correspondre au cas de lchange tlphonique o nous voyons, sans les entendre, les deux locuteurs en montage altern. Cest un des exemples les plus anciens de montage altern au cinma (The Lonely Villa, 1909, de Griffith). Exemples, pris dans dinnombrables films: lentretien tlphonique de LOpinion publique, 1923, de Chaplin, dans lequel par malentendu une femme se croit abandonne dun homme et quitte sa famille pour aller Paris, et le tlphme de La Grve., 1925, dEisenstein, qui illustre le rseau des collusions politiques et sociales, mais aussi des hirarchies, par un montage rapide. Un homme debout tlphone dune cabine publique un autre confortablement assis dans un bureau - et nous comprenons que le premier est linfrieur hirarchique du second. Puis des gens diversement habills se parlent au tlphone, lun deux est en habit de soire et tel autre en costume militaire, et nous voyons instantanment la complicit des diffrents pouvoirs.

  • Dj, le type 0, dans le muet, utilise une des grandes ides du tlphme au cinma, en nous permettant de voir et de comparer des gens qui sont en relation et en conversation mais qui ne se voient pas - les coupes du montage fonctionnant entre eux comme un cran, un mur sparateur. Cela nous rend plus observateurs, plus conscients, disposants dune vision en coupe que nont pas les personnages: nous reprons avant eux quils vont se quitter, tant donn quils se tournent le dos (sans se voir), ou au contraire quils se rapprochent, car sans sen rendre compte ils ont des gestes qui se font cho, qui riment, ou regardent en aveugles lun vers lautre. Lorsque lhrone de LOpinion publique quitte lhomme dont elle se croit abandonne, la faveur dun malentendu tlphonique, nous lui voyons tourner le dos celui quelle ne voit pas, par le simple fait du dcoupage et des axes choisis par Chaplin.

    :2) Le type 1, hrit du cinma muet, ajoute le son au type 0: il correspond au montage altern o lon nentend strictement que la voix de celui/celle qui est sur lcran: on est sur A quand A parle, sur B quand B parle, et ainsi de suite (exemple: les tlphmes de la plupart des premiers films parlants, mais aussi la plupart des scnes de Denise au tlphone, 1994; dHal Salwyn).

    3) Le type 2 est celui ou on reste avec A dans toute la dure du tlphme, mais sans entendre ce que dit B (Cary Grant dans les deux scnes o il tlphone sa mre dans La Mort aux trousses). Nous pouvons ventuellement deviner, dans les blancs de la conversation, ce qui se dit, ou parfois lentendre en sons trs faibles, comme si nous tions proximit. Parfois, le montage combine habilement le type 1 et le type 2: dans Loulou, 1979, de Maurice Pialat, la conversation entre le mari (Guy Marchand) et sa femme (Isabelle Huppert), qui est au lit avec Grard Depardieu, commence en type 1 (montage altern) et finit en type 2, accentuant la solitude du mari dans lappartement conjugal vide. Dans Docteur Folamour, 1964, Kubrick fait un emploi brillant de ce type 2. La scne se situe dans la War Room du Pentagone, o le prsident des USA, jou par Peter Sellers, emploie le tlphone rouge pour annoncer son collgue sovitique quun avion amricain quip dogives est en route pour bombarder la Russie, par suite dun dysfonctionnement du systme de dissuasion. Nous nentendons pas ce que rpond le prsident russe arrach un week-end galant dans sa datcha, mais pouvons deviner sa colre. Le comique cinmatographique de la situation, cest quautour de la table ronde ou sige le Prsident amricain, il y a une douzaine de

  • personnages, qui tous suivent la conversation par des couteurs individuels: des militaires amricains, lambassadeur russe (seul la comprendre), etc. Bref, tout le monde entend dans la scne la voix du prsident russe, et pas nous....

    4) Le type 3 de tlphme est celui o on reste galement sur A, mais en entendant la voix quil/elle entend dans son couteur (toujours dans La Mort aux trousses, Thornhill recevant un appel de Valerian dans la chambre du Plaza, et bien sr la srie des Scream, 1997, 1998, 2000, de Wes Craven). Ce schma, faisant jouer pour le spectateur aussi le mystre acousmatique, est bien connu des films de suspense, de terreur tlphonique (Terreur sur la ligne, 1979, de Fred Walton), o limage reste sur un personnage ou dans le lieu quil occupe, mais o nous entendons ce quil/elle entend comme si nous avions ses oreilles. Un des premiers exemples demploi du type 3 dans lhistoire du parlant semble la scne de la premire version de LHomme qui en savait trop, 1934, dHitchcock, o les parents de la fillette enleve reoivent un appel des ravisseurs. Dans ce tlphme, le couple qui parle une femme, puis leur enfant, nest pas seul, il est entour de policiers. Ces derniers sont un temps exclus du cadre, quand Hitchcock est en plan rapproch sur les parents, mais bien prsents dans la pice, et donc nous ne savons pas ce quils entendent des voix au tlphone que nous entendons (cest ltendue incertaine du champ daudition, qui trouble notre apprciation possible sur les cloisonnements dcoute). Certes, dans un plan o nous voyons le mari avec le combin, et la femme ses cts nous entendons la fois la ravisseuse acousmatique, et lpouse qui demande au mari de lui dire ce qui se passe, tmoignant de sa surdit par rapport ce que nous entendons. Mais il faut dans ce cas distinguer deux niveaux complmentaires et non-exclusifs: celui de la raison logique, et un niveau plus magique: tout ce que nous entendons, rien ne dit que tout le monde prsent sur lcran ce moment prcis ne lentend pas. Le type 3 est souvent utilis pour affirmer le point de vue du rcit. Dans une scne de Fentre sur cour, James Stewart reoit un coup de tlphone dun policier qui demande parler Doyle (Wendell Corey) qui est ses cts. Quand Jeff dcroche, nous entendons la voix filtre de ce policier; Jeff passe lappareil Doyle, et quand celui-ci le prend, nous nentendons plus ce quil entend1 - nous sommes revenu au type 2. Scream, 1997, de Wes Craven, est bien sr clbre pour son ouverture en type 3 avec la malheureuse Drew Barrymore. Au dbut de la conversation, le perscuteur parle comme quelquun qui ne voit pas: Quest-ce que ce bruit?, dit-il

    1 Plus prcisment, comme le note Elisabeth Weis avec sa prcision habituelle, nous entendons juste

    les trois premiers mots: Lieutnant Doyle, sir?. (The Silent Scream., p. 124)

  • propos du pop-corn que la jeune fille a mis griller sur sa cuisinire. Elle peut penser alors quelle nest pas sous son regard. Mais un peu plus tard, il fait comprendre quil peut suivre ses faits et gestes. Seulement, on ne sait pas quelles sont les limites de sa vision et les conditions o il voit, ce qui est toujours troublant. Nous retrouvons lacousmtre vision partielle. La grande ide du film et des deux sequels qui lont suivi est que nous ne pouvons pas runir les deux formes que prend le tueur: sa voix acousmatique et son corps. Quand on le voit, sous son dguisement dautant plus horrible quil a inspir des faits divers trop rels, cest un corps dguis et muet, auquel la douleur et leffort arrachent des cris ou des gmissements, un corps maladroit qui se casse souvent la figure, quil est facile de renverser, mais qui insiste de manire effrayante dans son obstination tuer. Quand on lentend, ce nest quune voix masculine qui raisonne. Aucun plan du film nassocie le corps dguis du serial killer sa parole. Comme le Mabuse du Testament du Docteur Mabuse, de Fritz Lang, la reconstitution promise de lanacousmtre, qui seule mettrait fin son pouvoir, est constamment diffre. Logiquement, leffet parodique et dmythifiant de Scary Movie, 2000, de Keenen Ivory Wayans, sera de dsacousmatiser la voix au tlphone en montrant le tueur dans sa tenue de tueur, avec le masque inspir dEdward Munch, en train de passer ses coups de fil.

    5) Le type 4, quant lui, combine le montage altern et la possibilit dentendre filtre dans lcouteur la voix du correspondant. Il est trs rpandu et susceptible de variations infinies, et cest dans lart avec lequel il est conduit que se dvoile le talent dun ralisateur. Le tlphme entre Susan Sarandon et Michael Madsen, dans Thelma et Louise, 1991, de Ridley Scott, est ainsi mont avec beaucoup de subtilit. Par exemple, lorsque Louise (Susan Sarandon) demande Jilmmy : Can you help me, please (il sagit pour Jimmy de lui prter une grosse somme dargent, de confiance), et que Jimmy rpond Yeah, yeah, of course, I can, nous sommes ce moment-l sur Jimmy, aussi bien pour la supplique en voix acousmatique filtre de Louise que pour le oui de Jimmy, un oui que nous lui voyons prononcer bien en face de nous, do un sentiment de certitude, de rponse directe. Coupe sur Louise, qui sanglote de soulagement. Coupe sur un gros plan de Jimmy, o nous entendons les sanglots de Louise, non filtrs, comme si elle tait dans la mme pice que lui (en mme temps que leurs directions de regard se croisent sans quils se voient). Cet effet de sanglot non filtr, rarement repr consciemment par le spectateur, donne un sentiment de proximit. Mais Louise, que nous voyons ensuite dans la solitude de sa chambre de motel, formule une seconde demande: Jimmy, do you

  • love me?. Coupe sur Jimmy, que nous voyons hsiter et tirer une bouffe de sa cigarette. Quand il prononce son deuxime yeah cette nouvelle question, nous lentendons sur Louise, et donc cest un yeah acousmatique, filtr par lcouteur de celle-ci, qui donne un sentiment dloignement et de rticence. Le public ce moment-l ne manque jamais de ragir, comme si lon avait touch l quelque chose de la dsynchronisation fondamentale dans les couples. Or, cette impression que le second oui vient trop tard est largement cre par le dcoupage image/son. Si celui-ci nous avait permis de voir Jimmy le prononcer, comme ctait le cas pour sa premire rponse positive, nous naurions pas le mme sentiment. Paralllement, le montage-son de cette scne de Thelma et Louise utilise habilement les variations dambiance sonore dans les environnements respectifs de deux locuteurs pour tantt les sparer, et tantt les rapprocher. Louise est dans un motel, proximit dune autoroute, et la fentre de sa chambre est ouverte, permettant dentendre les gros camions qui passent. Jimmy, lui, est une centaine de miles de l, dans un appartement lenvironnement plus calme. Selon les moments du tlphme, nous entendons plus ou moins les ruptures dambiance selon que nous sommes sur Louise, ou sur Jimmy. Parfois, quand on coupe sur Susan Sarandon, un son cut de circulation accentue sa sparation acoustique davec Michael Madsen; mais lorsquil vient de dire oui sa demande dargent, et quils sont rapprochs par le montage, la rupture dambiance entre les deux lieux est presque inaudible, comme sils partageaient un mme espace sonore. Une interprtation psychologisante de lanalyse que vous venons de faire, attribuant aux personnages ces sentiments (du style: Louise se sent plus proche de Jimmy, puis elle se sent abandonne) serait rductrice: nous venons en fait danalyser une scne, un tableau de dcoupage. Analyser latmosphre du tableau, sa composition, nest pas rentrer dans la tte et le coeur des personnages. Cest nous qui ressentons des rapprochements et des sparations. Rappelons la prsence, sur toute cette scne de la chanson on the air, Part of you, part of me, chante par Glen Frye, dont nous parlons dans me chapitre Dieu est un disc-jockey, et qui contribue lier lensemble de la scne, tout en produisant des effets de sens (les paroles part of you, part of me, mergeant dans le moment de communion tlphonique).

    6) Le type 5, cest le split-screen tlphonique, lcran divis en deux, utilis plutt dans les comdies comme Comment pouser un millionnaire , 1953, de Jean Negulesco (une des premires comdies en CinmaScope, permettant cet effet), Indiscret, 1958, de Stanley Donen, Bye Bye Birdie, 1963, de George Sidney (la charmante scne des adolescentes qui se tlphonent leurs confidences, scne qui

  • devient un ballet o lcran est de plus en plus subdivis), ou Quand Harry rencontre Sally, 1989, de Rob Reiner. Mais on le rencontre dj dans le cinma muet. Le split-screen de type 5 produit dans la simultanit, et non dans lalternance, les effets dont nous avons parl propos du type 1, et qui sont valables aussi pour le type 4: des personnages qui se tournent le dos sans le savoir, qui se regardent tendrement sans le savoir, prennent des postures proches ou opposes sans le savoir., la ccit quils ont lun par rapport lautre faisant tout le charme de la situation.

    7) Le type 6, fourre-tout, prvoit une catgorie pour quelques cas en dehors des habitudes (comme,dans Lou na pas dit non, 1994, dAnne-Marie Miville, ou Sexes, mensonges et vido, 1988, de Steven Soderbergh, o lon entend non filitre la voix de linterlocuteur tlphonique acousmatique). Toute cette typologie ne doit pas tre employe de manire rigide. Chaque tlphme est un cas despce. La premire conversation tlphonique entre Brenda Blethyn et Marianne Jean Baptiste, qui joue sa fille btarde, dans Secrets et mensonges, 1996, de Mike Leigh, adopte ainsi toutes les possiblits. Quand Brenda Blethyn sexcuse dune voix pleurarde: Je crois que je nai pas de crayon, nous sommes sur sa fille, et nentendons aucun filtrage - alors quau dbut de la conversation, le filtrage tait trs accus. Dans Frquence interdite, 2000, de Gregory Hoblit, le hros (Dennis Quaid) qui a perdu son pre pompier (James Clavezel) trente ans plus tt dans un incendie, retrouve dans la maison familiale le poste ondes courtes de radio-amateur avec lequel le dfunt aimait occuper ses loisirs. Dennis Quaid le remet en marche pour se distraire, et voil quune voix dhomme en sort, qui se cherche un correspondant lautre bout du monde. Il faudra un certain temps au hros pour comprendre ce que le montage altern entre les deux correspondants rvle trs vite au spectateur: le correspondant est son propre pre, trente ans plus tt, qui parle son petit garon devenu un homme en 1999, sans savoir sur qui il tombe, et sans savoir que dans ce futur il est lui-mme dj mort. Suivent beaucoup de scnes de type 4 entre pre et fils, linsolite venant de ce quici les deux personnages se tlphonent en tant au mme endroit et en utilisant le mme appareil, la diffrence despace, annule, tant remplace par une distance de temps, elle-mme nie digtiquement. Leffet est fascinant, grce justement au montage parallle et ses ambiguts. Ce qui est touch, ici, chez le spectateur, cest encore une fois leffet de dsynchronisation des sentiments: deux personnes qui saiment, mais ne peuvent pas se le dire en mme temps. Frequency (titre original, que nous prfrons, la notion dinterdit nayant rien faire ici) est comme un conte o les personnages reoivent le pouvoir de

  • rattraper les phrases quils nont jamais dites, celles que dans la ralit on ne peut dire lautre, ou quil/elle ne pourra plus jamais dire, parce que mort(e).

    Le tlphone portable et le vidophone Le tlphone portable, par la dconnection complte quil permet entre les circonstances de la parole et son contenu, et avec la facilit quil offre de donner nimporte quel lieu intrieur ou extrieur comme dcor des conversations prives, gnre des situations comiques, inquitantes, dramatiques ou terrifiques, cinmatographiques en tout cas, indites. Dj, dans notre vie, le tlphone portable multiplie et dcuple lnigme acousmatique: non seulement vous pouvez ne pas reconnatre les traits de linterlocuteur, mais aussi le point do il appelle ou bien o vous le joignez peut changer constamment.. Vous ne pouvez plus non plus vous figurer do la personne qui vous est familire vous parle. Pendant plusieurs annes, le tlphone portable fut aussi (en raison du cot des appareils et des abonnements) dans les films un indice de standing social , ce quil est encore dans The Game, 1997, de David Fincher, dans les mains de Michael Douglas. Le tlphme de Tim Robbins depuis un portable, dans The Player, 1990, de Robert Altman, a t trs remarqu lpoque, et reste encore aujourdhui troublant. Toute lide de cette scne mmorable, mlange de type 3 pour le son et de type 1 pour limage, consiste retourner le schma habituel. Lhomme muni dun portable qui rde dans la nuit prs dune maison, et qui tlphone sans se montrer une femme dont il peut suivre les volutions lintrieur de lhabitation claire, apparat au dpart dans la fameuse position du voyeur tlphonique tenant la femme regarde sous son pouvoir. Mais dun mot - elle lui rappelle le sobriquet que lui donne son mari, The Dead Man - Greta Scacchi renverse la situation. Robbins nous apparat alors comme un fantme impuissant et inoffensitf rdant autour de la maison allume, plus que comme une menace. Le dcoupage suggre habilement, en nous transportant par deux fois dans la maison, que Greta Scacchi pourrait voir Tim Tobbins par sa fentre mais quelle fait comme si elle ne le voyait pas, comme sil tait transparent pour elle. Il devient une voix en souffrance, en panne de foyer. En outre, mme lorsque la camra est lintrieur, nous entendons la voix de Greta Scacchi filtre, dans le point dcoute de Robbins, ce qui contribue l encore inverser le rapport habituel, o une voix dhomme acousmatique et filtre menace une femme visible la voix non filtre. Quant la liaison vidophonique, elle est annonce ds les annes 20 et 30 (par exemple dans Metropolis, 1926, de lang, et Les Temps modernes), mais elle est

  • montre dans des films danticipations tels que 2001, 1968, de Kubrick, ou Blade Runner, 1982, de Ridley Scott (situ en 2019) comme le comble du modernisme. Un homme qui serait plong des annes 30 directement dans les annes 2000 sans faire le chemin temporel qui nous a conduit accepter peu peu comme naturelle lvolution technologique, serait sans doute tonn de la raret relative des liaisons prives vidophoniques de nos jours. Chez Kubrick (Floyd vidophonant sa fille sur terre depuis une station spatiale) et Scott (Deckard vidophonant Rachel depuis une cabine publique dans un bar), lide est la mme: on est dans le type 3, avec limage du correspondant en plus; mais le plus intressant est que dans les deux films les personnages ne font pas allusion au fait quils se voient rciproquement (par exemple, Floyd ne fait pas sa fille de compliments sur sa robe de princesse). En outre, Kubrick a vit dans les dialogues, comme dans le reste du film, tout nologisme futuriste, de sorte que Floyd parle celui qui le reoit dans la station spatiale, non dun appel vidophonique quil doit donner sa fille, mais dun simple phone call.

    Leffet parloir. -Tout ce qui sort de ma bouche, a devient de la merde. Arrte-toi de parler,c est simple. Arrte-toi de manger, plutt. Dans cette bribe de scne de mnage sans espoir - o lon aura reconnu le Godard de Je vous salue Marie - se rsume une obsession du cinma sonore: incarner la conversation humaine dans ses impasses. La conversation humaine, le cinma muet la faisait voir bien sr, mais avec le parlant et le procd de chevauchement dj dcrit par Poudovkine (o la parole de A continue de retentir sur limage de B qui lcoute), elle prend une autre dimension: la voix franchissant la barrire de la coupe visuelle, cette dernire nen symbolise que mieux linfranchissable sparation entre les tres, moins que cette barrire nen vienne tre redouble matriellement et ainsi symbolise - donc signifie comme dpassable, sublimable - par un lment concret du dcor lui-mme (porte, barrire, grille, vitre, ou tout bonnement distance), bref, par tout lment ou circonstance servant, en inscrivant la barrire dans la digse, montrer ce qui de lun lautre peut se rejoindre malgr tout par-del...2 . Le mur du dcoupage, autrement dit la possibilit par le cadrage et le montage disoler visuellement les locuteurs mme sils sont runis dans une mme

    2 Lespace dimpasse (si lon peut dire...) o campe dlibrment le cinma de Godard - un cinma

    que nous ne portons pas dans notre coeur , on laura compris - se dfinirait alors par la volont dignorer les ressources de symbolisation et donc de dpassement et de sublimation quoffre le cinma lui-mme.

  • pice, mme sils streignent, prend un sens diffrent lorsquil est redoubl dans le film par un lment concret. Le champ/contre-champ nest certes pas spcialement une invention du parlant. Mais dans ce dernier il prend un sens nouveau: celui de ponctuer la conversation humaine par del ce qui spare. Do limportance dans le parlant de ce que nous appelons leffet-parloir, cest--dire dune circonstance o les personnages se parlent par-del une sparation physique, qui est la mtaphorisation de la sparation du montage, et qui est curieusement le meilleur moyen au cinma de suggrer une union, mme fugitive. Autrement dit, au cinma, la parole reprend sens de communication, mme fragile et leurrante, lorsquun obstacle matrialise dans le film la limite quelle doit franchir. Silvia Sydney et Gary Cooper dans Les Carrefours de la ville, 1931, de Rouben Mamoulian daprs Dashiell Hammet, Clark Gable et Claudette Colbert dans New York- Miami, 1934, de Frank Capra (la couverture que les deux hros tendent entre eux le soir entre leurs lits par dcence, et quils appellent le mur de Jricho), Jean-Pierre Aumont emprisonn et Annabella, dans Htel du Nord, 1938, de Marcel Carn, Danielle Darrieux et Charles Boyer, dans Madame de.., 1953, de Max Ophuls, le directeur dentreprise et le ravisseur denfant emprisonn dans Entre le ciel et lenfer, 1963, dAkira Kurosawa, Harry Dean Stanton et Nastassia Kinski dans la scne dite du peep-show de Paris Texas, 1984, de Wim Wenders, Anthony Hopkins et Jodie Foster, dans Le Silence des Agneaux, 1990, de Jonathan Demme, Susan Sarandon et Sean Penn dans La Dernire marche, 1995, de Tim Robbins, Bjrk et Catherine Deneuve dans Dancer in the Dark, 2000, de Lars von Trier, linfirmier et son ami, dans Parle avec elle, 2002, de Pedro Almodovar, ont un point commun: dans des scnes mmorables, ils se parlent par del un obstacle physique, qui empche ou la vue, ou le contact physique, ou les deux (une couverture, un grille, une vitre avec ou sans tain, une vitre incassable de parloir de prison, la distance simplement chez Ophuls) et cest alors le dcoupage cinmatographique qui tantt souligne lobstacle (par le cadrage, la lumire), tantt lescamote; de telle manire quon peut avoir limpression que les tres spars se sont rejoints un temps. Le condamn mort Sean Penn cesse dtre vu travers la grille du parloir, Hannibal Lecter semble avoir Clarice Starling dans son espace, puis le dcoupage raffirme lobstacle, et du coup resignifie la voix, la parole, comme ce qui reste le seul moyen de le franchir... Un clich cinmatographique clbre, et parfois cul, est celui o un homme et une femme se parlent de part et dautre dune grillage ou dune barrire, tout en avanant, ce qui parfois tourne au procd (Mort dun cycliste, de Juan Antonio Bardem). Mais cest le genre de clich quil ne faut pas se contenter de reprer

  • comme tel, car les clichs en disent beaucoup. Celui-l dit la vrit du parlant, dans lequel la parole se permet de franchir les barrires du dcoupage et du montage, et ainsi, symbolise dans un obstacle matriel, transcende pour quelques secondes cette limite.

    3) DFINITION DE QUELQUES NOTIONS (extrait de Un art sonore, le cinma, Glossaire; ce glossaire se trouve galement en ligne sur le site michelchion.com)

    ACOUSMATIQUE (Pierre Schaeffer, 1952) La situation dcoute acousmatique est celle o lon entend le son sans voir la cause dont il provient. Ce qui est par principe le cas avec les medias tels que le tlphone et le radio, mais aussi souvent dans le cinma, la tlvision, etc..., et bien sr dans lunivers acoustique naturel, o un son peut nous parvenir sans la vision de sa cause (de derrire nous, de derrire un mur, dans le brouillard, dans un buisson ou un arbre -oiseau invisible -, etc...) Les effets de de la perception acousmatique sont bien sr diffrents si lon a dj vu ou non au pralable la source du son: dans le premier cas le son transporte avec lui une reprsentation visuelle mentale ; dans le second cas, le son rsonne plus abstrait, et dans certains cas, il peut devenir une nigme. Cependant, dans la plupart des cas, au cinma comme ailleurs, un son acousmatique est parfaitement identifi du point de vue causal.

    ACOUSMATISATION Procd dramatique consistant nous transporter un moment crucial de laction dans un lieu extrieur ou loign, ou simplement changer dangle, ne nous laissant plus que le son - devenu acousmatique - pour imaginer ce qui se passe. En dautres termes, opration consistant nous faire entendre sans voir, aprs nous avoir permis dentendre et voir en mme temps.

    ACOUSMTRE Personnage invisible que cre pour l'auditeur l'coute d'une voix acousmatique hors-champ ou dans le champ mais dont la source est invisible, lorsque cette voix a suffisamment de cohrence et de continuit pour constituer un personnage part entire - mme si ce personnage n'est connu qu'acoustiquement, pourvu que le porteur de cette voix soit prsent comme susceptible tout moment

  • dapparatre dans le champ. Dans le cadre du cinma, l'acousmtre - distinct de la voix-off clairement extrieure limage - est un personnage acousmatique se dfinissant par rapport aux limites du cadre, o il est sans cesse en instance d'apparatre, et tenant de cette non-apparition dans le champ les pouvoirs qu'il semble exercer sur le contenu de ce dernier (exemple : la mre dAnthony Perkins dans Psychose, Mabuse dans Le Testament du Docteur Mabuse de Fritz Lang, etc.). lacousmtre sont en effet couramment prts, dans limaginaire cinmatographique, ltre-partout (ubiquit), le tout-voir (panoptisme), le tout-savoir (omniscience) et le tout-pouvoir (omnipotence).

    Des cas intressants et troublants sont reprsents par lacousmtre vision partielle, dont le savoir est incomplet et les pouvoirs limits, comme dans Fivre sur Anatahan 1953, de Josef von Sternberg, ou La Tragdie dun homme ridicule 1980, de Bernardo Bertolucci.

    DSACOUSMATISATION Terme volontairement ngatif dsignant le processus par lequel un acousmtre

    se matrialise visuellement rn anacousmtre dans le champ comme un corps fini dans lespace, et, du mme coup, perd gnralement les pouvoirs dubiquit, de panoptisme, domniscience, domnipotence, quon lui prte. A moins que, comme dans Le Testament du Docteur Mabuse, 1932, de Fritz Lang, la dsacousmatisation ne rvle la prsence, derrire le rideau qui cachait la source de la voix, dun dispositif technique reconduisant - linfini - le moment de la reconstitution dun anacousmtre.

    Cette formulation ngative de ce qui pourrait sembler tre un processus de rvlation et dachvement vise, dune part, rappeler que dans le processus quelque chose est donn comme perdu, dchu (perte des pouvoirs lis au privilge acousmatique), mais aussi que ce qui est constitu nest pas un tre plein mais un tre en creux, audio-divis, voix et corps, son et image, apparaissant comme ce qui ne peut jamais se complter et se refermer sur soi-mme.

    POINT DCOUTE Dans une squence audio-visuelle cette notion, telle que nous la reformulons,

    dsigne : 1) Le point partir duquel il nous semble pouvoir dire que nous entendons un

    son comme proche ou lointain de nous, point qui soit concorde avec la place de la camra, soit en est diffrent (cas frquent du personnage loign dans limage et de sa voix entendue proche) . Cest alors le point dcoute au sens spatial.

  • 2) Le personnage par les oreilles duquel il est suggr que nous entendons un son (par exemple, sil parle au tlphone, et que nous entendons distinctement son interlocuteur comme lui-mme est cens lentendre). Cest alors le point dcoute au sens subjectif.

    Une scne dAgent X 27, 1930, de Sternberg, utilise la contradiction entre le point dcoute spatial et le point dcoute subjectif : le son dun piano jouant dans la pice ct est amorti au moment o un personnage sloigne devant la camra (qui reste fixe) et passe derrire un rideau, comme si nous entendions par ses oreilles, alors que nous ne le suivons pas dans lespace.

    Ces deux sens peuvent concider ou correspondre des cas diffrents ou contradictoires (notamment dans le cas des tlphmes).

    Lanalyse de cette question complexe montre quelle ne peut pas tre mise en parallle avec la notion de point de vue, en raison des diffrences profondes entre le son et limage, ainsi quentre la vision et laudition.

    4) REL CINMATOGRAPHIQUE ET REL DIGTIQUE

    Appelons rel digtique ce qui appartient lhistoire montre lcran dans un cadre digtique donn, et rel cinmatographique un autre niveau, tout aussi rel, celui de ce que nous voyons sur lcran, et de ce que nous constatons dans lenchanement des plans.

    Illustration de cette diffrence: les personnages sont donns dans la digse comme tant plusieurs kilomtres, centaines ou milliers de kilomtres, lun(e) de lautre. Ils se tlphonent. Le dcoupage de la squence, en montage altern, fait se croiser leurs regards, lun(e) ayant le visage tourn vers la droite, lautre vers la gauche. Ils se font vis--vis dans le dcoupage, et sils ne se voient pas dans le rel cinmatographique, ils se voient dans le rel cinmatographique.

    Il ny a pas choisir entre les deux rels, dclarer lun des deux prdominant, plus rel que lautre. Ils existent lun avec lautre et lun par lautre; le cinma joue de leur diffrence ou de leur jonction.

    Ce rel cinmatographique joue entre autres du franchissement des barrires despace et de temps. Des vnements spars dans le temps de la digse par des minutes, des heures, des jours, des annes, etc... peuvent tre enchans, voire donns comme synchrones, dans le rel cinmatographique.

    `Les squences de tlphmes sont souvent construites sur la sparation et le ddoublement de la scne en un rel digtique et un rel cinmatographique.

  • 5) POUR LE DOSSIER: Comment choisir et analyser un film dans la faon dont il intgre le tlphone.

    Choix du film: un film de fiction, des dbuts du cinma aujourdhui, lexception des films trs prcisment analyss dans le cours.

    Ne pas ruser avec le sujet; choisir un film o le tlphone intervient au sens propre; un film o les tlphmes jouent un rle central, soit par leur nombre, soit par leur caractre crucial, soit bien sr les deux.

    Justifier le choix de ce film; le situer rapidement dans lhistoire du tlphone au cinma.

    Caractriser les tlphmes du film, soit quils rpondent plus spcialement un des types distingus en cours, soit que selon les scnes, ils obissent des types diffrents.

    Choisir plus spcialement un ou deux tlphmes de ce film; lanalyser ou les analyser, sous diffrents aspects: mise en scne, mise en valeur de la symtrie ou de la dissymtrie entre les personnages; relations entre le rel digtique et le rel cinmatographique; sens et effet du dcoupage adopt (diffrences ou ressemblances de grosseurs de plans, prsence ou non des deux cts ou dun seul ct dun environnement sonore spcifique, dun ou de plusieurs personnages entendant ou nentendant pas ce qui arrive dans lcouteur, etc....)

    Dgager lide qui guide la mise en scne de la squence... On aura intrt, pour cette ou ces analyses, employer la mthode danalyse

    audio-visuelle expose dans le dernier chapitre de LAudio-vision (voir Bibliographie).

    Prcision: la notion de tlphme sapplique aussi aux liaisons vidophoniques, aux talkie walkies, aux liaisons spatiales (astronautique, science-fiction), aux rseaux employs par les radio-amateurs, les cibistes, la police, etc...

    Bibliographie sur le sujet: Michel Chion, Un art sonore, le cinma, d. Cahiers du Cinma, 2003 Michel Chion, LAudio-vision, Armand Colin, 1990 Michel Chion, La Voix au cinma, d. Cahiers du Cinma, 1982

    voir la totalit du Glossaire sur le site michelchion.com

    6) Exemple (abrg) sur un film

  • LA DOLCE VITA, 1959, de Fellini Le film qui dure presque trois heures nous montre un jeune journaliste nomm Marcello Rubini (jou par M. Mastroianni) dans sa vie professionnelle et prive. Un dossier sur ce film pourrait faire une liste abrge des squences, et signaler quand interviennent des tlphmes, entre qui et qui. Il est important de noter que tous les appels tlphoniques reus ou donns par Marcello dans le film concernent sa vie prive et ses rapports avec les femmes; aucun de ceux-ci nest un coup de tlphone montrant un change harmonieux, tous sont lis un problme ou une tension. Coup de fil de sa compagne Emma qui lappelle aprs avoir aval des barbituriques (suicide), coup de fil de celle-ci , rtablie, qui le drange en plein interview, coup de fil que reoit Marcello dEmma depuis un restaurant o il travaille un article. Dautre part, aucun change tlphonique nest montr qui concerne Marcello et son travail Une scne clbre du film montre une des matresses de Marcello, une jeune femme trs riche, Maddalena, parlant Marcello comme si ctait au tlphone: en ralit il sagit de deux pices dun immense chateau loignes lune de lautre o lon peut se parler en utilisant un tuyau acoustique. Cette scne doit videmment tre incluse dans lanalyse, car le dispositif de communication non technologique ressemble au tlphone (se parler distance sans voir ni tre vu) avec plusieurs diffrences. Par exemple, Marcello assis au milieu dune grande pice entend Maddalena dont la voix rsonne partout, sans localiser la source. Dune part, lide est que Marcello na pas loreille colle un rcepteur; dautre part, que la voix de celle qui lui parle envahit effectivement lespace du rel digtique, ce quelle nest pas cense faire normalement. Ensuite, la voix de Maddalena nest pas dforme et assourdie, mais rsonne comme une voix prsente non filtre. Enfin, le dispositif nest pas totalement symtrique: la voix de Maddalena envahit la pice o est Marcello, mais nous nentendons pas la voix de Marcello rsonner dans celle o est Maddalena. Cest donc la fois un tlphone et un anti-tlphone. La scne Maddalena-Marcello se termine par une image o Maddalena, qui se pense amoureuse de Marcello, se laisse pourtant embrasser par un homme prsent dans cette soire sans rien en dire. Le moment de vrit na pas dur longtemps. Attention cependant aux analyses strotypes et moralisantes qui parlent toujours de tlphone en terme dalination, de manque de

  • communication, etc... Dans le film de Fellini, si le tlphone ou son quivalent acoustiqueest un moyen de raconter la vie prive de Marcello, il est aussi parfois le moyen de se parler plus franchement quen se voyant. Comment relier ces scnes au sujet du film? En voyant que celui-ci montre un individu qui se perd dans une activit o il est sans cesse hors de chez lui, en groupe, port par des mouvements de foule, des emballements, des motions collectives, etc... Presque toutes les scnes montrent des groupes en effervescence (foule rassemble autour dun pseudoo miracle religieux, journalistes, dancings, ftes, restaurants chics, etc...), et une bonne partie du film montre des nuits blanches. Le tlphone tend incarner dans le film ces rares moments de tte tte avec soi-mme o avec un(e) autre o lon ne peut plus se fuir. Mais aussi des moments o quelquun, quelque chose veut le ramener a casa, la maison. On peut donc penser que le tlphone reprsente ici les situations prives que Marcello fuit. Mais attention encore aux couplets moralisants: Fellini ne nous montre pas que la vie sociale est le mal, quelle est mchante et que la vie prive est le bien, quelle est gentille; nous voyons dailleurs que sa compagne Emma est une femme un peu oppressante, qui met la pression, comme on dit aujourdhui (qui aime bien gaver, dorloter, materner, ordonner, etc...). On pourrait analyser dune part les diffrents tlphmes Emma/Marcello (qui appelle, de quel endroit, qui est montr par Fellini, etc...), et dautre part le tlphme acoustique Maddalena/Marcello. Et les comparer, sans encore une fois chercher dcerner aux personnages des bons et des mauvais points (je remarque souvent en effet la tendance de certain(e)s tudiant(e)s, ds quil y a contraste et caractrisation, affecter des signes positifs ou ngatifs en terme de valeur humaine, et juger les personnages). Contexte historique du film: la fin des annes 50, le tlphone se rpand, sauf dans les milieux trs populaires, mais il ne connote plus laisance et la richesse.

    Lide que jai voulu illustrer, propos de cet exemple, est quil faut rfrer chaque fois lanalyse des tlphmes au cas particulier du film, de son cadre, de ce quil raconte, etc... Cest ce que le dossier doit galement illustrer.

  • La description dtaille dune scne, en revanche, ne doit pas forcment tre une dmonstration dune ide gnrale. On peut y mettre en valeur des dtails intressants, quil nest pas ncessaire de faire rentrer dans une thse gnrale.

    7) Prcision sur lutilisation de la typologie. La typologie que jai propose et numrote doit servir comme grille aidant la description et lanalyse: elle distingue des types dominant statistiquement, mais en aucun cas elle nest normative; elle ne dit pas quun type rpandu , comme par exemple le type 3, est de ce fait plus valable, normal et intressant que ceux qui sont moins usits. Symtriquement, elle ne dit pas quun cas peu courant est en lui-mme plus intressant, plus gnial, etc... Je prends un exemple: dans son film Larbre, le maire et la mdiathque, ric Rohmer nous montre le cas suivant: un homme tlphone une femme, le plan sur lui dure longtemps, avec des moments o il ne parle pas, mais dans ces blancs, nous nentendons pas ce que dit la femme; nous aurions donc un type 2, si toute la conversation tait filme ainsi. Or, ce nest pas le cas, car nous avons aussi en alternance des plans prolongs sur la femme dans lesquels il y a des blancs de parole, correspondant ce que lui dit lhomme et que nous nentendons pas, quelle est seule entendre. Ce nest ni le type 1 classique; ni le type 2 classique, etc... Ce nest pas pour autant un monstre; cest juste un cas peu usit. Il est intressant non en soi, mais par le contexte du film. Il faut montrer quelle place tient le tlphone dans le film, et quel effet de sens ou de perception produit le parti pris de Rohmer.

    Bon travail.