24
Daniel Dayan, CNRS, Paris Elihu Katz, University of Pennsylvania, Philadelphia TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE Agir par le rituel Comme les cérémonies traditionnelles étudiées par les ethnologues, la plupart des grandes cérémonies télévisées marquent une ambition «normative». Elles rappellent aux sociétés la nécessité de renouveler leur allégeance aux valeurs établies, aux fonctions et aux personnes qui représentent celles-ci. En ce sens, elles ont une visée hégémonique. Il arrive cependant que cer- taines d'entre elles soient, occasionnellement, porteuses d'un changement dans le domaine des symboles mais aussi dans celui des réalités. Souvent, les valeurs nouvelles ainsi proposées semblent déjà familières. Souvent, elles repré- sentent le retour d'idéaux dont on avait désespéré. Souvent aussi, les initiateurs du changement ne sont autres que les élites en place, paradoxe qui se traduit de leur part par une forte ambi- valence et de nombreuses hésitations. Mais bon gré, mal gré, et pour ambivalents qu'ils soient, certains événements télévisés annoncent et préfigurent le changement. Ces événements que l'on pourrait dire « transformatifs » s'accompagnent d'un certain style d'interaction entre les trois partenaires du contrat qui définit l'événement : organisateurs, diffu- seurs, audience. La « magie » particulière à ce processus fait l'objet du présent article 1 . Sous quelles conditions la diffusion cérémonielle d'une proposition de changement peut-elle, en fait, induire un tel changement? Ainsi formulée, cette question évoque la célèbre étude de Lévi-Strauss sur « l'efficacité sym- bolique » manifestée dans les cures, guérisons et transformations auxquelles procèdent sorciers et chamanes (Lévi-Strauss, 1963). Une dialectique s'instaure en effet entre un public temporaire- HERMÈS 17-18, 1995 163

TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, CNRS, Paris

Elihu Katz, University of Pennsylvania, Philadelphia

TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Agir par le rituel

Comme les cérémonies traditionnelles étudiées par les ethnologues, la plupart des grandes cérémonies télévisées marquent une ambition «normative». Elles rappellent aux sociétés la nécessité de renouveler leur allégeance aux valeurs établies, aux fonctions et aux personnes qui représentent celles-ci. En ce sens, elles ont une visée hégémonique. Il arrive cependant que cer­taines d'entre elles soient, occasionnellement, porteuses d'un changement dans le domaine des symboles mais aussi dans celui des réalités.

Souvent, les valeurs nouvelles ainsi proposées semblent déjà familières. Souvent, elles repré­sentent le retour d'idéaux dont on avait désespéré. Souvent aussi, les initiateurs du changement ne sont autres que les élites en place, paradoxe qui se traduit de leur part par une forte ambi­valence et de nombreuses hésitations. Mais bon gré, mal gré, et pour ambivalents qu'ils soient, certains événements télévisés annoncent et préfigurent le changement.

Ces événements que l'on pourrait dire « transformatifs » s'accompagnent d'un certain style d'interaction entre les trois partenaires du contrat qui définit l'événement : organisateurs, diffu­seurs, audience. La « magie » particulière à ce processus fait l'objet du présent article1. Sous quelles conditions la diffusion cérémonielle d'une proposition de changement peut-elle, en fait, induire un tel changement?

Ainsi formulée, cette question évoque la célèbre étude de Lévi-Strauss sur « l'efficacité sym­bolique » manifestée dans les cures, guérisons et transformations auxquelles procèdent sorciers et chamanes (Lévi-Strauss, 1963). Une dialectique s'instaure en effet entre un public temporaire-

HERMÈS 17-18, 1995 163

debeaupu
Crayon
Page 2: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

ment converti à une nouvelle définition du possible, et des acteurs cérémoniels dont la perfor­mance est relayée en direct par celle de la télévision. Comment ce que la cérémonie illustre comme « possible » peut-il s'inscrire dans la réalité ?

C'est ce qui sera exploré ici à partir d'un petit nombre d'exemples. Les cérémonies télé­visées constituent en effet une forme inhabituelle, interruptive de télévision ; un retour à l'ambi­tion collective d'un médium qui n'a cessé d'évoluer vers la fragmentation. En outre, si ces céré­monies constituent un genre, celles dont la visée est transformative, s'y retrouvent en position non seulement minoritaire, mais marginale, dans la mesure où une forme cérémonielle est ici imposée à des événements qui, sans celle-ci, relèveraient des nouvelles. L'analyse portera donc sur une poignée d'événements. La visite du pape en Pologne, en 1979; celle de Sadate à Jérusa­lem, en 1977; les auditions de Watergate; la diffusion en direct de certaines manifestations de masse dans l'Europe centrale de 1989; le Téléthon, qui, à Séoul, en 1984 aboutit à la réunion de centaines de milliers de familles déchirées par la guerre de Corée. Que ces événements soient en si petit nombre ne diminue pas leur intérêt théorique. Nous soutenons en effet qu'ils constituent non seulement des cérémonies, mais aussi des rituels : des formes efficaces d'action symbolique.

Il s'agit de définir ici ce sur quoi porte cette action, de dégager les dimensions qu'affecte la transformation opérée. Il s'agit aussi de reconstituer, sous la forme d'une chronique, les étapes au cours desquelles une proposition cérémonielle, débordant du cadre rituel, débouche sur une réalité historique, au fur et à mesure qu'elle émerge d'un contexte, précise des objectifs, mobilise le soutien collectif, se transforme en action. En d'autres termes, l'analyse des cérémonies trans-formatives portera à tour de rôle sur ce qu'elles sont, sur ce qu'elles font, et sur le fait de savoir comment elles le font.

Abordons brièvement le premier point.

La plupart des cérémonies se présentent comme des réponses à des événements, que ceux-ci soient cycliques et prévus de longue date, ou encore uniques et inattendus ; routiniers, ou annonciateurs d'une crise grave. En contrepoint au déroulement de la vie quotidienne, des céré­monies viennent ainsi nous parler des espoirs et des peurs liés au passage des saisons, aux entre­prises chargées de risques, à ces stades physiologiques que sont la puberté ou la mort; à ces changements de statut qu'illustre, par exemple, l'engagement du mariage. Mais la guerre ou la paix, les catastrophes naturelles, les conflits sociaux, ou les grands virages politiques peuvent être également gérés par des cérémonies visant à faciliter des transitions subies ou désirées. Les céré­monies télévisées n'échappent pas à la règle. Elles répondent à des événements, et, bien souvent, à des conflits ou à des crises.

Pourtant, il existe des cérémonies que rien ne relie à un événement extérieur. Innovatives, ou « transformatives », ces cérémonies présentent de façon solennelle une proposition de chan­gement radical et invitent une société entière à la prendre en considération ; Sadate à Jérusalem, le pape en Pologne s'emploient ainsi à remettre en cause l'intangibilité de plusieurs dogmes poli­tiques. Israël garde une porte ouverte, dit-on aux Israéliens, mais aucun dirigeant du monde

164

Page 3: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Télévision d'intervention et spectacle politique

arabe n'acceptera d'en franchir le seuil. La religion n'a aucun avenir à l'intérieur du bloc com­muniste, repète-t-on aux Polonais. Rien ne pourra lui rendre sa prépondérance. Chacune de ces doctrines va se trouver contestée. Qu'une telle contestation ait lieu, et de façon officielle, tel est ici l'événement. La cérémonie crée l'événement. L'arrivée de Sadate à Jérusalem, celle du pape en Pologne, ne sont pas improvisées dans une situation d'urgence. Elles sont le résultat de choix délibérés. Il existe bien sûr, un contexte général, dont l'événement tire sa signification, détermi­nant la nature du protocole mis en œuvre. Mais, dés lors que l'on cherche à localiser un événe­ment quelconque, c'est dans la cérémonie elle même qu'il faut le trouver.

Bien qu'elles constituent autant de plaidoyers pour le changement, il faut reconnaître que les cérémonies de ce type sont souvent organisées par les élites en place. Les dirigeants polonais ou israéliens qui permettent aux cérémonies d'avoir lieu ne le font pas sans arrière-pensées stra­tégiques. Les doctrines les plus officielles ont besoin d'être épisodiquement remises à jour. Les élites en place ont donc tout intérêt à prendre en charge cette remise à jour. En avalisant des changements par ailleurs inévitables, elles se donnent le moyen de limiter, voire de coopter ceux-ci (Gouldner, 1976; Katz et al, 1963).

Dans le cas de Sadate, comme dans celui du pape, nous savons que des réunions secrètes avaient préparé l'événement à l'avance et qu'à leur arrivée, les invités avaient été pourvus par leurs hôtes de scénarios bien orchestrés. Nous soutenons néanmoins que ces moments de remise en question des croyances officielles, révèlent, bon gré, mal gré : 1) qu'il existe des alternatives à une doctrine établie, ce qui relativise toute croyance en une vérité univoque; 2) que les alterna­tives proposées par l'événement cérémoniel se traduisent par de nouvelles perceptions de ce qui est possible. De telles perceptions sont difficiles à contrôler. Mais en quoi consistent-elles ? Que font, en d'autres termes, les cérémonies transformatives ?

Reformuler les paramètres de l'expérience Le dévoilement d'une nouvelle façon d'envisager une situation depuis longtemps bloquée

ou d'aborder un problème apparemment sans issue, caractérise les initiatives cérémonielles visant au changement. Celles-ci consistent avant tout à proposer un nouveau cadre de références. Remettant en jeu certains des contenus de la mémoire collective, ce cadre de références se carac­térise par une nouvelle perception du temps et une nouvelle conception de l'espace propres à une société. On peut alors dire des cérémonies télévisées à visée transformative : 1) qu'elles répondent à un conflit devenu latent; 2) qu'elles procèdent pour cela à une réécriture de l'his­toire et à un redéploiement de la géographie; 3) qu'elles permettent ainsi de recourir à des solu­tions consonantes avec les transformations introduites, mais précédemment inconcevables. La cérémonie elle-même se présente comme le modèle réduit d'une nouvelle ère. Les événements qui interviennent dans son sillage démontrent que ce qui est désormais concevable peut égale­ment être réalisé.

165

Page 4: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

Entrer dans une nouvelle ère

Une cérémonie transformative représente un tournant. La proclamation d'un nouveau type d'avenir réorganise rétrospectivement l'histoire qui mène au moment cérémoniel. La cérémonie elle-même constitue un moment « liminal », une interruption du temps social routinisé. Elle immobilise l'histoire dans son trajet. Elle invite une société à découvrir qu'il existait des alterna­tives à ses choix, et, ce faisant, à revivre en partie, l'angoisse, le chaos, et l'effervescence de sa genèse. De nouveaux projets naissent à la lumière desquels le passé est réinventé, et la mémoire collective réorganisée. Ce processus de remise à l'heure est observable en Corée, en Israël et en Pologne. Dans chacun de ces cas, une cérémonie médiatique permet de refermer une sombre parenthèse, de déclarer la fin d'une période d'après-guerre.

Dans le cas de la Corée, cette cérémonie manifeste au grand jour ce que beaucoup pensaient tout bas : aucune société ne peut rester à jamais mobilisée. L'immense expérience collective de la réunion des familles dispersées par la guerre démontre la légitimité des aspirations individuelles. Peut-être la dispersion de ces familles relevait-elle de la responsabilité de la Corée du Nord. Elle n'en avait pas moins été perpétuée par la Corée du Sud, dans un climat d'indifférence aux besoins individuels caractéristique de la guerre froide. La réunion des familles représente alors une réponse indirecte, venue de la sphère domestique, au coup d'Etat militaire qui l'avait précé­dée de trois ans. En un sens, elle marque la fin de l'après-guerre. Depuis lors, les Coréens ont suffisamment démontré leur méfiance à l'égard des autorités providentielles; leur capacité à défier celles-ci et à prendre leur destin en mains, y compris pour des enjeux qui ne sont plus limités à la sphère privée.

La visite de Sadate à Jérusalem, est, elle aussi, perçue comme la fin d'une période d'après-guerre. Elle sert de conclusion à un moment de l'histoire d'Israël qui commence avec la guerre de Kippour, et que l'on pourrait même faire remonter à la guerre d'indépendance. Ce moment se caractérise par une politique gouvernementale, fondée jusqu'à la chute des travaillistes en 1977, sur l'axiome de « l'impossibilité d'une paix durable entre les nations du Moyen-Orient ». La stratégie est alors de « maximiser l'avantage militaire » tout en manifestant la volonté d'entrer dans des conversations directes et inconditionnelles, supposées aboutir à la cession des terri­toires occupés en échange d'un accord de paix (Lewis, 1978). Avec l'arrivée de Sadate, les diri­geants israéliens ont l'occasion de mettre en accord leurs paroles et leurs actes.

Ils sont puissamment aidés en cela par l'intérêt que suscite l'événement pour le passé com­mun des Juifs et des Arabes ; pour leur cousinage comme descendants d'Abraham. On découvre l'importance des communautés de « Juifs-Arabes » dans la démographie du nouvel Israël. On souligne aussi le passé commun de Sadate et Begin comme adversaires du colonialisme, et comme pensionnaires des geôles britanniques. Quant aux anciennes sympathies pro-nazies de Sadate, on se garde, bien entendu, de les mentionner. La visite de l'homme d'État égyptien marque, alors, le moment à partir duquel les crises ou les guerres du Moyen-Orient cessent d'être exclusivement rapportées au conflit entre Arabes et Israéliens. Les informations portant

166

Page 5: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Télévision d'intervention et spectacle politique

sur Israël se dédoublent en deux récits. Aux côtés de la chronique désormais banale des hostili­tés du jour, apparaissent des variations sur un nouveau thème : la progression de la paix.

La visite de Jean Paul II en Pologne illustre également la fin d'une période d'après-guerre. Une ère s'y conclut, au cours de laquelle la Pologne avait, aux yeux du monde, fini par se fondre dans la masse socialiste et athée des pays voisins. Cette ère commence en 1948, sous l'égide du Parti Unifié des Travailleurs Polonais. Elle culmine en 1953 avec l'arrestation de huit évêques et neuf cent prêtres, et la mise en résidence surveillée du Cardinal Wyszynski. Bien sûr, la répres­sion brutale ne dure que quelques années, et, depuis Gomulka, l'Église polonaise ne cesse de renforcer son pouvoir. Pourtant, malgré sa remarquable expansion, elle reste sans existence légale ni droits garantis, situation qui provoque, en 1979, la vigoureuse protestation de l'ancien évêque Woytila : « Nous constituons une communauté si vaste quelle se confond pratiquement avec la nation polonaise. On ne peut nous maintenir en marge de la loi». Et, de fait, la visite de Jean Paul II marque un retour aux origines communes de la foi et de la nation.

Dans sa fameuse exhortation : « Courage, n'ayez pas peur! », Jean Paul II s'adresse directe­ment à la mémoire collective des Polonais. Il rappelle à ceux-ci que leur christianisme est fondé sur la compatibilité paradoxale du triomphe et de l'oppression. Il les invite à adopter un projet historique inspiré du christianisme des origines; à trouver dans cette oppression le moyen d'affir­mer leur identité. L'exemple du Christ lui permet alors de montrer que l'absence de tout pou­voir peut conduire, non pas à la passivité, mais à la passion.

Le modèle du martyre traverse ainsi, comme un fil rouge, l'histoire de la Pologne, ratta­chant son avenir à un passé symboliquement représenté par la figure de l'évêque Stanislas, déca­pité et jeté dans un lac pour avoir osé défier le pouvoir temporel du roi Boleslas IL Curieuse­ment, le mythe de Saint-Stanislas va se rejouer, en une sorte de mystère médiéval, avec l'assassinat en 1984 du père Popieluscko, dont le corps est jeté à l'eau. Les deux martyrs sont, depuis, honorés dans un culte commun, illustrant ainsi la continuité établie entre un projet histo­rique, et les éléments mobilisés de la mémoire collective.

La persécution et l'oppression ne sont pas seulement des éléments essentiels de l'histoire du christianisme, conduisant à l'idéal du martyre, mais ce sont aussi des « métaphores constitu­tives » (Turner et Turner, 1974) de l'identité polonaise. À travers une histoire marquée par le maintien de la foi face aux invasions et aux occupations, la Pologne se perçoit elle-même, histo­riquement, comme le martyre de l'Europe; l'agent éventuel de son rachat. C'est un «peuple élu », le « prophète collectif d'une ère nouvelle », un « Christ parmi les nations » (Jeanneney, 1987).

De fait, l'initiative polonaise s'avère prophétique. « S'il fallait fixer une date pour le commen­cement de la fin en Europe orientale, ce serait juin 1979... Je suis convaincu que le premier grand pèlerinage du pape en Pologne représente le moment où tout a basculé. Là, pour la première fois, on voit se manifester l'unité d'une société, de façon massive, résolue, et pourtant, suprêmement paci­fique -.foules paisibles défiant l'Etat-parti. » (Ash, 1990, p. 133).

Dix ans après la visite du pape, neuf ans après les débuts d'une résistance organisée, la

167

Page 6: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

Pologne met aux commandes son premier chef de gouvernement non communiste, le mur de Berlin s'écroule, et Vaclav Havel prend ses fonctions de président de la République tchécoslo­vaque. C'est l'année 1989, que Dahrendorf qualifie d'« annus mirabilis », mais aussi d'« année de la télévision » (1990). Année de la télévision, car, ajoute celui-ci : « Quiconque a pu assister au désarroi grandissant du dictateur roumain Nicolae Ceaucescu, au cours de la manifestation organi­sée le 21 décembre par ses propres agents — manifestation qui se retourna en explosions de colère dirigées contre lui — η oubliera probablement jamais que Vimage du dictateur fragilisé venait de signer sa perte ». Ainsi prirent fin, poursuit Dahrendorf : « ...plus de quatre décennies qui avaient commencé avec ΐenvoi depuis Moscou du (long télégramme' où George Kennan soulignait le peu d'intérêt manifesté par les soviétiques pour la création d'un ordre mondial commun, et avec le dis­cours de Fulton, Missouri, où Winston Churchill, avait introduit l'image du « rideau de fer ». Ces décennies étaient celles de la guerre froide. »

On pourrait proposer une analyse semblable du rôle symbolique joué par l'affaire de « Watergate » vis-à-vis de l'histoire récente des États-Unis. De ce point de vue, les auditions du Congrès n'ont pas simplement offert à la société américaine le moyen de répondre à un scandale. Elles ont été aussi perçues comme l'annonce de la fin du « style impérial » qu'avait adopté la pré­sidence; comme la promesse d'un retour à une Amérique tirée de l'apathie politique. Alexander (1988) soutient ainsi que Watergate remplit une fonction latente : combler le fossé existant entre la « majorité silencieuse » invoquée par le président Nixon, et les mouvements représentatifs de la gauche des années soixante; mouvements qui avaient rejeté les valeurs dominantes, combattu l'inégalité des droits, et condamné la présence américaine en Asie du Sud-Est. Au-delà de son aspect violemment polémique, la bataille de Watergate aboutit à une sorte de consensus minimal entre ces deux groupes sur ce qui est légal et ce qui ne l'est pas. Alexander lit alors la progression minutieuse des auditions du Sénat comme un rituel de réconciliation nationale. Un dialogue s'esquisse entre les courants antagonistes d'une Amérique divisée par la guerre du Vietnam. Grâce à ce dialogue, un long silence est rompu. À nouveau, l'événement cérémoniel marque la fin d'une période d'après guerre.

Dans la mesure où il introduit un nouveau paradigme, l'événement cérémoniel provoque une perception renouvelée de tout ce qui l'a précédé. Le passé immédiat est soudain mis à dis­tance. C'est désormais une « période », une « ère », et en tant que tel, il se voit attribuer un nom. Dans bien des cas, les heures qui précèdent la cérémonie semblent déjà appartenir à cette pé­riode révolue. Quant au présent, réactivant une préhistoire brusquement tirée de l'oubli, il se trouve rattaché à ce passé lointain dont ne le sépare plus qu'une parenthèse désormais insigni­fiante. L'événement semble alors marquer le retour d'une société à sa vocation véritable, permet­tant à l'histoire de recommencer au point où elle s'était interrompue. De tels événements repré­sentent de véritables «renaissances» (Alberoni, 1983). Comme les guerres dont ils sont les équivalents moraux (James, 1917), ils permettent la scansion du temps historique. Transcrit dans le langage souvent hyperbolique de l'historiographie populaire, ce pouvoir de scansion peut s'exprimer ainsi : « Le fait même qu'un tel événement puisse avoir lieu ne prouve-t-ïl pas que nous sommes déjà entrés dans une ère nouvelle?».

168

Page 7: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Télévision d'intervention et spectacle politique

Redéployer l'espace

Les événements transformatifs peuvent également affecter l'image qu'une société se fait de la nature de son inscription géographique. Les membres de cette société renaissent, en quelque sorte, à un monde nouveau. Certes, nulle migration ne s'est produite. Chacun reste là où il était. Mais, au cours de l'événement, le monde s'est redéployé. La géographie s'est transformée en enjeu symbolique.

Les transformations introduites par les événements transformatifs se ressemblent entre elles. Ce sont des remodelages spatiaux, des remises en question des paramètres géographiques de la construction des identités. La plupart des événements étudiés ici se présentent ainsi comme des variations sur le thème de l'insularité.

Partons du plus simple ou du plus évident. Chacun d'entre nous, savait, qu'en théorie, la terre ne se confond pas avec l'univers. Avec les missions Apollo, et les premiers alunissages, ce savoir désincarné s'illustre dans les aléas d'un récit. Ce qui n'était jusque là qu'un concept paré du prestige des abstractions scientifiques, devient une expérience partagée.

Prenons d'autres exemples : avant la réunion des familles séparées par la guerre de Corée, réunion déclenchée depuis Séoul par le « Korean Broadcasting System », les deux Corées, celle du Nord et celle du Sud, semblent séparées par un irrévocable clivage. Les scènes de retrou­vailles diffusées en direct révèlent pourtant que la géographie de la partition n'explique pas tou­jours le problème des familles séparées ; que cette partition est bien souvent utilisée comme un prétexte, et que la Corée du Nord joue ici le rôle d'un bouc émissaire. Une continuité se dégage entre les deux Corées, en dépit de l'hostilité qu'elles se vouent. Menaçante pour le statu quo, la possibilité d'une levée du rideau de fer, entraîne une multiplication d'incidents frontaliers. Mais ces incidents s'accompagnent d'une série de mesures destinées à faciliter les échanges, mesures largement facilitées par l'imminence d'un autre événement télévisé, alors perçu comme un vec­teur de conciliation : les Jeux olympiques de Séoul.

La Pologne est également amenée à reformuler son inscription géographique dans le sillage de la première visite du pape Jean Paul IL Filmés en direct, les grands tournants de ce voyage illustrent sans équivoque le rôle central joué par le catholicisme dans la constitution de l'identité polonaise. L'importance du catholicisme souligne la parenté de la Pologne avec un certain nombre de pays européens, faisant passer au second plan les composantes slaves de cette iden­tité. Une jonction s'opère alors avec un passé au cours duquel la Pologne ne faisait pas partie du bloc des « pays de l'Est », mais entretenait des liens étroits avec d'autres « filles » de l'Eglise : la France (avec la dynastie des Lesczynski), l'Italie (dont l'influence architecturale est encore mani­feste). Le fait que la visite du pape soit celle d'un Polonais désigne, de plus, le Vatican comme une sorte de prolongement de la Pologne, perception que Jean Paul II encourage sans ambiguïté au cours de la messe qu'il célèbre à Yasna Gora : « Notre Dame de la Montagne Claire, je te consacre L'Europe et tous les continents; je te consacre Rome et la Pologne unies en ton servi­teur. ». Le pape suggère ainsi aux Polonais une nouvelle perception de la géographie. Ils ne sont

169

Page 8: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

plus un appendice de l'Union soviétique, mais un avant-poste de l'Europe occidentale. De cette Europe, malgré leur position périphérique, ils sont en quelque sorte le centre, ou plus exacte­ment, le cœur.

Ce changement de perception fait écho à celui qui se fait jour chez les Israéliens après la visite de Sadate. Tandis que la Pologne rompt les amarres qui la rattachent à l'Europe orientale, pour se transformer en île catholique, les Israéliens comprennent de leur côté qu'ils ne peuvent éternellement constituer un poste avancé de l'Occident, une forteresse assiégée, un îlot européen au milieu du Moyen-Orient. La visite de Sadate révèle que les trente minutes de vol qui séparent Le Caire de Tel-Aviv ne mesurent pas seulement le trajet des bombardiers de l'adversaire. La proximité se transforme en voisinage. Les Israéliens commencent à se presser dans les agences de voyage : un monde nouveau et fascinant s'étend devant leur porte. On propose un jumelage entre Tel-Aviv et Alexandrie. On propose aussi que l'arabe remplace l'anglais comme première langue vivante enseignée dans les écoles. Israël semble de retour au Moyen-Orient.

Une évolution semblable affecte les pays d'Europe centrale, au moment de la chute du rideau de fer. C'est le sentiment d'avoir rejoint le continent. «Au cours de mes voyages depart et d'autre du rideau de fer, écrit ainsi Ash (1990), f ai parfois songé que le véritable clivage sépare ceux, qui (à l'Ouest) ont déjà l'Europe, et ceux qui (à l'Est) y croient. Et partout, la même expres­sion revient comme une antienne. Les événements en cours marquent un 'Retour à l'Europe' ».

Ces quelques exemples offrent un premier élément de réponse au problème de la « magie » de ces événements, à la question qui porte sur le pouvoir qu'ils ont de susciter de nouvelles réali­tés historiques. Ce pouvoir, essentiellement symbolique, est celui qui consiste à remplacer, à l'intérieur du cadre cérémoniel, un paradigme donné par un autre, et à offrir en spectacle l'illus­tration du paradigme nouveau. Les cérémonies transformatives mettent l'histoire sur de nou­veaux rails, suggérant un nouveau vocabulaire pour l'action, remodèlent des perceptions jusqu'alors structurées par des catégories familières et apparemment indiscutables. Mais si c'est là ce qu'elles font, comment procèdent-elles?

Le défoulement des événements transformatifs

Les événements transformatifs partagent une structure séquentielle caractérisée par une succession de phases identifiables. Ce type d'organisation séquentielle a été étudié par des anthropologues à propos d'autres processus transformatifs, tels les rites de passage (Wallace, 1966, in Myerhoff, 1982; Turner et Turner, 1978). Les phases que nous dégageons ici ne sont pas nécessairement présentes chaque fois que se produit un événement transformatif. Elles peuvent néanmoins être repérées dans chacun de nos exemples principaux. Chacun d'entre eux semble en effet se conformer au scénario suivant :

— 1. La cérémonie est organisée dans un contexte où un problème considéré comme inso-

170

Page 9: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Télévision d'intervention et spectacle politique

lubie a fini par être accepté comme une fatalité. Ce problème ne se traduit plus par un climat de crise. Il fait désormais partie de l'ordre des choses. Il existe mais il est passé au second plan. Si crise il y a, elle est entrée dans une période de latence.

— 2. L'annonce d'un événement cérémoniel, au cours duquel le problème sera explicite­ment évoqué, suggère qu'un changement est possible. Le moment de l'annonce réveille les aspira­tions étouffées. Un climat d'attente, de supputation des possibilités est ainsi créé. La résignation fait place à une effervescence qui va culminer avec l'événement lui même.

— 3. L'événement se présente comme un « geste ». Ce geste est censé accomplir un pre­mier pas vers la solution du problème. En ce sens, il est instrumental. Mais il a surtout valeur expressive. Il présente sur le registre dramatique, une illustration de l'état des choses désiré. La cérémonie se propose comme un modèle réduit de cet état de choses. Elle en est la métaphore. Elle est aussi l'indice de sa possibilité : en un sens, il s'agit d'un «faire comme si», il s'agit d'une expérience, ou d'un galop d'essai.

— 4. Les acteurs cérémoniels ne limitent pas leur performance à des gestes. Ces gestes sont relayés par une activité discursive. L'événement est joué mais il est aussi un événement parlé. C'est sur cette activité de parole que porte la majorité des commentaires. Pourtant, ceci n'est pas, pour nous, le point culminant de l'événement. Les mots prononcés visent à guider l'inter­prétation du geste qui vient d'avoir lieu, à en augmenter ou à en limiter la portée, à en préciser la résonance. Il s'agit donc d'une sorte de glose sur l'événement, d'un moyen de prédéfinir les modalités de sa réception.

Pourtant, il ne s'agit pas seulement ici d'accompagner le geste d'une sorte de légende. L'interprétation proposée par les acteurs est puissamment directive. Comme le chamane de Lévi — Strauss, l'acteur cérémoniel reformule à l'aide de paradigmes culturellement acceptés, la situation face à laquelle il intervient. Cette situation acquiert alors une intelligibilité, mais à l'inté­rieur d'une dynamique orientée vers un dénouement précis. Elle vise à « faire faire », et s'appuie pour cela sur une élaboration mythique.

— 5. La dernière phase concerne l'après-coup de l'événement : le public est alors invité à en évaluer les conséquences et amené à en moduler les effets.

L'événement impensable : la période de latence

Un problème apparemment insoluble s'est installé de façon permanente. Il n' y a plus ni crise, ni scandale ouvert en contraste, par exemple, avec l'affaire de Watergate. Le sentiment d'urgence ou de crise s'est émoussé avec le temps. Le fossé entre les deux Corées ne sera pas comblé. Le catholicisme en Pologne demeurera proscrit. Les deux superpuissances ne seront jamais réconciliées. L'état de guerre au Moyen-Orient restera endémique. La crise fait partie d'une réalité avec laquelle il a fallu apprendre à vivre. Elle se maintient, mais en sommeil.

Les événements transformatifs ne naissent donc pas d'une situation d'urgence. Ils répondent à des aspirations désormais réduites au silence. Ces aspirations sont néanmoins

171

Page 10: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

réelles, ce qui explique que, dans certains cas — en Corée, ou en Europe Orientale, par exemple — de tels événements se déclenchent de façon apparemment spontanée. Leur pouvoir tient au fait qu'ils répondent à une attente. Leur émergence suscite un consensus, réactive un ensemble de valeurs partagées par les gouvernants et par les gouvernés. Les événements transformatifs marquent le retour d'une promesse non tenue. Ils se présentent comme la reconnaissance tardive d'une dette ou d'un contrat. L'initiative qu'ils représentent consiste à honorer une obligation.

Jusqu'ici, ceux qui soulignaient la légitimité de certaines aspirations bafouées pouvaient arguer de leur bon droit ; ils pouvaient choisir d'intervenir publiquement. Mais, la cause sem­blant perdue, il n'avaient droit au mieux qu'à une attention polie. Les alternatives qu'ils propo­saient restaient inaccessibles au public, censurées ici par des médias au service du pouvoir, igno­rés ailleurs par des médias dédaigneux de leurs positions jugées excentriques. Ces alternatives restaient marginales, prisonnières de ce que Noëlle-Neumann (1984) désigne comme une «spi­rale du silence ».

L'événement signalé : VAnnonce faite au public

Pour des raisons qui peuvent varier, l'une de ces alternatives échappe au silence où elle était plongée. Au terme d'une longue résistance, les représentants du pouvoir la reprennent à leur compte, la valident, lui conférant une visibilité inattendue. Ainsi, Begin confirme-t-il l'auto-invitation de Sadate en assurant Walter Cronkite qu'Israël est prêt à accueillir tout dirigeant arabe disposé à parler de paix. De même, les autorités polonaises assurent-elles le pape que, s'il désire se rendre dans son pays natal, il sera le bienvenu. Le gouvernement tchécoslovaque donne à entendre, de son côté, que les manifestations publiques d'opposants seront tolérées ; qu'il n'y aura pas d'excès policiers. La Maison-Blanche reconnaît enfin que l'effraction dans les bureaux du parti démocrate n'est pas un épisode subalterne.

Chacun de ces cas illustre une manœuvre consistant à récupérer ou à déjouer un mouve­ment d'opposition (Gouldner, 1976). Pour l'équipe dirigeante, il s'agit de ne pas se laisser prendre de vitesse par l'émergence d'un nouveau consensus. Elle fait mine d'organiser une situa­tion qui lui échappe. Ainsi verra-t-on les uns céder aux pressions exercées par des factions concurrentes au sein de l'élite, ou, les autres — en Europe orientale, par exemple — tenter de survivre à l'écroulement des régimes « frères ». Les élites auxquelles on attribue l'initiative d'évé­nements de ce type sont souvent fort réticentes à leur égard. Elles ne suscitent pas ces événe­ments. Elles les concèdent. Potentiellement menacées, elles évitent d'exprimer ouvertement leur désaccord, réprimant leur ambivalence, limitant leurs objections à des considérations pratiques. Comment, en effet, se désolidariser d'événements qui incarnent les principes auxquels on a offi­ciellement adhéré?

L'annonce de l'événement — Sadate va bénéficier d'une réception officielle ; le pape va être autorisé à célébrer une messe à Varsovie; le Sénat va procéder à des audiences consacrées à l'affaire de Watergate•; la télévision Coréenne va être autorisée à poursuivre son programme de

172

Page 11: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Télévision d'intervention et spectacle politique

réunion des familles ; la télévision tchécoslovaque va diffuser en direct un reportage sur les mani­festations — représente pour le public un message sans ambiguïté. Un paradigme jusqu'ici domi­nant se voit soumis à un réexamen. Sauf pour la Tchécoslovaquie et la Roumanie où des épisodes révolutionnaires viennent bousculer le processus, la période de latence s'achève sur une annonce : une position jusqu'ici considérée comme parfaitement utopique est désormais prise au sérieux. Des projecteurs de télévision illuminent la foule massée Place Wenceslas. Le possible est devenu concevable.

L'annonce de l'événement inverse le mouvement de la « spirale du silence ». Les sentiments et les aspirations du public sont désormais libres de s'exprimer. Les individus et les groupes qui s'étaient résignés au statu quo peuvent le dénoncer ouvertement. Les médias souterrains, alterna­tifs, bricolés, qui permettaient aux contre-courants de s'exprimer tant bien que mal, émergent au grand jour. De nouveaux leaders d'opinion s'imposent. De nouveaux acteurs politiques se font entendre. Les Polonais se rassemblent dans les églises; les Coréens à la recherche de leurs parents disparus obtiennent que des moyens massifs soient mis à leur disposition; les foules d'Europe centrale se mobilisent en défilés protestataires. Suscitant une effervescence qui évoque le «statu nascendi», d'Alberoni (1983), le moment de l'annonce agit comme un ferment social, provoquant à lui seul des réactions en chaîne.

Certes ces réactions ne se produisent pas en un clin d'œil. Le moment de l'annonce inau­gure une période que l'on pourrait comparer à l'intervalle entre statuts qui caractérise les rites de passage. Un certain ordre a été abandonné. Le nouvel ordre n'est qu'entrevu. L'intervalle fait surgir une foule de questions portant sur l'identité et sur l'histoire du groupe. Ainsi, à l'annonce de la visite de Sadate, l'opinion publique israélienne se préoccupe-t-elle de savoir s'il y a eu d'autres possibilités de paix, et si ces possibilités ont été ignorées. La guerre de Yom Kippour aurait-elle pu être évitée? Représentait-elle au contraire, malgré son coût en vies humaines, le prix à payer pour que l'adversaire consente un jour à négocier? Les journaux et la télévision multiplient les interprétations et les mises en perspective. Divers scénarios sont proposés, anti­cipant les conséquences de l'événement. Le statu-quo perd son statut de réalité indiscutable. Il se révèle une construction possible, une construction parmi d'autres.

Quant au nouvel état de choses, il fait l'objet de spéculations. Que demandera Sadate en échange? Israël restituera-t-il l'ensemble de la péninsule du Sinai? Est-ce bien de paix que se préoccupe Sadate ? Procède-t-il au contraire à une opération de relations publiques destinée à obtenir un prêt des États-Unis ? Va-t-il avaliser, au moins tacitement, l'occupation de la rive occi­dentale du Jourdain ? Est-il représentatif du reste du monde arabe ?

Rappelons qu'il n'y a encore eu ni cérémonie, ni manifestations, ni discours. Anticipant l'événement, des changements se produisent déjà. Le simple fait de l'annoncer déclenche une vague de réflexivité. Toutes les possibilités sont passées en revue par les médias, et par l'ensemble de la population, sceptiques compris. Cette surenchère spéculative traduit une sorte de transformation cognitive. La réalité politique se conjugue désormais au « subjonctif », ou au conditionnel. La suspension du scepticisme qui permet une telle emprise du « possible » ne se

173

Page 12: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

confond pourtant pas avec une crédulité naïve. Elle relève d'un exercice d'imagination, d'une décision consistant à tolérer pour un temps, l'introduction d'une dissonance (Turner, 1969).

Le public est en effet confronté à un paradoxe. Israël se considère comme assiégé, comme victime de la haine et du rejet arabes. Pourtant l'homme qui a déclenché la guerre de Kippour vient maintenant proposer la paix. Les dirigeants polonais ont tout fait pour éradiquer l'Église catholique. Ces mêmes dirigeants invitent aujourd'hui le pape. La Corée du Nord est tenue pour responsable de la guerre qui a déchiré les familles. Mais les parents disparus n'y étaient pas pri­sonniers. Ils sont retrouvés en Corée du Sud. Les Tchèques savent bien comment les chars russes ont répondu, dans le passé, à leurs velléités d'indépendance. Malgré tout, Place Wenceslas, des centaines de milliers de personnes conspuent le communisme. Dans chaque cas, l'annonce d'un fait nouveau vient contredire des croyances établies. De plus, l'information nouvelle est bien trop sérieuse pour être simplement ignorée. Comment alors réconcilier deux propositions contradictoires, mais dont chacune semble valide ?

Mettant en jeu ce que Sperber (1975) définit comme le «processus symbolique », cette contradiction peut être résolue par un réaménagement des contenus culturels visant à atténuer le scandale logique qu'elle représente. Ce réaménagement affecte la perception du temps. Si la nou­velle proposition contredit une vérité acquise, la contradiction se résout dés lors que la vérité acquise est conçue comme dépassée. L'ancienne croyance et la nouvelle information peuvent être l'une et l'autre pertinentes, mais pour des périodes différentes. La contradiction peut être évitée si l'on soutient que la nouvelle information se situe à l'intérieur d'une nouvelle ère. Est-il possible qu'une offre de paix nous parvienne de notre pire ennemi? Oui, si les temps ont changé.

L'invocation d'une « nouvelle ère » résout en partie le problème de la dissonance. Elle per­met aussi d'expliquer le rôle de scansion joué par des événements de ce type vis-à-vis du temps historique. Elle démontre enfin la dimension anticipatoire du processus de réception. Celui ci se déclenche, en fait, bien en amont de l'événement lui même.

L'événement joué : le modèle réduit

La performance des acteurs cérémoniels présente deux volets. Il s'agit tout d'abord d'une performance gestuelle. L'action des protagonistes consiste ici à proposer un « modèle », ou une illustration d'un état de choses à venir (Handelman, 1989). Il s'agit ensuite d'une performance verbale (allocutions, discours) dont la visée consiste à « centrer » ou à « recadrer » l'événement (Goffmann, 1974).

Les gestes et les paroles peuvent être simultanés, mais ils sont généralement décalés. Les gestes se manifestent en premier. Ils seront ensuite explicités discursivement. Ce décalage se manifeste assez nettement dans les cérémonies d'arrivée. Sur des pistes d'atterrissage hâtivement ornées d'attributs officiels, la descente d'avion, diffusée en direct, acquiert la solennité des gran­des fresques historiques. La présence des acteurs sur les marches de la passerelle, résume

174

Page 13: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Télévision d'intervention et spectacle politique

l'ensemble de la situation. Quelques pas hors de l'avion suffisent à l'avènement d'un paradigme nouveau. Du point de vue sémantique, ces quelques pas ne représentent pourtant rien de neuf. Ils ne font que confirmer un message qui était déjà celui de l'annonce. Dans le passage du conce­vable au possible, ils attestent néanmoins qu'une nouvelle étape est franchie. Cette étape fait appel aux pouvoirs du rituel : audience élargie et simultanée, dramatisation des comportements, gestualité contrôlée, où se projette, en une sorte de modèle réduit, ce que l'on attend de l'événe­ment. C'est ici que la télévision passe au premier plan.

La transmission a commencé. En faction devant leurs postes, en proie à des émotions contradictoires, les spectateurs attendent avec impatience que l'événement se concrétise enfin. Ils assistent alors à une sorte de charade, à un tableau vivant régi par une mise en scène protoco­laire. La présence des protagonistes suffit en effet à illustrer le nouveau paradigme. Elle consiste à faire « comme si », à prétendre que ce qui est désormais possible, est, en outre, réalisé. Sadate est salué d'une volée de 21 coups de canon, reçu en chef d'État allié. Le pape s'agenouille, pose ses lèvres sur le sol polonais. Les télévisions tchèque et roumaine transmettent en direct des manifestations de défi au pouvoir. « Il est incroyable, écrit le « New York Times », que le parti communiste mette la plus puissante de ses armes, la télévision d'Etat, à la disposition des opposants. Tout se passe comme si il s'agissait déjà d'une démocratie libérale » (Apple, 1989).

Les déclarations, pour le moment, restent brèves, formelles. Le nouveau paradigme n'est pas encore présenté discursivement. La situation parle d'elle-même. Les cérémonies diffusées en direct depuis Prague — la manifestation à laquelle le Premier ministre accepte d'assister; ou encore la réunion spéciale du parlement, le 29 novembre— sont d'excellents exemples de céré­monies qui servent de « modèles » à une situation souhaitable ; qui se présentent ainsi comme des « anticipations ». Certes, la transmission en direct d'un meeting d'opposants est un bon indi­cateur de l'existence d'un processus de démocratisation. Mais cette transmission n'a pas seule­ment valeur d'index. Elle illustre déjà ce que peut être une démocratie. On assiste en effet à un réel débat entre contestataires et dirigeants du parti. Qu'un tel débat puisse avoir lieu est évi­demment emblématique. L'échange des arguments préfigure ce que pourrait être une société ouverte. Il en propose le modèle réduit.

Dans la plupart de nos exemples, on pourrait parler d'une sorte de jeu. Nous assistons à une gesticulation, à une pantomime consistant à «faire comme si». Comme si le problème évo­qué avait déjà été résolu. Comme si la paix entre Israël et l'Egypte avait déjà été signée. Comme si le catholicisme polonais n'était plus en liberté surveillée. Comme si la Tchécoslovaquie était déjà en démocratie. Dans tous ces exemples, ce «faire comme si» s'investit de l'autorité propre aux individus et aux institutions représentatifs du « centre » de la société. Certes il y a « jeu », mais comme le dirait Geertz (1973), ce jeu devient un «jeu profond». Certes, il s'agit de « gestes », mais ces gestes acquièrent une dimension performative validée par la stature des acteurs. «Faire comme si», c'est ici, faire.

La télévision sert alors à transposer ce « faire » en une expérience collective, à offrir le spec­tacle du « non encore advenu ». Devant l'importance des enjeux, les spectateurs tentent de ne

175

Page 14: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

pas se retrouver seuls devant leur poste. Ils se regroupent en collectivités de visionnage, confir­mant l'un pour l'autre que l'événement dont ils sont les témoins a bien lieu. Leur nombre lui confère alors une réalité supplémentaire. Les gestes ont bien lieu, mais, ainsi validés, sont-ils encore des gestes ?

Offrant le spectacle du « non encore advenu », les événements de ce type procèdent à une distorsion du temps. Ce sont des machines à anticiper, des excursions dans le futur. Leur para­doxe consiste à affirmer simultanément que ce futur est déjà là, mais qu'il reste à le faire advenir. Ce paradoxe est celui que souligne Alberoni (1983), lorsqu'il écrit à propos des «états nais­sants » que « symboliquement ils sont entièrement réalisés. En pratique, tout reste à réaliser ». De certaines transformations on nous propose un modèle réduit. Mais, pratiquement, rien n'a eu lieu. Un geste a été diffusé. Que ce geste se charge de conséquences dépend de la réponse du public, et de la suite de l'événement.

L'événement parlé : directives mythologiques

Pour les journalistes qui en rendent compte, ces cérémonies atteindraient leur point culmi­nant au moment où les acteurs s'adressent au public, précisant sous forme discursive la nature de la transformation visée. Cette performance discursive constituerait ainsi le centre de l'événement. Pourtant cette performance peut être absente, comme le montre l'exemple coréen2. Souvent, aussi, elle intervient à un moment où l'effet de choc créé par l'événement est déjà passé. Ceci revient à dire que l'aspect gestuel de l'événement, loin d'en être le prélude, constitue en fait son moment crucial. Quant à la phase dont il est maintenant question, elle consisterait alors à doter l'illustration d'une légende, à commenter l'expérience que l'on vient de vivre. Ce commentaire se situe dans un contexte polémique.

Les tensions mises en sommeil au cours de la phase gestuelle de l'événement se sont mainte­nant réveillées. Tout utopiques qu'ils soient, les événements transformatifs n'en sont pas moins subversifs. Les réconciliations qu'ils proposent sont autant de condamnations des politiques qui les avaient ajournées. Ceci explique que l'aval, qu'ils reçoivent des autorités, s'accompagne de réserves. Lorsqu'ils ne se présentent pas comme des éruptions spontanées, les événements trans­formatifs sont typiquement des événements « concédés ». Dans le cas de Sadate, dans celui du pape, sinon en Tchécoslovaquie, ces événements se construisent autour de la performance d'un « invité ». Sous la pression de l'opinion publique nationale et internationale, des dirigeants en titre s'inclinent — difficilement, et, bien sûr, temporairement — devant les personnages qu'ils ont conviés à jouer un rôle précisément défini. Ceux-ci, de leur côté, vont tenter de prendre l'événement en mains. Comme Arlequin, l'événement va se trouver alors au service de deux maîtres. À propos du meeting tenu dans les Jardins de Letenske, à Prague, Apple écrit ainsi : « On est au cœur d'une remarquable dramaturgie politique : le pouvoir contesté avalise une mani­festation dont il est la cible ».

On fait souvent de l'univers cérémoniel, l'exemple-type d'un discours univoque. Cet univers

176

Page 15: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Télévision d'intervention et spectacle politique

se caractériserait par un « monologisme » autoritaire (Bakhtine, 1981). Les événements trans-formatifs se présentent au contraire comme des événements « dialogiques ». Pour la puissance invitante, la cérémonialité conférée à l'événement vise à contenir celui-ci, à affirmer son caractère exceptionnel, à rappeler son statut temporaire, à l'isoler du monde réel. Pour la puissance « invi­tée », la cérémonialité est un vecteur de diffusion de l'événement, permettant à celui-ci d'infiltrer ce monde réel, de ne pas rester confiné dans la parenthèse « liminale » (Turner, 1969) ; de récrire l'histoire d'une société. Confondues jusqu'ici dans un même geste, ces deux options vont mainte­nant s'affronter, se constituer en stratégies symétriques. Stratégie défensive, pour les hôtes ; stra­tégie offensive, pour les invités.

Depuis leur position à l'intérieur de l'événement, les hôtes peuvent y affirmer qu'il y a cor­respondance entre leur propre agenda et les préoccupations du public. Leur script va consister à montrer que l'aspiration au changement s'inscrit dans une continuité. Mais si machiavélique qu'il soit, l'acteur invitant peut ici jouer le rôle d'un apprenti sorcier. Au lieu de contenir l'événement, sa présence risque de valider les changements dont celui-ci est porteur. Dès lors qu'il est proposé à une expérience collective, le message de l'événement risque de déborder les barrages de com­mentaires visant à en atténuer la portée ; d'agir sur l'opinion en inversant la dynamique de la spi­rale du silence. Bien entendu, le script de l'invité, consiste à souffler sur le feu.

Dépourvu de tout pouvoir sur la société qu'il exhorte, de toute ressource institutionnelle, l'invité ne peut agir que par la cérémonie. Pour transformer la réalité, il doit se contenter de pro­poser du sens. Ses moyens d'action se limitent au charisme dont il est investi, et à celui que lui confère l'événement lui-même. Sa performance va alors consister à transposer la situation où il intervient sur un registre symbolique susceptible d'imposer un certain type de dénouement. Elle se donne deux grands objectifs : 1. Montrer que le modèle utopique qu'il vient, par sa présence, d'illustrer, a toujours orienté l'histoire de la société concernée; 2.Démontrer que la trans­formation proposée est non seulement désirable mais réalisable.

Il revient au partenaire invité de maintenir le climat que sa simple présence a su créer, d'entretenir les attentes et de les reformuler en un programme compatible avec la réalité, en évi­tant notamment toute confrontation directe avec la puissance invitante. L'exercice est difficile comme le montre le scandale diplomatique provoqué par le discours de de Gaulle à propos du « Québec libre ». Il est hors de question pour le leader invité de proposer un programme tant soit peu détaillé. Bien trop souvent, ses propositions doivent rester vagues ou ambiguës, et ceci pour une raison simple. Il ne lui appartient pas de mettre en œuvre un tel programme. Une telle mise en œuvre dépend du bon vouloir de ses vis-à-vis. Ainsi le visiteur est-il amené à prêcher — comme ceux-ci — la patience ; à rappeler que les changements prennent du temps ; à n'esquisser que les premiers pas qui mènent à l'utopie.

Plutôt qu'un programme, il propose un projet : une réorientation globale dont les modalités restent à définir et dont le public sera le principal acteur. Le geste de l'acteur invité a fait miroi­ter l'utopie. Son discours exhorte le public à une sorte de conversion. Ce discours ne marque pas

177

Page 16: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

simplement le moment d'une naissance. Il vise aussi à montrer que l'alternative utopique, si elle est enfin envisagée sérieusement, n'a cessé d'être présente tout le long de l'histoire de la société à laquelle il s'adresse. Il s'agit alors d'une renaissance. Le présent et le passé immédiat sont mis en sourdine tandis qu'un nouvel axe symbolique permet au futur proposé de renouer avec un passé lointain.

Comme nous avons tenté de le montrer à propos du moment de l'annonce de l'événement, le sentiment d'entrer dans une nouvelle ère, permet au public d'échapper à la dissonance. Pour­tant cette «nouvelle ère» reste mystérieuse. C'est une sorte de page blanche dont le contenu reste à spécifier. Nul ne sait vraiment ce qu'il faut entendre par «retour à l'Europe», par « triomphe du catholicisme », ou par « paix au Moyen-Orient ». La proposition « une nouvelle ère a commencé » ne résout donc un problème cognitif que pour en poser un autre. Comment répondre aux incertitudes suscitées par ce vide, par cette absence de contenus? Comment confé­rer quelque substance au futur annoncé?

Ce second problème peut se résoudre avec l'assurance que la nouvelle ère reprend le fil d'une histoire interrompue, renoue avec un passé dont la période que l'on vient de vivre n'aura constitué qu'une interruption. La nouvelle ère ne représente plus alors une plongée dans l'inconnu. Elle marque au contraire l'émergence d'une tradition ou d'un « âge d'or » déjà fami­liers. Il va sans dire que cette tradition, ou cet âge d'or sont choisis par l'acteur invité en fonction du paradigme qu'il va tenter d'imposer. L'ère sur le point de se clore se conclut toujours sur les quelques heures ou les quelques jours précédant immédiatement l'événement. Par contre, pour lui assigner un début, il faut remonter le cours du temps jusqu'à ce qu'apparaisse une époque dont le souvenir semble susceptible d'illustrer ou de valider la nouvelle proposition. La centralité conférée à cette époque s'accompagne d'une restructuration de la mémoire collective. Ainsi, dans le cas de Sadate, la question « A quoi ressemble la nouvelle ère ? » amène-t-elle à privilégier une époque où Juifs et Arabes ne sont pas des ennemis mais des voisins : celle de la cohabitation andalouse. Jean Paul II se réclame, de même, d'une Pologne que l'Europe de l'Est n'a pas encore ravie à l'Europe catholique. Les Coréens découvrent que leurs ennemis idéologiques ont naguère été leurs parents. La Tchécoslovaquie n'accède pas à la démocratie. Elle y revient. Dans chacun de ces cas, la nouvelle ère est dotée d'un contenu, et ce contenu se définit comme un retour.

Canalisant par son discours cette réorganisation de la mémoire collective, l'acteur invité adopte une attitude caractéristiquement rétrospective. L'invocation d'un futur possible passe par la réhabilitation d'un certain passé. De ce passé, tout comme de l'ère qui s'achève, il ne s'agit pas de proposer une description savante. L'acteur invité ne se prétend pas historien. Le passé dont il se réclame lui sert avant tout de levier. Il lui donne prise sur l'image que se fait d'elle-même la société à laquelle il s'adresse.

178

Page 17: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Télévision d'intervention et spectacle politique

L'événement évalué : interprétation collective

L'événement a eu lieu. Une nouvelle phase commence au cours de laquelle il s'agit de déter­miner son impact. Ainsi se poursuit le processus interprétatif qui a accompagné l'événement tout le long de son déroulement. Ce processus était déjà en œuvre dans les réactions dispersées à l'annonce de l'événement. Il s'est poursuivi dans le cadre des discours prononcés par ses princi­paux acteurs, discours qui constituaient autant de lectures de l'événement, et qui constituaient aussi l'événement lui-même. Mais la chaîne des interprétations est loin de toucher à son terme. L'importance des lectures et des commentaires est en effet liée à un paradoxe. L'ambition affi­chée par l'événement — ce que l'on pourrait appeler sa « force illocutoire » — est immédiate­ment perceptible. Par contre la signification de l'événement abouti — les propositions qui per­mettraient de résumer son impact— reste, elle, à construire. Ce contenu ne peut se dégager qu'avec le temps, au cours d'un long cheminement public fait d'interrogations et de débats. Le décalage entre la force d'affirmation propre à ce type d'événements et la longue démarche her­méneutique à laquelle ils doivent être soumis explique qu'on les utilise pour dénouer des situa­tions politiques ou diplomatiques bloquées. Ils offrent un gage de bonne volonté, tout en per­mettant de spécifier ultérieurement ce à quoi on s'est engagé. Jouant de ce décalage, les puissances invitantes — celles dont la politique semble remise en cause par l'événement — vont tenter de limiter la portée de celui-ci. Elles savent que le contenu de l'événement ne lui est pas simplement inhérent mais qu'il dépend en dernier recours des « interprétants » qui s'en construiront, dans l'espace public.

En effet, maintenant que le rideau est retombé sur l'événement, le processus d'inter­prétation auquel il est soumis acquiert une dimension formalisée. Objet de débats publics, l'évé­nement suscite l'intervention des dirigeants politiques de tous bords, des partis, des journalistes, des instituts de sondage. Il s'agit d'évaluer l'événement, de supputer ses retombées, et, surtout, d'en construire publiquement la signification. L'entreprise n'est pas consensuelle. Elle est néan­moins collective. Les controverses se focalisent sur certains thèmes, à l'exclusion de certains autres. Les débats finissent par privilégier certaines valeurs (Missika et Bregman 1987 ; Bail et Ball-Rokeach, 1989). Dans la réfraction qu'en propose la sphère publique, certaines versions de l'événement tendent à s'imposer, à se polariser en débats, et à définir ainsi des axes de lecture.

Ces polémiques indiquent que la sphère publique, provisoirement transformée par l'événe­ment, a repris son fonctionnement habituel. Le moment dont il est ici question ne relève plus de l'anthropologie symbolique, mais des études d'opinion. Il ne faut pourtant pas conclure à un retour pur et simple au statu quo ante. En effet, si elle est, par définition, passagère, la brusque dilatation de l'espace public à laquelle a procédé l'événement n'est pas entièrement réversible. Non seulement a-t-on pu voir — dans un puissant effet d'agenda— une problématique donnée dominer l'ensemble de l'actualité pour la majorité des citoyens, mais la sphère publique elle-même a changé. Elle s'est ouverte à de nouveaux acteurs, et à de nouveaux modes d'expression. Les familles coréennes, celles des conscrits israéliens sont sorties de leur silence. Dans le cas de

179

Page 18: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

la visite de Sadate, elles ont été rejointes par des groupes habituellement éloignés de la scène politique : lycéens, officiers de réserve. De nouveaux types d'action publique se sont improvisés : lettres ouvertes, sit-ins, pétitions collectives, veillées aux flambeaux, réunions dans les églises. Le Prague de l'automne 1989, réunit ainsi autour de quelques grandes figures historiques, une mul­titude d'acteurs dépourvus de toute expérience récente de l'action politique, souvent formés par le théâtre (« la lanterne magique ») et faisant appel à de nouveaux registres d'expression (chan­sons reprises par la foule; cliquetis des milliers de clefs agitées pour évoquer la liberté proche). On voit ici que si de tels événements relèvent bien du spectacle politique, ils sont loin de se tra­duire par une léthargie de la sphère publique.

Conclusions

Interventions successives : acteurs et comparses

Proposons enfin une vue d'ensemble de la progression de l'événement. Celle-ci dépend de l'interaction qui s'établit entre ses trois grands partenaires : les acteurs cérémoniels, les diffu­seurs, le public. La nature de cette interaction varie en fonction des phases de l'événement, cha­cune d'elles étant en effet caractérisée par l'émergence d'un protagoniste principal.

Il est clair que les deux phases qui servent d'introduction et de conclusion se situent en dehors du champ cérémoniel proprement dit. La période de « latence » précède en effet l'événe­ment. La période d'évaluation lui fait suite dans un contexte qui est à nouveau celui de la poli­tique au quotidien. La période de latence est dominée par le rôle du public, rôle essentiellement passif, puisqu'il s'agit d'un public résigné, dépossédé de ses aspirations, réduit au silence. C'est toujours le public qui occupe le centre de la scène au moment où l'événement est évalué, mais ce public est alors tiré de son état de langueur. Deviennent alors décisifs les institutions permettant le débat politique, et les comportements collectifs par lesquels de nouveaux acteurs tentent d'y intervenir.

Restent les trois phases intermédiaires, celles qui constituent la cérémonie elle-même. Celles-ci tendent à se renforcer mutuellement, à se répondre ou à se faire écho. Ainsi, les aspira­tions réactivées au cours du moment de l'annonce vont-elles se trouver illustrées au cours de la phase gestuelle de l'événement, puis commentées et précisées au cours de sa phase discursive.

La mise en route de l'événement étant du ressort de ses organisateurs, ceux-ci, et plus parti­culièrement, la puissance invitante seront les principaux acteurs de la phase au cours de laquelle il est annoncé. Mais la télévision intervient aussi en diffusant l'annonce, en la commentant, et en faisant le tour des réactions internationales que cette annonce a suscitées. Enfin, et de toute évi­dence, le public joue à nouveau un rôle considérable. Sans l'accueil qu'il réserve à cette annonce,

180

Page 19: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Télévision d'intervention et spectacle politique

en acceptant de mettre provisoirement certaines de ses croyances entre parenthèses, les phases suivantes seraient vidées de tout impact car elles se dérouleraient sans témoin. Certes, cette annonce contredit les conceptions officielles, mais la dissonance ainsi introduite est la bienvenue dans la mesure où elle permet d'entrevoir un état de choses désirable.

La phase gestuelle au cours de laquelle un nouveau paradigme est illustré consiste à mettre en scène le paradoxe introduit par l'événement. « Le loup peut-il vivre avec l'agneau ? ». Mais ce paradoxe est ici transformé. Présentée en direct, à l'écran, l'information paradoxale est reformu­lée sur un mode qui n'est plus interrogatif, mais déclaratif : « Voyez ! Le loup et l'agneau vivent côte-à-côte ». L'improbable est ainsi devenu quasiment factuel. La télévision nous invite à consi­dérer « in vitro » ce qu'un avenir possible pourrait incarner « in vivo ». La télévision est mainte­nant le principal protagoniste de l'événement. Il lui revient, par l'attention nationale et inter­nationale qu'elle attire sur celui-ci, de transformer en rituel ce qui pourrait rester une gesticulation ; le « modèle réduit » en une forme d'action.

Quant aux champions du changement, et notamment ceux que nous avons décrits comme les acteurs invités, ils auront à leur tour le premier rôle au cours de la phase discursive de l'évé­nement. Faisant appel au mythe, ils confirmeront la possibilité d'une situation désirable. Faisant appel à la mémoire collective, ils mettront en avant certaines situations qui serviront de méta­phores, traçant ainsi la voie des actions à venir. Conscients des dilemmes auxquels leurs proposi­tions soumettent le public, ces orateurs se mettront à la place de ce public et retraceront — publiquement, explicitement, et directivement — les étapes de son cheminement cognitif. Par­lant en son nom, ils se comportent comme des bardes.

Efficacité symbolique et félicité

Certains événements télévisés semblent capables de transformer des réalités politiques en recourant presqu'exclusivement à des manifestations cérémonielles, à des interventions symbo­liques. Cet article a tenté de montrer que leur efficacité dépend, d'une part, de la réarticulation qu'ils proposent de certaines des perceptions historiques d'une société, et, d'autre part, de la reconnaissance par l'opinion publique du bien fondé, ou de la légitimité, d'une telle réarticula­tion. ^

À une question inspirée de Lévi-Strauss sur la « magie » qui caractérise ce type d'événe­ment, la réponse ici proposée renvoie à une approche des phénomènes rituels influencée par Austin. Concernant ce que font de tels événements, on peut suggérer que, si l'action symbolique est ici dotée d'effets, c'est parce qu'elle porte sur des réalités qui sont déjà symboliques. Ces réa­lités correspondent aux paramètres identitaires d'une société : scansion du temps historique ; redéploiement de la géographie vécue ; reformulation de la mémoire collective. Le rituel agit — se révélant performatif — parce qu'il affecte des objets qui, eux mêmes, relèvent d'une conven­tion.

Mais ceci ne résout qu'une partie de la question, amenant à un second problème. Qu'est-ce

181

Page 20: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

qui fait que, dans leurs contextes respectifs, de tels événements « marchent? », Ou, dans le voca­bulaire Austinien, qu'est ce qui fait qu'ils soient dotés de « félicité? ».

Suggérons trois éléments de réponse : — I. On a vu que l'autorité de leurs principaux acteurs — ceux que nous avons décrits ici

comme des « invités » — leur est conférée par les élites qui avalisent l'événement. Mais il s'agit aussi d'une autorité charismatique. Celle-ci va se vérifier au cours de l'événement. Elle va aussi s'y renforcer dans la mesure où certains d'entre eux sont disposés à prendre suffisamment de risques pour lui conférer la dimension d'un sacrifice ou d'un potlatch.

— 2. Les procédures mises en œuvre relèvent d'un nouveau type de validation. En effet, elles ne sont ni prescrites institutionellement, ni inscrites dans un quelconque répertoire. Au contraire, il s'agit de procédures ad hoc, souvent improvisées à la dernière minute. Leur pouvoir ne leur est donc pas conféré par une tradition, mais par l'extension spatiale que leur assure la télévision. L'immensité de leurs publics — le fait que, pour évoquer une formule célèbre, le monde entier retienne son souffle, transforme le jeu du « faire-comme-si » en ce que Geertz qua­lifie de «jeu profond».

— 3. Enfin, ces procédures ne sont pas mises en œuvre hors de propos. Le public auquel elles s'adressent est plus que disposé à se prêter à l'expérience qu'elles lui offrent, dans la mesure où, pour lui, l'événement réalise une promesse, réactive des aspirations. Ceci permet de comprendre que, dans certains cas, l'événement se produise de façon quasi-spontanée, sans que l'on puisse toujours en identifier les acteurs (cf. note 2).

La stigmatisation du spectacle politique

La notion de spectacle politique n'est généralement invoquée que sur le registre de l'accusa­tion. Souvent, elle est utilisée métaphoriquement, pour désigner l'ensemble du politique. Elle oppose alors à un véritable débat public le type de fantasmagorie que dénonce par exemple Edelman (1988). Elle peut cependant être utilisée plus littéralement. Tel est le cas chez Haber­mas, mais elle devient alors l'emblème de la décadence d'un espace public retombé sous l'emprise du pouvoir. La notion de spectacle politique renvoie à celle d'une sphère publique viciée. Faut-il nécessairement l'affubler d'une chemise brune — ou d'un costume d'époque — et des traits de l'ennemi ?

Une telle stigmatisation semble aller de soi. Elle tend pourtant à faire oublier que la notion de spectacle politique est difficilement dissociable de celle de « sphère publique », quelle que soit celle-ci. Il ne s'agit donc pas de condamner tous les spectacles politiques. Ceux-ci ne sont pas uniformément voués à se plier aux règles d'un monologisme autoritaire; à servir d'illustra­tions à des dogmes officiels. Leur condamnation sans nuance relèverait d'un puritanisme confi­nant à la pruderie. Il ne s'agit pas non plus de les défendre en bloc. Il s'agit plutôt de se deman-

182

Page 21: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Télévision d'intervention et spectacle politique

der sous quelles conditions des représentations symboliques ou des spectacles politiques spéci­fiques peuvent servir d'accélérateurs ou de freins à un projet démocratique.

Reconnaissons que, tout comme les régimes autoritaires, les démocraties produisent une dramaturgie qui leur est propre. Celle-ci privilégie des situations de conflit. Elle solennise des événements où se manifeste une divergence de perspectives. C'est ce qui se passe dans les exemples étudiés ici. C'est ce qui se passe aussi avec le genre du « débat présidentiel », ou, encore —dans le cadre ritualisé des auditions du Sénat américain — avec des affrontements comme ceux qui préludent à la nomination du Juge Clarence Thomas à la Cour suprême.

Retransmis en direct, de tels affrontements représentent la transposition sur le registre télé­visuel d'un modèle venu de la presse écrite : le modèle de Y« Affaire ». Or, depuis l'affaire Drey­fus, ce modèle constitue, comme l'écrit Boltanski, « l'une des formes sociales dont disposent les gens pour s'opposer et pour se lier ». Loin d'illustrer une quelconque « dysfonction narcotique », le spectacle donné semble plutôt déboucher sur l'engagement. En effet, comme l'écrit encore Boltanski, l'espace public n'est pas « seulement le lieu d'un débat raisonnable sur des questions qui importent. » La constitution de l'espace public s'opère autour de « causes » (Boltanski, 1993). Celles-ci fonctionnent alors comme les instruments d'une catalyse, amenant une sphère publique à se matérialiser, à s'élargir, à se structurer. Plutôt que d'étouffer tout débat public, certains événements-spectacles représentent au contraire l'ouverture de l'espace public en direc­tion de ceux qui en sont le plus souvent exclus. Leur impact montre que la vie d'une sphère publique est loin de se caractériser par une temporalité lisse, continue, homogène. Au contraire, une sphère publique est constamment soumise à des mouvements de diastole et de systole, d'inclusion et d'exclusion (Evans, 1992). La vie d'une sphère publique n'est pas « un long fleuve tranquille ». Elle est scandée par des temps forts.

Ces temps forts se révèlent nécessaires dans la mesure où, dans des sociétés complexes ils représentent ces moments où « une fiction médiatrice conditionne l'accès à la totalité » (Ander­son, 1983). Les englober dans une réprobation sans nuances du spectacle politique, c'est suc­comber à l'une des nostalgies chroniques des sociétés démocratiques modernes. Or, il est temps, comme le suggère Habermas, de surmonter notre « envie d'Athènes ». Surmonter cette envie, c'est alors reconnaître avec John-Durham Peters (1992) que, dans une nation moderne — collec­tif dont l'échelle exclut l'interaction en face-à-face — « la possibilité même d'une participation requiert que l'on ait recours à quelque fiction représentative du tout... »

Les événements dont il a ici été question se constituent en autant d'assemblées invisibles procurant à des spectateurs dispersés le moyen d'« imaginer » la communauté qu'ils habitent. S'appuyant sur les médias, ils proposent une « image collective du collectif ». Bien que proposée sous une forme cérémonielle, cette image vise non pas à reproduire un statu quo, mais à le boule­verser, ou à le transformer en suscitant le changement. Le spectacle politique peut être celui d'une remise en question.

Daniel DAYAN, Elihu KATZ

183

Page 22: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

NOTES

1. Cet article reprend plusieurs thèmes développés par les auteurs dans Media Events : the live broadcasting of history, Cambridge, Harvard University Press, 1992.

2. La réunion des familles coréennes semble faire exception à la règle. L'événement ne fait intervenir aucun grand personnage. Il décrit au contraire une myriade de protagonistes un instant tirés de l'anonymat par le bref arrêt des caméras sur les panneaux précisant leur identité. En outre, cet événement ne semble pas s'articuler autour d'un geste mémorable. Ce dernier point mérite cependant d'être exploré en détail.

L'événement coréen se caractérise en effet par l'abandon de son scénario original. De geste commémoratif qu'il était, l'événement devient instrumental. L'évocation des souffrances fait pragmatiquement place à une campagne télé­visée visant à réunifier les familles dispersées. Mais cette entreprise instrumentale suscite une telle ferveur collective qu'elle acquiert à nouveau une dimension symbolique, et redevient un geste. Pourtant, entre temps, ce geste a changé de sens. L'événement n'est plus tourné vers le passé. Il ne s'agit plus de commémorer des souffrances causées par une guerre imposée. Visant à réunir toutes les familles dispersées de Corée du Sud, et suscitant une vague ininterrompue d'émissions en direct, l'événement acquiert une dimension prospective. Les émissions et les milliers de retrouvailles qu'elles permettent, illustrent un projet qui ne relève désormais plus de la seule sphère privée. Il s'est enrichi d'une dimension publique. La réunion des familles dispersées engage la Corée dans un rituel de guérison collective. Conte­nue pendant trente ans, et déclenchée quasi spontanément par quelques coups de téléphone, l'exigence d'une réunion des familles affirme un tournant dans l'histoire de la Corée. La guerre civile est finie.

Peut-être alors, l'événement coréen n'est-il pas si différent des autres événements étudiés ici. Lui aussi se présente comme un « geste ». Ce geste n'a rien de solennel. Il ne s'impose pas d'emblée en une sorte de tableau vivant. Il se dégage progressivement de l'accumulation des quêtes privées. Celles-ci se succèdent, s'additionnent, jusqu'au moment où leur répétition révèle leur dimension collective. Catalysées par les émissions, des aspirations jusqu'ici latentes se manifestent au grand jour, avec une force qui prend les principaux intéressés par surprise. Transformée en symbole, la réunion des familles — naguère utopique — suggère une autre entreprise utopique : en finir avec la guerre froide.

L'événement se déroule cependant sans que soit jamais formulé le projet qu'il incarne. Il réussit à défaire la spirale du silence, et à créer un nouveau climat d'opinion sans que nul acteur cérémoniel ne tire les conséquences du geste qui vient d'avoir lieu. L'événement se réduit ici à sa phase essentielle, celle où la transmission en direct propose un modèle réduit, un écho anticipé d'un état de choses désirable, la simulation d'un ordre utopique.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

ANDERSON, Β., Imagined Communities. London, Verso, 1983.

ALBERONI, F., Falling in Love. New York, Random House, 1983.

ALEXANDER, J., « Culture and political crisis : 'Watergate' and Durkheimian sociology », in J. Alexander, Durkheimian sociology : cultural studies. New York. Cambridge University Press, 1988.

APPLE, R. W.,« The Czech riddle : Who will lead? ». Articles parus dans le New York Times : 26, 28, et 29 novembre, 1989.

184

Page 23: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Télévision d'intervention et spectacle politique

ASH, T. G., The Magic Lantern : The revolution of 1989 witnessed inWarsaw, Budapest, Berlin and Prague. New York. Random House, 1990.

AUSTIN, J. L., How to do Things with words. New York. Clarendon Press, 1962

BAKHTINE, M., The Dialogic Imagination : Four Essays. Austin. University of Texas Press, 1981.

BOLTANSKI, L., La souffrance à distance. Paris. Métailé, 1993.

BOORSTIN, D., The Image. A Guide to Pseudo Events in America. New York, Harper & Row, 1964.

DAHRENDORF, R., Reflexions on the Revolution in Europe. New York, Random House, 1990.

DAYAN, D., « Modèles et miroirs : pour une grammaire du rituel », Cahiers de l'Homme, 1994.

EZRAHI, Y., The Descent of Icarus. Cambridge, Harvard, 1989.

GEERTZ, C , The Interpretation of cultures. New York, Basic books, 1973.

EDELMAN, M., Constructing the political spectacle. Chicago, University of Chicago Press, 1988.

GOFFMANN, E., Frame Analysis. An essay on the organization of experience. Cambridge, Harvard university Press, 1974.

GOULDNER, A. W., The dialectics of Ideology and Technology. Londres, Mac millan, 1976.

HANDELMAN, D., Models and Mirrors : Towards an Anthropology of Public Events. New york, Cambridge University Press.

JAMES, W., « The Moral equivalent of War », in Mermories and studies. New york, Longmans & Green, 1917.

JEANNENEY, J.-N., « Concordances des temps », Le Monde du 18 Juillet 1987.

JuN, S. H., DAYAN, D., « An Interactive Media event : South Korea's televised 'family reunion », Journal of Com­munication, vol. 36, n° 2, 1986.

KATZ, E., LEVIN, M. L., HAMILTON, H., « Traditions of Research on the diffusion of innovation », American sociologi­cal Review, n°28, 1963.

LÉVI-STRAUSS, CL, « L'efficacité symbolique », in Anthropologie Structurale (vol. 1). Paris, Pion, 1958.

LEWIS, Α., « Peace Ritual in Israel : Images of social order in the middle East ». Séminaire international sur la résolu­tion des conflits, Université de Haifa, 1978.

MEREI, F., «Group Leadership and Institutionalization», Human Relations. n°3, 1949.

MISSIKA, J.-L., BREGMAN, D., « On framing the campaign : Mass media roles in negotiating the meaning of the votes », European Journal of communications, 2 (3), 1987.

185

Page 24: TELEVISION D'INTERVENTION ET SPECTACLE POLITIQUE

Daniel Dayan, Elihu Katz

MYERHOFF, B., « Rites of passage : Process and Paradox », in V. Turner, Celebration. Washington. Smithsonian Insti­tute, 1982.

PETERS, J.-D., « Distrust of Representation. Habermas and the public sphere », Media Culture and Society, 15. 4, 1992.

PETERS, J.-D., ROTHENBUHLER, E. W., «La réalité de la construction», Hermès, n° 13-14, « Espaces publics en images », 1994.

ROKEACH, M., ROKEACH, S. B., « Stability and Change in American value Priorities, 1968-1981 », American Psycho­logist, n°44, 1989.

SPERBER, D., Le symbolisme en général. Paris Hermann, 1974.

TURNER, V., The ritual process : Structure and Antistructure. Ithaca, Cornell University Press, 1969.

TURNER, V., TURNER, E., Image and pilgrimage in Christian culture. Anthropological prespectives. New York. Columbia University Press, 1978.

WALLACE, Α., Religion, an Anthropological View. New York, Random House, 1966.

186

debeaupu
Crayon