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elon le College national des gynecologues obstetriciens franqais (CNGOF), il y a peu d’al- ternatives a la transfusion, et la France a cc un des taux de mortali- te maternelle par hknorragie parmi les plus Blev& d’Europe T n Comment un tribunal administra- tif peut-il, sans quL ucune experti- se medicale n’art eu lieu, considerer que le pronostic vitai’ n’etait pas en jeu dans de telles circonstances ? y dernande le CNGOF, qui craint n/a judiciarisation are la m&de&e J) en France : un pro&s aux medecins pour un oui ou pour un non. Les soignants s’exposent desormais au risque de non-assistance a per- sonne en danger (et si ta patiente etait morte ?) contre celui de non- respect du droit des naiades (a mou- rir ‘?). cc Devra-t-on 2 kvenir refuser de suivre la grossesse et i’accou- chement des p,atientes qui n’adhe- rent pas B la prise en charge qui ieur estproposee ? a’ . Le CNGOF n’ ima gine pas un ml5decin assistant au de&s dune paltturknte apres refus de transfusion, car c< les gyneco- logues-obstetriciens francais ne veu- lent pas dtre compkes de cette for- me d’euthanasie passive I). Le CNGOF juge irrealiste la sug- gestion de Bernard Kouchner, an- cien ministre de la Sante, de prele- ver du sang de la patiente pour auto-transfusion. D’une par-t, le pre- Ievement doit se faire plusieurs se- maines a I’avance, et le sang a un pouvoir de conservation limitee. D’autre part, plrelever le sang dune felmme enceinte risque d’aggraver I’anemie gravidique, couramment observee et l’on ne peut prelever qu’une quantite insuffisante. En- fin, on ne peut prevoir une auto- transfusion : I’hemorragie de la delivrance est imprevisible. Et les temoins de Jehovah refusent meme leur propre sang ! Un senateur s’est emu d’une situa- tion 00 medecine et justice ne par- lent pas la meme langue (c’est de plus en plus courant) : en seance publique, Nicolas About a interpelle Jean-Franqois Mattei, ministre de la Sante, en soulignant I’effet media- tique de I’affaire, l’emotion des pro- fessionnels de Sante, le cc revirement jurisprudentiel )) de la decision du tri- bunal de Lille dont I’ordonnance a ete rendue en I’absence de repre- sentants de I’hopital (qui se seraient explique). Pour le parlementaire, les soignants pourront-ils encore prendre les decisions pour la survie des pa- tients, meme contre leur volonte ? Le ministre cite le droit du patient de donner son avis sur un traitement * lorsqu’ il se trouve en Mat de l’ex- primer T La loi admet que le me- decin n’attente pas ace droit fon- damental du patient de refuser un traitement lorsque, a bout d’argu- ments, il realise un acte necessai- re a sa survie et 1~ proportion& a son dtat Y Rassurons les transfu- seurs de Valenciennes : I’acte alors c< nbst pas incompatible avec (...) la Convention europeenne des drorts de I’homme JJ, souligne le ministre, qui constate quand meme : <c La jurisprudence parvient done a menager un subtil equilibre entre les obligations et les devoirs en Revue Franrpise odes Laboratoires, janvier 2003, N” 349 conflit dans des situations dune ex- treme difficult6 pour le medecin qui doit, en conscience, adopter une at- titude compatible avec le droit et les devoirs de sa mission F) ! La loi du 4 mars 2002 sur les droits du pa- tient, malheureusement, constate M. Mattei, n’a pas prevu de dero- gation au droit de refuser d’etre soigne (et sauve). C’est au mede- tin de convaincre le patient et a defaut d’accepter ce refus. Oui, mais cc comment pourrait-on exi- ger en droit, sous la menace de sanctions, qu’un medecin laisse mourir un malade sans rien tenter pour le sauver, dans le seul but de respecter sa volonte y dii le ministre de la Sante, raisonnant par I’absur- de sur le sens de la loi... Mais alors, que dira-t-on d’une loi qui, a son tour, punira(it) ce medecin absten- tionniste ? Absurde, toujours. C’est pourquoi Jean-Franqois Mattei ras- sure: cc II ne manque done pas d’arguments dans le droit pour expliquer /‘absence de faute du medecin qui tente de sauver son patient en danger de mort “, mal- gre Iui en quelque sorte. II juge que la decision du 25 aoQt n’est pas un revirement jurisprudentiel. Seulement un cas isole ? <c Si, B I’avenir la jurisprudence devait &tre modifiee par une in- terpretation abusive de la loi Kouch- ner, peut-btre il serait temps pour le Parlement de se ressaisir et d’amender fe texte de facon a pro- t6ger aussi bien la liberte de conscience que le contenu ethique de la profession de medecin J), conclut le senateur About. Des debats sont a prevoir ! Commentant le jugement, la revue i%decine & Droit “I rappelle l’es- sentiel des faits : patiente en reani- mation ayant refuse a plusieurs re- prises une premiere transfusion, saisie du tribunal pour en eviter une se- conde, injonction (sans aucune re- serve) du tribunal de ne pas pro- ceder a celle-ci, appel du Centre hospitalier en se referant a un ar- ret du Conseil d’hat (26.10.2001) a propos du choix d’un medecin face a une urgence vitale... Selon le journal, ec il apparai^t pour les praticiens valenciennoisque la gra vite du peril encouru par la jeune femme n’a justement pas dte prise en compte par le juge )J. Peut-etre les medecins n’ont-ils pas fait valoir sufkamment I’urgence vitale de la si- tuation Or, il y a des limites a I’ in- jonction dun tribunal de ne pas trans- fuser (ou de mettre en oeuvre un traitement - NDLR) : (< L’ injonction cesse lorsqu’apres avoir tout mis en ceuvre pour convaincre un pa- tient d’accepter les soins indis- pensables, ils accomplissent, dans le but de le sauver, un acte indis- pensable a sa survie et proportion& a son &tat J> - comme le rappelait M. Mattei. Pour Medecine & Droit, c(la faculte de passer outre la vo- lonte du patient existe “, mais elle se trouve en quelque sotte coincee au- jourd’hui dans des limites trop strktes sur certains points : celles impo- sees par une toi du 4 mars 2002...

Témoin de Jéhovah, transfusion, responsabilité médicale: une affaire grave

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elon le College national des

gynecologues obstetriciens

franqais (CNGOF), il y a peu d’al-

ternatives a la transfusion, et la France a cc un des taux de mortali-

te maternelle par hknorragie parmi

les plus Blev& d’Europe T

n Comment un tribunal administra-

tif peut-il, sans quL ucune experti-

se medicale n’art eu lieu, considerer

que le pronostic vitai’ n’etait pas en

jeu dans de telles circonstances ? y

dernande le CNGOF, qui craint n/a

judiciarisation are la m&de&e J) en

France : un pro&s aux medecins

pour un oui ou pour un non.

Les soignants s’exposent desormais au risque de non-assistance a per-

sonne en danger (et si ta patiente

etait morte ?) contre celui de non-

respect du droit des naiades (a mou-

rir ‘?). cc Devra-t-on 2 kvenir refuser

de suivre la grossesse et i’accou-

chement des p,atientes qui n’adhe-

rent pas B la prise en charge qui ieur

estproposee ? a’. Le CNGOF n’ima

gine pas un ml5decin assistant au

de&s dune paltturknte apres refus

de transfusion, car c< les gyneco-

logues-obstetriciens francais ne veu-

lent pas dtre compkes de cette for-

me d’euthanasie passive I).

Le CNGOF juge irrealiste la sug-

gestion de Bernard Kouchner, an-

cien ministre de la Sante, de prele-

ver du sang de la patiente pour

auto-transfusion. D’une par-t, le pre-

Ievement doit se faire plusieurs se-

maines a I’avance, et le sang a un pouvoir de conservation limitee.

D’autre part, plrelever le sang dune

felmme enceinte risque d’aggraver

I’anemie gravidique, couramment

observee et l’on ne peut prelever

qu’une quantite insuffisante. En-

fin, on ne peut prevoir une auto- transfusion : I’hemorragie de la

delivrance est imprevisible.

Et les temoins de Jehovah refusent

meme leur propre sang !

Un senateur s’est emu d’une situa-

tion 00 medecine et justice ne par- lent pas la meme langue (c’est de

plus en plus courant) : en seance

publique, Nicolas About a interpelle

Jean-Franqois Mattei, ministre de la

Sante, en soulignant I’effet media-

tique de I’affaire, l’emotion des pro- fessionnels de Sante, le cc revirement

jurisprudentiel )) de la decision du tri-

bunal de Lille dont I’ordonnance a

ete rendue en I’absence de repre-

sentants de I’hopital (qui se seraient

explique). Pour le parlementaire, les

soignants pourront-ils encore prendre

les decisions pour la survie des pa-

tients, meme contre leur volonte ?

Le ministre cite le droit du patient

de donner son avis sur un traitement

* lorsqu’il se trouve en Mat de l’ex-

primer T La loi admet que le me-

decin n’attente pas ace droit fon-

damental du patient de refuser un

traitement lorsque, a bout d’argu-

ments, il realise un acte necessai-

re a sa survie et 1~ proportion& a

son dtat Y Rassurons les transfu-

seurs de Valenciennes : I’acte alors

c< nbst pas incompatible avec (...)

la Convention europeenne des drorts de I’homme JJ, souligne le ministre,

qui constate quand meme : <c La

jurisprudence parvient done a

menager un subtil equilibre entre

les obligations et les devoirs en

Revue Franrpise odes Laboratoires, janvier 2003, N” 349

conflit dans des situations dune ex-

treme difficult6 pour le medecin qui

doit, en conscience, adopter une at-

titude compatible avec le droit et les

devoirs de sa mission F) ! La loi du 4 mars 2002 sur les droits du pa-

tient, malheureusement, constate M. Mattei, n’a pas prevu de dero-

gation au droit de refuser d’etre

soigne (et sauve). C’est au mede-

tin de convaincre le patient et a defaut d’accepter ce refus. Oui,

mais cc comment pourrait-on exi-

ger en droit, sous la menace de

sanctions, qu’un medecin laisse

mourir un malade sans rien tenter

pour le sauver, dans le seul but de

respecter sa volonte y dii le ministre de la Sante, raisonnant par I’absur-

de sur le sens de la loi... Mais alors,

que dira-t-on d’une loi qui, a son

tour, punira(it) ce medecin absten-

tionniste ? Absurde, toujours. C’est

pourquoi Jean-Franqois Mattei ras- sure: cc II ne manque done pas

d’arguments dans le droit pour

expliquer /‘absence de faute du

medecin qui tente de sauver son

patient en danger de mort “, mal-

gre Iui en quelque sorte. II juge

que la decision du 25 aoQt n’est pas un revirement jurisprudentiel.

Seulement un cas isole ?

<c Si, B I’avenir la jurisprudence

devait &tre modifiee par une in-

terpretation abusive de la loi Kouch-

ner, peut-btre il serait temps pour

le Parlement de se ressaisir et

d’amender fe texte de facon a pro- t6ger aussi bien la liberte de

conscience que le contenu ethique

de la profession de medecin J),

conclut le senateur About.

Des debats sont a prevoir !

Commentant le jugement, la revue i%decine & Droit “I rappelle l’es-

sentiel des faits : patiente en reani-

mation ayant refuse a plusieurs re-

prises une premiere transfusion, saisie

du tribunal pour en eviter une se-

conde, injonction (sans aucune re-

serve) du tribunal de ne pas pro-

ceder a celle-ci, appel du Centre hospitalier en se referant a un ar-

ret du Conseil d’hat (26.10.2001)

a propos du choix d’un medecin

face a une urgence vitale... Selon le journal, ec il apparai^t pour

les praticiens valenciennois que la gra

vite du peril encouru par la jeune femme n’a justement pas dte prise

en compte par le juge )J. Peut-etre

les medecins n’ont-ils pas fait valoir

sufkamment I’urgence vitale de la si-

tuation Or, il y a des limites a I’in-

jonction dun tribunal de ne pas trans-

fuser (ou de mettre en oeuvre un traitement - NDLR) : (< L’injonction

cesse lorsqu’apres avoir tout mis

en ceuvre pour convaincre un pa- tient d’accepter les soins indis-

pensables, ils accomplissent, dans

le but de le sauver, un acte indis- pensable a sa survie et proportion&

a son &tat J> - comme le rappelait

M. Mattei. Pour Medecine & Droit,

c( la faculte de passer outre la vo-

lonte du patient existe “, mais elle se

trouve en quelque sotte coincee au-

jourd’hui dans des limites trop strktes sur certains points : celles impo-

sees par une toi du 4 mars 2002...