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TEXTES A L'APPUI

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TEXTES A L'APPUI série sciences cognitives

dirigée par jean-michel besnier

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DANS LA MÊME COLLECTION

William Bechtel et Adele Abrahamsen, Le connexionnisme et l'esprit.

Jean-Pierre Dupuy, Aux origines des sciences cognitives.

Pascal Engel, Introduction à la philosophie de l'esprit.

Henri Grivois et Jean-Pierre Dupuy (sous la direction de), Mécanismes mentaux, mécanismes sociaux.

Dominique Lestel, Paroles de singes.

Pierre Lévy, L'idéographie dynamique.

Georges Vignaux, Les sciences cognitives, une introduction.

John von Neumann, L'ordinateur et le cerveau.

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daniel pinkas

la matérialité de l'esprit la conscience, le langage et la machine

dans les théories contemporaines de l'esprit

ouvrage publié avec le concours du Centre national du livre

ÉDITIONS LA DÉCOUVERTE 9 bis, rue abel-hovelacque

PARIS XIII 1995

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REMERCIEMENTS

Cet ouvrage est la version revue et abrégée d'une thèse de doctorat présentée à l'université de Genève sous la direction du professeur Jacques Bouveresse. C'est à lui, dont l'enseignement a été pour moi une source constante d'inspiration, que ma reconnaissance va en premier lieu. J'ai eu la chance de pouvoir bénéficier des cri- tiques, des conseils et du soutien de Joëlle Proust. Elle a droit à toute ma gratitude. Je suis redevable à Jean Jacques Ducret d'une lecture exceptionnellement attentive, généreuse et perspicace de mon texte. Qu'il en soit remercié. Merci aussi à Kevin Mulligan pour ses remarques et objections lors de la soutenance et pour la sympathie qu'il a accordée, dès le départ, à mon projet. Il n'est nullement exagéré de dire que, sans l'amitié et la clairvoyance de Stefan Imhoof, ce livre n'aurait tout simplement pas vu le jour. Je remercie M. Frédéric Wieder pour sa relecture des épreuves. Si le présent ouvrage a quelques qualités, les personnes susmentionnées y sont pour beau- coup. Les défauts, hélas, me sont entièrement imputables.

Je suis extrêmement reconnaissant à la Fondation Fyssen, dont la bourse m'a permis d'approfondir mes réflexions sur le fonctionnalisme téléologique (chapitre VIII). Je remercie la Société académique de Genève pour une bourse qui me permit d'entre- prendre la recherche qui aboutit, bien des années plus tard, à ce volume. J'exprime aussi ma gratitude à mon Alma Mater pour son appui moral et financier. Merci à John Searle pour son accueil chaleureux à l'université de Berkeley et à Philippe de Rouilhan pour l'année passée à l'Institut d'histoire et philosophie des sciences et des techniques, à Paris. Je remercie enfin Jean-Michel Besnier d'avoir accueilli mon tra- vail dans la collection qu'il dirige.

Ce livre est dédié à mes parents, Mia et Mile Pinkas, qui, par leur inaltérable affection, l'ont rendu possible.

Je n'ai pas de mots - ou alors il faudrait un poème - pour remercier mon épouse Nicky.

Catalogage Électre-Bibliographie PINKAS, Daniel La matérialité de l'esprit. - Paris : La Découverte, 1995. (Textes à l'appui. Sciences cognitives, ISSN 1159-2710) ISBN 2-7071-2513-X Rameau : philosophie et sciences cognitives

philosophie : 1945-.... esprits et corps

Dewey : 128 : Conscience et personnalité. Ame humaine Public concerné : Spécialiste du domaine

Le logo qui figure au dos de la couverture de ce livre mérite une explication. Son objet est d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, tout particulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales, le développement massif du photocopillage.

Le code de la propriété intellectuelle du 1 juillet 1992 interdit en effet expressément la pho- tocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s'est généralisée dans les établissements d'enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans autorisation de l'auteur, de son éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 3, rue d'Hautefeuille, 75006 Paris).

Si vous désirez être tenu régulièrement au courant de nos parutions, il vous suffit d'envoyer vos nom et adresse aux Editions La Découverte. 9 bis. rue Abel Hovelacque. 75013 Paris. Vous recevrez gratuitement notre bulletin trimestriel A La Découverte. © Éditions La Découverte, Paris, 1995.

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A mes parents

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« Alors il descendit, avec le sourire du doute sur les lèvres, en murmurant ce dernier mot de la sagesse humaine : Peut-être... »

Alexandre DUMAS (Le Comte de Monte-Cristo).

« The pint would call the quart a dualist, if you tried to pour the quart into him. »

George SANTAYANA.

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Introduction

En 1842, à Berlin, quatre jeunes et brillants physiologistes, parmi lesquels le grand Hermann von Helmholtz, rédigèrent un manifeste où la thèse du matérialisme scientifique se trouvait formulée avec une virulence et une cohérence jusqu'alors inconnues. Exaspérés par le vitalisme de leurs aînés et par la religiosité dans laquelle baignaient les interprétations du monde physique que l'idéalisme hégélien écha- faudait, ils firent serment de « prouver la justesse de la vérité fonda- mentale selon laquelle seules les forces physiques et chimiques, à l'exclusion de toute autre, agissent sur l'organisme ». Cette décision d'exclure toute explication mentionnant des entités, substances ou forces non matérielles est certes historiquement importante ; mais ce qui retient d'abord notre attention, c'est le fait que nos physiologistes signèrent le manifeste, tels des pirates ou des conjurés, avec leur sang. La nature quasi religieuse, magique, d'un tel geste frappe d'autant plus qu'elle semble aller à l'encontre du contenu explicite du serment.

On pourrait voir dans cet épisode un emblème ou, à tout le moins, un symptôme de l'ambivalence humaine à l'égard de la compréhen- sion objectivante des phénomènes naturels, perçue comme désacrali- sation. Mais cette ambivalence, qui se nourrit de l'aspiration nostal- gique à une Vérité dernière, une Cause unique, un Fondement originaire, ne se manifeste pas toujours ainsi, de manière localisée, dans des actes dont la théâtralité même suffirait à attester qu 'ils ont un caractère périphérique par rapport à l'entreprise scientifique pro- prement dite. Il arrive aussi que l'appel de l'absolu exerce ses séduc- tions plus près du cœur du projet de connaissance. On débouche alors sur ce à quoi il conviendrait de réserver le terme de « scientisme », c'est-à-dire sur l'une ou l'autre des diverses formes de mythologie scientifique où la conviction qu'une explication est universellement valide tend à s'imposer pour des motifs qui relèvent moins des exi-

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gences de la rationalité que des appétences irraisonnées de l'intellect. Quelle que soit la manière dont les scientismes produisent leurs effets de persuasion (focalisation de l'attention sur des analogies suggestives, au détriment de différences qui mériteraient une égale considération ; choix judicieusement circonscrit d'exemples, combiné au présupposé que l'extrapolation à partir de ceux-ci ne devrait, « en principe », guère poser de problèmes ; interprétation erronée de l'adoption d'un cadre descriptif extrêmement général comme découverte d'un fait tout aussi général qui permettrait d'unifier la multiplicité déconcertante des apparences), une vérité avérée mais conditionnelle lui sert, la plupart du temps, de point de départ.

Ainsi, la lutte des classes est vraisemblablement un phénomène social réel, mais cela justifie-t-il que l'on en fasse la clé suprême de l'histoire et de l'avenir de l'homme ? La disparition de symptômes névrotiques est sans doute souvent obtenue grâce à l'analyse de sou- venirs sexuels que l'on a sans savoir qu'on les a, mais cela autorise-t-il à interpréter toute civilisation, tout art et tout caractère comme l'effet du refoulement de la sexualité infantile ? Ou encore, pour citer un cas qui nous retiendra longuement : les ordinateurs font aujourd'hui bel et bien des choses qui seraient considérées comme intelligentes si elles étaient faites par l'homme, et il est plausible qu'il existe une des- cription des opérations du cerveau telle que, sous cette description, on pourrait les simuler sur ordinateur ; mais doit-on en conclure que le cerveau est un ordinateur, que les processus mentaux sont des pro- cessus de type computationnel et que l'esprit est au cerveau ce que le logiciel est à la machine physique sur laquelle il « tourne » ?

Est-ce à dire que les signataires du manifeste berlinois versèrent dans l'extravagance scientiste en voulant considérer les organismes comme des objets physiques dont le comportement est causé par les propriétés physiques de leurs parties physiques ? Peut-être pas ; les choses, en tout cas, ne sont pas si simples, et si l'extrême généralité ne suffit pas à garantir la scientificité d'une théorie, elle ne constitue pas non plus, cela va sans dire, un indice sûr de son caractère pseudo- scientifique. De fait, le point de vue matérialiste (ou, comme on dit aussi, « physicaliste ») est aujourd'hui partagé par l'immense majorité des chercheurs et philosophes travaillant dans les divers domaines qui composent les sciences dites cognitives (l'auteur de ces lignes y compris). Mais il ne faudrait pas se méprendre sur la portée réelle et la profondeur d'une telle unanimité. Celle-ci reflète, en réalité, davan- tage un accord sur le caractère épistémologiquement désespéré du dualisme cartésien ou interactionniste (c'est-à-dire de l'idée que dis- tinguer esprit et matière, c'est effectuer une distinction entre deux types de substance, deux « ingrédients », l'un matériel et l'autre spi- rituel, qui interagissent dans, et composent, l'être humain complet) qu'une conception partagée des voies qu'il conviendrait d'emprunter

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en vue de relier de manière intelligible et précise les fonctions psy- chologiques aux mécanismes physiques (cérébraux en l'occurrence).

Que Descartes ait été investi dans cette affaire du rôle du « méchant », cela n'est pas à mon avis l'effet de cette manœuvre, fort répandue en philosophie, qui consiste à choisir, souvent au détriment de toute vraisemblance historique, quelque ennemi dont les faiblesses, réelles ou imaginaires, permettent d'exposer, par contraste et tout à leur avantage, les thèses de l'auteur. La raison se trouve ailleurs. Des- cartes est probablement le premier grand philosophe à affronter dans toute sa radicalité le problème - qui reste plus que jamais le nôtre - du conflit entre ce que le philosophe américain Wilfrid Sellars appelle l'« image manifeste » (où prévaut la catégorie de la personne et de ses attributs) et l' « image scientifique » (où l'homme est conçu en termes des entités postulées par les théories scientifiques) 1 La position bien connue de Descartes est que

quoique peut-être (ou plutôt certainement, comme je le dirai tantôt) j'aie un corps auquel je suis très étroitement conjoint ; néanmoins, parce que d'un côté j'ai une claire et distincte idée de moi-même, en tant que je suis seulement une chose qui pense et non étendue, et que d'un autre j'ai une idée distincte du corps, en tant qu 'il est seulement une chose étendue et qui ne pense point, il est certain que ce moi, c'est-à-dire mon âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement et véritablement distincte de mon corps, et qu 'elle peut être ou exister sans lui

Les raisons pour lesquelles on s'accorde à estimer ce dualisme indé- fendable sont également bien connues. Elles se rapportent pour l'essentiel au fait que les modalités d 'interaction entre les deux su bs- tances postulées restent, et on pourrait même affirmer : sont censées rester enveloppées de mystère. On s 'est demandé, en particu lier, comment la substance spirituelle, qui par hypothèse est dépourvue de masse ou d'énergie physiques, pourrait parvenir à in fléc hir le cours des événements neuronaux et corporels sans violer le principe de conservation de l'énergie qui veut que toute modi fication une jectoire d'un objet physique soit une accélération requérant une

l'objection est cependant potentiellement trompeuse, dans la mesure où elle paraît conforter l'idée que des révisions fondamentales en physique (comme la modification du principe de conservation de l'énérgie à la lumière des relations d'incertitude de la mécanique quantique)

1. Cf. W. SELLARS, « Philosophy and the Scientitic Image of Man », in Science, Per- ception and Reality, p. 1-40. 2. R. DESCARTES, Œuvres et Lettres, p. 323-324.

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raient lever la difficulté. En réalité, le consensus antidualiste qui pré- vaut en philosophie de l'esprit et dans les sciences cognitives reflète surtout le sentiment qu'acquiescer au dualisme revient à intercaler, à une jointure cruciale de l'explication des capacités cognitives ou per- ceptuelles de l'être humain, une notice dont la teneur serait : « ici s'accomplit un Grand Mystère », c'est-à-dire à accepter une imposition métaphysique en guise d'explication ; ce qui est considéré, à juste titre semble-t-il, comme une abdication intellectuelle inacceptable et, en tout état de cause, prématurée.

Mais l'accord général concernant la faillite du dualisme ne saurait occulter les difficultés considérables auxquelles se heurte l'effort pour faire passer le matérialisme du statut de thèse purement négative ou de principe régulateur à celui de formulation théorique explicite de la nature exacte de la relation entre l'esprit et le cerveau. Certes, nous disposons de connaissances psychologiques ou neuroscientifiques per- mettant de faire des prédictions précises, par exemple concernant les effets, sur diverses fonctions et sous-fonctions psychiques, de lésions cérébrales diversement localisées. Ces données sont conformes aux contraintes minimales du matérialisme, c'est-à-dire qu'elles n'obligent à aucun moment à poser des forces ou des substances physiques ou organiques nouvelles ou inexpliquables. Mais, par ailleurs, ces résultats restent foncièrement lacunaires en ce sens que nous ignorons encore à l'heure actuelle, en dépit de progrès remarquables dans la compréhension de la structure et de la fonction du cerveau, comment mettre en œuvre de telles connaissances pour tenter de réduire la dis- continuité, apparente ou réelle, entre les propriétés électrochimiques, topologiques, etc., invoquées dans des explications d'événements céré- braux, et les propriétés « mentales » que nous mentionnons ordinai- rement pour tenter de rendre compte de notre propre vie psychique ou de celle d'autrui ; autrement dit, ces connaissances restent en deçà (ou vont peut-être au-delà) de ce qui permettrait de dissiper ce que l'on appelle volontiers en philosophie le « mystère de la conscience ».

Supposons par exemple que Francis Crick et Christof Koch aient raison de penser que la conscience n'est pas un sous-système cérébral particulier, mais un mode d'action spécifique du cerveau Supposons donc, en accord avec leur hypothèse, que ce que l'on appelle « cons- cience » est un mécanisme « attentionnel » qui synchronise les oscil- lations des neurones concernés autour de 40 hertz : à chaque fois qu'un sujet perçoit une tache de couleur ou ressent une douleur, etc., une telle oscillation neuronale est observée. Le problème du rapport de la conscience, d'une part, et de la matière, du corps, du cerveau ou de la machine d'autre part, serait-il réglé ? N'y a-t-il pas une sorte

3. Cf. F. CRICK et C. KOCH, « Towards a Neurobiological Theory of Conscious- ness », Seminars in the Neurosciences, 2, 1990.

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de « fossé explicatif » entre les oscillations neuronales constatées et la vie de l'esprit ? Pourquoi 40 hertz et non pas 10 ou 100 ?

Il n'est sans doute pas excessif de dire que nous nous trouvons, pour ce qui est du rapport du mental et du physique, c'est-à-dire de ce que les Anglo-Saxons appellent le mind-body problem, dans une situa- tion aussi inhabituelle qu'inconfortable où l'accueil favorable fait à une doctrine d'allure empirique (le physicalisme) s'accompagne d'une curieuse incertitude — rejet du dualisme excepté - quant au contenu même de la doctrine. Pour espérer en sortir, la première chose à faire me paraît être d'essayer de compléter l'affirmation selon laquelle le dualisme est une profonde erreur par la compréhension du fait qu'il s'agit, en même temps, d'une erreur philosophiquement profonde. C'est dire qu'une résistance raisonnée à la tentation du dualisme pré- suppose une saisie de ce qui le rend, ou a pu le rendre, tentant.

Le dualisme cartésien peut être replacé dans un contexte qui nous le rend plus compréhensible en reconstruisant, avec Sellars, le rôle qu'a joué dans sa genèse la doctrine de la subjectivité des « qualités secondes » (c'est-à-dire des propriétés comme les couleurs, les sons, les goûts, les odeurs, le chaud, le froid, les textures) :

Les traits du monde manifeste qui n'interviennent pas dans l'expli- cation mécanique étaient relégués par Descartes dans l' esprit du sujet percevant. La couleur, par exemple, était dite n 'exister que dans la sensation ; son esse est percipi (son être consiste à être perçu). [...] Les mêmes considérations qui poussèrent [Descartes] à nier la réalité des choses perceptibles le poussèrent en direction d'une théo- rie dualiste de l'homme. Car si le corps humain est un système de particules, le corps ne peut être le sujet qui pense et qui ressent, a moins que penser et sentir puissent être interprétés comme des interactions complexes de particules physiques, c'est-à-dire à moins que le cadre manifeste à l'intérieur duquel l'homme apparaît comme un être, une personne, puisse être remplacé, sans perte de pouvoir descriptif et explicatif, par une image scientifique dans laquelle il est un système complexe de particules physiques, et toutes ses activités une affaire de particules modifiant leurs états et rotations .

Or le dualiste qui est prêt à reconnaître que les choses qui appa- raissent dans le cadre de l'image manifeste comme des objets dou és de propriétés dites secondes sont en réalité des systèmes de imperceptibles, répugne à étendre ce raisonnement de l'h omme, qui même et à ses activités mentales ; il répugne a dire comme « apparaît » à ses propres yeux, au sein de l'image manifestes, comme une personne, qu 'il est, en fait, un système de particules impercepti-

4. W. SELLARS, op. cit., p. 29.

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bles. Et, comme le remarque encore Sellars, il peut avancer l'argu- ment suivant :

Nous avons ôté les qualités sensibles de l'environnement physique et les avons mises dans les sensations. Si nous disons à présent que les sensations se ramènent en réalité à des interactions complexes de particules cérébrales, alors nous les avons totalement exclues de l'image du monde. Nous aurons rendu inintelligible l'idée même que les choses puissent paraître colorées 5

On comprend peut-être un peu mieux, dès lors, que Descartes ait préféré s'en tenir à l'idée que la nature réelle, immatérielle, et pour ainsi dire autoluminescente, de notre propre esprit nous est donnée, clairement et distinctement, dans l'exercice même de nos facultés mentales - et cela d'autant plus que l'identification esprit/cerveau, que Descartes pouvait à la limite consentir à envisager dans le cas des sensations (après tout, il admettait que des processus strictement concomitants aux sensations avaient lieu dans le cerveau), lui parais- sait totalement exclue en ce qui concerne la pensée conceptuelle et mathématique.

La situation générale peut être illustrée en imaginant l'avènement de l'âge d'or des neurosciences. Supposons que le décryptage de la vie mentale à partir de données cérébrales y soit devenu un procédé routinier. Les psycho-décrypteurs, dans leurs rapports truffés de ren- seignements sur les groupes neuronaux stimulés, la modulation des décharges spontanées des neurones et la configuration des signaux chi- miques synaptiques, et grâce à des calibrages sur des régularités psy- cho-physiques précédemment mises en évidence, proposeraient, avec une fiabilité suffisante pour que de tels rapports puissent être invoqués dans des affaires litigieuses, des hypothèses sur les états mentaux du sujet. Ainsi, pour prendre un exemple aussi fantaisiste que simplifié, un psycho-décrypteur inférerait, à partir d'indices de nature neuro- physiologique, la présence, dans des zones associées aux actes de visualisation volontaire, d'un motif neuronal complexe correspondant aux propriétés : ondulant, serpentiforme, annelé de jaune, de noir et de rouge ; cela confirmerait à ses yeux l'hypothèse selon laquelle le sujet a imaginé un serpent corail se déplaçant.

Le mystère serait-il dissipé pour autant ? En un certain sens, les régularités empiriques envisagées faciliteraient incontestablement le passage de la physique cérébrale aux faits de conscience avec lesquels elles ont l'air de coïncider. Et pourtant, de telles régularités paraissent insuffisantes pour combler durablement le « fossé » qui subsiste entre les deux domaines ; car rien, au niveau neuronal, n'est, littéralement,

5. Ibid., p. 30.

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ondulant, serpentiforme, etc. Or de tels adjectifs semblent qualifier adéquatement le contenu de l'expérience du sujet, lorsque celui-ci imagine la locomotion d'un serpent corail. Par conséquent, puisque rien dans le cerveau n'a les propriétés imaginées, et puisque celles-ci ne sont pas non plus un pur néant, il faut bien, semble-t-il, qu'elles trouvent refuge quelque part. Le dualiste suggérera alors peut-être que ces propriétés subsistent, sous une forme curieusement éthérée, dans l'« espace phénoménal » de l'expérience immédiate, ou encore « dans l'âme » ou « dans l'esprit ». La difficulté, bien entendu, n'est pas pro pre à la faculté d'imagination : rien ne paraît plus dissemblable de l'apparence que prend pour moi ce qui se trouve dans mon actuel champ de vision qu'un assemblage de neurones, et la même chose semble valoir mutatis mutandis pour les autres modalités sensorielles et d'autres facultés cognitives ou affectives.

Cette « hétérogénéité des objets du sens interne et des objets du sens externe » (pour s'exprimer comme Kant) est encore accentuée par une seconde asymétrie tout aussi remarquable : alors que la pré- sence ou l'absence d'un sujet ne constitue pas une condition d 'exis- tence des seconds - sauf à cautionner les scrupules de l'idéaliste pour qui la pensée n'atteint jamais quelque objet externe que ce soit -, c'est exactement le contraire qui est vrai des premiers. Une pensée, une émotion, une image mentale qui ne serait pas la pensée, l 'émo- tion ou l'image mentale de quelqu'un ne serait rien. Le cogito cartésien ne dit au fond pas autre chose : à toute pensée est nécessairement coordonnée un témoin inéliminable qui en est le penseur. Mais cela n'est manifestement pas le cas des propriétés observables du cerveau ce qui s'y passe ne diffère guère, de ce point de vue, de ce qui se passe dans n'importe quel autre organe du corps.

Même en concédant que les événements conscients ne sont au tres que les événements cérébraux que l' introspection appré appréhende, il appa- raît qu'aucune inspection à la troisième personne du cerveau d un sujet vivant et conscient n'est à même de livrer l'aspect d' expérience immédiate qui se dévoile à lui seul, pour ainsi dire « du L'univers intangible que composent nos rêveries, nos humeurs , nos soliloques silencieux, n'est-il pas consubstantiel à un « œi qui le délimite et le soutient? Ce royaume caché, mère de la vie mentale, qui semble se soustraire par principe au scal- pel comme au miroir, n'appartient-il pas, en raison du foyer de sub- jectivité que son existence même paraît exiger, à un ordre de réalité radicalement autre que celui dans lequel s'inscrit le cerveau? N'est-il pas « objectivement subjectif », c'est-à-dire tel que chacun des appa- rences qui s'y manifestent, aussi fugitive soit-elle, jouit constitutive-

ment du statut de réaliatés ? Admettons du reste que, sur la base de critère de flexibilité comportementale apparemment satisfaisants, nous soyons un jour dis-

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posés à attribuer des états mentaux conscients à une machine issue d'un laboratoire d'intelligence artificielle. L'existence d'une machine « intelligente » pourrait-elle remédier à l'insatisfaction diffuse qui est la nôtre lorsque nous essayons d'aller au-delà de la simple exclama- tion « la conscience est ceci que j'éprouve maintenant ! » ? N'aurions-nous pas l'impression qu'à moins de devenir per impossibile la machine elle-même, nous ne saurions toujours pas si elle possède réellement une « perspective à la première personne », si « cela fait un certain effet » d'être cette machine, ou si toute cette complexité et cette flexibilité n'aboutissent en réalité qu'à une habile contrefaçon ?

En résumé (et indépendamment de motivations d'ordre théologique et éthique auxquelles le philosophe de l'esprit n'est pas forcément insensible), deux types de considérations incitent le dualiste à diffé- rencier la distinction entre le moi conscient et le cerveau de toutes les autres distinctions « normales », c'est-à-dire à en faire une distinc- tion superlative entre deux entités qui diffèrent de par la substance : celles, premièrement, qui concernent les propriétés de l'expérience vécue dont on voit mal comment elles pourraient être, en un sens quelconque du terme, dans le cerveau, et celles, en second lieu, qui portent sur la nécessité de poser un sujet de l'expérience dont on voit mal, quelle que soit sa dépendance à l'égard du cerveau, comment il pourrait être celui-ci.

Naturellement, ces deux problèmes n'épuisent en aucune façon le champ immense des difficultés auxquelles un matérialiste est confronté dès lors qu'il tente d'étoffer son refus du dualisme pour en faire une doctrine plus positive et articulée. Mais ils devraient suffire à mettre en lumière le point crucial suggéré au début de cette intro- duction et laissé en suspens, à savoir que si le matérialisme doit se borner à conjoindre le dénigrement du dualisme à la promesse pro- phétique d'une théorie censée expliquer, un beau jour, sur le mode de la réduction interthéorique, comment le cerveau est l'esprit, on voit mal en quoi le matérialisme diffère des « scientismes » précédemment évoqués.

En elle-même, cette remarque vise moins à réfuter le réduction- nisme qu'à mettre en garde contre une façon scandaleusement sophis- tique d'argumenter en sa faveur. En effet, on peut concéder que si l'esprit est identique au cerveau, alors le dualisme interactionniste est une erreur. Et il y a, nous l'avons vu, indépendamment de la répul- sion intellectuelle que peut légitimement inspirer le dualisme lorsqu'on tente de nous l'administrer sous forme de spiritualisme « mou », de bonnes raisons de penser qu'il convient de rejeter le dualisme carté- sien. Mais n'est-il pas évident qu'on ne saurait, sans commettre un sophisme caractérisé, tirer de ces prémisses la moindre conclusion favorable au réductionnisme ? Un bon argument contre le dualisme interactionniste n'est pas nécessairement un bon argument pour une

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forme quelconque de matérialisme réductif. Peut-être faut-il rappeler ici qu'il n'est pas exclu que certaines « choses » puissent ne pas être des objets concrets, des substances ou des parties de substance, sans qu'il faille pour autant les considérer comme des fantômes mystérieux et impalpables, pas plus qu'il n'est exclu qu'on puisse contester que l'esprit soit un objet physique ayant une longueur, une largeur et une hauteur, non par l'amour du dualisme ou du spiritualisme, mais sim- plement par l'amour de la vérité.

Mais n'anticipons pas. Le fait est qu'il y a plus d'une conception de l'esprit compatible avec le refus du dualisme cartésien, comme l'histoire récente de la philosophie de l'esprit « analytique » l'atteste. Cette histoire est dans une large mesure l'histoire de la recherche d'une forme acceptable de matérialisme. Au sein même du courant antidualiste, deux attitudes philosophiques s'affrontent depuis les années cinquante. La première, marquée par les écrits de Wittgenstein et Ryle et représentée surtout en Grande-Bretagne, a une approche qui est essentiellement conceptuelle, a priori et détachée des travaux expérimentaux des psychologues et des scientifiques. Les partisans de cette approche considèrent que, dans un domaine aussi exposé au ris- que de confusion que celui de l'étude des phénomènes mentaux, une analyse des concepts mentaux est une condition préalable à toute enquête. La seconde attitude, inspirée par le naturalisme épistémolo- gique de Quine et encouragée par l'important essor de la psychologie, de la linguistique, des neurosciences et de l'intelligence artificielle depuis la Seconde Guerre mondiale, reconnaît sa dépendance à l'égard des sciences empiriques et des données expérimentales. Les problèmes traditionnels ne sauraient être résolus par des considéra- tions « logiques », grammaticales » ou « conceptuelles ». Il faut aller regarder, en naturaliste, du côté de l 'objet, et pour cela partir de que nous apprennent les travaux empiriques des sciences cognitives et de la b i o l o g i e .

La place prépondérante qu'occupent dans mon ouvrage les ques- tions conceptuelles et sémantiques indique suffisamment mes sympa- thies pour la première approche. Comme Jacques Bouveresse, je convaincu que la vraie difficulté « n 'est pas ici de trouver une rép onse , mais bien de formuler un problème précis à propos duquel on se mettre d'accord, non seulement sur ce qu'il y aurait lieu lement de considérer comme une réponse, mais encore ̂qu'une réponse de ce type pourrait mettre fin à no tre pe retirait Le lecteur constatera néanmoins que je ne suis pas insensible à l' attrait de l'approche « scientifique ». Le caractère p lét horique et souvent très technique technique de la littérature potentiellement pertinente m' a conduit à modérer mon ambition sur ce plan : ce livre ne

6.J. BOUVERESSE, « Le fantôme dans la machine », !

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prétendre fournir une « théorie scientifique du mental ». J'ai plutôt cherché à analyser les difficultés auxquelles se heurte l'idée même d'un tel projet.

Concernant l'importance globale des théories matérialistes de l'esprit dont l'étude forme l'ossature de mon enquête, il peut être ins- tructif, en un premier temps, de comparer les opinions des deux observateurs privilégies que sont les philosophes Richard Rorty et John Searle. Pour Rorty, la tradition que ces théories constituent « est un des rares succès dont la philosophie analytique puisse se targuer — un des rares cas récents où des professeurs de philosophie ont réel- lement rendu un service à la culture dans son ensemble 7 ». Le service auquel Rorty fait allusion serait précisément d'avoir montré qu'en renonçant à la notion cartésienne d'un quelque chose de mental qui s'offre directement à l'esprit ou à la conscience, nous ne renonçons, à proprement parler, à rien, et que tout ce que nous pouvons désirer dire sur nous-mêmes - sur nos capacités cognitives, notre statut moral et même sur notre conscience, mais entendue comme un mode de connaissance que ni l'infaillibilité ni l'immédiateté ne caractérisent — peut être dit sans parler de la différence entre le mental et le phy- sique ; autrement dit, sans s'encombrer de la « mauvaise question » : « l'esprit est-il réductible à la matière ? ». Cette tradition (que Rorty appelle la « tradition Ryle-Dennett ») serait une « Deuxième Révolte contre le dualisme » qui aurait réussi là où la Première Révolte, décrite par A. O. Lovejoy dans les années trente, aurait échoué Rorty expli- que l'échec de la Première Révolte (celle de penseurs comme James, Dewey, Whitehead ou Russell) par ses mobiles exclusivement épisté- mologiques : il s'agissait avant tout de combler la distance entre « l'objet de connaissance constitué » et « les données de l'expérience », sans faire intervenir les pouvoirs mystérieux de l'âme, ou du sujet transcendantal, ou la « souveraine bonté de Dieu ». L'exercice consis- tait, en d'autres termes, à essayer de redécrire ce qui est inférentiel- lement connu de manière à le rendre homogène par rapport à ce qui est immédiatement connu. La Deuxième Révolte attaque la prémisse principale que ce type d'exercice présuppose : l'identification du men- tal à ce qui est premier ou élémentaire, bref, au donné. Cette iden- tification, comme le note Rorty, n'implique pas un rejet de la dicho- tomie cartésienne du mental et du physique ; elle se borne à redessiner le tracé de la frontière qui en sépare les termes. Le point essentiel que les théories matérialistes appartenant à la tradition de la Deuxième Révolte contribuent à éclaircir serait justement que :

7. R. RORTY, « Contemporary Philosophy of Mind », Synthese, 53, 1982, p. 326. 8. Cf. A. O. LOVEJOY, The Revolt Against Dualism.

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notre connaissance de ce qui se passe en nous n'est pas plus « directe » ou « intuitive » que notre connaissance de ce qui se passe dans le « monde extérieur ». Une connaissance « directe » est sim- plement une connaissance qui est obtenue sans passer par un pro- cessus d'inférence introspectivement observable - de sorte que nous savons tout aussi directement que nous éprouvons de la nostalgie, qu'une chose se trouvant devant nous a la couleur brune, que c'est une table, que c'est la table qui se trouvait au coin du feu dans la maison de notre enfance, et ainsi de suite. Nous n'apprenons pas davantage quelle est la « nature de l'esprit » en introspectant des évé- nements mentaux que nous n'apprenons quelle est la « nature de la matière » en percevant des tables

Rorty met en garde contre la méprise qui consisterait à interpréter ce qui précède comme une remarque portant sur l'esprit plutôt que sur la méthodologie, l'objectivité et le langage. En effet, d'après lui,

l'affirmation qu'« esprit » n'est pas un concept utile, que le contraste mental-physique est un contraste gauche et malcommode sur lequel la tradition philosophique n'a déjà que trop perdu de temps, n 'est pas le genre d'affirmation qui peut elle-même être justifiée au moyen d'intuitions. Elle ne peut l'être que par des considérations relatives à la question de savoir si le langage est le genre de chose qui peut être jugé adéquat ou inadéquat par référence à un type de connais- sance préalable, intuitif et non linguistique, ou si la notion d'une telle comparaison entre le langage et les données est vide .

L'apport central de la Deuxième Révolte, aux yeux de Rorty, est donc le suivant : en contestant que nous sachions ce qu 'est l'esprit pour avoir introspecté le nôtre, en affirmant qu 'il n 'y a pas de « faits initiaux» prélinguistiques auxquels un discours théorique sur nos capacités ait à rendre justice coûte que coûte, en cessant de tenir pour acquis, en somme, que nous savons au départ de notre enquête ce que des locutions comme « esprit », « conscience » ou « men tal » dési- gnent, «elle a enfin transformé la philosophie de l 'esprit en un domaine intéressant de la philosophie ». Une fructueuse collabora- tion entre la philosophie de l'esprit, la psychologie, les neurosciences, l'intelligence artificielle peut enfin s 'instaurer.

Colin McGinn exprime excellemment la position métaphilosophi- que que Rorty combat lorsqu'il déclare que « les théories vont et vien- nent ; les intuitions demeurent solidement ancrées» ou encore que « le caractère donné du donné est une donnée 12 » (« The givenness of

9. R. RORTY, art. cit., p. 330-331. 10. Ibid., p. 343. 11. Ibid., p. 325.

12. C. MCGINN, Mental Content, p. 70 et p. 88.

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the given is a given »), En d'autres termes : aucune conception théorique ne pourrait nous ôter la conviction que la manière dont la réalité men- tale (nos croyances, nos désirs, nos sensations, etc.) nous apparaît cir- conscrit bel et bien une réalité.

Searle pense sur ce point comme McGinn. Il fait par conséquent une tout autre lecture de l'histoire des théories dominantes de la phi- losophie de l'esprit des cinquante dernières années. Loin d'y voir, comme Rorty, l'histoire d'un mouvement intellectuellement libérateur, il en compare les phases aux comportements d'un névrosé obsession- riel qui, en dépit de l'inadéquation flagrante des « solutions » succes- sives qu'il adopte, reproduit inlassablement le même schéma général.

Comme le névrosé, le Nouveau matérialiste ne parvient pas à regar- der en face une vérité criante mais trop menaçante pour lui. La vérité en question, c'est que nous avons des états mentaux conscients dont « l'ontologie est irréductiblement subjective » ; la menace est consti- tuée par tout ce qui, dans l'appareillage métaphysique du dualisme cartésien, va à l'encontre d'une conception naturaliste de la place de l'homme dans la nature ; et l'erreur, c'est de croire qu'une reconnais- sance de la première implique une adhésion à l'objet de la seconde. Selon Searle, les Nouveaux matérialistes se livrent à toutes sortes de contorsions théoriques pour éviter de reconnaître que nous avons des états mentaux conscients irréductiblement subjectifs, parce qu'il leur semble qu'en acceptant ce fait d'allure cartésienne, ils seront contraints d'accepter en bloc une métaphysique dualiste 13

En somme, pour Searle, si les propos que l'on tient actuellement dans les courants dominants de la philosophie de l'esprit sont « tota- lement dénués de vraisemblance », la faute en incombe à la « peur panique » suscitée par le trait critériel des états mentaux, à savoir leur qualité subjective ou leur « ontologie à la première personne » ; et cette « crainte de la subjectivité » résulterait elle-même de l'adhésion à une tradition « objectiviste » qui repousse en principe, mais seule- ment du bout des lèvres et sans en tirer toutes les conséquences qui s'imposent, la thèse selon laquelle « mental » implique « non physi- que » et « physique » implique « non mental ».

Ainsi — et ceci donne à la comparaison entre les points de vue de Rorty et de Searle un certain piquant — le reproche que Searle adresse à la Deuxième Révolte contre le dualisme ressemble beaucoup à celui que Rorty adressait à la Première Révolte. Pour Searle,

le matérialisme (contemporain) hérite des pires présuppositions du dualisme. En niant l'affirmation dualiste selon laquelle il y a deux types de substances ou de propriétés dans le monde, le matérialisme

13. Cf J. SEARLE, The Rediscovery of the Mind, chapitre I.

14. Ibid., p. 3.

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accepte comme par inadvertance les catégories et le vocabulaire du dualisme. Il accepte le débat dans les termes fixés par Descartes. Il accepte, en un mot, l'idée que le vocabulaire du mental et du phy- sique, du matériel et de l'immatériel, de l'esprit et du corps est par- faitement en ordre tel qu'il est.

Ainsi, les matérialistes auraient été trahis, une fois de plus, par la nécessité d'employer les armes de l'ennemi, subissant une sorte de contamination par la doctrine adverse. Assez tristement pour eux, ce qu'Anthony Kenny écrit à propos de Teilhard de Chardin pourrait leur être appliqué :

Le fond de l'accusation contre Descartes n'est pas simplement qu'il sépara l'esprit et la matière mais qu'il décrivit inadéquatement les deux éléments qu'il sépara. Teilhard tenta de remédier à la sépa- ration sans rectifier l'inadéquation de la description. En réagissant contre Descartes [...] il demeura prisonnier des préjugés de Des- cartes. Il rejeta les assertions de Descartes, mais il accepta ses concepts ; il contesta les réponses cartésiennes, mais ne trouva rien à redire aux questions cartésiennes. On pourrait dire que les noces qu'il célébra ne furent pas celles de l'esprit et de la nature, mais celles de deux créatures conçues par Descartes 16

Les plus radicaux des Nouveaux matérialistes seraient condamnés, selon Searle, à accepter la dichotomie du mental et du physique, dans la mesure même où ils soutiennent qu'un des termes de la dichotomie contient tout et que l'autre est vide. Cette situation quelque peu para- doxale illustre en fait un des dilemmes dans lesquels se débattent les théories matérialistes de l'esprit : on voudrait réduire les concepts mentaux usuels à des concepts plus acceptables du point de vue d'une psychologie scientifique ou des neurosciences, et cela sans trop trahir les réalités que reconnaît notre conception préthéorique de l'esprit . Mais plus la réduction sera réussie, moins nos concepts mentaux usuels apparaîtront corrects ; et plus on se souciera de l'autonomie des concepts de la psychologie du sens comnum et des réaliltés qu'ils recouvrent, plus l'idéal de la réduction paraîtra inatteignable, pour ne pas dire inintelligible. L'oscillation du matérialisme contemporain entre un pôle « éliminativiste » et un pôle « antiréductionniste » mon- tre bien à quel point les débats récents en ph i losop hie traditionnel, tent, pour le meilleur et pour le pire, et en un sens assez traditionnel, essentiellement des débats philosophiques. Cela ne vent pas que le progrès y est impossible, mais seulement qu'il est probablement beaucoup plus laborieux et fragile qu'on ne pourrait le croire. Que

15. J. SEARLE, What's Wrong with the Philosophy of Mind, p. 27. 16. A. KENNY, The Legacy of Wittgenstein, p.113-114.

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des penseurs aussi pénétrants et bien informés que Rorty et Searle puissent diverger aussi radicalement dans leur évaluation fournit à mon sens une preuve supplémentaire du caractère classiquement phi- losophique de ces débats.

Le livre est divisé en huit chapitres. Les trois premiers chapitres analysent les étapes de la construction

du paradigme fonctionnaliste. Le premier est consacré au behavio- risme logique, position que l'on attribue à certains membres du cercle de Vienne, au philosophe anglais Ryle et parfois aussi à Wittgenstein. Selon cette conception, les termes mentaux ne désignent pas des choses ou des objets, mais des propriétés dispositionnelles du compor- tement. Après avoir passé en revue les considérations qui militent en sa faveur et examiné les objections qu'on peut lui opposer, j'essaie de montrer que cette conception comporte, de par son insistance sur l'existence de liens logiques entre attributions d'états mentaux et des- criptions du comportement, une part de vérité qui passe trop souvent inaperçue et qu'elle mérite, jusqu'à un certain point, d'être réhabilitée.

Le deuxième chapitre porte sur les versions contemporaines de la « thèse de l'identité » selon laquelle les états et les événements men- taux sont littéralement des états et des événements cérébraux, ainsi que sur la théorie causale de l'esprit sur laquelle les partisans de cette thèse s'appuient habituellement. Le problème fondamental auquel se heurte la thèse de l'identité revêt la forme d'un dilemme : on ne comprend l'énoncé « l'événement mental x est identique à l'événe- ment cérébral y » que si l'on suppose qu'un seul et même événement est identifié en vertu de deux ensembles de propriétés différentes. Mais de deux choses l'une : soit les propriétés qui fixent la référence sur le versant mental de l'identité sont des propriétés mentales, soit elles ne sont pas mentales. Si elles le sont, cela confortera une forme de dualisme (ce ne sera pas un dualisme des substances mais un dua- lisme des propriétés), et alors la thèse de l'identité est fausse. Et si les propriétés ne sont pas mentales, alors il n'y a plus du tout de phé- nomène mental à identifier, et la thèse de l'identité est sans objet. Une discussion de la valeur des réponses apportées par les tenants de la thèse de l'identité psycho-cérébrale à ce dilemme occupe le cen- tre de gravité du chapitre. Celui-ci s'achève sur une analyse des raisons qui peuvent conduire à affaiblir la thèse de l'identité pour en faire une « thèse de l'identité occasionnelle » (qui se contente d'affir- mer des identités « au coup par coup » entre entités mentales et céré- brales particulières, mais nie l'existence d'identités générales entre types d'entités mentales et types d'entités cérébrales).

La conception fonctionnaliste de l'esprit, dont on a pu dire qu'elle était l'« idéologie officielle » de l'intelligence artificielle et des sciences cognitives est le sujet du troisième chapitre. Selon le fonctionnalisme, les états mentaux sont individualisés par leur fonction ou leur rôle

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dans un système de traitement de l'information plutôt que par leur constitution physique. Après une présentation générale des deux formes classiques du fonctionnalisme (« machinique » et psycho-fonc- tionnaliste), je centre mon étude sur le développement et les muta- tions du fonctionnalisme dans l'œuvre du philosophe Hilary Putnam. Ce choix s'explique par le fait que Putnam a été un des principaux initiateurs du fonctionnalisme, qu'il en a successivement épousé diverses versions, et qu'il en est aujourd'hui un des critiques les plus acharnés.

Le quatrième chapitre traite des arguments antiréductionnistes et cartésiens tirés de la subjectivité des expériences conscientes, auxquels sont confrontées les conceptions matérialistes étudiées au cours des trois premiers chapitres. J'examine les arguments de Thomas Nagel, Frank Jackson et Saul Kripke et les réponses « standards » que l'on trouve dans la littérature. Je propose enfin un ensemble de considé- rations destinées à desserrer progressivement l'emprise des intuitions cartésiennes qui sous-tendent ces arguments.

Cette question des aspects qualitatifs de l'expérience consciente, que les approches objectivantes, « à la troisième personne », semblent constitutivement incapables de restituer, est reprise au cinquième cha- pitre, en mettant cette fois l'accent sur la manière dont elle se pose aux défenseurs du fonctionnalisme, notamment David Lewis, Sidney Shoemaker et Daniel Dennett.

Ce que les deux chapitres précédents essaient de faire à l 'égard des propriétés qualitatives de l'expérience, les chapitres VI et VII le tentent à propos de l'intentionnalité des états mentaux, c 'est-à-dire à propos du fait que certains de ces états ont un contenu, portent sur que que chose. Le septième chapitre examine une forme de fonctionnalisme (dit « homonculaire »), inspirée de la méthodologie « régressive » mise en œuvre dans certains projets d'intelligence artificie lle, qui ten te d'expliquer le comportement et les capacités de la personne complète en tant qu'elle résulte de l'interaction des sous-systèmes qui la compo- sent. Deux questions centrales sont débattues : 1) la stratégie homon- culaire permet-elle de résoudre le « problème de Hume » ? Ce pro- blème est en fait un vieux dilemme que l'on pourrait formu ler ainsi : on ne peut faire de psychologie sans poser des représentations tales ; mais une psychologie qui en poserait serait condamnée à la circularité ou à régresser à l'infini, car quelque chose est une repré- sentation seulement pour quelqu'un ; dès lors, en essayant l'intelligence, on la présupposerait ; 2) doit-on distinguer le problème de l'explication de intelligence de celui de l'explication de l'inten- tionnalité ? J'aborde ces questions a travers l'analyse des positions - opposées - de Dan Dennett et Jerry Fodor relatives à l'intention- nalité et à la nécessité de postuler un « langage de la pansée ». Je discute enfin la réponse que Searle apporte a ces deux questions. Des

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préoccupations philosophiques de type wittgensteinien constituent ici l'arrière-plan de ma réflexion.

Le septième chapitre aborde le problème de la légitimité des attri- butions de connaissances « tacites » à un organisme dans le cadre de la stratégie homonculaire. L'examen et la critique de la manière dont Jerry Fodor et Noam Chomsky justifient de telles attributions per- mettent d'énoncer quelques contraintes qui devraient régir la construc- tion de modèles et la simulation dans les sciences cognitives. Je remets en question la « libre circulation » des attributs « personnels » dont la légitimité me semble présupposée par Fodor et Chomsky.

Dans le dernier chapitre je procède à un examen des fondements de la conception de l'esprit que beaucoup considèrent à l'heure actuelle comme la plus prometteuse, à savoir la conception téléolo- gique, gagée sur l'évolution darwinienne des espèces. En partant de quelques comptes rendus classiques de l'analyse fonctionnelle et de la notion biologique de fonction, je tente de cerner les contours du darwinisme de Dan Dennett, qui est sans doute le fonctionnaliste téléologique le plus significatif et conséquent.

En examinant de façon critique, dans cet ouvrage, les conceptions qui se sont succédé, en assumant à tour de rôle, depuis une cinquan- taine d'années, une position dominante dans la philosophie de l'esprit, j'espére contribuer, fût-ce modestement, aux recherches qui aspirent à nous donner une compréhension de nous-mêmes à la fois cohérente et conforme à la place que nous occupons dans la nature.

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Le behaviorisme logique

Le behaviorisme « scientifique »

On distingue le behaviorisme « scientifique » ou méthodologique, qui s'inscrit dans l'histoire des tentatives d'opérer une « révolution galiléenne » en psychologie, c'est-à-dire pour y « introduire la Méthode expérimentale de Raisonnement », du behaviorisme philo- sophique ou « logique », qui est d'abord la philosophie de l'esprit offi- cielle du positivisme logique, mais que l'on associe également aux noms de Ryle et de Wittgenstein. Le behaviorisme de la première espèce espère garantir un statut scientifiquement respectable à la psy- chologie en s'efforçant d'établir des lois (reliant des modifications de l'environnement à des variations du comportement de telle sorte que ce dernier apparaisse comme une fonction des stimuli et des compor- tements antérieurs) sur la base d'expériences et d'observations publi- quement vérifiables et en évitant soigneusement toute hypothèse « internaliste » et tout emploi d'expressions mentalistes ordinaires, sauf dans la mesure où celles-ci peuvent être définies en termes de rela- tions fonctionnelles entre circonstances observables et propriétés ou événements comportementaux. Les travaux « psycho-physiques » de Fechner sur la sensation et ceux de Pavlov sur le conditionnement servent de modèles pour l'élaboration d'une telle discipline fondée sur des expériences systématiques qui permettraient d 'établir des corré- lations (si possible) quantitatives entre variables objectives.

Très schématiquement, le raisonnement du behavioriste scientifique est le suivant : a) la fertilité d'une science consiste en sa capacité pre- dictive ; b) pour établir qu'un événement prédit a eu lieu, il faut que le chercheur puisse observer quelque propriété ou événement publi-

1. Tel est le sous-titre du Traité sur la nature humaine de Hume.

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quement observable ; c) les seules propriétés ou événements humains qui soient publiquement observables sont les comportements ; d) donc, dans le cas des êtres humains, les seules prédictions possibles concernent les propriétés ou événements comportementaux ; e) les prédictions seront d'autant meilleures qu'elles seront déduites de lois reliant les circonstances publiquement observables (parmi lesquelles peuvent figurer des comportements) au comportement subséquent ; f) par conséquent, le but central de la psychologie est de découvrir de telles lois. Typiquement, le behavioriste tentera de ne présupposer, pour expliquer le caractère adaptatif du comporteme it, d'autre prin- cipe fondamental que la « loi de l'effet » ou, comme l'appelle Skinner, « le principe de conditionnement opérant », qui dit, en gros, que des actions suivies de récompense sont répétées

En première approximation on peut caractériser le behaviorisme de l'espèce « logique » en signalant qu'il n'est pas directement préoccupé par la construction de théories expérimentalement étayées mais par la mise en évidence du caractère « métaphysique » (au sens d'« empi- riquement indécidable ») des controverses ontologiques entre le dua- lisme et le matérialisme, et par la rectification des confusions concep- tuelles ou linguistiques résultant d'une compréhension défectueuse de la grammaire réelle des énoncés, notamment de ceux qui paraissent cautionner une forme ou une autre de dualisme cartésien. La moti- vation principale est de « dissoudre » les problèmes philosophiques traditionnels qui se posent à propos du rapport entre les « phéno- mènes physiques » et les « phénomènes mentaux » en analysant le lan- gage dans lequel ces problèmes sont formulés. Son contenu doctrinal pourrait être résumé, trop succinctement, ainsi : faisons la supposition que les énoncés comportant des termes mentaux (que l'on interprète à tort comme se référant à des états ou processus internes) signifient, à quelques variations purement rhétoriques près, la même chose que des énoncés décrivant le comportement, possible ou actuel, et les cir- constances où il se manifeste ; aucune vérité de la psychologie empi- rique ne s'en trouvera modifiée, et tous les problèmes traditionnels de type cartésien apparaîtront comme des pseudo-problèmes.

On éclairera l'idée de base du behaviorisme logique en citant l'ana- logie avec les « définitions opérationnelles » que certaines propriétés dispositionnelles physiques sont susceptibles de recevoir. Par exemple, « x est soluble dans l'eau » équivaudrait par définition à « si x était plongé dans l'eau, x se dissoudrait dans l'eau ». Le terme « soluble » est défini ici en termes d'un test permettant d'établir la présence ou l'absence de la propriété dénotée. Une analyse analogue vaudrait pour

2. Cf. A. S. KAUFMAN, article « Behaviorism », in P. EDWARDS (éd.), Encyclopedia of Philosophy. La formulation de la loi de l'effet est celle de D.E. Broadbent, cité par D. DENNETT, in Brainstorms, p. 72.

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les termes mentaux. Dire que Jean désire une nouvelle voiture revien- drait à dire que si on demandait à Jean si c'est cela qu'il veut, il répon- drait par l'affirmative, que si on lui présentait des prospectus pour des cuisinières à gaz et des prospectus pour des voitures, il s'intéresserait d'abord à ces derniers, que s'il gagnait à la loterie la voiture de ses rêves, il n'essaierait pas de la revendre, et ainsi de suite. L'analyse est certes bien plus longue et compliquée que dans le cas de la solubilité, mais ce qui importe est la nature dispositionnelle de l'état mental attri- bué.

Une caractérisation du behaviorisme « scientifique » qui est proba- blement assez vague pour être acceptée par tout tenant de cette doc- trine pourrait être la suivante : le behaviorisme désigne la conviction que le comportement objectivement descriptible, produit dans une situation donnée qui doit elle-même pouvoir être décrite objective- ment, est ce qui compte de manière primordiale dans l'étude des êtres humains et des autres animaux. Cependant, tant qu'ils ne se seront pas mis d'accord sur ce que doit recouvrir un terme comme « com- portement », deux behavioristes pourront être en désaccord sur pres- que tous les points. Faut-il, par exemple, entendre par comportement tout mouvement d'un organisme, processus physiologiques compris (tel était le point de vue de Watson, fondateur du behaviorisme et réductionniste radical s'il en fut), ou simplement la classe des mou- vements corporels publiquement observables, ou encore seulement les mouvements corporels publiquement observables constitutifs des actions d'un organisme ? Mais, dans ce dernier cas, peut-on encore identifier les comportements sans recourir, au moins implicitement, à des notions de type intentionnel ou mentaliste, c'est-à-dire sans violer du même coup les exigences d'observabilité qui sont au cœur de la conception behavioriste de l'objectivité ?

Un peu tautologiquement, on pourrait affirmer que le défaut fon- damental de ce type de behaviorisme, c'est qu 'il confine son domaine d'étude au comportement. Les difficultés que cette limitation laisse entrevoir sont telles, comme nous le verrons, qu 'on peut affirmer sans témérité excessive que le behaviorisme « scientifique » est une voie sans issue et que les restrictions méthodologiques qu 'il impose et confusions qu'il entretient mettent dans la mauvaise posture de n' avoir à choisir qu'entre l'incohérence et la futilité. En tout état de cause, les ambiguïtés de la conception du comportement signa lées au para- graphe précédent font surgir des difficultés conceptue lles dans la démarcation du domaine de recherche propre à la psyc ho logie et dans la caractérisation de ce qui doit compter comme une description valide des données.

Et pourtant, face au dualisme cartésien qui se débat dans le laby- rinthe de l'interaction des substances, et face aux déficiences

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dologiques des psychologies introspectivistes le behaviorisme peut apparaître à son avantage, ne serait-ce que parce que, comme Dennett y insiste à de nombreuses reprises la méfiance du behavioriste à l'égard du mode d'expression « mentaliste » témoigne de la recon- naissance — plus ou moins clairement articulée selon les auteurs - d'une contrainte capitale régissant les explications en psychologie. Selon Dennett, le behavioriste (Skinner en l'occurrence),

voit - ou voit presque - qu'il y a une manière spéciale dont on risque de commettre des pétitions de principe en psychologie, et cette manière est apparentée à l'introduction d'un homoncule. Puis- que la tâche de la psychologie est d'expliquer l'intelligence ou la rationalité des hommes et des animaux, elle ne pourra remplir cette tâche si, au cours de l'explication, elle présuppose l'intelligence ou la rationalité [...] ; ce qu'il voit confusément est qu'un homoncule se cache de fait dans votre explication à chaque fois que vous utilisez un certain vocabulaire, et cela en raison du fait que l'usage de ce voca- bulaire, à l'instar de l'introduction explicite d'un homoncule, pré- suppose l'intelligence ou la r a t i o n a l i t é

Dennett va plus loin : non seulement le behaviorisme a reconnu la nécessité de respecter cette contrainte « anti-homonculaire », mais il a aussi mis le doigt sur le principe (ou la famille de principes) qui permettra de la respecter, à savoir la « loi de l'effet ». Simplement, il a gâché cette belle intuition « qu'il doit y avoir quelque chose qui est de la nature de la carotte et du bâton, de la récompense et de la punition, de la survie et de l'extinction, si on doit pouvoir expliquer l'apprentissage », en affirmant dogmatiquement que cette « sélection par tâtonnements » qui paraît seule en mesure d'éviter les pétitions de principe homonculaires, doit opérer « à la périphérie », sur des comportements publics observables. Or ceux-ci, ne se laissent pas diviser naturellement en « renforcés » et « punis » (ou en fragments de comportement « renforcés » et « punis »), comme l'exigerait la théo- rie ; de sorte que, pour « sauver » la loi de l'effet et le dogme péri- phéraliste, le behavioriste doit constamment outrepasser ses propres préceptes sur l'observabilité en postulant des renforcements et des punitions passés. Selon Dennett, l'erreur du behavioriste sur ce point est qu'il conclut à partir du fait que la psychologie ne peut en appeler en dernier ressort à des éléments mentaux ou intentionnels, qu'il n'y a

3. Voir, par exemple, W. LYONS, The Disappearance of Introspection, chapitre I, ainsi que E. SOBER, « Mental Représentation », Synthese, 33, 1976.

4. Cf. D. DENNETT, Content and Consciousness, p. 33-34 et 62 ; Brainstorms, chapitres 4 et 5.

5. D DENNETT, Brainstorms, p. 58-59. 6. D. DENNETT, Content and Cousciousness, p. 62.

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pas de place pour des expressions mentales ou intentionnelles en psy- chologie 7

Ainsi donc, si la question que l'on pose est celle de savoir si le behaviorisme est (relativement) moins invraisemblable que le dua- lisme ontologique, ou s'il a reconnu quelque principe ou contrainte méthodologique importants pour la psychologie, ou encore si, dans la vie de tous les jours, on n'est pas condamné à une sorte de beha- viorisme purement pratique (dont la devise pourrait être l'aphorisme d'Oscar Wilde : « Seul un homme superficiel ne juge pas d'après les apparences »), la réponse sera sans doute positive. Mais s'il s'agit de savoir jusqu'où l'on peut aller, pour ce qui est de l'explication et de la prédiction psychologiques, en suivant les préceptes behavioristes, une réponse semble faire aujourd'hui l'unanimité, à savoir « pas très loin ! ».

Le behaviorisme logique du cercle de Vienne

Le behaviorisme logique défendu par Carnap, Hempel et Neurath dans les années trente s'efforce de « clarifier » le langage mentaliste en appliquant la stratégie générale consistant à rattacher la significa- tion des termes et énoncés théoriques à celle des termes et énoncés observationnels qui se tiennent au plus près de l' expérience immé- diate et qui, par conséquent, selon l'orthodoxie empiriste, devraient être épistémologiquement plus sûrs : on « réduira » ou « traduira » les énoncés appartenant au langage théorique suspect par des énoncés qui ne mentionneront (vocabulaire logique mis à part) que des termes « élémentaires » ou « objectifs », de manière à ce qu 'on en arrive à n'admettre le vocabulaire « théorique » qu 'à titre d 'abréviation commode. Autrement dit, le behaviorisme logique serait l' app lication au domaine des faits mentaux de la maxime nominaliste russe llienne « qu'il faut substituer, chaque fois que c 'est possible, des constructions logiques aux entités inférées ». De la sorte, de même que le logicisme

7. Ibid. 8. Cf. R. CARNAP, « Psychologie in physikalischer Sprache », Erkenntnis, 3 (1932-1933) ; trad. angl. : « Psychology « in Physical Language », of in A. J. AYERP (éd.), Logical Positivism; C. G. HEMPEL, « The Logical Analysis of Psychology », in N.BLOCK, Readings in the Phylosophy of Psychology, vol. 1; O. NEURATH, «Sociologie Physikalismus Erkenntnis, 2 (1931-1932) ; trad. angl : « Sociology and Physica- lism », in A. J. AYER (éd.), op. cit. 9. B. RYSSELL, « Logical Atomism », in A. J. AYER (éd.), op. cit.,p. 34. Le principe de substitution des entité inférées par des construction logiques est une version du « rasoir d'Ockham ». Russell en explique ainsi l'applicabilité : « Lorsqu'un ensemble d'entités hypothétiques a des propriétés logiques nettes et ordonnées il s'avère, dans un très grand nombre de cas, que les entités hypothétiques peuvent être remplacées par des structures purement logiques composées domaine de discours dont priétés nettes et ordonnées. Dans ce cas, en interprétant un domaine de discours dont

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identifie les nombres à des ensembles et que le phénoménalisme tente de réduire les objets physiques à des séries de données sensorielles ou sense data, de même, pour le behaviorisme logique du cercle de Vienne, les états mentaux hypothétiquement attribués au sujet sont des constructions logiques obtenues à partir de données comporte- mentales (actuelles ou possibles). L'assimilation de ce qui est mental à une variété de ce qui est construit (au théorique) et de ce qui est comportemental à une espèce de ce qui est élémentaire (à l'observa- ble) apparaît donc comme une prémisse fondamentale du behavio- risme logique.

L'idée que les énoncés les plus typiques de la philosophie tradi- tionnelle sur les rapports entre les phénomènes mentaux et les phé- nomènes physiques doivent être caractérisés comme des déviations linguistiques constitue un élément commun au behaviorisme logique tel qu'il s'exprime dans le cadre du positivisme logique et au beha- viorisme logique d'une « philosophie du langage ordinaire » comme celle de Ryle. Mais derrière l'idée que les problèmes philosophiques sont essentiellement « grammaticaux » et s'évanouiront lorsque leur formulation aura été soumise à un examen critique, on trouve des conceptions tout à fait divergentes de la méthode de dissolution et de la grammaire : alors que le néopositivisme logique entretient l'espoir qu'il puisse exister quelque chose comme une procédure effective per- mettant d'éliminer ces déviations 10 Ryle tâchera de redresser celles-ci en les confrontant à l'usage linguistique normal.

Pour Carnap le behaviorisme logique est avant tout la défense, à partir d'une analyse logique des énoncés de la psychologie, de la conception physicaliste de cette science. En soutenant que « chaque phrase de la psychologie peut être formulée en langage physique 11 », Carnap vise d'abord à discréditer le dualisme méthodologique qui éta- blit entre les sciences de la nature (Naturwissenschaften) et les sciences de l'esprit (Geisteswissenschaften) une discontinuité infranchissable de méthode et d'objet. Il présente son adhésion au behaviorisme logique comme une conséquence de son adhésion à la thèse générale du phy- sicalisme, thèse selon laquelle le langage de la physique est un langage universel : à toute phrase P d'une science donnée correspond une phrase Q formulée en langage physique qui en constitue la traduction,

on avait cru jusqu'alors qu'il portait sur les entités hypothétiques, nous pouvons rem- placer celles-ci par les structures logiques sans modifier le moindre détail du domaine de discours en question. » Ibid.

10. Cf. O. NEURATH, « Sociology and Physicalism », in A. J. AYER (éd.), Logical Posi- tivism, p. 292 : « Tout ceci pourrait être développé expérimentalement à l'aide d'une "machine pensante" semblable à celle proposée par Jevons. Au moyen de cette machine, la syntaxe serait formulée et les erreurs logiques évitées. La machine ne serait pas même capable d'écrire la phrase "deux fois rouge est dur". »

11. R. CARNAP, « Psychology in Physical Language », in A. J. AYER (éd.), op. cit., p. 165.

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où par « traduction » on entend le fait que Q est déductible de P et réciproquement, à l'aide de « règles de traduction » (définitions ou règles de correspondance) permettant de substituer à chaque expres- sion (en l'occurrence psychologique) son definiens physique. Cette thèse, pour Carnap, est « démontrable » et seules des « résistances émotionnelles » s'opposent à son acceptation 12

Carnap propose une analyse sémantique des phrases psychologi- ques :

Notre problème [...] est : que signifie la phrase P, (p. ex. «X est excité ») ? On ne peut répondre à une telle question qu'en présen- tant une (ou plusieurs) phrase(s) qui a (ou qui ont conjointement) le même contenu que P,. Le point de vue que nous défendrons est que P1 a le même contenu qu'une phrase P2 affirmant l'existence d'une structure physique caractérisée par la disposition à réagir de manière spécifique à des stimuli physiques spécifiques 13 .

Carnap pense que la négation de cette analyse sémantique équivaut nécessairement à l'adoption d'un dualisme plus ou moins inavoué : dire que P1 affirme l'existence d'un état de choses qui n'est pas iden- tique à la structure physique correspondante, mais qui est plutôt sim- plement accompagné ou exprimé par celle-ci, revient à hypostasier des « propriétés occultes » dont l'existence n 'est pas déterminable. Si une phrase ne dit rien de plus que ce qui peut être testé à son sujet, alors, en effet, le rejet de l'interprétation de P1 en termes de P2 fait du premier de ces énoncés un « pseudo-énoncé métaphysique ».

D'un point de vue logique, le statut d'un concept psychologique comme celui de douleur ne différerait en rien de celui d 'un concept physique comme celui de température : de même que l' énoncé au lieu x, au temps t, il règne une température de 23 degrés » n' a ffirme rien d'autre que « le niveau du mercure d'un thermomètre place à l'endroit x, au temps t, coïncidera avec le point de l 'éche lle gra duée où se trouve la marque "23" », de même le contenu de « Paul a aux dents » ne saurait être distingué du contenu de certains énoncés- tests physiques spécifiant les circonstances dans lesque lles

Le problème capital de la catégorisation du comportement est abordé par Carnap lorsqu'il envisage l' objection suivan te : [...] la psychologie examine le comportement des créatures elle ne s'y intéresse qu'en tant que comportement signi fiant. Pris sous cet aspect, cependant, le comportement ne peut être compris en termes de concepts physiques [...] et c'est la raison pour laquelle les

12. Cf. R. CARNAP, art. cit., p. 167-168, et C. HEMPEL « The Logical Analysis of Psychology », in N. BLOCK (éd.), Readings in the Philosophy of Psychology, vol. 1, p. 22.

13. R. CARNAP, art. cit., p. 172.

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phrases de la psychologie ne peuvent être traduites par des phrases de la physique 14 » Le point nodal de la réponse de Carnap à cette objection est précisément qu'il n'existe aucune impossibilité de prin- cipe à la physicalisation, par exemple, de la classe des mouvements du bras ayant une même signification (les salutations, par exemple). Les doutes à ce sujet seront dissipés, pense-t-il, en songeant à la manière dont la signification d'un film est comprise : « Nous comprenons la signification de l'intrigue sur l'écran. Et notre compré- hension serait sans doute la même si, au lieu du film projeté, on en présentait un autre, semblable au premier pour chaque détail physi- que 15 » De cette vérité cinématographique banale et évidente Carnap conclut ceci, qui l'est beaucoup moins : « On peut voir que notre compréhension de la signification aussi bien que la forme particulière qu'elle prend sont, en fait, complètement déterminées par les pro- cessus physiques affectant nos organes sensoriels 16 » Pour Carnap, le fait que les concepts psychologiques ne puissent pas encore être « phy- sicalisés » au sens strict (c'est-à-dire réduits à des ensembles de « coor- données d'état ») ne change rien au fait qu'ils sont d'ores et déjà soit physicalisables en principe, soit vides.

L'exemple choisi par Carnap pour montrer comment il faudrait pro- céder pour physicaliser les concepts psychologiques a de quoi sur- prendre : il s'agit de la « graphologie théorique », qu'il définit comme la recherche des relations nomologiques existant entre les pro- priétés formelles de l'écriture de quelqu'un et les propriétés psycho- logiques communément nommées « de caractère ». Intuitivement, on peut être enclin à affirmer que les chances de parvenir à définir ces dernières en termes physiques sont tout à fait négligeables. Mais ce qui montre que l'approche de Carnap est impraticable, c'est le fait que le problème de la physicalisation des propriétés graphiques de l'écriture, contrairement à ce qu'il semble penser, n'a rien d'un pro- blème trivial. Ainsi, Carnap croit apparemment que l'identification intuitive de ces propriétés (écriture « dynamique », « délicate », etc.) peut être remplacée de manière non problématique par une identifi- cation à l'aide de concepts géométriques. Que cela n'est pas le cas devient évident lorsqu'on songe aux difficultés liées à la géométrisa- tion ou « paramétrisation » des propriétés graphiques les plus élémen- taires telles que l'appartenance d'une lettre à sa catégorie propre 18 Apparemment, Carnap pensait que les propriétés graphiques, les

14. Ibid., p. 182. 15. Ibid. 16. Ibid. 17. Ibid., p. 185-190. 18. Pour une introduction à ce thème, voir D. R. HOFSTADTER, Metamagical Themas,

chap. 13 (« Metafont, Metamathematics, and Metaphysics »).

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signes gestuels, etc. formaient des catégories récursives ou effectives, alors que cela ne semble pas être le cas.

Ceci donne peut-être une idée du genre de difficulté à laquelle se heurtera un programme de traductions entre énoncés attribuant des états mentaux hypothétiques et énoncés physicalistes. Mais Carnap répondrait que, même si des différences entre l' analysans et l'analysandum existent, ce ne sont pas des différences de contenu des- criptif :

Deux langages différents, un langage psychique et un langage physique, sont à notre disposition, et nous affirmons qu'ils expriment le même contenu théorique. On objectera que « A se réjouit » exprime tout de même quelque chose de plus que l'énoncé physique correspon- dant. Et c'est effectivement exact. Le langage psychique n'a, en effet, sur le langage physique pas seulement l'avantage d'une simplicité considérablement plus grande, il exprime plus de choses. Mais ce plus n'est pas un plus en contenu théorique ; ce qui est exprimé par là, ce sont uniquement des représentations concomitantes

On peut naturellement se demander s'il est légitime - et même cohérent — d'exclure ce que Carnap appelle des « représentations concomitantes » du domaine de la psychologie.

Ryle et l'analyse dispositionnelle des termes mentaux

Dans la littérature récente, et particulièrement chez Fodor, le beha- viorisme logique tend à être identifié (non sans risques de malenten- dus, comme on le verra) à la philosophie de l' esprit de Ry le. Cela est dû, peut-être, au fait que le behaviorisme logique des néopositi- vistes survit difficilement à l'« écroulement général des dichotomies » auquel aboutit la critique de certaines de leurs thèses cen tra les (comme la distinction stricte entre langage observationnel et langa ge théorique ou la conception vérificationniste de la signification cogni- tive). Le sentiment général est que le fait que cette variété de beha- viorisme logique s'appuie sur une épistémologie qui rendrait phy- sique elle-même inconcevable suffit à la discréd i t e r .

Dans The Concept of Mind, Ryle se propose essentie llement d' assi- gner à leur « catégorie » ou « type logique » correc ts les concepts que la tradition philosophique avait interprétés comme dénotant des entités ou des propriétés mentales. Descartes, selon lui, a correctement saisi qu'il y a quelque chose d'incoinmensurable entre certaines choses que nous pouvons dire d'un être humain et certaines autres choses

19. R. CARNAP, « Scheinprobleme in der Philosophie. Das Fremdpsychische und der Realismusstreit », cité in J. BOUVERESSE, Le Mythe de l'intériorité, p. 371.

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que nous pouvons dire d'une machine ; mais il a eu le tort d'essayer de caractériser cette différence en affirmant que certains comporte- ments humains ont des causes non matérielles. Car, pour loger les « causes mentales », Descartes a dû postuler un monde « mental » caté- goriellement isomorphe au monde physique. Lorsque Ryle parle du « dogme du fantôme dans la machine », c'est à cette duplication de mondes qu'il se réfère. Il ne s'agit pas pour lui de nier l'existence d'un monde « mental », car cette négation ne ferait que perpétuer l'erreur d'attribution catégorielle qu'il entend stigmatiser, mais d'ana- lyser les termes du vocabulaire mentaliste en tenant compte de leur « grammaire » ou « comportement logique » propre.

Ce que l'on retient surtout, dans les discussions récentes, des sub- tiles analyses de The Concept of Mind, c'est le rôle qu'y joue la notion de disposition comportementale. Ryle maintient qu'un grand nombre de mots mentalistes ont un caractère dispositionnel. Ainsi, attribuer l'intelligence à une personne, ce n'est pas affirmer l'existence d'une relation spéciale entre certains événements occultes se déroulant « dans l'esprit » et d'autres événements se déroulant « dans le corps », c'est indiquer certaines conduites qu'une personne est susceptible d'adopter lorsque certaines conditions se présentent. Une disposition comportementale est définie sur le modèle des propriétés disposition- nelles physiques : « La fragilité du verre ne consiste pas dans le fait que celui-ci soit effectivement brisé à un moment donné. Dire qu'il est fragile, c'est dire que s'il était, ou s'il avait été, frappé ou soumis à une forte pression, il se briserait, ou se serait brisé, en petits mor- ceaux 20 » Ainsi, de même qu'il n'est pas besoin d'attendre qu'une vitre soit brisée, ni d'examiner sa microstructure, pour pouvoir lui attribuer la propriété dispositionnelle d'être fragile, de même il n'est pas nécessaire non plus de voir un homme gesticuler, crier ou frapper, ni, per impossibile, d'avoir accès à son « intériorité », ni de savoir quoi que ce soit au sujet de son organisation et fonctionnement cérébraux, pour pouvoir dire qu'il est colérique. Et de même que la fragilité ne doit pas être conçue comme une cause du brisement de verre, de même la colère ne doit pas être conçue comme un état interne, indé- pendant du comportement qui lui est caractéristique, et produisant celui-ci.

Deux différences capitales séparent la position de Ryle du beha- viorisme logique de Carnap ou Hempel. Premièrement, les analyses linguistiques de Ryle ne prétendent pas constituer littéralement et sys- tématiquement des traductions équivalentes des énoncés où figurent des termes mentalistes par des énoncés décrivant des dispositions comportementales. De fait, il indique lui-même à plusieurs reprises des cas où des traductions, bonnes ou mauvaises, sont impossibles à

20. G. RYLE, The Concept of p. 43.

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obtenir Comme son but n'est pas de réformer l'usage ordinaire, mais de ramener le philosophe à ce que Stuart Hampshire appelle « l'innocence littérale du langage du sens c o m m u n », le projet d'une analyse sémantique traductionniste lui est totalement étranger. De ce point de vue, on pourrait distinguer trois types de behaviorisme logi- que : 1) le behaviorisme logique strict ou « biconditionnel », qui cher- che à établir un lien d'équivalence logique entre analysans comporte- mental et analysandum mentaliste ; 2) le behaviorisme logique affaibli, selon lequel ce lien est simplement d'implication logique et les pro- priétés et les états mentaux sont partiellement caractérisés, mais non définis, par des ensembles de dispositions comportementales ; 3) un behaviorisme logique très affaibli, qui correspondrait à la position de Ryle.

Deuxièmement, si l'on distingue un behaviorisme « dur », qui exige des descriptions purement extensionnelles (du style « la main du sujet se déplace à telle ou telle vitesse et selon telle ou telle trajectoire »), d'un behaviorisme plus « mou » qui autorise des caractérisations du même genre que celles que nous employons ordinairement pour décrire des activités humaines, il est clair que le behaviorisme de Ryle est un behaviorisme tout à fait « mou ». Le langage qui fait problème

est analysé, dans les cas typiques, en termes d'actions et non de mou- vements, et les expressions intentionnelles abondent dans ces analyses , l'idée d'essayer de définir les prédicats mentalistes en termes de sti- muli et de réponses est totalement absente. Ce faisant, Ryle peut évi- ter une difficulté insurmontable qui se pose à tout behavioriste de

l'espèce « dure », à savoir que les types d'actions ne semblent pas défi- nissables par des ensembles finis de descriptions de mouvements ou de trajectoires (cf. infra, p. 50) ; mais, en contrepartie, le fait de demeu- rer à l'intérieur du « cercle de l'intentionnalité » risque de trivia liser

passablement toute l'entreprise du Ryle, du moins aux yeux constructeurs de théories psychologiques. Cependant, le point impor- tant pour Ryle est que le fait que le vocabulaire psychologique ne soit pas éliminable, c'est-à-dire le fait qu aucun ensem ble fini de criptions comportementales n'épuise la signification d'un énoncé comme « il est en colère », ne montre absolument pas que de tels

énoncés désignent autre chose que des comportements ou sitions au comportement.

Fodor propose une caractérisation générale du behaviorisme logique qui gomme ces différences : « Pour se dire behavorioriste au sens large [...] il suffit de croire que la proposition suivante exprime

21. Cf. par exemple, ibid., p. 117. 22. S. HAMPSHIRE, « Critical Notice : "The Concept of Mind ",

59 (1950), p. 229. 23. Cf. C. HEMPEL, art. cit., p. 14.

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vérité nécessaire : pour tout prédicat mental susceptible d'être utilisé dans une explication psychologique, il doit exister au moins une des- cription du comportement en liaison logique avec lu i » Autrement dit, l'application correcte des termes ordinairement employés dans des descriptions et explications mentalistes suppose, pour le behavioriste logique, que la personne ou l'organisme à qui on les applique mani- feste, ou ait tendance à manifester, un certain comportement. La condition pour que l'attribution d'une telle disposition soit testable (ou attestable) est que l'analyse de cette dernière - qui consiste en un ensemble d'énoncés conditionnels ou hypothétiques éventuellement contrefactuels dont les antécédents et les conséquents sont formulés en termes observables - soit (au moins partiellement) satisfaite. Le behaviorisme logique procède donc à une analyse en deux étapes : certains substantifs, verbes, locutions adverbiales « mentaux » seront interprétés dispositionnellement, et les énoncés dispositionnels, à leur tour, seront considérés comme des énoncés conditionnels (éventuel- lement contrefactuels) déguisés. Souvent, lorsqu'on parle, de manière fourvoyante selon le behavioriste logique, d'une « cause mentale », il faut en réalité entendre que le sujet a telle ou telle disposition et que l'antécédent d'un énoncé conditionnel (éventuellement contrefactuel) qui figure dans l'analyse de cette disposition se trouve vérifié - et rien d'autre. Ce faisant, ce que le behaviorisme logique veut surtout éviter, c'est de traiter ces « causes mentales » comme des rouages simplement postulés, occultes et éthérés, qui agiraient sur le comportement d'une manière mystérieuse.

Que gagne-t-on exactement à introduire de la sorte la notion de disposition comportementale ? D'abord, il s'agit, bien évidemment, d'éviter l'« erreur de catégorie » fatale selon laquelle les descriptions mentales seraient des descriptions de la « partie mentale » d'une per- sonne. Pour essayer de répondre à la question « en quoi consiste la différence entre un organisme qui a des états mentaux et un autre qui en est dépourvu ? », il est sans doute préférable de recourir à la caté- gorie de notions comprenant les dispositions, les capacités ou les « puissances » plutôt que d'invoquer de mystérieuses entités sépa- rées.

Ensuite, on répond à l'objection évidente que l'on peut faire à des versions simplistes (et simplistes au point de n'avoir jamais été sou-

24. J. FODOR, L'Explication psychologique, p. 51. 25. Un énoncé contrefactuel est un énoncé conditionnel subjonctif qui implique que

son antécédent est faux (par exemple : « Si Marie avait dit à Pierre qu'elle le trom- pait, il l'aurait quittée »).

26. Aristote est parfaitement clair sur ce point : le fait de posséder ou non une « psyché » (ou tel ou tel type de psyché) n'est pas une affaire de constituants entra- corporels supplémentaires mais des diverses capacités caractéristiques de l'organisme (cf. De anima, 412 a-b).

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tenues par personne) du behaviorisme, à savoir qu'un prédicat mental peut être satisfait sans qu'apparaisse un comportement déterminé qui lui serait régulièrement associé et même sans que le moindre compor- tement n'apparaisse, et cela alors même qu'il est vrai qu'il y a un lien conceptuel entre les descriptions en termes mentaux et les descrip- tions en termes comportementaux. Même si, en général, lorsque je crois qu'il va pleuvoir, je prends mon parapluie, il est facile d'ima- giner mille et une circonstances où j'ai la croyance mais non le comportement. Le behaviorisme logique peut rendre compte de cas de ce genre en invoquant le concept de disposition non aboutie ou contrariée (unfulfilled dispositions to behave).

Enfin, même si, comme les empiristes logiques s'en sont rapide- ment aperçus, il est impossible de fournir des « définitions opération- nelles » complètes des propriétés dispositionnelles physiques, le statut de ces dernières est toutefois, du point de vue de l'observabilité, assez accep tab le , e t e n tou t cas p ré fé rab le à celui des enti tés t h é o n q u e s Ainsi , m ê m e s'il se révé la i t imposs ib le de rédui re les énoncés m e n t i o n n a n t des t e r m e s d o n t les ré férents supposés sont des états ou

é v é n e m e n t s m e n t a u x à des é n o n c é s ne c o n t e n a n t que des te rmes

d é s i g n a n t des c o m p o r t e m e n t s obse rvab le s stricto sensu, on pourra i t e n c o r e e s p é r e r les t r adu i r e a p p r o x i m a t i v e m e n t pa r des énoncés

c o m p o r t a n t des t e r m e s disposi t ionnels , qui sont au moins quasi obser- va t ionnels .

P o u r Ryle , donc , « p o s s é d e r u n e p ropr i é t é disposi t ionnelle , ce n est

pas être d a n s u n é ta t par t icu l ie r ou subir u n c h a n g e m e n t part icul ier ; c 'es t avoi r t e n d a n c e ou être p r éd i sposé à être dans un état particulier,

o u à sub i r u n c h a n g e m e n t par t icul ier , l o r squ 'une condi t ion particu- lière est r é a l i s é e Ryle rejet te exp l i c i t emen t l ' idée, pour t an t assez

na ture l le , se lon laquel le la force expl icat ive des énoncés disposi- t ionnels e t la vér i té des é n o n c é s cond i t ionne l s qui en consti tuent, selon

lui, l ' ana lyse d é r i v e n t d ' u n e ré fé rence implici te à des états sous -jacents (à u n e mic ros t ruc tu re ) p r o v i s o i r e m e n t inconnus . Pour lui, les dispo- sitions n e son t pas des fac teurs causaux , qui, lorsque les circonstances

s 'y p rê t en t , p r o d u i s e n t les é v é n e m e n t s qui sont les manifes ta tions de

la d ispos i t ion . Di re d e q u e l q u ' u n qu' i l a telle ou telle disposi tion, ce n ' es t r i en d i re d ' a u t r e que : cer ta ins énoncés conditionnels sur son

c o m p o r t e m e n t poss ib le ou actuel sont vrais ; les énoncés

t r a d i t i o n n e l l e m e n t in t e rp ré té s c o m m e des énoncés catégoriques

t an t sur des ép i sodes de la « vie in te rne », sur des événements m e n t -

taux, d o i v e n t ê t re c o m p r i s c o m m e des énoncés hypothétiques portant t e n d a n c e à sur le c o m p o r t e m e n t obse rvab le que que lqu 'un

27. Cf. K. POPPER, « La démarcation entre la science et la métaphysique », in P. JACOB (éd.), De Vienne a Cambridge. p. 155-157.

28. G. RYLE, op. cit., p. 120.

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manifester en telles ou telles circonstances spécifiables en termes de ce que tout un chacun peut percevoir par l'usage de l'un ou plusieurs des cinq sens : « En gros, écrit Ryle, l'esprit n'est pas ce sur quoi porte un ensemble de propositions catégoriques non testables, mais ce sur quoi porte un ensemble de propositions hypothétiques et semi- hypothétiques testables

Une conséquence particulièrement déroutante de cette façon de voir est que les propriétés dispositionnelles ne sont pas censées jouer le moindre rôle causal — en fait, on a dit, non sans raison, que le but même du behaviorisme logique est de bannir du langage de l'expli- cation psychologique la notion de cause mentale — mais qu'en même temps les énoncés attribuant des dispositions conservent leur force explicative puisqu'ils autorisent certaines inférences sur ce qui arrive- rait en certaines circonstances particulières, et qu'en ce sens ils sont « quasi nomologiques » (law-like). Pour le réaliste, au contraire, attri- buer une propriété dispositionnelle, ce n'est pas simplement exprimer un conditionnel subjonctif, c'est aussi et surtout faire référence à la chose, éventuellement inconnue, qui fonde le conditionnel subjonctif ; et c'est cela qui explique, en dernier ressort, le caractère nomologique de ces énoncés. Il n'est certes pas douteux que les dispositions soient associées à des énoncés conditionnels subjonctifs. Dire de quelqu'un qu'il est un fumeur invétéré, c'est dire, entre autres choses, que si telles ou telles circonstances s'étaient présentées, cette personne aurait allumé une cigarette. Mais la question de savoir si des énoncés de ce type épuisent la signification des attributions de dispositions reste très controversée ; car, pour un réaliste, il est difficile de renoncer à l'idée que pour expliquer la vérité de ce genre d'énoncé conditionnel, il faut le faire en termes des propriétés occurrentes et sous-jacentes des cho- ses.

Une autre difficulté, liée du reste à la précédente, réside dans le fait que si les énoncés dispositionnels sont interprétés comme des conditionnels subjonctifs ou contrefactuels « quasi nomologiques » déguisés, leur statut devient, du point de vue d'une logique exten- sionnelle, assez problématique. Mais je n'insisterai pas sur cet aspect technique de la question 31

29. Ibid., p. 46. 30. Ibid., p. 120. On notera que, chez Skinner, toute attribution de dispositions aux

organismes étudiés par le psychologue se trouve frappée d'interdiction et régulière- ment assimilée à l' explication vide de l'effet de l'opium par sa virtus dormitiva. Mais Skinner est obligé de recourir à toute une série de stratagèmes pour éviter ces attri- butions ; il va jusqu à transposer dans les stimuli les dispositions normalement attri- buées aux organismes. Ce sont les stimuli eux-mêmes qui deviennent « discrimina- tifs », « aversifs », « renforçants », etc.

31. Cf. P.T. GEACH, Mental Acts, p. 6- 7.

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Les attraits et les ambiguïtés du behaviorisme logique

Trois raisons principales peuvent être citées pour expliquer l'attrait exercé en philosophie de l'esprit par le behaviorisme logique conçu comme thèse sur l'analyse correcte des énoncés employés ordinaire- ment dans des descriptions et explications mentalistes :

1) Si le behaviorisme logique est dans le vrai, le problème de la connaissance du contenu de l'esprit d'autrui (ce qu'on appelle le other minds problem) est ravalé au rang de pseudo-problème ; 2) il offre une alternative au solipsisme sémantique qu'impliquerait la thèse selon laquelle la signification des termes mentaux est fixée par un processus d'ostension interne ; 3) en renonçant à une conception causale de l'esprit, « le behaviorisme logique paraît en mesure d'éviter les écueils du dualisme et du matérialisme pur et dur, il peut utiliser toute la batterie d'arguments du dualiste contre la position matérialiste et, en même temps, demeurer aussi sobre que le matérialiste en niant que le langage des "douleurs", "pensées" et "sentiments" implique une quelconque référence à l'"Esprit" en tant que substance carté- sienne 32 ». Examinons brièvement chacun de ces points.

1) Si la thèse centrale du behaviorisme logique (à savoir l'existence d'un rapport logique ou conceptuel entre les propositions traitant des comportements ou des dispositions comportementales et celles qui font apparemment référence à des états ou processus mentaux) était vraie, il serait facile d'apaiser les doutes du sceptique sur la possibilité de connaître vraiment autrui - doutes entretenus surtout par la fai- blesse de l'argument par analogie (« puisque je sais quelles expériences subjectives accompagnent mon propre comportement, je peux inférer que selon toute probabilité un comportement analogue observé chez quelqu'un d'autre sera accompagné d'expériences similaires »). Au sceptique qui demande sur quoi nous nous fon dons pour croire que quelqu'un qui présente tous les signes extérieurs de la sou france éprouve le même genre de chose que ce que le sceptique ressent lorsqu'il souffre lui-même, le behavioriste logique répond: votre erreur est de croire que les « généralisations psyc ho -p hysiques» (« si un comportement du type C se manifeste, alors un état mental de type E a lieu »), dont la validité est mise en doute par votre question, ont le statut de généralisations empiriques, alors qu'elles sont vraies par définition.

2) Le behaviorisme logique reprend à son compte

(importante et vraie) que le vocabulaire mental ne peut être enseigné la signification d'un terme appartenant à ce vocabulaire ne saurait être

32. H. PUTNAM, « Papers, II, p. 326.

Brains and Behavior », ; in Mind, Language and Reality. Philosophical

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identifiée à des états internes ou privés ou à des qualités que l'on ne peut connaître qu'introspectivement. Pour le behaviorisme logique, les descriptions mentales ordinaires doivent être des descriptions vagues et indirectes de comportements ou de dispositions comportementales car, si tel n'était pas le cas, elles seraient totalement vides. Comme l'observe Campbell : « [le behaviorisme logique] confine la référence des expressions mentales aux conditions perceptibles de leur propre application. Puisque les manifestations d'un état mental sont les seuls aspects de la vie mentale que nous pouvons voir, entendre ou tou- cher, le behavioriste identifie l'état mental au motif (pattern) de ses manifestations 33 » Le sens des termes psychologiques de notre voca- bulaire s'établit progressivement au cours de l'apprentissage de la lan- gue par des sortes de définitions opérationnelles plus ou moins tacites, dans des circonstances qui déterminent la correction de l'emploi - et l'on ne peut déconnecter ce que ces termes signifient des circons- tances de l'apprentissage. Une objection assez naturelle à ce point de vue est que « même si nous apprenons l'usage des termes subjectifs de la manière indiquée [...] une fois ceux-ci incorporés à notre vocabu- laire, nous les appliquons à des états ou conditions auxquels nous, en tant que sujets individuels, avons un "accès privilégié". Si je rapporte des humeurs, sensations, pensées, images, rêves, etc., dont je fais l'expérience, je ne me réfère pas à mon comportement ». Autrement dit, l'argument sémantique en faveur du behaviorisme se heurte à la question de savoir si nous avons des raisons de penser que la signi- fication des mots doit être indissolublement liée aux contextes dans lesquels ils ont été originellement appris.

3) En affirmant que les généralisations psycho-physiques sont vraies par définition, le behaviorisme logique veut dire que la connexion entre l'esprit et le comportement est pour ainsi dire trop étroite pour être causale. Cela explique sur quel point précis le behavioriste logi- que peut tomber d'accord avec le dualiste : ce que signifie « X souf- fre » n'a aucun rapport avec ce qui peut se passer dans le cerveau de X. Même si la souffrance de X a des causes physiologiques, l'argu- ment sur la manière dont les termes mentaux obtiennent leur signi- fication bloque l'identification de celles-ci à la souffrance de X. En un sens, dans cette perspective, dire que le comportement est une manifestation de l'état ou de l'événement mental (ou cérébral) interne est déjà, en soi, une erreur. Comme l'explique Campbell,

le comportement — disons, le fait d'écrire un poème — est lui-même un exemple d'activité mentale. Aucune chose n'est sa propre cause.

33. K. CAMPBELL, Body and Mind, p. 75-76. 34. H. FEIGL, « Mind-Body, not a pseudo-problem », in C. V. BORST (éd.), The Mind-

Brain ldentity Theory, p. 34.

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structures neuronales et, 294 Hora et Tempus (parabole de), 365-366 Horgan T., 124, 175-177 Hull D., 367 Hume (problème de), 19, 249, 252, 266,

275-276, 278, 287, 291 intelligence artificielle et, 255-256 Searle et, 287-288 sur intentionnalité ou intelligence,

257-263 Hume D., 249 Huxley T., 371 Hyman J., 77, 327

identifications théoriques, 64-65, 122, 148 identité (notion d'), 60-61, 95, 152, 154,

209, 376 nécessaire vs contingente, 154-155 vs corrélation, 60-65

identité des occurrences (thèse de l'), 18, 106-107, 375

identité psycho-cérébrale (thèse de l'), 18, 113-114, 165, 206-207, 260, 340, 375, 378, chap. 2, passim argument déductif en faveur de, 69-70 chauvinisme de la, 95-97, 114, 154,

215, 231 classique, 59, 65 comme hypothèse scientifique, 62, 65 contingente, 61, 84, 153, 207, 260 défense standard de la, 150-152 erreurs de catégorie et, 89-94 Kripke contre la, 155-162 Nagel contre la, 165 objection de Malcolm à la, 83-84,

92-93 objection extemaliste à la, 81-82 objections antiréductionnistes à la,

97-110, 119 identité psycho-fonctionnelle (thèse de l'),

136-142 image manifeste vs image scientifique, 7,

9-10, 171, 378 implications pragmatiques, 56-57 indétermination de la traduction, 105,

369 indéterminisme, 186 instrumentalisme, 244, 251, 281, 375-376,

386 intelligence artificielle, 12-13, 15, 19, 96,

230, 235, 246, 248, 255-257, 269-272, 278, 302, 363, 381, 385

intention, 83-84, 92-93

intentionnaliste (thèse de non-réductibi- lité), 50

intentionnalité, chap. 6, passim cercle de l', 43-44, 112 de Mère Nature, 372, 387 dilemme de l', 363 et conscience, 288-291, 322, 387 et intelligence, 19, 257-262, 289, 291 et intensionnalité, 260 inéliminable, 31, 49-52, 254, 260, 263,

280, 282, 285, 338 intrinsèque vs dérivée, 261-262,

286-291, 372, 387 marque d'inachèvement théorique, 249 sensations, 195 théorie causale de l', 255, 257-258, 276

intentionnelle (posture)/ intentional stance, voir interprète

intentionnelles (caractérisations), 144, 249

intentionnelles (propriétés), 73, 80-84, 120-121, 333

internalisme, 66-69, 81 interprétation, 146-148, 240-245, 247 interprète (stratégie ou posture de l'),

250, 262, 281-282, 284 adaptationnisme et, 364, 368-369 interprétivisme de la, 370, 386 sélection naturelle et, 373-374

intransitivité de l'explication, 101-103 introspection, 11, 14-15, 45-46, 72, 74-75,

160, 169, 171, 378, 388 accès sous-privilégié et, 185-186 comme accès privilégié, 159, 161, 222 processus d'auto-inspection et, 76-77 machines de Turing et, 124-136 régression à l'infini et, 78-79, 126 fonction de l', 372 infaillibilité de l', 44-46, 72-73, 75,

125-136, 159, 184, 221, 227 métacontraste et, 221-223 modèle perceptuel de l', 74, 159, 171 non-corrigibilité, 130, 159 qualia inversés ou absents et, 210-212

intuitions cartésiennes, 10-12, 159, 178, 199, 389

inversion des spectres, 203, chap. 5, pas- sim intra- vs intersubjective, 211-214, 220 inconfirmable, 221-222

isomorphisme fonctionnel, 111, 115, 123, 132-133 défini, 142 identité qualitative et, 205

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Jackendoff R., 315 Jackson (argument de), 162-163

quatres réponses standard à l', 173-178 Jackson F., 19, 150, 162-163, 167, 171,

173-178, 183, 192, 195-196 Jackson F. et Pettit P., 124 Jacob F., 230, 367 Jacob P., 124, 264, 267-268 James W., 14, 94, 160, 333, 371-372

Kalke W., 131-132 Kant E., 11 Katz J. et Fodor J., 314-315 Kaufmann A., 22 Kenny A., 17, 94, 232-235, 237-238, 240,

380 KimJ., 107 Kitcher P., 367 know-how vs. know-that, 175, 295 Knuth D., 325 Koch C., 8 Kripke (argument de), 155-156

critiques de l', 156-162 Kripke S., 19, 150-162, 165-167, 196,

199, 215

Land E., 174 langage de la pensée (hypothèse du), 19,

242-243, 254, 263-277, 279 arguments en faveur de l', 264-267 conditions d'atomicité et, 273-274 conventions linguistiques et, 275 le problème de Hume et l', 266-267 objections à l', 267-277 problème du cadre et, 269-272

langage ordinaire, 56-58, 90, 384 langage privé (argument du), 49 langue-E vs langue-I, 311-312 Lashley K., 95 Leibniz (loi de), 72, 151, 378 Levine J, 160-161, 214-217 Lewis D., 19, 59, 67-71, 95, 108, 111,

119, 122, 143, 175, 207-210 Lewontin R., 365 liaison logique (ou grammaticale), 57-58,

83-84, 113, 210, 239 libre circulation des prédicats, 240, 297 Loar B., 177 Locke J., 80, 151, 203 Loewer B. et Rey G., 262 Lovejoy A., 14 Lycan W., 149, 156, 159-160, 170,

176-177, 181, 195, 205, 218, 230, 333-334, 350

Lyons W., 24, 39, 46, 280

machine analogie esprit/-, 124-136 sémantique, 246-247, 261 darwinienne, 362 virtuelle, 306

Mackay D., 186 Malcolm N., 83-84, 92 -93, 192-193,

219-220, 231-232, 235, 273-274, 279, 295-296, 382

Marr D., 282, 332 matérialisme (ou physicalisme), 6-18, 26,

82, 99, 157, 163, 165, 173-80, 184, 186, 202, 207, 288, 363, 375-376, 378, 382 réductionniste, 5, 13, 59, 117 minimal, 107

Mayr E., 364-365, 367-368, 370 McCarthy J., 257 McClelland J., Rumelhart D. et Hinton

G., 278 McDowell J., 323 McGinn C., 15-16, 81-82, 212, 333-334,

369, 372, 382 mentalais, voir langage de la pensée mentalisme, 56, 144, 266, 281

objections contre le, 145-149 message (notion cartésienne de), 272-275 métacontraste, 222-223 méta-états, 78-79 Miller J., 258 Millikan R, 244, 333, 354-355, 369-370 modularité, 365-367 monisme anomal, 106-108 Monod J., 358 Morgan C., 333 mystère de la conscience, 8, 167, 199

Nagel E., 337-342, 344, 350, 352 Nagel (argument de), 163-167 Nagel T., 19, 82, 150, 162-173, 179-183,

193-196, 198-200, 291, 321 négation signifiante (principe de), 181 Nelson R., 128, 132-135 Nemirow L., 175 Neurath O., 25, 40, 386 neurosciences, 10, 13, 15, 17, 64, 174,

224, 236, 278, 311, 375-376, 380, 385 neutres (analyses), 61, 76, 84-89, 164

de Smart, 85-87 d'Armstrong, 87-88

Newell A., Shaw J. et Simon H., 96 nominalisme psychologique (principe

de), 197