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Mémoire original Thématiques de recherche en santé dans la prochaine décennie Health research matters in the next ten years J.-F. Bach Groupe hospitalier Necker-Enfants Malades, bâtiment Sèvres, 149-161, rue de Sèvres, 75015 Paris, France Disponible sur internet le 06 juin 2005 Mots clés : Anticorps monoclonaux ; Thérapie génique ; Maladies auto-immunes ; Nouvelles classes de médicaments Keywords: Monoclonal antibodies; Gene therapy; Auto-immune diseases; New classes of drugs Je suis particulièrement heureux de me retrouver dans cet Institut, d’y saluer Charles Salmon et d’y remercier Philippe Rouger pour son invitation. Je ne serai pas capable de traiter dans un laps de temps aussi réduit un sujet aussi vaste que les « Thématiques de recherche en santé dans la prochaine décen- nie ». Je vais plutôt m’employer à aborder quelques sujets, susceptibles d’alimenter notre réflexion quant aux thérapeu- tiques à venir. En effet, j’ai choisi de centrer mon propos sur la thérapeutique. Si l’épidémiologie et le diagnostic présen- tent un intérêt indiscutable, les réponses que l’on peut appor- ter aux différentes pathologies nous intéressent au premier chef. 1. Le succès des anticorps monoclonaux Mon intervention va commencer par développer ce qui constitue un authentique triomphe des biotechnologies : les anticorps monoclonaux. Nous ne sommes pas encore parve- nus au terme des espoirs qu’ils ont suscités, de nombreuses possibilités demeurant ouvertes. Comment appréhender l’évo- lution actuelle et anticiper sur ses conséquences, dans de nom- breuses problématiques afférentes à la santé ? À l’évidence, le succès des anticorps monoclonaux est considérable : il affecte le champ de la transfusion mais éga- lement des domaines encore bien plus vastes. Les anticorps sont des produits des lymphocytes, une des catégories majeu- res de cellules sanguines. Du reste, les centres de transfusion s’intéressent à la production d’anticorps monoclonaux. Je ne rappellerai pas à Charles Salmon le détail des travaux que nous avons conduits ici même avec Elena Edelmann, il y a de cela de nombreuses années. En examinant la chronologie des découvertes, on pourra prendre acte d’un succès des plus rapides. En 1975, les hybri- domes ont été découverts. Il n’a fallu que quelques années pour voir les premiers usages thérapeutiques des anticorps monoclonaux, avec les OKT3 en 1979 (Peter Kung et Gedeon Goldstein). L’industrie pharmaceutique n’a pas mis beau- coup de temps à initier leur production. On ne peut que rester rêveur face à une application clinique aussi rapide. Elle est comparable dans la promptitude de sa mise en œuvre à celle des traitements à base d’insuline, destinés aux diabétiques insulinodépendants, une fois cette protéine découverte. Une telle vitesse dans le passage aux applications serait-elle ima- Adresse e-mail : [email protected] (J.-F. Bach). Monsieur le professeur Jean-François Bach avec monsieur le professeur Marc Gentilini, président de la Croix-Rouge française. Transfusion Clinique et Biologique 11 (2004) 261–265 http://france.elsevier.com/direct/TRACLI/ 1246-7820/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.tracli.2005.04.042

Thématiques de recherche en santé dans la prochaine décennie

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Mémoire original

Thématiques de recherche en santé dans la prochaine décennie

Health research matters in the next ten years

J.-F. Bach

Groupe hospitalier Necker-Enfants Malades, bâtiment Sèvres, 149-161, rue de Sèvres, 75015 Paris, France

Disponible sur internet le 06 juin 2005

Mots clés : Anticorps monoclonaux ; Thérapie génique ; Maladies auto-immunes ; Nouvelles classes de médicaments

Keywords: Monoclonal antibodies; Gene therapy; Auto-immune diseases; New classes of drugs

Je suis particulièrement heureux de me retrouver dans cetInstitut, d’y saluer Charles Salmon et d’y remercier PhilippeRouger pour son invitation. Je ne serai pas capable de traiterdans un laps de temps aussi réduit un sujet aussi vaste que les« Thématiques de recherche en santé dans la prochaine décen-nie ». Je vais plutôt m’employer à aborder quelques sujets,susceptibles d’alimenter notre réflexion quant aux thérapeu-tiques à venir. En effet, j’ai choisi de centrer mon propos surla thérapeutique. Si l’épidémiologie et le diagnostic présen-tent un intérêt indiscutable, les réponses que l’on peut appor-ter aux différentes pathologies nous intéressent au premierchef.

1. Le succès des anticorps monoclonaux

Mon intervention va commencer par développer ce quiconstitue un authentique triomphe des biotechnologies : lesanticorps monoclonaux. Nous ne sommes pas encore parve-nus au terme des espoirs qu’ils ont suscités, de nombreusespossibilités demeurant ouvertes. Comment appréhender l’évo-lution actuelle et anticiper sur ses conséquences, dans de nom-breuses problématiques afférentes à la santé ?

À l’évidence, le succès des anticorps monoclonaux estconsidérable : il affecte le champ de la transfusion mais éga-lement des domaines encore bien plus vastes. Les anticorpssont des produits des lymphocytes, une des catégories majeu-res de cellules sanguines. Du reste, les centres de transfusions’intéressent à la production d’anticorps monoclonaux. Je nerappellerai pas à Charles Salmon le détail des travaux que

nous avons conduits ici même avec Elena Edelmann, il y a decela de nombreuses années.

En examinant la chronologie des découvertes, on pourraprendre acte d’un succès des plus rapides. En 1975, les hybri-domes ont été découverts. Il n’a fallu que quelques annéespour voir les premiers usages thérapeutiques des anticorpsmonoclonaux, avec les OKT3 en 1979 (Peter Kung et GedeonGoldstein). L’industrie pharmaceutique n’a pas mis beau-coup de temps à initier leur production. On ne peut que resterrêveur face à une application clinique aussi rapide. Elle estcomparable dans la promptitude de sa mise en œuvre à celledes traitements à base d’insuline, destinés aux diabétiquesinsulinodépendants, une fois cette protéine découverte. Unetelle vitesse dans le passage aux applications serait-elle ima-Adresse e-mail : [email protected] (J.-F. Bach).

Monsieur le professeur Jean-François Bach avec monsieur le professeur MarcGentilini, président de la Croix-Rouge française.

Transfusion Clinique et Biologique 11 (2004) 261–265

http://france.elsevier.com/direct/TRACLI/

1246-7820/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS.doi:10.1016/j.tracli.2005.04.042

ginable à l’heure actuelle, compte tenu des contraintes régle-mentaires ? Il n’est bien sûr pas question de contester le faitque les agences réglementaires se portent garantes du pro-grès thérapeutique. Mais il convient également de se rendrecompte des contraintes qui sont imposées, dans le même mou-vement, au développement des nouveaux produits. On doitgarder aussi à l’esprit les risques de retard dans la traductionclinique des innovations.

À la fin des années 1980, certaines entreprises ont pour-tant douté de l’avenir des anticorps monoclonaux. Ils témoi-gnent aujourd’hui des capacités d’une biotechnologie triom-phante. Ces doutes ont été dissipés et on dénombreaujourd’hui de très nombreuses applications cliniques, suiteaux approbations successives des nouveaux produits par lesagences. Le dernier événement majeur en date correspond àl’usage des anticorps anti-TNF (tumor necrosis factor) dansla polyarthrite rhumatoïde, dans la maladie de Crohn ainsique dans le psoriasis. Un nouvel anticorps a incontestable-ment révolutionné la prise en charge des malades atteintsd’une forme de polyarthrite rhumatoïde sévère.

Une autre indication majeure appartient au domaine de latransplantation et des greffes. En dépit des progrès des immu-nosuppresseurs chimiques (ciclosporine, relayée par de nom-breux autres), il n’est à l’heure actuelle pas possible d’effec-tuer une transplantation d’organe sans recourir à des anticorps.On souhaiterait n’utiliser que des anticorps monoclonaux. Unparadoxe fait que dans beaucoup de centres, des globulinesanti-lymphocytaires sont largement utilisées, préparées nonplus chez le cheval mais chez le lapin. Cela souligne un cer-tain décalage entre les avancées des biotechnologies et lespratiques médicales. Cette remarque étant formulée, les anti-corps monoclonaux sont absolument irremplaçables en trans-plantation.

Surtout, la place des anticorps monoclonaux est vouée às’étendre dans un proche avenir. On songera à l’apparitiond’anticorps dirigés contre des agents pathogènes infectieux.Quel est leur intérêt ? Ils pourront constituer des complé-ments remarquables des antibiotiques et des antiviraux. Cetteperspective originale commence tout juste à se dessiner.L’idée d’une combinaison des anticorps et des agents chimi-ques traditionnels paraît des plus fécondes. L’usage des anti-corps monoclonaux a longtemps buté sur une difficulté depremière importance : produits chez la souris, ils possédaientdes propriétés immunogènes chez l’homme. Les anticorpsfabriqués par l’homme contre ceux qu’on lui administrait,provenant de la souris, étaient dirigés préférentiellementcontre la partie variable. Ce phénomène était d’autant plusmalheureux que les effets bénéfiques recherchés s’en trou-vaient par-là abrogés. La réaction immune anti-idiotypiquerendait les anticorps injectés inopérants.

Des efforts ont été fournis pour « moderniser » les anti-corps monoclonaux selon les possibilités ouvertes par les tech-niques de biotechnologie. Par génie génétique, il a été permisd’humaniser les anticorps en greffant des parties variablesmurines sur des fragments constants humains. De ce fait, dansde telles protéines chimériques, seule la partie variable

demeure d’origine murine. Ces approches ont démontré leurintérêt depuis longtemps, elles sont même devenues obliga-toires dans la fabrication d’anticorps destinés à être utiliséschez l’homme. Mais en réalité, le problème demeure entier.En effet, par exemple, jusqu’à 50 % des patients traités parles anticorps anti-TNF s’immunisent, même contre les anti-corps humanisés. Ils ne sont donc pas la panacée.

La possibilité d’aller encore plus loin est offerte par la tech-nique actuelle. Des anticorps entièrement humanisés peu-vent être produits. On pourrait comparer leur mode de pro-duction à un « échange standard » des gènes codants pour lesimmunoglobulines, en les insérant dans le patrimoine géné-tique de la souris. Ce procédé, pour ingénieux qu’il soit, n’estpas exempt de défauts. La souris ainsi transformée présenteun déficit immunitaire loin d’être négligeable. Et il devientpour le moins ardu d’obtenir de bons anticorps par cetteméthode, qui compte donc peu de réussites. Des librairiesd’ADNc existent, des phages renfermant le matériel généti-que. Surtout, des chimères génétiques peuvent être mises aupoint. Elles sont très intéressantes dans le champ des patho-logies infectieuses. Une fois des souris irradiées, il est possi-ble de leur faire synthétiser des anticorps humains par leslymphocytes qu’on leur a introduits. Ce sont en principe desanticorps vis-à-vis desquels les donneurs des lymphocytessont sensibilisés. Ce procédé a été exécuté avec succès pourobtenir des anticorps anti-HBV et anti-HCV.

Même à force d’améliorer l’anticorps, en l’humanisant,on finit par le singulariser de telle sorte que les maladess’immunisent tout de même contre lui. Par analogie, on remar-quera que les diabétiques traités par l’insuline recombinantefinissent par s’immuniser contre la protéine qui leur est injec-tée. Il en est de même pour les anticorps monoclonaux, mêmesi ce phénomène s’est quelque peu estompé compte tenu desprogrès remarquables amenés par les anticorps humanisés. Ildemeure que l’immunisation constitue une limite majeure àl’usage des anticorps in vivo à des fins thérapeutiques.

Mon équipe travaille à Necker sur un anticorps dirigécontre le complexe Cd3, ensemble moléculaire associé aurécepteur T de reconnaissance de l’antigène. En effet, les anti-corps monoclonaux ont aussi la capacité d’être des agonistesdans de nombreux systèmes immunitaires, que n’ont pas laplupart des entités chimiques. Toutes celles que l’on connaîtagissent principalement de façon à supprimer l’immunité. Etles anticorps monoclonaux, molécules plus complexes,miment le ligand naturel des récepteurs : ils stimulent parconséquent les cellules, ainsi qu’il en aurait été naturelle-ment si elles avaient été en contact avec le ligand naturel. Dece fait, les anticorps anti-CD3 ont d’abord suscité des espoirsdans le champ de la transplantation d’organe. Leur usage pour-rait être étendu aux affections auto-immunes. Pour prendreun modèle de souris « diabétique », comparable aux maladesinsulinodépendants humains, chez lequel les cellules b ontdisparu, si l’on injecte un anticorps anti-CD3 pendant seule-ment cinq jours consécutifs, on obtient une rémission com-plète de la maladie. Cette rémission s’étend tout le long de lapériode qui reste au rongeur à vivre. Ainsi, ce traitement de

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courte durée induit un phénomène durable, il n’est pas com-parable aux effets des médicaments classiques, liés à leur pré-sence continue dans l’organisme (à leur biodisponibilité). Enmatière de transplantation, on peut en effet induire la tolé-rance, et ce durablement. Ce n’est que très récemment que cechangement immunitaire durable peut être obtenu de manièrereproductible, selon des protocoles désormais relativementbien établis. La tolérance renvoie à cette capacité extraordi-naire d’induire la paralysie de l’immunité vis-à-vis de l’organeprovenant du donneur, sans affecter la réponse immune contreles agents infectieux potentiellement pathogènes. L’usaged’un anticorps anti-CD3 permet de parvenir à une tolérancedont le mécanisme nécessite notamment une production deTGF b. En effet, si on co-administre un anticorps anti-TGF bavec un anticorps anti-CD3, on empêche le processus condui-sant à la tolérance. Celle-ci résulte d’une fonction cellulairerégulatrice. L’effet pharmacologique nouveau d’induction àlong terme des cellules régulatrices mérite d’être souligné.

Les anticorps monoclonaux ne sont pas sans effets secon-daires, quand ils sont utilisés in vivo. La libération de gran-des quantités de cytokines a des conséquences néfastes etennuyeuses pour le clinicien, en thérapeutique humaine. Unsyndrome lié à la libération de cytokines, suite à l’injectiond’anticorps, a été décrit. Les corticoïdes ont été employéscontre ce syndrome, sans grand succès. Grâce au génie géné-tique, les résidus responsables de l’induction de la produc-tion de cytokines par l’immunoglobuline ont été identifiés.Par changement de deux acides aminés sur la protéine injec-tée, on évite les effets délétères qui viennent d’être décrits.Cela confirme les perspectives larges ouvertes par le géniegénétique et par ses techniques consistant à modifier les anti-corps, de manière à parvenir à des produits quasiment par-faits. En définitive, les anticorps monoclonaux autorisent lesplus grands espoirs dans leur usage en tant que médicaments,le génie génétique autorisant des modifications audacieusesde leur structure.

En médecine de substitution, l’objectif est de se rappro-cher autant que possible des protéines humaines natives. Lesprotéines contre lesquelles les malades s’immunisent ne peu-vent représenter une garantie certaine. Le génie génétiquen’autorise pas tous les espoirs.

Je terminerai sur une note optimiste. Grâce à des anticorpstrès améliorés, nous avons objectivé chez l’homme le mêmephénomène de rémission durable d’un diabète de type I, prisà son départ, que chez la souris. Six jours de traitement ontsuffi pour observer cette rémission, une année, après, sansaucun traitement.

2. La thérapie génique

La possibilité de transférer des gènes d’un organisme àl’autre n’a cessé de fasciner. La thérapie génique a déjà donnédes résultats spectaculaires chez l’animal. Il a été envisagé derecourir à des gènes médicaments dans les thérapies contre lecancer et contre des affections auto-immunes. Le transfert

génétique représente également une opportunité de pouvoirsynthétiser de nouvelles protéines dans un organisme cible.Aux États-Unis, des travaux de génie génétique ont notam-ment ciblé le facteur IX et le facteur VIII, dont le déficit expli-que des formes d’hémophilie. J’ai été personnellement trèsimpressionné par ces recherches. L’idée de pallier par trans-fert génétique des déficits du corps humain demeure trèsvivace. Mais aujourd’hui, la thérapie génique marque le pas.Nous pouvons nous enorgueillir du premier succès obtenu, ilest vrai dans des conditions particulières et favorables, parune équipe française. Il s’agit, bien entendu, de celle d’AlainFischer. Des cellules avaient pu être extraites et réimplantéespour procéder à la correction d’une grave lacune héréditairedu système immunitaire. Immédiatement, cette avancée aconnu un retentissement considérable, puis la poursuite atten-due du progrès dans les applications a été démentie. Des effetssecondaires majeurs avec les adénovirus sont apparus.L’équipe d’Alain Fischer a été confrontée à d’autres effets,d’une autre nature, avec les rétrovirus. Nous espérons que ledevenir de ce programme n’en sera pas affecté. Fondamenta-lement, la difficulté intrinsèque de la technique explique cecoup d’arrêt. Ce n’est pas tant la maîtrise de la technique dutransfert génétique qui est en cause que la faisabilité de sonexécution sur l’homme. La recherche dans ce domaine n’enmérite pas moins d’être encouragée. Car les espoirs suscitésn’en demeurent pas moins intacts, dans les déficits d’originegénétique et dans le champ de très nombreuses maladies rares.Théoriquement, la solution que représente la thérapie géni-que est irremplaçable.

3. Face aux pathologies auto-immunes

Le dernier thème que je souhaiterais aborder nous contraintà envisager l’avenir avec un regard un peu particulier. Lescaractéristiques de l’évolution des pathologies dans les paysdéveloppés a tendance à être méconnue. Leurs conséquencesne doivent pas s’en trouver sous-estimées. Si l’on examine letableau des malades hospitalisés de nos jours, on s’aperçoitqu’il diffère du tout au tout de celui d’il y a vingt ou trenteans. Le changement considérable perçu au sein des pays déve-loppés mérite toute notre attention.

Il se caractérise tout d’abord par l’extension du diabète detype II. Sa progression est largement expliquée par la surali-mentation ou plutôt la dysalimentation dans nos sociétés. Ellecommence à affecter également les pays moins développés,ce qui est terrible à considérer. Les chiffres actuels font étatd’un phénomène redoutable. Ainsi, 7 à 8 % des Américainsprésentent-ils un diabète de type II (soit près de 17 millions).De nombreuses formes demeurent non diagnostiquées. La fré-quence du diabète de type I augmente aussi parallèlement.

Pour aller au fond des choses, cette progression caracté-rise la plupart sinon toutes les maladies auto-immunes, ouqui font appel à une composante auto-immunitaire : scléroseen plaques, allergies, maladie de Crohn... L’incidence despathologies mettant en jeu les lymphocytes a augmenté d’un

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facteur 2 à 3 depuis quelques décennies ; on mentionneranotamment les leucémies aiguës lymphoblastiques, les lym-phomes non hodgkiniens. Cette évolution est à mettre enparallèle avec le recul des maladies infectieuses. Quelle rela-tion de cause à effet peut-on établir entre cette dernière ten-dance et l’augmentation du nombre de désordres dus à desdérèglements du système immunitaire ? Quelles pistes doit-onévoquer pour compenser ce revers de la médaille du progrèsde la médecine ?

La distribution de la sclérose en plaques suit un gradientNord/Sud. Elle ne se retrouve pas de manière uniforme dansles pays d’Europe. Plus on va vers le Nord, plus sa fréquences’élève. Cela s’explique-t-il par la génétique ? Probablementpas. En effet, en suivant des populations de migrants de zonede basse incidence vers des zones de haute incidence, onobserve que leurs enfants développent ces maladies avec lamême probabilité que ceux des pays où ils ont émigré. Ainsiles pakistanais qui émigrent en Angleterre présentent-ils undiabète insulinodépendant avec la même probabilité que lesanglais. Pourtant, l’incidence de cette pathologie est extrê-mement basse au Pakistan. La preuve d’une corrélation entrele niveau de vie et la fréquence de ces maladies a été appor-tée. Les statistiques sont sans équivoque, il en est de mêmepour la dermatite atopique. Plus les familles sont aisées, plusleur risque de développer une telle maladie auto-immune estélevé. Ce constat se vérifie avec les maladies inflammatoiresde l’intestin. Comment l’évolution d’une société et de sesmodes de vie peut-elle être aussi favorable aux affections auto-immunes ? La fréquence et la gravité des infections sont bienmoindres que dans les pays en voie de développement. Carce ne sont pas seulement les maladies infectieuses graves quientrent en ligne de compte pour expliquer cette divergenceentre le monde développé et les pays pauvres. La qualité del’eau et des aliments, la vaccination, le recours aux antibio-tiques et à d’autres agents médicamenteux de nature à modi-fier la flore intestinale constituent autant d’éléments qui modi-fient les modes de sollicitation du système immunitaire. Desmodèles expérimentaux ont confirmé le rôle décisif des fac-teurs environnementaux, qui préviennent le déclenchementdes processus auto-immuns. Une souris NOD aura une moin-dre tendance à développer un diabète dans un milieu conven-tionnel que placée dans un environnement aseptisé. Et sicelle-ci est élevée dans une animalerie franchement « sale »,elle n’évoluera en principe plus vers l’état diabétique. Il suf-fit de placer une génération suivante d’animaux, mise bas parcésarienne, dans un isolateur, pour qu’elle soit diabétique à100 %. Inversement, si on administre à des souris NOD desbactéries, des virus en grand nombre, on empêche le déve-loppement de la maladie. Ce constat se vérifie bien au-delàdu champ du diabète : il en est de même pour le lupus et pourles pathologies inflammatoires intestinales. Si on infecte unesouris génétiquement encline à développer un lupus par unPlasmodium, on n’obtiendra pas de développement du lupusqu’ on pouvait anticiper. Au-delà des problèmes d’immuno-logie et de santé publique soulevés, quels concepts, quelsmécanismes invoquera-t-on pour expliquer ces expériences ?

Les vaccinologues sont à l’origine de la notion de compé-tition antigénique. Si on stimule par deux antigènes succes-sivement un animal ou même un humain, on va déclencherl’homéostasie lymphocytaire. Comment opère-t-elle ? Com-mençons par raisonner par analogie. Si, à la suite d’une hémor-ragie accidentelle, un patient se trouve en déficit de globulesrouges, on sera amené à corriger celle-ci par l’EPO. Cetteprotéine est en effet le facteur de synthèse et de régulationdes globules rouges dans l’organisme. Il existe un facteur équi-valent, régulateur des globules blancs, des lymphocytes. Lastimulation homéostatique des lymphocytes n’est pas la mêmepour les cellules T CD4 que pour les cellules T CD8. Deuxprocessus sont décisifs : la reconnaissance de peptides du soiprésentés par les molécules HLA et l’intervention de cytoki-nes, molécules de la communication cellulaire. Parmi les cyto-kines on pourra notamment mentionner l’IL7.

Il existe surtout de forts arguments pour affirmer que lesréponses anti-infectieuses entrent en compétition avec les sti-mulations homéostatiques du système immunitaire et leurssignaux. Ainsi, les modes de réponse anti-infectieux sont lesplus intenses, ils l’emportent en principe sur les réponses auto-immunes et celles de nature allergique. J’ai abordé tout àl’heure les conséquences d’un anticorps anti-TGF b lorsquej’ai décrit des recherches relatives aux fonctions de la molé-cule de CD3, dans le champ de la transplantation. Dès lors,compte tenu de tous ces éléments, il devient parfaitement com-préhensible que l’on puisse, dans une certaine mesure, pré-venir une évolution vers l’auto-immunité par l’injection d’unextrait bactérien. Un même système régule toute la reconnais-sance antigénique et détermine les réponses que l’organismegénère. L’antigène contribue donc lui-même à la régulationde l’immunité.

Enfin, un autre mécanisme mérite d’être souligné. Chez ladrosophile, il existe une famille de récepteurs qui contribue àla défense de l’insecte contre les bactéries et les champi-gnons. Ces récepteurs ont été découverts en France, à Stras-bourg, par Jules Hoffmann , voici moins de dix ans. Cetteavancée renvoie à l’existence d’effets qui ne sont pas médiéspar l’antigène. Le mécanisme fait intervenir des « toll likereceptors », dont la stimulation serait à l’origine d’une libé-ration de cytokines pro inflammatoires. Ces récepteurs Tollpourraient jouer un rôle de premier plan dans la défense anti-infectieuse. Ces questions d’immunologie sont positivementfondamentales, puisque les pathologies auto-immunes cons-tituent désormais le troisième processus morbide dans les paysdéveloppés, après les processus tumoraux et les phénomènesliés à l’athérosclérose. Une protection contre le diabète a puêtre objectivée dans le même modèle, après stimulation desrécepteurs Toll (TLR2, TLR3). Cet effet protecteur est médiépar des cytokines (IL10, TGF b).

Nous sommes maintenant face à une problématique inat-tendue. Qui aurait pu penser que l’éradication tant espérée dequantité d’infections, du fait des progrès en matière d’hygiène,aurait pu conduire à la progression d’affections comme lasclérose en plaques ou le diabète ? Cela ne fait maintenantplus guère de doute. Nous devons y puiser une certaine modes-

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tie quant à la portée des succès de la médecine, de mêmequ’une énergie nouvelle afin de mieux comprendre les pro-cessus immunitaires. Personne ne songerait sérieusement àregretter le temps où les maladies infectieuses ravageaientles populations. Pourtant, l’espoir qu’une stimulation adé-quate des récepteurs Toll, sans libération concomitante decytokines pro-inflammatoires, pourrait modifier la réponseauto-immune, mérite toute notre attention.

Compte tenu de tous ces éléments, nous nous trouvons dansune phase où de nouvelles classes de médicaments serontdécouvertes, en dehors des approches classiques de la chimieet de la pharmacie. Le monde de la transfusion va se trouveraux premières loges de ces évolutions. Des résultats expéri-mentaux remarquables sont présents dans tous les esprits, maisl’impression d’avoir atteint une certaine limite demeure. Il

va falloir franchir une nouvelle étape et accéder en quelquesorte à un autre monde de la thérapeutique, caractérisé par denouveaux concepts.

Le potentiel des anticorps monoclonaux est aujourd’huiindubitablement démontré. La thérapie génique demeureencore très largement à l’état d’espoir. Les mécanismes degenèse des maladies auto-immunes sont en cours d’explora-tion, ils annoncent sans doute un enrichissement futur de larecherche médicale. La vocation de la recherche fondamen-tale est une fois encore à souligner. Ce sont des drosophilesqui ont servi de base aux célèbres et décisifs travaux de JulesHoffmann. Ils sont capitaux pour une meilleure compréhen-sion des maladies auto-immunes et des pathologies infectieu-ses.

Je vous remercie.

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