10
Thérapies familiales et schizophrénies Family therapies and schizophrenias J. Miermont (Psychiatre) 65–67, avenue Gambetta, 75020 Paris, France MOTS CLÉS Abduction ; Autonomie ; Double-lien ; Cothérapie élargie ; Éco-étho-anthropologie ; Hiérarchies enchevêtrées ; Metabindings ; Psycho-éducation familiale ; Thérapies familiales ; Schizophrénies KEYWORDS Abduction; Autonomy; Broadened co-therapy; Double-binds; Eco-etho-anthropology; Family psycho-education; Family therapies; Schizophrenias; Tangled hierarchies Résumé Si l’examen clinique des familles a été à l’origine d’une révolution dans l’appro- che thérapeutique des schizophrénies et de l’éclosion des thérapies familiales, ces dernières ont été caractérisées par l’apparition de nombreux mouvements divergents. La grande diversité des formes de schizophrénies et de familles est sans doute la traduction de la complexité à laquelle sont confrontés les thérapeutes. L’articulation d’orientations souvent divergentes et contradictoires apparaît plus pertinente que le recours à des procédures simplificatrices et réductionnistes. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The therapeutic approach of schizophrenias has been quite revolutionized when clinical examination of concerned families and familial therapies were introduced; however, numerous divergent movements may be observed among these family thera- pies. Therapists have to deal with significant diversity of schizophrenias and familial data. Articulating contradictory orientations may be more relevant than using simplistic and reductive procedures. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Des courants aux orientations divergentes Les thérapies familiales ont eu, dès leur origine, partie liée de manière étroite avec la compréhen- sion et le traitement des schizophrénies. Si l’hysté- rie a été le point de départ de la théorie et de la pratique psychanalytiques, ce sont les schizophré- nies qui ont révélé l’importance des dynamiques familiales et plus généralement des contextes vi- taux dans l’appréhension et le traitement psycho- thérapique des troubles mentaux et comportemen- taux. Le paradigme n’est plus la structuration de la psyché individuelle, supposée pouvoir modéliser, sous la forme d’un conflit de représentations, tou- tes les sortes de difficultés vitales rencontrées dans l’existence, mais les organisations familiales et so- ciales, possédant leur structure spécifique, leur dynamique propre, leurs singularités évolutives. Le fait d’associer les familles au projet thérapeu- tique s’est révélé une révolution dans la compré- hension et le traitement des troubles schizophréni- ques, mais il est d’un maniement particulièrement Adresse e-mail : [email protected] (J. Miermont). EMC-Psychiatrie 1 (2004) 163–172 www.elsevier.com/locate/emcps © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/S1762-5718(04)00023-9

Thérapies familiales et schizophrénies

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Thérapies familiales et schizophrénies

Thérapies familiales et schizophrénies

Family therapies and schizophrenias

J. Miermont (Psychiatre)65–67, avenue Gambetta, 75020 Paris, France

MOTS CLÉSAbduction ;Autonomie ;Double-lien ;Cothérapie élargie ;Éco-étho-anthropologie ;Hiérarchiesenchevêtrées ;Metabindings ;Psycho-éducationfamiliale ;Thérapies familiales ;Schizophrénies

KEYWORDSAbduction;Autonomy;Broadened co-therapy;Double-binds;Eco-etho-anthropology;Familypsycho-education;Family therapies;Schizophrenias;Tangled hierarchies

Résumé Si l’examen clinique des familles a été à l’origine d’une révolution dans l’appro-che thérapeutique des schizophrénies et de l’éclosion des thérapies familiales, cesdernières ont été caractérisées par l’apparition de nombreux mouvements divergents. Lagrande diversité des formes de schizophrénies et de familles est sans doute la traductionde la complexité à laquelle sont confrontés les thérapeutes. L’articulation d’orientationssouvent divergentes et contradictoires apparaît plus pertinente que le recours à desprocédures simplificatrices et réductionnistes.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract The therapeutic approach of schizophrenias has been quite revolutionized whenclinical examination of concerned families and familial therapies were introduced;however, numerous divergent movements may be observed among these family thera-pies. Therapists have to deal with significant diversity of schizophrenias and familial data.Articulating contradictory orientations may be more relevant than using simplistic andreductive procedures.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Des courants aux orientationsdivergentes

Les thérapies familiales ont eu, dès leur origine,partie liée de manière étroite avec la compréhen-sion et le traitement des schizophrénies. Si l’hysté-rie a été le point de départ de la théorie et de lapratique psychanalytiques, ce sont les schizophré-nies qui ont révélé l’importance des dynamiquesfamiliales et plus généralement des contextes vi-

taux dans l’appréhension et le traitement psycho-thérapique des troubles mentaux et comportemen-taux. Le paradigme n’est plus la structuration de lapsyché individuelle, supposée pouvoir modéliser,sous la forme d’un conflit de représentations, tou-tes les sortes de difficultés vitales rencontrées dansl’existence, mais les organisations familiales et so-ciales, possédant leur structure spécifique, leurdynamique propre, leurs singularités évolutives.

Le fait d’associer les familles au projet thérapeu-tique s’est révélé une révolution dans la compré-hension et le traitement des troubles schizophréni-ques, mais il est d’un maniement particulièrement

Adresse e-mail : [email protected](J. Miermont).

EMC-Psychiatrie 1 (2004) 163–172

www.elsevier.com/locate/emcps

© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/S1762-5718(04)00023-9

Page 2: Thérapies familiales et schizophrénies

délicat. Théories et méthodes se sont opposées, sesont succédé, aboutissant à la création d’un vastecorpus de savoirs et de savoir-faire, souvent contra-dictoires. Ce corpus de données hétérogènes estloin d’être achevé. Si un bilan s’impose après cin-quante années d’existence, il ne saurait être quetransitoire. Des reproches croisés n’ont pas manquéentre écoles rivales : les psychanalystes ont stigma-tisé le manque d’assise théorique des « approchessystémiques » et leur triomphalisme pragmatiquebien souvent hâtif. Les systémiciens ont, de leurcôté, souligné l’inadéquation et la lourdeur desthéories psychanalytiques, souvent très éloignéesdes modes de pensée et d’action envisageablesavec les familles. Psychanalystes et systémiciensont été renvoyés dos à dos par d’autres mouvances,non moins opposées entre elles. Les thérapeutescognitivo-comportementalistes ont cherché àétayer des méthodes psychoéducatives à partir decritères objectifs et reproductibles, permettant se-lon eux de justifier scientifiquement et économi-quement leurs pratiques. À l’inverse, les tenantsdes thérapies narratives ont insisté sur le caractèrehautement subjectif et relatif des points de vue despartenaires des conversations. Ces différents cou-rants ont un point en commun : celui de proposerdes procédures clairement identifiables, cherchantà simplifier la tâche du thérapeute.L’évolution des réflexions et des pratiques

conduit à reconnaître des interférences entre cesdifférentes orientations, qui permettent d’envisa-ger de nouveaux horizons. Les perspectives écosys-témiques actuelles reposent sur un postulat selonlequel la réduction de la complexité, loin de simpli-fier la démarche clinique, vient en fait la compli-quer.

Enjeux théoriques et méthodologiques

Dès 1966, N. W. Ackerman posait la question del’orientation théorique préférentielle concernantle phénomène schizophrénique et les troubles fami-liaux associés. Deux possibilités existent : « (1) laschizophrénie peut être conçue comme un troubleséparé et distinct qui touche l’organisme indivi-duel ; l’environnement familial, perçu comme unfacteur périphérique, influence le cours de la mala-die, mais affecte principalement les manifestationssecondaires ; ou (2) l’environnement familial peutêtre conçu, non comme extérieur mais plutôtcomme appartenant au cœur même du processusmorbide. Selon ce deuxième point de vue, les rela-tions continues du patient et de la famille sontd’une essence identique ; elles sont congruentes àchaque étape de la vulnérabilité de la personnalité

prémorbide, sur le début de la psychose manifeste,sur son cours et ses conséquences. L’interactionfamiliale affecte ainsi les manifestations primairesautant que les manifestations secondaires. Étantdonné ce schéma théorique, l’hérédité peut dictersa loi sur le degré de susceptibilité, mais c’estl’influence émotionnelle de la vie sociale et fami-liale qui transforme une fragilité dormante en unemaladie psychotique manifeste. La maladie estalors un symptôme de la défaillance familiale, quipeut seulement être comprise au travers de trois ouquatre générations. Il me semble que c’est cettedernière perspective qui est la plus prometteuse »(1 p. 238).Plusieurs décennies après, cette question reste

d’actualité. Les courants psychodynamiques et sys-témiques ont largement exploré la seconde possibi-lité, qui avait la préférence de Nathan Ackerman.Les courants comportementaux et cognitifs ont àl’inverse opté pour la première possibilité, enconsidérant les réactions de la famille comme se-condaires au trouble schizophrénique.

Premières conceptions

Les premières conceptions ont eu en commun deconsidérer la famille comme une unité susceptiblede changer en fonction d’une implication directedes membres qui la composent. Les symptômesqu’elle présente sont interprétables à partir del’examen de ses modes de fonctionnement, qu’ils’agisse de son organisation psychique, de ses mo-des d’interaction actuels ou des processus histori-ques qui la constituent. Il s’agit de thérapies de lafamille par la famille. En dernier ressort, c’est à lafamille de gérer ses propres conflits, d’être ques-tionnée sur ses défaillances et de prendre encharge la nature de ses difficultés.

Conceptions psychodynamiques

Les processus psychodynamiques en souffrancedans les familles confrontées à la psychose se tra-duisent par l’envahissement des processus secon-daires de l’activité mentale par les processus pri-maires, l’indifférenciation des sexes et desgénérations, des relations pseudo-incestueuses ou« incestuelles »,2 l’existence d’une psyché groupalearchaïque indifférenciée et de transferts éclatés.Le couple parental est fréquemment confronté àdes distorsions et à des clivages, les troubles ducours de la pensée se retrouvant chez les prochesparents du patient.3

Dans l’orientation psychodynamique de NathanAckerman, qui ne se limite pas aux références de la

164 J. Miermont

Page 3: Thérapies familiales et schizophrénies

métapsychologie classique, l’attention est portée àla diversité des situations familiales en fonction dela multiplicité des schizophrénies, mais aussi auxfacteurs de vulnérabilité :

• « En supposant qu’il existe de multiples typesde schizophrénie, il peut bien exister égale-ment de multiples types de structure familialeassociée. Un type donné de famille peut contri-buer, à un degré plus ou moins grand, avec unepénétration plus ou moins intense, ou avec plusou moins de malignité, au développement dutrouble schizophrénique. De plus, la relation àla maladie et le processus familial peuvent nepas reposer sur la totalité du fonctionnementfamilial, mais plutôt sur des composantes sé-lectives de l’interaction familiale » (1 p. 238).Certaines familles cherchent à prendre soin deleur proche malade, tandis que d’autres réa-gissent par la rupture et le rejet.

• « Les troubles psychiatriques ne sont pas desentités statiques ou isolées. Tandis que lespatterns de vulnérabilité à la maladie se met-tent en place dans l’enfance, le destin de cettevulnérabilité est déterminé par les expériencesinterpersonnelles de la vie ultérieure. L’ado-lescence est notablement une phase de déve-loppement de transition pendant laquelle lavulnérabilité à la décompensation s’intensi-fie » (1 p. 89).N. Ackermann considère ainsi trois niveaux :• le trouble schizophrénique ;• l’analogue de cette pathologie dans le groupefamilial ;

• la psychothérapie du groupe familial, focaliséesur les traits uniques de la relation entre lepatient et la famille. (1 p. 239).Dans le courant de la psychanalyse familiale

stricto sensu, les techniques thérapeutiques repo-sent sur le recours aux associations libres, au prin-cipe de la règle d’abstinence, aux processusd’inter-fantasmatisations, à la sollicitation des ac-tivités oniriques.4 Il s’agit de respecter la lenteurdes processus de maturation et de différenciation,et de solliciter l’émergence de la subjectivité etl’accès à la parole, source de symbolisation. Laprésence de perturbations plus ou moins massivesdes associations (barrages, fadings, coqs-à-l’âne,discordances, etc.) rend souvent très problémati-que le recours aux règles strictes de la cure-type dela psychanalyse. De fait, de nombreux psychanalys-tes en sont venus à aménager ces règles, de ma-nière à ne pas amplifier l’expression des manifes-tations pathologiques : il s’agit d’endiguer lesreprésentations de choses et de restructurer lesreprésentations de mots, permettre aux partici-pants d’évoquer ce qui leur semble pertinent, plu-

tôt que de les enjoindre à verbaliser tout ce qui leurvient à l’esprit.

Conceptions systémiques synchroniques

L’hypothèse de base, pour les premiers thérapeu-tes familiaux se réclamant de ce courant de pensée(Bateson5 est resté circonspect sur ce type d’hypo-thèse. Pour lui, la dimension pathologique dudouble-bind schizophrénique peut être liée à unecombinaison de facteurs génétiques rendantcompte d’un trouble du deutéro-apprentissage, etd’expériences relationnelles fréquemment répé-tées au cours du développement de l’enfance dupatient), a été de considérer la pathologie schi-zophrénique comme réductible à un trouble inte-ractionnel. Les troubles du patient sont considéréscomme la résultante de conflits familiaux, aboutis-sant à sa désignation comme patient. La schizoph-rénie serait la résultante de perturbations relation-nelles, produisant un effet de désignation quiviendrait à s’estomper, voire à disparaître lorsqueles communications d’améliorent. Le concept deschizophrénie – maladie – ne serait que l’émanationd’une désignation relative et arbitraire. La réalitéétant une construction de l’esprit, les schizophré-nies n’existeraient pas indépendamment de l’idéeque l’on s’en fait.En appartenant et en n’appartenant pas au sys-

tème familial, les intervenants cherchent à pro-duire des double-binds thérapeutiques. P. Watz-lawick6 et J. Haley7 insistent sur la nécessité dedéfinir le problème à traiter, les objectifs à attein-dre, le processus thérapeutique étant lié à la pres-cription d’injonctions paradoxales. Dans la versionstructurale proposée par S. Minuchin,8 les relationsschizophréniques seraient caractérisées par descoalitions et des rejets, des engrenages liés à l’as-pect poreux des frontières intra- ou inter-générationnelles. La thérapie est centrée sur l’affi-liation des thérapeutes au groupe familial,l’élaboration de la carte familiale, la restructura-tion des relations familiales par la modification desfrontières et des coalitions.M. Selvini-Palazzoli et al.9 ont limité le temps de

l’intervention à 1 an environ, comportant une di-zaine de séances, protocole éventuellement recon-ductible une fois. Pour M. Selvini-Palazolli, la « dé-signation » du patient serait ainsi la conséquenced’instigations, de manœuvres affectant les rela-tions entre celui-ci et ses proches. Le but de lathérapie est d’atténuer les aspects pathologiquesdes interactions, dans l’idée de supprimer cette« désignation ». Les interventions thérapeutiquesreposent sur la connotation positive, la prescriptionde rituels, et sont conçues comme des « contre-

165Thérapies familiales et schizophrénies

Page 4: Thérapies familiales et schizophrénies

paradoxes », supposés traiter le caractère patholo-gique des paradoxes présentés par la famille.

Conceptions systémiques diachroniques

Dans la thérapie familiale multigénérationnelle deMurray Bowen,10 les symptômes schizophréniquesont été appréhendés comme le produit d’une am-plification de l’indifférenciation des selfs sur aumoins trois générations. Les cliniciens utilisent legénogramme et cherchent à différencier les selfs etles processus d’autonomisation, à modifier les pro-cessus de triangulations et de projections sur destiers, à atténuer les ondes de chocs émotionnelles.Dans une perspective intergénérationnelle, Ivan

Boszormenyi-Nagy et al.11 ont initié des thérapiesfamiliales intensives reposant sur l’expression del’éthique, l’évocation des processus de dons et dedettes entre parents et enfants, le repérage destransmissions intergénérationnelles, voire deloyautés invisibles pouvant lier le patient et unmembre exclu de l’histoire de la famille, en renfor-çant les attitudes de confiance et d’entraide ausein de la famille.

Limites des perspectives exclusivementintrafamiliales

On note que les apports des différents courants quiprécèdent ont été réalisés pour des familles sesituant dans la large gamme du spectre des schi-zophrénies, mais se sont révélées plus opérantespour une série de troubles se situant aux confins eten dehors de ce champ. En ce qui concerne lesformes les plus marquées et les plus lourdes deschizophrénies, ces diverses options n’ont réponduque de façon transitoire ou partielle aux ambitionsthérapeutiques initialement affichées. Ces limita-tions tiennent aux faits suivants.Il est fréquemment impossible de définir préci-

sément les problèmes et les objectifs à atteindre,tant les difficultés et les souffrances rencontréespar les patients et leurs proches sont multiples etdifficiles à mettre en mots.La suppression de la désignation du patient

comme schizophrène, loin d’aboutir à une amélio-ration des relations, conduit, dans un grand nombrede cas, à accentuer la pression subie par les pro-ches. Ceux-ci en viennent à se plaindre sur lemode : « c’est nous qui allons tomber malades ». Etle fait de les enjoindre à engager une thérapiepersonnelle (en dehors d’une demande explicite deleur part), ne fait bien souvent qu’aggraver lemalentendu et le sentiment d’incompréhensionavec les thérapeutes.La prescription du symptôme et l’injonction pa-

radoxale s’avèrent d’un maniement délicat. Le fait

de prescrire à un patient hébéphrène de resterencore plus figé, ou d’inciter un patient halluciné àexplorer davantage la relation avec ses persécu-teurs peut aboutir à un bras de fer, où l’enjeu d’uneintervention efficace finit par tourner au détrimentdu patient et de son entourage. Dans une évalua-tion rétrospective des thérapies familiales réaliséespar Mara Selvini Palazzoli et son équipe par son filsMatteo Selvini,12 il apparaît que les résultats à longterme ne sont pas concluants concernant les schi-zophrénies, contrairement à l’anorexie mentale.L’abréaction des affects apparaît inappropriée

lorsque la famille est confrontée à des déborde-ments émotionnels et à des processus de dérituali-sation. Plutôt que d’orienter l’intervention théra-peutique vers la catharsis, il apparaît plus opportunde canaliser les réactions instinctives et de rétablirune ritualisation des liens.L’exploration multigénérationnelle et intergéné-

rationnelle n’a de sens que si les membres de lafamille ont des ressources suffisantes pour symbo-liser les éléments de leur histoire dont ils dispo-sent. Lorsque les lacunes sont trop importantes,l’hypothèse de « secrets de famille » risque fortd’aboutir à une attitude accusatoire et persécu-trice. Lorsqu’une personne présente une amputa-tion physique, le fait de la remarquer n’estd’aucune aide pour traiter le problème, à moinsd’avoir les moyens pour y remédier.

Conceptions actuelles

Bien souvent, lorsque les cliniciens sont confrontésà des troubles schizophréniques, ce sont eux quifont la demande à la famille de consultations dansune perspective thérapeutique. Certains auteurscomme M. Bowen10 ont bien décrit l’existence detriangles reliant la famille à des instances sociales,correspondant à des projections de conflits à l’ex-térieur de la famille, lorsque celle-ci devient inca-pable de les gérer en son sein. L. C. Wynne13,14 asouligné que les relations de pseudo-mutualité etde pseudo-hostilité imprégnaient les relations en-tre thérapeutes, produisant ainsi des « metabin-dings », c’est-à-dire des double-binds qui affectentégalement les relations des membres des équipesthérapeutiques. Pour M. Andolfi,15 la thérapie fa-miliale devient ainsi une thérapie avec la participa-tion active de la famille, plutôt qu’une thérapie dela famille. En France J.-C. Benoît16 a initié la par-ticipation des familles de patients schizophrènes àdes entretiens collectifs dans une perspective sys-témique institutionnelle, sans qu’il s’agisse néces-sairement de thérapie familiale. S. Kannas17 propo-sera de son côté un dispositif original de

166 J. Miermont

Page 5: Thérapies familiales et schizophrénies

consultations familiales d’urgence, permettantd’éviter les hospitalisations autant que possible.Par ailleurs, il est apparu que des thérapies fami-liales pouvaient être entreprises en promouvantconjointement des processus organisationnels quicontribuent à la différenciation des patients, deleur entourage familial et des dispositifs de soins(J. Miermont).18 D’autres conceptions, distinctesde la démarche écosystémique, se sont égalementdéveloppées en considérant la famille comme unpartenaire thérapeutique, non responsable ni cou-pable des maladies qui peuvent atteindre tel ou telde ses membres.

Conceptions comportementaleset cognitives

Ce dégagement de l’implication familiale dansl’origine des troubles est devenu radical dans l’ap-proche comportementale et cognitive. Dans la priseen charge psychoéducative des patients schizoph-rènes et leurs familles, ces dernières sont considé-rées comme des familles « normales », confrontéesà une maladie, ou un ensemble de maladies dontl’origine est cérébrale et vraisemblablement denature neurodéveloppementale (W. R. McFar-lane).19 S’il existe des perturbations dans les rela-tions intrafamiliales, voire dans les relations entrela famille et l’environnement social, ces perturba-tions sont considérées comme secondaires à la ma-ladie. Des études de psychologie expérimentale ontmontré que lors de troubles schizophréniques, ilexiste fréquemment une amplification des émo-tions exprimées, avec une exagération des tendan-ces à la critique ad hominem, à l’hostilité, à lasurimplication, à l’intrusion, au rejet de l’expres-sion d’autrui (Falloon,20 Doane et al.21). Bien queces caractéristiques ne soient pas spécifiques (onles retrouve dans nombre d’autres pathologies gra-ves, voire chez certaines familles ne présentant pasde maladies), elles semblent être un facteur préci-pitant les rechutes et le recours aux hospitalisa-tions.Un grand nombre d’interventions psychosociales

ont ainsi été développées dans le but de diminuerl’expression des émotions ou de réduire la tensiondans l’environnement familial afin de faire baisserles taux de rechute schizophrénique. Ces interven-tions sont conçues comme adjuvants aux chimio-thérapies, et non pas comme alternatives à celles-ci.Les objectifs thérapeutiques sont apparemment

beaucoup plus modestes que dans les courants pré-cédents. La famille n’est plus considérée comme lelieu de l’origine des troubles, et ses membres nesont plus tenus pour responsables, ni explicite-

ment, ni implicitement, des manifestations patho-logiques. Les thérapeutes construisent une allianceavec les proches du patient. Ils partent du constatde la maladie, informent la famille de ses caracté-ristiques (en particulier de l’importance des fac-teurs génétiques et biologiques), de son évolution,de son traitement. Ils proposent des conseils psy-choéducatifs, en montrant de quelle manière l’at-ténuation des débordements émotionnels et descritiques est susceptible d’aboutir à une meilleuregestion des troubles. Ils cherchent à améliorer lacapacité à la résolution de problèmes chez lesmembres de la famille, à diminuer leurs expressionsde colère et leurs sentiments de culpabilité, àmaintenir des attentes raisonnables face aux per-formances du patient (équilibre entre la tentatived’amélioration du fonctionnement du patient etl’hyperstimulation accroissant le risque de re-chute). Ils encouragent les essais de différenciationet de prise de distance dans des limites supporta-bles, en faisant évoluer les systèmes de comporte-ment et de croyance des membres de la famille(Jair de Jesus Mari).22 Le but de la thérapie est ainsid’apprendre à la famille à s’adapter aux troubles età les gérer. Le risque thérapeutique est l’inverse decelui du modèle communicationnel : celui de figerle patient dans la définition de la maladie qu’endonnent les thérapeutes, à partir de procéduresd’évaluation réductrices et simplificatrices.

Conceptions narratives et humanistes

À l’opposé des orientations comportementales etcognitives, les thérapeutes narratifs (H. Andersonet H. A. Goolishian)23 cherchent à solliciter desconversations, sans préjuger des compétences res-pectives des familles et des thérapeutes. Ceux-cine sont pas dans une position d’experts ou despécialistes, ils ne se prétendent pas détenteursd’un savoir qui aurait la prééminence sur celui desmembres de la famille. On peut noter l’intérêt dece type d’approche dans les familles où tous leséchanges de paroles sont spontanément bloqués ouimpossibles. La consultation permet de rétablir ar-tificiellement un processus minimum d’échangescontribuant à faire connaissance, prendre et don-ner des nouvelles, mettre en valeur les moindresévénements de la vie quotidienne, réaliser le sur-gissement de savoirs socialement partagés.

Perspectives éco-étho-anthropologiques

Pour W. R. McFarlane et C. E. Beels (19 p. 330),chaque technique (stratégique, psychoéducative,multifamiliale, systémique) a ses indications et sescontre-indications en fonction de la compliance du

167Thérapies familiales et schizophrénies

Page 6: Thérapies familiales et schizophrénies

patient et de sa famille aux traitements, et de laphase à laquelle les interventions sont proposées.Ils proposent ainsi un arbre de décision « sommetoute assez complexe, – non pour des raisons d’élé-gance, mais parce que notre connaissance actuellenous permet de faire des choix stratégiques relati-vement équitables d’un point de vue spéculatif ».La question est de savoir si l’on peut clairementdifférencier, de manière absolue, la compliance deson opposé, et des protocoles dûment répertoriés.Chaque situation singulière est un défi vis-à-vis desméthodes les mieux formalisées, ce qui oblige lesthérapeutes à sortir de leurs préconceptions et àfaire preuve d’initiative et d’invention.Il existe ainsi une autre perspective, qui néces-

site d’en passer par un approfondissement épisté-mologique de la conception de système et desrelations entre compétences et performances (cf.Thérapies systémiques dans cette encyclopédie). Ils’agit alors, plutôt que de vouloir catégoriser dessignes et des procédures et de normaliser desconduites dans des cadres complètement prédéfi-nis, d’inventer de nouveaux contextes congruentsavec les dynamiques ago-antagonistes dont lessymptômes schizophréniques sont l’expression.Dans cette optique, plutôt que de promouvoir desmodèles aisément identifiables ou de chercherl’obtention de synthèses illusoires, on considèreque l’existence d’oppositions éventuellement in-compatibles (pragmatiques et/ou épistémologi-ques), devient l’expression de propriétés inhéren-tes à la dynamique, la complexité et l’autonomiedes systèmes humains les plus évolués (J. Mier-mont).24

Cette caractéristique semble au cœur du traite-ment familial des troubles schizophréniques. Cestroubles génèrent en effet une déstabilisation desrepères concernant les attitudes et les trajectoiresdu patient dans l’espace-temps usuel. Familles,soignants et thérapeutes doivent faire face à desprocessus de déstructuration des liens, d’autantplus que les patients se révèlent très vite en dangervital lorsque les contextes interpersonnels dont ilsdépendent se révèlent incapables de gérer les dis-cordes et amplifient les ruptures. Curieusement, lafamille s’avère être une aide précieuse pour l’éla-boration structurante des désaccords. Plus précisé-ment, il apparaît que des rencontres entre clini-ciens et familles, en certains lieux et momentsprécis, permettent que l’expression de points devue non forcément compatibles devienne la sourced’un apaisement des tensions et des angoisses dé-bordantes, sans que le contenu des enjeux conflic-tuels ne trouve nécessairement des résolutions im-médiates en tout ou rien.

Théories de la complexité

En clinique, le paradigme de la complexité permetd’engager des processus thérapeutiques par :

• le rétablissement artificiel et extraordinairede rituels de conversation ordinaire :18 il s’agitde canaliser les débordements émotionnels etde retrouver des formes d’échange qui dimi-nuent l’ambiguïté des messages et rassurent lepatient et ses proches quant aux enjeux de larencontre. Les comportements et les cogni-tions ne sont pas seulement appréhendéscomme des procédures complètement repré-sentables et reproductibles dans des protoco-les préétablis, mais comme un processuscontinu et évolutif qui émerge au cours desséances ;

• l’évolution dynamique entre les démarchesdiagnostiques, pronostiques et thérapeuti-ques. Le diagnostic n’est plus seulement unrésultat figé à tout jamais, mais une démarchetâtonnante, abductive. L’abduction réactuali-sée en fonction des anticipations, des effets desurprise liés à l’action thérapeutique. L’abduc-tion est une inférence qui se distingue de ladéduction [tautologie] et de l’induction [géné-ralisation]. Elle procède par génération d’hy-pothèses en situation particulière et incer-taine, de manière à identifier les singularitéspar une mise à l’épreuve [expérience et expé-rimentation]. L’élaboration d’un diagnostic,d’une interprétation psychanalytique, d’uneprescription écosystémique relèvent de dé-marches abductives, à l’inverse des techniquescomportementales et cognitives qui reposentsur l’induction. L’élaboration du diagnostic,l’information faite au patient et à la famillenécessitent des procédures complexes et évo-lutives, qui doivent tenir compte de la diver-sité des conceptions qui cherchent à appréhen-der la constellation des schizophrénies. Eneffet, chaque conception, et la manière dontelle est vécue et exposée, tant du côté descliniciens que de celui de la famille, interfèreavec l’évolution des troubles ;

• l’élaboration d’hypothèses étiologiques géné-tiques, épigénétiques et contextuelles combi-nées. La grande difficulté est de ne pas faire decorrélations trop hâtives entre la constatationd’un trouble schizophrénique et la constata-tion de singularités plus ou moins hors normesqui font partie du contexte familial. Reconnaî-tre l’importance des facteurs génétiques, neu-rodéveloppementaux, cognitifs et communica-tionnels dans la survenue d’un troubleschizophrénique ne signifie pas ipso facto que

168 J. Miermont

Page 7: Thérapies familiales et schizophrénies

ces facteurs correspondent à des causalitéslinéaires et qu’ils renvoient à des modèlesstrictement déterministes. L’articulation deconceptions déterministes et indéterministesdes troubles psychotiques conduit à la localisa-tion toujours plus fine de la cause ou descauses, mais aussi à l’apparition de phénomè-nes non localisables et indéterminables ;

• les thérapies familiales qui contribuent ainsi àl’organisation des contextes de soins sur lemode de hiérarchies enchevêtrées et de cothé-rapies élargies entre patients, familles et équi-pes soignantes. Elles favorisent un partenariatavec l’ensemble des personnes et des équipesqui sont impliquées et produisent une transfor-mation de l’écosystème institutionnel par ladifférenciation et la requalification des rôleset des tâches (Marie-France Hellard-Vuillemard et al.).25 On constate un processusde socialisation familiale par la rencontre avecsa famille, et un processus de familiarisationsociale par le travail institutionnel. Pour An-toine Barrière,26 le travail du thérapeuteconsiste à reconnecter les microcultures quiont tendance à scissionner sous l’effet desprocesssus schizophréniques, de manière àpermettre au patient de se retrouver au centred’un monde où chacun arrive à dialoguer demanière non menaçante ;

• les vertus des orientations multithérapeuti-ques. L’intervention pharmocologique (niveaumoléculaire) produit des modifications com-portementales, psychologiques et relationnel-les. Le soutien et l’infléchissement des attitu-des personnelles conduit à un apaisement de lasouffrance biologique et à un changement desformes d’interaction. La prise en compte desphénomènes institutionnels, organisationnels,décisionnels sur le plan communautaire (fami-lial et social) rétroagit sur les systèmes neuro-physiologiques et les positions et les disposi-tions des personnes. La combinaison de cestrois formes d’intervention conduit à des effetsémergents, et, de manière étonnante, à unediminution des pressions et des emballementsthérapeutiques. Bien souvent, dans les formesgraves de schizophrénies, le recours aux psy-chotropes se révèle indispensable. Mais le faitde diversifier les niveaux d’intervention per-met bien souvent de diminuer les posologiesefficaces (voire d’arrêter telle ou telle pres-cription ou thérapie), d’éviter les enchaîne-ments d’actions catastrophiques, et d’envisa-ger des dégagements inattendus. En autorisantle patient à faire par lui-même l’expériencedes prescriptions opportunes, les thérapeutes

redonnent à celui-ci l’initiative de ses choix. Sichaque forme d’intervention obéit à des hié-rarchisations contraignantes et inévitables, lefait de reconnaître qu’aucune n’a a priori deprééminence sur les autres permet d’éviter leseffets catastrophiques de la toute-puissancethérapeutique, et des réalisations totalitairesgénératrices de fractures relationnelles intem-pestives ;

• la gestion des préjugés, des désaccords, desdéfaillances, par l’initiation de deutéro-apprentissages partagés, c’est-à-dire le déve-loppement de l’aptitude à « apprendre à ap-prendre ». Le thérapeute familial travailleainsi avec les nombreux préjugés des partenai-res de l’échange, dont les siens propres, demanière à accéder à des deutéro-apprentissages permettant de passer de lacontinuité des soins à la sécurité des liens(Jacques Miermont,18 Patrick Chaltiel).27 Lefait de constater des désaccords à propos de ladéfinition des problèmes ou des finalités àatteindre ne signifie pas nécessairement qu’unrésultat thérapeutique satisfaisant soit lié àune réduction systématique de ces désaccords.L’important est d’arriver à circonscrire les do-maines où l’harmonie (nécessairement consti-tuée de dissonances) est possible et ceux oùelle n’est pas possible. On sait combien lespatients schizophrènes sont hypersensibles auxmoindres failles qui touchent la texture desliens des personnes qui les entourent (qu’ils’agisse des liens familiaux, des liens entreco-soignants, ou des liens entre soignants etmembres de la famille). Lorsqu’il existe undésaccord sans résolution entre deux ou plu-sieurs personnes, le plus important est quecelles-ci arrivent à maintenir une cohésion sé-curisante malgré leurs différends. Autant unerupture dans la continuité des relations estdélétère, autant le maintien d’une continuitédans le maillage des interactions est un ressortthérapeutique. (Un exemple peut être donnélorsque deux parents divorcés acceptent leprincipe d’une consultation avec leur enfantschizophrène [celui-ci pouvant être un adulte,confronté au divorce de ses parents depuis denombreuses années]. Le cadre thérapeutiqueconsiste à éviter soigneusement de revenir surles motifs qui ont conduit au divorce, ou deréactiver les sujets qui ont trait à l’irréversibi-lité de la rupture.)Par ailleurs, Marc Habib et André de La Forest

Divonne28 montrent la valeur mutative des tempsd’incertitude, de l’analyse des échecs, de la priseen compte du sentiment de lassitude, de l’incapa-

169Thérapies familiales et schizophrénies

Page 8: Thérapies familiales et schizophrénies

cité à penser, autrement dit de la gestion desdéfaillances dans l’élaboration du processus de re-construction. Ce temps de la confusion est propiceà l’apparition de deutéro-apprentissages, sourcesde symbolisation de la violence. La circulation desconnaissances et des savoirs-faire suppose un va-et-vient entre familles et thérapeutes. Si ces derniersse doivent de partager les connaissances dont ilsdisposent avec le maximum de doigté et d’intelligi-bilité, ils se doivent tout autant d’être sensiblesaux expériences et aux connaissances développéespar la famille. Il apparaît par ailleurs que les per-turbations cliniquement constatées ne sont pastoujours uniquement liées à la pathologie schizo-phrénique. De nombreux autres facteurs (maladiessomatiques et mentales, troubles de la personna-lité, modalités d’organisation familiale, contextesinstitutionnels et sociaux) interfèrent avec celle-ci.

Évaluation des résultats

Les thérapies familiales ne savent, pas plus que lesautres formes de thérapie, aboutir à la guérison desschizophrénies, si l’on entend par guérison la sup-pression des symptômes, le retour à une vie « nor-male » et à des activités sociales « conformes ». Defait, quand il survient, ce type de guérison estparticulièrement à redouter : il est souvent l’occa-sion de rechutes gravissimes qui prennent de courtl’entourage et les thérapeutes : suicide, mort paraccident, passage à l’acte avec homicides, etc.Pour autant, les thérapies familiales peuvent

contribuer de manière notable à un soulagement dela souffrance, à une atténuation des tensions et despassages à l’acte, à des transformations positivesdans l’expression des troubles, à des formes derécupération, voire de restaurations d’initiatives etde réalisations personnelles et relationnelles quali-tativement, voire quantitativement appréciables.Trois méta-analyses (Jair de Jesus Mari et al. 22

U. Wunderlich et al. 29 Gabi Pitschel-Walz et al.)30

se sont focalisées sur l’évaluation des approchesfamiliales de la schizophrénie. L’appréciation desrésultats se fait à partir du nombre et de la fré-quence des réhospitalisations, des rechutes symp-tomatiques, parfois à partir du comportement so-cial et des habiletés sociales.La méta-analyse de J. J. de Mari22 souligne que si

le taux de rechutes s’accroît avec le temps, il estnettement plus élevé dans les groupes contrôle. À9 mois, il est respectivement de 6 % lors de théra-pies familiales versus 41 % pour les groupescontrôle ; à 2 ans, de 14 % versus 33 %. L’adhésion àla prise de médicaments est nettement amélioréelors des interventions familiales.

Pour U. Wunderlich,29 les formes de thérapiefamiliale qui présentent la meilleure progressionsont les thérapies familiales psychoéducatives,comportementales et cognitives. Les thérapies fa-miliales psychanalytiques apparaissent les moinsprobantes.Dans la méta-analyse de Gabi Pitschel-Walz et

al.,30 on note 20 % de réduction des rechutes. Si lesinterventions familiales durent plus de 3 mois, l’ef-fet est particulièrement marqué. Par ailleurs, dif-férents types d’interventions familiales d’ensembleont des résultats similaires.A. Barbato et B. d’Avanzo,31 dans une revue

systématique de 25 études, soulignent que lesméta-analyses ne sont pas congruentes avec l’expé-rience des interventions familiales pour les patientsschizophrènes, dans la mesure où les paramètres àprendre en considération sont très hétérogènesquant aux modèles de traitement, aux dispositifs,aux méthodes et aux mesures des résultats.Les auteurs ont comparé les effets des thérapies

familiales systémiques, de la psychoéducation fa-miliale, et de méthodes intégrant les deux appro-ches, par un examen attentif des questions métho-dologiques. Sont pris en compte les symptômes, lefonctionnement social, les variables familiales. Surle plan des résultats, l’effet sur la prévention desrechutes est relativement bien établi. Des différen-ces n’apparaissent que si l’on compare les théra-pies familiales avec des traitements de contrôleinsuffisants et s’estompent dans les études récen-tes méthodologiquement plus rigoureuses. La par-ticipation du patient, la fréquence et la durée plusgrandes donnent de meilleurs résultats.Selon W. R. McFarlane,19 les interventions multi-

familiales semblent présenter de meilleurs résul-tats que les interventions unifamiliales. Un telconstat mériterait des confirmations ultérieures.La croyance largement soutenue selon laquelle

le traitement familial efficace consiste en un dispo-sitif clairement défini de techniques psychoéduca-tionnelles et comportementales, suivant un schémaconstruit pas à pas, n’est pas garantie. L’identifica-tion des ingrédients efficaces de l’intervention fa-miliale reste en grande partie un sujet de recher-ches futures, bien que l’information et l’éducationà propos de la maladie semblent une composantenécessaire.Les interventions familiales à long terme présen-

tent ainsi une efficacité significative, les orienta-tions théoriques et méthodologiques apparaissantsecondaires.

Conclusion

Apparues dans les années 1950, les théories et lesthérapies familiales ont été l’objet de nombreuses

170 J. Miermont

Page 9: Thérapies familiales et schizophrénies

évolutions pour le traitement des schizophréniesdepuis cette époque. À la suite des travaux initiaux,les approches centrées sur la psychoéducation fa-miliale et sur une diversification des approchespsychodynamiques et écosystémiques ont cherchéà mieux répondre aux attentes des patients et deleurs proches. Quelle que soit la sensibilité duthérapeute, la pratique clinique se révèle être uneécole de l’humilité et de la modestie.Il apparaît pertinent de réaliser une alliance

thérapeutique avec la famille dès l’apparition despremiers troubles (Patrick Bantman).32 Celle-cipeut se réaliser lors de l’hospitalisation, ou lors deconsultations ambulatoires.Les thérapeutes cherchent ainsi à atténuer les

sentiments de culpabilité et de honte, mais aussiles accusations, les menaces, les confusions, lesdestructions qui mettent en péril la vie d’un ouplusieurs membres de la famille et de leur voisinagesocial. L’objectif est alors de réaliser des dégage-ments par rapport à ces sentiments et à ces mou-vements. Dans de tels cas, la thérapie familialeapparaît comme un dispositif spécifique qui prendsa valeur dans une reconnaissance réciproque desautres dispositifs thérapeutiques, et dans une arti-culation fonctionnelle avec ceux-ci.L’information du patient et de la famille appa-

raît comme un élément désormais incontournabledans la prise en charge des patients schizophrènes,pour peu qu’elle soit congruente avec les capacitésdu patient et de ses proches de la traiter de ma-nière constructive. Cette information mériteraitd’être ajustée à chaque situation singulière, leconcept de schizophrénie renvoyant à un ensemblede troubles, voire de maladies particulièrementcomplexes à diagnostiquer, et dont les formes évo-luent selon les contextes.La pratique de thérapies familiales repose tout

autant sur l’apprentissage des thérapeutes. La di-versité des situations symptomatiques et familialesconduit le plus souvent à une réévaluation desdiagnostics initiaux. Les processus d’apprentissagespartagés dans les situations critiques permettentainsi de construire et reconstruire les liens quiredonnent un sens à la vie par un travail de concer-tation, d’information, de réflexion, de coopéra-tion, de délibération, de décision.

Références

1. Ackerman Nathan W. Treating the troubled family. NewYork: Basic Books; 1966.

2. Racamier PC. Les paradoxes des schizophrènes. Rev FrPsychanal 1978;XLII:877–969.

3. Lidz T, Fleck S, Cornelison A. Schizophrenia and the fami-ly. New York: International University Press; 1965.

4. Ruffiot A, Eiguer A, Litovsky de Eiguer D, Gear MC,Liendo EC, Perrot J. La thérapie familiale psychanaly-tique. Paris: Dunod; 1981.

5. Bateson G. Vers une écologie de l’esprit. Paris: Le Seuil;1972. p. 1977–1980.

6. Watzlawick P, Weakland J, Fisch R. Changement, paradoxeet psychothérapie. Paris: Le Seuil; 1975.

7. Haley J. Stratégies de la psychothérapie. Toulouse: Érès;1993.

8. Minuchin S. Familles en thérapie. Toulouse: Érès; 19741998.

9. Selvini Palazzoli M, Boscolo L, Cechin GF, Prata G. Para-doxes et contre-paradoxes. Paris: ESF; 1975 1980.

10. Bowen M. Family therapy in clinical practice. New York:Jason Aronson; 1978.

11. Boszormenyi-Nagy I, Spark G. Invisible loyalties. Recipro-city in intergenerational family therapy. New York:Harper and Row Publishers; 1973.

12. Selvini M, Bova G, Do F, Fabrizi D, Fernandez E, Pasin E.Résultats d’une recherche sur des patients psychotiquestraités avec la méthode paradoxale. Une première com-paraison avec l’anorexie. Générations 2002;25:29–32.

13. Wynne LC, Rycroff IM, Day J, Hirsch S. Pseudomutuality inthe family relations of schizophrenics. Psychiatry 1958;21:205–220.

14. Wynne Lyman C. Knotted Relationships, communication,deviances and metabinding. In: Berger MM, editor. Beyondthe double-bind. New York: Brunner and Mazel; 1978.p. 179–188.

15. Andolfi M. La thérapie avec la famille. Paris: ESF; 19771982.

16. Benoît JC. Les thérapies systémiques et la thérapeutiqueinstitutionnelle en psychiatrie de l’adulte. Rapport dethérapeutique. Paris: Masson; 1984.

17. Kannas S. Thérapies familiales et schizophrénies. Cahierscritiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux2001;26:143–150.

18. Miermont J. Psychose et thérapie familiale. Paris: ESF;1997.

19. McFarlane WR. Family therapy in schizophrenia. New York:The Guilford Press; 1983.

20. Falloon IR, Boyd JL, McGill CW. Family care of schizophre-nia. New York: The Guilford Press; 1984.

21. Doane JR, Goldstein MJ, Milowitz DJ, Falloon IR. Theimpact of individual and family treatment on the affectiveclimate of families of schizophrenics. Br J Psychiatry 1986;148:279–287.

22. Mari (de) JJ, Streiner DL. An overview of family interven-tions and relapse on schizophrenia: meta-analysis ofresearch findings. Psychol Med 1994;24:565–578.

23. Anderson H, Goolishian HA. Les systèmes humains commesystèmes linguistiques : implications pour une théorieclinique. Constructivisme et constructionnisme social :aux limites de la systémique? Cahiers critiques de thérapiefamiliale et de pratiques de réseaux, 19. 1988. p. 99–1321997.

24. Miermont J. L’homme autonome. Paris: Éditions Hermès;1995.

25. Hellard-Vuillemard MF, Blanc M, Savonnière R. La rencon-tre avec la famille : un facteur déterminant d’un change-ment institutionnel. Synapse 2002;186:22–26.

26. Barrière A. Contexte et thérapie familiale, ou commentrestituer au patient sa place au centre du monde, même sice monde est petit. Synapse 2002;186:18–22.

171Thérapies familiales et schizophrénies

Page 10: Thérapies familiales et schizophrénies

27. Chaltiel P. Deux préjugés valent mieux qu’un (surtout s’ilssont inconciliables). Des options stratégiques à laco-thérapie généralisée en thérapie familiale. Générations2001;24:61–67.

28. Habib M, de La Forest Divonne A. Le travail avec lesfamilles : entre mythe et complexité. De l’apparence à lareconstruction. Évol Psychiatr 1997;62:533–541.

29. Wunderlich U, Wiedemann G, Buchkremer G. Sind psycho-soziale Interventionen bei schizophrenen Patienten wirk-sam? Eine Meta-analyse. Verhaltenstherapie 1996;6:4–13.

30. Pitschel-Walz G, Leucht S, Bauml J, Kissling W, Engel RR.The effect of family interventions on relapse and rehospi-talization in schizophrenia. A meta-analysis. SchizophrBull 2001;27:73–92.

31. Barbato A, d’Avanzo B. Family interventions in schizophre-nia and related disorders: a critical review of clinicaltrials. Acta Psychiatr Scand 2000;102:81–97.

32. Bantman P. La question de l’alliance thérapeutique avec lafamille dans le traitement de la schizophrénie. Réflexionset perspectives actuelles. Générations 2002;25:63–68.

172 J. Miermont