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Université de Rouen UFR de Lettres et Sciences humaines Laboratoire UMR CNRS DYALANG 6065 Ecole doctorale Savoirs, critique, expertises LA DIVERSITE A L’UNIVERSITE Analyse sociolinguistique de copies et de discours d’étudiants entrant à la faculté de Lettres et Sciences humaines de Rouen Volume 1 Clara MORTAMET Thèse doctorale nouveau régime Linguistique française dirigée par Claude CAITUCOLI novembre 2003 Composition du jury : Jacqueline Billiez, Université de Grenoble III Claude Caitucoli, Université de Rouen Régine Delamotte-Legrand, Université de Rouen Marie-Claude Penloup, Université de Rouen Claude Vargas, IUFM d’Aix-Marseille halshs-00008367, version 1 - 5 May 2006

These Mortamet Clara Tome 1

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Universit de Rouen UFR de Lettres et Sciences humaines Laboratoire UMR CNRS DYALANG 6065 Ecole doctorale Savoirs, critique, expertises

LA DIVERSITE A LUNIVERSITE Analyse sociolinguistique de copies et de discours dtudiants entrant la facult de Lettres et Sciences humaines de Rouenhalshs-00008367, version 1 - 5 May 2006

Volume 1

Clara MORTAMET

Thse doctorale nouveau rgime Linguistique franaise dirige par Claude CAITUCOLI novembre 2003

Composition du jury : Jacqueline Billiez, Universit de Grenoble III Claude Caitucoli, Universit de Rouen Rgine Delamotte-Legrand, Universit de Rouen Marie-Claude Penloup, Universit de Rouen Claude Vargas, IUFM dAix-Marseille

Universit de Rouen UFR de Lettres et Sciences humaines Laboratoire UMR CNRS DYALANG 6065 Ecole doctorale Savoirs, critique, expertises

LA DIVERSITE A LUNIVERSITE Analyse sociolinguistique de copies et de discours dtudiants entrant la facult de Lettres et Sciences humaines de Rouenhalshs-00008367, version 1 - 5 May 2006

Volume 1

Clara MORTAMET

Thse doctorale nouveau rgime Linguistique franaise dirige par Claude CAITUCOLI novembre 2003

Composition du jury : Jacqueline Billiez, Universit de Grenoble III Claude Caitucoli, Universit de Rouen Rgine Delamotte-Legrand, Universit de Rouen Marie-Claude Penloup, Universit de Rouen Claude Vargas, IUFM dAix-Marseille

Remerciements

Je remercie mon directeur de recherche, Claude Caitucoli, pour lattention quil a accord ce travail et pour la qualit de son encadrement. Je remercie le jury pour avoir accept dvaluer cette thse de doctorat. Je remercie mes amis, ma famille, les rsidents et visiteurs de lIRED, les enseignants, chercheurs, doctorants et personnels du laboratoire DYALANG pour leur soutien et leurs conseils. Parmi eux, je remercie tout particulirement Rgine Delamotte-Legrand et Marie-Claude Penloup pour leur aide prcieuse, ainsi que Babeth, Jrmy, Loc, Marion, Myriam et Mehmet pour leurs lectures minutieuses. Merci aussi aux tudiants qui ont accept de participer cette enqute et aux enseignants du cours de remdiation en expression crite. Je remercie enfin la Rgion Haute-Normandie qui a financ ce travail de recherche.

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introduction gnrale

Mutations Ces dernires annes, les premiers cycles universitaires se sont trouvs confronts de nombreux checs et abandons. Comme le souligne le rapport de lO.C.D.E. de 19931, on admet en somme les tudiants pour un tour de valse libre et souvent court . Cette situation ne constitue pas seulement un problme institutionnel lenseignement suprieur nest pas performant, il ne produit que peu de diplms par rapport au nombre de candidats mais plus largement un problme social. Lchec a un cot non seulement pour le systme qui se trouve remis en question, mais aussi pour les tudiants qui quittent luniversit sans diplme, pour leurs familles qui ont investi dans les tudes de leurs enfants, et pour la socit qui doit trouver les moyens de grer, de rintgrer ces exclus de luniversit . Cest ce cot que Romainville2 souligne : On ne peut pourtant nier le gaspillage que ce systme engendre. Dune certaine faon, une partie importante des crdits est consacre aux prmisses dune formation pour des tudiants qui nen connatront jamais la suite. Pour ces tudiants cest lexprience parfois la premire dun chec scolaire, avec toutes les rpercussions ngatives sur leur image dapprenant.

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Il va sans dire que cette situation est le rsultat de politiques ducatives, mais cest aussi la consquence dune situation conomique qui offre moins de perspectives, demande une plus grande flexibilit des individus et des formations. Il nen reste pas moins quil sagit l dun des lments majeurs de ce que lon peut appeler la crise de luniversit. Les discours sur la crise sont nombreux : leurs auteurs focalisent leur attention sur diffrents points et avancent diffrentes solutions. Certains dnoncent les ingalits internes au systme Establet3 parle dun systme deux vitesses , dune dvalorisation des facults en termes de moyens et de prestige par rapport aux classes prparatoires, aux grandes coles, et mme aux instituts universitaires de technologie (IUT) ; dautres4 sinsurgent contre sa perte de qualit ou sur le fait que luniversit se secondarise . Diffrents textes tmoignent de ces interrogations et alimentent

Regards sur lducation : les indicateurs de lO.C.D.E., Paris, p.105, cit par Romainville Marc, 1997, Peuton prdire la russite dune premire anne universitaire ? dans Revue franaise de pdagogie, n119, INRP, Paris, p.81. 2 Romainville Marc, ibidem. 3 Establet Roger, 1998, Prface dans Erlich Valrie, Les nouveaux tudiants, Armand Colin, Paris, p.12. 4 Voir par exemple le Rapport du Comit National dvaluation (CNE) de 1995 : CNE, 1985-1995 volution des Universits, dynamique de l'valuation, La documentation franaise, Paris. Consultable sur le site internet suivant : http://garp.univ-bpclermont.fr/guilde/Reflexions/Superieur/CNE.html

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plus gnralement le dbat sur luniversit (ARESER5, Snyders6, Flouzis7, ou plus rcemment Renaut8). Un rapide aperu de cette littrature rvle en outre que ce sentiment de crise nest pas nouveau : en 1966, Antoine et Passeron9 parlaient dj de crise de luniversit. A loccasion, nous reviendrons sur quelques-uns des arguments avancs dans cette littrature. Nous nexposerons pas toutefois dans le dtail les perspectives historiques, les diagnostics, les textes polmiques ou dhumeur quelle runit. Pour le moment, nous voudrions simplement remarquer quen dehors des constats quils tablissent, ces discours rvlent une htrognit des faons de penser luniversit, et le fait que la crise de luniversit se trouve tre aussi une crise idologique. Ce qui pose problme, cest comme le souligne Zetlaoui10 de savoir quelle fonction luniversit doit remplir : doit-elle diffuser des connaissances (garantir un niveau de culture gnrale de la socit), permettre daccder un emploi, former la recherche, lenseignement, dvelopper lesprit critique et citoyen, manciper les individus ? Mais la question est aussi celle des savoirs que luniversit doit transmettre, et des liens quelle doit entretenir avec le reste de la socit, avec les exigences du monde conomique, avec les enjeux politiques et sociaux du moment. Nous ne reviendrons pas sur ces questions, qui mriteraient elles seules une analyse de contenu consquente, ni sur le fait que le sentiment dune crise de luniversit est certainement aussi vieux que luniversit elle-mme. Toutefois, il nous semble que ces discours traversent luniversit, les pratiques et les reprsentations de ses acteurs. Ponctuellement, ils nous permettront ainsi de reprer sinon les raisons, du moins les enjeux de certaines pratiques. Par ailleurs, si tous les discours sur luniversit nadoptent pas le mme point de vue, nous pouvons remarquer quils ont en commun dexpliquer les difficults actuelles de luniversit par les rcentes mutations de son recrutement. Cette explication se trouve illustre par les concepts de massification et de dmocratisation11, qui sappuient sur deux lectures dun mme constat : les tudiants sont nombreux do leffet de masse, mais ils sont aussi plus nombreux quavant, parce que luniversit est plus dmocratique, quelle recrute des tudiants dans davantage de milieux socio-conomiques. Dans les deux cas, on sappuie sur lexplosion numriqueARESER (Association de Rflexion sur les Enseignements Suprieurs et la Recherche), 1997, Une universit en pril, Raisons dagir, Paris. 6 Snyders Georges, 1993, Heureux luniversit, Nathan, Paris. 7 Felouzis Georges, 1997, Les tudiants et la slection universitaire dans Revue franaise de pdagogie, n119, INRP, Paris, p.91-92. 8 Renaut Alain, 2002, Que faire des universits ?, Bayard, Paris. 9 Antoine Grald, Passeron Jean-Claude, 1966, La rforme de luniversit, Calmann-Lvy, Paris. 10 Zetlaoui Jodelle (1999, Luniversitaire et ses mtiers, LHarmattan, Paris, p.24) crit en effet que ce qui semble perturber les universitaires dans lexercice de leur mtier, tient justement dans cette multiplication des fonctions et dans la capacit que peut avoir lUniversit les assumer simultanment .5

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des recrutements universitaires : si lon considre lensemble de lenseignement suprieur, il y avait en effet 30 000 tudiants en 1900, 309 700 en 1960-1961, 1,17 million en 1980-1981 et 2,13 millions en 1997-1998 (dont 1,42 million dans les universits12). Il nous a sembl intressant de partir de ces notions de massification et de dmocratisation, dabord parce quelles rsument bien les faits les plus marquants de la rcente volution de luniversit, ensuite parce que mme si elles sont parfois utilises lune pour lautre13, elles incarnent deux lectures un peu diffrentes de la situation. Le premier terme renvoie au constat dune population tudiante nombreuse, le second aux rcentes mutations subies par cette population, et en particulier lvolution sociologique de son recrutement. Ces deux termes ont donc pour point commun de dcrire une situation partir de donnes statistiques. Mais il nous semble que cette objectivit nest quapparente. Avec la massification, cest la croissance des effectifs qui est considre comme problmatique : elle provoque des effets de masse , o il ne sinstaure plus un dialogue entre le professeur et ltudiant, mais un monologue du matre vers son amphithtre surcharg. Comme le souligne Erlich14, la massification entrane pour certains auteurs la prcarisation des tudiants et la dvaluation des diplmes universitaires. Le terme est dailleurs pjoratif, et semble indiquer que ltudiant a perdu son individualit pour devenir llment dun ensemble : selon cette vision, la population tudiante sapparente davantage une foule anonyme qu une somme dindividualits cratrices. Il faut remarquer aussi que le terme de massification est en gnral avanc pour dcrire une situation gnrale, alors que comme lindique Erlich15, les croissances deffectifs ont t trs diffrentes selon les filires. Le terme de dmocratisation est quant lui plus positif, mais il ne dsigne pas le mme aspect du problme. Il rfre au principe de dmocratie, o chacun a le droit aux mmes opportunits daccs au savoir et aux diplmes. Il ne dsigne pas tant leLe titre mme du livre de Marc Romainville (2000b, Lchec dans luniversit de masse, LHarmattan, Paris) montre dailleurs si besoin en tait que cette lecture est toujours dactualit. 12 Chiffres de Erlich Valrie (1998, Les nouveaux tudiants, Armand Colin, Paris, p.43) et de Garnier Michel (dir.) (1998, Repres et rfrences statistiques sur les enseignements et la formation, ministre de lducation nationale). Les universits regroupent les facults (Sciences, Droit, Sciences conomiques, Lettres, Langues, Sciences humaines et sociales, Sport (STAPS), Mdecine et Pharmacie) et les IUT. Les autres tablissements de lenseignement suprieur sont les IUFM, les STS (sections de techniciens suprieurs), les classes prparatoires et les grandes coles dingnieur ou de commerce. Pour plus de prcision, voir aussi le glossaire (p.439). 13 Cest ce que souligne Dupont Didier, 2000, Le franais au suprieur, quelques facteurs de difficults in Defays Jean-Marc, Marchal Marielle, Solange Mlon (eds), La matrise du franais, De Boeck, Bruxelles, p.36. 14 op. cit. p.19. Voir aussi Chardenet Patrick, 1999, De lactivit valuative lacte dvaluation, LHarmattan, Paris, p.24. 15 op. cit. p.47. En particulier, parmi les types dtablissements, la progression des universits a t une des plus importantes depuis 1960, aprs celle des formations techniques courtes. Par ailleurs, parmi les filires universitaires, cest en Lettres et Sciences humaines que la progression est la plus importante (la part des tudiants inscrits passe de 11,8% en 1960 37,6% en 1994).11

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nombre des tudiants que la diversit des recrutements universitaires. La dmocratisation dailleurs ne constitue pas en soi un problme, mais davantage un objectif atteindre. Sans se demander pour le moment si cet objectif est aujourdhui atteint, si les ingalits devant lcole et luniversit ont t rduites16, il convient de constater que le terme de dmocratisation sert souvent expliquer un tat de fait problmatique. Finalement, il semble mme que ce soit la dmocratisation, et non la massification, qui pose le plus de problmes. En effet, si laccroissement rapide et important des effectifs amne des difficults de gestion logistique et humaine plus encore il est vrai quand cette augmentation nest pas anticipe , elles finissent par tre gres moyen terme. Dailleurs, il nest plus justifi dy voir aujourdhui un motif de dysfonctionnement dans la mesure o le nombre dtudiants diminue depuis 1996 (0,7% en 1996-97 pour lensemble de lenseignement suprieur et -1,1% en 1997-98, les plus fortes baisses tant dans les facults). La dmocratisation par contre continue poser problme, parce quelle a impliqu une transformation des publics tudiants. Le recrutement tant plus large il y a davantage de bacheliers et de baccalaurats , les nouvelles cohortes universitaires apparaissent aux yeux de leurs enseignants plus htrognes que par le pass. Cela nous amne ce qui nous semble tre le cur du problme : lhtrognit ou lhtrognisation des publics. Sur ce point, il convient de remarquer avec Legrand17 que le systme a subi effectivement certaines mutations : A partir du moment o le lgislateur demande de maintenir dans lcole, puis dans les classes, des lves divers par leurs performances scolaires, et de repousser le plus loin possible les victions en minorant les redoublements, lenseignement charg de diffuser un programme se trouve dans une situation nouvelle (). Cette situation est souvent vcue comme insupportable faute dinstruments adquats, faute surtout dune capacit minorer lenseignement auquel on est habitu par un attachement exclusif au savoir pour donner sa place devenue ncessaire lapprentissage personnel de llve.

Ce qui est intressant dans cette citation, cest dabord la prsentation historique du problme : avant, grer lhtrognit tait moins problmatique, puisqu chaque niveau les moins bons taient vacus. Maintenant, pour des raisons essentiellement politiques et conomiques, il est demand aux enseignants de garder ces lves le plus longtemps possible. Cela contribue modifier la reprsentation que les enseignants doivent avoir de leur tche, mais aussi de leurs lves. Cela modifie aussi leurs publics, qui sont effectivement plus diffrents quavant : diffrents entre eux, mais aussi diffrents de ce qutaient auparavant les lves. Remarquons galement que cette citation rend compte de la situation de lenseignement primaire, mais quelle sadapte assez bien la situation de luniversit, qui est amene aujourdhui subir les consquences des politiques ducatives conduites dans le primaire et le secondaire.

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Nous aborderons cette question dans le chapitre 1. Legrand Louis, 1993, Les diffrences entre les lves et les formes de travail dans Houssaye Jean (dir.), La pdagogie : une encyclopdie pour aujourdhui, ESF, Paris, p.132.

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Ce discours sur lhtrognisation des publics est largement rpandu, dans luniversit mais de faon gnrale dans lensemble du systme ducatif, de la maternelle luniversit. En tmoigne par exemple lappel doffre lanc par le CNCRE (Comit National pour la Recherche en Education) en 1997 sur lhtrognit de lcole luniversit 18. Cette proccupation renvoie directement aux discours rcurrents des acteurs de lducation, en particulier enseignants et parents, sur lhtrognit des nouvelles cohortes. Mais si lon regarde un peu attentivement ces discours, on se rend rapidement compte comme le souligne Caitucoli19 que htrogne ici signifie faible . Les discours universitaires nchappent pas ce phnomne. La dmocratisation de luniversit, louverture de ses portes des publics nouveaux expliquent pour les enseignants la faiblesse des niveaux des tudiants lentre. Tous ces discours ont en outre un point commun : ils sont fonds sur le mythe dun paradis perdu, dun ge dor de lenseignement suprieur ( ctait mieux avant20 ). Or il convient de remarquer avec Romainville21 que cette nostalgie semble peu prs aussi vieille que lcole elle-mme les lves sont toujours plus faibles que les prcdents. Sans sattarder sur les raisons de cette rengaine, que Romainville situe du ct des rapports ambigus entre les gnrations , il convient de remarquer que si elle concerne toutes les disciplines, elle est particulirement vive quand il sagit de la matrise de la langue. Avant de nous intresser tout particulirement cette question, soulignons avec Romainville que ces discours sur le niveau qui baisse, parce quils sont aussi vieux que lcole et quils rsistent aux tudes qui les invalident22, sont particulirement suspects, ce qui nous amnera supposer quils masquent autre chose. Remarquons aussi que, de faon gnrale, ce sont tous les discours de crise qui peuvent paratre suspects. Il nous semble en effet que la crise, quelle soit conomique, idologique, religieuse, politique ou sociale est dans lair du temps. Mais elle nest pas pour autant conjoncturelle : elle est dans lair stagnant du temps. Depuis la fin des annes 60 la crise est religieuse et idologique, depuis les annes 70, elle est conomique, depuis quelques annes la crise est politique. Sans nier la ralit des maux qui lalimentent, constatons que les discours sur la crise sont rcurrents ; si rcurrents quils en deviennent suspects de remplir une autre fonction (psychologique ? politique ? mdiatique ? sociale ?) que celle du simple constat, de la seulehttp://www.inrp.fr/Cncre/AppelD.htm Caitucoli Claude, 2003, A propos de la notion dhtrognit dans Caitucoli Claude, Situations dhtrognit linguistique en milieu scolaire, Presses universitaires de Rouen, Rouen. 20 La meilleure illustration de ce discours notre avis apparat dans les sketches des Guignols de linfo mettant en scne la marionnette de Francis Cabrel au cours de lhiver 1999-2000, qui ne cesse de rpter la fin de chaque phrase : ctait mieux avant . 21 Romainville Marc, 2000, Et si on arrtait de tirer sur le pianiste ? dans DEFAYS Jean Marc, MARCHAL Marielle, MLON Solange (eds), La matrise du franais, De Boeck, Bruxelles, p.82.19 18

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description dun dysfonctionnement, dune rupture dans lordre harmonieux des choses. Dmocratisation, matrise de la langue et chec universitaire : une question sociolinguistique Le lien entre dmocratisation et baisse du niveau des tudiants en langue est dcrit par Fintz23 : lenseignement du franais luniversit est en crise du fait de la baisse de niveau conscutive la dmocratisation de lenseignement suprieur . Cette citation est intressante car elle repose sur deux postulats : 1) la dmocratisation entrane une baisse de niveau en langue ce qui rejoint le discours qui associe htrognit et niveau faible ; 2) le franais luniversit est en crise les tudiants ne connaissent pas le franais, la norme scolaire nest plus respecte par la nouvelle gnration. Ce constat dune dliquescence suppose des comptences linguistiques va en outre plus loin, puisquil est pos comme tant lorigine des checs massifs : dans les discours des enseignants en particulier, on peut parler sur ce point avec Romainville24 de vritable consensus. Dejean et Magoga25 font dailleurs le mme constat. Elles soulignent en effet que parmi les explications avances pour expliquer lchec scolaire, une explication revient avec beaucoup dinsistance, au sein des milieux universitaires (et abondamment relaye par les mdias) : la matrise insuffisante de la langue . La parution rcente dun ouvrage sur cette question26, ainsi que le colloque tenu en janvier 2002 Bruxelles sur lcrit dans lenseignement suprieur rvlent par ailleurs lintrt des sciences de lducation, de la didactique et de la linguistique pour ces questions. Sans prtendre ici en faire le tour, citons titre dillustration Dabne et Reuter27 qui soulignent que l on pourrait facilement compter parmi les causes de lchec de nombre dtudiants dans le premier cycle leur difficult matriser les pratiques de lecture et dcriture qui accompagnent leur exposition des savoirs nouveaux . Eckenschwiller28 insiste galement sur limportance quil faut accorder lcrit luniversit :

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Par exemple celle de Baudelot Christian et Establet Roger, 1989, Le niveau monte, Seuil, Paris. Fintz Claude, 1998, La didactique du franais dans lenseignement suprieur, LHarmattan, Paris en 4me de couverture, cit et comment par Manesse Danile, 1999, Pour appeler dautres numros sur lenseignement du franais luniversit dans le franais daujourdhui n125, luniversit, Revue de lassociation franaise des enseignants de franais (AFEF), Paris, p.97. 24 2000, op. cit. p.79. 25 Dejean Karine, Magoga Emmanuelle, 2000, Matrise langagire et chec en premire anne duniversit Communication au colloque AECSE-CREFI tenu Toulouse du 2 au 4 octobre 2000. Notons par ailleurs que Marc Romainville, Karine Dejean et Emmanuelle Magoga travaillent sur la situation de la Belgique, mais leurs rflexions rvlent que les situations des universits belges et franaises sont sur ce point tout fait comparables. 26 Defays Jean-Marc, Marchal Marielle, Solange Mlon (eds), 2000, La matrise du franais, De Boeck, Bruxelles. 27 Dabne Michel, Reuter Yves, 1998, Prsentation dans Dabne Michel et Reuter Yves (coord.), Pratiques de lcrit et modes daccs au savoir dans lenseignement suprieur, LIDIL n17, Lidilem, Universit Stendhal, Grenoble, p.6. 28 Eckenschwiller Michle, 1994, Lcrit universitaire, Les ditions dorganisation, Paris, p.9.23

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Acte de transmission, il [lcrit] reprsente un puissant moyen dinvestissement, de reconnaissance et dvaluation ainsi quun instrument de progression dans la hirarchie sociale. Ce passage oblig par lcrit savre souvent problmatique, mal matris. Nous constatons que les tudiants au sens large du terme de quelque niveau quils soient se trouvent en difficult dans la phase rdactionnelle de leurs travaux.

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Ainsi, remarquons que la situation actuelle de luniversit constitue un champ de recherche trs riche : dabord parce quelle est en crise une recherche sur ce terrain rpondra donc un besoin social ; ensuite parce que dans cette crise lhtrognit et donc lhtrognit linguistique est montre du doigt comme une difficult pallier, parce quelle est associe lide dune faiblesse ; enfin parce quune des explications avances pour expliquer lchec concerne la matrise du franais . Dun point de vue sociolinguistique, cette situation soulve deux questions essentielles. La premire dentre elles concerne bien entendu la vrification de ce lien entre matrise de la langue et russite universitaire. Sociologues et sociolinguistes stant depuis plus de quarante ans intresss cette question, la littrature sur ce point est abondante, et nous en ferons un rappel incontournable (voir infra, chapitre 1). En second lieu, lexplication de lchec par la dmocratisation de luniversit nous amne nous demander en quoi la diversification des publics tudiants a contribu diversifier leurs pratiques linguistiques. Cela revient se demander en quoi les pratiques linguistiques sont htrognes, et comment on peut interprter cette htrognit. Premires hypothses : htrognit vs altrit Dores et dj, il nous semble possible de poser sur ces questions un certain nombre dhypothses. Tout dabord, devant le consensus voqu plus haut, nous conserverons avec Romainville un certain scepticisme, et poserons que cette rengaine cache des difficults qui sont autres. Par ailleurs, nous lavons dit, lhtrognit est associe de faibles comptences et une baisse de niveau. Nous en dduirons que ce ne sont pas seulement les diffrences entre les lves qui posent problme aux enseignants, mais aussi les diffrences entre les lves et leurs enseignants. Cest ce dont tmoigne dailleurs limage du foss qui se creuse souligne par Caitucoli29. Mais cest ce quindique galement Bautier30 : Le dveloppement de la scolarisation des enfants de milieux populaires et la disparition progressive de filires distinctes de scolarisation ont confront les enseignants la diffrence linguistique et langagire entre les lves, lcart entre les productions de certains dentre eux et les attentes scolaires, aux difficults scolaires de ceux-l mmes. Caitucoli Claude, 1999, Prsentation gnrale dans Caitucoli Claude (dir.), Lhtrognit linguistique des lves et des tudiants dans lacadmie de Rouen, Rsum du rapport de recherche au CNCRE, consultable sur le site du CNCRE (http://www.inrp.fr/Cncre/Pdf/Caitucoli.pdf), p.3. 30 Bautier Elisabeth, 2001, Pratiques langagires et scolarisation dans Revue franaise de pdagogie n137, INRP (Institut National de Recherche Pdagogique), Paris, p.117.29

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Cette citation illustre bien en effet le fait que la dmocratisation na pas entran seulement le problme de lhtrognit des lves entre eux, mais a aussi fait sagrandir le foss qui spare les lves de leurs enseignants. Cela nous amne poser ainsi que sil y a bien une diversit des tudiants, nous pourrons lenvisager sous deux angles : - sous langle de lhtrognit en considrant que les tudiants sont diffrents les uns des autres. Limage de cette diversit, cest celle dune unit la population tudiante compose dlments disparates. - sous langle de laltrit en considrant que les tudiants sont diffrents de ce que leurs enseignants estiment quils devraient tre. Limage de cette diversit, cest celle dlments disjoints. Si nous regardons par ailleurs la notion dhtrognit, nous constatons quelle est construite socialement : en dehors de lcole les lves et les tudiants sont tous diffrents mais ils forment un continuum. Dans lcole, non seulement des frontires sont dessines dans ce continuum, mais les pratiques sont hirarchises en fonction de la norme prescrite. Nous reviendrons plus largement par la suite sur ce que nous appellerons la production de la diffrence, mais il nous a sembl important dinsister ds le dbut de ce travail sur le fait que lhtrognit linguistique en milieu scolaire est pour nous une construction sociale, laquelle il conviendra dopposer une analyse systmatique de la diversit des pratiques linguistiques des locuteurs. Pour terminer sur cette question de lhtrognit dans les discours sur lcole, nous voudrions remarquer quil y a un certain paradoxe dplorer lhtrognit dans une institution qui a pour tche dvaluer les lves ou les tudiants, de reprer parmi eux les bons et les mauvais, de diagnostiquer leurs diffrences. Ce paradoxe indique nouveau la complexit et lopacit des discours sur cette question. Nous avons vu que les discours sur lhtrognit sont souvent peu explicits, contradictoires ou trop massivement partags. Nous poserons donc quils masquent le fait que ce qui pose problme, ce nest pas seulement lhtrognit des lves, mais que sy ajoutent des problmes daltrit : les tudiants ne sont pas seulement diffrents entre eux, mais plus autres , plus trangers que ce quils devraient tre ou que ne ltaient les tudiants auparavant. Terrain de recherche : le test dentre luniversit La chance que nous avons eue pour investir ce terrain mais cest aussi le signe du caractre trs actuel de notre questionnement , est que la facult de Lettres et Sciences humaines de Rouen nous a fourni une trs bonne illustration de ces discours sur lhtrognit et du lien entre htrognit linguistique et chec scolaire. Depuis 1995 en effet, la facult a mis en place un test de langue lentre luniversit, dont le but est de reprer les tudiants les plus en difficult, les moins bien prpars pour11

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recevoir un enseignement universitaire. Destin tous les nouveaux inscrits, il ne remet pas en question le droit dentre la facult, mais oriente les tudiants les plus faibles vers un cours obligatoire de remdiation en expression crite qui a lieu pendant la premire anne. Cette exprience se trouve en ralit lorigine de notre questionnement et de notre travail31. Il convient de remarquer que cette exprience est dailleurs loin dtre isole : dautres tests sont proposs Rouen (en Psychologie et bientt en Sciences), mais aussi dans dautres facults de France et de Belgique. Le point commun de tous ces tests dentre mme ceux destins des tudiants de Sciences ou de Mdecine32 est quils comprennent des preuves de matrise de la langue franaise. Ils reposent donc tous sur lhypothse que la russite en premire anne duniversit est dtermine par la connaissance de la langue. Pour nous, lintrt de ces tests est quils permettent de rpondre concrtement un certain nombre de questions souleves prcdemment, et en particulier : 1) En quoi les pratiques linguistiques sont-elles diverses ? 2) Comment expliquer, interprter, comprendre cette diversit ? A quelles variables peut-elle tre relie ? 3) Comment cette diversit est-elle value par luniversit ? Comment se traduit-elle en termes de russite et dchec en fin danne ? Telles sont les questions de dpart de notre travail, qui dessinent trois axes de rflexion : la mesure de lhtrognit, son explication, son caractre prdictif. En ce qui concerne notre premier axe de rflexion, notre ide sera donc de dcrire la diversit des pratiques linguistiques des tudiants, de dgager des axes pertinents de variation. Notre hypothse sur ce point, comme nous lavons indiqu prcdemment, est que nous pourrons valuer ces pratiques en termes dhtrognit mais aussi en termes daltrit. Cette hypothse nous amnera rflchir la notion daltrit chez les tudiants (chapitre 2), mais aussi sinterroger sur le lien entre laltrit du locuteur et ses pratiques linguistiques (chapitre 3). Ce sera l lessentiel de notre rflexion thorique. Le second axe de rflexion celui de lexplication de la variation linguistique sera plus rapidement voqu dans la partie thorique. Dans ce domaine, nous navanonsElle a dailleurs inspir deux travaux prcdents : notre mmoire de matrise (Mortamet Clara, 1997, Les pratiques orthographiques des tudiants et leur valuation, Mmoire de matrise de sciences du langage, Universit de Rouen, Rouen) et notre rapport-projet de DEA (Mortamet Clara, 1998, Lhtrognit des tudiants et son valuation, Rapport-projet de DEA de Sciences du langage, Universit de Rouen, Rouen). 32 Romainville souligne par exemple que le meilleur prdicateur de la russite dun premier cycle dtudes mdicales consiste, non pas en des tests de pr-acquis spcifiques sur des matires (physiques, chimie et biologie), mais en une preuve de comprhension la lecture et llaboration dune synthse dun texte dintrt gnral . Ainsi, mme pour les tudes mdicales, le langage resterait le meilleur prdicateur de russite. (Romainville Marc, 1998, Entrer luniversit dans Frenay Marianne, Nol Bernadette, Parmentier Philippe, Romainville Marc, Ltudiant-apprenant, De Boeck, Paris, Bruxelles, p.36).31

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pas en effet en terrain inconnu. La dtermination sociale des pratiques linguistiques, mais aussi de la russite scolaire et universitaire, a fait lobjet de travaux nombreux. Les tudes de Bourdieu et Passeron33 en particulier ont fait de luniversit un terrain de rfrence pour la sociologie de lducation. Il nen reste pas moins que les mcanismes de cette dtermination restent en partie dgager. En particulier, aux critres sociologiques habituellement pris en compte pour expliquer la variation, nous verrons quil nous a sembl pertinent, tant donn notre prise en compte des questions daltrit, de considrer dautres variables. Une partie de nos enqutes (Partie 3) portera ainsi sur les reprsentations des tudiants lentre luniversit. Notons que cette perspective correspond galement aux travaux plus rcents sur lcole, qui ne se proccupent plus seulement des grands dterminismes sociaux, mais sintressent lexprience des individus, plaant lacteur social au centre de leurs problmatiques. Notre troisime axe de rflexion sur le lien entre les pratiques values lentre luniversit et la russite des tudiants par la suite sera quant lui plus diffus tout au long de notre travail. Il nous amnera nous intresser la production de lhtrognit dans le systme universitaire (chapitre 4), au lien entre les pratiques linguistiques lentre luniversit et russite en fin danne (chapitre 6), et lexplication de ce lien au moyen de lvolution des reprsentations des tudiants au cours de leur premire anne (chapitre 9 et Synthse). Dans ce travail, la plupart de nos donnes sera fournie par lun des tests dentre la facult de Lettres et Sciences humaines de Rouen, que nous considrerons comme une raction, mais aussi comme une interprtation de la crise. Nous verrons quil repose en effet sur un certain nombre de postulats quil conviendra de dcrypter et ventuellement de vrifier. Il nous permettra en particulier de rflchir ce que lon y entend par matrise de la langue , notion fonde si lon en croit Dejean et Magoga34 sur un diagnostic assez impressif . Lnorme intrt de ces tests est quils portent sur lensemble dune population dans notre cas tous les nouveaux inscrits la facult de Lettres et Sciences humaines, soit entre 900 et 1400 tudiants selon les annes. Ils constituent donc une belle opportunit de recenser et de dcrire un grand nombre de pratiques linguistiques, recueillies dans les mmes conditions et values selon les mmes critres. Par ailleurs, le fait que ces tudiants fournissent au moment de leur inscription un certain nombre de caractristiques sociologiques nous garantit la possibilit dadopter une perspective sociolinguistique grande chelle. Enfin, en recueillant des informations sur la russite universitaire des tudiants dont nous avons tudi les copies, nous pourrons tester le lien entre les pratiques lentre luniversit et la russite des tudiants en33

Bourdieu Pierre, Passeron Jean-Claude, 1964, Les hritiers, les tudiants et la culture, Minuit, Paris et 1970, La reproduction, Minuit, Paris. 34 op. cit.

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fin danne. Ainsi, lexprience mene la facult de Lettres et Sciences humaines nous a offert la possibilit de recueillir sans grand effort des donnes quantitatives et fiables. Si cela ne nous a pas empche de recueillir nous-mme dautres donnes, il convient de remarquer que cette opportunit a t dun trs grand poids dans le choix de notre sujet et dans lorientation de notre travail. Ajoutons que ces donnes sont dautant plus intressantes quelles ont t recueillies lentre luniversit. Quand on sait que les checs les plus massifs ont lieu pendant la premire anne, les tests offrent donc la possibilit de suivre une priode tout particulirement prilleuse . Cest pourquoi nous saisirons aussi loccasion dans ce travail de dcrire ce qui se passe tout au long de la premire anne. Nous verrons en particulier comment une partie de nos enqutes tente de saisir la dynamique de lintgration dans le monde tudiant de laffiliation , pour reprendre le terme propos par Coulon35.halshs-00008367, version 1 - 5 May 2006

Justification de la recherche Il nous reste justifier lintrt dun travail sur les pratiques linguistiques des tudiants. Nous avons dj soulign le fait quune telle tude revt une vritable utilit sociale : les nombreux checs universitaires constituent pour beaucoup un vritable problme de socit. Mais les nombreux discours sur la crise de luniversit rvlent aussi, malgr les rserves que nous avons apportes ce sujet, que luniversit est lobjet de dbats voire de conflits dopinions et didologies. Elle est lun des lieux o saffrontent aujourdhui diffrentes faons dinterprter et de penser notre socit. La massification de luniversit justifie en outre que lon sintresse aux tudiants comme formant un groupe en partie autonome et non un sous-ensemble de la population des scolariss . Limportance que prennent les tudiants au sein de la population ils reprsentaient en 1992 38% des jeunes de 20-24 ans36 nous amnera dailleurs discuter de lexistence et de la nature de ce groupe (social ?, professionnel ?, gnrationnel ?). La dmocratisation des facults laisse galement prsager la fertilit de ce terrain de recherche. Une telle explosion des effectifs universitaires ne peut avoir t sans consquence sur le systme lui-mme, sur la dfinition du statut tudiant, sur ses modes de vie, et sur sa place au sein de la socit. Quarante ans aprs le dbut de cette affluence, et alors que depuis 1996 les effectifs amorcent une lgre diminution, nous pourrions nous demander sil est dailleurs toujours justifi de parler comme nous lavons fait de mutations. Mais ce serait sans tenir compte du fait que les mutations internes, structurelles dun groupe social peuvent se faire ressentir aprs ses effets numriques, que des ractions en chane peuvent survenir et ainsi faire surgir, par une conjonction de causes, un effet retardement . Ce serait galement ne pas tenir35 36

Coulon Alain, 1997, Le mtier dtudiant, PUF, Paris. Chiffre de Erlich, op. cit. p.45.

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compte du fait que les mutations nont pas seulement t provoques par la diversification des recrutements, mais aussi par les mutations du monde conomique et culturel. La crise conomique en particulier a profondment modifi le rapport aux tudes et lavenir des tudiants. Cest en ce sens dailleurs que nous considrons avec Erlich37 les tudiants comme des un groupe social en mutation , ne retenant pour linstant que le premier sens que cet auteur attribue cette formule : le plus gnral, qui est celui de changement . Remarquons galement que les transformations dont luniversit a t lobjet ne sont pas propres la France, mais se sont dveloppes paralllement dans dautres pays dEurope. Louverture des frontires et plus encore la cration de diplmes universitaires europens devraient renforcer les similitudes observes entre les diffrentes populations tudiantes. Si lobjet de cette recherche est cantonn la situation rouennaise, des recherches menes dans dautres universits, et en particulier en Belgique francophone et au Qubec38 nous ont rvl le parallle vident entre nos deux terrains, et nous ont souvent permis de prolonger nos rflexions et nos rsultats. En outre, il convient de souligner que si ce terrain a t depuis longtemps investi par les sociologues, en particulier sous limpulsion de Bourdieu, il na t que rcemment investi par les tudes sociolinguistiques, et en particulier dans la perspective dune tude des pratiques linguistiques qui y ont cours. Dabne et Reuter39 font galement ce constat, quils expliquent ainsi : A cela deux raisons au moins, semble-t-il : la premire tient sans doute une conception restrictive de la didactique considre comme un ensemble de savoir-faire destins principalement aux dbutants (enseignants comme lves) ; la seconde relve dune conception tout aussi restrictive du champ de lcrit dont la matrise est suppose dfinitivement acquise, quels que soient ses usages, par les tudiants qui abordent les tudes suprieures.

La multiplication des tests dentre semble dailleurs confirmer que la matrise de lcrit pose aujourdhui problme luniversit, et que lapprentissage de la langue et de son utilisation est loin dy tre acheve. Notons que cette conception na toutefois pas seulement merg dun constat pessimiste les tudiants ne savent pas ou plus crire , mais aussi dune conception de lapprentissage de lcriture comme un processus qui dure tout au long de la vie. Enfin, notre travail se trouve justifi par un certain nombre de manques qui ont t reprs dans les travaux sur les tudiants. Parmi ceux mentionns par Gueissaz et Coulon, nous nous attacherons tout particulirement deux dimensions : dune partop. cit. p.7. Nous faisons allusion ici aux travaux de lAIPU (Association Internationale de Pdagogie Universitaire) qui organise un colloque international chaque anne, mais aussi aux crits de Marc Romainville et de ses collgues pour la Belgique. 39 op. cit. p.5.38 37

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nous nous intresserons la faon dont les acteurs produisent ou non du changement [ luniversit], [et aux] diffrenciations qui en rsultent 40 ; dautre part nous tenterons de mieux dcrire lexprience et les stratgies des tudiants lintrieur des universits, et les pratiques pdagogiques des enseignants du suprieur 41. A ces manques, il faut ajouter avec Galland42 que trop peu dtudes portent sur les universits rgionales, et que les tudes menes sur limportance de la matrise de la langue pour la russite universitaire ont parfois amen des conclusions trs approximatives43. Quelques prcautions Pour finir, nous retiendrons des premires rflexions runies dans cette introduction quil convient dtre prudent face aux discours sur luniversit. Nous lavons vu avec les termes de dmocratisation et de massification, nous lavons vu aussi avec la notion dhtrognit, les discours sur lducation en gnral, et sur luniversit en particulier sont souvent empreints didologie. Saventurer sur un terrain comme celui-ci, travers par des enjeux politiques, sociaux, identitaires, affectifs, comporte donc le risque majeur de se laisser emporter par les discours de ses acteurs. Cest pourquoi il convient de prciser quil ne sagira dans ce travail dincriminer ni les enseignants de luniversit, ni leurs prdcesseurs, ni les tudiants, ni leurs parents. Cest ce que soulignent galement Defays, Marchal et Mlon44 lorsquils crivent quil convient de ne juger personne, [de] ne faire le procs de personne : ni des enseignants du secondaire (ou mme du primaire), ni de ceux du suprieur, ni des parents, ni des lves / tudiants, ni des concepteurs de programmes scolaires . Il sagit donc dabord et avant tout de constater et de dcrire, en se dgageant autant que possible des idologies en cours. Nous ajouterons que, dans notre cas, la tche est certainement plus difficile encore de par notre proximit, notre appartenance au terrain de recherche. De la mme faon que le poisson est mal plac pour dcouvrir lexistence de leau 45, nous ne sommesGueissaz Albert, 1997, La transformation des organisations universitaires dans Preteceille Edmond, Pudal Bernard, Socits contemporaines n28 La transformation des organisations universitaires, LHarmattan, Paris, p.6. 41 op. cit. p.13. 42 Tout oppose aujourdhui les villes de province la rgion parisienne. Cest dans les grandes capitales universitaires rgionales que la vie universitaire prend aujourdhui tout son sens. Ltudiant du quartier latin a vcu (), alors que les tudiants de Rennes, Bordeaux ou Toulouse existent en tant que type social, par leur poids dmographique et leur concentration spatiale tout dabord, mais aussi par leur mode de vie, leurs habitudes de loisirs et de sociabilit (Galland Olivier, 1996, Poursuivre des tudes : une norme de gnration dans Agora dbats/ jeunesse n6, LHarmattan, Paris, p.27). 43 Romainville par exemple avance que de manire gnrale, les recherches en pdagogie universitaire ont montr que le type de facteurs mesurs par les tests [dentre] () interviennent, au maximum, pour 25% dans lexplication de la russite universitaire . Il ajoute que les autres facteurs ont trait la motivation de ltudiant, sa dtermination dans son choix dtudes, la qualit de ses mthodes, , autant dobjets flous et fluctuants, difficiles saisir et mesurer (Romainville Marc, 1998, op. cit. p.36). 44 Defays Jean-Marc, Marchal Marielle, Mlon Solange, 2000, Avant-propos dans Defays Jean-Marc, Marchal Marielle, Solange Mlon (eds), La matrise du franais, De Boeck, Bruxelles, p.6. 45 Kluckhohn C. (ed. originale, 1949, Initiation lanthropologie, trad. fr. Dessard, Bruxelles, p.17), cit par Lonmbard, Jacques, 1998 (1ire dition : 1994), Introduction lethnologie, Armand Colin, Paris, p.23 : Nous40

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certainement pas la mieux place pour dcrire une situation dans laquelle nous voluons, pour dgager les lments les plus pertinents et les plus dterminants qui lexpliquent. Mais en mme temps, ce principe peut tre discut : le poisson, sil nest pas le mieux plac pour dcouvrir lexistence de leau, est sans doute le mieux plac pour en percevoir les changements de temprature ou de salinit. Par ailleurs, nous pouvons nous appuyer sur Bourdieu qui se pose la mme question dans ses diffrentes tudes sur le monde universitaire. Selon lui, le chercheur qui travaille sur son propre milieu, en loccurrence luniversit ou lcole, doit se dgager de ses inconscients dcole , quil dfinit ainsi : Linconscient (ou transcendantal) scolaire est lensemble des structures cognitives qui, dans ce transcendantal historique, est imputable aux expriences proprement scolaires, et qui est donc en grande partie commun tous les produits dun mme systme scolaire national ou, sous une forme spcifie, tous les membres dune mme discipline. 46

Pour ne pas senfermer dans ces inconscients dcole, le chercheur doit oprer une double objectivation : il doit constituer en objet linconscient scolaire qui traverse luniversit, et son propre inconscient, son inconscient de chercheur. Il ajoute que ce travail dobjectivation de linconscient du chercheur saccomplit non dans lillumination dune subite rvlation, mais plutt travers laccumulation progressive de tout ce qui sapprend dans le va-et-vient prolong entre lobservation de lobjet et lobservation de lobservateur, de tout ce que lobservation de lobjet rvle sur lobservateur et de tout ce que lobservation de lobservateur rvle sur lobjet 47. Telle sera galement notre intention dans ce travail, et cest en particulier avec cette ide lesprit que nous confronterons les discours des acteurs du systme enseignants et tudiants avec une description de leurs pratiques. En dautres termes, en comparant des pratiques et des discours produits dans et sur luniversit, nous tenterons de dbanaliser le banal , de rendre trange lvident par la confrontation avec des manires de penser et dagir trangres, qui sont les vidences des autres 48. Il convient galement de remarquer que la perspective, dans lensemble descriptive, de notre travail ne suit pas strictement les volutions rcentes de la discipline, soulignes par Bautier49, qui se trouvent aujourdhui davantage inscrites dans une tentative de rsolution des difficults des lves et des enseignants que dans une dmarche dene sommes gnralement pas conscients de la lentille toute spciale travers laquelle nous voyons la vie. Le poisson est mal plac pour dcouvrir lexistence de leau. On ne peut sattendre ce que des chercheurs qui nont jamais dpass lhorizon de leur propre socit comprennent des coutumes qui se confondent avec la matire mme de leur pense. Le spcialiste des sciences humaines doit en savoir autant sur lil qui regarde que sur lobjet regard. . 46 Bourdieu Pierre, 2000, Linconscient dcole dans Actes de la recherche en sciences sociales n135, Inconscients dcole, Seuil, Paris, p.3. Voir aussi son introduction dans Bourdieu Pierre, 1984b, Homo Academicus, Minuit, Paris. 47 Bourdieu, 2000, ibidem. 48 Bourdieu, 2000, op. cit. p.4. 49 op. cit. p.117.

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comprhension dune situation . Nous resterons en effet dans ce travail un niveau trs descriptif : description de la variation des pratiques, de lhtrognit sociale de leurs auteurs, et de lhtrognit de leurs reprsentations et constructions identitaires. Il nous semble en effet que le travail de description, dinterprtation et dexplication de la variation mrite, au moins en ce qui concerne luniversit, que lon continue de sy intresser. Pour autant, nous adhrons la conception de la recherche selon laquelle elle doit tre tourne vers la rsolution de difficults, dingalits voire de conflits. Cest pourquoi, si ce nest pas lobjet du prsent travail, nous dvelopperons en conclusion certaines pistes de rflexion pour une application de nos rsultats. En rsum, parce que luniversit est un monde travers didologies, et que celles-ci orientent les reprsentations et les pratiques, nous voudrions dans ce travail, pour construire un regard objectif sur ce terrain, nous dfaire de ces idologies, de ces schmes de pense culturels, sociaux et politiques. Mais nous voudrions nous en dbarrasser surtout pour mieux comprendre par quels mcanismes ils influencent les pratiques des acteurs : Pourquoi dit-on que le niveau baisse , que les tudiants sont de plus en plus htrognes ? Sur quelle(s) ralit(s) se basent ces affirmations ? Mais pourquoi aussi les tudiants choisissent-ils telle ou telle faon dcrire, privilgient-ils la forme ou le fond ? Pourquoi certains bachotent-ils ? Pourquoi dautres ne vont-ils jamais en cours ? Ces rflexions trs gnrales laissent apparatre un choix thorique et mthodologique : celui de la transdisciplinarit. Nos rflexions et nos sources bibliographiques se trouvent en effet lintersection de la sociolinguistique, de la sociologie, des sciences de lducation et de la didactique. A lintrieur de chacune de ces disciplines, nous serons galement amene passer dune approche une autre, des analyses statistiques aux analyses qualitatives, des questions didentit celles du dterminisme social, dune focalisation sur les acteurs une focalisation sur le groupe. Cette transdisciplinarit a un risque, celui de se disperser, et peut-tre aussi de ne pas approfondir chaque angle dapproche. Mais elle prsente aussi un avantage, celui de croiser plusieurs clairages dune mme ralit. Dans cette thse, la transdisciplinarit pourra gnrer certaines difficults de lecture, en particulier des aller-retour entre les donnes / rflexions / hypothses linguistiques et les donnes / rflexions / hypothses identitaires. Nous tenterons pourtant de multiplier ces mouvements, pour viter de nous enfermer dans une seule de ces deux faces de notre travail. Il ne faut donc pas envisager ces deux aspects paralllement lun lautre car cest dans leur mise en relation que cette tude trouve notre avis son intrt.

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Tout au long de ce travail, il reste quune question demeure transversale en dpit des diffrentes perspectives envisages : celle de la diversit50, que ce soit des pratiques linguistiques, des trajectoires sociales et scolaires ou des reprsentations des tudiants. Notre objectif sera en effet toujours de dgager des diffrences entre les tudiants, de les interprter, de les croiser et de les expliquer. Toutefois, il convient de remarquer avec Lahire51 que ce choix relve dj dune construction de notre objet : travailler sur la diversit de la population tudiante, cest rgler notre objectif sur une focale particulire. Celle-ci nous amnera non pas rechercher la spcificit de notre population par rapport aux non tudiants, mais rechercher les diffrences internes notre groupe. La focale de lobjectif sest attache cadrer le monde tudiant et ce sont donc les variations internes au monde tudiant qui ont t vises (). Mais que lon mette en uvre un principe de spcification (qui entrane vers la recherche des diffrences internes au monde tudiant) ou bien plutt un principe dagrgation (en insistant surtout sur la communaut de situation en forant les diffrences entre les tudiants et les autres ), limportant est de ne jamais oublier la construction qui est lorigine des interprtations et de ne pas placer dans la ralit ce qui tient la construction de lobjet .

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Cette remarque est importante, et nous verrons au dbut du premier chapitre comment ces deux points de vue celui qui met en uvre le principe de spcification ou celui qui met en uvre le principe dagrgation ont amen des rsultats diffrents et complmentaires. Mais ce qui est vrai ici pour notre point de vue sur la population enqute lest aussi pour lanalyse de la variation linguistique. Dire que les pratiques linguistiques des tudiants sont htrognes, cest focaliser son attention sur les diffrences internes ce groupe, sans se demander si les diffrences de pratiques entre nos tudiants sont plus ou moins importantes que les diffrences de pratiques entre les tudiants et les non tudiants, ou entre les tudiants de Rouen et de Marseille, de France et du Qubec. Cest sur ce point dailleurs que notre recherche se diffrentie de celle de Ledegen52 qui compare les productions des tudiants belges et tourangeons, les tudiants des facults et de lEcole Normale : ce qui distingue nos deux tudes nest pas un effet de la ralit mais bien une consquence de la construction de nos objets. Il convient dajouter que ce choix de focale opr, notre objet nest pas pour autant entirement construit. Dire que lon tente de mesurer lhtrognit implique encore que lon construise des axes de variation, et que lon dgage des catgories. De ce point de vue, notre objectif est denvisager lhtrognit sous diffrents aspects : la diversit des pratiques linguistiques dabord, ltude de leur variation, leurNous avons vu prcdemment que nous prfrions utiliser comme hyperonyme le terme de diversit, pour opposer les deux hyponymes htrognit et altrit. 51 Lahire Bernard, 1997, Les manires dtudier, La documentation franaise, Paris, p.9.50

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interprtation en termes de comptences sociolangagires et dattitudes ; ltude ensuite de la diversit des faons dtre tudiant . Considrant que toute description de la diversit conduit ncessairement elle aussi une construction de lobjet, qui passe ncessairement par une valuation / interprtation des diffrences et une catgorisation, nous tenterons chaque tape de notre travail de comparer et de discuter les diffrentes approches possibles. Cela nous amnera par exemple, en ce qui concerne la variation linguistique, opposer le traitement scolaire de la diversit au traitement linguistique de la diversit (chapitre 6).

Nous avons vu prcdemment comment les questions souleves dans cette introduction trouveront leur place dans notre travail. Il nous reste prsenter lorganisation densemble de notre texte. Dans la premire partie, nous exposerons le cadre thorique de notre recherche. Au fur et mesure de cette partie, nous dvelopperons galement notre problmatique, nos hypothses de travail, et nos choix dentre sur le terrain. Dans les parties 2 et 3, nous proposerons deux approches diffrentes de la diversit des tudiants. La partie 2 concerne lanalyse sociolinguistique des copies des tudiants, et considre successivement les notes obtenues (valuation par linstitution de la diversit), les pratiques linguistiques releves (valuation linguistique de la diversit), et la dtermination sociale de cette diversit. Dans la partie 3, ce sont les reprsentations des tudiants qui seront tudies, leur diversit, leur dtermination sociale ainsi que leur volution au cours de la premire anne duniversit. Notre ide est de terminer ce travail par une synthse et une mise en relation de toutes nos donnes : diversit des pratiques linguistiques, diversit des reprsentations, diversit sociale et russite en fin danne. Au dbut de chacune des trois parties, nous prsenterons lobjectif gnral et lorganisation de la partie. Nous prsenterons aussi souvent que possible des conclusions et des rappels de nos avances.

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Ledegen Gudrun, 2000, Le bon franais, LHarmattan, Paris et Ledegen Gudrun, 1998, Comptences, performances et attitudes linguistiques en milieu tudiant, Thse de doctorat (linguistique), Universit Franois Rabelais, Tours.

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Premire partie Cadre thorique et problmatique

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Introduction Chapitre 1 : Lhtrognit des tudiants : diversit sociale, diversit linguistique et chec universitaire Chapitre 2 : La diversit des tudiants : construction dun modle descriptif Chapitre 3 : Ecrire luniversit : valuer la diversit des pratiques Conclusion

Introduction Dans la premire partie de ce travail, nous nous attacherons prsenter le cadre thorique de notre recherche. Il sagira en particulier de dvelopper les questions de dpart exposes dans lintroduction gnrale, en nous inspirant des prcdents travaux qui ont t mens sur les tudiants, mais aussi sur lEcole, sur lcrit et sur la variation. Nous verrons que nos rflexions prendront diffrentes directions, afin de parcourir le champ dinterrogations souleves par notre terrain. Cela nous amnera aprs des dtours dans diffrentes disciplines construire une problmatique et des hypothses pluridisciplinaires. Dans le premier chapitre de cette partie, nous commencerons par prsenter le terrain de notre recherche en nous intressant la population que constituent les tudiants, et aux explorations prcdemment menes sur ce terrain. Ainsi nous aborderons successivement la question de notre population denqute, la question du lien entre pratiques linguistiques et russite scolaire, la question de la dtermination sociale des pratiques linguistiques et la question de la variation linguistique. Au cours de ces rflexions, nous serons surtout amene nous positionner dans notre discipline, dfendre nos choix thoriques et mthodologiques. Ce chapitre aura galement pour tche de recenser les diffrents travaux mens sur le terrain de luniversit et de la sociolinguistique scolaire. Notons toutefois que de trs bonnes synthses existent dans ce domaine, et que nous y renverrons le plus souvent. Le second chapitre de notre travail est beaucoup plus serr autour dune question thorique. Il sagira de creuser la notion daltrit dont nous avons suppos la pertinence pour dcrire le monde tudiant et les pratiques linguistiques universitaires. Nous inspirant en particulier de Landowski53, nous construirons une modlisation des positionnements daltrit luniversit. Cette modlisation sera ensuite exploite dans notre chapitre 3, le plus volumineux, dans lequel nous proposerons dtablir le lien entre variation linguistique, comptences sociolangagires et altrit. Cest dans cette dernire partie de notre expos que nous serons amene formuler notre problmatique et rassembler nos hypothses. Lobjectif de cette partie est donc daboutir un questionnement de recherche et un corps dhypothses que nous proposerons de tester dans les parties 2 et 3 de ce travail.

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Landowski Eric, 1997, Prsences de lautre, PUF, Paris.

chapitre 1 lhtrognit des tudiants : diversit sociale, diversit linguistique et chec universitaire

Comme nous lavons soulign dans lintroduction de ce travail, parmi les raisons invoques la crise, la dmocratisation de luniversit est sans doute celle qui assure le plus large consensus. Elle renvoie la fois la question des effectifs de cette dmocratisation (massification), mais aussi larrive de nouveaux publics , socialement diffrents des publics qui, jusquici, intgraient luniversit. Do le retour vers une question plus sociolinguistique : lhtrognit (croissante ?) des publics tudiants. Cest la question centrale de ce chapitre. Nous verrons en particulier comment les sociologues et les sociolinguistes lont traite sur le terrain de lcole et de luniversit (1.2). Ensuite, passant dune htrognit sociale une htrognit linguistique, nous dvelopperons la question de la variation linguistique et de ses interprtations (1.3). Dans ce chapitre, nous proposons donc de dcrire notre terrain de recherche et de recenser les tudes qui lont investi. Avant cela, il convient nanmoins de proposer une premire dfinition de notre population (1.1). Cela revient nous interroger sur les tudiants, nous demander si nous pouvons parler pour eux de groupe social, et si oui quel titre. Cela revient prolonger la question de la diversit, de lhtrognit et de lhomognit pose la fin de notre introduction gnrale. Il est noter que ce chapitre est le plus htrogne non seulement de cette premire partie, mais aussi de lensemble de la thse. Il sarticule en trois parties qui ont fait elles seules lobjet de monographies et dune littrature abondante. En dpit de cette htrognit des perspectives et des champs de recherche, il reste que tout ce dont il est question ici nous positionne dans notre domaine de recherche et nous ancre rsolument dans notre discipline, la sociolinguistique.

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1.1 Les tudiants : un groupe social ?Comme cela a t soulign dans lintroduction de notre travail, selon que lon sintresse la spcificit de la population tudiante par rapport la population non tudiante ou que lon sintresse la diversit interne la population tudiante, on adopte deux points de vue diffrents qui amnent construire diffremment son objet : on considre la population tudiante soit comme un groupe part entire, soit comme une srie de groupes distincts. La premire de ces approches se concentre sur les facteurs homognisants de la population tudiante, qui les distinguent des autres

Chapitre 1 : Lhtrognit des tudiants

personnes du mme ge qui ne sont pas tudiants, tandis que la seconde approche sintresse aux facteurs htrognisants lintrieur de cette population. 1.1.1 Facteurs homognisants Les facteurs homognisants de la population tudiante sont dgags laide dune vision tlescopique de la population tudiante, pour reprendre limage donne par Baudelot et alii54 cette vision sopposant une vision microscopique , qui porte sur la comparaison des tudiants les uns aux autres. Selon ces auteurs, cette perspective permet de dgager deux faits marquants : FAIT NUMERO 1 : les tudiants constituent, tous autant quils sont, une lite scolaire et sociale, fortement slectionne. FAIT NUMERO 2 : tous les individus qui constituent cette lite scolaire et sociale partagent, le temps de leurs tudes, un mode de vie et des conditions dexistence qui les opposent fortement aux non tudiants du mme ge : il existe bel et bien un statut tudiant .

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Ainsi deux phnomnes tendent homogniser ce groupe : le fait quils sont sortis du mme systme de slection, et le fait quils partagent un mode de vie comparable. Nous reviendrons dans ce chapitre sur la slection sociale opre par lcole, mais aussi en partie sur les conditions de vie des tudiants. Pour le moment, nous voudrions rapidement souligner que ces affirmations peuvent en partie tre tempres. En ce qui concerne le premier fait , il convient de noter que la particularit de luniversit, par rapport au secondaire ou au primaire, est de faire se retrouver sur les mmes bancs des tudiants que lenseignement secondaire a soigneusement spars : les bacheliers des sries scientifiques et littraires, les bacheliers gnraux et techniques et professionnels. Bien que, comme nous le verrons avec la question de lorientation, cette possibilit thorique ne se ralise pas pleinement, nous pouvons dire que si lon sen tient cet aspect, le public des amphithtres est thoriquement plus htrogne que celui des classes de terminale. Non seulement les tudiants conservent en partie les diffrences qui ont permis de les distinguer dans le pass, mais la frquentation de cursus scolaires distincts ne peut quavoir accentu leurs diffrences. En ce qui concerne le second fait expos par Baudelot et alii, les tudes sur la diversit des tudiants montrent que les modes de vie et les conditions dexistence sont loin dtre identiques, comme nous le verrons dans les facteurs htrognisants . Malgr ces rserves, ces deux facteurs nen constituent pas moins des lments dhomognit du groupe. Dune part, lhtrognit des cursus scolaires nempche pas le fait que tous les tudiants ont subi une forte slection scolaire. Dautre part, sil existe bien des diffrences de conditions de vie lintrieur de la population tudiante, elles peuvent savrer ngligeables par rapport aux diffrences de modes de vie entre54

Baudelot et alii, 1981, Les tudiants, lemploi, la crise, Paris, Maspro, p.58.

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tudiants et non tudiants : les diffrences au niveau microscopique peuvent tre moindres que les diffrences au niveau macroscopique. A ces deux facteurs, il convient dajouter que tous les tudiants ont en commun non seulement davoir eu la possibilit, mais aussi davoir fait le choix de poursuivre des tudes suprieures. Cela constitue un facteur dhomognit important, en particulier si lon ajoute que ce choix dorientation est socialement dtermin. Les tudiants ainsi sont non seulement homognes parce quils ont fait le mme choix, mais aussi parce quils ont en commun un certain nombre de caractristiques sociales qui les ont amens faire ce choix. Divers facteurs influencent en effet les choix dorientation, et en premier lieu des facteurs conomiques : malgr les bourses dtudes, les aides et les petits boulots, les parents ne peuvent pas tous offrir leurs enfants loccasion de suivre des tudes suprieures, ils ne peuvent pas tous leur donner les moyens de diffrer leur entre sur le march du travail 55. Mais la dtermination sociale des dcisions dorientation tient aussi linformation ingalement accessible par tous, la proximit gographique avec des lieux denseignement suprieur ainsi quaux rseaux de relations sociales il est certain que lorsque lon connat des tudiants ou des personnes qui ont eux-mmes suivi des tudes suprieures, on est mieux inform des avantages et des possibilits quoffre lenseignement suprieur. Sur cette question de lorientation, remarquons que la plupart des travaux adoptent une approche microscopique (voir par exemple le travail de Galland, infra p.30), en comparant entre eux les tudiants qui choisissent de poursuivre leurs tudes, et non en les comparant aux autres, cest--dire ceux qui ont choisi de ne pas tre tudiant. Il est donc difficile de dterminer en quoi ce choix les distingue des non tudiants. Mais dans le mme temps, il semble plus difficile encore de ne pas voir dans cette dcision un facteur dhomognisation du monde tudiant. Plus gnralement, pour dgager lensemble des facteurs homognisants du monde tudiant, il nous semble quil faut dcomposer la population laquelle on compare les tudiants. Si on les compare par exemple aux autres jeunes du mme ge qui ne sont pas tudiants, la particularit des tudiants est leur plus grande dpendance financire par rapport la famille, laquelle peut sajouter une dpendance matrielle logement, repas, dplacements voire morale soutien, conseils, etc. Dautre part, leur qualit dapprenants suppose quils sont sujets une valuation permanente, avec demande de rsultats. Etant en formation, ils sont sans cesse pousss progresser,

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Baudelot et alii, op. cit., p.61. Limportance des conditions financires dtudes a par ailleurs t souligne dans le rapport Dauriac paru en 2000 selon lequel 100 000 tudiants vivent en dessous du seuil de pauvret en France (le Monde du 15 fvrier 2000, article de Stphane Le Bars). Cette information, bien que qualifie de fantaisiste par le Ministre de lducation nationale (le Monde du 16 fvrier, dans un article de Stphane Le Bars), souligne limportance du soutien financier que doivent apporter les parents pour que leurs enfants poursuivent des tudes suprieures.

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samliorer. Leur situation est oriente vers un but, celui des diplmes. A linverse, les personnes du mme ge qui ne suivent pas dtudes suprieures sont dans une situation a priori plus continue et homogne. Un autre facteur dhomognisation des tudiants, qui les distingue des non tudiants du mme ge, est avanc par Erlich56 dans une synthse des travaux mens sur les tudiants. Cet auteur souligne en effet que les tudiants apparaissent homognes parce quils adoptent tous une culture jeune . Il existerait donc de ce point de vue une identit juvnile, une post-adolescence prolonge, par rapport laquelle dailleurs les tudiants font figure de rfrence. A ce critre, nous pouvons ajouter avec Erlich le fait que tous les tudiants se situent dans une situation transitoire, entre la vie scolaire et la vie professionnelle. Ils sont ainsi dans un entre-deux identitaire, et ont en commun de se savoir dans une situation temporaire, transitoire entre leurs tudes secondaires et leur vie professionnelle. Nous verrons dans nos analyses comment la notion de passage illustre en particulier ce phnomne (chapitres 7 et 9).halshs-00008367, version 1 - 5 May 2006

Mais les tudiants ne sont pas seulement opposer aux non tudiants du mme ge. En regardant ce qui les distingue des futurs tudiants cest--dire des lycens , nous pouvons dgager dautres particularits. Par rapport aux lycens, il nous semble que les tudiants sont amens se spcialiser. Si dans le secondaire les cursus sont varis, le fait que tous les baccalaurats mnent lenseignement suprieur diminue limportance et les enjeux de la spcialisation, et ce dautant plus que la majorit des tudiants vient de baccalaurats gnraux, dans lesquels il y a moins de spcialisation que dans les baccalaurats professionnels et techniques. Par ailleurs, les choix dorientation et donc les spcialisations sont surtout conditionns dans le secondaire par les rsultats, et dcids en grande partie par les enseignants. A luniversit au contraire, les tudiants choisissent librement, cest--dire selon leurs aspirations mme si nous le verrons, ces choix dpendent encore largement du cursus prcdent, et les tudiants choisissent le plus souvent la discipline quils russissent le mieux, sans que lon sache bien distinguer ce qui relve du got, de la motivation ou de la comptence. Toujours est-il que dans le systme universitaire, les apprenants sont davantage acteurs de leur orientation que dans le secondaire. Par rapport aux lycens, ils sont dans lensemble aussi plus autonomes. Ils entrent dans un vritable statut social, en particulier par lintermdiaire de la scurit sociale tudiante ; ils peuvent dclarer leurs revenus individuellement, ils ont droit des aides sociales et des rductions dans les transports ou les muses. Toutefois, il convient de remarquer que ces particularits les distinguent des lycens, mais pas des autres jeunes du mme ge, qui ont eux aussi accs un statut social. Mme en ce qui concerne les rductions, elles sont souvent soumises une limite dge (les rductions dans le bus Rouen par exemple), voire elles sont accordes tous les jeunes de moins de 25 ans

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(les rductions la SNCF par exemple). Ainsi du point de vue du statut social, si les tudiants se distinguent du reste de la population scolarise, ils se distinguent beaucoup moins nettement des autres jeunes du mme ge. Enfin, ce qui distingue les tudiants des lycens se situe dans lvolution de leurs enseignements : ils nont pas seulement des contenus plus spcialiss, mais ils sont aussi dispenss diffremment. Ce qui nous semble dterminant ici, ce ne sont pas tant les difficults dadaptation ces nouvelles pratiques pdagogiques, que les changements quelles produisent dans les rapports que les tudiants entretiennent avec le savoir, avec leurs enseignants et avec leurs tudes. De ce point de vue, il y a selon nous une vritable particularit des tudiants par rapport aux lycens. Toutefois, si lon en croit certains auteurs, cette rupture est nuancer : plusieurs crits dnoncent en effet la secondarisation de lenseignement suprieur 57 dans les premiers cycles universitaires, et laissent penser que les savoirs enseigns, et les conditions denseignement luniversit tendent se rapprocher de celles du lyce. Il conviendrait galement de distinguer sur ce point les facults des filires courtes telles que les IUT et les BTS58 ceux-ci, les BTS, tant mme dispenss dans les lyces. Malgr ces nuances, il nous semble quil existe bien une rupture entre le lyce et luniversit, parce que le mtier dtudiant nest pas rigoureusement identique au mtier dlve 59 : si ce nest dans les pratiques pdagogiques, cette rupture existe au moins dans les reprsentations des tudiants. Une partie de nos enqutes portera dailleurs sur ce point (partie 3). Il reste pour finir un critre qui nous semble distinguer les tudiants la fois des lycens, et des jeunes qui ne suivent pas dtudes suprieures. Ils acquirent tous en effet une culture universitaire , avec son vocabulaire, ses abrviations, ses territoires qui participe dailleurs du mtier dtudiant . Ils apprennent sorienter dans le systme, en connatre les rgles administratives de fonctionnement et les formalits dusage. Les divers fascicules et magazines destins aux tudiants chaque rentre universitaire offrent dailleurs une bonne illustration de cette culture . Dans lun dentre eux60, il tait propos pour les nouveaux inscrits un vritable lexique des termes tudiants : B.U. (bibliothque universitaire), fac (facult), ru (restaurant universitaire), mais aussi amphi (amphithtre), P.A.F. (Participation Aux Frais, cest-dire droit dentre dans les soires tudiantes). Ce type de glossaire est bien leErlich Valrie, 1998, Les nouveaux tudiants, Armand Colin, Paris, pp.19-21. Erlich, op. cit., p.21 ; Pollet Marie-Christine, Rosier Jean-Maurice, 1999, Le franais luniversit : contre le ftichisme langagier dans Le franais aujourdhui n125, mars 1999, luniversit, Revue de lassociation franaise des enseignants de franais (AFEF), Paris, p.64 ; Carpentier Alain, 1988, Le mal universitaire, Robert Laffont, Paris, p.48. 58 Nous prsentons rapidement ces filires dans le glossaire (p.439). 59 La formule de mtier dlve est emprunte Perrenoud (Perrenoud Philippe, 1994, Mtier dlve et sens du travail scolaire, ESF, Paris), qui a inspir Coulon pour le titre de son ouvrage (Coulon Alain, 1997, Le mtier dtudiant, PUF, Paris). 60 labcdaire de la fac dans Jeunes Nord-Ouest n46 (journal gratuit), septembre 1999, p.4-6.57 56

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signe quil existe une culture tudiante , laquelle il faut saffilier en particulier travers son jargon 61. En rsum, la question de lhomognit de la population tudiante est difficile arrter, en particulier parce que ce groupe entretient une proximit la fois avec la population lycenne, mais aussi avec la population des jeunes . Nous garderons nanmoins lesprit les critres relevs par Baudelot et alii, ainsi que le fait que tous les tudiants ont choisi de poursuivre dtudes et quils ont sadapter leur nouveau mtier dtudiant . Enfin, il convient de remarquer que lhomognit de ce groupe est difficile dgager parce que peu dtudes comparent cette population la population des non tudiants du mme ge. Cela tient sans doute au fait que les tudiants sont surtout vus par leurs enseignants, et par les chercheurs qui voluent dans ce milieu. Ceux-ci peuvent avoir une vision errone de la jeunesse quils rduisent ces seuls tudiants parce que tous les jeunes quils voient, dans leur vie professionnelle mais souvent aussi dans leur vie personnelle, sont effectivement des tudiants , sans se rendre compte quils peuvent tre trs diffrents de la population des jeunes qui ne poursuivent pas dtudes suprieures. 1.1.2 Facteurs htrognisants Les tudes sur lhtrognit des tudiants sont plus nombreuses que les prcdentes, et elle y apparat sous de nombreux aspects. Nous ne les dcrirons pas dans le dtail, cest--dire chiffres lappui, et nous nous limiterons pour lessentiel renvoyer aux tudes qui les dgagent. Parmi les aspects pris en compte pour mesurer lhtrognit du monde tudiant, nous relevons tout dabord la diversit des types dtablissements universitaires, en particulier travers la dnonciation dun systme deux vitesses , que souligne par exemple Establet62 : Les filires universitaires sont spcifies et hirarchises. A un extrme on trouve les galriens des classes prparatoires (). A lautre extrme, les prtendants des premiers cycles universitaires doivent se frayer un chemin dans lanonymat de lUniversit de masse et dans lanarchie bureaucratique (juste expression de Franois Dubet) avec laquelle les facults improvisent leurs missions nouvelles daccueil du grand nombre.

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Il y a donc bien une htrognit du monde tudiant qui tient aux types dtablissements. Si nous nous en tenons aux premiers cycles, nous avons ainsi les oppositions : slectifs (classes prparatoires, IUT, BTS) / non slectifs (facults),Alain Coulon (op. cit.) mesure dailleurs laffiliation des tudiants en premire anne duniversit partir de leur connaissance de ces termes. Nous verrons dans le chapitre 9 comment nous nous sommes inspire de ce moyen de mesure de laffiliation dans nos enqutes. A la fin de ce travail, nous proposons galement un glossaire qui reprend une partie des termes cits ici (p.439).61

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professionnel et/ou technique (IUT, BTS) / non professionnel (facults, classes prparatoires), mais aussi payant (coles de commerce ou dingnieur, classes prparatoires prives) / gratuit (universits). A chaque type dtablissement correspondent des pratiques dtudes et des modes de vie diffrents, qui vont du nombre dheures de cours hebdomadaires lexistence dun esprit de promo , des modes de restauration la frquentation des bibliothques. Notons que nous nous en tenons pour le moment souligner lexistence dune diversit interne la population tudiante, et que nous ne parlerons que plus tard des ingalits quelles peuvent traduire ou gnrer voir infra 1.2.1, p. 38. Il faut ajouter cette diversit une complexit administrative, puisque les classes prparatoires dpendent administrativement des lyces, tout comme les BTS, alors que les IUT et les facults dpendent des universits. Les coles de commerces et dingnieur forment des rseaux indpendants de luniversit. Pourtant toutes ces formations ont un point commun : elles dlivrent le statut dtudiant. Aux diffrences entre les systmes denseignement il convient dajouter les diffrences de disciplines : scientifique (mathmatiques, physique, biologie, informatique, chimie) / littraire (langues, lettres, philosophie) / Sciences humaines et sociales (histoire, gographie, psychologie, sociologie) / droit / sciences conomiques / mdecine / pharmacie / architecture / commerce / sciences et techniques des activits physiques et sportives (STAPS), auxquelles il conviendrait ventuellement dajouter les beaux-arts, la musicologie et lensemble des filires spcialises telles que lhorticulture, le tourisme, laudiovisuel Par ailleurs, les regroupements de disciplines ne sont pas constants, comme le montrent les diverses facults. A Rouen par exemple, les Sciences humaines sont avec les Lettres et les Langues (UFR de Lettres et Sciences humaines), et les Sciences sociales sont part (psychologie, sociologie et sciences de lducation). A chaque discipline correspondent nouveau des pratiques dtudes propres, qui peuvent tre parfois transversales aux types dtablissements. Cest ce que montre Lahire63 lorsquil oppose les tudes scientifiques et techniques et les tudes littraires au sens large : les tudes scientifiques et techniques ( forte prsence masculine, qui exigent moins de planification du travail personnel, qui se caractrisent par un faible usage de la bibliothque, un frquent usage des salles dinformatique, des pratiques de lecture faible lgitimit culturelle, des pratiques culturelles et des loisirs ludiques, corporels, permettant le dfoulement collectif et la participation festive) vs les tudes littraires au sens large (comprenant les tudiants de Droit et Sciences conomiques) ou restreint (Lettres et Sciences humaines et Prpas lettres) du terme selon les cas ( forte prsence fminine, qui exigent davantage une planification du travail personnel, qui se caractrisent par un frquent usage des salles

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Establet Roger, 1998, Prface dans Erlich, op. cit., p.12. Lahire Bernard, 1997, Les manires dtudier, La documentation franaise, Paris, p.160.

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dinformatique, des pratiques de lecture forte lgitimit culturelle et des pratiques culturelles et des loisirs srieux , cultivs ).

Mais le plus intressant dans cette opposition est la conclusion quil en fait : sil existe bien pour lui une htrognit des types dtudes, celle-ci doit davantage tre pense comme un ensemble de rapport de force entre les dfinitions de la culture et de lhomme cultiv , que comme de simples diffrences dhabitudes ou de gestion administrative. Par ailleurs, le choix des disciplines et des types denseignement est trs socialement dtermin, ce qui contribue superposer cette htrognit des pratiques disciplinaires une htrognit sociale. En effet, si aux diffrences de traditions propres chaque discipline, mesurables par exemple en termes de cursus, de modes dvaluation ou de pratiques documentaires, on ajoute les rgularits sociologiques de leurs candidats, il est possible dexpliquer en grande partie lhtrognit des pratiques dtude et des modes de vie des tudiants. A titre dexemple, nous avons vu que les filles sont majoritaires dans les disciplines littraires et minoritaires dans les disciplines scientifiques ou techniques, que les facults sont plus ouvrires et les classes prparatoires plus bourgeoises Ces diffrentiations sont les produits dune diffrentiation scolaire trs longue, o laccs certaines filires, les plus slectives ou celles qui sont payantes, est plus facile pour certaines catgories sociales que pour dautres. Pour autant, il ne faut pas y voir l un mode de reproduction sociale mcanique : les choix dorientation dpendent en effet de facteurs trs complexes qui ne relvent pas uniquement des trajectoires scolaires et sociales prcdentes. Parmi ces facteurs figurent par exemple des conditions matrielles (le lieu dhabitat des parents par exemple ou les possibilits de logement64), mais aussi des stratgies sociales diffrentes (choisir des tudes courtes ou longues pour Boudon suppose un investissement diffrent dans les tudes, des stratgies sociales distinctes65). Un autre facteur dhtrognit du monde tudiant se situe dans les diffrents cycles dtudes, qui opposent les premiers cycles universitaires, les filires courtes et les classes prparatoires aux seconds cycles et aux grandes coles. Si lon compare les tudiants selon ce critre, il apparat en effet quils ont des modes de vie et des pratiques dtude diffrents (Lahire66). Si ces diffrences sont en grande partie

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Galland Olivier (dir.), 1995, Le monde des tudiants, PUF, Paris, p.27. Raymond Boudon (1993 (1re d. 1977), Effets pervers et ordre social, PUF, Paris, p.76) montre en effet comment les choix pour des tudes courtes ou longues correspondent des stratgies diffrentes dinvestissement dans les tudes : en sinspirant de la thorie des jeux, il considre que schmatiquement, choisir des tudes longues, cest miser plus gros , parce que bien que lon ait peu de chances de sortir diplm, on gagne davantage si lon y russit : luniversit traditionnelle a lavantage considrable par rapport aux IUT doffrir non sans doute la garantie mais lespoir de rmunrations sociales suprieures ce que les IUT peuvent fournir . 66 op. cit.65

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imputables aux diffrences dge on vit par exemple plus souvent en couple en second cycle quen premier cycle parce que lon est plus g (Erlich67) , il nous semble que ce qui distingue les tudiants des diffrents cycles ne se rsume pas cela. En particulier, ce qui distingue les tudiants des seconds cycles, cest quils ont un diplme que ce soit un DEUG, un BTS ou un DUT68 ou bien une admissibilit pour les classes prparatoires qui constituent des signes de reconnaissance ils ont t reconnus comme candidats lgitimes la poursuite dtude. Finalement, tant que lon nest pas sorti avec succs du premier cycle, on se trouve en attente dune reconnaissance, on court toujours le risque de se voir exclure du monde de lenseignement suprieur, de ntre quun bachelier. Mme les slections lentre des classes prparatoires, des IUT et des BTS ne nous semblent pas signifier une vritable admission, mais davantage le droit la candidature. Dans le chapitre suivant, nous serons amene dvelopper cette ide, en partant comme nous le verrons de la notion daltrit que nous tenterons dappliquer au monde scolaire, et plus particulirement ce qui se passe dun point de vue identitaire pendant le premier cycle universitaire. En outre, en ce qui concerne les facults, la diffrence entre premiers et seconds cycles rside dans le fait que les premiers sont moins slectionns que les seconds. Nous pouvons donc supposer que les tudiants des premiers cycles sont davantage htrognes, parce quils nont pas encore incorpor la culture universitaire . Cest ce que soulignent Dejean et Magoga69 : () les tudiants ne doivent pas seulement acqurir des connaissances, des comptences, ils doivent aussi apprendre faire la preuve quils les possdent. Plus fondamentalement, ils doivent montrer quils sont devenus des pairs , quils ont incorpor les schmes de pense, les modles de rsolution et les pratiques propres la culture universitaire.

Tous ces facteurs dhtrognit les disciplines, les types dtablissements, les cycles dtudes , quil est impossible de dissocier, et qui sont tous lis une htrognit sociale au sens large en termes dge, de genre, dorigine socioconomique, dorigine gographique, etc. expliquent la diversit des manires dtudier (Lahire70) et des conditions de vie (Grignon71) des nouveaux tudiants (Erlich). Ces trois tudes ainsi que celle un peu plus ancienne de Galland72 ont soulign ainsi la diversit des types dhabitat, des liens entretenus avec les parents, de la frquence des sorties, des engagements politiques ou associatifs, des pratiques

op. cit. p.131. Nous dtaillons ces sigles dans le glossaire (p.439). 69 Dejean Karine, Magoga Emmanuelle, 2000, Matrise langagire et chec en premire anne duniversit communication au colloque Les pratiques dans lenseignement suprieur organis par lAECSE et le CREFI Toulouse du 2 au 4 octobre 2000, p.7. 70 op. cit. 71 Grignon Claude (dir), 2000, Les conditions de vie des tudiants, PUF, Paris. 72 op. cit.68

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culturelles, de lactivit salarie Elles ont toutes port sur lhtrognit interne la population tudiante. A lissue de ces rflexions, il apparat difficile de trancher entre homognit et htrognit, dautant plus que comme nous lavons dit, ce qui permet de dgager ces diffrents aspects tient davantage une construction de lobjet qu la ralit. Cest ce qui explique dailleurs que ces facteurs ne soient en rien incompatibles. Ce qui permettrait de trancher, ce serait de savoir si les diffrences internes sont plus importantes que les diffrences externes ou non. Cest la question que se posent Baudelot et alii73 : Poursuivre des tudes aprs le baccalaurat suffit-il pour constituer, au sein de notre socit, un groupe social rellement distinct de ceux qui nen poursuivent pas ? Sagit-il au contraire dune diffrence mineure, les divers tudiants sopposant davantage entre eux quils ne se distinguent des non tudiants ?

La solution rsiderait donc sans doute dans une double approche, dans la comparaison des facteurs internes et externes de variation. Toutefois, une telle enqute ne pourrait aborder la variation que selon certains critres pris sparment indpendance financire, rapport aux parents, frquentation des bibliothques, mais pas sur lensemble des facteurs, et sans que lon puisse dterminer a priori quel facteur est le plus pertinent pour mesurer lhtrognit : doit-on considrer que lindpendance financire est un critre plus important que le rapport au savoir, que les sorties ou les pratiques de lecture ? Le fait que nous travaillions sur la population des nouveaux inscrits en facult de Lettres et Sciences humaines pourrait nous permettre de sortir de ce dbat : aprs tout il sagit l dune population plus homogne que la population tudiante dans son ensemble. Mais raisonner ainsi serait ne pas tenir compte du fait que les mmes phnomnes de construction de lobjet se reproduisent aux diffrents niveaux de lanalyse. Si les tudes sur lhtrognit des tudiants ont montr la spcificit de ces tudiants par rapport aux autres, il suffirait de se concentrer sur les diffrences internes cette population pour trouver nouveau de lhtrognit. En rsum, nous retiendrons que la description et linterprtation de lhomognit / htrognit sociale de la population tudiante est incontournable pour qui sintresse ce terrain, et en particulier pour qui propose, comme nous le faisons, une approche sociolinguistique de ce terrain. Toutefois, il convient de prendre un certain nombre de prcautions importantes pour ne pas tomber dans les piges dune vision idologique ou restrictive de cette ralit sociale. En particulier, si la diversit du monde tudiant nest plus dmontrer, il reste quil faut continuer sinterroger sur les axes de variation les plus pertinents, sur les liens73

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op. cit., p.57.

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quentretiennent entre eux les diffrents facteurs de variation, et sur les effets quils produisent aussi bien sur les choix dorientation que sur la russite universitaire. A ce titre, il convient dajouter aux tudes cites prcdemment celles menes sur les reprsentations des tudiants, sur le rapport aux tudes et au futur, et plus gnralement su