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 DÉCRIRE, MESURER ET EXPLIQUER LE CONFLIT  Charles Tilly De Boeck Supérieur | Revue internationale de politique comparée 2010/2 - Vol. 17 pages 187 à 205  ISSN 1370-0731 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-int ernationale-de-politique-comparee-2010-2-page-187.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Tilly Charles, « Décrire, mesurer et expliquer le conflit », Revue internationale de politique comparée , 2010/2 Vol. 17, p. 187-205. DOI : 10.3917/ripc.172.0187 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.  © De Boeck Supérie ur. Tous droits réservé s pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.    D   o   c   u   m   e   n    t    t    é    l    é   c    h   a   r   g    é    d   e   p   u    i   s   w   w   w  .   c   a    i   r   n  .    i   n    f   o      U   n    i   v   e   r   s    i    t    é    P   a   r    i   s    8        9    3  .    9  .    2    5    2  .    2    3    6      2    4    /    1    0    /    2    0    1    3    1    8    h    5    9  .    ©    D   e    B   o   e   c    k    S   u   p    é   r    i   e   u   r D m e é é g d s w c r n n o U v s é P s 8 9 9 2 2 2 1 2 1 © D B S e

Tilly -Décrire le conflit

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Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 17, n° 2, 2010 187

DÉCR IRE , ME SURER E T E XPLIQ UER LE CONFLIT*

Charles TILLY

Il y a de cela bien longtemps, Otis Dudley Duncan et moi-même dirigionsdes centres rivaux, rattachés au département de sociologie de l’Universitédu Michigan. J’ignore ce que Dudley et ses collaborateurs pensaient vrai-ment de notre équipe, mais mes collaborateurs s’étaient fait leur proprevision idyllique de la vie dans l’autre centre. Depuis nos quartiers délabréssitués dans une ancienne école primaire sur la Packard Road, nous autresrésidents du Centre de Recherche sur l’Organisation Sociale (CRSO) voyionsnos voisins qui occupaient la splendide aile réservée au Centre d’Études surla Population de la South University comme des cousins riches et choyés.De temps à autre, un réfugié des études de la population venait nous dire quela vie disciplinée du beau château était moins attrayante que l’anarchiedigne mais appauvrie de notre centre. Nous étions aux anges évidemment !

J’accueillais ces réfugiés, parce qu’ils disposaient d’une bonne forma-tion théorique et n’avaient pas peur des chiffres, contrairement à bon nombrede nos propres recrues. Au CRSO, nous nous consolions en nous disant quenous nous spécialisions dans le désordre, tandis que les gens des études dela population se spécialisaient dans l’ordre. Notre stéréotype intéressé con-tenait même un fond de vérité : dans l’ensemble, les démographes du cam-pus basaient leurs explications sur l’agrégation de décisions rationnellesindividuelles qui s’inscrivaient dans des structures externes bien définies,tandis qu’en général, nous supposions d’emblée que le problème consistaità décrire et à expliquer l’interaction sociale, quelle que soit sa rationalité ouson irrationalité, et à montrer comment l’interaction créait des structuressociales.

* Cet article est la traduction française d’un texte publié précédemment en anglais sous le titre« Describing, Measuring and Explaining Struggle », inQualitative Sociology , volume 31, n° 1, 2008,p. 1-13 (numéro de licence : 2298331407750). Les graphiques et les tableaux ont été repris de la publi-cation originale et n'ont donc pu être modifiés. Par conséquent, les étiquettes ont été traduites et sontmentionnées en-dessous des graphiques et des tableaux.

DOI: 10.3917/ripc.172.0187

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Dans la mesure (limitée) où cet article contient une polémique, celle-cireflète cette ancienne rivalité. Elle repose sur le postulat que les modèlesinteractifs fournissent le fondement d’une meilleure description, mesure et

explication des processus sociaux. Toutefois, au lieu d’appliquer cet argu-ment aux processus démographiques, nous l’appliquons au conflit, et toutparticulièrement au conflit politique. Ma présentation se décline sur deuxniveaux, technique et théorique. Sur le plan technique, j’espère pouvoirmontrer qu’il est possible d’élaborer des descriptions et des mesures rigou-reuses du conflit politique. Et sur le plan théorique, j’espère pouvoir mon-trer que les modèles qui proposent des mécanismes et des processusinteractifs aboutissent à des explications différentes, et potentiellementmeilleures, du conflit politique.

À vrai dire, la polémique entre les modèles individualistes et les modèlesinteractifs se prolonge jusque dans le sujet de ma recherche. On peut sché-matiquement distinguer trois définitions du phénomène en question : la pro-testation, l’action collective et la contestation. Dans la notion de protestation ,la politique de la rue s’apparente à une expression de la conscience popu-laire, qui de temps à autre est source d’actions perturbatrices. L’action col-lective attribue à une population un certain intérêt partagé, si minime soit-il, et pose la question chère à Mancur Olson : « sous quelles conditions et

comment des populations coordonnent-elles leurs actions au nom d’un telintérêt ? »1 La notion decontestation met davantage l’accent sur la formu-lation interactive de revendications dans laquelle au moins une partieappelle à des actions qui pourraient avoir un impact, positif ou négatif, surles intérêts d’une autre partie. Comme on pouvait s’y attendre, ma discus-sion sur la description, la mesure et l’explication s’attardera sur mon alterna-tive préférée, c’est-à-dire la troisième. Mais la description des troispossibilités permettra de clarifier les enjeux intellectuels de cette discussion.

Les trois définitions ont des implications totalement différentes pour ladescription, la mesure et l’explication. Dans le domaine de la protestation,les chercheurs doivent décrire la conscience des acteurs perturbateurs,mesurer l’intensité à la fois de leurs sentiments et de leurs actions, et ensuiteexpliquer ces intensités en faisant référence à une association de motiva-tions et de contraintes environnementales. Les scientifiques qui s’intéres-sent à l’action collective doivent décrire les intérêts et les actions censéesservir ces intérêts, mesurer la portée et la forme que prend la coordinationentre les actions individuelles, et expliquer les liens entre les intérêts, les

actions et la coordination. De leur côté, ceux qui analysent la contestationdoivent décrire les interactions concernant les revendications collectivesétant donné qu’elles mesurent la portée de la formulation des revendica-

1. OLSON M.,The Logic of Collective Action , Cambridge, Harvard University Press, 1965.

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tions, de l’interaction et des résultats. Toutefois, ils doivent égalementexpliquer la boucle qui relie l’organisation sociale, les revendications, lesinteractions et les résultats, pour revenir ensuite vers une nouvelle organi-

sation sociale et de nouvelles revendications.Afin de souligner les problèmes méthodologiques qui nous concernent

ici au premier chef, je me permettrai d’éluder les vastes questions de l’épis-témologie et de l’ontologie qui ne manquent jamais de surgir lorsque l’oncompare les modèles individualistes, collectifs et interactifs des processussociaux2. De nombreux désaccords dans ce domaine, qui à première vuesemblent n’être que d’ordre méthodologique, résultent en fait de questionstelles que celle-ci : peut-on raisonnablement attribuer un caractère réel aux

entités collectives ? Une question ontologique fondamentale. En supposantrapidement que, dans certaines circonstances, nous ayons de solides raisonsphilosophiques d’adopter l’une de ces trois approches, alors que supposechacune d’entre elles sur le plan méthodologique ?

Si le conflit découle du résultat cumulé des consciences individuelles,une méthode appropriée pour l’étudier doit alors faire le relevé de cetteconscience au sein d’une population en lutte. Les chercheurs qui s’engagentsérieusement à relever ce défi ont le plus souvent recours à des interviewsdes participants à un événement majeur. Au cours des années 60, lorsque seconstituaient des commissions nationales dans le but d’étudier les causes etla prévention de la violence aux États-Unis, les chercheurs en sciences socia-les ont sauté sur l’occasion pour se joindre au débat public. Nombre d’entreeux ont mis l’accent sur la conscience individuelle. Dans ce domaine, PeterRossi a résumé les raisons du recours aux entretiens avec des participants,des membres élites et des populations en général au sein des collectivitésqui engendraient des révoltes de ghettos et d’autres événements violents : laquestion centrale qui se pose en termes de violence communautaire est de

savoir s’il s’agit ou non d’un phénomène dans lequel les principales diffé-rences entre communautés résident dans l’agrégation des caractéristiquesde chaque population, dans la nature de la composition ou dans les caracté-ristiques structurelles de la communauté. Il semble peu probable que la vio-lence communautaire ne revêtent qu’un caractère totalement structurel(comme les décisions d’abolir la ségrégation dans les systèmes scolaires). Ilest plus vraisemblable qu’elle soit principalement liée à l’agrégation despropriétés ou à la composition de la communauté, de même qu’à certainseffets structurels. Le principal raisonnement qui sous-tende cette hypothèses’explique par le fait que la violence communautaire est une forme de com-portement collectif, un phénomène susceptible d’être davantage lié aux

2. TILLY C., and GOODIN R., « It depends »,in GOODIN R. and TILLY C., (eds.),The Oxford Handbook of Contextual Political Analysis , Oxford, Oxford University Press, 2006.

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caractéristiques des agrégats ou des facteurs de composition qu’aux facteursstructurels3.

Dans ce contexte, le terme « comportement collectif » renvoie à desactions issues de la conscience partagée au sein des foules ou d’autres col-lectivités informelles. Rossi prônait des enquêtes qui faisaient apparaître lesphénoménologies de populations impliquées dans la violence. La mesure etl’explication se concentraient alors sur l’établissemen\t de corrélationsentre les caractéristiques de la population et les attitudes exprimées aprèsque la violence se soit produite.

La définition du conflit en termes d’action collective pointe dans unedirection méthodologique différente. Bien que les enquêtes et les entretiensintensifs puissent continuer à fournir des témoignages cruciaux, les cher-cheurs dans ce domaine s’efforcent d’identifier les motivations et les con-traintes plutôt que les motifs et les émotions. Les spécialistes de l’actioncollective se basent souvent sur un des deux outils suivants, voire les deux :l’observation participante et les études de cas comparatives. À titre d’exem-ple, l’analyse effectuée par Anthony Oberschall sur les révoltes de 1989 enEurope de l’Est se fonde sur la comparaison entre quatre pays : la Pologne,la Hongrie, l’Allemagne de l’Est et la Tchécoslovaquie. Il les compare par-ticulièrement en termes de structure d’opportunité politique, tant internequ’internationale. Selon Oberschall, les réformes ratées, l’érosion de l’auto-rité, l’illégitimité de l’État, les réformes parmi les alliés, les élites divisées,le « facteur Gorbatchev » et le succès de l’opposition parmi les alliés ontvarié en termes de timing et d’intensité parmi ces régimes, mais ont généra-lement favorisé l’action collective.

La mesure consiste alors à faire correspondre le timing et l’intensité dela rébellion, telle que décrite dans les récits analytiques, au timing et àl’intensité des changements de la structure d’opportunité : « Ce qui a changébrusquement et favorablement pour l’opposition populaire », écrit Obers-chall, « ce sont les aspects à court terme et internationaux de l’opportunitépolitique : le succès de l’opposition démocratique dans les partis-Étatsd’Europe de l’Est, les brèches dans le système d’alliance des États commu-nistes. Le régime polonais a permis l’organisation d’élections libres qui ontrévélé le faible attrait populaire du communisme, et les Communistes réfor-mateurs en Hongrie ont rompu la solidarité des régimes communistes enpermettant l’exode des Allemands de l’Est au cours de l’été 1989. Le succès

du mouvement populaire en Allemagne de l’Est a convaincu les Tchèques

3. ROSSI P.H., « Some Issues in the Comparative Study of Community Violence »,in CONANT R.and LEVIN M., (eds.),Problems in Research on Community Violence , New York, Praeger, 1969.

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et les Slovaques qu’eux aussi étaient capables de mener à bien une révolu-tion pacifique contre le communisme »4.

L’explication qui en découle : dans un contexte où les autres motivationset contraintes restent plus ou moins constantes, une structure d’opportunitépolitique changeante provoque l’action collective.

Même lorsque les spécialistes de l’action collective comme Oberschallrecourent à la comparaison, ils décrivent, mesurent et expliquent un acteurcollectif à la fois. Les récits interactifs de la lutte mettent davantage l’accentsur les transactions entre les participants. Dans cette tradition, deux métho-des apparemment antagonistes se sont imposées : d’une part, l’ethnogra-phie, y compris l’ethnographie historique, et d’autre part, les cataloguesd’événements5. Prenez, par exemple, l’étude approfondie des pillages enArgentine par Javier Auyero, qui débute par un catalogue d’événements,mais se termine par une ethnographie. En décembre 2001, en proie à unecrise économique nationale, les habitants de Buenos Aires et d’autres villesargentines ont commencé à pénétrer par effraction dans des magasins d’ali-mentation, emportant ensuite des charretées de marchandises. Auyero setrouvait aux États-Unis à l’époque, mais a rapidement décidé de rejoindreson Argentine natale pour observer de plus près ce qui était – et n’était pas –en train de se produire pendant ces pillages.

Par la lecture systématique des numéros de dix journaux locaux et régio-naux publiés sur une période de deux mois, Auyero a préparé un cataloguede 261 pillages, en y incluant les caractéristiques des lieux, des victimes etdes participants. Le croisement de ces événements a permis de dégager desrésultats très édifiants :– les supermarchés des grandes chaînes de distribution ont fait l’objet d’une

protection policière renforcée, ce qui a généralement dissuadé les pilleurs.

– les petits marchés locaux ont subi la majeure partie des pillages.– dans les zones où se trouvaient ces petits marchés locaux, la police étaitrarement présente et dissuadait encore plus rarement les pilleurs ; en fait,la police a même parfois participé ou tout au moins encadré ces pillages.

– dans ces mêmes zones, les médiateurs locaux du parti péroniste ont sou-vent orienté les pilleurs vers leurs cibles, en considérant parfois les mar-chandises comme une forme de faveur.

4. OBERSCHALL A., « Opportunities and Framing in the East European Revolts of 1989 »,inMcADAM D., McCARTHY J., and ZALD M., (eds.),Comparative Perspectives on Social Movements :Political Opportunities, Mobilizing Structures, and Cultural Framings , Cambridge, Cambridge UniversityPress, 1996, p. 121.5. TILLY C., « Event Catalogs as Theories »,Sociological Theory , 20, 2002, p. 248-254 ; TILLY C.,« Afterword : Political Ethnography as Art and Science »,Qualitative Sociology , vol. 29, 2006, p. 409-412.

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De nombreux chercheurs ne seraient pas allés au-delà, mais Auyero a con-sidéré ces résultats comme un simple point de départ. Il a ensuite étudiédeux des principaux sites des pillages à Buenos Aires et interviewé des

dizaines de participants et d’observateurs, y compris des propriétaires demagasins, des policiers, des médiateurs politiques, des habitants de cesquartiers et des pilleurs. Il a également analysé de nombreux films, dont cer-tains n’avaient pas été diffusés, qui retraçaient des épisodes de pillages. Surla base de ses découvertes, il a obtenu deux résultats essentiels : première-ment, un récit convaincant du processus par lequel les habitants de ces quar-tiers qui se connaissaient se sont joints aux pillages des cibles vulnérables(tout particulièrement les petits magasins locaux), et deuxièmement, uneidentification plus générale de la « zone grise » – selon l’expression de

Primo Levi – dans laquelle les supposés agents de contrôle social facilitentet tirent profit d’une activité illégale6.Dans son catalogue d’événements, Auyero a observé l’interaction assez

grossièrement, en prenant note de la co-présence ou de l’absence de diver-ses paires d’acteurs, mais non de leur communication moment aprèsmoment. Dans ses ethnographies, il est allé jusque dans les moindresdétails. Il a souligné le caractère et les conséquences de l’interaction entreles acteurs. Si l’on y met davantage de détails et qu’on les conçoit différem-ment, les catalogues d’événements permettent également de mieux com-prendre les processus interactifs. Voyons comment.

Comptages d’événements par type

Les catalogues d’événements ont souvent été au coeur des études empiri-ques du conflit politique7. Les gouvernements européens et américains ontcommencé à rassembler des rapports officiels sur les arrêts de travail dès lafin du dix-neuvième siècle. Depuis cette époque, les chercheurs intéresséspar les statistiques ont entamé des analyses quantitatives des conflits dansle monde industriel en se basant sur des données fournies par lesgouvernements8. Cependant, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondialeque les chercheurs qui s’intéressaient à d’autres formes de conflits ont com-

6. AUYERO J., Routine Politics and Violence in Argentina : The Gray Zone of State Power , Cambridge,Cambridge University Press, 2007.7. OLZAK S., « Analysis of Events in the Study of Collective Action », Annual Review of Sociology,15, 1989, p. 119-141 ; TILLY C.,op. cit. , 2002.

8. FRANZOSI R., « One Hundred Years of Strike Statistics : Methodological and Theoretical Issues inQuantitative Strike Research », Industrial and Labor Relations Review, vol. 42, 1989, p. 348-362 ;FRANZOSI R.,The Puzzle of Strikes : Class and State Strategies in Postwar Italy , Cambridge, CambridgeUniversity Press, 1995 ; HAIMSON L. and TILLY C., (eds.),Strikes, Wars, and Revolutions in an Inter-national Perspective : Strike Waves in the Late Nineteenth and Early Twentieth Centuries , Cambridge,Cambridge University Press, 1989 ; KORPI W. and SHALEV M., « Strikes, Industrial Relations and ClassConflict in Capitalist Societies », British Journal of Sociology , vol. 30, 1979, p. 164-187 ; KORPI W. and

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mencé à construire des bases de données parallèles pour les révolutions, lescoups d’État, les conflits internationaux, les guerres civiles et la violencecollective interne9. Pendant de nombreuses années, les chercheurs ont uti-

lisé ces bases de données soit pour expliquer les variations locales dansl’intensité des conflits, soit pour analyser les fluctuations dans le temps.Pour ce type d’analyses, la quantification simple des événements priscomme des tout était amplement suffisante.

En règle générale, les chercheurs qui se sont limités à de simples comp-tages n’ont accordé que peu d’attention aux interactions entre les partici-pants à ces événements. Certes, les chercheurs qui ont étudié les grèves ontdistingué les grèves deslock-outs , les grèves sauvages des grèves surprisesannoncées officiellement, et les interruptions de travail réussies de cellesqui ont échoué. De la même manière; les études de la violence collective onteu recours à des classifications en termes d’intensité (nombre de morts et deblessés, gravité des dégâts matériels) et de forme (combats de rue, manifes-tations violentes, soulèvements, et autres). Il s’agissait d’analyses reposantsur comptage d’événements par type pour lesquelles les croisements et lescorrélations fournissaient des informations sur la nature et les circonstancescaractéristiques de différents types de revendications.

Les chercheurs astucieux parviennent à inclure une ébauche de l’interac-tion dans les comptages d’événements par type. Signalons, par exemple,cette excellente étude récente qui est parvenue à identifier précisément lamanière dont la mobilisation nationaliste a permis de démanteler l’Unionsoviétique. En se concentrant sur la période cruciale allant de 1987 à 1992,le spécialiste des questions soviétiques Mark Beissinger et son équipe dechercheurs ont rassemblé une quantité impressionnante d’indices sur le con-flit soviétique et post-soviétique. Leurs catalogues d’événements comprenai-ent à la fois des manifestations relativement pacifiques et des confrontationsextrêmement violentes.

Éminent spécialiste de la politique soviétique, Beissinger voulait expli-quer la formidable montée du nationalisme séparatiste en Union soviétique

SHALEV M., « Strikes, Power and Politics in the Western Nations, 1900-1976 »,in ZEITLIN M., (ed.),Political Power and Social Theory , Greenwich, Conn., JAI Press, 1980 ; SHORTER E. and TILLY C.,Strikes in France, 1830 to 1968 , Cambridge, Cambridge University Press, 1974.9. CIOFFI-REVILLA C.,The Scientific Measurement of International Conflict. Handbook of Datasetson Crises and Wars, 1495-1988 , A.D. Boulder, Lynne Rienner 1990; RUCHT D., KOOPMANS R. andNEIDHARDT F., (eds.), Acts of Dissent : New Developments in the Study of Protest , Lanham MD, Row-

man and Littlefield, 1999 ; RULE J. and TILLY C., Measuring Political Upheaval , Princeton, Center of International Studies, Princeton University, 1965 ; SARKEES M.R., WAYMAN F.W. and SINGER J.D.,« Inter-State, Intra-State, and Extra-State Wars : A Comprehensive Look at their Distribution Over Time,1816–1997 », International Studies Quarterly , vol. 47, 2003, p. 49-70 ; TILLEMA H.K., International

Armed Conflict Since 1945 : A Bibliographic Handbook of Wars and Military Interventions , Boulder,Westview, 1991 ; TILLY C., « Methods for the Study of Collective Violence »,in CONANT R. andLEVIN M., (eds.),Problems in Research on Community Violence , New York, Praeger, 1969.

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après 1986. L’éclatement de l’Union avant 1991 fut la conséquence del’aboutissement des revendications d’indépendance d’une partie desanciennes républiques soviétiques. Beissinger aurait pu écrire une histoire

interprétative de l’ensemble du processus. Au lieu de cela, il a choisi de cen-trer son analyse sur deux grands catalogues d’épisodes s’étendant du débutde l’année 1987 au mois d’août 1991 : le premier contenait 5 067 manifes-tations protestataires ayant rassemblé un minimum de 100 participants, lesecond présentait 2 173 incidents aux cours desquels un minimum de15 participants s’en étaient pris soit à d’autres personnes, soit à des biens. Ila ensuite classé les événements violents en (a) émeutes ethniques, (b) vio-lence collective, (c) pogroms et (d) conflits ethniques. Beissinger a égale-ment élaboré des catalogues des grèves et des manifestations avant 1987,

mais a centré son analyse sur les deux grands fichiers. En préparant ces deuxcatalogues, Beissinger et ses collaborateurs ont consulté 150 sources diffé-rentes y compris des journaux en langue russe, des communiqués d’agencesde presse, des compilations produites par des dissidents soviétiques, despublications par des émigrés et des rapports publiés par des agences de ren-seignements étrangères.

En confrontant les catalogues à ses propres connaissances de la politiquesoviétique, Beissinger est parvenu à montrer comment les appels à desréformes internes de l’Union soviétique ont fait naître les revendicationsd’autonomie régionale et d’indépendance, sans qu’elles n’aboutissent tou-tes, loin de là. Les revendications d’indépendance rapidement abouties despopulations de l’Estonie et de l’Arménie ont encouragé un grand nombred’autres républiques à exprimer les leurs et ont accru la violence à mesureque les revendications infructueuses confrontaient leurs auteurs à la concur-rence et à la répression. Une fois que ces républiques soviétiques commen-çaient à se rapprocher de l’indépendance grâce au soutien étranger, lesdirigeants des nationalités reconnues officiellement en Union soviétique se

sont mis à exprimer leurs revendications d’autonomie ou d’indépendance.La figure 1 décrit les changements mois après mois entre 1987 et 1992.Ce processus initialement pacifique s’est rapidement radicalisé et enve-

nimé. En principe, on aurait pu assister à un cycle simple : une URSS décen-tralisée aurait pu accorder une autonomie partielle à un certain nombre denationalités reconnues officiellement, les incorporer à sa structure de gou-vernement, réprimer les demandeurs les plus indisciplinés et menaçants, etrevenir à une version revue et corrigée du fonctionnement soviétique tradi-tionnel. À un certain moment, c’est exactement ce que Mikhaïl Gorbatcheva tenté de faire, mais il n’y est pas parvenu. Au lieu de cela, quinze nationsont obtenu leur indépendance totale, d’autres ont acquis des droits dont ellesn’avaient jamais joui sous le régime soviétique, et ce que Beissinger désignesous le terme de « vague de nationalisme » a émergé. Dans la foulée, lerégime connu comme l’Union soviétique a disparu.

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Fig. 1 : Manifestations et événements violents en Union soviétiqueet dans les États indépendants de l’ex-Union soviétique, 1987-1992

(Source : données fournies par Mark Beissinger)10

Abcisses : années (1987-1992).Ordonnées : Nombre cumulé d'événements.Séries :- Violent events : événements violents ;

- Demonstrations : manifestations.

Beissinger explique le déroulement des événements comme la consé-quence d’un cycle politique modifié : en moyenne, les « premiers arrivés »ont obtenu quelques avantages ou se sont démobilisés pacifiquement. Enrevanche, ceux qui se sont acharnés malgré des échecs antérieurs ou sontentrés en lice en retard ont été confrontés à une résistance accrue et ontexprimé de plus en plus clairement leurs revendications, provoquant ou favo-risant ainsi la violence. Lorsque le programme des retardataires se centrait surl’autonomie ou l’indépendance politique, la violence devenait plus fréquente,chez les acteurs situés des deux côtés. La figure 1 montre clairement l’aug-mentation de la proportion d’événements violents par rapport aux manifes-tations pacifiques tout au long du cycle.

Associés à une connaissance approfondie du contexte, les comptagessimples d’événements par types permettent alors d’obtenir des indices cru-ciaux sur les interactions au sein même de processus politiques majeurs. Lescatalogues d’événements de Beissinger ne permettent cependant pas d’effec-tuer deux opérations essentielles : (1) observer de l’intérieur des épisodesisolés afin d’analyser les rapports entre les acteurs, les actions, les interac-

10. BEISSINGER M., Nationalist Mobilization and the Collapse of the Soviet State , Cambridge, CambridgeUniversity Press, 2001.

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tions et les revendications conflictuelles ; (2) examiner précisément lamanière dont un épisode influence le suivant.

Cartographie des conflits politiques en Grande-Bretagne

L’identification des interactions politiques au moyen des catalogues d’évé-nements nécessite des efforts techniques vigoureux mais indispensables.Ma propre contribution remonte à l’époque de Dudley Duncan. Sur unepériode d’environ 10 ans, j’ai collaboré avec les groupes de recherche del’Université du Michigan et de la New School for Social Research (FacultéNouvelle de Recherche en Sciences Sociales) afin de rassembler un vastefaisceau de preuves sur les actions, les interactions, les performances, lesrépertoires et leurs contextes en Grande-Bretagne dans la période allant de1758 à 1834. Nous avons inventé une série de procédures qui permettaientà nos chercheurs, avec un ordinateur central, de converser, de stocker devastes résumés de fichiers corrigés manuellement dans une base de donnéesrelationnelle, et d’extraire des informations à partir ou au sujet des rassem-blements contestataires selon une variété quasiment infinie de méthodes11.Nous avons donné à notre projet le nom de Great Britain Study (Étude de la

Grande-Bretagne).Le principal ensemble de données que nous avons produites comprenddes descriptions lisibles par ordinateur pour 8 088 rassemblements contesta-taires (RC) qui ont eu lieu dans le Sud-est de l’Angleterre (Kent, Middlesex,Surrey ou Sussex) au cours des 13 années choisies entre 1758 et 1820, ou par-tout ailleurs en Grande-Bretagne (Angleterre, Écosse et Pays de Galles, maispas en Irlande) entre 1828 et 1834. Dans cette étude, un RC représente unévénement au cours duquel un minimum de dix personnes se sont rassem-blées dans un endroit accessible au public et ont clairement exprimé desrevendications qui, si elles aboutissaient, auraient un impact sur les intérêtsd’au moins une personne à l’extérieur du groupe. En principe, les RC englo-bent pratiquement tous les événements que les autorités, les observateurs oules historiens de l’époque auraient qualifiés d’« émeutes » ou de « troubles »,auxquels on peut ajouter ceux qui figureraient dans les catégories intitulées« réunion publique », « défilé » et « manifestation ».

Nos descriptions standardisées des RC proviennent de publicationspériodiques : Annual Register, Gentleman’s Magazine, London Chronicle,

Morning Chronicle, Times, Hansard’s Parliamentary Debates, Mirror of Parliament et Votes and Proceedings of Parliament ; nous avons fait une

11. SCHWEITZER R. and SIMMONS S., « Interactive, Direct-Entry Approaches to ContentiousGathering Event Files »,Social Science History, vol. 5, 1981, p. 317-342.

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lecture exhaustive de ces publications pour les années concernées ainsi quepour la période de janvier à juin 1835. Bien que nous ayons fréquemment con-sulté à la fois les travaux historiques publiés et les sources d’archives telles

que les documents du Home Office (Ministère de l’intérieur britannique) afind’interpréter nos indices, les descriptions lisibles par ordinateur ne repre-naient que le matériau issu des publications périodiques. Nous n’avons pasessayé d’identifier chaque événement pour lequel nous disposions d’informa-tions, ni même de rassembler un échantillon représentatif de ce type d’événe-ments. En revanche, nous avons réalisé une énumération complète desévénements décrits dans les publications périodiques traditionnelles dontnous avons pu examiner, voire parfois tester, les principes de sélection.

Notre groupe à la Perry School de l’Université du Michigan a créé unesorte de chaîne d’assemblage : un chercheur scannait les publications pério-diques pour y trouver les rapports d’événements que nous pourrions choisir,un autre rassemblait ces rapports pour en faire des dossiers de RC qui cor-respondaient à nos critères et de RC qui n’y correspondaient pas, un troi-sième chercheur transcrivait manuellement ces rapports sur des formulairesd’encodage préliminaire, un rédacteur vérifiait chaque résumé, la personnesuivante encodait le matériel en langage informatique, et ainsi de suite jusqu’à l’introduction d’une entrée complète dans la base de données. Detoute évidence, nous ne pouvions pas simplement automatiser cette chaîned’assemblage comme certains analystes des fils de presse y sont presqueparvenus12. En moyenne, nous disposions de 2,6 comptes-rendus tirés denos publications périodiques pour chaque RC, ce qui signifiait que nousdevions souvent reconstituer des récits incomplets et parfois arbitrer desdésaccords sur des aspects tels que le nombre de participants. Nous avonségalement consacré énormément de temps à la recherche d’obscurs topony-mes dans des index géographiques et de patronymes dans des chroniques oudes dictionnaires biographiques. De temps à autre, les transcripteurs com-mettaient des erreurs. Les rédacteurs avaient pour mission de les détecter.En un mot, il a fallu énormément de travail consciencieux et intelligent pourproduire ces transcriptions fidèles, bien que réduites, de nos sources.

La description lisible par ordinateur d’un RC identifie chaque action iso-lée effectuée par n’importe lequel des participants et la situe dans l’ordrechronologique de l’épisode en question. Parmi d’autres caractéristiques, ladescription d’une action comprend un verbe (qui est généralement reprisdirectement de la source du compte-rendu) caractérisant l’action, le nom dela personne ou des personnes qui effectue(nt) cette action et (pour environ

12. BOND D., IDEA : Integrated Data for Events Analysis, 2006 : www.vranet.com/idea/ (accessedJanuary 17, 2007) ; SCHRODT P. A., Twenty Years of the Kansas Event Data System Project, 2006 :www.ku.edu/~keds (viewed January 17, 2007).

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la moitié de tous les verbes qui ont un objet) le nom de la cible de l’action.Les transcriptions ont recours à 1 584 verbes différents. J’ai regroupé cesdifférents verbes en 46 catégories majeures et, pour répondre à certains

objectifs, en 8 catégories très larges : attaquer, négocier, contrôler, termi-ner, rencontrer, (se) déplacer, soutenir, et autres. J’ai également regroupéles noms des acteurs individuels provenant des sources décrivant les événe-ments en 62 catégories, destinées à la fois à identifier les acteurs les plusfréquents (par exemple, les groupes d’habitants locaux, les tisserands ou lapolice) et à regrouper les acteurs moins fréquents en fonction de la simili-tude des postes qu’ils occupaient dans la politique publique britannique (parexemple, militants politiques, ouvriers ou fonctionnaires municipaux).

À l’exception des données simples telles que la date, le jour de lasemaine et les noms des comtés, les dossiers ne contiennent pas de codesdans le sens traditionnel de ce terme. En général, nous avons transcrit lesmots des textes ou (lorsque cela n’était pas possible) les paraphrases de cesmots. Prenez, par exemple, les noms des formations : au lieu d’encoder lesnoms donnés aux formations dans des catégories larges, nous avons trans-crit les mots utilisés dans nos sources. Par exemple, la transcription de cha-que action englobe le nom de l’acteur, un verbe caractérisant l’action et(dans les quelque 52 % de cas dans lesquels il y avait un objet) le nom del’objet. Nous avons donc adopté une forme grammaticale simple pourreprésenter l’interaction : sujet, verbe et objet.

La figure 2 présente les comptages annuels simples des RC pour lesquatre comtés de la région de Londres. L’augmentation spectaculaire dunombre d’événements après 1811 résulte de la combinaison d’un effet lié àl’information rapportée, et d’une transformation majeure du conflit. Pourautant que je puisse l’affirmer sur la base des comparaisons détaillées avecles sources locales et les historiens locaux, notre dépendance vis-à-vis des

périodiques nationaux s’est traduite par l’introduction dans nos cataloguesdu 18e siècle d’une plus faible proportion d’événements locaux – particu-lièrement de conflits sociaux. Mais le volume lui-même des revendicationspubliques a littéralement explosé après les guerres napoléoniennes, àmesure que se relâchait la répression que l’État avait instaurée en temps deguerre. Au même moment, des formes de conflits à caractère clairementlocal, tels que les luttes au sujet des terrains communaux et les rivalitésentre corps de métiers ont cédé le pas à des revendications au niveau natio-nal. Par conséquent, les périodiques de Londres ont commencé à accorderde plus en plus d’attention aux conflits quel que soit l’endroit où ils se pro-duisaient.

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Fig. 2 : Rassemblements conflictuelsdans la région de Londres, 1758–1834

Abcisses : années (1758-1834).Ordonnées : nombre de RC.

Parmi d’autres changements politiques majeurs, se produisait un proces-sus que l’on peut nommer la « parlementarisation ». Si l’on observe ce pro-

cessus de haut en bas, on constate que le Parlement et ses membres sontdevenus des acteurs politiques nettement plus centraux et autonomes enGrande-Bretagne qu’ils ne l’avaient été pendant la plus grande partie d’undix-huitième siècle fortement marquée par les pratiques du patronage. Lacouronne, la famille royale et la noblesse dans son ensemble ont perdu unepart significative de leur influence et de leur rayonnement. Si, en revanche,on l’observe de bas en haut, on note que les requêtes directes au Parlementsoit par des membres individuels, soit par l’entremise de la législature dansson ensemble sont devenues beaucoup plus fréquentes parmi la populationbritannique ordinaire. Au cours du dix-huitième siècle, les citoyenss’étaient régulièrement fiés à leurs protecteurs et à des intermédiaires, telsque les propriétaires terriens, les pasteurs et les fonctionnaires municipaux,pour aplanir les différends qu’ils ne parvenaient pas à régler eux-mêmes.

La figure 3 montre la fréquence avec laquelle soit le Parlement (c’est-à-dire la Chambre des Communes et la Chambre des Lords), soit un député fai-sait l’objet d’au moins une revendication au cours des RC d’une même annéesituée entre 1758 et 1834. On a assisté à un renforcement spectaculaire durôle central du Parlement en termes de revendications en Grande-Bretagne :on est passé de moins de 10 % de l’ensemble des RC au cours des années 1750et 1760 à nettement plus de 40 % au cours des années 1830. (En 1801, onassiste au principal écart par rapport à la tendance générale, la combinaisond’une crise alimentaire et d’une répression accrue du gouvernement ont

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provoqué la réduction du nombre de réunions publiques et de requêtes auParlement). À cet égard au moins, on peut affirmer que la parlementarisa-tion était clairement en marche.

Il convient d’accorder une attention toute particulièrement à deux chan-gements qualitatifs dans les revendications adressées au Parlement. Toutd’abord, les citoyens ont cessé de demander aux notables tels que les pro-priétaires terriens et les magistrats d’intervenir en leur faveur auprès du Par-lement et ont commencé à adresser leurs revendications directes à la foisaux députés et au Parlement dans son ensemble. De ce point de vue, la désac-tivation temporaire des limites a réduit l’importance de la distinction entre leshumbles résidents locaux et les citoyens influents à l’échelle nationale.

En second lieu, la réunion publique ordonnée au cours de laquelle lesparticipants votaient des résolutions et adoptaient des pétitions est large-ment devenue le moyen habituel d’adresser des revendications au Parle-ment. Il existe une forte corrélation entre les fluctuations année après annéedans la fréquence des réunions publiques ayant servi de contextes à des RCet la courbe des formulations de revendications au Parlement présentée à lafigure 3. En outre, ces réunions englobaient une large gamme de questions,de groupes et de revendications. Avant les années 1830 est apparu enGrande-Bretagne un exercice modulaire de formulation de revendications :la réunion publique officielle à thème unique annoncée à l’avance. Au coursdes années 1830, ce mode de fonctionnement a dominé le processus de for-mulation des revendications contestataires. Cela signifiait que le mode etl’effet de la négociation entre les citoyens et les autorités publiques avaientirrémédiablement changé.

Les changements constatés dans la combinaison des verbes utilisés entre1758 et 1834 renforcent encore ces deux conclusions. Parmi nos grandescatégories de verbes, certaines n’ont que peu fluctué d’une année à l’autre,et n’ont indiqué aucune tendance particulière. À titre d’exemple, les verbesque nous avions classés dans la catégorie Soutenir incluaient les sous-caté-gories s’adresser, acclamer, recevoir et soutenir, qui à leur tour englobaientdes verbes tels que admirer, aider, applaudir, approuver, acquiescer, assis-ter, avouer, supporter, porter et acclamer. Les verbes de la catégorie Soute-nir apparaissaient généralement dans environ un tiers des RC d’une annéedonnée. Le minimum de 10 % est apparu lors des troubles de 1768 et lemaximum de 44 % dans les années 1820, lorsque de nombreux Londoniens

contestataires ont pris d’assaut les rues de la ville pour acclamer la reineCaroline alors pressée de toutes parts parce qu’elle s’était séparée du nou-veau roi George IV.

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plus semblables d’un bout de la Grande-Bretagne à l’autre. Comme je l’ai sug-géré plus haut, le déclin de la catégorie Autres indique que les formes spécifi-quement locales d’interaction cédaient peu à peu le pas à des manifestations

standardisées, et beaucoup plus orientées vers des problèmes nationaux.

Fig. 4 : Principales catégories de verbes dans les rassemblementsconflictuels en Grande-Bretagne, 1758-1834

Abscisse : années (1758-1834).Ordonnées : Pourcentage de tous les RC présentant des verbes de la catégorie.Séries :- Attack : attaquer ;- Control : contrôler ;- Meet : rencontrer ;- Other : autres.

En conséquence, la catégorie Rencontrer a augmenté plus régulièrement

que les catégories Attaquer et Contrôler n’ont diminué en dépit de baissesbrusques en 1789 (violence de rue généralisée), en 1801 (autres violencesde rue y compris de résistance au recrutement militaire) et en 1830 (la célèbrerévolte des agriculteurs du Captain Swing dans le Sud-est de l’Angleterre).Avant les années 1820, les verbes de la catégorie Rencontrer apparaissaientrégulièrement dans les trois-quarts, voire davantage, des RC d’une mêmeannée, et supplantaient donc les catégories Attaquer, Contrôler et Autres.L’ère de la réunion publique relativement bienséante présentant des requê-tes aux autorités nationales était arrivée.

Le marchandage acharné n’a pas pour autant disparu. La figure 5 illustrele fonctionnement de la catégorie de verbes de négociation, qui comprendles catégories de verbes communiquer, décrier, délibérer, négocier, s’oppo-ser et demander. Ces verbes se sont produits à l’intérieur comme à l’exté-rieur étant donné qu’ils arbitraient l’accord et le désaccord. La figure 5

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rassemble les 11 années situées entre 1758 et 1811 et les compare avec lestrois années allant de 1832 à 1834 afin de proposer des nombres relative-ment égaux de RC pour cette comparaison. La période de 1758 à 1811 a fait

passer la Grande-Bretagne de la guerre de Sept Ans aux guerres napoléo-niennes. Comme les revendications adressées au Parlement à la figure 3l’indiquent, elle a également fait passer le régime par une première phase deparlementarisation. La seconde période tombe essentiellement aprèsl’adoption du Reform Act (Loi de Réforme) (juin 1832), et illustre les effetsdes mobilisations sans précédent à l’égard du Parlement entre 1830 et 1832.

Fig. 5 : Paires sujet-objet fréquentes pour le marchandage

dans la région de Londres, 1758–1811 et 1832–1834(Fréquentes = au moins 1 % de toutes les paires sujet-objet)

Le schéma présente les paires sujet-objet les plus fréquentes dans lesrevendications de marchandage au cours des deux périodes (« Plus fréquen-tes » signifie qu’elles représentaient au moins 1 % de toutes les revendicationsde ce type au cours de la période). Les deux tableaux montrent des systèmestrès différents de formulation de revendications. Au cours de la première

LexiqueRoyalty : famille royale MP : députésChurchwardens : marguilliers Freeholders : propriétaires fonciersMayor : maire Weavers : tisserandsInhabitants : résidents Mob : fouleLocal official : fonctionnaires locaux Crowd : fouleAldermen : conseillers municipaux Trade : corps de métierCommon council : conseil municipal Deputation : délégation

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période, les acteurs que les sources ont identifiés comme des résidentslocaux ou simplement comme des foules ont effectivement adressé desrevendications à des membres de la famille royale ou à des députés, surtout

en exprimant des requêtes lorsque l’une ou l’autre de ces personnes appa-raissait en public, par exemple, lors d’un défilé vers le Parlement. Mais aucours de la période de 1758 à 1811, deux réseaux de marchandage séparésfonctionnaient. L’un d’entre eux s’appuyait sur les affaires publiques locales,les habitants adressant régulièrement leurs revendications aux marguilliers,aux fonctionnaires, aux conseillers municipaux et au conseil municipal tandisque le maire, le shérif et les propriétaires fonciers jouaient également un rôledans la vie publique. Le second réseau impliquait davantage de politique de larue, étant donné que les acteurs que les sources appellaient les tisserands,« quelqu’un » ou une foule marchandaient fréquemment avec les troupes, tan-dis que les foules adressaient également leurs revendications à des juges ou àdes « personnes », les personnes adressaient des revendications à des individusdésignés, et ces mêmes individus s’en adressaient entre eux. Dans l’ensemble,le premier tableau présente une version très locale du marchandage.

Dès la période 1832-1834, la parlementarisation avait visiblement pro-duit ses effets. Certes, les foules, le peuple, les individus désignés et les juges marchandaient toujours entre eux, avec des membres des corps de

métiers ou des pauvres qui se joignaient à eux. De même, les habitants, lesfonctionnaires municipaux, les marguilliers, les conseillers municipaux etles propriétaires fonciers continuaient eux aussi à négocier. Mais une trèsgrande part des conflits de marchandage était à présent dirigée vers lasphère nationale, les députés, le Parlement et les ministres du gouvernementdevenant peu à peu les objets de ces revendications. (Notez que les mem-bres de la famille royale ont perdu leur ascendant à mesure que le Parlementse déplaçait vers le centre de l’échiquier et obtenait davantage de pouvoirs).En termes pratiques, les Britanniques qui à cette époque avait une revendi-cation à adresser aux instances du pouvoir national avaient régulièrementrecours à des réunions publiques, dans lesquelles ils débattaient des problè-mes, avant de publier leurs revendications sous la forme de résolutions, depétitions, de déclarations publiques, voire par l’envoi de délégations.

Ces analyses simples ne donnent pas toute la mesure du fascinant pro-cessus par lequel la parlementarisation a transformé la nature de la politiquepublique britannique entre les années 1750 et les années 1830. Elles nementionnent pas, par exemple, les entrepreneurs politiques – les courtiers –qui apparaissaient régulièrement dans les RC, établissant des liens entre lesgroupes qui partageaient les mêmes revendications ainsi qu’entre lesacteurs locaux et les acteurs nationaux. Le courtage pèserait très lourd dansn’importe quel compte-rendu intégral de la parlementarisation de laGrande-Bretagne, de même que d’autres mécanismes interactifs tels que les

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8/13/2019 Tilly -Décrire le conflit

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Décrire, mesurer et expliquer le conflit 205

déplacements de limites, la certification, la diffusion et la répression (Annexe Bde Tilly et Tarrow)13.

En tant qu’approche de la description, de la mesure et de l’explication duconflit politique, l’ensemble des techniques développées pour le GBS(Étude de la Grande-Bretagne) présente l’avantage de la polyvalence. Detoute évidence, cette étude se prête à l’analyse formelle des réseaux de rela-tions entre les acteurs politiques14. Elle se combine facilement avec l’his-toire narrative profondément ancrée dans son contexte15. Vu qu’elle produitdes comptages d’événements par type, elle offre un matériel approprié pourles analyses géographiques et les analyses des séries chronologiquestraditionnelles16. Toutefois, l’accent qu’elle met sur la formulation publiqueet collective des revendications signifie qu’elle soulève également des ques-tions sur l’organisation en coulisses, la collusion gouvernementale ou lasubversion et la communication idéologique parmi les participants, ques-tions qui nécessiteraient d’apporter des indices qui dépassent le cadreméthodologique de cette étude. En un mot, cette approche apporte un début,et non une fin, à l’analyse interactive du conflit politique.

13. TILLY C. and TARROW S.,Contentious Politics , Boulder, Paradigm Publishers, 2006.14. FRANZOSI R.,From Words to Numbers : Narrative, Data, and Social Science , Cambridge, CambridgeUniversity Press, 2004 ; TILLY C., « Parliamentarization of Popular Contention in Great Britain, 1758-1834 »,Theory and Society, 26 , 1997, p. 245-273 ; TILLY C. and WOOD L., « Contentious Connections in GreatBritain, 1828-1834 »,in DIANI M. and McADAM D., (eds.),Social Movements and Networks : Relational

Approaches to Collective Action , New York, Oxford University Press, 2003 ; WADA T., A Historical and Network Analysis of Popular Contention in the Age of Globalization in Mexico , Unpublished doctoral disser-tation in sociology, Columbia University, 2003 ; WADA, T., « Event Analysis of Claim Making in Mexico :

How are Social Protests Transformed into Political Protests ? », Mobilization , 9, 2004, p. 241-258.15. Par exemple, STEINBERG M.,Fighting Words : Working-Class Formation, Collective Action, and Discourse in Early Nineteenth-Century England , Ithaca, Cornell University Press, 1999 ; TILLY C., Popular Contention in Great Britain, 1758-1834 , Cambridge, Harvard University Press, 1995.16. SCHWEITZER R. and TILLY C., « How London and its Conflicts Changed Shape, 1758-1834 »,

Historical Methods, 5 , 1982, p. 67-77 ; TILLY C., « Parliamentarization of Popular Contention in GreatBritain, 1758-1834 »,Theory and Society , 26, 1997, p. 245–273.

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