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Tornade chez les flambeurs - Numilog

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Tornade chez

les flambeurs

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DU MÊME AUTEUR

MORT AUX TÉNORS !

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S É R I E N O I R E sous la direction de Marcel Duhamel

G E O R G I U S ( J o B a r n a i s )

T o r n a d e c h e z

l e s f l a m b e u r s

G A L L I M A R D

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris la Russie.

© Librairie Gallimard, 1956.

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PREMIERE PARTIE

La Simca grand sport, immatriculée 8736-AB-75, venait à peine de sortir de Paris, par la Porte d'Italie, que quelques gnards, postés sur les trot- toirs, se mirent à faire des signes au conducteur.

C'était le coup classique de l'auto-stop. Oui, mais le propriétaire de la bagnole ne sem-

blait pas disposé à faciliter ce petit manège. La cigarette aux lèvres, l'œil fixé devant lui, il

avait adopté un petit quatre-vingts pépère, sans même jeter un coup d'œil sur les bas-côtés de la route.

Il était blindé sur ce genre de sport. « Avec le coup de l'auto-stop, on ne sait jamais

ce qui vous attend. » C'est ce que semblait se dire ce chauffeur impas-

sible et insensible au coup du pouce-balancier. On pouvait être assuré qu'il ne se laisserait

attendrir ni par un curé, ni par un militaire, ni par une vieille femme, ni par une vamp aux cuisses nues.

Qui sait si, sous ces déguisements, il n 'y a pas un malfrat qui attend sa victime.

Le propriétaire de la Simca était un homme d'une cinquantaine d'années. Tempes grises, face rasée et un peu boursouflée... L'air d'un artiste qui va prendre sa retraite ou d'un maître d'hôtel qui a fait sa pelote.

On était au mois d'avril, un samedi. Il faisait

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beau. La nationale 7 était assez encombrée. Jus- qu'à la déviation de Villejuif, une bonne demi- douzaine de gaillards essayèrent encore d'attirer son attention, avec le geste classique : « Vous allez par là? »

Il ne leur fit même pas l'aumône d'un regard. Après Orly, la route devint plus libre. Les stop-

pistes disparurent. L'homme n'accéléra pas pour autant... Et voilà, qu'à l'entrée de Ris-Orangis, il dut freiner subitement.

A l'autre bout du village, une grande camion- nette avait accroché un camion d'essence. La route était obstruée.

Des gendarmes essayaient de rétablir la circula- tion tandis que d'autres verbalisaient.

C'est alors que la fille vint frapper à son carreau. Une drôle de gosse. Gentiment fringuée. Un

petit chapeau coquin sur le crâne, des gants noirs aux paluches. Pas du tout le genre tapin ou clo- charde.

Avec ça un minois de première. Une belle petite gueule de souris parisienne, cheveux châtain foncé, yeux noirs et brillants, un bout de nez re- troussé, des boucles d'oreilles en or ou... simili-or. Enfin, quoi, rien de la paumée.

— Vous allez du côté de Fontainebleau? qu'elle lui demanda.

— Oui, mademoiselle... — Ça vous ennuierait de me déposer dans cette

ville? On aurait pu croire qu'il allait répondre par un

grognement. Qu'il allait continuer sa route. Pas du tout. Et c'est bien la preuve qu'on est tous taillés sur

le même modèle, qu'on est incapables de se tenir rigides dans une ligne de conduite. C'est lui qui a ouvert la portière et lui a dit :

— Montez. La gosse s'est installée à son côté. Tout de suite, l'œil du gars s'est éclairé. On sen-

tait qu'il se faisait des idées... Rien d'étonnant. Ce conducteur, c'était mézigue :

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Jo Barnais, connu aussi sous le pseudo de Jo-le- Baryton. Toujours aussi sensible aux charmes fémi- nins... Surtout ceux des vingt piges... Toujours aussi cavaleur.

La route était déblayée. Je suis reparti. Dolce, dolce... sans appuyer sur le champignon. J 'a i quand même failli accrocher un petit bon-

homme qui regardait le numéro matricule de ma bagnole.

La poupée semblait nerveuse. Fallait la rassurer. J 'ai entamé la converse. Je me suis présenté. — Jo Barnais, artiste. Ce mot « artiste », ce que ça peut en faire baver

des poupées ! Je l 'ai encore constaté dans les yeux de la mignarde qui m 'a souri avec complaisance.

— Je vous connais, qu'elle m'a dit. Ça triplait mes chances. — Je vous ai applaudi à l 'Alhambra. C'était gagné. A moi de savoir jouer. Là-dessus, j 'ai commencé à lui expliquer que je

me rendais à Dijon pour y chanter, dans un gala, le soir même, que j 'avais l ' intention de déjeuner en route que... peut-être, si elle allait plus loin que Fontainebleau, il ne fallait pas qu'elle se gêne pour me le dire, et, que, le cas échéant, nous pour- rions tortorer ensemble.

Je m'étais fait vachement persuasif et câlin. — Non, c 'est pas possible, qu'elle m'expliqua.

C'est à Fontainebleau que je vais. Pas ailleurs. Elle ajouta : — Moi aussi, j 'ai fait un peu de théâtre. Tiens! Une collègue? Je l'ai regardée avec plus

d'attention. Bien sûr. Elle avait une gueugueule mignonnette qui pouvait lui permettre de jouer les soubrettes ou encore les petites gonzesses futées à la recherche d ' u n protecteur sérieux et plein aux as.

Tout de suite, vicelard, j 'ai voulu savoir : — Où ça? — A dire vrai, qu'elle m'a affranchi, je n 'ai fait

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qu 'une semaine dans un cabaret. Au Jockey. Un tour de chant. Vous connaissez?

— Evidemment ! E t pourquoi, une semaine seu- lement?

— Pour un tas de raisons. D'abord, ça déplaisait à mon père que je chante dans une boîte de nuit. J 'aurais fait de la comédie, il m 'aura i t laissée, mais le cabaret, il n 'aimait pas ça...

Elle ajouta : — J'avais accepté cette affaire pour me familia-

riser avec le public, mais c'est vraiment difficile de se faire entendre et respecter par tous ces clients qui viennent pour s 'amuser et, souvent, pour y chercher une petite femme.

Tiens, tiens... Pas bête, la gosse. E t un tantinet de distinction. Je suis allé mollo pour commencer. J 'a i pas voulu la brusquer. . .

Je lui ai demandé son prénom. — Danielle, qu'elle m'a soufflé. Pour ce que j 'avais à foutre de son blaze de fa-

mille, je n 'a i pas insisté pour le savoir. Pourtant , Fontainebleau allait bientôt m'appa-

raître. Pas de temps à perdre si je voulais poser ma candidature.. . tenter ma chance.

Négligemment, deux coups de suite, j 'ai laissé traîner ma main et je lui ai frôlé la cuisse.

Elle s 'est éloignée chaque fois pour me faire comprendre qu'elle ne tenait pas à pousser nos rela- tions plus loin.

Je réfléchissais. J 'avais bien envie, en pleine forêt, de lui faire le coup de la panne. Puis, je me disais que la môme n 'étai t quand même pas de la dernière couvée et qu'elle me laisserait choir si j 'employais ce truc classique.

Alors, je me suis décidé au grand jeu. — Vous êtes ravissante, que je lui ai balancé, et

je bénis mon étoile q u i m'a fait vous rencontrer aujourd 'hui .

C'était pas mal envoyé. E t a v e c l ' intonation. Rien d'extraordinaire. J 'avais répété la même phrase pendant trois cents représentations lorsque je jouais le rôle de l 'aviateur amoureux dans la

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Croisière tragique, opérette en deux actes et vingt tableaux de Pierre Revenne et de Maurice Vilain.

Mais la pépée ne semblait pas émue de cette dé- claration.

Elle dégageait un parfum subtil et de bon aloi qui commençait à me tourner la tête et à me don- ner des idées vachement troubles.

Déjà nous avions dépassé Corbeil. Les pre- mières frondaisons de la forêt s 'ouvraient devant nous. Fallait se dépêcher. J 'a i freiné subitement. Elle a semblé inquiète. J 'ai vu comme une lueur de panique dans ses yeux. Tout de même, que je me suis dit, je ne vais pas jouer au satyre. C'est pas mon genre.

— J 'arrête, que je lui ai envoyé aussitôt, pour vous demander de payer le prix de votre course.

E t comme elle semblait étonnée. — Un baiser, que j 'ai ajouté... Décidément, j 'étais très fleur bleue. — Quand vous me déposerez dans le centre de

la ville, qu'elle me répliqua. Son ton sec m'avait laissé comprendre que je

pouvais me l 'accrocher pour la bagatelle. Bah ! Pas de quoi se suicider. C'est ce que je pensais, avec philosophie, en reprenant ma route, pépère.

Par deux fois, elle s 'était regardée dans mon ré- troviseur pour remonter une mèche rebelle. Chaque fois, j 'avais jeté un coup d 'œil sur sa belle petite gueule de vache et chaque fois, j 'avais lu une sorte de terreur dans son regard.

« C'est pas possible que ce soit moi qui lui foute la pétoche », que je me disais.

Une troisième fois, elle se pencha vers moi pour se reluquer encore dans la glace.

Je la vis devenir toute pâle. — Vous ne pouvez pas aller plus vite? qu'elle

me lança soudain, avec angoisse. Aussi sec, je compris qu 'on avait que lqu 'un à

nos trousses, quelqu 'un qu'elle ne tenait pas à rencontrer.

C'est alors que j 'ai, à mon tour, regardé dans le rétro.

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Une grosse bagnole, jaune clair, était à cent mètres de nous. Elle arrivait en bolide.

— Vous n'avez rien à craindre, que j 'eus encore le temps de lui lancer.

Oh la la !... Est-ce que je pouvais savoir? C'est moi qui allais déguster. Il y avait deux mecs à bord de la Buick. Celui

qui conduisait et l 'autre, qui se tenait penché par la portière avec un pétard entre les pognes.

J 'a i pas eu le temps d 'en voir davantage. J 'ai entendu plusieurs petits coups secs en même temps que la gosse poussait un grand cri. C'est un coup de pot que j 'aie eu le réflexe de couper le contact. Mes pneus arrière venaient de claquer. J 'ai freiné violemment. J 'aurais pas dû. La bagnole a fait un tonneau complet. J 'a i vu arriver un poteau en ci- ment. Impossible de l'éviter. La voiture est entrée dedans avec un gros boum. J 'a i senti la main de la môme qui me pinçait le bras jusqu 'au sang. E t elle a gueulé.. . gueulé.. .

J 'a i défoncé le pare-brise avec mon crâne. J 'a i ressenti un choc formidable dans les côtes et, ouf, j 'a i glissé dans les nuages les plus opaques.

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J 'a i jamais tant apprécié une belle paire de draps blancs bien propres, que lorsque je me suis réveillé dans la clinique de Fontainebleau.

Paraît que j 'étais resté deux jours dans la vase. Possible. Je ne me souvenais plus de rien. Ce que j 'ai pu constater, à mon réveil, c 'est que

j 'avais un sale goût dans la bouche, un turban sur le cassis et les côtes serrées dans une bande Velpeau.

A mon chevet une bonne grosse bouille d'infir- mière qui guettait mon réveil.

J ' a i mis un bout de temps à récupérer, à me souvenir.

J 'a i d 'abord ouvert un œil... puis l 'autre. La dame en blanc m'a fait un beau sourire. — Alors? Nous voilà réveillé? A la bonne heure.

Le docteur Granger va être content. Ne bougez pas trop. Je vais le prévenir.

E t la voilà qui se trotte. Tou t était confus dans mon crâne... J 'arr ivais

pas à me rappeler. Le docteur m'est apparu, à son tour, avec un visage ouvert et bon enfant.

— Alors, cher artiste, c 'est comme ça que vous comptiez donner votre représentation de retraite?. . . Quelle idée !

Un petit plaisantin, ce toubib. — Que s'est-il passé, docteur?

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Il a souri, gentiment, et m 'a affranchi. — Ces chocs à la tête sont les plus terribles. Je

vois que vous n'avez pas encore éliminé les effets de la commotion. Je vais vous aider à vous souvenir. Voyons. Vous étiez bien à bord de la Simca 8736-AB-75? Vous êtes bien Jo Barnais? L'artiste? De son nom de famille Joseph Beauharnais?

Par un simple mouvement des paupières, je lui ai fait comprendre que tout cela était de notoriété publique.

— Quelle idée de voyager sans papiers d'iden- tité ! Sans le numéro matricule de votre voiture, nous aurions été incapables de découvrir votre nom.

— Sans papiers? que j 'ai murmuré. — Mais oui, sans papiers, sans permis de

conduire, sans carte grise. Ce n'est pas raison- nable. Juste quelques pièces de monnaie, dans la poche de votre pantalon. Pas d 'argent? Voyons, monsieur Barnais, vous n'êtes pourtant pas un mal- heureux? A moins que, aussitôt après l 'accident, vous n'ayez été la victime d 'un ignoble individu qui vous ait dévalisé...

— Ça m'en a tout l 'air, que j 'ai répliqué faible- ment.

Là-dessus, un grand voile s 'est déchiré et j 'ai revécu les péripéties de mon aventure.

J 'a i attendu qu'il en dise davantage avant de lui fournir mes explications.

— Lorsque vous nous avez été amené ici, je vous ai cru perdu. Plaie profonde à la tête, deux côtes fracturées. Mais non. La plaie à la tête n 'étai t que superficielle, beaucoup de sang pour pas grand'chose, continua-t-il en souriant. Une très forte commotion. Dans hui t jours, vous serez sur pied. Une légère convalescence et il n 'y paraî- tra plus. Seulement, il vous faudra être prudent si vous rachetez une voiture...

— Pourquoi racheter? Ma Simca est si abîmée? — Dites qu'elle n 'est plus qu 'un amas de fer-

raille ! « Merde ! Je ne suis pas assuré tous risques.

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Cette journée d'auto-stop va me coûter cher », que j 'ai gambergé.

En même temps que cette réflexion surgissait dans mon crâne, subitement, j 'ai évoqué la petite gazelle qui m'avait mis dans le pétrin. Sans le savoir... Sans le vouloir... j 'osais l 'espérer.

Le docteur a dû lire ce qui se passait dans mon cerveau. Il m 'a pris la main pour m'annoncer une sale nouvelle.

— Il faut que vous ayez du courage, mon cher artiste...

— Docteur, vous me faites peur. . . — Non ! votre femme n 'est pas morte; soyez

rassuré. Mais elle est très atteinte. Ma femme? Où c'est qu'il avait été chercher ça? Il continua d 'un ton paterne : — Je vous ai dit que ces commotions à la tête

étaient toujours les plus graves. Ou c'est la fracture du crâne, avec trépanation et ses conséquences, ou c'est le choc cérébral pouvant entraîner l 'amnésie ou la folie. Encore une fois, ne vous alarmez pas prématurément. Votre femme est encore sous le coup de ce violent traumatisme. A part sa luxation de l 'épaule, elle a très peu souffert. Il n ' y a que sa tête qui me cause beaucoup d'inquié- tudes.

Je ne l 'ouvrais pas... Je me demandais ce qui allait encore me tomber sur le colback.

— Votre petite femme, qu'il continua, tout à son sujet, ne se souvient même pas de son prénom. Il est impossible de la faire parler. Elle prononce des mots incompréhensibles. Je suppose qu'avec un choc en retour on peut, on doit lui faire recou- vrer ses esprits. J 'at tendais avec impatience que vous soyez en état de comprendre pour vous mettre en présence. Je pense qu 'en vous reconnaissant, elle reprendra contact avec la réalité et avec la vie.

J 'étais on ne peut plus abruti. Qu'est-ce que c'était que cette salade?

Le toubib, décidément très loquace, continuait à me raconter sa petite histoire.

— On n 'a pas idée, qu' i l reprit, de voyager l ' un

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et l 'autre sans aucune pièce d'identité.. . Votre femme n'avait donc pas de sac?

— Je ne me souviens plus, que j 'ai murmuré. Je ne voulais pas trop me mouiller. J 'avais le

temps de raconter mon aventure. Là-dessus, le toubib a sonné l'infirmière. — Donnez une bonne tasse de bouillon à M. Bar-

nais... Je vais aller voir si sa femme est réveillée. Il m 'a laissé avec la bonne grosse qui m 'a tendu

un bol. En vérité, j 'en ai englouti le contenu en moins

de deux, comme si ça avait été un bon pastaga. — Vous deviez aller trop vite, m'a insinué la

garde. La porte du fond s'est ouverte et, sur un fauteuil

roulant, ma poupée stoppiste m'est apparue. Elle avait le bras en écharpe. Sur le crâne, deux ou trois croix d'albuplast. Les

yeux dans le vague, un sourire indéfinissable, par- faitement idiot. Genre innocent du village. L'infir- mière qui poussait le fauteuil l 'a amenée jusqu 'au pied de mon lit. Le docteur suivait.

Il surveillait attentivement les réactions de la môme.

Ça m 'a fait tout drôle de la revoir. Malgré son œil égaré, elle avait quand même une be l l e petite frimousse de musaraigne qui lui valait les circons- tances atténuantes pour le pétrin dans lequel elle m'avai t fourré.

— Prenez-lui la main et parlez-lui un peu, me conseilla le toubib.

Je lui ai agrippé la menotte et j 'ai murmuré : — Danielle... Heureusement que son prénom m'était revenu à

la mémoire, Va te faire foutre... Elle n ' a pas bougé d ' u n

poil. J 'ai continué : — Danielle, ma chérie, tu me reconnais, tu te

souviens de notre accident? C'est sans conviction que je lui balançai ce

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vanne... Je voyais bien qu'elle ne pigeait rien et qu'elle était partie au pays des rêves.

— Heu. . . Heu. . . qu'elle a fait. Puis, au bout d ' u n instant : — Papa.. . Papa.. . — Elle appelle son père, m 'a dit le docteur. — C'est son genre, que j 'ai dit, flegmatique. — Vous devriez essayer de l 'embrasser, me con-

seilla le docteur. Tiens! bonne idée... Ce sera toujours u n petit

remboursement pour la casse. Il l 'a penchée vers moi. Je me suis levé sur un

coude et lui ai refilé une de ces bises bien tendres dont j 'ai le secret.

Lèvres froides, regard indifférent... Elle n ' a pas réagi davantage.. . Plus de doute, la poupée était dingue.

— On va attendre demain, m 'a encore dit ce bon docteur qui se grattait le crâne, un peu dépassé par les événements. Je pense que, dans la soirée, vous serez en mesure de regagner votre domicile. Vous la garderez près de vous quelques jours... Si vous voyez que sa raison ne revient pas, vous la conduirez à un de mes confrères dont je vous don- nerai l 'adresse et que je contacterai avant votre départ.

J 'a i été sur le point de lui raconter mon aven- ture, de lui expliquer que la gosse n 'étai t rien pour moi.

E t puis, j 'ai résolu d 'a t tendre le lendemain. Après tout, moi aussi j 'avais reçu un coup sur le crâne... Il m'était bien permis d 'avoir des absen- ces... Pas vrai?

J 'a i hoché la tête en signe d'acquiescement. — Au revoir, Danielle... L'infirmière a poussé le fauteuil vers la sortie. Je n 'a i plus entendu que : — Heu.. . Heu. . . Papa.. . papa... E t je suis resté seul avec le docteur. Il m 'a pris la main avec beaucoup de compas-

sion. — Je ne pense pas que ça dure. Patience, mon

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ami... Dans un mois, peut-être avant, vous retrou- verez votre jeune femme aussi alerte, aussi vive que lorsque vous l'avez connue.

Pour m'éviter de tomber dans la voie des confi- dences, j 'ai fait semblant de tomber de sommeil.

— Dormez, mon cher artiste, qu' i l m 'a encore dit, avant de me quitter. Vous avez besoin de beaucoup de courage pour les jours qui vont suivre... Bonsoir...

Il est parti sur la pointe des pieds. Beaucoup de courage pour les jours à venir? I l ne croyait pas si bien dire.

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Le lendemain matin, je me suis réveillé très tôt. J 'avais mal dormi. E t si peu ! Mes idées, cependant, s 'étaient éclaircies.

J'avais, tout d 'abord, essayé de revivre la scène de l 'accident. J 'avais revu, très distinctement, le vi- sage d 'un des deux tueurs qui poursuivaient la gosse. Face jaune et ridée. Des cheveux très noirs.

C'était celui qui avait tiré. Pourtant , je ne l 'avais entr 'aperçu qu 'une se-

conde. Mais c 'est vrai que, dans les instants de danger, on enregistre avec plus d 'acuité les moin- dres détails et les physionomies.

J 'avais fait mon petit recoupement. Les gars de la Buick avaient dû s 'arrêter un ins-

tant. Le temps de faucher mon portefeuille et mon porte-billets et de s 'emparer du sac de la saute- relle qui m'avait stoppé.

Que cherchaient-ils? Que voulaient-ils? D'où venaient-ils?

Ils avaient dû faire vinaigre. La route est assez fréquentée.

Première solution : informer le toubib? Lui expliquer ma rencontre? D'après ce qu' i l m'avai t dit, il croyait à un accident et non à un attentat. C'est donc qu' i l n ' y avait pas de traces de balles sur la carrosserie? Les pneus, uniquement, avaient pris la rafale de pruneaux. Je pouvais très bien

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le laisser dans l ' ignorance et attendre mon retour à Paris pour aviser.

Dans ces conditions, deuxième hypothèse : la boucler. Laisser aller. Ramener ma pseudo- femme dans mon petit studio de la rue de l 'Etoile. . . E t puis? Je ne me voyais pas faisant joujou avec une cinglée. Aussi jolie soit-elle.

J 'étais bien embarrassé. Finalement, je me suis décidé à dire la vérité.

A huit heures, la porte de ma chambre s'est ou- verte, avec précaution, et la bonne gueule réjouie de ma grosse infirmière s'est avancée dans l'en- trebâillement.

— A la bonne heure, qu'elle m'a fait, en me voyant les yeux grands ouverts et sifflotant un mambo.. . Vous voilà complètement remis d'aplomb. Je vous apporte votre petit déjeuner.

Elle est ressortie un instant et est revenue en poussant devant elle une table roulante, sur la- quelle il y avait un de ces chocolats fumants, comme je les aime.

J 'a i repris goût à la vie. — Puisque vous êtes en bonne santé, je vais

vous donner votre courrier. — Mon courrier? que j 'ai dit ébahi. Qui peut

bien m'écrire ici? Personne ne sait que je suis dans votre clinique.

— Détrompez-vous, qu'elle m'a renvoyé, votre accident a donné lieu à des échos dans tous les journaux. Vous savez bien que les journalistes sont à l 'affût de tout ce qui concerne les artistes.

— E t alors? — Alors? Mais dès votre arrivée ici — où vous

avez été transporté par un routier, à bord de son camion, celui-là même qui vous a découverts — dès votre arrivée, disais-je, nous avons reçu un coup de téléphone d 'un monsieur qui nous a de- mandé de vos nouvelles et s 'est inquiété de l 'état de votre petite femme...

Ma femme? Encore.. . En v'là marre. La bonne grosse continua : — Je vais vous laisser tranquille jusqu'à la

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GEORGIUS (Jo Barnais)

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