Traduction Juridique Aspects

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    LES ASPECTS THORIQUES ET PRATIQUES DE LA TRADUCTION JURIDIQUE

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    LES ASPECTS THORIQUES ET PRATIQUES DE LA TRADUCTION JURIDIQUETable des matires

    2.1 Introduction2.2 Lapproche pragmatique en traduction juridique2.3 Le fondement pistmologique de la traduction juridique2.3.1 Le caractre normatif ou contraignant du texte juridique2.3.2 La langue du droit2.3.3 La diversit des systmes juridiques2.3.4 La documentation dappui la traduction2.3.5 Lapproche pluridisciplinaire de la traduction juridique

    2.4 La culture juridique et son importance en traduction2.5 Typologie des textes juridiques et responsabilit du traducteur2.6 La formation du traducteur juridique2.7 Le sens par linterprtation du texte2.7.1 Lanalyse smantique2.7.2 Lanalyse syntaxique2.7.3 Lanalyse grammaticale2.7.4 Lanalyse lexicale2.7.5 Lanalyse stylistique2.8 Lambigut dans les textes juridiques2.9 Les procds de traduction2.9.1 Lemprunt2.9.2 Le calque2.9.3 La traduction littrale2.9.4 La transposition2.9.5 La modulation2.9.6 Ladaptation2.1 IntroductionLa traduction juridique pose des problmes qui lui sont propres. On peut certainementaffirmer la mme chose dautres domaines de traduction. Toutefois, la traduction dans ledomaine du droit prsente des caractristiques quaucun autre domaine de spcialit ne

    prsente, et ce, en raison des lments sociaux, linguistiques, culturels, mthodologiques etnotionnels qui interviennent dans ce domaine.

    Le droit tant un phnomne social, le produit dune culture, comme lnonce Gmar, ilacquiert dans chaque socit un caractre unique. Comme nous le verrons plus tard, chaquesocit organise son droit ou son systme juridique selon la conception quelle en a et selon lastructure quelle veut se donner. De ce fait, le discours du droit est porteur dune dimensionculturelle qui se reflte non seulement dans les mots ou les termes propres un systme

    juridique, mais aussi dans la faon de les exprimer[112].

    Le droit a comme caractristique davoir un lien trs troit avec la langue qui le vhicule.

    Cette caractristique distingue la traduction juridique de la traduction dans dautres domainesde spcialit. Certes, chaque domaine de spcialit a un vocabulaire qui lui est propre.

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    Toutefois, le droit a comme particularit de se servir de la langue comme vhicule etvoie[113] dexpression; les textes constituent son principal outil et son principal objet.D'ailleurs, il serait juste de dire que le droit ne saurait exister sans ce vhicule dexpression.La citation qui suit, emprunte au juriste anglais Yon Maley, illustre bien linterrelation quiexiste entre le droit et la langue du droit :

    In all societies, law is formulated, interpreted and enforced : there are codes, courts andconstables. And the greater part of these legal processes is realized primarily throughlanguage. Language is medium, process and product in the various arenas of the law wherelegal texts, spoken or written, are generated in the service of regulating social behaviour.Particularly in literate cultures, once norms and proceedings are recorded, standardised andinstitutionalised, a special language develops, representing predictable process and pattern offunctional specialisation[114].

    Le droit est si troitement li la langue qui le vhicule que celle-ci constitue lun des critresde classement des diverses familles du droit. Ainsi, la traduction de langlais au franais, ou

    de langlais lespagnol, signifie traduire dans le cadre des deux familles juridiques que sontla tradition[115] civiliste et le droit anglo-amricain. En fait la langue et la culture constituentles lments les plus importants qui dterminent le fond et la forme de ces deux familles dedroit.

    En effet, les caractristiques linguistiques et culturelles du droit font en sorte que le discoursjuridique ne puisse sexercer que dans un cadre institutionnel bien dlimit. Ce cadreinstitutionnel, comme le prcisent Groffier et Reed, comporte les traditions, cest--dire lesides qui dlimitent la lgalit du droit. Comme le droit est un fait de langue, bien des gensappuient leur cause sur des principes purement linguistiques. Groffier et Reed donnent deuxexemples de cet emploi. Le premier concerne les pays totalitaires qui prnent lgalit et lalibert et les tyrannies qui se proclament dmocratiques . Le deuxime est celui des

    batailles juridiques et des dcisions judiciaires qui sarticulent autour des mots plus quautourdes faits[116].

    La langue du droit prsente galement le paradoxe davoir t soigneusement faonne, maisdtre hermtique et ambigu. Comme le signale Gmar, les juristes pratiquent un discourssouvent obscur et tortueux souhait, et cela dans la plupart des langues vhiculaires, enOccident tout au moins [117].

    Les caractristiques cites plus haut constituent des piges qui jonchent le parcours du

    traducteur. Aussi le traducteur de textes juridiques doit-il possder une formation luipermettant dviter ces piges et de livrer un produit qui puisse satisfaire aux attentes de sondonneur douvrage. Cette formation doit tre dautant plus intgrale que le droit intervientdans presque tous les aspects de la vie en socit.

    Remarquons galement que parler de discours signifie parler dintention. Le droit ayant uneou des missions particulires, le discours du droit a une intention ou des intentions tout aussi

    particulires. En raison de ces caractristiques particulires de la langue juridique, letraducteur, tout comme les autres usagers du droit, doit se livrer un processusdinterprtation du sens et de lintention du texte de droit.

    La pragmatique, la science du langage qui tudie les lments qui interviennent dans lediscours - lmetteur, le rcepteur, le canal, la circonstance ou le contexte, etc. - savre trs

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    utile en traduction juridique. Elle apporte un clairage que la linguistique napportait pas, savoir quil ne suffit pas de connatre le code ou davoir une comptence linguistique pourinterprter un message. En incluant lusager de la langue, la pragmatique russit analyserdes rapports et des lments linguistiques et extra-linguistiques qui entrent en ligne de comptedans un message.

    Ce chapitre est structur en deux parties. La premire partir de la section 2.2 jusqu lasection 2.5 -, porte sur les lments qui se trouvent lorigine de la complexit de latraduction juridique. Elle comporte une brve description de la dmarche pragmatiquedanalyse du sens et une analyse du fondement pistmologique de la traduction juridique. Ilfaut entendre par l lanalyse des lments structuraux, linguistiques, sociopolitiques etmthodologiques qui interviennent dans le discours juridique et qui font de la traduction dansce domaine lune des traductions les plus complexes qui soit. Ce fondement pistmologiquesappuie sur la typologie des difficults de la traduction juridique propose par Gmar. Ellecomporte galement lanalyse de la notion de culture juridique et de son importance entraduction juridique. Elle se termine par une analyse des diffrents textes caractre juridique

    et ce que leur traduction exige du traducteur,

    La deuxime partie - soit les sections 2.6, 2.7 et 2.8 - est consacre lanalyse des principauxmoyens pour faire face la problmatique inhrente la traduction juridique. Ainsi, la sectionaborde la question de la formation idale du traducteur juridique. La section 2.7 dcrit desapproches pour interprter le sens du texte de dpart. La section 2.8 porte sur lambigut destextes juridiques et propose des rflexions sur la faon de la traiter. Enfin, la section 2.9comporte une description des procds techniques de traduction.

    2.2 Lapproche pragmatique en traduction juridiqueComme il a t expos au chapitre prcdent, la linguistique a constitu pendant longtemps lascience qui tudiait les phnomnes intervenant dans le domaine de la traduction. Elle tait,de ce fait, la source des prescriptions que lon devait suivre pour arriver une bonnetraduction . La traductologie surgit comme une raction contre ces prescriptions considrescomme monolithiques et insuffisantes. Cette nouvelle science et cet art de la traductionsappuient sur plusieurs disciplines afin dlargir, entre autres, les possibilits danalyse dansle processus de traduction.

    La pragmatique contribue analyser la communication dans la perspective du codelinguistique mais aussi, et surtout, dans la perspective de lusager de la langue et de lusagequil en fait. Lanalyse pragmatique repose sur le principe voulant que les usagers de la

    langue nagissent pas dans le vide, mais plutt dans une situation ou un contexte particulier.Celui qui crit un texte, par exemple, crit avec une intention, mais cette intention peut bientre diffrente de celle qui se dgagera du texte. Les choses que lon dit, crit ou suggre sontdtermines non seulement par le contexte, mais galement par la culture dans laquelle onvit[118]. Un mot peut tre porteur de connotations diverses selon le contexte culturel danslequel il est prononc ou crit.

    Propose par House[119], lanalyse de la situation sappuie sur le principe selon lequelcertains lments non linguistiques se refltent dans les formes linguistiques. Cette analyse,comme il a t indiqu plus haut, tient compte de deux dimensions, savoir : la dimension quitient compte de lusager de la langue et celle qui tient compte de lusage de la langue comme

    tel.

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    La premire dimension, soit lanalyse de lusager, prend en considration des lments telsque lorigine gographique des mots, la classe sociale de lmetteur ainsi que lpoque laquelle le texte a t crit. Lanalyse de lorigine gographique permet de dceler lesvariations des mots lintrieur dune langue. Lanalyse de la classe sociale, pour sa part,

    jette la lumire sur la place de lusager de la langue dans la socit et, par consquent, sur le

    registre utilis. Lanalyse de la dimension temporelle du texte permet den identifier laprovenance temporelle.

    Lanalyse relative lusage de la langue, quant elle, porte sur les notions de mdium, departicipation et de rle social ou attitude dans lusage de la langue. Le mdium, dans ce casprcis, se rapporte au discours oral ou crit; le terme participation est utilis pour distinguer ledialogue du monologue. La dimension du rle social ou de lattitude est utilise pourdterminer le type de rapport vis; par exemple, une communication dgal gal ou unecommunication entre chefs et subordonns.

    Lapproche pragmatique trouve une grande place en traduction juridique, car les lments

    faisant lobjet dtude de la pragmatique ont un effet considrable dans le milieu juridique.Les pages qui suivent contiennent une description et une analyse des lments les plusimportants qui entrent en ligne de compte en traduction juridique. Comme il a t signal danslintroduction gnrale, la diversit des droits, la langue du droit, la dimension culturelle dudroit ainsi que le cadre dans lequel le droit est pratiqu constituent chacun des lments quifont de la traduction juridique lune des traductions de spcialit les plus complexes. Enfin, ilsconstituent galement les lments danalyse par excellence de la pragmatique, dolimportance des apports de cette discipline la traduction en gnral et la traduction

    juridique en particulier.

    2.3 Le fondement pistmologique de la traduction juridiqueNombreux sont les thoriciens qui ont contribu laborer le dispositif thorique et pratiquede la traduction juridique en abordant divers problmes ou aspects de celle-ci. Parmi eux, ontrouve des juristes, des traducteurs, des linguistes et des jurilinguistes. Les problmes quilsabordent, ainsi que leur approche, refltent le plus souvent une proccupation ayant un liendirect avec leur formation ou leur domaine dexpertise. Leurs travaux sont mis profit dansce chapitre pour dcrire les lments les plus importants qui interviennent en traduction

    juridique.

    Llaboration de ce dispositif thorique et pratique de la traduction juridique a bnfici destravaux de recherche effectus en Europe et au Canada, entre autres. Parmi les thoriciens

    europens dont les travaux sont utiliss ici, il importe de mentionner Grard-Ren de Groot,juriste comparatiste de lUniversit de Limburg, Maastricht (Pays-Bas), qui soutient le pointde vue du droit compar et fait une mise en garde contre les difficults et les dfis poss par latraduction de documents issus de traditions juridiques diffrentes; Rodolfo Sacco, professeur lUniversit de Turin (Italie), qui signale la coprsence de deux langues juridiques dans uneseule langue ainsi que la prsence de figures rhtoriques dans le discours juridique; GrardCornu, professeur lUniversit de Droit, dconomie et de Sciences Sociales de Paris (ParisII) ainsi que Jean-Louis Sourioux, professeur lUniversit dOrlans (France), qui se

    penchent sur la linguistique juridique; et Pierre Lerat, agrg de grammaire lUniversit deParis XIII qui sintresse divers aspects des langues de spcialit.

    Au Canada, entre autres, Emmanuel Didier, avocat des barreaux du Qubec et de New Yorkqui sintresse aux modes dexpression de la common law et du droit civil, en franais et en

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    anglais; Michel Sparer, qui se penche notamment sur la dimension culturelle de la traductionjuridique et de lenseignement de celle-ci; et, bien sr, Jean-Claude Gmar, qui, pour avoirddi sa vie lenseignement et la recherche dans le domaine de la traduction juridique auCanada, a russi analyser la traduction juridique dans ses aspects les plus divers. Les travauxde Gmar, notamment sa typologie sur les problmes de la traduction juridique, guident cette

    tude.

    La typologie que Gmar a labore en 1979, ainsi que la majorit des articles quil a critstout au long de sa carrire, ont t repris et publis en 1995 dans un ouvrage en deux tomesintitul Traduire ou lart dinterprter . Le souci dutiliser des rfrences rcentes auraitsuggr le choix de ce dernier ouvrage. Toutefois, cest la typologie publie en 1979 qui a tretenue. Dans une correspondance personnelle, Gmar prcise que son ouvrage de 1995sadresse aux juristes et aux jurilinguistes plutt quaux traducteurs. Par ailleurs, sa nouvelletypologie inclut un point ayant trait aux consquences juridiques de lquivalence qui, daprslui, concernent plus les juristes que les traducteurs. Il faut prciser galement que la typologiede 1979 est beaucoup plus dtaille que celle de 1995, ce qui explique pourquoi elle a t

    retenue pour la prsente analyse.

    Les difficults de la traduction juridique, selon Gmar, procdent fondamentalement ducaractre contraignant du texte juridique. Ce caractre lui est attribu par la norme de droit. Lavie en socit est rgie par des normes juridiques qui imposent des obligations, cest--diredes contraintes, et par consquent, des sanctions. Traduire des textes juridiques signifiereconnatre les lments juridiques et linguistiques qui ont faonn la norme de droit et lestransposer dans une autre langue et dans une autre culture[120]. Voil une tche qui laisse autraducteur une marge de manuvre trs restreinte quant aux choix des ressourceslinguistiques.

    Les lments danalyse de la typologie de Gmar sont : le caractre normatif ou contraignantdu texte juridique, le discours (ou langage) du droit, la diversit sociopolitique des systmes

    juridiques, le problme de la documentation juridique et lapproche pluridisciplinaire de latraduction juridique.

    Les pages qui suivent contiennent lanalyse de ces cinq lments. Le premier se rapporte lanature mme du droit et son caractre limitatif. Le deuxime porte sur les caractristiques

    particulires et gnrales de la langue des juristes. Le troisime lment concerne la diversitdes systmes juridiques. Lanalyse de ce point comprend une description des deux familles dedroit retenues dans cette recherche, soit le droit romaniste et la common law. Le quatrime

    lment, quant lui, porte sur les problmes inhrents aux sources bibliographiques daide la traduction et sur lusage et le degr de fiabilit de ces sources. Le cinquime lment, enfin,concerne le caractre pluridisciplinaire du droit et son effet sur les comptences du traducteur.

    2.3.1 Le caractre normatif ou contraignant du texte juridiqueGmar est lun des rares thoriciens donner une appellation cet aspect de la traduction quilimite en grande partie le choix des ressources linguistiques dont le traducteur dispose poursacquitter de sa tche. Il souligne la brve rfrence quen font Vinay et Darbelnet[121] sousla rubrique servitude et option . Mais ces deux thoriciens font allusion aux servitudes que lalangue impose au traducteur; par exemple, le genre des mots, la conjugaison des verbes, etc.Le caractre contraignant du texte juridique dont parle Gmar se rapporte plutt une

    dcision rendue par le lgislateur qui se reflte dans la rgle tablie par la loi, la constitution,etc. Le traducteur ne peut, par exemple, substituer un terme un autre, mme sil juge un

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    terme plus appropri quun autre, sans risquer de contrevenir ce qui a t tabli par le droit.Voici comment Gmar dcrit ce trait particulier de la langue juridique.

    Le caractre normatif du droit dcoule essentiellement de la lgislation et de la jurisprudencequi confrent la rgle de droit sa validit, donc son efficacit et sa nature imprative,

    conditions sans lesquelles on ne pourrait pas parler de norme juridique[122].

    Sur ce point, Michel Sparer rappelle que le texte juridique est conu avant tout pourcontraindre ou pour provoquer des comportements. La loi, par exemple, signale-t-il, a

    principalement pour objet de donner des droits ou des obligations [123].

    Prenons par exemple les termes convention, accord et trait. La Convention de Vienne sur laLoi des traits (signe Vienne le 23 mai 1969 et entre en vigueur le 27 janvier 1987)

    prvoit, larticle 2(1)(a), que l expression " trait " sentend dun accord internationalconclu par crit entre tats et rgi par le droit international, quil soit consign dans uninstrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa

    dnomination particulire .[124] Larticle 2(1)(a), en langue anglaise, se lit comme suit: 'treaty ' means an international agreement concluded between States in written form andgoverned by international law, whether embodied in a single instrument or in two or morerelated instruments and whatever its particular designation [125].

    On remarquera que dans le cas de lALENA, on parle d accord en franais, de tratado en espagnol et d agreement en anglais. Alonso Gmez-Robledo Verduzco, juristemexicain, prcise que le choix du terme aux tats-Unis et au Mexique dpend du processus

    juridique de ces pays pour ce qui est de la conclusion de ce type de ngociations. Aux tats-Unis, daprs lui, la Constitution fdrale de 1787, prvoit, larticle II, section 2, paragraphe2, que le prsident a le pouvoir de conclure des traits condition davoir lavis et leconsentement des deux tiers des membres du Snat. Avec le temps, ajoute-il, le pouvoirexcutif, par la personne du prsident, a acquis des droits plus importants que ceux que laConstitution lui confrait. Les accords conclus par le prsident sont actuellement appelsExecutive Agreements . Gmez-Robledo Verduzco distingue trois types daccords : lesaccords conclus sur la base dun accord dj existant; les Congressional Executive agreementsdont la conclusion doit tre approuve par le Congrs; et les Sole Executive Agreementsconclus par le prsident en sappuyant sur les droits que la Constitution lui confre.LALENA est un Congressional Executive Agreement . Au Mexique, le terme tratado setrouve dfini par larticle 133 de la Constitution de ce pays. Les tratados internacionalesoccupent dans ce pays la troisime place pour ce qui est des lois pouvant rgir ce pays, ou

    leyes supremas de la Federacin .[126]Comme nous le verrons dans les paragraphes qui suivent, la langue du droit est soumise certaines conditions afin datteindre le but escompt par la norme du droit.

    2.3.2 La langue du droitAfin dviter un dbat qui dborderait du cadre de la prsente tude, prcisons tout dabordque le terme langue du droit est utilis ici au sens que lui donnent Sourioux et Lerat[127], soitau sens de langage ou faon particulire de sexprimer . Nous reconnaissons quil nexiste pas proprement parler de langue du droit, du moins au mme titre quil existe une languecourante. Cependant, les juristes, aussi bien que dautres spcialistes, comme les physiciens

    ou les mathmaticiens, partagent un langage souvent qualifi de discours, de dialecte social,voire de technolecte[128] .

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    Dfinir la langue du droit comme une faon particulire de sexprimer implique quellecomporte des lments de la langue courante et des lments qui lui sont trangers. Cettecombinaison dlments est ce que Sourioux et Lerat appellent le caractre composite dulangage juridique. Et comme ils lindiquent cest prcisment ce caractre composite qui

    explique en partie ce paradoxe : le droit est un phnomne aussi largement social que lalangue elle-mme, mais qui suscite un sentiment dtranget chez la majorit [129].

    La langue est le vhicule par lequel le droit exprime la norme juridique. Pour exprimer lanorme de faon ce quelle soit respecte et suivie, le droit soumet son vhicule dexpression une srie de mesures, tant sur le plan interne (la syntaxe, la stylistique, la smantique et lelexique) que sur le plan externe (lorganisation et la structure de son langage).

    2.3.2.1 Caractristiques gnralesDans cette tude, le terme langue du droit est prfr aux termes dialecte social et technolecte, car la langue du droit constitue bien plus quune batterie de termes techniques utiliss pour

    dcrire des objets ou des notions. Le droit emploie un discours qui comporte des lmentssyntaxiques, lexicaux, stylistiques et smantiques qui lui sont propres et qui doivent treemploys dans des circonstances bien prcises. Ce sont l des lments de la langue quiconstituent des units difficiles fractionner, mais que la science linguistique spare auxseules fins de lanalyse.

    Prcisons galement que le terme langue du droit est utilis ici comme un terme gnrique,car diffrents sous-domaines ou branches du droit possdent des caractristiques syntaxiques,lexicales, stylistiques et smantiques qui leur sont propres. Un article de loi, par exemple,

    prsente des caractristiques linguistiques diffrentes de celles dun contrat ou dun traitinternational. Toutefois, le texte juridique possde des caractristiques qui le distinguent destextes appartenant dautres disciplines ou branches du savoir.

    Lune des caractristiques saillantes de la traduction juridique provient de la relation troiteque le droit entretient avec le langage qui le vhicule. Plusieurs thoriciens du langage dudroit reconnaissent ce rapport un caractre assez particulier. Gmar, par exemple, qualifie cerapport dambigu et de chaotique[130]. Ladjectif chaotique ne qualifie pas la langue du droit,mais plutt la nature ambivalente du rapport qui existe entre le droit et son vhiculedexpression. Il se rapporte au fait que le droit faonne soigneusement son discours pourexprimer la norme, et la difficult que reprsente souvent le fait dinterprter le sensvhicul par celle-ci.

    David Mellinkoff, juriste amricain, analyse vingt-deux caractristiques de la langue du droiten anglais, quil peroit comme une langue regorgeant dimprcisions. Mellinkoff qualifie lalangue du droit de wordy , unclear , pompous et dull [131] . Le rsultat, signale-t-il, est unelangue dont le sens est difficile saisir, non seulement pour le profane mais aussi pour liniti.

    Si la langue juridique, telle quelle vient dtre dcrite, a ses tenants, elle a aussi desrfractaires qui proposent sa simplification. Les tenants de la simplification du droit,

    particulirement en langue anglaise, ont initi le mouvement connu sous le nom de PlainLanguage ou Plain English[132] .

    2.3.2.2 Caractristiques lexicales

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    Le plan lexical de la langue du droit pose un haut degr de difficult au traducteur. Lanomenclature du droit se distingue par son caractre incertain qui dcoule, selon Gmar[133],du caractre flou de ses concepts. Prenons lexemple du terme droit . Gmar a vrifi ladfinition donne par diffrents dictionnaires. Il a constat que les dfinitions variaient dundictionnaire lautre. Pourtant, il sagit bien du terme-cl du domaine juridique.

    La terminologie juridique se caractrise aussi par une grande polysmie. Cette caractristiquedu langage du droit obit des raisons historiques, cest--dire au dveloppement du droitdans le temps, aux institutions et aux personnes qui ont contribu le modeler. Le droit reflteles besoins dune socit dans le temps; par consquent, le sens des termes peut varier selon lecontexte et les poques.

    Ltude diachronique du langage juridique montre que sa richesse et sa diversit refltent lesbesoins dune poque et les nombreuses sources utilises pour rpondre ces besoins. Lalangue du droit tant un phnomne social, elle est marque par les vnements qui ontinfluenc la socit un moment prcis de son histoire.

    La langue du droit est une langue trs ancienne et elle porte encore lhritage terminologiquede langues comme le latin et le grec. Les expressions et les termes latins, par exemple, font

    partie intgrante du droit. La langue juridique en franais doit au latin des termes commeconstitution , lgislateur , rgime , acte , adjudication , hypothque , cession , clause , etc.

    Dans des temps plus modernes, dautres langues ont contribu enrichir la terminologie dudroit en franais. Ainsi, langlais a lgu des termes comme budget , chque , comit ;litalien a galement apport sa contribution par des termes financiers et commerciaux commeaval , banque , banqueroute , bilan , douane ; enfin, le grec a lgu des termes ayant trait auxinstitutions, par exemple dmocratie , monarchie , oligarchie , politique , thocratie [134] .

    Il est important de noter, toutefois, que les mots voluent dans leur nouveau contexte et quecette volution peut entraner des changements de sens par rapport la langue dorigine.Ainsi, le terme latin statum a volu en anglais sous la forme de status , tant dans sa formesimple que dans lexpression status quo ; tandis quen franais, ce mme terme est devenustatut dans sa forme simple et statu (sans t ) dans lexpression statu quo. Au sujet delvolution des mots, Didier prcise que [l]orsque les mots ont t dracins et transplantsdune langue une autre, dun terroir un autre, ils se trouvent placs dans une structurelinguistique et sociale nouvelle, qui les rend autonomes par rapport aux langues-mresdesquelles ils proviennent [135].

    Le droit puise abondamment dans la langue gnrale. Et cela constitue lune des grandesdifficults de cette langue de spcialit : ces termes de la langue de tous les jours peuvent tredots dun sens diffrent, dans un contexte prcis. Cette diversit prsente la grande difficultde ne pas tre rpertorie dans son ensemble dans les divers lexiques et dictionnairesspcialiss. Ces ouvrages nincluent souvent que la nomenclature du droit, soit les termes dudomaine proprement dit, et excluent les termes de la langue courante qui, ayant acquis un sens

    particulier, chappent la comprhension du nophyte.

    Darbelnet distingue la nomenclature du droit et le vocabulaire de soutien du droit. Lanomenclature comprend les termes appartenant un sujet. Cest ce que Sourioux et Lerat

    appellent mots-bases . Le vocabulaire de soutien inclut les mots dune technicit moindre ounulle qui servent actualiser les mots spcialiss et donner au texte une organisation. Bref,

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    ce sont des mots usuels ou de la langue courante ayant un sens technique et que Darbelnetappelle aussi vocabulaire para-technique . Il dplore le fait que ces termes ne soientgnralement pas inclus dans les lexiques juridiques. Voici la remarque quil fait ce sujet :

    Sil convient dinsister sur lexistence du vocabulaire de soutien, cest parce que son

    importance est clipse, dans les rpertoires spcialiss, par les termes techniques. Onconstate, en feuilletant des rpertoires de la langue juridique, par exemple le Lexique determes juridiques , qui pourtant sadresse des tudiants, que nombre de termes utiliss dansla rdaction de textes juridiques et administratifs [...] nont pas t retenus. Cest vrai quengnral les rpertoires visent plutt la comprhension qu la rdaction. Cest pourquoi on ytrouve des mots comme syndic , rclusion , parafiscalit , ou encore dfendeur , inculp,

    prvenu , et accus , mais sans que, soit dit en passant, le LTJ montre le lien entre ces quatrederniers termes. Le sens de tous ces mots est facile cerner et le relief que cela leur donneexplique sans doute leur inclusion. En revanche on risque de ne pas rencontrer dans lesmmes rpertoires des mots de soutien, tels que intenter , entendre (un tmoin, le Conseildtat entendu), exorbiter , dprir , supporter (au sens fiscal) [136].

    Darbelnet suggre que le vocabulaire de soutien du droit devrait tre recens dans les lexiqueset les dictionnaires spcialiss au mme titre que les termes techniques. Ce quil appellevocabulaire de soutien est analys par dautres thoriciens comme des cooccurrents dulangage juridique, soit lagencement du texte juridique. Ces cooccurrents posent comme

    problme le fait de ne pas tre recenss dans quelque ouvrage que ce soit. Darbelnet montregalement que la difficult du langage juridique nest pas seulement une question determinologie, mais aussi dagencement des mots selon un schma prtabli. La terminologieet lagencement des mots constituent donc deux lments du discours dimportance gale

    pour la signification du message. Le sens que vhiculent les mots du texte, si bien choisissoient-ils, ne passera pas si ces mots ne sont pas agencs dune certaine manire.

    2.3.2.3 Caractristiques stylistiquesLe style ou la faon dnoncer un discours a galement un objectif ou une raison dtre.Lmetteur du discours privilgie une faon de dire plutt quune autre selon le type demessage transmettre ou selon leffet quil cherche produire chez son interlocuteur.Lobjectif est, bien entendu, de transmettre un message, mais ce message aura un effet plus oumoins important selon que le style sadapte plus ou moins bien au type de message transmettre.

    Les textes normatifs, par exemple, ont un ton solennel. Dans ce type de texte, cest ltat qui

    parle, et lobjectif est de faire respecter la norme qui organise la vie en socit. Bien entendu,sous-jacents la norme, se trouvent des principes de lgitimation qui justifient le systmejuridique tabli et qui font en sorte quil soit appropri de lui obir. Cest ce queFriedman[137] appelle trait culturel , cest--dire lattitude et lopinion des individus envers lesystme juridique en vigueur.

    2.3.2.4 Caractristiques syntaxiquesLa langue du droit prsente des caractristiques syntaxiques qui la distinguent facilement de lalangue dautres domaines. Elle recourt aux mmes rgles syntaxiques[138] que la languecourante. Il nexiste pas une syntaxe ou une grammaire propres la langue du droit.Cependant, la langue du droit, linstar de la posie, prsente des structures syntaxiques qui

    permettent de la distinguer facilement de la langue courante et des autres langues de

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    spcialit. Les caractristiques qui suivent[139] sappliquent surtout aux textes normatifscomme les articles de loi, les rglements, les actes, les jugements.

    2.3.2.5 La place du verbeLe verbe peut tre soit antpos, - comme dans lexemple : est dcrt bien public [...], soit

    postpos, - comme dans lexemple : le conseil, statuant lunanimit, sur proposition [...]adopte...

    2.3.2.6 Lordre des propositionsDans les jugements, par exemple, il est frquent de trouver des phrases commenant par deslocutions conjonctives telles que Vu que , entendu que , et suivies dune phrase relative qui

    prcde la phrase principale.

    2.3.2.7 La longueur des phrasesDans la majorit des langues, les phrases des textes de lois et de contrats sont trs longues.Comme le prcise Gmar, il ne sagit pas dun trait stylistique propre au rdacteur, mais

    parfois du rsultat dune numration. La longueur des phrases contribue en grande partie laredondance qui caractrise la langue du droit. Encore une fois, il ne sagit pas dun procd destyle, mais bien du rsultat dun souci dexhaustivit.

    2.3.2.8 Lemploi des phrases au passifLa voix passive est abondamment employe, tant en anglais quen franais et en espagnol.Lutilisation de tournures passives dans des textes juridiques tels que les rglements, les acteset les jugements, donne ces derniers un ton neutre, objectif et formel, voire solennel. Le butvis, comme le prcise Gmar, est celui de la dignit du texte normatif, o lon vitesoigneusement demployer une langue triviale ou des tournures familires. Ainsi, le pronom ilest prfr au pronom personnel indfini on . Par consquent, la phrase il est convenu / dcidsera prfre la phrase on a convenu / dcid .

    2.3.2.9 Caractristiques smantiquesChaque lment qui compose la langue du droit a t soigneusement analys avant que sonusage, voire sa signification, ait t fix dans un domaine ou sous-domaine du droit et associ un cas particulier.

    En effet, un terme peut tre employ par tous les usagers du droit dans un sens que touscomprennent ou croient comprendre. Toutefois, la signification dun terme est actualise parles juges qui fixent la signification des termes dans un contexte donn et par rapport un cas

    prcis. Comme il a t indiqu prcdemment, cest ce que Gmar appelle le caractrenormatif de la langue du droit. Le passage suivant illustre comment la signification dun termesimpose au contexte dans lequel oeuvre le traducteur et aux considrations linguistiques decelui-ci.

    La loi est au-dessus du contexte et des considrations linguistiques [du traducteur]. On peutcontester lemploi du terme corporation et lui prfrer celui de socit commerciale . Ilreste que le terme dfini dans la loi est celui que le juge, soucieux de respecter lunit et lastabilit smantiques ncessaires au bon fonctionnement de la machine judiciaire, retiendra enfin de compte[140].

    Dans la citation prcdente, il est question de lquivalence franaise du terme businesscorporation . Lquivalence retenue au Qubec et en Ontario est compagnie , dans la

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    lgislation fdrale, lquivalence est socit par actions, et au Nouveau-Brunswick,lquivalence est corporation commerciale [141].

    Le fait de donner un mot un sens particulier, dans un cas ou dans un contexte particulier,donne lieu une polysmie qui peut conduire une mauvaise utilisation ou interprtation des

    termes. Le problme de la polysmie de la langue juridique est lune des difficults les plusdifficiles surmonter. Elle est dautant plus difficile rsoudre que la source de droit ne peuttre interroge, comme dit Gmar, pour connatre le sens prcis du texte juridique en question.Dans le cadre de lALENA par exemple, il est difficile dinterroger les rdacteurs des textes

    juridiques, la rvision et solution des diffrends ayant un caractre confidentiel. Par ailleurs,le recours au dictionnaire ne constitue pas toujours la solution au problme, car lesdictionnaires ne recensent pas tous les cas ni tous les contextes o un terme de droit peutapparatre et, par consquent, tous les sens que ce terme peut avoir.

    La langue du droit possde, en tant que langue de spcialit, des traits qui en font une langueunique et trs complexe. Son vocabulaire comprend un grand nombre de termes qui

    proviennent de la langue courante et de termes qui ne sauraient exister en dehors du cadrejuridique, de mme quun grand nombre de termes qui ont t emprunts dautres languesou hrits dautres langues, comme le latin. La langue du droit peut organiser les composantesdes phrases de son discours dune faon distincte (un verbe plac en dbut ou en fin de

    phrase, des phrases introduites par des locutions prpositives suivies de propositionssubordonnes). Elle emploie galement un ton solennel qui vite toute tournure familire.Enfin, la langue du droit est lune des langues les plus polysmiques, puisque la significationdes termes de son discours a t fixe dans un contexte particulier, par rapport un cas

    particulier. Sa terminologie a donc un caractre spcifique mais imprcis.

    Gmar reconnat au droit un caractre sotrique et solennel en raison dlments tels que naissance en assemble lgislative; sanction publique, par la justice, de linfraction commise;clbration du Droit par les ministres du culte que sont avocats et notaires [142]. Parailleurs, il attribue la langue du droit un caractre initiatique. Les profanes ne comprennentun texte juridique que sils ont t initis ce culte quest le droit, sa langue, sesinstitutions, ses mcanismes et ses modes de fonctionnement. La polysmie qui caractrisela langue juridique contribue, daprs Gmar accentuer le mystre qui entoure le droit.

    2.3.3 La diversit des systmes juridiquesLa diversit des systmes juridiques en prsence constitue pour Gmar la seule vraie grandedifficult[143] de la traduction juridique. Le droit est labor par une socit spcifique,

    pour cette socit, et il rpond aux besoins mmes de cette socit. Par ailleurs, chaquesocit dfinit son droit selon la perception quelle en a et selon le type dorganisation quelleveut se donner. Voil, daprs Gmar, qui explique lexistence de diffrents systmes de droit.

    Tel quindiqu dans lintroduction gnrale, les systmes juridiques qui intressent ici sont lacommon law et le droit civil. Les paragraphes qui suivent prsentent une description de cesdeux systmes juridiques qui ont une incidence directe sur lopration traduisante. De ce fait,le traducteur doit agir en tant que comparatiste du droit.

    Grard-Ren de Groot prcise que le droit compar constitue la base de la traductionjuridique; de mme, Gmar affirme que la difficult premire de la traduction nest pas

    dtermine par des diffrences linguistiques, mais plutt par laffinit des systmes ou destraditions juridiques en prsence[144].

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    En effet, le droit compar analyse les diffrents systmes de droit et les regroupe en familles.En gnral, le regroupement ou classement des droits par familles se fait selon des critres definalit et de ressemblance quant au fond et la forme de ces corps de droit. Comme il a tsignal auparavant, la langue constitue un critre important de classement des droits par

    familles. Ainsi, de Groot[145], linstar de Gmar et dautres thoriciens, affirme que latraduction juridique est une activit relativement facile si les systmes juridiques et leslangues concernes par la traduction sont rapprochs. Ce serait le cas pour des pays comme leDanemark et la Norvge, ou encore la France et lEspagne, qui ont adopt le droit civilcomme systme juridique.

    Par ailleurs, la traduction de textes appartenant un pays dans la langue dun autre pays dontle systme juridique est semblable celui du premier ne devrait pas poser de graves

    problmes, mme si les langues en question se ressemblent peu. Ce serait le cas de latraduction de documents du franais vers le nerlandais. La traduction de termes appartenant des systmes juridiques similaires, prcise de Groot, ne pose pas vraiment de problme, car

    les connotations sont parallles. Ce serait le cas des pays ayant plus dune langue officielle,comme le Canada, la Belgique, la Suisse ou la Finlande. Les difficults de traduction sont

    plus grandes lorsque lon traduit des textes issus de systmes trs diffrents vers des languesqui sont galement trs diffrentes de la langue de dpart.

    Enfin, la traduction est galement difficile lorsquelle se fait entre des systmes juridiquesdivergents, mme si les langues sont rapproches. La traduction de textes de lallemand versle nerlandais serait un exemple de ce type de difficult. Le pige qui guette le traducteur,dans ce cas, est lexistence des faux-amis juridiques. On peut donc conclure que plus il y a desystmes juridiques diffrents en cause, plus les difficults de traduction augmentent. Leniveau de difficult de la traduction dans les organismes multinationaux, ou dans des paysayant plusieurs langues officielles, serait donc trs lev.

    La common law et le droit civil prsentent des diffrences quant au fond et la forme. Lefond est li ce que lon ne peroit pas; cest--dire aux aspects culturels du droit, auxcirconstances dans lesquelles celui-ci a t forg, aux individus et aux vnements qui ontcontribu son dveloppement. Ce sont tous des lments qui font lunicit du droit et quisont lorigine de la complexit de la traduction juridique.

    La description des principales caractristiques des systmes juridiques ne serait pas possiblesans lapport du droit compar, une science qui contribue notamment la connaissance de

    laspect historique et philosophique des divers droits, la comprhension des peuplestrangers et lamlioration des relations internationales[146].

    Le droit est dfini ici comme lensemble des rgles crites, coutumires oujurisprudentielles qui organisent la vie en socit [147]. Cela veut dire que le droit cherche tablir un cadre limitant les rapports et les comportements des membres de la socit. Ladiversit de ces rapports fait en sorte que le droit a plusieurs manifestations. Comme lesignale le juriste qubcois Georges A. Legault, ces rapports entre les individus peuvent tre vis--vis des objets : achat, vente, location; vis--vis des personnes : mariage, filiation; ou vis--vis des institutions judiciaires, lgislatives ou tout ce que ces institutions regroupent [148].

    Ces diverses manifestations du droit ont une organisation et une structure qui leur sontpropres. Toutefois, elles forment un ensemble ayant lui aussi ses propres traits identitaires. Le

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    juriste comparatiste Ren David prcise que chaque droit constitue un systme qui emploie uncertain vocabulaire, qui correspond certains concepts, qui regroupe les rgles dans certainescatgories, qui comporte lemploi de certaines techniques pour formuler les rgles et decertaines mthodes pour les interprter et qui est li une certaine conception de lordresocial, lequel dtermine le mode dapplication et la fonction mme du droit. Aussi la

    correspondance entre les notions constitue-t-elle lune des grandes difficults que pose lacomparaison entre les divers droits.

    David prcise galement que les rgles du droit constituent une rponse un besoin ressenti un moment donn dans lhistoire dune socit et que, par consquent, elles changent mesure que la socit se transforme ou se dveloppe. Aussi, le droit a-t-il besoin dun cadre

    pour le contenir et pour lui assurer une continuit. Le cadre de ces composantes constitue lestraits identitaires du droit et du systme autour duquel celui-ci est articul. Cest grce cestraits, que David appelle les lments constants du droit, que ce dernier peut tre divis enfamilles. Le classement des droits par familles a lavantage den rduire le nombre et denfaciliter la comprhension. Le nombre de droits, prcise David, serait infini si lon en

    considre la teneur et le contenu. Ce nombre devient par contre plus restreint si lon envisageplutt les techniques employes pour les noncer, la manire de les classer, les modes deraisonnement utiliss pour les interprter, etc.

    Les critres employs pour regrouper les droits par familles ne font pas toujours lunanimitparmi les comparatistes. Toutefois, tous saccordent pour reconnatre comme appartenant des familles diffrentes les droits romano-germaniques, qui ont donn naissance au systmeciviliste ou droit civil, et le droit anglais, qui a donn naissance la common law.

    2.3.3.1 Le droit civilLe droit civil fait partie de la famille romano-germanique qui regroupe les droits issus delamalgame du droit romain, du droit germanique, du droit canonique et du droitcommercial[149]. Le droit des Romains tant le droit prdominant dans cet amalgame, le droitcivil est connu sous le nom de droit romaniste.

    Les Romains sont considrs comme les grands juristes de lAntiquit. Daprs Gilissen, lesjurisconsultes[150] romains seraient les premiers dans lhistoire de lhumanit parvenir laborer une technique juridique et une science du droit, grce lanalyse approfondie desinstitutions et la formulation prcise des rgles juridiques [151]. Le droit romain est nonseulement un droit trs ancien[152], beaucoup plus ancien que la common law - comme nousle verrons plus loin -, mais aussi un droit imprgn dune technicit qui le caractrise encore

    de nos jours.Le droit romain, tel quon le connat aujourdhui, est le rsultat dune srie de transformationsdans lesquelles la traduction a jou un rle considrable. Des comparatistes comme Gillisen etMerryman indiquent que le droit des tats romanistes contemporains nest pas celui delEmpire romain, mais plutt celui qui tait tudi et enseign dans les universits mdivales.Avec leffondrement de lEmpire romain en Occident au Ve sicle, le Corpus Juris Civilis esttomb en dsutude, mais il est devenu un sujet dintrt pour les intellectuels et les

    professeurs des jeunes universits europennes la fin du XIe sicle. Dans un premier temps,la reconstitution et lexplication de ces textes ont amen linsertion des gloses dans les textesrdigs en langue vernaculaire. Par la suite, le Corpus Juris Civilis fut adapt aux problmes

    de lpoque. Les tudiants ramenaient chez eux non seulement le droit du Corpus Juris Civilis, mais aussi les mthodes et les ides de leurs professeurs. Le droit romain, et lnorme

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    volume de littrature issu des gloses et de ladaptation du droit aux problmes de lpoque, estdevenu le Jus Commune , soit le droit commun dune grande partie de lEuropecontinentale[153].

    2.3.3.1.1 Les divisions et les concepts

    Les rgles du droit romaniste forment deux grandes catgories : le droit public et le droitpriv. Cette distinction part du principe selon lequel les rapports entre gouvernants etgouverns posent des problmes qui leur sont propres et appellent une rglementationdiffrente de celle qui rgit les rapports entre des individus.

    Ren David prcise qu lintrieur de ces deux grandes catgories de rgles, on trouve, danstous les pays de droit romaniste, les mmes branches, soit le droit constitutionnel, le droitadministratif, le droit international public, le droit de la procdure, le droit civil, le droitcommercial, le droit du travail, etc. Cet tat de fait expliquerait, selon Ren David, quaucune difficult majeure, en rgle gnrale, nest prouve pour traduire du franais verslallemand, lespagnol, litalien, le hollandais, le grec ou le portugais, les mots du vocabulaire

    juridique [154]. Daprs lui, cela tient galement du fait que, pendant des sicles, la sciencedu droit ayant t enseigne sur la base du droit romain et du droit canonique, le vocabulaireemploy a t le mme et a exprim les mmes ides, et ce, en dpit des diffrentes mthodesemployes pour faire connatre cette science.

    2.3.3.1.2 La notion de rgle de droitUn autre lment qui fait lunit des droits de tradition romaniste est la faon dont la rgle dedroit est conue. Par ailleurs, cette conception de la rgle de droit distingue nettement lesdroits romanistes de la common law. Les droits romanistes, comme nous le verrons plus loin,accordent une grande importance la doctrine[155], ce qui justifie, daprs David, que largle de droit ne soit pas considre comme une simple rgle tablie pour rsoudre des

    problmes; elle est plutt perue comme une rgle de conduite ayant un caractre gnral quise situe au-dessus des applications que les tribunaux ou les praticiens peuvent en faire. Le

    passage qui suit illustre la faon dont la rgle de droit est perue dans la tradition romaniste.

    La rgle de droit dcante et purifie la pratique, en rejetant les lments discordants ousuperflus. Elle simplifie la connaissance du droit en rduisant la masse des lments quidoivent tre pris en considration. Elle donne un sens ces lments en montrant comment ilsconcourent assurer une meilleure justice sociale, un ordre conomique ou moral plus sr.Elle permet lopinion publique, au lgislateur, dintervenir plus efficacement pour corrigercertains comportements, ou mme orienter la socit vers des fins donnes[156].

    Cette citation rvle galement que le droit dans la tradition romaniste est considr commeun modle dorganisation sociale. Il contient les prceptes de conduite et de morale que lesmembres dune socit doivent suivre.

    Dans la tradition romaniste, le rle du code nest pas de trouver une solution tous lesproblmes, mais plutt de prescrire des rgles gnrales partir desquelles les juges et lescitoyens peuvent dduire facilement la manire de rsoudre un problme donn. La difficult,tel quil a t signal prcdemment, provient de linterprtation quil faut faire de la rgle dedroit, laquelle est vhicule dans une langue bien prcise.

    2.3.3.1.3 Les sources de droit

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    Bien quil soit difficile dtablir une liste homogne des sources des droits romanistes etdorganiser ces sources selon un ordre prcis, on reconnat gnralement la loi, la coutume, la

    jurisprudence, la doctrine et les principes suprieurs comme les principales sources de cesdroits. Parmi ces sources du droit, la place et le rle accords la loi et la jurisprudenceconstituent les deux principaux lments qui permettent de distinguer le droit romaniste de la

    common law.

    La loi, comme il a t signal prcdemment, apparat comme la source par excellence dudroit romaniste. David prcise que dans les pays de la famille romano-germanique, le recoursaux dispositions de la loi est peru comme la meilleure faon de rendre justice. Cette

    perception aurait amen, au XIXe sicle, la majorit des tats membres de la famille romano-germanique codifier les lois et se doter de constitutions crites.

    La loi, qui comporte un style, une syntaxe et une terminologie rigoureusement prdtermins,apparat comme la meilleure technique pour noncer des rgles claires menant une solution

    juste. David prcise que le souci de clart constitue lun des paradoxes des droits de tradition

    romaniste : le souci de sexprimer de manire aussi comprhensible que possible pour levulgaire et, linverse, une tendance exprimer les rgles de droit en utilisant une techniqueaussi prcise que possible, au risque de faire du droit une science quelque peu sotrique [157]. Ce paradoxe contribue en grande partie au fait que la langue juridique soit lune deslangues spcialises les plus complexes.

    Cette premire source du droit inclut galement les traits, les codes, les rglements et lesdcrets, ainsi que les circulaires administratives.

    La coutume, prcise David, vue sous langle sociologique du droit, joue un rle trsimportant. Elle constituerait linfrastructure sur laquelle le droit est difi. Elle guiderait les

    principes relatifs lapplication et au dveloppement du droit. Daprs David, cest lacoutume qui permettrait, par exemple, de cerner des notions comme conduite fautive , dlaisraisonnables , impossibilit morale , etc.

    La troisime source du droit de la famille romano-germanique, qui est de nos jours plusimportante que par le pass, est la jurisprudence; cest--dire les dcisions des tribunaux.David signale quil existe en droit romano-germanique des recueils ou rpertoires de

    jurisprudence et que ces recueils ont t dvelopps lintention des juristes de la pratique. Ilnexplique le rle de la jurisprudence dans cette famille de droit que par rapport la loi. Dansles pays rgis par un droit de tradition romano-germanique, prcise-t-il, les juristes renoncent

    difficilement au recours la loi. Limportance relative accorde aux rgles jurisprudentiellesdans les pays de droit romano-germanique et dans les pays de common law constitue lunedes grandes diffrences entre ces deux familles. La porte du droit jurisprudentiel estrestreinte dans les premiers, alors que cest exactement le contraire dans les seconds.

    La doctrine, quant elle, est une source qui a contribu de faon considrable par le pass audveloppement du droit; notamment dans les universits dEurope des XIIIe au XIXe sicles.David prcise que ce nest que rcemment que la loi prime sur la doctrine. Daprs David,cest la doctrine qui forge les termes et les notions du droit que le lgislateur emploie. Ceserait galement la doctrine qui tablirait les mthodes dinterprtation des lois. Il ne sous-estime pas non plus linfluence que la doctrine peut avoir sur le lgislateur dans la cration

    des lois. Daprs lui, le lgislateur consigne dans une loi des tendances ayant t prpares etdveloppes par la doctrine.

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    La dernire source de dveloppement et de renouveau du droit que nous analyserons ici reoitlappellation de principes gnraux. Pour simplifier ce que ces principes constituent, disonsque ce sont des avenues que les juristes empruntent lorsque les limites de la loi sont atteintes.Ces principes gnraux peuvent tre dgags de la loi mme ou tre suggrs par le lgislateur

    dans des cas o la loi savre insuffisante. David prcise ce sujet que nul systme lgislatifne peut se passer de ces correctifs ou de ces chappatoires, sans lesquels un divorceinadmissible risquerait de se produire entre le droit et la justice [158].

    2.3.3.2 La common lawSi la tradition romaniste tmoigne de la pertinence du postulat de Didier selon lequel levocabulaire juridique a la mme histoire que les institutions et les individus qui le crent etlemploient, la common law le confirme. Par ailleurs, David abonde dans ce sens lorsquil

    prcise que la common law est un systme trs marqu par son histoire, et cette histoire estde faon exclusive, jusquau XVIIIe sicle, lhistoire du droit anglais [159]. Cela justifie lefait que les grandes divisions, les institutions, la structure et surtout la terminologie de la

    common law soient si diffrentes de celles de la tradition romaniste.

    Les origines de la common law remontent 1066, anne de la conqute de lAngleterre parGuillaume, duc de Normandie, dit Guillaume le Conqurant. Les Normands rgnent ensuccesseurs et non en conqurants, et ils prservent le droit anglo-saxon dj en vigueur enAngleterre, un droit local et coutumier non crit. Guillaume, duc de Normandie, a tabli Westminster les cours royales qui ne traitaient que des questions lies au pouvoir royal.Guillaume 1er a cr un systme qui cherchait principalement assurer le pouvoir royal et dvelopper une structure permettant de rgler les diffrends lis la collecte des taxes[160].Les questions concernant les intrts des particuliers devaient tre portes aux cours localesappeles County Court ou Hundred Court . Seules les questions dimportance exceptionnelletaient portes lattention du roi, qui assurait le rle de chef justicier.

    Ce droit anglo-saxon est peu peu remplac par la common law que les Normands appellentcomune ley , et qui devient le droit commun dans toute lAngleterre. La langue parle du droitest le franais et la langue crite, le latin. Le latin comme langue du droit a donc t transmisen Angleterre par les Normands et non pas par les Romains.

    Pour saisir les cours royales, ce qui ntait pas un droit mais un privilge, il fallait suivre uneprocdure prcise. Cette procdure consistait demander un writ - ou bref[161] - auchancelier. Le writ tait donn par le roi ses agents pour que ceux-ci ordonnent au dfendeur

    dagir conformment au droit, et de satisfaire ainsi la prtention du demandeur. Ren Davidprcise que selon cette procdure, le demandeur devait prsenter un acte introductif dinstance( declaration ) dans lequel il exposait les faits despce ( case ) et demandait aux juges royauxde bien vouloir connatre le litige. Les nouvelles actions dans lesquelles les jugesreconnaissaient leur comptence ont t appeles actions super casum ( actions on the case ).Avec le temps, ajoute David, ces actions se sont diversifies et on leur a attribu des noms quitaient choisis en fonction du fait qui motivait leur octroi. Cest ainsi que sont nes desactions portant des noms tels que assumpsit , deceit , trover ; des termes sans quivalent dansdautres systmes juridiques.

    David prcise galement qu chaque writ correspond une procdure qui dtermine la suite

    des actes poser. Par exemple, les possibilits de reprsentation des parties, les conditionssous lesquelles les preuves doivent tre prsentes, les moyens de faire excuter la dcision et,

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    surtout, la terminologie employer. Cest cette procdure qui aurait fait de la common law undroit procdurier bas sur le stare decisis , principe selon lequel des cas similaires doivent trergls de faon similaire. Une autre caractristique du droit anglais est linstitution dun jurydevant lequel les juristes doivent soumettre les litiges et faire des plaidoyers[162].

    Les circonstances dans lesquelles la common law sest dveloppe ont donn au droit anglaisun caractre dont il porte toujours la marque. Cela explique, daprs David, la primaut de laprocdure, lexistence dun grand nombre de concepts propres cette tradition de droit, lanon-distinction entre droit public et droit priv et la non-rception, en Angleterre, du droitromain.

    Les anciennes procdures employes pour saisir les cours royales ont faonn la terminologiede la common law et ont dtermin les catgories de cas face auxquelles la cour reconnat sacomptence. David donne, titre dexemple, le domaine de la responsabilit dlictuelle ( lawof torts ), dans lequel la common law ne connat que des cas spciaux de dlits civilsnomms : deceit, nuisance, trespass, conversion, libel and slander . Certains de ces dlits,

    prcise-t-il, correspondent des anciens writs [163].

    Quant la non-distinction nette entre droit priv et droit public, cela sexplique, daprsDavid, par le fait que les cours royales servaient avant tout les intrts royaux. Toutefois,David reconnat que la technique du writ par laquelle les cours royales taient saisies apparatcomme un aspect du droit public.

    La non-rception du droit romain, daprs David, sexplique par la complexit et la technicitde la procdure du droit anglais. Contrairement aux juristes dEurope continentale quitudiaient le droit romain dans les universits mdivales, les common lawyers ntaientforms que par la pratique, et il en a t ainsi jusquau XIXe sicle.

    2.3.3.2.1 La structure de la common lawBien quil nexiste pas en droit anglais de distinction nette entre droit public et droit priv, ilexiste une diffrence entre common law et equity . La common law est le droit labor dansles cours royales de Westminster. L equity est le droit labor par la cour de la Chancellerie.

    2.3.3.2.2 LEquityL equity , prcise Ren David, est un ensemble de remdes[164] qui se substituaient lacommon law lorsque cette dernire ne suffisait pas la rsolution dun problme. Ladisparition des juridictions locales au profit de la common law a entran le dveloppement,

    dans lAngleterre du XIVe sicle, dun systme parallle dadministration de la justice : lequity. Les juridictions locales disparues, les individus ne pouvaient recourir un correctiflorsque la common law des cours royales ne pouvait rendre justice ou le faisait mal. Le seulrecours qui existait tait la prrogative royale. Le roi dlguait son pouvoir son chancelier,qui rendait justice en son nom. Ce recours sest institutionnalis et le chancelier a dveloppson propre systme de rgles juridiques. Il appliquait des doctrines quitables inspires dudroit canonique[165] et du droit romain.

    2.3.3.2.3 Les sources de droitLe dveloppement de la common law ayant t fort diffrent de celui du droit civil, lessources dans lesquelles elle puise pour se dvelopper ou se renouveler ne jouent pas le mme

    rle que dans les droits romano-germaniques.

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    En raison du caractre jurisprudentiel de la common law, David considre lajurisprudence[166] comme la premire source de droit, suivie par la loi, la coutume, ladoctrine et la raison.

    La jurisprudence, comme il a t prcis dans les lignes prcdentes, se rapporte aux

    dcisions des cours de justice. Dans les pays rgis par la common law, le rle de lajurisprudence est dappliquer et de dgager les rgles du droit. Elle a donc une autorit depremier ordre dans ce systme de droit.

    Le principe qui guide llaboration des rgles de droit partir des dcisions rendues par lesjuges est la rgle du prcdent. Cest--dire que des cas similaires doivent tre rsolus defaon similaire. Comme le dit David, la logique qui sous-tend un systme de droit

    jurisprudentiel impose lobligation de sen tenir aux rgles qui ont t tablies par les juges (stare decisis ) et de respecter le principe du prcdent judiciaire. La common law est donc undroit qui impose des rgles pour rsoudre des cas selon leur ressemblance, do son nom,case law . Le droit civil, quant lui, impose des rgles qui se veulent des principes de

    conduite et de morale.

    La common law a comme deuxime source la loi, connue sous le nom de lgislation dlgueou lgislation subsidiaire . David prcise que dans la common law, la loi ne comporte pas de

    principes de droit; elle est plutt employe comme correctif aux principes tablis par lajurisprudence.

    Les autres sources, cest--dire la coutume, la doctrine et la raison, ne joueraient quun rlesecondaire dans le dveloppement proprement dit de la common law. Tout comme dans les

    pays de droit romano-germanique, la coutume rgit certaines manires de se comporter ensocit que personne ne remet en question. La doctrine et la raison seraient des recours pourcombler les lacunes des rgles de la jurisprudence.

    En rsum, cest la structure qui marquerait la principale diffrence entre la common law et ledroit civil. Cest galement la structure qui serait lorigine de la non-correspondance entrecertaines notions dun systme un autre. David prcise ce sujet que ne correspondant aucune notion connue de nous, les termes du droit anglais sont intraduisibles dans noslangues, comme le sont les termes de la flore et de la faune dun autre climat. On dnature lesens, le plus souvent, quand on veut cote que cote les traduire [167].

    Voici un texte qui contient des termes de la common law qui nont pas dquivalent dans la

    langue franaise du Canada.Lorsque la coutume napportait pas de solution, ou quelle devenait injuste force de dciderdeux affaires de la mme manire par le seul critrium des traits analogues, le Souverain,source de toute justice, chargeait son chancelier, depuis la fin du XVe sicle, de statuer si lesconclusions, tout en tant conformes la law , rpondaient l equity , fonction qui futconfie par la suite la Court of Chancery ou Court of Equity , laquelle est devenue unedivision de la High Court lorsque la rorganisation de 1873 a aboli cette dualit judiciaire.Cest pourquoi la High Court actuelle applique la law et l equity; si elles viennent en conflit,l equity prvaut[168].

    Ce passage tmoigne de la nature du droit romaniste et de la common law, tant sur le planhistorique que notionnel. Sur le plan historique, il tablit le rle que la royaut anglaise a jou

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    dans la dfinition de la structure de la common law; sur le plan notionnel, il montre quauCanada, malgr la longue cohabitation de ces deux traditions, on na pas trouv dquivalentsfranais nombre de notions du droit anglais.

    Ce bref historique des droits nous apprend que la common law diffre du droit romaniste par

    ses origines, par les sources de son droit, par ses divisions et par les concepts quelle admet.Les divisions de la common law, ainsi que le rle que la procdure joue dans cette tradition dedroit, sont lorigine dun grand nombre de concepts mconnus en droit civil, et quiconstituent, encore de nos jours, mme au Canada o ces deux systmes cohabitent depuis

    plus de deux sicles, lune des grandes difficults de la traduction. Par exemple, au Canada,on a renonc traduire des termes comme common law. Au Qubec, ce terme ne scrit plusen italique et lusage veut quil porte la marque du fminin[169].

    Pour ce qui est des problmes de forme, il faut savoir que chaque langue possde son propreschma dexpression crite. Le droit civil en langue franaise, par exemple, est le fruit destudes qui ont t faites dans les universits europennes au Sicle des lumires. Il faut donc

    que le traducteur connaisse les styles et les procds de rdaction des diffrents systmesjuridiques.

    En guise de conclusion, il y a lieu de prciser que, malgr leurs diffrences, les deux traditionspartagent une mme conception du droit, soit la recherche de la justice.

    2.3.4 La documentation dappui la traductionComme le droit est une science sociale, les phnomnes quil dcrit sont difficilementtransposables dune langue une autre ou dun systme un autre. De plus, la prsence desystmes juridiques diffrents pose le problme de la non-correspondance des notions ou destermes. Dans un cadre o la traduction doit surmonter les contraintes linguistiques et

    juridiques causes par la prsence de systmes juridiques diffrents, le traducteur a recours des outils ou des moyens lui permettant de sacquitter de sa tche. Le problme est de savoiro trouver ces moyens, et par o commencer la recherche documentaire.

    Gmar suggre un cheminement de recherche documentaire en trois tapes. La premire tapeest la lecture et lanalyse du texte, la deuxime est le relev des termes et notions inconnus, etla troisime est la recherche des quivalents. Le problme que signale Gmar dans le

    processus de recherche des quivalents est la tendance recourir au dictionnaire de traductionen premier lieu alors que, pour lui, ce dictionnaire devrait servir en dernier recours. Le

    problme, prcise Gmar, est dordre mthodologique, car il sagit de choisir une solution

    dans un domaine qui se caractrise par une grande abondance de termes, une polysmiechronique et une synonymie non moins importante. Quand, en outre, cette terminologie estdifficilement " exportable " puisque la ralit juridique dun pays ne peut tre impunmentcalque sur celle du voisin en raison des diffrences socioculturelles et socio-conomiques quise refltent dans les institutions[170].

    Un autre problme que les dictionnaires posent, signale Gmar, vient dune part du fait quilssuggrent des solutions du type recettes de cuisine et, dautre part, du fait que lesexemples quils fournissent sont souvent des traductions et non des textes originaux. Parailleurs, les dictionnaires, encore pour des raisons mthodologiques, ne peuvent fournir tousles contextes dans lesquels un terme peut tre utilis. De Groot, linstar de Gmar, dplore le

    fait que les dictionnaires ne fournissent pas le contexte dans lequel les termes quils suggrentpeuvent apparatre, tant dans la langue de dpart que dans la langue darrive : Ideally,

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    dictionaries should also give the context of the concepts that have to be translated as well asthe context of the suggestions for translations. [...] most dictionaries give some suggestionsfor translating a concept and usually only one of these suggestions is correct, depending oncontext [171]. De Groot croit galement que les dictionnaires ne devraient contenir que dessuggestions de traduction des termes dun systme juridique vers un seul autre systme

    juridique, chaque traduction ne concernant que deux systmes la fois.

    En raison du faible degr de fiabilit des dictionnaires, notamment des dictionnairesmultilingues, Gmar recommande lutilisation, en premier lieu, de dictionnaires oudencyclopdies juridiques unilingues, tant en langue de dpart quen langue darrive. Un

    bon dictionnaire devrait rpondre des critres dexhaustivit, de fiabilit et dutilit. Parexhaustivit, Gmar entend le srieux des auteurs dans les recherches effectues ainsi quedans lutilisation de la terminologie du domaine proprement dit. La fiabilit est dtermine

    par la qualit linguistique des entres, par les dfinitions, par les quivalents proposs et par ledegr dobsolescence de la terminologie. Noublions pas que le droit est une science sociale etque, par consquent, il suit lvolution de la socit. La fiabilit dpend galement du souci de

    prsentation, de la clart des noncs, de la concision et de la pertinence des dfinitions.Enfin, lutilit dun dictionnaire dpend, dans une large mesure, des critres dexhaustivit etde fiabilit. Le Vocabulaire systmatique de la terminologie de Rachel Boutin-Quesnel et al.indique quun dictionnaire terminologique qui traite dun seul domaine du droit comportegnralement un haut degr dexhaustivit.

    La proccupation de Gmar concernant la documentation juridique se justifie par le peu deconfiance quil accorde aux dictionnaires de traduction, mais surtout par le fait que, dans lechoix de dictionnaires, le traducteur doit tre fidle aux systmes concerns dans satraduction. Gmar recommande que le traducteur colle la ralit des systmes juridiques dutexte traduire. Cette mfiance peut galement tre prouve envers les dictionnaires detraduction en langue espagnole dans le contexte latino-amricain. Les bons dictionnaires ysont rares. Par ailleurs, il ne semble pas y avoir defforts concerts en vue de la productionventuelle douvrages lexicographiques en droit compar.

    Le traducteur ne doit pas se contenter de faire des recherches dans plusieurs dictionnaires, ildoit aussi savoir puiser dans des sources fiables. La recherche de telles sources exige que letraducteur connaisse les droits en prsence, quant au fond et la forme.

    Gmar tablit trois catgories de sources : les sources dites normatives, les sourcessecondaires et les sources varies. Les sources normatives comprennent les textes provenant

    de la lgislation - source de droit par excellence tant en common law quen droit civil (leslois, les rglements, les dcrets, etc.). Elles incluent aussi les textes de jurisprudence - sourceprincipale de droit en common law - qui constituent une source fiable de documentation pourle traducteur. Parmi les sources secondaires, cest--dire les sources de droit moinscontraignantes, Gmar mentionne les documents provenant de la coutume et de la doctrine,les rpertoires, les lexiques, les vocabulaires unilingues, bilingues ou multilingues, lescontrats types, etc. Le traducteur doit galement consulter des sources varies telles que desactes notaris, des contrats, des formulaires types, des procs-verbaux daudience, etc.

    La diversit et la quantit des sujets juridiques constituent un autre problme de la recherchedocumentaire. Comme le droit touche tous les domaines de lactivit humaine, il est difficile

    de distinguer les frontires entre les diffrentes branches du droit. La prolifration desbanques de donnes informatises permet laccs une masse dinformation; or, le problme

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    tient du reprage des branches du droit et des termes qui leur sont rattachs, et du cot levli linterrogation de ces banques.

    2.3.5 Lapproche pluridisciplinaire de la traduction juridiqueLexposition des quatre points de la typologie de Gmar fait ressortir la diversit des

    comptences que le traducteur juridique doit possder pour sacquitter convenablement de satche et de son rle de mdiateur de la communication. Le droit touche presque tous lesdomaines de lactivit humaine. Traduire des textes du droit commercial international, parexemple, signifie traduire des termes et des expressions de domaines aussi divers quelconomie de lentreprise, la fiscalit, et bien sr, lconomie politique.

    Il ne fait pas de doute que cette typologie peut inclure dautres lments. Comme il a tindiqu prcdemment, elle nest pas exhaustive; elle tablit des catgories dcueils qui fontde la traduction juridique une opration des plus complexes. On pourrait, par exemple, incluredans le deuxime point de cette typologie, les difficults de traduction releves par Sacco. Cetauteur[172] signale la coprsence de deux langages juridiques dans une seule langue, ainsi

    que la prsence de figures de rhtorique. Dans le premier cas, il sagit des langues communes plusieurs pays; par exemple, le franais qui est la langue parle en France, en Belgique, auQubec, en Suisse, etc. Il y aurait donc un langage juridique en franais pour chacun de ces

    pays pourtant francophones. Le mme principe sappliquerait dans le cas de la langueespagnole; il y aurait un langage juridique pour lEspagne comme pour chaque payshispanophone de lAmrique latine. Quant la prsence de figures de rhtorique, Sacco faitremarquer quelle peut causer un problme de dcalage entre lnonc verbal du locuteur et largle applique. Cet cart, selon Sacco, existe dans tous les systmes juridiques. Le droitcompar est la discipline susceptible de fournir au traducteur les instruments techniques quilui sont ncessaires pour surmonter ces difficults.

    Prcisons, pour conclure cette section, que la typologie de Gmar ne sapplique pasexclusivement la traduction juridique de langlais au franais, mais la traduction juridiqueoccidentale en gnral. La traduction vers lespagnol dun ouvrage sur le droit amricain enmatire de commerce et dinvestissements[173] atteste la problmatique de la traduction

    juridique souleve par Gmar.

    Dans leur Nota a la versin en espaol , les diteurs mexicains signalent comme premiredifficult la diffrence entre les systmes juridiques des deux pays, soit les diffrences entre latradition civiliste et la common law. Ils prcisent que pour surmonter cette difficult il nesuffit pas de faire une simple traduction; il est ncessaire de possder de vastes connaissances

    des deux systmes juridiques afin didentifier les quivalences qui se rapprochent le plus.Cette diffrence de traditions juridiques, prcisent-ils, engendre comme difficult lexistencede concepts pour lesquels il ny a pas de traduction en espagnol, simplement parce quelinstitution de droit amricain nexiste pas dans la tradition romano-cannica[174] . Lestermes subpoena et discovery en constituent des exemples.

    Ils signalent galement des problmes dordre linguistique. Par exemple, des termes qui, enapparence, sont des quivalents en espagnol mais qui, aprs analyse, ne sont que desquivalents partiels. Lutilisation de ces quivalents aurait comme consquence, signalent-ils,de donner une vision partielle qui pourrait facilement semer la confusion. Quelques-uns deces termes sont municipality , statute , tort , dont la traduction par municipio , ley , ou

    responsabilidad a comme dfaut, entre autres, dtre incomplte. Dautres problmes relevssont les termes en langue anglaise dont les diffrentes nuances ne peuvent tre rendues en

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    espagnol. Par exemple, les termes property-ownership rendu par propiedad, et procedure /proceeding rendu par procedimiento . Il sagit ici dun cas de perte de contenu par rapport loriginal. Les diteurs signalent galement les problmes causs par les termes anglais quiauraient plusieurs acceptions en espagnol, selon le contexte. Par exemple, le termeenforcement , qui peut tre rendu par aplicacin , ejecucin ou cumplimiento de la ley, et

    authority qui peut tre traduit par autoridad ou fuente . Un dernier problme qui a t soulevpar les diteurs est la fidlit au style de la version originale tout en respectant les us etcoutumes de la langue espagnole. Sagissant dun texte de la doctrine, dont la traduction,daprs Gmar, est comparable la traduction dun texte littraire, les diteurs se soucient dustyle de loriginal, tout en rendant le texte conforme au gnie de la langue espagnole.

    Les quivalences adoptes sont celles que le comit ditorial a jug les plus convenables. Parexemple, dans certains cas, le terme a t conserv dans la langue de dpart; dans dautres cas,il a t rendu par un quivalent en espagnol, et le terme anglais a t mis entre parenthses.On pourrait conclure que limportant, dans ce cas particulier, tait de rendre le contenu, cest--dire le droit sur le commerce et les investissements aux tats-Unis, accessible au lecteur

    hispanophone qui aurait quelques connaissances en anglais.

    Voil un exemple qui illustre bien la notion dquivalence telle que nous lavons dfinie auchapitre prcdent : lquivalence est tablie en fonction de ce qui est ngoci entre letraducteur et le client. Le client tant, dans ce cas particulier, le comit ditorial. Danslavenir, si le contexte changeait, les solutions adoptes par le comit ditorial risqueraient dechanger. Par exemple, avec le temps, les quivalences proposes dans la version espagnole delouvrage en question pourraient se passer des termes de la langue de dpart qui ont t misentre parenthses. Autrement dit, cela dpendrait de la lexicalisation, dans le temps, desquivalences proposes.

    2.4 La culture juridique et son importance en traductionSi nous continuons de tisser la trame qui constitue le discours juridique, il faudra y inclure lanotion de culture inhrente tout systme de droit.

    Lanthropologue Sally Engle Merry dfinit la culture comme les valeurs, les institutions et lesinteractions sociales partages par un groupe dindividus[175]. Elle prcise galement que ledroit fait partie des institutions ou des systmes normatifs qui ont contribu maintenirlordre au sein des socits, et que la structure du droit est intimement lie celle du groupe.Par consquent, ltude du droit ne peut tre spare de ltude de la culture du groupe qui afaonn le droit en question.

    Le droit, tout comme la culture gnrale, est un processus hermneutique qui a sa proprelangue et ses propres connaissances. Le droit est donc la fois gnrateur de culture et produitdune culture : il contribue faonner une culture, mais il possde aussi une culture qui lui est

    propre, la culture juridique.

    Les tudes portant sur la notion de culture juridique sont peu nombreuses, et encore moinsnombreuses sont celles qui comparent les diverses cultures juridiques. Par ailleurs, lesdfinitions donnes de cette notion sont souvent contestes, car la culture juridique estconsidre comme une notion passe-partout utilise pour expliquer plusieurs processus dudroit et des systmes juridiques. Lawrence M. Friedman, professeur et chercheur la Stanford

    University, est lun des juristes qui se sont beaucoup intresss cette notion.

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    Friedman dfinit la culture juridique comme lensemble des ides, des valeurs, des attitudesque les membres dune socit entretiennent envers le droit et envers le systme juridique. Il

    prcise galement que ces individus, en tant que partie dune communaut, dune entitsociale, prennent part aux ides et aux habitudes du groupe. De ce fait, la culture juridiqueserait lensemble des ides, des valeurs, des attitudes entretenues par les individus dune

    collectivit envers le droit et envers le systme de droit qui rgle leur vie en socit[176].Selon Friedman, la culture juridique dune socit serait lorigine du droit : ses normesdicteraient les normes juridiques. Cest galement la culture juridique qui dterminerait leffetdes normes juridiques sur la socit. Pensons par exemple la peine de mort dans le mondeoccidental. La sanction dune telle peine est gnralement confronte lopposition de lamajeure partie des individus, mme dans des pays o elle est applique.

    Au paragraphe prcdent, il est question de culture juridique externe; cest--dire la culturedes membres dune socit. La culture juridique[177] qui nous intresse dans la prsenterecherche est celle qui est porte par les juristes, celle que Friedman appelle culture juridiqueinterne .

    Avant de poursuivre notre analyse de la notion de culture juridique, il convient de faire uneautre distinction : celle entre la tradition juridique et le systme juridique. Ces deux termes,souvent utiliss comme des synonymes, dsignent des notions fort diffrentes.

    Les travaux de Merryman sont mis profit ici pour dfinir le systme juridique commelensemble des institutions, des procdures et des rgles autour desquelles sarticulent unsystme de droit. Voici sa dfinition :

    ... a set of deeply rooted, historically conditioned attitudes about the nature of law, about therole of law in the society and the polity, about the proper organization and operation of a legalsystem, and about the way law is or should be made, applied, studied, perfected and taught.The legal tradition relates the legal system to the culture of which it is a partial expression. It

    puts legal system into cultural perspective[178].

    Chaque tat ou chaque province possde son propre systme juridique, mme sils sappuienttous sur la mme tradition de droit. La tradition juridique, comme le prcise Merryman, est lelien qui unit le systme juridique la culture dont il est partiellement lexpression. Soulignonsque le terme tradition juridique se rapporte au systme juridique dans son ensemble, alors quela culture juridique - la culture juridique interne - se rapporte aux individus oeuvrant au seindun systme de droit. La tradition juridique se rapporte plus prcisment ce que les

    systmes juridiques issus dune mme famille de droit ont en commun.La notion de culture juridique est analyse plus en dtail dans la prsente recherche car elleaffecte la communication et, par consquent, la traduction dans le domaine du droit.

    Fix Fierro et Lpez Aylln ont ralis une tude sur la communication interculturelle au seindes groupes spciaux binationaux[179] qui dmontre que la culture juridique a des effets surle fonctionnement de ces groupes. Ltude portait plus particulirement sur la culture

    juridique darbitres amricains et mexicains, soit des juristes forms respectivement selon latradition de la common law et de la tradition romaniste. Les diffrences de culture juridiquereleves par les auteurs sont de natures diverses et ont des effets, entre autres, sur la

    communication[180] entre les intervenants.

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    Parmi les problmes de communication lis la diffrence entre les cultures juridiques, lesauteurs ont not des diffrences ayant trait aux systmes juridiques et des diffrences ayanttrait aux individus eux-mmes. Ainsi, dans la premire catgorie, ils ont relev des diffrencesquant la faon daborder les problmes juridiques : les juristes mexicains sattardent sur lesaspects formels des procs, alors que les juristes amricains sattardent sur les aspects

    pratiques. Cest un trait de culture que les auteurs ont appel formalisme mexicain etpragmatisme amricain [181]. Fix Fierro et Lpez Aylln considrent quen raison de leurformation, de leur mentalit et de leur pratique du droit, les juristes mexicains accordent la

    procdure une grande importance. Au Mexique, nombre de procs seraient reports voireannuls pour des raisons purement formelles. Ce trait de culture se traduit dans leraisonnement et le style danalyse des juristes. Les juristes mexicains auraient une tendance

    privilgier les concepts et les principes gnraux alors que leurs homologues amricains seconcentreraient sur des questions spcifiques et concrtes.

    Une autre difficult releve par les auteurs est le recours aux audiencias pblicas pourprsenter et clarifier les arguments des parties en conflit avec la participation active des

    membres dun groupe spcial binational. Les audiencias en droit mexicain ne sont pas, enprincipe, des vnements publics visant les changes verbaux, mais plutt une tape de laprocdure judiciaire servant la prsentation des pices dun dossier. Cette procduredchange verbal a t introduite dans le systme juridique mexicain en 1993 par la Ley deComercio Exterior . Le manque de familiarit avec cette procdure aurait pour effet demultiplier les stratgies discursives des parties pour obtenir leffet dsir. Le rsultat,signalent les auteurs de ltude, est un discours redondant, confus et maladroit, et la fin

    personne na une ide claire du rsultat de l audiencia pblica .

    Quant la deuxime catgorie de diffrences, soit celles lies lindividu lui-mme, FixFierro et Lpez Aylln signalent notamment la barrire de la langue et le degr deconnaissance des systmes juridiques en prsence. Ces deux lments posent des problmesde communication tout fait circonstanciels, cest--dire quils varient selon la compositiondu groupe spcial binational et la provenance de ses membres. LALENA ne prvoit pas dergle quant la langue de travail dun groupe spcial binational. Les juristes peuventsexprimer dans la langue de leur choix, selon leur matrise des diffrentes langues.

    Bien que les tudes sur la culture juridique ne soient pas trs nombreuses, il est desthoriciens qui se proccupent dtablir des mesures cherchant contrer les difficults poses

    par la diversit des cultures juridiques. Gloria M. Snchez, professeure la Western StateUniversity College of Law, propose que les coles de droit des universits amricaines

    incluent dans leur programme lenseignement des systmes et des cultures juridiques desprincipaux partenaires commerciaux des tats-Unis, et ce, dans les langues nationalesrespectives. son avis, cela viterait la dissonance, la confusion et lambigut dans lediscours juridique dans un contexte o coexistent diffrents systmes juridiques. Elle postulegalement que le systme juridique, la culture lie un systme de droit ainsi que la languevhiculant le droit en question faonnent la pense du juriste. ce sujet, elle prcise que

    [L]inguistic thought will not correspond in the minds of individuals of different cultural andlinguistic backgrounds because different methods of legal reasoning and different valuesunderlie the different legal systems in which they operate. Unless the parties become aware ofthe differences in their linguistic and cultural assumptions, the likelihood of

    misunderstandings and miscommunications in legal discourse between parties of differentlegal systems and cultures is great[182].

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    Sans faire de commentaires sur la viabilit et les consquences dune telle proposition, il fautreconnatre quelle constitue une mise en garde convaincante contre les effets que ladiffrence de culture juridique peut avoir sur le discours du droit. Cette mise en garde estvalable tant pour les juristes que pour les traducteurs. En effet, le traducteur juridique doit tre

    conscient de leffet que ces diffrences peuvent avoir non seulement sur le discours juridique,mais galement sur lopration traduisante elle-mme.

    2.5 Typologie des textes juridiques et responsabilit du traducteurComme il est indiqu au point 2.3.3, le droit est le moyen que les socits adoptent pourrgler les rapports entre les individus. Le rglement de ces rapports produit des textes tels quedes lois, des jugements, des accords, des contrats, des testaments et autres. Bien que tous cestextes appartiennent au domaine juridique, ils possdent des caractristiques parfois fortdiffrentes, quant leur forme et leur contenu.

    Les caractristiques propres chaque type de texte posent au traducteur des contraintes

    dimportance diverses. Ces contraintes se rapportent linterprtation du sens de loriginal etaux choix des ressources linguistiques pour la rexpression de ce sens. Sous-jacente cettecontrainte se trouve la notion de responsabilit du traducteur.

    Nous ne parlons pas ici de la responsabilit du traducteur envers des principes prescriptifs quidictent ce quil doit faire et ne pas faire. Comme le signale Anthony Pym, si le traducteur nefait que suivre des recettes, il ne sera responsable de rien qui soit proprement lui [183]. Laresponsabilit dont il est question ici se rapporte aux dcisions que le traducteur doit prendre

    pendant le processus de traduction, ainsi qu lemploi des ressources linguistiques,conceptuelles et notionnelles de son domaine de spcialit et, par consquent, la fiabilit dutexte quil doit livrer son client.

    Gmar regroupe les divers textes juridiques en trois catgories, savoir : 1) les actes dintrtpublic tels que les lois et les rglements, les jugements et les actes de procdure, 2) les actesdintrt priv tels que les contrats, les formules administratives ou commerciales, lestestaments et les conventions collectives et 3) les textes de la doctrine. Il reconnat galementtrois types de responsabilit au traducteur, savoir, lobligation des moyens , l obligation dersultat et l obligation de garantie [184]. Dans le premier cas, il entend le devoir que letraducteur a dutiliser au maximum, et non en partie seulement, les ressources presqueillimites de la langue. Dans le deuxime cas, il fait rfrence la rexpression du contenu

    juridiq