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Traitement de la spasticité C Kiefer O Rémy-Néris P Denys A Yakovleff L Mailhan P Azouvi B Bussel Résumé. Constatée à l’examen clinique, la spasticité est un symptôme défini par l’augmentation vitesse dépendante de la résistance du muscle à l’étirement. Des modifications des propriétés mécaniques des muscles, une réorganisation synaptique segmentaire médullaire ou la libération des voies segmentaires sont susceptibles d’expliquer ce symptôme. La gravité des conséquences fonctionnelles est variable. Lorsqu’elle est largement prédominante sur un groupe musculaire, un traitement focal (alcoolisation du nerf, injection de toxine botulique) ou chirurgical (neurotomie, DREZotomie [dorsal root entry zone]) est utilisé. Lorsqu’elle est plus diffuse, différentes drogues (baclofène, dantrolène, diazépam, tizanidine...) sont d’emploi habituel. Lorsque la spasticité est très importante et fonctionnellement très gênante, un traitement par baclofène intrathécal peut être proposé en particulier dans les atteintes médullaires. De très nombreuses techniques de kinésithérapie, visant à réduire la spasticité, ont été décrites ; leurs effets sont le plus souvent transitoires. © 2000 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Introduction Depuis Lance en 1980 [16] , la spasticité est définie comme une hyperactivité de l’arc réflexe myotatique entraînant une augmentation vitesse dépendante du réflexe tonique d’étirement avec exagération des réflexes ostéotendineux et libération des réflexes de flexion (réflexes polysynaptiques). La spasticité est la conséquence d’une lésion du faisceau pyramidal quelle qu’en soit la topographie (cortex cérébral, capsule interne, tronc cérébral ou moelle épinière). Elle est un des trois éléments du syndrome pyramidal auquel s’associent un trouble de la commande volontaire (paralysie) et une perte de la sélectivité des mouvements (syncinésies). Parmi ces trois éléments, la spasticité n’est responsable que d’une partie de la gêne fonctionnelle liée à la lésion des voies descendantes. Mais c’est le seul de ces symptômes actuellement sensible aux thérapeutiques. Les mécanismes physiopathologiques de la spasticité sont complexes et encore mal connus [19] . Les principaux mécanismes mis en jeu semblent être en rapport avec la libération des voies segmentaires médullaires. Une hyperactivité des motoneurones gamma, longtemps évoquée, est désormais remise en question. L’accent est mis actuellement sur la diminution de l’inhibition présynaptique exercée sur les fibres Ia, la diminution de l’inhibition autogénétique Ib exercée sur le motoneurone, l’hyperexcitabilité du motoneurone et peut-être une hyperactivité des fibres du groupe II musculaire. De plus, des modifications des qualités viscoélastiques du muscle et une réorganisation synaptique segmentaire participent au développement de l’hypertonie spastique dans les semaines suivant la lésion des voies descendantes. Catherine Kiefer : Chef de clinique-assistant. Olivier Rémy-Néris : Chef de service, fondation franco-américaine, hôpital Calvé, Berck-sur-Mer, 62600 France. Pierre Denys : Praticien hospitalier. Anton Yakovleff : Attaché. Laurence Mailhan : Chef de clinique-assistant. Philippe Azouvi : Professeur des Universités, praticien hospitalier. Bernard Bussel : Professeur des Universités, praticien hospitalier. Service de rééducation neurologique, hôpital Raymond-Poincaré, 92380 Garches, France. Indications thérapeutiques NOTION D’ÉPINE IRRITATIVE Avant de traiter la spasticité, il est indispensable de chercher et de traiter les éventuelles épines irritatives : escarre, ongle incarné, phlébite, fécalome, infection urinaire, lithiase rénale ou vésicale, chaussage ou appareillage inadapté..., car ces lésions stimulent des afférents nociceptifs qui peuvent augmenter le réflexe d’étirement. Or, du fait des troubles sensitifs, les épines irritatives ne sont pas toujours perçues par le patient, qui doit donc (ainsi que son entourage) être particulièrement vigilant quant à leur prévention et à leur détection précoce. INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES Elles doivent être discutées en fonction de la topographie localisée ou diffuse de la spasticité et surtout en fonction de la gêne fonctionnelle qu’elle entraîne. Un traitement spécifique sera entrepris dans les deux cas indiqués ci-après. Spasticité fonctionnellement gênante La gêne fonctionnelle peut être diverse. Il peut s’agir d’un triceps sural hypertonique, cause d’un équin, ou d’une griffe des orteils gênant la marche ; ou encore d’une hypertonie des fléchisseurs des doigts et du poignet gênant l’ouverture de la main ; citons également les contractures en flexion ou en extension des membres inférieurs, qui sont une cause de chute ou de blessure fréquente lors des transferts d’un patient paraplégique. Au contraire, dans certains cas, la spasticité peut être fonctionnellement utile (quadriceps spastique facilitant la stabilité debout et la marche), elle sera donc préservée. Spasticité, source de complications La spasticité peut être la cause de lésions cutanées (escarre ischiatique favorisée par une malposition de bassin...), de lésions articulaires (luxation de hanche sur spasticité des adducteurs...), de douleurs (contractures abdominales souvent source de réveils nocturnes). Encyclopédie Médico-Chirurgicale 17-046-U-15 17-046-U-15 Toute référence à cet article doit porter la mention : Kiefer C, Rémy-Néris O, Denys P, Yakovleff A, Mailhan L, Azouvi P et Bussel B. Traitement de la spasticité. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Neurologie, 17-046-U-15, 2000, 5 p.

Traitement de la spasticité

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Page 1: Traitement de la spasticité

Traitement de la spasticitéC KieferO Rémy-NérisP DenysA YakovleffL MailhanP AzouviB Bussel

Résumé. – Constatée à l’examen clinique, la spasticité est un symptôme défini par l’augmentation vitessedépendante de la résistance du muscle à l’étirement. Des modifications des propriétés mécaniques desmuscles, une réorganisation synaptique segmentaire médullaire ou la libération des voies segmentaires sontsusceptibles d’expliquer ce symptôme. La gravité des conséquences fonctionnelles est variable. Lorsqu’elle estlargement prédominante sur un groupe musculaire, un traitement focal (alcoolisation du nerf, injection detoxine botulique) ou chirurgical (neurotomie, DREZotomie [dorsal root entry zone]) est utilisé. Lorsqu’elle estplus diffuse, différentes drogues (baclofène, dantrolène, diazépam, tizanidine...) sont d’emploi habituel.Lorsque la spasticité est très importante et fonctionnellement très gênante, un traitement par baclofèneintrathécal peut être proposé en particulier dans les atteintes médullaires. De très nombreuses techniques dekinésithérapie, visant à réduire la spasticité, ont été décrites ; leurs effets sont le plus souvent transitoires.© 2000 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction

Depuis Lance en 1980 [16], la spasticité est définie comme unehyperactivité de l’arc réflexe myotatique entraînant uneaugmentation vitesse dépendante du réflexe tonique d’étirementavec exagération des réflexes ostéotendineux et libération desréflexes de flexion (réflexes polysynaptiques).

La spasticité est la conséquence d’une lésion du faisceau pyramidalquelle qu’en soit la topographie (cortex cérébral, capsule interne,tronc cérébral ou moelle épinière). Elle est un des trois éléments dusyndrome pyramidal auquel s’associent un trouble de la commandevolontaire (paralysie) et une perte de la sélectivité des mouvements(syncinésies). Parmi ces trois éléments, la spasticité n’est responsableque d’une partie de la gêne fonctionnelle liée à la lésion des voiesdescendantes. Mais c’est le seul de ces symptômes actuellementsensible aux thérapeutiques.

Les mécanismes physiopathologiques de la spasticité sont complexeset encore mal connus [19]. Les principaux mécanismes mis en jeusemblent être en rapport avec la libération des voies segmentairesmédullaires. Une hyperactivité des motoneurones gamma,longtemps évoquée, est désormais remise en question. L’accent estmis actuellement sur la diminution de l’inhibition présynaptiqueexercée sur les fibres Ia, la diminution de l’inhibition autogénétiqueIb exercée sur le motoneurone, l’hyperexcitabilité du motoneuroneet peut-être une hyperactivité des fibres du groupe II musculaire.De plus, des modifications des qualités viscoélastiques du muscle etune réorganisation synaptique segmentaire participent audéveloppement de l’hypertonie spastique dans les semaines suivantla lésion des voies descendantes.

Catherine Kiefer : Chef de clinique-assistant.Olivier Rémy-Néris : Chef de service, fondation franco-américaine, hôpital Calvé, Berck-sur-Mer, 62600France.Pierre Denys : Praticien hospitalier.Anton Yakovleff : Attaché.Laurence Mailhan : Chef de clinique-assistant.Philippe Azouvi : Professeur des Universités, praticien hospitalier.Bernard Bussel : Professeur des Universités, praticien hospitalier.Service de rééducation neurologique, hôpital Raymond-Poincaré, 92380 Garches, France.

Indications thérapeutiques

NOTION D’ÉPINE IRRITATIVE

Avant de traiter la spasticité, il est indispensable de chercher et detraiter les éventuelles épines irritatives : escarre, ongle incarné,phlébite, fécalome, infection urinaire, lithiase rénale ou vésicale,chaussage ou appareillage inadapté..., car ces lésions stimulent desafférents nociceptifs qui peuvent augmenter le réflexe d’étirement.Or, du fait des troubles sensitifs, les épines irritatives ne sont pastoujours perçues par le patient, qui doit donc (ainsi que sonentourage) être particulièrement vigilant quant à leur prévention età leur détection précoce.

INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES

Elles doivent être discutées en fonction de la topographie localiséeou diffuse de la spasticité et surtout en fonction de la gênefonctionnelle qu’elle entraîne. Un traitement spécifique seraentrepris dans les deux cas indiqués ci-après.

¶ Spasticité fonctionnellement gênanteLa gêne fonctionnelle peut être diverse. Il peut s’agir d’un tricepssural hypertonique, cause d’un équin, ou d’une griffe des orteilsgênant la marche ; ou encore d’une hypertonie des fléchisseurs desdoigts et du poignet gênant l’ouverture de la main ; citons égalementles contractures en flexion ou en extension des membres inférieurs,qui sont une cause de chute ou de blessure fréquente lors destransferts d’un patient paraplégique.Au contraire, dans certains cas, la spasticité peut êtrefonctionnellement utile (quadriceps spastique facilitant la stabilitédebout et la marche), elle sera donc préservée.

¶ Spasticité, source de complicationsLa spasticité peut être la cause de lésions cutanées (escarreischiatique favorisée par une malposition de bassin...), de lésionsarticulaires (luxation de hanche sur spasticité des adducteurs...), dedouleurs (contractures abdominales souvent source de réveilsnocturnes).

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Toute référence à cet article doit porter la mention : Kiefer C, Rémy-Néris O, Denys P, Yakovleff A, Mailhan L, Azouvi P et Bussel B. Traitement de la spasticité. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris,tous droits réservés), Neurologie, 17-046-U-15, 2000, 5 p.

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La spasticité favoriserait l’apparition de rétractions, d’une part enraison de la diminution du nombre de sarcomères [24], d’autre parten raison du maintien prolongé de l’articulation concernée dans uneposition particulière. Les rétractions sont elles aussi source dedouleurs et de gêne fonctionnelle parfois majeure.

CHOIX THÉRAPEUTIQUE

La kinésithérapie est indispensable mais souvent d’efficacité limitéeen particulier à long terme. D’où le recours aux traitementsmédicamenteux (par voie orale ou intrathécale ou par infiltration)et/ou aux traitements chirurgicaux, selon que la spasticité est diffuseou localisée et que l’effet souhaité est transitoire ou définitif.

Traitements kinésithérapiques

Les techniques kinésithérapiques de traitement de la spasticité sontnombreuses. Elles ont été mises au point, non pas pour traiter leseul symptôme spasticité mais l’ensemble des troubles secondairesà la lésion du système nerveux central. Si la plupart des techniquesque nous allons décrire brièvement diminuent la spasticité pendantleur application ou dans les heures suivantes, leur efficacité à pluslong terme n’a jamais été prouvée. La kinésithérapie est doncrarement utilisée seule dans le traitement de la spasticité, mais elledemeure indispensable en association aux autres types detraitement.

MOBILISATIONS - POSTURES

Leur but est la prévention des complications orthopédiques de laspasticité et de l’immobilité. Elles diminuent la spasticité mais ceteffet est de courte durée.

– Les mobilisations ne doivent pas provoquer demicrotraumatismes capsulaires ou ligamentaires, facteurs favorisantle développement d’une algoneurodystrophie. Il faut aussi rappelerle risque de fracture, important chez des sujets alités doncdéminéralisés. Les mobilisations doivent donc être lentes, prudentes,avec des bras de levier courts. Elles doivent être réaliséesmanuellement afin de s’adapter au tonus musculaire et à la douleurressentie par le patient.

– Les postures ont deux objectifs : lutter contre les rétractions sansaggraver la spasticité par un étirement intempestif du muscle, etlutter contre la spasticité (mais cet effet est aujourd’hui très discuté).La position recherchée est l’étirement musculaire maximal nes’accompagnant pas d’une aggravation de la spasticité. Par exemplepour éviter la rétraction du triceps sural et l’équin du pied, il seraitidéalement nécessaire de maintenir la cheville à 10° de dorsiflexion.Une telle attitude entraînerait chez de nombreux patients un clonusinépuisable. On posture donc l’articulation de façon douce etprogressive pour éviter un réflexe d’étirement phasique et à l’anglemaximal de dorsiflexion n’entraînant pas de réflexe d’étirement.

– Les plâtres et orthèses permettent le maintien de la posture surune période prolongée. Leur utilisation est limitée par le risque decomplications cutanées et impose donc une surveillance stricte.

– L’installation de ces patients, au lit ou au fauteuil, est un élémentessentiel de leur prise en charge. Elle doit respecter les principes despostures (maintien du meilleur équilibre orthopédique sans majorerla spasticité) afin de préserver les capacités fonctionnelles ultérieuresdu sujet.

TECHNIQUES NEUROMOTRICES

Elles ont pour but de faciliter le mouvement volontaire en inhibantla spasticité qui s’oppose au mouvement. Si leur effet sur laspasticité n’est pas discuté, en revanche leur effet sur l’améliorationà long terme du mouvement ou sur la récupération de l’hémiplégien’a fait l’objet d’aucune étude contrôlée. Les principalestechniques sont indiquées ci-après.

¶ Technique de Bobath

Bobath a proposé d’inhiber les contractures spastiques en activantles voies afférentes proprioceptives et extéroceptives [4], afin defaciliter le mouvement volontaire.Pour réduire la spasticité et guider les mouvements actifs, lerééducateur utilise des « points clés de contrôle » proximaux, axiauxou distaux.

¶ Technique de Kabat

On utilise la contraction musculaire comme moyen d’inhibition dela spasticité. En effet, après contraction maximale d’un muscle,celui-ci se relâche, de même que ses antagonistes par inhibitionréciproque. La technique de Kabat associe aussi des étirementsmusculaires lents, en faisant l’hypothèse que la stimulation desorganes tendineux de Golgi par l’étirement maximal du muscleinhibe le réflexe myotatique.

¶ Technique de Brunnstrom

Cette technique est très controversée car elle utilise les synergies deflexion ou d’extension des membres dont la répétition peutaugmenter la spasticité.

TECHNIQUES SENSITIVOMOTRICES

Nous citerons uniquement la technique de Perfetti (approchesensorimotrice de la rééducation de l’hémiplégique et la techniquede Rood (inhibition du tonus musculaire par stimulationssensitives). Leur efficacité n’est pas prouvée.

ÉLECTROTHÉRAPIE [1]

L’électrostimulation peut diminuer la spasticité mais l’efficacité enest toujours transitoire (moins de 24 heures). Elle peut être faite dansun but fonctionnel (stimulation électrique fonctionnelle) permettantainsi de pallier un déficit moteur localisé tout en réduisantl’hypertonie spastique des muscles intéressés [11] . Elle peut êtrecouplée à des techniques de biofeedback afin d’apprendre au patientà contrôler la contraction musculaire spastique.Les vibrations tendineuses prolongées ont un effet inhibiteur sur leréflexe myotatique. Cette technique a été proposée sur une spasticitélocalisée (fléchisseurs du poignet et des doigts). D’utilisation assezrécente, elles semblent efficaces chez l’hémiplégique spastique.Cependant leur effet est limité à quelques heures.

PHYSIOTHÉRAPIE

L’application de froid (cryothérapie) peut réduire la spasticité. Eneffet, la stimulation des thermorécepteurs peut, par des voiespolysynaptiques, inhiber les motoneurones spastiques [14].L’application de chaud (thermothérapie) est beaucoup pluscontroversée.

Médicaments per os

Trois médicaments sont à notre disposition : dantrolène, baclofèneet diazépam.Le dantrolène sodium (Dantriumt) est le seul antispastique à actionmusculaire [26]. Il inhibe la libération de calcium du réticulumsarcoplasmique de la fibre musculaire. Son action est plusimportante sur les fibres musculaires rapides. Sa demi-vie est de 8 à10 heures. Le traitement doit être commencé à petites doses (25 mgtrois fois par jour) puis augmenté progressivement jusqu’à unmaximum de 300 mg/j. Les effets secondaires fréquemmentrencontrés sont des vertiges, des nausées et des épisodes desomnolence. Des hépatites toxiques peuvent survenir surtout chezdes sujets traités à fortes doses (> 300 mg) et s’il est associé auxœstrogènes. L’hépatotoxicité de ce médicament impose une

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surveillance régulière des transaminases et en interdit l’emploi siune lésion hépatique préexiste à son utilisation.Le baclofène ou bêta-4-chlorophényl-GABA (Liorésalt) est un analoguede l’acide gamma-amino-butirique (GABA) qui est un desprincipaux neurotransmetteurs inhibiteurs du système nerveuxcentral [26]. Son site d’action principal est médullaire [13] et il agit surles récepteurs GABA B en pré- et en postsynaptique. Enprésynaptique, par une diminution de la conductance des canauxcalciques, il diminue le relargage des neurotransmetteurs et enpostsynaptique, il diminue l’excitabilité de la membrane en jouantsur les canaux potassiques. La demi-vie du baclofène est de 8 heures.Sa tolérance est en général bonne ; parfois peuvent survenir desnausées et une somnolence. Des crises d’épilepsie et des épisodesde confusion mentale ont été décrits chez des sujets âgés oucérébrolésés [15]. Les comprimés sont dosés à 10 mg. On commencepar un comprimé trois fois par jour et on augmente progressivementjusqu’à une dose maximale de 120 mg par jour. Le Liorésalt est plusefficace que les autres traitements antispastiques sur la spasticitésecondaire à une lésion médullaire. C’est actuellementl’antispastique le plus utilisé en première intention.Le diazépam (Valiumt) est le plus anciennement utilisé. Leclonazépam (Rivotrilt) est utilisé de la même façon. L’avantage duclonazépam est sa forme buvable. Les benzodiazépines ont uneaction centrale en potentialisant les effets du GABA sur sonrécepteur GABA A par augmentation de son affinité. Le diazépam ade nombreux sites d’action mais son effet antispastique semble êtrelié aux récepteurs médullaires. L’efficacité du diazépam estsensiblement comparable aux autres antispastiques mais son emploiest limité par les effets secondaires : somnolence, sédation. C’estpourquoi on commence la thérapeutique par de petites doses de2 mg matin et soir que l’on augmente très progressivement enfonction de la tolérance (maximum 30 mg/j). Une accoutumance etune dépendance au traitement peuvent survenir lors d’un traitementprolongé. L’arrêt progressif du traitement s’impose alors.

ÉTUDES COMPARATIVES

De nombreuses études ont essayé d’évaluer l’efficacité comparée desdifférents antispastiques. L’efficacité de ces trois médicamentssemble similaire [5], le dantrolène et le baclofène sont les plus utilisésactuellement.

AUTRES TRAITEMENTS ANTISPASTIQUES

L’effet de la clonidine [8] et de la thréonine a été testé par des étudesnon contrôlées réalisées sur de petites populations. La clonidine eninjection intrathécale est actuellement utilisée dans le cadre deprotocole de recherche.La tizanidine qui est un alpha-2 bloquant central, a un effetantispastique par action médullaire. Son efficacité semble supérieureà celle du baclofène pour certains auteurs dans la sclérose enplaques [9]. Les effets secondaires les plus fréquents sont la sédationet la diminution de la force musculaire, mais ceux-ci n’entraînentque très rarement l’arrêt de la thérapeutique. Actuellement, cemédicament n’est pas commercialisé en France.

Autres thérapeutiques médicales

INJECTION D’ALCOOL À 60 % OU DE PHÉNOL À 5 %

Elle est utilisée au contact d’un nerf à la suite des résultats obtenuspar Tardieu et al en 1964 [25] chez l’infirme moteur cérébral (IMC).Un anesthésique local puis l’alcool sont injectés. Différents nerfspeuvent être ainsi infiltrés tels que le nerf obturateur ou le sciatiquepoplité interne. L’efficacité est bonne mais transitoire (de 3 à 6 mois)nécessitant de répéter les injections. On observe une diminution del’hypertonie spastique et de la force musculaire des muscles innervéspar le nerf alcoolisé. On observe des dysesthésies ou des douleursdans 15 % des cas.

L’injection d’alcool aux points moteurs du muscle est possible (pourle grand pectoral ou les jumeaux par exemple). L’efficacité de cettetechnique est discutée.

INJECTION DE TOXINE BOTULIQUE

Les études de Dengler et al [6], Memin et al [17] et Snow et al [23] ontmontré l’efficacité de l’injection intramusculaire de toxine botuliquede type A dans le traitement de la spasticité. Cette substance agitsur la jonction neuromusculaire au niveau présynaptique enbloquant la libération d’acétylcholine. Ainsi la contractionmusculaire est inhibée, entraînant une véritable dénervationchimique. Utilisée initialement dans le cadre des mouvementsanormaux, la toxine botulique est utilisée dans le traitement de laspasticité depuis Snow en 1990 [23] quoiqu’elle n’ait actuellementl’AMM (autorisation de mise sur le marché) que pour l’équinspastique de l’IMC de plus de 12 ans. Il existe deux toxines sur lemarché : une d’origine anglaise (Dysport, laboratoire Speywood)dont les flacons contiennent 500 UI, et une d’origine américaine(Botox, laboratoire Allergan) dont les flacons contiennent 100 UI. Iln’y a pas actuellement de véritable consensus en ce qui concerne laconcordance de doses. Les doses injectées sont fonction de la tailledu muscle et varient de 20 UI pour le long fléchisseur du pouce parexemple, à 200 UI pour le quadriceps (Botox). Le repérage est visuelet palpatoire pour les muscles superficiels et électromyographiqueavec stimulation pour les muscles profonds. Le délai d’action est de3 à 8 jours. L’effet augmente progressivement pendant 3 à 4semaines avant d’atteindre une phase de plateau qui dure 2 à 3 moisen moyenne. Puis l’effet s’estompe correspondant à la repousseaxonale et à la constitution de nouvelles plaques motrices. Les effetssecondaires sont rares : hématomes au point d’injection, faiblessemusculaire, amyotrophie. Ils sont toujours transitoires et réversibles.L’inconvénient principal de ce traitement est son coût (1 080 F HTpour 100 U de Botox en 1998), d’autant que les injections doiventêtre répétées tous les 3 mois environ. Ceci incite actuellement àproposer au patient un traitement définitif (neurotomie) quand lesinjections de toxine, pratiquées à deux ou trois reprises, lui ontapporté un réel bénéfice fonctionnel.

INJECTION INTRATHÉCALE DE BACLOFÈNE [18]

Le baclofène peut être injecté en intrathécal par ponction lombaire,par l’intermédiaire d’un site d’injection ou par l’intermédiaire d’unepompe implantée sous la paroi de l’abdomen et reliée à l’espacesous-arachnoïdien par un cathéter. Ce traitement peut être indiquéen cas de spasticité diffuse aux membres inférieurs et/ou auxmembres supérieurs mais avec une moindre efficacité.Après injection d’un bolus de baclofène, le délai d’action est de1 heure environ, l’effet se maintient 12 à 16 heures et est dosedépendant [3]. La tolérance est bonne. Dans quelques rares cas, unesomnolence marquée ou une dépression respiratoire, signant unsurdosage, imposent une surveillance transitoire en milieu deréanimation, le temps que le produit s’élimine. Une augmentationdu déficit moteur, parallèlement à la diminution de l’hypertonie estfréquente et entraîne parfois une gêne fonctionnelle importante dontle patient doit être prévenu. Le baclofène intrathécal peut égalementavoir un effet délétère sur les fonctions génitosexuelles chezl’homme [7]. Quel que soit le mode de délivrance du baclofèneintrathécal, les règles d’asepsie les plus strictes doivent êtrerespectées afin d’éviter la survenue d’une méningite d’inoculation.Les pompes peuvent également se compliquer de dysfonc-tionnement, de déplacement ou de rupture du cathéter semanifestant par une « inefficacité » du traitement.Avant d’envisager la pose d’une pompe à baclofène, il estindispensable d’avoir prouvé par des injections-tests à dosesprogressivement croissantes, d’une part l’efficacité du traitement àune dose n’entraînant pas d’effet secondaire notable, et d’autre partle gain fonctionnel et/ou l’amélioration de la qualité de vie dupatient [2] . En effet, ce traitement est coûteux et astreignant pour lepatient (remplissage du réservoir tous les mois à tous les 3 mois,

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changement de la pompe tous les 5 ans). L’administrationintrathécale n’a obtenu l’AMM que pour la spasticité secondaire àdes lésions spinales ou à des lésions encéphaliques de l’enfant deplus de 12 ans.

BLOCS ANESTHÉSIQUES TRONCULAIRES

La réalisation de blocs périphériques de conduction par injectiond’un anesthésique local (Xylocaïnet ou plus récemment étidocaïne)au contact d’un nerf repéré par électrostimulation, a déjà étépratiquée par Tardieu et Hariga [25] : avant d’injecter l’alcool, ilsvérifiaient, par l’injection d’anesthésique, l’efficacité et le bénéficeattendus du traitement local de la spasticité.Ces techniques se sont développées en raison de leur intérêtdiagnostique [10]. Les blocs anesthésiques tronculaires permettentd’une part, d’évaluer l’importance relative de l’hypertonie et desrétractions dans les déformations observées, et d’autre part des’assurer, sur quelques heures en cas d’injection d’étidocaïne, que letraitement de la spasticité améliore le patient (en termesd’esthétique, de confort, et/ou de fonction). Ce test thérapeutiqueest essentiel avant d’envisager un traitement définitif de la spasticité(neurotomie par exemple).

Traitements neurochirurgicaux

RADICOTOMIES POSTÉRIEURES [12, 21]

On repère par stimulation électrique les racines rachidiennes dont lastimulation entraîne une réponse musculaire tonique persistant àl’arrêt de la stimulation. Elles sont sectionnées à 60 %. Tous lesétages médullaires peuvent être concernés par cette technique etnotamment cervicaux dont la spasticité est souvent mal maîtriséepar l’injection intrathécale de Liorésalt. Cette technique est devenued’indication exceptionnelle.

DREZOTOMIE

Initialement utilisée dans les syndromes douloureux chroniques,cette technique est maintenant employée pour traiter une spasticitélimitée à certains métamères. On interrompt par micro-incisions oucoagulations les fibres afférentes responsables de la spasticité à lajonction radicellomédullaire. Ces fibres sont situées dans la racinepostérieure plus latéralement que les fibres sensitives d’originecutanée. L’indication principale de cette technique est la spasticitédes membres inférieurs, très invalidante. Sindou et al [21, 22]

rapportent 80 % de bons résultats sur 93 patients grabataires en

triple flexion et atteints d’une sclérose en plaques. La DREZotomie aaussi été proposée pour réduire la spasticité du membre supérieurchez l’hémiplégique adulte. La complication principale de cetteméthode chirurgicale est l’hypoesthésie douloureuse desdermatomes concernés (50 % des cas).

NEUROTOMIES FASCICULAIRES SÉLECTIVES

Proposées dès 1912 par Stoffel chez l’IMC, elles ont les mêmesindications que les neurotomies chimiques. Après dissection dutronc du nerf et repérage des axones moteurs par stimulation, uneneurotomie des quatre cinquièmes est effectuée. Privat en 1993 [20],observe une diminution constante de la spasticité et uneamélioration fonctionnelle pour 45 % des 159 patients opérés d’unmembre inférieur. Actuellement, l’indication d’une neurotomie, gestedéfinitif, ne sera retenue qu’après bloc anesthésique du ou des nerfsconcernés permettant d’en tester sur quelques heures les effetsanalytiques et fonctionnels. Elle ne sera pratiquée que si les gainsanalytiques et fonctionnels sont confirmés.

Conclusion

La spasticité est un symptôme clinique actuellement bien défini maisdont le support physiopathologique n’est pas encore totalement élucidé.Les traitements kinésithérapiques ont pour but premier l’améliorationglobale de la motricité du patient. La réduction de la spasticité en estalors un corollaire parfois indispensable. Si l’efficacité de ces techniquesest bonne, elle est malheureusement transitoire.D’autres traitements réduisent la spasticité. Le traitement de laspasticité focalisée à un groupe musculaire est réalisé par unedestruction partielle du nerf ou de la plaque motrice soit chimiquement,(alcool, toxine botulique) soit chirurgicalement (neurotomie). Letraitement de la spasticité diffuse est médicamenteux (par voie orale ouintrathécale) ou chirurgical (DREZotomie).Si l’efficacité de ces différents traitements sur le symptôme spasticité estclairement établie, leur efficacité fonctionnelle reste, en revanche, àdémontrer.De même, la gêne fonctionnelle induite par la spasticité et le bénéficefonctionnel attendu par le traitement choisi se doivent d’être évalués aucas par cas. Ici apparaît l’intérêt des blocs anesthésiques tronculairesqui permettent au patient et aux thérapeutes de tester le traitement dela spasticité et d’en évaluer les conséquences fonctionnelles.Ainsi le traitement de la spasticité doit s’intégrer dans la prise encharge de l’ensemble des déficiences des patients, et s’attacher à réduireleurs incapacités et à améliorer leur qualité de vie.

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Références[1] Andre J, Brugerolle B, Beis J, Chellig L. La stimulation élec-

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Neurologie Traitement de la spasticité 17-046-U-15

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