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T RAÎTRES QUE SONT LES VENTS Par Denisa Logojan U N RÉCIT ...

Traîtres que sont les vents

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Un récit par Denisa Logojan

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Page 1: Traîtres que sont les vents

TRAÎTRES QUE SONT LES VENTS

Par Denisa Logojan

UN RÉCIT...

Page 2: Traîtres que sont les vents

CHAPTER 1∏

TRAÎTRES QUE SONT LES VENTS

Mon lit oscille sévèrement sous mon corps fatigué. Je m’y suis habitué, à mon petit berceau personnel et à ses mouvements irréguliers, mais ces derniers jours, il m’a secoué comme une vulgaire poupée de chiffon. D’ailleurs, tous les membres de l’équipage en ont subi les conséquences; notre sommeil est pauvre et notre rendement n’est pas au sommet.

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C’est précisément le 7 novembre 1913 que ces affreux vents ont débuté. Je le sais parce que je l’ai annoté dans mon petit calendrier avec une encre rouge. Tous, incluant le capitaine avons espéré que ceux-ci se calmeraient mais cela fait maintenant six jours que nous attendons. Il s’agit sûrement de ma fatigue, mais il me semble bien qu’ils soufflent encore plus qu’hier.

Une violente secousse me jette sur l’extrémité de mon petit lit et je dois fermement agripper le coté opposé pour éviter de tomber. Semi-endormi, je tente de me redresser.

Les yeux maintenant forcés à s’ouvrir, je balaie la petite cabine du regard, où j’aperçois trois autres de mes collègues marins. Ils dorment paisiblement. Suis-je vraiment le seul à sentir le vent et les vagues puissantes?

Malgré ma vision légèrement embrouillée par la fatigue accumulée, j’arrive facilement à déceler l’heure affichée par le minuscule réveil déposé sur l’une des petites étagères.

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L’alarme annonçant le début de notre journée de pêche ne va pas tarder sur notre navire. Seulement quelques instants plus tard, le cri familier du cadran hurle et envahi la petite pièce. Mes collègues se remuent, avant d’être fortement secoués par une autre vague.

−Hey Pierre! Ils se sont pas calmé ces vents hein?, lance Robert, un bon ami.

Je secoue la tête tristement et il serre la mâchoire.

−Non vieux, j’pense même que c’est pire.

Il lance une injure et hurle; Allez les gars, c’est l’temps de travailler! D’bout!

J’entends quelques grognements insatisfaits alors que j’enfile rapidement mes vêtements de travail. Bottes, manteau, et veste de sécurité en place, je me dirige vers la partie supérieure du Warrior of the Seas. Je sens les autres travailleurs derrière moi, leurs pas résonnant sur le plancher.

Nous nous équilibrons tous sur les murs et les barres de support afin de ne pas céder aux oscillations déstabilisantes du bateau.

Alors que nous arrivons à la cuisine, l’interphone retentit dans la petite pièce, me faisant sursauter momentanément.

−Ici le capitaine. Il vente encore plus qu’hier et y fait plus froid que jamais. Assurez-vous de mettre vos bottes antidérapantes et d’être encore plus conscients des dangers parc’que c’est dangereux en ciboulette su’l pont! Sur ce, bonne journée les gars!

Il y a un moment de silence parmi nous avant que les complaintes habituelles se fassent entendre. Je vais me procurer mon déjeuner et je m’approche de Robert.

− Ça s’annonce mal tu ne trouves pas?

Il se tourne vers moi et me dévisage d’un air courroucé.

−Ben oui ça s’annonce mal Pierre! C’est toujours pire! J’me rappelle pas avoir connu une tempête aussi forte! On devrait au moins arrêter d’travailler pour aujourd’hui, si c’est si dangereux, Robert s’exclame, furieux, on est pas des pions que’l capitaine peut utiliser pour faire d’l’argent!

− Je secoue ma tête et lui jette un air réprobateur.

Et ta famille? C’est qui qui va la nourrir celle-là? T’as une femme et trois enfants. Tu vas pas les laisser crever d’faim, hein? On nous avait ben avertis que ça allait être dur ce métier!

Ses yeux s’attendrissent lorsque je mentionne sa famille. Il soupire un bon coup.

−Viens t’asseoir et mange ton p’tit déjeuner.

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Je souris et prend une place à ses côtés. Le petit banc proteste sous mon poids mais tiens bon. J’engouffre le contenu de mon assiette en moins de cinq minutes et je passe une main rugueuse à travers mes boucles brunettes.

Après le déjeuner, nous nous dirigeons tous sur le pont supérieur.

Hier matin, un mat important de notre cargo s’est effondré sous le poids de la glace le recouvrant et de la puissance anormale du vent. Le capitaine nous a ordonné de le réparer temporairement jusqu’à ce que nous arrivions au port.

La réparation est si exigeante que six hommes y ont été envoyés.

Malgré mes lunettes de protection, ma vision est embrouillée par les particules d’eau projetées sur celles-ci. La visibilité est quasi-nulle; je ne peux presque pas déceler mes collègues situés à cinq mètres de moi.

Nous marchons difficilement jusqu’au mat et nous nous attachons aux poteaux se trouvant à proximité afin de ne pas nous envoler, puis nous nous affairons tous à la tâche.

Au bout d’une heure de travail intensif, il n’est pas prêt d’être réparé et je ne sens plus mes doigts, même emmitouflés dans mes gants.

−Les gars! J’pense qu’il vaut mieux qu’on rentre! , je hurle par-dessus le vent et la glace.

−Y reste juste à fixer les deux bouts ensemble Pierre! Tiens bon, on a presque fini!, me répond Martin, le travailleur le plus acharné du lot. Je me tais et recommence mon travail en redoublant d’ardeur.

L’adrénaline circulant dans mes veines est si intense que j’oublie tout ce qui m’entoure, incluant mes besoins primaires. Lorsque je me rends compte que mes doigts ont bleuis et que ma température corporelle a baissé dangereusement il est trop tard.

Une gigantesque vague glacée nous asperge tous jusqu’à l’os. Mes tremblements sont incessants. L’inconscience cherche à m’agripper férocement. Je cesse mes mouvements et regarde autour de moi.

Ce que je vois me laisse horrifié.

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Tous mes compagnons sont gelés, leurs yeux vitreux. Robert m’observe d’un regard dénudé de vie, les cils glacés.

La panique me saisit par le cœur et je cherche maladroitement à défaire le nœud me nouant au poteau derrière moi, sans succès. Plus le temps passe, plus mes gestes perdent leur contrôle et au bout de quelques minutes, j’abandonne. Mes cordes vocales sont asséchées et seulement un murmure parvient à quitter mes lèvres.

−À-à l’aid-de. . .

Ce furent mes derniers mots.

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