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  • 7/24/2019 Trans Fuge

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    15 RUE DU CONSERVATOIRE75009 PARIS - 01 42 46 18 38

    SEPT 12Mensuel

    Surface approx. (cm) : 1084

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    GALLIMARD5910933300502/CND/ART/2

    Elments de recherche : GALLIMARD : maison d'ditions, toutes citations y compris ses collections Partie 1/2 (cf fiche pour dtails)

    L A m r i a SL e j e u n e N i c k F l y n n , d a n s s o n d e u x i m e

    r o m a n , C o n t e s r e b o u r s , e x p l o r e l e sd m o n s d 'u n e A m r i q u e g a r e d a n s s a

    f o l l e l u t t e c o n t r e l e t e r r o r i s m e .U n e t r a v e r s e d a n t e s q u e d e s t n b r e s .

    P A R D A M I E N A U B E Lb r le -t-e lle ?

    premire vue, tous les ingrdients de la

    success-story made in U S.A sont runis.

    La trajectoire de Nick Flynn dans le lan-

    derneau littraire transatlantique, c'est

    Cendrillon chez les crivains, un de ces

    scnarios qui font chaud au cur et pleurer

    dans touslesoofoc/MfodeNewYorkLos

    Angeles Un pre absent qui vire S.D F et

    alcoolo, une mre addict qui se suicide, des annes de

    dglingue ricocher d'un job l'autre, la boisson, la

    drogue. Et puis, conscration littraire et applaudis-

    sements critiques la sortie de l'poustouflantEncore

    une nuit de merde dans cette ville paume,rcit mosaque

    impressionniste de ses retrouvailles avec son gniteur

    dans un foyer pour sans-abri Cerise sur le gteau,

    Hollywood est entr dans la danse avecBeing Flynn,

    encore indit sous nos latitudes, avec De Niro en tte

    d'affiche, carrment

    Voil, c'est dit Oublions, si vous le voulez bien, ce

    pitchexemplaire dont rvent tous les services marketing

    de l'dition et consacrons-nous l'essentiel Comme

    RickHoody dansA larechercheduvoilenoir,NickFlynn

    est l'un de ces rares crivains s'aventurant dans les

    ddales autobiographiques qui russit en faire une

    uvre - une vraie et pas un de ces succdans scan-

    dale doute ux (voir James Frey et sesMille morceauxde

    sinistre mmoire) Car si Nick Flynn reconnat bel et

    bien avoir crit un mmoire , c'est moins pour le

    plaisir de se dboutonner en public que parce que

    le genre (en tout cas en Amrique) est extrmement poreux

    et [qu'il s'y sent] libre. Libre, par exemple, de choisir

    une criture fragmentaire.

    Contes reboursest unmiroirbris,unemosaque

    chatoyante de rfrences: Ce foisonnement tait ce

    qui me paraissait se rapprocher le plus de mon exprience

    de la conscience D'o la prsenc e de L'Amantde

    Duras un auteur qui eut une influence norme sur mo

    lorsciue favais 20 ans, mas aussi celle de Samuel Beckett,

    dont le fantme plane sur chaque page de ce livre. Duras,

    Beckett: si exprience de la conscience il y a, c'est

    une conscience angoisse. Plus proche du pome en

    prose que du journal intime, le livre grne ainsi une

    srie de vignettes dessinant, dans un jeu de reflets

    infinis, la double angoisse d'un futur pre et d'un

    citoyen amricain La naissance imminente de sa fille

    ractive l'histoire tumultueuse de ses parents et de

    ses amours tandis que les photos des dtenus dAbou

    Ghraib confrontent Nick Flynn - et son pays - la

    question de la torture MaisContes a rebours, au-del de

    l'actualit et de l'autobiographie, raconte un voyage

    au bout de la nuit: vers la lumire

    L 'A m riq u e d e s m e n s o n g e s Au milieu de ma vie, je me suis trouve dans les

    sombres profondeurs d'un bois, gar >

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    15 RUE DU CONSERVATOIRE75009 PARIS - 01 42 46 18 38

    SEPT 12Mensuel

    Surface approx. (cm) : 1084

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    GALLIMARD5910933300502/CND/ART/2

    Elments de recherche : GALLIMARD : maison d'ditions, toutes citations y compris ses collections Partie 1/2 (cf fiche pour dtails)

    les mthodes d'interrogatoire muscles ? Comment le

    documentariste Errol Morris, dcortiquant les imagesdes svices infligs Abou Ghraib dansStandard

    OperatingProcdure,peut-il faire passer, dans un article

    du New York Times, au second plan la catastrophe

    morale qu'elles reprsentent au profit de ce qui n'est

    finalement qu'un problme technique : dterminer

    l'identit d'un prisonnier cagoule, trouver la bonne

    lgende des photos? Aveuglement total, sinon cynisme.

    Si le Bien et le Mal se dissolvent dans la nuit paisse

    tombant sur les Etats-Unis, les corps des prisonniers se

    retrouvent eux aussi avals par les tnbres. Les photos,

    ces fameuses photos qui ont fait le tour du Web et des

    mdias, ont la texture d'un rve: une texture d'ombre,diaphane et changeante .On ne les voit plus, ces hommes

    ridiculement habills, humilis sous l'objectif et l'il

    narquois de leurs gardiens. Paradoxe de la photo, celui

    auquel se heurtait David Hemmings chez Antonioni

    dansBlow Up: force de les scruter, les tres et les

    objets se dissolvent dans le grain de l'image, happs

    par le nant. MaisContes reboursraconte une sortie del'ombre et redonne visibilit ces oublis. Nick Flynn

    ne fait pas de la thorie froid, pas plus qu'il ne donne

    dans l'indignation en chambre: il est all Istanbul

    l'invitation d'une avocate pour rencontrer des ex-

    dtenus, dans l'espoir, explique-t-il, de tordre le cou

    certaines ides reues concernant l'identit de, ces hommes et d

    les donner voir darts toute leur complexit d'tres huma ins .Il a cout le triste hros

    d'un clich trop fameux,

    cet homme tenu en laisse

    par sa gelire. Il l'a vu se

    lever devant lui, il a vu soncorps prendre consistance

    et il le raconte dans une

    scne superbe charge de

    rminiscences christiques.

    C'est une incarnation, au

    sens littral du terme : un

    tre qui apparat, dans

    toute la plnitude de sa

    chair. L'homme-chie nsort enfin de la nuit o l'image l'avait repouss.

    Le livre pro jette une lumire

    v io len te su r no t re pa r t d om breet nous rappel le q ue le M al n 'ar ien vo ir ave o une ins tancesup r ieure . Le des t in , le k arm a,le sor t , i i y son t pour r ien : nou ssom m es les seu ls responsables

    U n e p o s ie d e f e uRien d'tonnant si les tnbres se dchirent:

    Contes reboursest hant par le feu. Nick Flynn estaussi (et d'abord) pote: Tout ce que j'cns prend une

    fo rm e po t iq ue . Lo rs qu e je co m m en ce un no uv ea u te xt e, je

    ne sais jamais si ce sera de la prose, de la posie, ou quelque

    chose entre les deux. C'est cet entre-deux qui m'intresse. U n

    entre-deux qui perinet d'embraser un texte en prose,

    commeContes rebours,de puissantes images obs-

    dantes. C'est la danse fantasmagorique des ombres

    que projette le brasier de la caverne platonicienne dont

    Nick Flynn rappelle l'allgorie. Ce sont les incendies

    qui fascinaient tant sa mre. Tous les fragments en

    apparence dsarticuls du livre sont souds par ce feu

    qui revient sans cesse. Et qui peut, tout simplement,

    rayonner d'une tendre chaleur: c'est le soleil de laritournelle des Beatles, Hre Comes the Sun , que

    fredonne Nick sa fille.Contes reboursrevientdu cur

    des tnbres pour baigner, enfin, dans la lumire purequ'apport l'enfant venant de natre.

    Sauf que la clart, che/ Nick Flynn, est aussi celle,

    intransigeante voire blessante, de la lucidit, de la

    connaissance de soi. Il s'agit moins de dissiper les

    tnbres que d'en rvler d'autres, plus paisses, plus

    drangeantes. Nick Flynn, en vrai pote, est un homme

    de lettres donc d ' images - littralement.Contes rebours

    ne feuillette pas seulement l'album infamant des

    photos des prisonniers d'Abou Ghraib, il nous emmne

    aussi dans un muse imaginaire, o l'on croise Piero

    dlia Francesca et un Crivelli duXVsicle,Saint Michel

    et le Dragon.Un dragon qui n'a rien d'un pittoresque

    cracheur de feu, mais qui est aussi notre Satan int-rieur, notre face obscure. Le livre projette une lumire

    violente sur notre part d'ombre et nous rappelle que

    le Mal n'a rien voir avec une instance suprieure.

    Le destin, le karma, le sort, n'y sont pour rien : nous

    somm es les seuls responsables.Contes reboursest bien

    un voyage au bout de la nuit - la ntre.