14
1 Hyperurbain Technologies de l’Information et de la Communication en milieu urbain : quel impact sur la ville sociale ? 29 mars 2007 Transformations des outils pour la ville: TIC et réalité augmentée (à partir du projet IP City) Maria BASILE, Alain BOURDIN, Jean-Jacques TERRIN Résumé Cette contribution consiste à explorer les conditions dans lesquelles les techniques de réalité mixte peuvent s’inscrire dans des environnements urbains. Un des aspects de la mise en œuvre de ces techniques est de faciliter la participation et la communication entre acteurs d’un même projet ou d’un même évènement : élus, citoyens habitants, riverains, dans le cas d’un projet urbain ; spectateurs dans le cas d’un évènement sportif ou culturel. Le principe de la recherche présentée à l’occasion de cette communication est d’offrir à ces acteurs, qu’ils soient néophytes ou professionnels, un ensemble de technologies leur permettant d’observer collectivement l’avenir de leur ville, de débattre ensemble de futurs développements, de découvrir le passé et le futur de leur cité. La contribution de notre équipe à ce projet est plus spécifiquement de participer aux spécifications de ces outils et notamment de les interroger dans leur capacité à représenter une situation urbaine en action. Elle consiste également à vérifier leur pertinence au travers de plusieurs expériences menées dans le cadre de projets urbains en cours. Mots clés Réalité mixte, interactivité, acteurs de la ville, projet urbain, représentation urbaine, négociation Sommaire 1. Le contexte de la recherche La problématique de la présence 2. Représentation urbaine entre action et interaction 3. Les dimensions de la représentation Echelle (scale) Temporalités (temporalities) Frontières (borders) Strates (layers) Flou (fuzziness) Ambiance (ambience) Mobilité (mobility) 4. La boîte à outils initiale MR-tent Colour table (TUI) Façade painter 3D Modelling reconstruction Carte augmentée Dispositifs mobiles

Transformations des outils pour la ville: TIC et réalité ...terrin.net/wp-content/uploads/2007/03/Hyperurbain-La-réalité... · • Les méthodes de mesure et l’élaboration

  • Upload
    dokiet

  • View
    216

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

1

Hyperurbain Technologies de l’Information et de la Communication en milieu urbain : quel impact sur la ville sociale ? 29 mars 2007

Transformations des outils pour la ville: TIC et réalité augmentée (à partir du projet IP City) Maria BASILE, Alain BOURDIN, Jean-Jacques TERRIN

Résumé Cette contribution consiste à explorer les conditions dans lesquelles les techniques de réalité mixte peuvent s’inscrire dans des environnements urbains. Un des aspects de la mise en œuvre de ces techniques est de faciliter la participation et la communication entre acteurs d’un même projet ou d’un même évènement : élus, citoyens habitants, riverains, dans le cas d’un projet urbain ; spectateurs dans le cas d’un évènement sportif ou culturel. Le principe de la recherche présentée à l’occasion de cette communication est d’offrir à ces acteurs, qu’ils soient néophytes ou professionnels, un ensemble de technologies leur permettant d’observer collectivement l’avenir de leur ville, de débattre ensemble de futurs développements, de découvrir le passé et le futur de leur cité.

La contribution de notre équipe à ce projet est plus spécifiquement de participer aux spécifications de ces outils et notamment de les interroger dans leur capacité à représenter une situation urbaine en action. Elle consiste également à vérifier leur pertinence au travers de plusieurs expériences menées dans le cadre de projets urbains en cours.

Mots clés Réalité mixte, interactivité, acteurs de la ville, projet urbain, représentation urbaine, négociation

Sommaire 1. Le contexte de la recherche

La problématique de la présence 2. Représentation urbaine entre action et interaction 3. Les dimensions de la représentation

Echelle (scale) Temporalités (temporalities) Frontières (borders) Strates (layers) Flou (fuzziness) Ambiance (ambience) Mobilité (mobility)

4. La boîte à outils initiale MR-tent Colour table (TUI) Façade painter 3D Modelling reconstruction Carte augmentée Dispositifs mobiles

2

E-diary 5. Expérimentation

Conclusions Bibliographie

1. Le contexte de la recherche La rencontre entre urbanisme et nouvelles technologies est encore timide : les principaux apports de la recherche en sciences humaines sur les TIC concerne leur impact sur l’organisation sociale et territoriale1 dans la perspective de leur banalisation, qu’elle ait déjà eu lieu ou dans une optique de prospective. Les contributions sont moins nombreuses concernant la production de la ville. Le projet européen IP City2 constitue une opportunité pour s’interroger sur les apports de la réalité mixte (MR) aux environnements urbains, le long du processus de projet et dans l’appropriation de l’espace.

La notion de réalité mixte consiste à mobiliser des objets virtuels dans des espaces réels, afin de créer la perception d’environnements « mixtes ». Parmi les définitions les plus utilisées, nous retenons ici les plus pertinentes par rapport au rapprochement avec l’urbanisme et à l’approche des chercheurs d’IP City.

Paul Milgram et son équipe (1994) proposent la notion de continuum entre réalité et virtualité, la réalité mixte couvrant la gamme de combinaisons possibles entre ces extrêmes.

Fig.1 Réinterprétation du schéma de l’équipe de Paul Milgram sur la MR

En reliant ces notions au domaine de la ville, le registre de la « virtualité augmentée » s’applique aux outils de représentation du projet sous le mode de la simulation avec une recherche de réalisme poussée. Pour intensifier l’expérience, l’usager dispose d’éléments 1 Par exemple, le laboratoire LATTS du CNRS (Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et Université de Marne-la-Vallée, http://latts.cnrs.fr/site/ob.php) interrogent les nouvelles technologies pour les transformations qu’elles induisent dans l’organisation du travail, les nouveaux modes de gouvernance, la gestion des réseaux et son articulation dans le territoire. 2 IP City « Interaction and Presence in Urban Environments » est un Projet intégré inscrit au 6e PCRD (Programme-cadre de recherche) de la Commission européenne en réponse à l’appel d’offre « Presence and Interaction in Mixed Reality Environments », http://www.ipcity.eu/

Réalité  mixte  (MR)

Monde  virtuel

Monde réel

Réalité augmentée

(AR)

Virtualité augmentée

(AV)

Immersion  dans  un  environnement  virtuel

Augmentation  des  capacités  de l’utilisateur, de l’objet ou de l’environnement

3

réels dans l’univers virtuel généré par l’ordinateur. Les logiciels de rendering permettent de développer des animations de plus en plus sophistiquées, qui peuvent être enrichies de toute sorte d’éléments multimédia.

Le projet IP City se situe plutôt à l’autre extrémité, dans le champs de la « réalité augmentée » : des éléments générés par l’ordinateur se greffent sur l’environnement réel, qui reste le terrain principal de l’action. L’un des enjeux majeurs de l’appel d’offre dans lequel s’inscrit le projet IP City est le développement d’interfaces mobiles et légères. L’objectif est de faire sortir les technologies de MR des laboratoires et des bureaux d’étude dans lesquels ils sont actuellement développés et utilisés pour les rapprocher de la multitude d’usagers de la ville.

Le recours aux technologies de la réalité augmentée comporte de travailler sur l’alignement réciproque entre le site urbain et les éléments numériques qui y sont apportés pour l’« augmenter ». Selon Ronald Azuma (1997), cela comporte une capacité d’interaction et une réactivité en temps réel. Le projet IP City correspond à une démarche de recherche-action à partir d’une « boîte à outils » qui évolue selon les prescriptions émergeant de la confrontation avec le processus de projet urbain et la ville. Cette confrontation passe par des phases d’expérimentation en situation réelle avec des observations et des évaluations de type ethnographique, au croisement de disciplines telles que les sciences cognitives, la socio-psychologie et l’anthropologie culturelle. Elle comporte également une interrogation « en retour » sur les processus de production de la ville et les pratiques urbaines. Quatre champs d’expérimentation sont prévus dans le cadre du projet : le renouvellement urbain, les grands évènements, les jeux éducationnels et l’histoire des villes.

1.1 La problématique de la présence en MR L’appel d’offre européen concerne le champ de recherche sur « présence et interaction ». Initialement développé dans le cadre de la réalité virtuelle (VR), ce champ s’ouvre aux technologies de MR et suscite de nouveaux enjeux et de nouvelles approches. La réflexion sur la présence dans le cadre du projet IP City s’efforce de développer les spécificités de la MR dans son articulation aux applications urbaines.

Le terme de « présence » est une contraction de la notion de « téléprésence », l’analyse de l’expérience individuelle face aux technologies et leur rôle de médiation dans l’immersion dans un environnement constitué (entièrement ou en partie) d’éléments généré par l’ordinateur. Les chercheurs du projet IP City font référence aux travaux de Lombard et Ditton (1997) concernant la définition de la présence comme médiation “au deuxième degré” pour indiquer l’analyse de l’expérience individuelle avec la médiation de technologies lorsque le rôle de l’outil technologique n’est pas nettement perçu. Cette définition est particulièrement pertinente dans un contexte de MR appliquée à la ville car l’interaction avec l’environnement est au centre de la réflexion. Dans le domaine de la VR, la recherche sur la présence3 porte sur :

• Les méthodes de mesure et l’élaboration de questionnaires sur la perception de la réalité (psychophysiologie)

3 Nous faisons référence ici à l’état de l’art qui a été établi par les chercheurs du projet IP City comme base commune de réflexion dans le cadre du premier rapport annuel « Consolidated conceptual framework and scenarios » concernant l’axe « Interaction and Presence » (WP3)

4

• Les facteurs de la présence, et notamment sur les facteurs cognitifs tels qu’absorption, imagination créative, empathie, etc.

• Les variations spatio-temporelles du sentiment de présence, ainsi que sur les causes auxquelles attribuer les interruptions de cet état de perception

• L’élaboration de systèmes d’évaluation des technologies et de leur capacité de médiation

La transposition de la notion de présence au domaine de la MR est parfois problématique. En effet, certaines méthodes, valables en laboratoire, se révèlent réductives en milieu « mixte », où il est difficile d’isoler les paramètres à mesurer. La question de la lumière et de la gestion des écrans, par exemple, se pose de manière tout à fait différente en VR et en MR. La technique influence de ce fait la manière d’appréhender la notion même de présence. De plus, en VR cette notion se fonde sur une hypothèse d’extériorité et d’homogénéité de l’environnement alors que la MR fait de ce dernier un objet d’étude, en tenant compte des mutations permanentes qui en font sa complexité. Enfin, les chercheurs du projet IP City sont amenés par leurs pratiques à questionner l’approche « classique » de la présence par la VR en ce qui concerne la prédominance du facteur “stimuli externes”, face auxquels le sujet est considéré un récepteur passif. En effet, capacité d’interaction et réactivité sont des éléments fondateurs de la MR qui invitent à porter un autre regard sur la condition de l’usager.

Poser la question de la présence en MR comporte de tenir compte des spécificités de cet environnement. A cause de l’interaction avec le monde réel, l’immersion n’est pas le seul mode de configuration possible : la réalité peut être captée également par le biais de projections d’images ou de vidéos, l’enjeu étant de mettre en relation les éléments réels et virtuels. Se posent donc les questions de la représentation à l’échelle réelle et des nécessités de modélisation des sites d’intervention (Milgram et al., 1994).

Le parti pris dans le cadre d’IP City est de profiter du champs d’application de la ville pour enrichir la notion de présence à partir des spécificités de la MR, notamment en insistant sur la matérialité qui la distingue de la VR. De plus, dans le cadre de l’appel d’offre la réflexion sur la présence va de pair avec celle d’interaction entre les usagers. Le projet IP City se donne pour objectif de passer de l’expérience individuelle à l’expérience collective par la notion de collaboration et de co-présence. Il s’agit donc également de faire évoluer la réflexion sur la perception psycho-physiologique, éminemment passive à une vision qui insiste sur la construction de sens, l’expression, l’expérience et l’action.

2. Articulation MR-ville La réflexion menée depuis le début du projet en lien avec les problématiques liées à la ville a abouti à une concept map qui rassemble et organise les thèmes et les questions émergés à partir des expériences menées dans les différents axes du projet. Il s’agit d’un outil de travail qui correspond à l’étape actuelle et qui a vocation à évoluer. Ce schéma rassemble autour de l’expérience de l’usager, au cœur de la réflexion sur présence et interaction, trois champs qui orientent la manière de concevoir les outils et les scénarii d’expérimentation : l’environnement réel (la ville), les média (les outils) et l’action (les expérimentations).

5

Fig.2 Concept map sur Présence et interaction

L’apport des problématiques urbaines se retrouve essentiellement dans les questions liées à l’environnement, mais certaines considérations alimentent également les deux autres champs.

2.1 Echelle Dans l’articulation entre réel et virtuel, les questions d’échelle et d’alignement réciproque sont cruciales, non seulement techniquement, mais également par rapport aux mécanismes qui régissent la production de la ville et le projet urbain.

Le système de codification des représentations du projet urbain a pour objectif de faire apparaître les éléments pertinents selon l’échelle considérée : l’impact du projet urbain dans la stratégie de la maîtrise d’ouvrage urbaine au niveau du territoire, de la ville, du quartier, les enjeux au niveau architectural, depuis le bâtiment jusqu’au détail. Toutefois ces représentations codées ne sont pas à la portée de tous les acteurs, leur interprétation n’est pas immédiate (une légende est nécessaire pour ce genre de représentation).

Les technologies à développer devraient tenir compte de la nécessité de passer insensiblement d’une échelle à une autre. En effet, dans les débats et négociations autour du projet urbain, les questions de stratégie générale ont souvent des implications sur des questions très concrètes et de détail.

Par ailleurs, la représentation code d’un élément à une échelle déterminée comporte des références à des réalités complexes et à leur perception. Dans ce sens, un simple croquis

6

peut-être très efficace : il peut renvoyer en peu de traits à des éléments implicites, qui constituent néanmoins des références précises et partagées par le plus grand nombre.

2.2 Frontières (borders) Le projet urbain demande aussi bien un travail sur les limites que sur les objets urbains eux-mêmes. En effet, les négociations portent souvent sur les frontières qui délimitent les objets (notamment en ce qui concerne le foncier) : il s’agit des interfaces entre différents statuts, qui peuvent faire émerger les conflits. Parfois les règles sont ambiguës : la négociation est nécessaire afin de les préciser et de rendre l’action sur l’espace possible. Ces zones de frontière, cependant, sont également celle où une marge de manœuvre est possible : c’est là où la flexibilité est possible, où des pratiques innovantes peuvent émerger.

Ces frontières prennent parfois la forme de limites linéaires, d’autres fois de fuseaux. Cette notion prend toute sa pertinence en ce qui concerne les compétences des acteurs (notamment dans les situations complexes comme les friches ferroviaires ou les villes portuaires), mais aussi l’identification des zones à risque (d’inondation, d’avalanche, etc.) ou le calcul d’impact (par exemple sonore)…

Parfois les limites sont définies du point de vue légal, dans d’autres cas elles concernent les usages. Une question récurrente dans le projet urbain est de pouvoir distinguer le domaine public du domaine privé, mais aussi le collectif de l’individuel. Cette distinction n’est pas toujours nette, les usages et les compétences sont hybrides. Ce serait donc très utile de disposer d’outils permettant de rendre les limites visibles sur le site et non pas seulement sur carte, ce qui permettrait d’appréhender la complexité d’une situation urbaine de manière plus immédiate : la contribution de la MR pourrait aller dans le sens d’une perception à l’échelle réelle, à la fois en ce qui concerne la vision globale et une précision d’information sur des questions aussi subtiles et délicates que les frontières.

2.3 Strates (layers) La représentation de la ville et du projet passe par la notion de strates à la fois en termes de stratifications de la ville et d’expertises mobilisées par les multiples domaines d’action sur la ville (réseaux, transports, constructions, espaces verts, etc.). Ces stratifications concernent à la fois l’espace et le temps. En effet, la ville est constituées de différents niveaux : ce qui en émerge est le plus visible (les bâtiments, la végétation, le mobilier urbain), mais le sol en lui-même est un enjeu en soi (les routes et leur revêtement) et le sous-sol contient les réseaux techniques, parfois des lignes de métro, mais également les couches archéologiques en profondeur.

En effet, la ville du présent doit se confronter avec la ville du passé, car cette dernière interfère avec la création de nouvelles structures, mais elle constitue aussi la mémoire et la base pour de les développements futurs.

Les nouvelles technologies de MR pourraient servir pour élaborer des synthèses, pour faire dialoguer différentes strates, pour travailler sur les interfaces, pour montrer ce qui est invisible, à la fois en termes techniques et culturels, notamment quand il s’agit de discuter avec des acteurs non habitués aux modes de représentation classique du projet urbain.

2.4 Temporalités (temporalities) La dimension des temporalités peut se décliner en termes de mémoire, d’évolution et d’adaptation aux changements, de prise en compte des rythmes et des modes de vie, etc.

7

Un des enjeux primordiaux sur la scène de l’interaction consiste dans la capacité de représenter les évolutions, comment le passé s’emboîte avec le présent et en vue de futurs développements. En effet, les sites urbains gardent des traces de ce processus à travers les éléments archéologiques, les traces dans le territoire, des usages qui parfois persistent au fil du temps malgré les transformations spatiales.

La thématique de la temporalité peut également croiser les problématiques du développement durable dans la capacité de raisonner dans le long terme. Le projet urbain doit répondre à des exigences d’adaptabilité, d’entretien, qui devraient être intégrées dans les phases amont du débat et devraient pouvoir trouver une forme spécifique d’expression.

Une approche du projet par les temporalités devrait également prendre en considération l’agenda des acteurs de la scène de l’action et de l’interaction. En effet chacun est conditionné par des contraintes spécifiques : les politiques par les échéances électorales, qui ne correspondent généralement pas aux échéances administratives, alors que les promoteurs et les investisseurs raisonnent plutôt sur le court terme, etc.

Enfin, les négociations autour du projet urbain devraient également tenir compte des changements dans en termes de rythmes urbains, la ville et ses pratiques dans les différentes phases de la journée (jour/nuit), de la semaine (jours ouvrables/week-end), de l’année (impact des saisons notamment dans la fréquentation des espaces intérieurs/extérieurs), etc. L’effervescence autour des bureaux du temps démontre combien la gestion des temporalités est un enjeu pour la ville. Ces variations peuvent-elles être prises en compte par la MR ? Quel en serait l’apport spécifique ?

2.5 Mobilité (mobility) La mobilité est une clef pour la compréhension de la ville contemporaine, qui se fonde sur les flux de personnes et de véhicules (nœud intermodaux, hubs) et sur des usages nomades. Or, les outils de représentation sont souvent statiques, ils intègrent mal la notion de la vitesse à laquelle les objets urbains sont perçus (par exemple selon le mode de déplacement). Il s’agit également d’un enjeu au niveau technologique, car les prototypes ne seront efficaces que s’ils permettront une perception de la ville en mouvement.

2.6 Ambiance (ambience) La notion d’ambiance est de plus en plus mobilisée à la fois par les opérateurs urbains et par les chercheurs, car elle permet de faire appel aux dimensions multi-sensorielle et interdisciplinaire dans la représentation de la ville et du projet. Cette notion peut être reliée au débat sur l’Ambiance (en tant que perception globale) et les ambiances (thermique, sonore, lumineuse, olfactive, etc.), ainsi qu’au débat sur la présence et l’interaction dans la MR.

Cela concerne trois niveaux de perception :

• Le phénomène physique : la lumière, le son, la température, les odeurs, la circulation de l’air, etc. ;

• La perception sensible : la dimension physiologique et psychologique, l’interprétation des sensations ;

• Les pratiques culturelles et sociales : usages, comportements, imaginaires…

L’expérience de la ville inclut toutes sortes de sensations concernant l’environnement dans lequel la personne est immergée et cela selon les trois niveaux de perception cités ci-dessus. Il s’agit de notions à la fois subjectives et collectives. L’apport de la MR dans ce sens

8

concerne à la fois la représentation à l’échelle réelle (immersion, interactivité des outils) et la possibilité de mettre l’accent sur une perception multi-sensorielle (pour l’instant, essentiellement le son en complément de la vue).

2.7 Flou (fuzziness) Le montage d’opérations urbaines comporte une dimension d’incertitude et de flou sur laquelle se construit progressivement le projet : il est nécessaire d’en tenir compte dans le développement des prototypes, car les représentations trop nettes risquent de restreindre les espaces de négociation. Tous les éléments ne doivent pas nécessairement être définis de la même manière lors d’un débat : en effet, la discussion risque parfois de se focaliser sur des détails, évacuant la vision d’ensemble. Il n’est pas nécessaire que les images soient nettes et complètes pour pouvoir reconnaître ce qu’elles sont censées communiquer.

Par des images avec des parties en mouvement ou floues il est possibles d’attirer l’attention uniquement sur les éléments nécessaires pour le débat et le reporter en ce qui concerne des questions moins urgentes, car la précision est nécessaire seulement pour les éléments pour lesquels la prise de décision est imminente. C’est pour cette raison que les projets urbains donnent surtout des indications sur les masses et sur les volumes, sans entrer dans le détail des formes et des styles architecturaux. Il est important que les nouveaux outils laissent cette possibilité ouverte.

3. Représentation urbaine entre action et interaction La recherche en cours compte parmi ses objectifs de se confronter aux problématiques urbaines et cela en tenant compte de la complexité liée tant à la compréhension qu’à la représentation de processus de projet urbain.

Cette complexité dépend de plusieurs facteurs, dont notamment :

• Les enjeux du projet urbain sur un même site concernent généralement différentes échelles du territoire

• La ville est en évolution permanente et il est difficile d’observer les usages qui s’y déroulent

• Un autre facteur de complexité est lié à diversité des paramètres et des expertises mobilisés par le projet urbain

Nous proposons une posture dialectique entre action et interaction. Si l’on considère une situation urbaine comme une scène pour l’action, un premier cercle d’acteurs est constitué de ceux qui interviennent directement sur le terrain, alors que le cercle de l’interaction est le lieu de la décision. Font partie de ce deuxième cercle certains des acteurs qui sont directement impliqués dans l’action. Ils expriment différents points de vue, qui reflètent leur culture professionnelle et les intérêts des entités impliquées dans le débat et dans la négociation. Parfois des experts sont appelés à apporter des éléments techniques en support à la prise de décision. La participation des habitants, malgré qu’elle soit difficile à organiser, devient incontournable afin de répondre aux attentes collectives.

9

Le lien entre la scène de l’action et celle de l’interaction se noue autour des questions de représentation. Un langage commun aux acteurs concernés est nécessaire pour que la communication soit possible. Quelques outils, ayant recours à l’abstraction et à la codification, ont été développés notamment par les architectes et les urbanistes, mais ils ne sont pas toujours d’accès facile pour les non-initiés. Les outils traditionnels répondent efficacement à des demandes spécifiques, mais ils ne permettent pas toujours à tous les acteurs concernés par le projet urbain d’avoir accès au même niveau d’information. De plus ils n’abordent pas les diverses dimensions du projet urbain avec la complexité qui serait nécessaire.

Par exemple, en ce qui concerne les usages des espaces, selon l’expertise mobilisée, différents aspects apparaîtront mais une vision complexe et complète est difficile à obtenir. Notamment, les ethnologues produisent des analyses très fines sur le fonctionnement d’un site, mais ils ne s’attachent pas nécessairement à développer des représentations visuelles et spatialisées. Les architectes et urbanistes sont, eux, familiers avec la représentation graphique, mais ils produisent souvent des images séduisantes, qui ne correspondent pas toujours à un contenu scientifique. En effet l’objectif, dans leur cas, est essentiellement commercial : ils doivent convaincre les promoteurs.

Notre mission est de vérifier si les techniques de MR permettent d’améliorer les conditions de représentation et de transmission de la complexité d’une situation urbaine, qu’il s’agisse d’un projet d’aménagement, d’un grand évènement, ou d’un mode de narration. Dans le cadre des expérimentations dont elle a la responsabilité, elle s’efforcera de vérifier dans quelle mesure ces dispositifs techniques facilitent des changements dans les modes de conception, de négociation et d’usage autour des situations observées.

Les dimensions de la représentation

Interaction

Action

Représentation

Acteurs Points de vue Débat Négociation Participation Expertise

Langage commun Codes, abstraction Communication Outils traditionnels Nouveaux médias

Réalité Ecosystème Histoire Évolution Complexité Transformation Continuité

Renouvellement urbain Grands évènements Histoires de villes Remontée dans le temps

10

La complexité de la représentation d’une situation urbaine est largement ancrée dans la diversité des acteurs et des expertises impliqués, la nature de leurs relations politiques, socio-économiques et de leurs cultures. Il est important, notamment, de prendre en compte la complexité des rapports entre sphères publiques et privées, ainsi que la spécificité des processus d’élaboration et de négociation des projets, évènements, narrations…

Nos hypothèses de travail s’inscrivent dans ce contexte que nous savons en évolution perpétuelle et caractérisé par un jeu d’acteur complexe. Nous questionnons donc le rôle des technologies qui sont développées dans le projet. La MR peut-elle apporter une plus-value spécifique dans les questions de représentation ? La capacité de ces outils à accompagner le processus de projet par le mode interactif et par leur immédiateté nous semble, en première hypothèse un élément essentiel.

3. La boîte à outils initiale Le projet se sert d’outils qui sont au stade de pré-prototypes dans le sens qu’ils ne servent pas uniquement à tester les premiers résultats, mais également à explorer de nouvelles pistes4.

• Ils sont introduits en phase amont du processus de production des outils, sous une forme qui est loin d’être définitive, de manière à stimuler la réflexion et laisser ouverte la liste des prescriptions ;

4 “A probe is an instrument that is deployed to find out about the unknown - to hopefully return with useful or interesting data” (Hutchinsen et al. 2003)

Compréhension et interaction Informations techniques Négociation / participation Conception Support d’aide à la décision Communication/ marketing/ représentation

11

• Ils sont simples et comprennent des fonctionnalités facilement accessibles ;

• Ils sont ouverts et adaptables : les usagers devraient être encouragés à en détourner l’usage et en suggérer de nouveaux.

A ce stade du projet, les technologies disponibles sont les suivantes.

MR-tent Afin de faciliter l’expérimentation de la MR, une tente semi-stationnaire pourra être instalée en espace extérieur. Elle abrite et donne accès à des technologies basées sur des projections. C’est un premier pas vers la mobilité des outils, qui devrait permettre à divers acteurs de tester les équipements sur site et débattre de manière collective.

A la tente pourront être connectés des “scouts” équipés de caméras et appareils photos et qui seront dirigés par les acteurs pour acquérir des vues pertinentes de l’objet du débat, même éloigné.

Colour table (TUI) La table de couleur fait partie des TUI

• Des objets tangibles pour générer de l’information digitale.

• Interfaces pour plusieurs utilisateurs, apprentissage facile.

Les codes barres pour associer différents types d’information (texte, image, vidéo, sons...) aux objets.

Les dimensions et la densité des objets sur l’écran changent selon la position relative des objets sur la table.

Différents degrés de mixité

Double projection: Le fond d’écran est une image

Des objets 2D, 3D, des textures et des sons sont introduits dans la scène à l’aide des codes barres (association dynamique)

See-through: Projection sur une grille à travers laquelle l’environnement est visible

Panorama

Le fond d’écran est une image panoramique

La table la table est rotative et l’image à 360° autour d’un point fixe: possibilité de choisir la vue sur laquelle travailler

Travailler avec le son:

• Les informations sonores renforcent le sentiment de présence et permettent d’explorer des scenarii plus complexes

• Le son est utile pour l’orientation, pour exprimer des qualités spatiales, des ambiances, la notion de flou

12

La “table de couleurs” est la base pour diverses applications. Elle permet d’intégrer et dans un environnement réel (à travers une fenêtre, dans une projection) des éléments virtuels (générés par ordinateur) et de les manipuler en temps réel. La manipulation se fait par des disques de couleur auxquels sont associés les objets virtuels par un système de code barre. Cela permet de doter les usagers d’interfaces simples à utiliser, proches de la vie quotidienne (tels que les lecteurs de code barre des supermarchés).

Cet outil est utilisé à la fois pour une visualisation 3D et pour une application sonore. Il présente l’avantage d’une interface simple pour la création de contenu, la manipulation. Il s’agit d’un outil flexible et interactif, qui permet de placer différents objets et de tester différentes configurations. Des sons peuvent être associés aux objets, leur volume peut être modulé, ils peuvent être combinés de manière à questionner les usagers sur les facteurs qui caractérisent l’ambiance sonore d’un espace. L’apport essentiel de cet outil consiste dans la capacité à susciter le débat. Il sera d’autant plus intéressant qu’il sera combiné avec d’autres outils.

Façade painter Deux outils permettent de « peindre virtuellement » avec des textures générées par ordinateur des maquettes ou des bâtiments réels. Ces applications pourraient servir également pour « annoter le paysage ».

Avec le Texture Brush, un normal projecteur est utilisé pour montrer les textures qui sont associées à un pinceau, dont la position est reconnue par l’ordinateur (tracking). La dimension du pinceau peut être modifiée, ainsi que d’autres fonctions, inspirées de logiciels d’usage commun tels qu’Adobe Photoshop©.

L’ Augmented video screen/ Urban sketcher se sert d’une camera pointée vers l’extérieur (par exemple à travers une fenêtre ou une ouverture dans la MR-Tent) et dont l’orientation est contrôlée par un joystick. L’objet virtuel peut être précisément situé dans l’espace réel. La « peinture virtuelle » (projection d’une texture) est appliquée sur une sorte de toile virtuelle. Comme dans le cas précédent, la dimension du pinceau, le jet, l’opacité et la couleur peuvent être modifiés de manière interactive. Ce système peut être combiné à un « scout » qui filme des points extérieurs au lieu du débat.

Double projection sur un écran d’images vidéo captées en temps réel.

Possibilité d’annoter le paysage:

• La position du pinceau est détectée par un système à infrarouge

• Des outils typiques des logiciels de retouche d’image (ex: remplissage de polygones)

• Les usagers peuvent manipuler la taille et la forme du pinceau grâce à un menu constamment affiché.

13

MR-Tent et travail de « peinture virtuelle »

3D Modelling reconstruction Dans la pratique ordinaire des architectes et urbanistes, les maquettes virtuelles sont produites en amont du débat selon un processus laborieux (un dessinateur expert de 3D est nécessaire) et reflétant la vision de l’architecte. Notre équipe est en train de tester un système automatique pour générer des modèles virtuels sommaires à partir de photos de l’objet en questions. Cet outil permettra d’intégrer des objets virtuels dans les applications de MR.

Carte augmentée La carte est géoréférencée, interactive et multimédia.

Elle relie divers supports et des éléments d’échelle différente

Dispositifs mobiles Téléphones mobiles « intelligents » (smartphones), PSP, PDA

E-diary Conserver la trace d’une visite de site ou d’un parcours L’application enregistre:

• la position du visiteur grâce à un GPS

• les actions effectuées (prise de photos, enregistrement sono et/ou vidéo, prise de notes)

Ces éléments sont stockés dans une base de données hypermédia.

Le parcours peut être visualisé sous forme de plan.

En mélangeant projections et interfaces physiques (posters, maquettes, objets…), la visite peut être reproduite.

5. Expérimentation

Conclusions L’AR selon Azuma:

• Inscription d’éléments virtuels dans des environnements réels

14

• Nécessité d’alignement réciproque

• Intéraction et réactivité en temps réel

Les apports majeurs de la démarche IP City:

• L’échelle réelle (1:1) • Interaction multiacteurs

• Immédiateté et capacité d’intégration d’éléments nouveaux

Bibliographie AZUMA Ronald T. (1997), “A Survey of Augmented Reality” in Presence: Teleoperators and Virtual Environments 6, p. 355-385.

BAGOT Jean-Didier, Information, sensation et perception. Paris : Armand Colin, 1996.

BELLANGER F. et MARZLOFF B. Transit, les lieux et les temps de la mobilité. 1996.

BOULLIER Dominique (1999), L’Urbanité numérique. Ed. L’Harmattan. 183p.

CASTELLS Manuel (1996), La société en réseaux, vol 1 : L’ère de l’information ; vol 2 : Le pouvoir de l'identité ; vol 3 : Fin du millénaire, Fayard 1998 et 1999.

DANDREL, Louis ; LOYE, Brigitte ; SAUNIER, Frédéric ; RICHON, Alain, L'architecture sonore. Construire avec les sons. Paris : PUCA, 2000, 108p. + CD sonore

DARD Philippe (2002), « Les maquettes virtuelles quels développements ? Quels usages ? » in Nouveaux outils de représentation d'environnements urbains. Paris : CSTB, vol 1, 127p.

EUROCONCEPTION (1996-2000), L’élaboration des projets architecturaux et urbains en Europe, Volumes 1, 2 (Les commandes architecturales et urbaines), 3 et 4, Plan Construction et Architecture.

FRAMPTON Kampton (1995), Studies in Techtonic Culture, MIT Press, Cambridge MA, USA.

FREEMAN Jonathan, Jane Lessiter & Wijnand IJsselsteijn, An Introduction to Presence: A Sense of Being There in a Mediated Environment, The Psychologist, 2001, 14:190-194.

GILI RAYMOND, COURDURIER ELISABETH, GRAIN (2000), Le retour du politique dans la maîtrise d’ouvrage, Plan Urbanisme Construction et Architecture

KAPLAN Daniel, LAFONT Hubert (2004), Mobilités.net. Paris: FING-LGDJ, 380p.

LAINER Rüdiger et WAGNER Ina, Offenes Planen (1999), Birkhäuser, Basel/Boston.

LOMBARD, M., DITTON, T. (1997), “At the heart of it all: The concept of presence”, Journal of Computer Mediated Communication, 3

MARIETAN, Pierre, L'environnement sonore : approche sensible, concepts, modes de représentation, écrit de musique II. Nîmes : les éditions du champ social, coll. Théétêtes, Musique et environnement, 2005, 93p.

MILGRAM Paul, TAKEMURA Haruo, et al. (1994). “Augmented Reality: A Class of Displays on the Reality-Virutality Continuum”, in Telemanipulator and Telepresence Technologies, SPIE vol. 2351, p. 282-292

MEISS von, Pierre (1986), De la Forme au lieu, Presses polytechniques romandes, Lausanne.

NORBERT-SCHULZ C. (1977), La signification dans l’architecture occidentale, P. Madraga.

SENNETT Richard (1990), The Conscience of the Eye, New-York, Knopf