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Travail de fin d’études en vue de
l’obtention du diplôme d’état
d’infirmier
Derrière le sens d’une profession
BEN-RAZLI Malik
Promotion 2013-2016
IFSI CCM
Soutenu le 14/06/16
« Le soin (technique ou nursing) n’est pas une fin. C’est simplement un moyen de
prendre soin »
J.Zimowski
Entre cure et care, Les enjeux de la professionnalisation infirmière
REMERCIEMENTS
Un travail ne se fait jamais seul. Ainsi, je souhaite remercier toutes les personnes
qui m’ont accompagné et soutenu lors de ce travail et aussi, durant toute ma formation.
Dans un premier temps, je souhaite remercier l’ensemble des infirmières pour
leur disponibilité et leur participation aux entretiens. Je tiens par la même occasion à
remercier les cadres des services pour avoir permis que ces entretiens aient lieu, de
même qu’aux directrices des soins pour m’avoir autorisé à les effectuer.
Dans un deuxième temps, mes remerciements s’adressent à l’ensemble de
l’équipe pédagogique ainsi qu’aux différents intervenants pour leurs différents apports
et conseils.
De plus, je remercie mes deux camarades de promotion, Farial et Karine, pour
leur soutien, leurs conseils et leur présence depuis le début de notre formation.
Mes remerciements vont aussi à mes parents, s’étant intéressés à ce travail et
m’ayant motivé jusqu’à son terme.
Enfin, je tiens à remercier sincèrement mon référent de suivi pédagogique pour
sa bienveillance, sa disponibilité et son soutien. Je le remercie pour m’avoir
accompagné et d’avoir été un élément majeur dans ma progression durant cette
formation. Merci donc à M.BAKOWSKI, sans qui ce travail n’aurait pu voir le jour.
SOMMAIRE
INTRODUCTION .......................................................................................................... 1
PRESENTATION DE LA SITUATION ...................................................................... 3
QUESTIONNEMENT, RESSENTIS ........................................................................... 6
PHASE EXPLORATOIRE ......................................................................................... 11
Recherches théoriques ................................................................................................ 11
Entretiens .................................................................................................................... 13
PREMIERE PARTIE : PHASE THEORIQUE
1. Les représentations ............................................................................................. 17
1.1. Représentations sociales ......................................................................................... 17
1.2. Historique et représentations sociales de la profession et des soins infirmiers ...... 19
1.3. Représentations sociales de la santé et de la vie ..................................................... 22
1.4. Représentations sociales de la maladie et de la mort ............................................. 23
1.5. Valeurs .................................................................................................................... 25
2. Les soins infirmiers ............................................................................................ 26
2.1. Définition des soins infirmiers ................................................................................ 26
2.2. Cure et care : deux concepts fondamentaux ........................................................... 30
2.2.1. Le cure ............................................................................................................. 31
2.2.2. Le care ............................................................................................................ 31
2.3. Les émotions ............................................................................................................ 33
2.3.1. L’empathie ...................................................................................................... 34
2.3.2. La compassion ................................................................................................. 35
2.3.3. La frustration ................................................................................................... 37
3. L’accompagnement : un soin à part entière ...................................................... 38
3.1. Définition de l’accompagnement ............................................................................. 38
3.2. L’accompagnement du patient en fin de vie ............................................................ 39
3.3. La dignité................................................................................................................. 42
3.4. La distance relationnelle ......................................................................................... 44
3.4.1. La distance ...................................................................................................... 44
3.4.2. La relation ....................................................................................................... 45
3.4.3. L’implication ................................................................................................... 46
DEUXIEME PARTIE : METHODOLOGIE ET PRATIQUE DE L'ENQUETE
SUR LE TERRAIN
4. Méthodologie de l’enquête ................................................................................. 48
4.1. Présentation et objectifs de l’enquête ..................................................................... 48
4.2. Choix des lieux d’investigation ............................................................................... 48
4.3. Choix de la population investiguée ......................................................................... 49
4.4. Choix et élaboration de l’outil d’enquête ................................................................ 49
4.5. Guide d’entretien ..................................................................................................... 50
5. Analyse des entretiens ........................................................................................ 54
5.1. Présentation des résultats d’enquête ....................................................................... 54
5.2. Synthèse de l’analyse de recherche ......................................................................... 75
CONCLUSION ............................................................................................................. 80
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................... 83
LISTE DES ANNEXES ............................................................................................... 89
LISTE DES SIGLES UTILISES
IFSI : Institut de Formation en Soins Infirmiers
CCM : Communauté Creusot/Montceau-les-Mines
CSG : Court Séjour Gériatrique
SSR : Soins de Suite et de Réadaptation
HAS : Haute Autorité de Santé
INPES : Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
ARS : Agence Régionale de Santé
1
INTRODUCTION
Tout a commencé en février 2013 lors des journées portes ouvertes à l’IFSI1.
C’est ici qu’a débuté mon envie de découvrir le monde du soin. Un monde où l’humain,
le don de soi et la bienveillance prennent toute leur place. A ce moment-là, je voulais
devenir infirmier car je voulais me rendre utile aux autres. Pour moi, ce métier
correspondait à mon souhait. Toutefois, je n’avais aucune connaissance précise de ce
qui allait m’attendre durant mes trois années de formations. En réalité, le seul aperçu
que j’avais de ce métier était lié à une hospitalisation remontant à mes 16 ans durant
laquelle j’ai subi une légère opération chirurgicale. Je voyais les soignants se relayer à
tour de rôle, au pied de mon lit me demandant si je ne manquais de rien, si tout allait
pour le mieux. Il essayait de me connaitre un peu plus, de savoir qui j’étais, ce que je
faisais. Tout cela avec le sourire. Ainsi, le métier d’infirmier renvoyait pour moi aux
infirmiers que j’avais rencontré lors de ce séjour à l’hôpital.
Néanmoins, la réalité était tout autre lorsque je mis mon premier pied dans une
structure hospitalière. Cette fois-ci, ce n’étaient pas les infirmiers qui venaient soulager
mes douleurs, mes souffrances. Cette fois, c’était à mon tour de faire de même pour les
patients. Des patients que je ne connaissais pas, tous différents, tous uniques. Je les
approchais au plus près de leur intimité. Je leur parlais, les touchais. J’effectuais des
soins sur ces personnes. Oui, je précise, « sur » ces personnes. Effectivement, il
m’arrivait parfois de ne pas penser au « pourquoi » du sens mais plutôt au « comment »
du geste.
C’est ainsi que, durant la majeure partie de ma formation, je me suis concentré
sur l’acte dans le soin, la technicité du geste. Il m’arrivait de ne pas prendre en compte
ce que le patient me disait au moment où je réalisais ce type de soins auprès de lui.
J’étais complètement isolé dans ma conception du soin infirmier.
Puis, une situation est venue m’interpeller au cours d’un stage de début de 3e
année dans un service de court séjour gériatrique durant lequel je me suis retrouvé face
à moi-même. J’ai dû faire face à des éléments que je ne maitrisais pas ou plutôt, que je
1 Institut de Formation en Soins infirmiers
2
ne voyais pas depuis le début de ma formation : le sens du soin infirmier. Lors de cette
situation, j’étais confronté au décès d’une patiente que je prenais en charge. C’est à ce
moment-là où une prise de conscience a débuté et qu’un questionnement s’est
déclenché. Qu’est-ce que moi, Malik, je faisais dans cette formation ? Pourquoi avais-je
choisis de me lancer dans cette aventure couverte d’inconnus ? Qu’est-ce que
j’apportais aux patients ? Pourquoi ? De quelle manière ? Mais surtout, quel sens je
donnais à ma pratique soignante ? Quel sens je donnais au soin infirmier ? Se résumait-
il qu’à un aspect purement technique ?
Pour répondre à ces différentes interrogations, un long cheminement plein de
réflexion m’a nourri afin de mieux comprendre ce que je faisais, pourquoi et comment.
Ainsi, je vous propose de m’accompagner, ce jour, afin de cheminer ensemble tout au
long d’une réflexion personnelle. Pour cela, j’ai décidé de divisé mon travail en deux
parties.
La première appelée « Phase théorique » englobera un ensemble de concepts qui
m’aideront à prendre connaissance de certaines notions essentielles dans mon travail.
De ce fait, je débuterai cette phase par un chapitre sur les représentations en les liant
ensuite au soin infirmier. Il sera suivi par le concept de soins infirmier incluant une sous
partie sur les émotions, aspect élémentaire de la profession. Enfin, je terminerai cette
partie conceptuelle par un chapitre sur l’accompagnement du patient en fin de vie.
La seconde partie intitulée « Méthodologie et pratique de l’enquête sur le
terrain » me permettra d’apporter des éléments pratique à la phase théorique. Je
débuterai cette partie pratique par une présentation de l’enquête accompagné de ses
objectifs. Suivront ensuite les choix m’ayant orienté vers les lieux et la population
investiguée. Puis, je présenterai mon outil d’enquête ainsi que mon guide d’entretien.
Dans cette dernière partie, j’analyserai ces entretiens en présentant les résultats obtenus
et en les synthétisant par la suite.
Je présenterai enfin les limites à cette recherche et terminerai ce travail par une
conclusion offrant de nouvelles perspectives de recherches.
Ainsi, je vous invite à débuter mon travail en commençant par une présentation
de la situation que j’ai vécue lors de mon stage.
3
PRESENTATION DE LA SITUATION
J'effectue mon premier stage durant ma troisième année de formation infirmière
à l'IFSI de la CCM dans un service de court séjour gériatrique. Ce service peut accueillir
une trentaine de patients âgés de plus de 90 ans en moyenne et étant hospitalisés pour
divers motifs tels que : baisse de l'état général, pneumopathie, chutes etc.
Je suis du poste du matin. Il est 7h et nous nous rendons avec l’infirmière dans chaque
chambre afin de prendre les paramètres vitaux des patients et de leur administrer leurs
traitements. Je prends le tensiomètre, frappe à la porte et entre chez Mme B. Cette
patiente est arrivée dans le service pour infection urinaire, insuffisance rénale et baisse
de l'état général. Elle vit à domicile avec des aides ménagères et une infirmière afin de
l'aider pour l'entretien de sa maison et lors des soins quotidiens. Elle aime discuter et me
parler de sa vie antérieure. Quant à moi, j'aime l'écouter et trouve ses expériences
passées intéressantes et enrichissantes. Elle est généralement assise sur son fauteuil
durant la journée et m’a dit une fois qu'elle voudrait rentrer chez elle. Je lui réponds que
le médecin envisagera peut-être une sortie au vu des résultats d'examens biologiques.
J'avais décidé de prendre en charge cette patiente pour lui dispenser les différents soins.
J'allume la lumière, demande à la patiente comment elle allait et prends sa
tension artérielle. Elle me dit qu'elle a mal partout. Le tensiomètre indique une
hypotension à 70/55 cm Hg. Je préviens la patiente que sa tension est basse mais elle ne
me répond pas. Elle était toujours douloureuse. Je me demande quelle pouvait être la
cause de cette hypotension mais ne suis pas stressé. Je surélève ses jambes à l'aide du lit
mécanique. Je prends la tension sur l'autre bras et indique la même valeur. Son teint est
pâle et son faciès montre une gêne probablement liée à ses douleurs diffuses. Je
préviens l'infirmière de la situation et informe les aides-soignantes du fait qu'il ne faille
pas lever Mme B. au vu de son état actuel. Pourtant, rien n'avait été signalé concernant
un problème chez Mme B. durant les transmissions effectuées par les soignantes de nuit.
Je ne lui donne pas ses traitements contre l'hypertension artérielle du fait de son
hypotension avérée.
4
Nous surveillons sa tension artérielle à plusieurs reprises jusqu'à l'arrivée du
médecin du service sans qu'elle n'augmente. Ce dernier prescrit une perfusion de sérum
glucosé à 9h. Malgré cela, les résultats sont négatifs et la patiente est toujours
douloureuse, pâle et faible sans que sa tension ne remonte. Tout en revenant
régulièrement dans la chambre de la patiente, j'effectue les différents soins aux autres
patients dont j'ai la charge. Je suis cependant inquiet pour cette patiente et réfléchis à ce
qu'on pourrait faire afin de rétablir la situation. Je viens de terminer de distribuer les
traitements de 12h aux autres patients et décide de retourner voir comment Mme B. va.
J'ouvre la porte et vois l'infirmière faire demi-tour avec la perfusion dans ses
mains. Je regarde ensuite Mme B. Je suis décomposé, surpris, bouche-bé. Elle est
devenue encore plus pâle, ses yeux sont à moitié fermés et en direction du plafond. Elle
est dyspnéique2 et cherche à prendre du souffle mais sans résultats. Elle respire au
ralentie. L'état général de la patiente s'est dégradé très rapidement. Étonné, je demande à
l'infirmière ce qu'il se passe. Elle me répond que ce n'est plus la peine de faire quelque
chose et que le médecin a dit d’annuler la pose d'une deuxième perfusion. Je reste
silencieux pendant quelques secondes et regarde la patiente. Je ne comprends pas
pourquoi le médecin a pris cette décision. J’ai le sentiment que cela va à l’opposé de ce
que j’ai fait durant toute la matinée en surveillant la patiente. Cela est frustrant, je
ressens cela comme un échec. La patiente ne va pas continuer de vivre. Je me suis arrêté
en pleine course alors que je faisais le maximum pour qu’elle retrouve son état habituel.
La deuxième infirmière du service, la cadre de santé et l’étudiante infirmière
entrent dans la chambre à leur tour pour constater l'état de la patiente. Elles sont
surprises et se placent autour du lit de Mme B. L'infirmière lui tient la main. Lorsqu'elle
la lui lâche, elle fait des pauses respiratoires et en lui reprenant, elle continue de respirer
avec difficultés. Puis, les infirmières et l'étudiante décident de quitter la chambre. Il ne
restait plus que la cadre de santé, la patiente et moi dans la chambre. Je suis à la droite
de Mme B., la cadre est à sa gauche. L'ambiance est silencieuse, sourde, mais les
émotions, mes émotions sont intenses. Il m’est difficile à ce moment de mettre des mots
sur mes émotions car je ne sais pas exactement ce que je ressens. Je ne sais pas si c’est
2 Définition : dyspnéique. Qui a rapport à la dyspnée (difficulté à respirer). <
http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/dyspneique/>. (Consulté le 31/03/16).
5
de la compassion pour la patiente, de la tristesse de voir la patiente mourir, de la
frustration ou un sentiment d’échec. Il y a sans doute plusieurs de ces éléments qui
m’habitent à ce moment-là.
Afin d’être plus précis sur la description de mes émotions, je vais émettre un
questionnement concernant les éléments qui m’ont interpellé durant cette situation. Par
ailleurs, j’approfondirai mon ressenti pour permettre une meilleure analyse critique
personnelle.
6
QUESTIONNEMENT, RESSENTIS
Je fixe Mme B. dans les yeux et ne pense à rien. Je suis immobile et ne parle pas.
Nous constatons avec la cadre les dyspnées de la patiente et le fait que son état s'est
dégradé rapidement au cours de la matinée. Nous restons environ une minute debout,
fixant la patiente. Je ressens un profond mal-être qui ne demande qu'à être exprimé. Je
me sens totalement impuissant face à cette situation. Je ne peux pas procurer de soins
curatifs à cette patiente afin que son état s'améliore car l'équipe soignante et le médecin
ont décidé de « ne plus rien faire ». Mais a-t-elle besoin de soins curatifs à ce moment ?
J'apporte ma présence à cette patiente que j'avais accompagnée pendant plusieurs jours
et mets des mots sur ce que je ressens émotionnellement à ce moment-là. Toutefois, j’ai
le sentiment que cela n’est pas assez car cela ne va pas la guérir. Pourtant, est-ce le but
de guérir la patiente à ce moment-là ? Cela lui est-il bénéfique ? Mon but est-il de guérir
Mme B. ou de me rassurer en faisant des soins techniques ? Etre dans l’action, de
manière représentative, réaliser des prélèvements veineux, poser une perfusion, cela me
rassure-t’il ? Ce questionnement m’amène à me demander si je ne fais pas preuve
d’égoïsme durant cette situation. Si bien que je pense avoir oublié que la patiente est
une personne à part entière et pas seulement un objet de soin. Ses besoins ne sont pas
seulement physiques mais aussi psychologiques. Pourtant, je ne pense pas à cet aspect
durant la situation car mon objectif est de guérir la pathologie de la personne.
Je suis très ému. Je ne me suis jamais senti aussi ému à ce point que ce soit en
stage ou lorsque je travaillais les week-ends à l'hôpital en tant qu’aide-soignant. J'ai
rencontré à plusieurs reprises des situations où le patient était en fin de vie ou même
lors d'une situation où un patient s'est mis soudainement à faire des hématémèses3
desquelles il n'a pas survécu. Toutefois, je pense que le contexte est différent pour deux
raisons. La première est que j'ai décidé de prendre en charge cette patiente. J'effectue
tous ses soins durant mon poste de travail. J'accompagne donc Mme B. durant toute la
journée. Je connais un peu cette patiente et m'y suis probablement attachée un peu. Je
suis donc dans une proximité importante dans le soin. Je suis plus investi qu’avec les
autres patients. La deuxième raison pour laquelle je pense que cette situation diffère des
3 Une hématémèse désigne un rejet de sang d'origine digestive par la bouche, Ibid. (consulté le
29/11/15.
7
autres est que j'ai vu cette patiente les jours précédents et son état précédent ne
ressemblait en aucun cas à son état actuel. Elle était capable de discuter, d'exprimer ses
envies et de communiquer en toute simplicité. Elle ne pouvait pas se déplacer seule
mais avec de l'aide. Voir cette patiente ce jour-ci incapable de bouger ni de parler m’a
fait ressentir cette grande différence avec les jours précédents. Je pense que l'évolution
rapide de l'état de Mme B. me surprend aussi.
Je décide donc d’exprimer mes sentiments et mes émotions à la cadre. Je lui dis
que je ne comprends pas que l'on ne puisse rien faire pour cette patiente. Elle me
demande ce qu'on pourrait faire à mon avis. Je lui réponds que des examens
radiologiques pourraient être envisagés afin de visualiser la présence d'une éventuelle
hémorragie. Elle rétorque en me demandant si je pense qu'elle puisse survivre à une
opération chirurgicale par la suite. Je lui réponds que non. Je lui dis que je me sens
impuissant à ce moment. Je veux agir et faire de tout mon possible pour rétablir la
situation. Toutefois, cela n’est pas envisageable et je ressens en cela une très forte
frustration. J'essaye en même temps de réfléchir au bien-être de la patiente et de savoir
quelle solution est la plus adaptée pour que sa douleur ne s'aggrave pas. L'ambiance qui
règne est silencieuse. Il n'y a aucun bruit dans les couloirs non plus. J'ai l'impression que
le temps s'est arrêté durant un moment, qu'il n'y a que nous trois et que rien ne peut me
passer à l'esprit à ce moment mise à part la patiente.
Je continue de la regarder pendant que je parle de cela à la cadre de santé.
J'essaye de me retenir de pleurer mais je n’y arrive pas. Mes larmes coulent doucement.
J'ai un peu honte de pleurer devant la soignante. Ce moment est difficile pour moi. Je
repense à la vie, à son sens, à la mort. J'assiste directement à une situation dans laquelle
une personne meure, lentement. Cette mort lente est difficile à mes yeux. Les patients
décédés que j'ai vus durant ma formation l'étaient déjà lorsque j'arrivais dans leur
chambre. Je pense que cela a un lien avec ma réaction. Je ne peux pas supporter cela. La
cadre de santé me dit qu'il est vrai que cette situation est difficile, mais en tant que
professionnelle, je n'aurai pas ni le temps, ni la possibilité de rester près d'un patient qui
serait dans la même situation. Cela est possible dans ce cas car l'effectif le permettait.
Sur le coup, j’acquiesce. Mais après réflexion, je suis certain que l’accompagnement fait
partie du rôle de l’infirmier. Que ce soit en tant qu’étudiant ou professionnel. Et qu’il
8
est nécessaire de rester auprès du patient dans ses derniers instants, peu importe la
charge de travail. L’accompagnement est un travail aussi. Je décide de sortir de la
chambre de la patiente et de me rendre à l'office. Je suis agacé de ne pas avoir pu
continuer les soins curatifs pour cette patiente. Je suis frustré. J’ai vraiment le sentiment
d’abandonner la personne en arrêtant ses soins. Après réflexion, j’ai le sentiment de
l’abandonner doublement en sortant de la chambre sans l’accompagner jusqu’au bout.
Mme B. décèdera quelques minutes plus tard.
Je me suis beaucoup interrogé suite à cette situation sur de nombreux éléments.
Dans un premier temps, je me suis interrogé sur mes émotions pendant la situation.
Pourquoi ai-je été si ému par cette situation ? En effet, je me sentais à la fois impuissant,
triste du déroulement qu'avait pris la situation et frustré du fait de ne pas avoir été dans
la possibilité de soigner la patiente. Je me demande si j'aurais pu gérer mes émotions car
je me suis senti trop touché émotionnellement par cette situation, très impliqué. Je me
demande si cela a eu un impact sur la prise en charge de cette patiente et des autres
patients car pendant que j'étais aux côtés de Mme B, je n'étais pas aux côtés d'autres
patients, ni de mes collègues soignants alors qu'ils avaient peut-être besoin de moi. Je
me demande s’il est possible et utile de gérer ses émotions lorsque l'on est soignant pour
éviter d'être dans une implication émotionnelle trop importante. De plus, le fait que j’ai
pris en charge cette patiente et donc que ma relation avec elle était d’autant plus proche
a-t-il eu un impact sur mes émotions par la suite ?
En quoi la juste distance dans l’accompagnement d’un patient en fin de vie
peut aider un soignant à gérer ses émotions ?
Mais y a-t-il des limites à la gestion de ses émotions ? Ainsi, devrais-je prendre
plus de distance par rapport à mes relations avec les patients pour être moins ému lors
de ce genre de situation ? Peut-on toujours gérer ses émotions, dans n’importe quelle
situation ? De plus, mes émotions ont-elles eu un impact sur ma prise en charge de Mme
B ?
Dans un second temps, je me demande si mes émotions ne sont pas dues à mes
représentations du soin et du soignant. Qu’est-ce qu’un soignant ? Quel-est son rôle ?
Quelle-sont ses limites ? Ai-je une conception du soin et de l'infirmier trop
9
idéaliste, capable de tout soigner dans l'absolu ? Ainsi, le fait que nous ne pouvons pas
toujours guérir a-t-il un impact sur ma prise en charge de la patiente et de mes
émotions ? Il est vrai que je voulais soigner Mme B. au sens curatif. Toutefois, qu'est-ce
que soigner ?
En quoi mes représentations du soin et du soignant peuvent-elles me faire
considérer le patient en tant qu’objet et non en tant que sujet ?
Quels bénéfices et quels inconvénients auraient-ils pu y avoir si l'on continuait
d'effectuer des soins pour Mme B ? Cela m’amène donc à ma troisième interrogation
concernant la patiente. Qu’en était-il de Mme B ? Cet être vivant au centre de la
situation. Cet être pensant avec des besoins. Que voulait-elle à ce moment-là ? En
réalité, elle n’était pas en capacité de l’exprimer. Toutefois, je n’ai pas pensé à ce que
pouvait bien souhaiter la patiente. Mon objectif était seulement de la guérir afin que son
état physiologique s’améliore. Je ressens un sentiment d’égoïsme lorsque j’exprime cela
car je voulais réaliser ce que je souhaitais. Je ne pensais pas à ce qu’aurait-pu souhaiter
la patiente. Je n’ai pas pris en charge la patiente de manière holistique. Mon souhait
était de guérir la patiente et de m’occuper d’elle du point de vue curatif. Je voulais que
le médecin prescrive une radiographie abdominale pour vérifier une éventuelle
hémorragie, effectuer des prélèvements sanguins etc. Etait-ce raisonnable ? Je ne pense
pas. Si bien que j’en oubliais la dimension psychologique et relationnelle du soin.
Effectivement, je me rends compte après réflexion que je considérais la patiente en tant
qu’objet de soin et pas en tant que sujet.
Enfin, je me questionne au sujet de l’accompagnement durant cette fin de vie
imminente. Mais qu’est-ce que l’accompagnement ? Pourquoi accompagne-t-on ?
Comment accompagner le patient dans ses derniers instants ?
En quoi mes représentations de la mort peuvent-elles jouer un rôle dans
l’accompagnement d’un patient en fin de vie ?
L’accompagnement est-il dissociable des soins techniques ? Voulais-je me
rassurer en effectuant des soins techniques ?
10
Ces multiples interrogations m'ont amenées à cibler trois axes de recherche. Le
premier traite de la juste distance et de ses bénéfices quant à la gestion de ses émotions.
Le second explique mes représentations à la mort et son impact sur ma prise en charge
du patient. Enfin, le troisième concerne mes représentations du soin et du soignant et en
quoi elles peuvent me faire voir le patient en tant qu’objet en non en tant que sujet :
Ainsi, j’ai élaboré une question de recherche provisoire qui englobe l’ensemble
de ce questionnement.
En quoi mes représentations peuvent-elles influencer ma prise en charge
d’un patient en fin de vie ?
J’ai donc recherché la définition du concept de représentation, sur ce que le
concept de soin incluait ainsi que sur l’accompagnement en fin de vie. J’ai ensuite
décidé de confronter mes recherches personnelles avec les entretiens que j’ai menés
avec deux infirmières exerçant en service d’urologie, dont l’une est référente en soins
palliatifs, un infirmier anesthésiste ainsi qu’un médecin gériatre spécialisé en soins
palliatifs. L’objectif de cette phase exploratoire est de proposer mon questionnement à
des professionnels de santé, d’échanger autour de ma situation et ainsi de légitimer ma
question de recherche définitive.
Je viens de terminer ma phase de questionnement. Je vous propose désormais ma
phase exploratoire. Elle inclura une première partie théorique et une seconde partie où
se trouvera le résumé des entretiens que j’ai mené auprès des professionnels de santé
cités précédemment.
11
PHASE EXPLORATOIRE
A cette étape, je fais le choix de lire autour des idées fortes de mon
questionnement. Ainsi, j’aborderai les concepts de représentation, de soignant, du soin,
d’émotion et d’accompagnement.
Recherches théoriques
Le premier terme que je vais chercher à définir est celui de représentation. Selon
le Dictionnaire Larousse, une représentation est définie comme « une perception, une
image mentale, etc., dont le contenu se rapporte à un objet, à une situation, à une scène,
etc., du monde dans lequel vit le sujet4 ». Ainsi, nos représentations peuvent être
influencées selon de nombreux facteurs tels que l’éducation ou la culture. Toutes
personnes a donc des représentations différentes sur un élément selon ces différents
facteurs. Dans cette situation, je me questionne autour de mes représentations sur le rôle
du soignant car je pense qu’elles ont impacté ma prise en charge de la patiente. Mes
représentations de l’infirmier sont en partie celles d’une personne ayant la possibilité de
soigner, de guérir le corps dans l’absolue. Je pense que cela a provoqué le fait que j’ai
pu considérer la patiente comme un objet de soin et non comme une personne à part
entière. Mais en amont, mes émotions m’ont impacté directement. Effectivement, j’ai
ressenti beaucoup de frustration durant cette situation et également un sentiment
d’échec. Par ailleurs, j’étais ému. Je pense que cette émotion était directement liée à ma
frustration et à mon sentiment d’échec, de non-accomplissement d’une mission, celle de
soigner.
Ainsi, j’ai décidé d’éclairer le terme de soignant et par la même, approfondir le
terme de soin dans ses différents aspects.
Les termes sur lesquels je vais me concentrer désormais sont ceux de soignant et
de soin. Selon le Dictionnaire Larousse, « un soignant est une personne qui soigne, qui
4 Dictionnaire Larousse, représentation. [en ligne].
<http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/repr%C3%A9sentation/68483>. (Consulté le 31/03/16).
12
apporte des soins aux autres5 » et les soins sont définies comme des « actes par
lesquels on veille au bien-être de quelqu'un : Entourer ses hôtes de soins attentifs. Ce
sont aussi des actes de thérapeutiques qui visent à la santé de quelqu'un, de son corps :
Les premiers soins à un blessé6 ». Nous retrouvons dans ces définitions un caractère
altruiste, qui tend à aller vers autrui. De plus, nous pouvons remarquer deux aspects du
soin : le premier traite du bien être psychologique, moral de l’autre. Le second quant à
lui exprime la notion de « soins du corps ». Ainsi, le soin aurait une composante
psychologique et une autre qui se révèlerait plutôt comme physiologique.
Ceci étant dit, je vais maintenant aborder le concept d’émotion. Il peut être
définit comme un « Mouvement affectif soudain et intense, entrainant un débordement
temporaire du contrôle réflexif sous l'effet d'une stimulation du milieu […] Son seuil
varie en fonction de la personnalité, de ses expériences, de l'état physiologique du sujet
et de la nature de l'agent en cause7 ».
Par ailleurs, Rafaeli et Sutton décrivent les émotions comme une « Forme de
communication entre un émetteur et un récepteur, comprend trois dimensions, à savoir
le contenu, l’intensité et la diversité. Le contenu se manifeste par des comportements,
tels que des expressions faciales, des gestes corporels, le ton de la voix et le langage8 ».
D’après ces éléments, je peux dire que l’émotion est une forme de
communication affective entre plusieurs interlocuteurs et qui varie selon plusieurs
critères : personne, contexte, etc. Nous pouvons donner l’exemple des pleurs, de la joie,
de l’euphorie qui sont des émotions répandues dans notre quotidien. Elles sont aussi
présentes dans le milieu des soins et peuvent êtres ressenties durant l’accompagnement
de patients. Mais qu’est-ce que la notion d’accompagnement ?
5 Défintion : soignant. [en ligne].
< http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/soignant_soignante/73228>. (Consulté le 31/03/16). 6 Défintion : soin. [en ligne].
< http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/soin/73236 >. 7 Définition : émotion. [en ligne].
< http://www.psychologies.com/Dico-Psycho/Emotion>. (Consulté le 31/03/16). 8 VAN HOOREBEKE, Delphine, La gestion des émotions au travail : une revue vers une nouvelle
conception du management, Humanisme et Entreprise 4/2008 (n° 289), p. 81-103. < http://www.cairn.info/revue-humanisme-et-entreprise-2008-4-page-81.htm >. (Consulté le 31/03/16).
13
Je vais désormais éclairer ce terme très présent dans le secteur hospitalier.
D’après l’HAS9, l’accompagnement est « un processus dynamique qui engage différents
partenaires dans un projet cohérent au service de la personne, soucieux de son intimité
et de ses valeurs propres »10
.
Ainsi, il désigne un processus qui inclut une équipe pluridisciplinaire mettant en
place des actions au service du patient, au centre du soin.
C’est ainsi que s’achève mes recherches théoriques. Elles m’ont permis d’avoir
un meilleur aperçu des concepts que j’aborde. Je vous propose maintenant la
confrontation de mon questionnement et de ma partie théorique avec des soignants afin
d’avoir plusieurs visions différentes concernant ma situation. Cela me permettra de
légitimer ma question de recherche définitive.
Entretiens
J’ai mené mes différents entretiens de la manière suivante. J’exposais ma
situation au soignant, cherchais à savoir s’ils avaient d’éventuelles questions et tentais
d’y répondre. Puis, je leur présentais mon questionnement. Je leur demandais ensuite en
quoi ma situation les questionnait et si ma question finale les interrogeait aussi. Enfin, je
leur citais les axes de recherches auxquels je pensais puis leur demandais s’ils pouvaient
m’en proposer d’autres.
Je vais dans un premier temps vous faire part du premier entretien que j’ai mené
auprès de deux infirmières d’urologie. Le choix de ce service était purement aléatoire.
Entretien 1 : infirmières d’urologie
Les deux infirmières m’ont fait part du fait qu’elles comprenaient mon
questionnement et qu’il était adapté à cette situation. De plus, elles retrouvaient les
9 Haute Autorité de la Santé
10 Conférence de consensus, L’ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES EN FIN DE VIE ET DE LEURS
PROCHES. [en ligne]. <http://www.has-sante.fr>. (Consulté le 24/03/16).
14
concepts de ma question provisoire dans ma situation. Elles ont aussi insisté sur trois
points qui pourraient faire partie de mes axes de recherches : mes émotions durant cette
situation, les soins palliatifs et la fin de vie, mon rôle durant cette situation ainsi que
mes représentations du soignant.
Mon second entretien a été effectué avec un médecin gériatre, spécialiste en
soins palliatifs dans un service de SSR11
. Je trouvais intéressant d’avoir une « vision
médicale » sur ma situation afin d’avoir un point de vue différent sur cette dernière.
Entretien 2 : médecin gériatre
Trois points sont ressortis durant cet entretien. Le premier traite de mon
positionnement durant la situation. Il y a eu un conflit psychologique, un conflit de
valeurs entre l’équipe du service et moi-même. En effet, je souhaitais pour ma part
effectuer des soins curatifs tandis que le médecin avait décidé d’arrêter ces soins. Un
autre conflit pouvait entrer en jeu selon le médecin du SSR. Les enjeux financiers de la
politique de santé actuelle redéfinissent les soins procurés auprès du patient et
impacteraient sur la possibilité d’accompagnement du patient en fin de vie.
Le second point traite de la fragilité du patient. La patiente était effectivement
considérée comme fragile du fait de nombreux critères de fragilité tels que : son âge, le
nombre de traitements qu’elle a et ses antécédents. Selon le médecin gériatre, il faut
repérer les critères de fragilité d’un patient pour anticiper sa prise en charge future. La
conséquence négative d’un trouble organique chez un patient dit « fragile » est la
décompensation en cascade. Un organe défaillant aura une répercussion sur d’autres
organes.
Le troisième et dernier point traite quant à lui de mes représentations à la mort
qui pourraient entraver ma capacité à accompagner un patient en fin de vie. En effet,
une personne qui est elle-même angoissée lorsqu’elle voit une autre personne en fin de
vie rencontrera des difficultés à accompagner cette autre personne au travers de cette
épreuve. Nous parlons ici d’accompagnement. Selon le médecin, l’accompagnement est
11
Soins de Suite et de Réadaptation.
15
plus difficile que le fait d’effectuer un soin technique. Il justifie cela par le fait que
l’accompagnement nous implique directement tandis que le soin technique est selon lui
mécanique. Le médecin gériatre a aussi abordé la mort dans notre société qui pouvait
parfois être tabou et difficile à gérer ainsi que la mort qui peut être ritualisée selon les
cultures.
Pour conclure, il pointe l’aspect positif d’une telle situation source d’évolution
personnelle et professionnelle. C’est dans cet objectif de professionnalisation que
j’aborde l’exploration de cette problématique.
Je vous propose maintenant mon troisième entretien avec un infirmier
anesthésiste. J’ai choisi d’échanger autour de ma situation avec cet infirmier car la
spécialité d’anesthésiste demande à la fois des connaissances théoriques pointues, une
technique omniprésente mais aussi une capacité relationnelle. J’ai fait le rapprochement
avec ma situation dans laquelle les aspects techniques et curatifs étaient présents, mais
pas la dimension relationnelle.
Entretien 3 : infirmier anesthésiste
Trois éléments ont été pertinents durant cet entretien. Premièrement, il était
question de la fin de vie et de l’euthanasie. En effet, le fait d’arrêter les soins curatifs
dans cette situation pouvait faire penser à cette notion d’euthanasie. Deuxièmement, il
était question de la représentation de l’infirmier en blouse blanche qui est censé guérir et
qui se retrouve comme s’il était civil, dans la rue ne pouvant faire que le minimum face
à une situation d’urgence. Tout cela pouvant causer de la frustration, un sentiment que
j’ai ressentie durant ma situation. Enfin, les points positifs de cette situation ont été
abordés. Qu’est-ce que la situation m’a apporté ? Qu’est-ce que je peux faire pour
pallier à cette frustration ? Le but de ce type de situation est d’être capable d’anticiper
une situation autre du même type une prochaine fois. Par ailleurs, l’intérêt de la patiente
est ressorti durant cet entretien. Que voulait-elle en réalité ? Etait-elle capable
d’exprimer sa volonté ?
16
J’ai pu remarquer que des éléments communs étaient présents dans chaque entretien.
Ces éléments sont :
- mes représentations du rôle de l’infirmier, du soignant dans sa généralité, du
soin et de la mort
- la place du patient dans le soin
- l’accompagnement du patient en fin de vie
- mes émotions
Ainsi mon questionnement, éclairé de mes recherches théoriques et de mes
entretiens m’a permis d’exposer une question de recherche définitive :
En quoi les représentations des soins infirmiers peuvent-elles influencer
l’accompagnement d’un patient en fin de vie ?
Afin de répondre à cette problématique, je développerai et analyserai plusieurs
concepts que je mettrai en lien avec ma situation.
Dans un premier temps, j’éclairerai la notion de représentation sociale en
m’appuyant sur différents auteurs. Je ciblerai ensuite les représentations sociales au sein
de la profession infirmière en abordant l’historique de la profession. Je traiterai aussi un
autre type de représentation, tout aussi importante, qui sont celles de la mort, de la vie,
de la santé et de la maladie. J’inclurai dans ce chapitre la notion de valeur qui est, dans
ma situation, un élément déterminant de mon comportement face à la patiente.
Dans un second temps, je développerai le concept de soins infirmiers en analysant
les différentes dimensions qu’il comporte : sociales, éducatives, physiques et
psychologiques. Je détaillerai après cela deux concepts fondamentaux des soins
infirmiers : le care et le cure. Je clôturerai cette partie en approfondissant le terme
d’émotion en ciblant l’empathie, la compassion et la frustration.
Puis, j’analyserai la notion d’accompagnement dans le soin. Je mettrai cette notion
en lien avec celles de la distance relationnelle et de l’implication dans le soin. Enfin,
j’axerai la fin de cette partie sur l’accompagnement du patient en fin de vie.
17
PREMIERE PARTIE : PHASE THEORIQUE
1. Les représentations
1.1. Représentations sociales
Pour débuter notre analyse sur les représentations sociales, j’amènerai une
explication étymologique de ce terme.
Le terme de représentation vient du latin « representatio » qui désigne l’« action de
replacer devant les yeux de quelqu'un ». Il découle du mot « représenter » qui vient du
latin « repraesentare » signifiant « rendre présent, mettre devant les yeux »,
«reproduire», « rendre effectif, faire sur le champ»12
.
D’après Emile Durkheim (1858-1917), « la représentation impose à l’individu des
manières de penser et d’agir, et se matérialise dans les institutions sociales au moyen
de règles sociales, morales, juridiques13
». Pour lui, « les premiers systèmes de
représentations que l’homme s’est fait du monde et de lui-même sont d’origines
religieuses14
». Par ailleurs, il pose une distinction entre représentations individuelles et
représentations collectives : « La société est une réalité sui generis ; elle a ses
caractères propres qu’on ne retrouve pas, ou qu’on ne retrouve pas sous la même
forme, dans le reste de l’univers. Les représentations qui l’expriment ont donc un tout
autre contenu que les représentations purement individuelles et l’on peut être assuré
par avance que les premières ajoutent quelque chose aux secondes15
».
12
Centre National de Ressources Textuelles, Etymologie de la représentation. [en ligne]. <https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2011-4-page-49.htm>. (Consulté le 05/04/16). 13
JOUET LE PORS, Michèle, LA THÉORIE DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES. [en ligne]. Publié le 25/04/06. http://www.cadredesante.com/spip/profession/recherche/La-theorie-des-representations. (Consulté le 28/03/16). 14
DURKHEIM Emile, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Le livre de poche, 1991, p.16, 758p.. 15
Ibid.
18
En France, Serge Moscovici tend à montrer dans son livre « La Psychanalyse, son
image et son public16
», « comment une nouvelle théorie scientifique ou politique est
diffusée dans une culture donnée, comment elle est transformée au cours de ce
processus et comment elle change à son tour la vision que les gens ont d’eux-mêmes et
du monde dans lequel ils vivent17
». Pour lui, « les représentations sont des formes de
savoir naïf, destinées à organiser les conduites et orienter les communications18
».
Jodelet, quant à elle, désigne la représentation comme « une forme de connaissance
socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourant à la
construction d’une réalité commune à un ensemble social19
».
Selon le Dictionnaire Larousse, une représentation est définie comme « une
perception, une image mentale, etc., dont le contenu se rapporte à un objet, à une
situation, à une scène, etc., du monde dans lequel vit le sujet20
». Au sens philosophique
du terme, elle est désignée comme une « connaissance fournie à l'esprit par les sens ou
par la mémoire21
».
Ainsi, les représentations seraient des perceptions mentales qu’ont les individus se
rapportant à un élément en particulier. Par ailleurs, Durkheim souligne que les
représentations collectives, partagées par un ensemble de personnes, seraient
complémentaires des représentations individuelles. Serge Moscovici quant à lui ajoute
que les représentations seraient issues de théories subissant un processus de
transformation et provoquant le changement de mode de pensée de l’individu. De plus,
ces représentations ne seraient pas des éléments figés dans le temps mais pourraient
évoluer. Jodelet vient compléter les deux précédents auteurs en admettant que les
représentations sont un ensemble de savoirs commun à un ensemble de personnes dont
le but est de communiquer, de vivre en communauté et de s’inscrire dans une certaine
forme de réalité.
16
MOSCOVICI Serge, La psychanalyse, son image et son public, Paris, PUF, 1961 (2e éd. 1976), p.20,
506p. 17
FARR Robert, Les représentations sociales, in Psychologie sociale, op.cité, p.385. 18
JOUET LE PORS, Michèle, op.cité. (Consulté le 26/06/16). 19
JODELET, Denise, Les représentations sociales : phénomènes, concept et théorie, in Psychologie sociale, sous la direction de S. Moscovici, Paris, PUF, Le psychologue, 1997, p.365. 20
Définition : représentation. [en ligne]. <http://www.larousse.fr>. (Consulté le 25/03/15). 21
Ibid.
19
Mais quelle fut l’évolution des représentations sociales durant ces derniers siècles ?
Nous développerons cela dans la prochaine partie en nous ciblant sur la profession et les
soins infirmiers.
1.2. Historique et représentations sociales de la profession et des soins infirmiers
Commençons ce chapitre par une analyse étymologique du terme « infirmier ».
« Le mot infirmier apparaît en 1398. Il est issu du terme infirme (1247), qui vient du
latin « infirmus » (faible, impotent, invalide). Ce terme a d’abord désigné dans les
maisons religieuses la moniale chargée de soigner ses consœurs, puis au XVIe
siècle, on appelle couramment infirmière la sœur qui prend en charge les soins22
».
Parlons aussi du terme « enfermier23
», attesté de 1288. « Au Moyen Âge, on isole et
on contraint pour repérer et écarter celui qu’on ne maîtrise pas. Le soignant est
absent, il représente plutôt un assistant à la misère sous la coupe des ordres
religieux qui mettent en place des lieux de rassemblements, l’enfermerie 24
».
À la Renaissance, ouvrent des établissements accueillant des fous mais aussi des
malades, des miséreux et des exclus en Europe. Le personnel se compose de médecins
et de religieux au statut non défini. Les soins sont assimilés à la charité pour l’amour
divin. Le soin est bénévole, la femme qui aide n’est pas rémunérée financièrement ; les
soins sont définis dans un système d’échanges : le remerciement se fait en nature,
l’infirmière est prise en charge par la structure qui l’emploie car le soin n’a pas de
valeur économique, sa valeur est culturelle25
.
Toutefois, un changement vient apparaître au cours du XIXe siècle.
« La dimension religieuse est remise en question vers le milieu du XIXe siècle pour
deux raisons :
22
Infirmier en psychiatrie : évaluer, soigner, prévenir... [en ligne] <http://www.infirmiers.com/votre-carriere/votre-carriere/infirmiers-en-psychiatrie.html>. 20.03.09, Mise à jour le 26.06.14. (Consulté le 26/03/16). 23
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, Etymologie de l’infirmier. [en ligne]. <http://www.cnrtl.fr/definition/dmf/INFIRMIER>. (Consulté le 26/03/16). 24
DUBOYS, FRESNEY, Catherine, PERRIN, Georgette, Le métier d’infirmière en France. Presses Universitaires de France, 2009, p.48, 128p. 25
Ibid.
20
- L’avènement de la République : combattre les maladies et répandre la santé
devient un objectif intéressant
- Les découvertes de Pasteur : elles impliquent de nouveaux gestes d’hygiène et
de stérilisation, refusés par les religieuses ; ce qui amène les médecins à
rechercher des auxiliaires qui accepteraient cela
La Seconde Guerre mondiale a un autre impact : elle marque le début de
l’affranchissement de l’infirmière vis-à-vis des médecins. En effet les nouvelles
thérapeutiques (antibiotiques, examens biologiques) multiplient les gestes
techniques au point que les médecins ne peuvent plus les assumer seuls. Dans le
mouvement général de mai 1968, les infirmières prennent conscience de ce qu’elles
sont une profession comme les autres et commencent à se libérer de l’obéissance, la
soumission, la charité et le dévouement de la religieuse. Sur le plan professionnel,
les rapports entre médecins et infirmières se transforment avec une nouvelle
position de l’infirmière qui ose s’imposer face à son patron. Les infirmières ont
probablement bénéficié des évolutions sociales de cette époque sur la place de la
femme dans la société en général et dans le monde du travail en particulier»26
.
C’est après la seconde guerre mondiale, avec le développement de l’antibiothérapie
et des techniques d’explorations médicales, que l’hôpital devient un lieu d’hyper
technicité27
, de nouveaux professionnels de la santé interviennent (diététiciennes,
techniciens de laboratoire...) et les infirmières viennent s’approprier de nouvelles
compétences médicales. Les soins qui sont effectués en série sont centrés sur la maladie
ou l’organe. On assiste à un morcellement de la fonction de soignant et aussi, une
volonté de lier la dimension religieuse d’autrefois28
et la dimension technique29
comme
une manière de revendiquer sa profession. Ainsi, les infirmières délèguent ce qu’elles
tendent à considérer comme le « sale boulot », en d’autres termes, elles tendent à
26
Ibid. 27
HESBEEN, W, Prendre soin à l’hôpital. Inscrire le soin infirmier dans une perspective soignante. Masson, 1997, p.55, 208p. 28
MAGNON, R., Les infirmières : identité, spécificité des soins infirmiers. Masson, 2001, p100, 198p.. 29
KNIBIEHLER, Y, (dir.), Cornettes et blouses blanches. Les infirmières dans la société française 1880-1980, Paris, Hachette, 1984, p300, 366p.
21
«déprécier la qualification de garde malade qui leur vient de Nightingale et à en céder
les fonctions aux petits personnels, pour se consacrer aux travaux d’administration30
».
Le 5 septembre 1972 est mis en place un nouveau programme des études menant au
diplôme d’Etat d’infirmier. « Sa conception globale était avant tout centrée sur la santé
et sur la personne humaine, et non plus exclusivement sur la maladie31
». Ce nouveau
programme est centré sur « les soins infirmiers » concernant certaines pathologies ou
différents âges de la vie, avec un enseignement théorique et des stages qui favorisent
l’apprentissage des soins globaux aux patients. Toutefois, l’infirmière exécute toujours
des prescriptions médicales. Elle s’intéresse aux soins infirmiers liés au confort du
patient. La loi du 31 mai 197832
définie la profession d’infirmière et lui reconnaît un
rôle propre dans la mise en œuvre des soins, de l’accompagnement des patients, en
termes de prévention, d’éducation, et de promotion de la santé. C’est une immense
reconnaissance pour cette profession, qui peut désormais commencer à s’affirmer. Les
décrets du 12 mai 198133
et du 17 juillet 198434
définissent les soins infirmiers et
précisent les actes qui peuvent être effectués sur le rôle propre de l’infirmière ou par une
prescription médicale.
Ainsi, les représentations sociales de la profession infirmière et des soins infirmiers
ont subi une évolution importante au fil des années. Les différentes révolutions ainsi
que les progrès techniques ont permis de faire évoluer cette profession. L’infirmière a
de nos jours beaucoup plus d’autonomie que durant les derniers siècles et tend à
affirmer son rôle de jour en jour. Un rôle de promotion de la santé, de promotion de la
vie. Mais quelles-sont ces notions humanistes ? Comment leurs représentations sociales
ont-elles évolué au cours du temps ? Je ferai en sorte d’y répondre dans la prochaine
partie.
30
HUGHES, E-C, Le regard sociologique. Essais choisis, Textes rassemblés et présentés par Jean-Michel Chapoulie, Éditions de l’EHESS, Paris, 1996, p444. 31
Code de la Santé Publique. Décret n°72-818 et arrêté du 5 septembre 1972, relatif au programme d’enseignement et à l’organisation des stages en vue de la préparation au diplôme d’Etat d’infirmier 32
Op. cit. Loi n° 78-615 du 31 mai 1978 modifiant les articles L.473 à 476 du Code de la Santé Publique, relatifs à la profession d’infirmière et L.372 de ce code relatif à l’exercice illégal de la médecine 33
Op. cit. Décret n°81-539 du 12 mai 1981, relatif à l’exercice de la profession d’infirmier. 34
Op. cit. Décret n°84-689 du 17 juillet 1984, relatif aux actes professionnels et l’exercice de la profession d’infirmier.
22
1.3. Représentations sociales de la santé et de la vie
Je commencerai l’éclairage de la notion de santé par une recherche
étymologique. Le terme de santé nous vient du latin « sanitas » qui signifie santé (du
corps, de l'esprit) et qui est dérivé du terme « sanus » qui signifie sain35
.
Selon l’OMS, « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et
social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité36
».
Le Dictionnaire Larousse nous apporte en plus le fait que la santé est un « État
de bon fonctionnement de l'organisme », « État de l'organisme, bon ou mauvais » ou
encore « Équilibre psychique, harmonie de la vie mentale37
».
Par ailleurs, la notion de santé est liée à celle de vie car, sans vie, il n’y aurait
pas de santé. J’ai donc décidé d’approfondir cette notion de vie.
Du point de vue étymologique, la notion de vie renvoie à la racine latine
« vita » dérivée de « vivere » signifiant « vivre, être en vie »38
.
Le Dictionnaire Larousse39
précise que la vie est :
« Un caractère propre aux êtres possédant des structures complexes
(macromolécules, cellules, organes, tissus), capables de résister aux diverses
causes de changement, aptes à renouveler, par assimilation, leurs éléments
constitutifs (atomes, petites molécules), à croître et à se reproduire » ou la
« Durée d'existence d'un individu » ou enfin le « Fait de vivre ; l’existence, en
particulier humaine ».
35
Etymologie : santé. [en ligne]. <http://www.cnrtl.fr/etymologie/sant%C3%A9>. (Consulté le 03/04/16). 36
Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. 1946; (Actes officiels de l'Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948. 37
Définition : santé. [en ligne]. < http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sant%C3%A9/70904>. (Consulté le 03/04/16). 38
Etymologie : vie. [en ligne] < http://www.cnrtl.fr/etymologie/vie>. (Consulté le 03/04/16). 39
Définition : vie. [en ligne]. < http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/vie/81916 >. (Consulté le 03/04/16).
23
Ainsi, la notion de vie s’inscrirait dans la durée et serait un phénomène évolutif,
qui se construirait. Nous distinguons la vie cellulaire, concernant les différentes activités
chimiques au niveau de nos cellules et la vie à plus grande échelle, la vie « humaine ».
Celle-ci renvoie au principe même de notre existence, à la nature humaine.
Nous pouvons aussi constater que la notion de santé possède à la fois une
dimension physique et psychique depuis l’étymologie même de cette notion. Il existe
alors une santé du corps et une santé de l’esprit. Ces deux aspects de la santé seraient
intimement liés si l’on se fie au fameux adage « bien dans son corps, bien dans sa tête ».
De plus, une troisième dimension apparait dans cette définition. C’est la dimension
sociale. Ainsi, une harmonie entre ces trois dimensions mènerait à la santé. Toutefois,
cette affirmation n’aurait-elle pas un aspect utopique ? Puis, est-il possible d’arriver à
une telle harmonie ? Si cela n’est pas possible, à quoi peut-on faire face ? Existerait-il
un état dans lequel on ne se sentirait pas en vie, pas en santé ? C’est ainsi que je
développerai les concepts de maladie et de mort, ainsi que leurs représentations sociales.
1.4. Représentations sociales de la maladie et de la mort
Je vais débuter l’explication du concept de maladie par une étude étymologique de
ce terme. La notion de maladie vient du latin « male habitus » qui veut dire
« mauvais état »40
.
La définition contenue dans le Dictionnaire Larousse vient éclairer cette explication
étymologique en ajoutant que la maladie est l’« Altération de la santé, des fonctions des
êtres vivants (animaux et végétaux), en particulier quand la cause est connue (par
opposition à syndrome) 41
».
La maladie est donc une atteinte à la santé, provoquant un mal-être qui peut-être
physique, psychologique et se répercuter au niveau sociale, si l’on se réfère à la
définition de la santé précédemment citée. Je vais désormais développer un terme
pouvant être lié à la notion de maladie de par plusieurs aspects : la mort.
40
Définition : maladie. [en ligne]. < http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/maladie/48809 >. (Consulté le 03/04/16). 41
Ibid.
24
J’ai décidé de débuter l’étude du concept de mort par son étymologie. Il vient du
latin « mortuus » signifiant « paralysé, faible »42
.
J’ai continué ma réflexion autour de cette notion en citant sa définition telle
qu’elle nous est offerte dans le Dictionnaire Larousse43
. Il nous propose les suivantes :
« Perte définitive par une entité vivante (organe, individu, tissu ou cellule) des
propriétés caractéristiques de la vie, entraînant sa destruction » ou la « Cessation
complète et définitive de la vie d'un être humain, d'un animal » ou « Manière
de mourir ; circonstances qui accompagnent la mort : Une mort naturelle,
accidentelle ».
Enfin, je me suis appuyé sur une définition tiré de l’article R1232-1 du Code de
la Santé Publique44
pour définir ce concept :
« Si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat
de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont
simultanément présents :
1° Absence totale de conscience et d'activité motrice spontanée ;
2° Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
3° Absence totale de ventilation spontanée ».
Afin de mettre en lumière l’évolution des représentations de la mort dans nos
sociétés, j’ai décidé de m’appuyer sur un article de revue (Annexe I) rédigé par Damien
LE GUAY, philosophe et critique littéraire.
Ce que je retiens de ce concept de mort est qu’il met un terme à un processus
d’évolution, de maturité de l’être humain. La mort peut être définie de manière
médicale, comme elle est citée dans le Code de la Santé Publique. Toutefois, je pense
qu’il est essentiel de garder sa dimension philosophique, psychologique et sociale.
42
Etymologie : mort.[en ligne]. < http://www.littre.org/definition/mort>. (Consulté le 03/04/16). 43
Définition : mort. [en ligne]. < http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/mort/52706#w7kZzw7h2UVqLDj7.99>. (Consulté le 03/04/16). 44
Code de la Santé Publique, article R1232-1 du Code de la Santé Publique Modifié par Décret n°2005-949 du 2 août 2005 - art. 1 JORF 6 août 2005.
25
Effectivement, elle a de nombreuses répercussions, notamment sur l’entourage de la
personne victime, mais aussi sur d’autres, en relation ou non avec cette personne. Je
pense par exemple aux soignants qui y sont confrontés régulièrement, mais aussi aux
individus dans nos sociétés. La mort peut avoir des représentations différentes selon les
individus, les cultures. De plus, ses représentations ont subi une évolution au cours du
temps conduisant à sa banalisation (média, cinéma) et à une modification du rapport
qu’ont les individus avec elle.
Pour faire le lien avec ma situation, je dois dire que j’étais très ému du décès de
la patiente. Cependant, je me demande si un élément ne serait pas en cause dans toutes
ses émotions, dans mon comportement face à cette patiente. En réalité, je pense que mes
valeurs personnelles ont influencé ma prise en charge de cette patiente. Je vais donc
analyser ce terme dans la partie suivante.
1.5. Valeurs
Je trouve intéressant de commencer cette partie avec une étude étymologique45
de ce
terme. Le mot « valeur » vient du latin « valorem », de « valere », « être fort, valoir ».
Selon le Dictionnaire Larousse, une valeur désigne « ce qui est posé comme vrai,
beau, bien, d'un point de vue personnel ou selon les critères d'une société et qui est
donné comme un idéal à atteindre, comme quelque chose à défendre46
».
Schwartz, propose une conception des valeurs leur attribuant six caractéristiques
principales :
- « Les valeurs sont des croyances associées de manière indissociable aux affects.
Quand les valeurs sont « activées », elles se combinent aux sentiments.
- Les valeurs ont trait à des objectifs désirables qui motivent l’action.
- Les valeurs transcendent les actions et les situations spécifiques.
- Les valeurs servent d’étalon ou de critères. Les valeurs guident la sélection ou
l’évaluation des actions, des politiques, des personnes et des événements. On
45
Etymologie de valeur. [en ligne]. <http://www.littre.org/definition/valeur >. (Consulté le 28/04/16). 46
Définition : valeur. [en ligne]. < http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/valeur/80972>. (Consulté le 26/03/16).
26
décide de ce qui est bon ou mauvais, justifié ou illégitime, de ce qui vaut la
peine d’être fait ou de ce qui doit être évité en fonction des conséquences
possibles pour les valeurs que l’on affectionne.
- Les valeurs sont classées par ordre d’importance les unes par rapport aux
autres. Les valeurs d’une personne peuvent être classées par ordre de priorité,
et cette hiérarchie est caractéristique de cette personne.
- L’importance relative de multiples valeurs guide l’action. Toute attitude, tout
comportement, implique nécessairement plus d’une valeur47
».
Ainsi, nos valeurs seraient liées à nos émotions et guideraient nos actions. Dans ma
situation, je pense que mes valeurs ont aussi été la cause de mon comportement face à
cette patiente. Mes valeurs sont l’altruisme, la générosité, la bienveillance. Toutefois, je
ne pense pas les avoir mis en pratique en faveur de la patiente car à ce moment-là,
j’avais occulté la dimension psychologique que je pouvais accorder au soin, à cette
patiente. C’est pour cela que j’ai décidé de développer cette notion fondamentale du
soin dans le prochain chapitre, en axant plus précisément mes recherches sur le soin
infirmier. Comme nous avons pu le voir jusqu’à présent, les soins infirmiers ont subi
une évolution depuis le Moyen-Age. Nous allons désormais les voir tels qu’ils sont de
nos jours.
2. Les soins infirmiers
2.1. Définition des soins infirmiers
Afin de mieux apprécier le concept de soin, j’ai décidé de vous en proposer
plusieurs définitions. Cela nous permettra d’avoir plusieurs champs de vision de ce
concept et ainsi, d’enrichir notre analyse.
47
Voir Allport (1961) ; Feather (1995) ; Inglehart (1997) ; Kohn (1969) ; Kluckhohn (1951) ; Mor ris (1956) ; Rokeach (1973) ; Schwartz et Bilsky (1987). [en ligne]. <https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2006-4-page-929.htm#no2>. (Consulté le
26/03/16).
27
Voici dans un premier temps plusieurs définitions du Dictionnaire Larousse48
qui
précise que les soins sont des « Actes par lesquels on veille au bien-être de quelqu'un »
ou des « Actes de thérapeutique qui visent à la santé de quelqu'un, de son corps ». Ce
sont aussi des « Actes qui visent à entretenir, préserver quelque chose, un végétal ». Ce
terme a donné le verbe « soigner ». Toujours défini par le Dictionnaire Larousse49
,
soigner signifie :
« S'occuper du bien-être de quelqu'un, être attentif à prévenir ses désirs, à lui
faire plaisir » ; « S'occuper avec soin de quelque chose, être attentif à son bon état, à
son aspect, à sa propreté ou à son bon fonctionnement » ; « Procurer les soins
nécessaires à la guérison, à l'amélioration de la santé de quelqu'un, d'un animal » ;
« Essayer de faire disparaître une maladie, de l'éliminer par des soins, des remèdes » ;
« Être attentif à faire quelque chose et à le présenter au mieux ».
Toutefois, c’est réellement en 1995 qu’un tournant décisif de la profession
infirmière apparait : Virginia Henderson précise la définition des soins infirmiers. Pour
elle : « L’infirmière est une praticienne indépendante, […] ayant des jugements
indépendants [et elle] détient l’autorité pour ce qui touche les soins infirmiers50
».
Ainsi, sa vision des soins deviendra une référence pour les soignants sur la place
du patient dans son environnement. Nous constatons sa vision holistique de la personne.
Selon elle, les actions mises en place par les infirmières au vue des 14 besoins
fondamentaux ont pour objectif de rétablir ce déséquilibre afin de rendre la personne de
nouveau indépendante51
.
Par ailleurs, elle précise que :
« Les soins infirmiers (c’est-à-dire le rôle essentiel de l’infirmière), prennent
leur source dans les besoins fondamentaux de l’être humain et ont pour but
48
Définition : soin. [en ligne]. < http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/soin/73236>. (Consulté le 03/04/16). 49
Définition : soigner. [en ligne]. < http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/soigner/73230>. (Consulté le 03/04/16). 50
FAVETTA, Véronique, FEUILLEBOIS-MARTINEZ Brigitte, Prendre soin et formation infirmière. [en ligne]. Recherche en soins infirmiers 4/2011 (N° 107), p. 60-75. <https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2011-4-page-60.htm>. (Consulté le 28/03/16). 51
Ibid.
28
d’aider l’individu malade ou en santé au maintien ou au recouvrement de la
santé (ou de l’assister dans ses derniers moments) par l’accomplissement de
tâches dont il s‘acquitterait lui-même s’il en avait la volonté ou s’il possédait les
connaissances voulues, en l’aidant à reconquérir le plus rapidement possible
son indépendance. 52
»
D’après Virginia Henderson, la profession infirmière a bénéficié d’une nette
évolution au cours du temps permettant une émergence d’une certaine autonomie vis-à-
vis du corps médical. De plus, elle affirme que les soins infirmiers prendraient leur sens
dans l’étude des besoins fondamentaux de l’individu. En effet, tout individu aurait des
besoins primordiaux, mais en cas de dépendance et de non-accomplissement d’un ou
plusieurs de ces besoins, l’infirmière serait là afin de pallier à ce manque et ainsi,
permettrait de satisfaire les besoins du patient.
D’ailleurs, le rapport sur « les conditions de travail et de vie des personnels
infirmiers » nous confirme cette autonomie que l’infirmière acquiert au fil du temps.
Selon ce rapport :
« Les soins infirmiers comportent des fonctions qui vont de la simple exécution
de tâches manuelles répétitives correspondant à des schémas de comportement
déterminés à l’avance, à l’accomplissement de services comportant une part
élevée de jugement dans l’application de principes scientifiques et dans le choix
des mesures à prendre... 53
».
Le Bureau régional Europe de l’Organisation mondiale de la santé qui, reprenant
les travaux de la Conférence sur les soins infirmiers qui s’est tenue à Vienne en juin
1988 définit, quant à lui, les soins infirmiers de la manière suivante :
« Les soins infirmiers ont pour but d’aider les individus, les familles et les
groupes à déterminer et réaliser leur plein potentiel physique, mental et social et
à y parvenir dans le contexte de l’environnement dans lequel ils travaillent. [ ...]
Ils sont à la fois un art et une science qui requièrent la compréhension et
52
VIRGINIA HENDERSON, PRINCIPES FONDAMENTAUX DES SOINS INFIRMIERS, S. KARGER, BASEL (SUISSE) (1969), p.25, 66p. 53
OIT-OMS, Rapport sur la réunion préparatoire conjointe sur les conditions de travail et de vie du personnel infirmier, Genève, 19-30 novembre 1973.
29
l’application de connaissances et de compétences spécifiques à la discipline, qui
intègrent aussi des connaissances dérivées des sciences humaines et des
sciences physiques, sociales, médicales et biologiques 54
»
Selon cette définition, les soins infirmiers prendraient un aspect
multidimensionnel et seraient même considérés comme un art. Ce caractère
multidimensionnel nous est précisé dans l’Article R4311-2 du Code de la santé
Publique (Annexe II).
Nous pouvons résumer cet article en admettant que les soins infirmiers
présentent de nombreuses particularités et sont un domaine très vaste. Ces soins incluent
plusieurs dimensions : la dimension sociale, la dimension éducative, la dimension
physique et la dimension psychologique. De plus, comme le présente SVANDRA P.,
« le soin est l’expression agissante de mon humanité55
». Cela exprime la dimension
altruiste, humaniste que porte en lui le soin.
Par ailleurs, la relation patient/soignant a subi une forte évolution au cours du
siècle dernier, comme en témoigne la définition de la santé de l’OMS qui la définit
comme « un état de complet bien- être physique, mental et social, et ne consiste pas
seulement en une absence de maladie ou d’infirmité56
». Nous constatons ici que la
santé prend elle aussi, une dimension différente, plus ouverte sur la dimension
psychologique, mentale.
Bernard Kouchner nous confirme cela de par sa vision de l’homme dans la
préface au Livre blanc des premiers Etats généraux des malades du cancer57
: « Le
temps de la parcellisation du corps est terminé. Nous savons aujourd’hui que soigner
54
SALVAGE, J. Les soins infirmiers en action, OMS, Bureau régional de l’Europe, série européenne n° 48, Copenhague, 1995. 55
SVANDRA P., Eloge du soin. Seli Arslan, 2009, p24, 145p.. 56
Définition de la santé, selon l’OMS. [en ligne]. <http://www.who.int/fr>, publié le 10 Mars 2005. (Consulté le 10/13/16). 57
KOUCHNER, Bernard, préface au Livre blanc des premiers Etats généraux des malades du cancer, [en ligne]. La Ligue, Paris, 1998. <http://www.leem.org/sites/default/files/1358.pdf>. (Consulté le 28/03/16).
30
signifie avant tout comprendre l’homme non seulement dans son unité, mais aussi dans
son unicité58
»
Ce que je retiens réellement de ces différentes approches des soins infirmiers
sont qu’ils s’inscrivent dans une prise en charge holistique du patient. En effet, plusieurs
dimensions apparaissent dans sa prise en charge afin de le voir comme une personne
unique à qui l’on propose des soins et non comme un objet de soins. Je trouve par
ailleurs intéressant de constater à quel point ces soins infirmiers ont évolué en faveur du
patient, de par la maturation de l’infirmière. Cette dernière, via les travaux de Virginia
Henderson a pu exprimer son rôle propre pour prendre en charge le patient de manière
non seulement curative, médicale, mais aussi psychologiquement. Concernant ma
situation, il est clair que j’ai principalement fixé mon attention sur la dimension
physique et occulté les autres.
Cela m’amène à aborder cette subtilité que possèdent les soins infirmiers. Cette
limite tant discutée ces dernières années autour du sens que l’on peut accorder à ces
soins, de la place que l’on peut accorder au patient. Ainsi, j’aborderai dans la prochaine
partie deux aspects des soins infirmiers venus des Etats-Unis : le cure et le care.
2.2. Cure et care : deux concepts fondamentaux
Le cure et le care sont des notions particulièrement intéressantes dans les soins
infirmiers. En effet, de nombreux auteurs ont abordé cette différenciation entre les deux
termes qui peuvent malgré tout, être complémentaires.
Je vous propose dans un premier temps une approche de ces concepts menée par
Marie Françoise Collière. Pour elle, il existe une différenciation entre le care qui
désignerait « les soins coutumiers et habituels », liées aux fonctions d’entretien et le
cure qui serait « des soins de réparation ». Ces derniers répareraient ce qui empêche de
vivre de manière convenable59
.
Ainsi, le cure relèverait plus précisément de l’aspect technique, du soin curatif
visant à guérir la pathologie de la personne soignée. Le care quant à lui serait plus
59
COLLIERE, Marie-Françoise, Soigner… Le premier art de la vie. Masson, 2001, p.200, 464p.
31
investi dans un aspect psychologique, relationnel dans lequel la dimension du « prendre
soin » prendrait tout son sens.
2.2.1. Le cure
La notion de cure pourrait être liée à un mode de pensée existant déjà au XVIIème
siècle. En effet, la pathologie et l’organe malade ont depuis des siècles occupés une
place centrale dans la médecine. Pour Descartes, il suffisait de remplacer l’organe qui
était touché pour guérir le patient. Pour lui, le fonctionnement du corps étant objectif,
tout dérèglement trouverait une cause organique60
. La dimension psychologique était
donc occultée.
Le cure regrouperait « des soins de réparation qui ont pour but de limiter la
maladie, de lutter contre elle et de s’attaquer aux causes. L’objet de réparation est
devenu la fonction organique, la fonction mentale, l’organe, le tissu, voire la cellule
isolée de son tout61
».
Ainsi, le cure ne servirait qu’à « réparer », à rétablir le fonctionnement organique.
Toutefois, se limiter à cette vision du soin serait très limitatif car on oublierait alors la
dimension psychologique qu’a le soin. Je vais donc compléter cette première partie en
développant le second concept qui est le care.
2.2.2. Le care :
Le deuxième aspect qui viendrait compléter la notion de soin serait le care. Une
caractéristique importante du care est qu’il est invisible, contrairement au cure qui se
matérialise plus facilement de par des gestes techniques. Pour P. Molinier, ce travail
invisible ne peut être aperçu que lorsqu’il n’est pas réalisé62
.
Selon Joan Tronto, le care désignerait :
60
LEBRET, Jean-Marc, RÉFLEXION PHILOSOPHIQUE SUR LA RELATION SOIGNANT/SOIGNÉ [en ligne], 2007. <http://www.cadredesante.com/spip/IMG/pdf/reflexions_philosophique_Lebret.pdf> (Consulté le 28/03/16). 61
Le concept de « CARE » : Les soins liés aux fonctions de la vie. [en ligne]. 2011. < http://www.grieps.fr/actualites-le-concept-de-care-les-soins-lies-aux-fonctions-de-la-vie-49>. (Consulté le 29/03/16). 62
MOLINIER, P., Ibid, p 36.
32
« Une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir,
perpétuer et réparer notre « monde », de sorte que nous puissions y vivre aussi bien
que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement,
tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la
vie63
».
Ces définitions tendent vers une notion du « prendre soin » dans toute sa dimension
psychologique et relationnelle.
Pour J.Zimowski :
« Prendre soin est un art, cela comprend tout ce que les soignants font dans la
limite de leurs compétences et de leurs possibilités. Dans la notion de soin, il est de
question : de gestes, maîtrisés afin d’engendrer un minimum d’inconfort pour le
patient (accessoire), d’esprit du geste (essence : démarche soignante auprès du
patient dans sa situation de vie). Il convient de distinguer le soin que l’on prend aux
soins que l’on donne. Le soin (technique ou nursing) n’est pas une fin. C’est
simplement un moyen de prendre soin64
».
Nous pouvons donc constater une différence entre le care et le cure, mais il y
aurait aussi un lien fort. En effet, les deux seraient en synergie selon Rothier Bautzer E.
et une bonne utilisation du care permettrait de mieux soigner, au sens curatif.
Selon lui, « Sous-estimer le travail de « care », du « prendre soin » revient à
mettre en péril les possibilités curatives 65
».
Ces deux termes, qui trouvent leur origine dans l’anglais américain, ont eu une
place particulière dans ma situation. En effet, je me trouvais dans une démarche
d’action, de faire du soin curatif pour guérir cette patiente. C’est ici que se trouve le
cure. Ce verbe est intéressant, guérir. Qu’est-ce que guérir ? Guérir la maladie ? Cela
veut-il dire que nous ne pouvons pas guérir les maux, les souffrances ? C’est ici
63
TRONTO, Joan, Un monde vulnérable, pour une politique du care, La Découverte, 2009, p.12, 238p. 64
ZIMOWSKI, J., Points de vigilances des soins infirmiers du patient en oncologie et soins palliatifs, Centre d’Ethique Médicale, Diplôme Universitaire de Soins Palliatifs, Lille https://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/ebim/documents/prendre_soin__JZ__2012.pdf>. (Consulté le 03/04/16). 65
ROTHIER BAUTZER, Eliane, Entre cure et care, Les enjeux de la professionnalisation infirmière, Collection Fonction Cadre de santé, Gestion des ressources humaines, Edition Lamarre, p.44, 294p.
33
qu’intervient le care. Les termes appropriés pour ce concept seraient « accompagner »,
« prendre soin ». Cette dimension psychologique n’était que trop peu présente lors de la
prise en charge de cette patiente afin de l’accompagner dans ses derniers instants de vie.
Mes émotions avaient pris le dessus. J’étais impuissant face à elles. Cela signifie-t-il
que je combattais mes émotions ? Ne peut-on pas se servir de ses émotions pour le
patient ? C’est dans la prochaine partie que j’essayerai de répondre à ces questions en
éclairant ce concept d’émotion.
2.3. Les émotions
Je commencerai l’étude de ce concept par son étymologie. Le terme d’ « émotion »
nous vient du latin « moveo » qui signifie « déplacer, ébranler » par extension ; « ce qui
met en mouvement et nous jette en dehors »66
.
Selon le Dictionnaire Larousse, l’émotion est un « trouble subit, une agitation
passagère causés par un sentiment vif de peur, de surprise, de joie, etc. 67
» ou bien une
« réaction affective transitoire d'assez grande intensité, habituellement provoquée par
une stimulation venue de l'environnement68
».
Le Dictionnaire Larousse des concepts philosophiques décrit quant à lui les
émotions d’une autre manière :
« Les émotions, appelées passions dans la philosophie classique, sont des états
affectifs complexes comportant des composantes physiques et mentales. Elles sont
liées à des changements physiologiques et souvent une expression physique
caractéristique (posture, expression du visage, etc.). Elles font intervenir une
représentation d’une situation. Elles ont une dimension qualitative spécifique. Elles
sont généralement associées à des tendances spécifiques à l’action, comme pour la
fuite la peur, ou l’agression la colère. Leur déclenchement soudain, leur durée
66
Etymologie des émotions, Michel Bay, Dictionnaire des concepts philosophiques, Larousse, 2006. 67
Définition : émotions. [en ligne]. < http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9motion/28829>. (Consulté le 26/03/16. 68
Ibid.
34
brève, leur focalisation sur une situation particulière les distinguent des humeurs ou
des traits de tempéraments »69
.
Pour Odile Jacob, « Chaque parole, geste, parfum, image, goût, est immédiatement
“interprété” par son affectif. Sans les émotions nous serions des machines et notre
existence serait grise70
».
D’après Catherine Marchi, « C’est quand on nie ses émotions, quand on les
méconnaît, qu’elles nous tyrannisent71
».
Les émotions sont donc un état durant lequel de nombreuses manifestations
physiques et psychologiques apparaissent. Elles seraient la cause d’une situation
extérieure qui les aurait provoquées. Pour interpréter les propos émis par Odile Jacob,
les émotions seraient une manière de colorer nos vies et éviteraient que l’on soit des
machines. Il me paraît évident que j’ai ressentis des émotions dans ma situation mais
quelles étaient-elles exactement et comment pourrais-je les approfondir ? Pour répondre
à ces interrogations, j’ai décidé de développer les notions d’empathie, de compassion et
de frustration.
2.3.1. L’empathie
D’un point de vue étymologique, l’empathie est composée du préfixe grec em-, «
dans », et de –pathie «ce que l'on éprouve [de mal]»72
.
Decety dit qu’ « il existe presque autant de définitions du concept d’empathie que
d’auteurs écrivant sur le sujet73
». Pour lui, elle se compose de deux aspects : « 1) une
réponse affective envers autrui qui implique parfois (mais pas toujours) un partage de
69
Etymologie des émotions, op. cit. 70
CYRULNIK, Boris, Les Nourritures affectives. Editions Odile Jacob, 2000, p.22, 252p. 71
MARCHI, Catherine, Emotions vivifiantes et perturbantes, [en ligne], mars 1999. http://www.psychologies.com/Moi/Se-connaitre/Emotions/Articles-et-Dossiers/Nos-emotions-les-controler-ou-les-exprimer/Emotions-vivifiantes-et-perturbantes>. (Consulté le 28/03/16). 72
Etymologie de l’empathie. [en ligne]. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, < http://www.cnrtl.fr/definition/dmf/empathie>. (Consulté le 26/03/16). 73
DECETY, (J), L’empathie, Sous la direction de BERTHOZ (A) JORLAND (G) Ed Odile Jacob Paris 2004 (12-1 p 35, 12-2 p 43).
35
son état émotionnel, et 2) la capacité cognitive de prendre la perspective subjective de
l’autre personne sans confusion avec ses propre affects74
.»
Pour le Dictionnaire Larousse, elle est définie comme la « Faculté intuitive de se
mettre à la place d'autrui, de percevoir ce qu'il ressent75
».
Selon Carl Rogers, « Être empathique, c’est percevoir le cadre de référence interne
d’autrui aussi précisément que possible et avec les composants émotionnels et les
significations qui lui appartiennent comme si l’on était cette personne, mais sans jamais
perdre de vue la condition du « comme si »76
».
Pour Mucchielli, c’est l’ « effort de décentration par rapport à soi pour entrer dans
l’Univers de l’Autre et le comprendre humainement77
».
Ces différentes définitions nous donnent un aperçu de la complexité de la notion
d’empathie. C’est la capacité de comprendre ce que peut ressentir autrui, sans toutefois
ressentir ses émotions comme lui peut les ressentir. Ces différents auteurs différencient
donc bien cet aspect, cette limite qui se trouve entre la personne faisant preuve
d’empathie, et l’autre envers qui l’on est empathique. Cette complexité nous amène à
nous questionner sur la différence avec le terme de « compassion » qui possède une
racine commune avec l’empathie.
2.3.2. La compassion
Commençons l’étude de la notion de compassion par une approche étymologique de
ce terme. Il se compose de deux parties : « cum » (avec) et « patio » (souffrir78
).
D’après cette définition, compatir signifierait « souffrir avec ». Nous pouvons
émettre une première nuance avec la notion d’empathie qui elle, pose une limite entre
74
DECETY, op.cité. 75
Défintion d’empathie. [en ligne]. <http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/empathie/28880>. (Consulté le 26/03/26). 76
ROGERS Carl, a way of being, Boston 1980, Houghton Mifflin compagny, cité par Decety, L’empathie 2004, p 59, 200p. 77
MUCCHIELLI, R., L’entretien de face à face dans la relation d’aide, Ed. ESF, 1995, p 10. 78
Etymologie compassion. [en ligne]. < http://www.littre.org/definition/compassion>. (Consulté le 26/03/16).
36
les personnes. Dans la compassion, cette limite ou barrière se baisse pour laisser la
personne ressentir ce que l’autre ressent.
D’après Jacques Ricot :
« La compassion est une expérience particulière du pâtir, celle qui reçoit en
partage la souffrance d’autrui et ce pâtir, loin d’être une pure réceptivité passive,
est disponibilité active au monde, à autrui79
» et ajoute que « La compassion est
cette sensibilité désarmante devant l’irruption en moi de la douleur d’autrui, non
que cette douleur soit ressentie comme telle dans une impossible coïncidence, mais
ce qui fait irruption est le sentiment d’une tristesse causée par la souffrance
d’autrui80
».
Selon le Dictionnaire Larousse, la compassion est un « sentiment de pitié qui
nous rend sensible aux malheurs d'autrui ; pitié, commisération81
». Il vient de la racine
latine « compassio», qui est l’« action de souffrir avec»82
.
Selon Karen Armstrong, la compassion est désignée comme l’attitude qui :
« Incite à soulager sans relâche les souffrances d'autrui, à ne pas se placer au
centre de tout et à être capables de considérer les autres comme aussi
importants que soi. Cela implique de ne jamais faire souffrir autrui, tant dans la
sphère publique que privée, de ne pas agir de manière violente, ni d'inciter à la
haine, ni d'humilier ou dénigrer autrui 83
».
Les notions de souffrance et de douleur reviennent à plusieurs reprises dans ces
explications de la notion de compassion. La différence qu’elle peut exprimer par rapport
à la notion d’empathie est la distance qui se trouve entre les sujets impliqués dans la
situation. C’est comme si l’empathie et la compassion étaient représentées par un mur
transparent. L’empathie serait représentée par un mur épais. Le sujet A pourrait voir le
79
RICOT, Jacques, Du bon usage de la compassion, PUF, p.19, 2013. 80
Jacques Ricot, op. cité, p.23. 81
Définition : compassion. [en ligne]. <http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/compassion/17625>. (Consulté le 25/04/16). 82
Etymologie de la compassion. [en ligne]. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. < http://www.cnrtl.fr/etymologie/compassion>. (Consulté le 26/03/16). 83
ARMSTRONG, Karen, Compassion, manifeste révolutionnaire pour un monde meilleur, Belfond, 288 p, 2013.
37
sujet B et comprendre ce qu’il peut ressentir, sans ressentir ses émotions. La
compassion quant à elle serait représentée par un mur toujours transparent, mais cette
fois-ci tellement fin que les deux sujets pourraient se toucher et ainsi ressentir ce
qu’éprouve l’autre. Cet exemple vise à montrer la différence d’intensité entre ces deux
notions. Non pas que le toucher marquerait cette différence, mais que la personne
éprouvant de la compassion pour une autre serait plus impliquée, plus touchée par
l’autre.
Karlen Armstrong vient jusqu’à mettre en avant l’égalité entre autrui et le « je »
ainsi que l’incitation à ne jamais faire souffrir l’autre. Pour résumer, la compassion
serait un filtre moins épais que l’empathie et laisserait donc passer les émotions entre
deux individus de manière plus importante si bien que l’un peut ressentir ce que l’autre
ressent.
Dans ma situation, je pense avoir adopté une posture empathique envers la
patiente. Mes pleurs n’ont pas été dû à une quelconque compassion mais à une
incompréhension, un sentiment d’injustice à propos du déroulement de la situation. En
d’autres termes l’arrêt des soins. C’est pour cela que j’ai décidé de développer le terme
de frustration dans la prochaine partie car je pense que c’est cette émotion que j’ai
ressenti lors de ma situation.
2.3.3. La frustration
Commençons par un éclairage étymologique de cette notion. Ce terme nous vient du
latin « frustratio » désignant l’« action de mettre dans l'erreur, de tromper », la «
déception, désappointement »84
.
Pour Freud, la frustration est « le fait qu’une pulsion ne peut pas être satisfaite,
interdit l’institution qui impose cette frustration et privation, l’état que cet interdit
provoque85
».
84
Etymologie de la frustration. [en ligne]. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. < http://www.cnrtl.fr/etymologie/frustration >. (Consulté le 26/03/16). 85
FREUD Sigmund, L’avenir d’une illusion, « OCFP » XVIII, Paris, PUF, 1927, p. 58, 125p.
38
Le Dictionnaire Larousse définit la frustration comme l’« État de quelqu'un qui est
frustré, empêché d'atteindre un but ou de réaliser un désir86
».
Elle peut aussi être définit comme un « Etat d'insatisfaction provoqué par le
sentiment de n'avoir pu réaliser un désir87
».
Ainsi, la frustration refléterait un sentiment d’inaccomplissement de quelque chose.
Elle pourrait être assimilée à un sentiment d’échec.
Je pense que mes émotions durant ma situation n’étaient pas de la compassion mais
de l’empathie et surtout, de la frustration liée à un sentiment d’échec. Ce sentiment de
ne pas avoir pu sauver, guérir la patiente. Pourtant, je pense sincèrement que les
émotions peuvent être un moteur dans le soin. Par exemple, l’empathie peut aider le
patient à se sentir écouté, rassuré. Ainsi, la collaboration thérapeutique n’en sera que
meilleure. L’humour peut aussi jouer une part importante dans le soin afin de détendre
l’atmosphère et ainsi créer une certaine proximité bénéfique au soin. Toutefois, étais-je
trop impliqué dans cette situation ? Etais-je trop proche de Mme B. au niveau
relationnel ? Je vais tenter d’envisager une réponse à ce questionnement en développant
les notions de distance relationnelle et d’implication dans le prochain chapitre intitulé :
« l’accompagnement ».
3. L’accompagnement : un soin à part entière
3.1. Définition de l’accompagnement
Commençons l’étude de ce concept par une analyse étymologique. Le « a »
d’accompagnement a pour origine le préfixe « ad » des romains qui signifie « vers »,
« le mouvement vers ». « Com » vient de « cum » et signifie « avec ». Quant à la
troisième partie de ce mot, elle a pour origine latine le mot « panis » que l’on peut
traduire par « pain ». Un lien peut être fait avec le mot « copain » qui signifie « Celui
86
Définition : frustration. [en ligne]. < http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/frustration/35469>. (Consulté le 26/03/16). 87
Ibid.
39
avec qui je partage le pain ». Par ailleurs, le terme « accompagner » traduit aussi le
mouvement. Accompagner, c’est l’action de celui qui fait mouvement vers le partage du
pain. En d’autres termes, c’est l’action de celui qui fait mouvement vers le partage de la
nourriture, vers le partage de ce qui est nécessaire, pour se nourrir, pour vivre88
.
D’après les définitions que nous offre le Dictionnaire Larousse89
, accompagner,
c’est « Être avec quelqu'un, lui tenir compagnie » ou alors « Aller avec quelqu'un dans
un lieu » et même « Mener, conduire quelqu'un quelque part ».
Ainsi, l’accompagnement inclurait les notions de partage et de présence. De plus,
nous constatons une certaine image de direction, de cheminement. Par ailleurs,
l’accompagnement regroupe des actions qui ont lieu entre plusieurs personnes, au
minimum deux. Ce terme signifierait donc que l’on aide autrui à suivre un chemin, un
chemin qu’il a décidé de suivre en tout autonomie. La personne qui accompagne
servirait seulement de guide, de présence.
Ce concept d’accompagnement nous est décrit dans l’optique du soin, entre soignant
et patient, dans un article de Code de la Santé Publique. Effectivement, d’après l’article
L. 1161-3 du Code de la Santé Publique : « Les actions d’accompagnement font partie
de l’éducation thérapeutique. Elles ont pour objet d’apporter une assistance et un
soutien aux malades, ou à leur entourage, dans la prise en charge de la maladie ».
Cette définition nous permet de voir comment l’accompagnement est intégré dans le
cadre du soin. Elle nous amène ainsi à la prochaine partie qui se centrera sur
l’accompagnement de la personne soignée en fin de vie.
3.2. L’accompagnement du patient en fin de vie
Je débuterai cette partie par une citation de Le Bouedec90
affirmant que
l’accompagnement est bien un métier, mais bien un « art, c’est-à-dire non d’une science
88
GAURIER Philippe, Concepts de soins - L’accompagnement. [en ligne]. 28.06.10. Mise à jour le
27.03.15.
<http://www.infirmiers.com/profession-infirmiere/concepts-de-soin/accompagner-un-concept-
fondamental-pour-le-soigne-et-le-soignant.html>. (Consulté le 05/04/16). 89
Définition : accompagnement. [en ligne].
<http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/accompagner/470>. (Consulté le 05/04/16). 90
LE BOUEDEC, Guy, DU CREST, Arnaud, PASQUIER, Luc et STAHL, Robert, L’accompagnement en éducation et en formation. Un projet impossible ? Paris, L’Harmattan, 2003, p. 111, 210p.
40
ou d’un ensemble de techniques et de méthodes ; c’est le fruit de l’expérience, d’une
pratique vérifiée ». Selon lui : « Accompagner quelqu’un… c’est marcher à ses côtés en
le laissant libre de choisir son chemin et le rythme de son pas » ; « l’assister dans la
recherche de cette vie mystérieuse qui est à l’œuvre au plus intime d’elle-même comme
au plus intime de chacun».
R. Sebag-Lanoë et C. Trivalle91
ajoutent qu’ « Il ne s’agit plus de fuir, mais de
s’asseoir. Il ne s’agit plus de parler, mais d’écouter. Il ne s’agit plus de faire,
forcément, à tout prix, mais être… Être là. Simplement. En tant qu’homme ou femme.
Même si aucun geste technique ne s’avère nécessaire ».
D’après ces deux approches de l’accompagnement, nous voyons clairement que les
auteurs sont dans une démarche de centralisation sur la personne, dans un apport de sa
présence personnelle.
Michel Dupuis, Raymond Gueibe, Walter Hesbeen, nous confirmeront cet aspect
concernant la place de la personne soignée dans le soin : « L’accompagnement soignant
devrait permettre de respecter le désir de la personne soignée. Il y va de la
responsabilité qui a été prise en acceptant de prendre soin de l’autre92
». Les auteurs
vont même jusqu’à citer la notion de responsabilité lorsqu’un soignant s’engage à
prendre soin d’un patient. Cela évoque donc l’importance du rôle que peut avoir le
soignant.
Par ailleurs, un rapport rédigé par l’INPES dans le cadre du Programme de
développement des soins palliatifs 2008-201293
vient nous éclairer concernant l’arrêt de
traitements chez un patient en fin de vie (Annexe III).
D’après ce rapport, le caractère raisonnable ou déraisonnable de l’acte envisagé
vient apporter une nuance au soin que l’on compte apporter au patient. Le Code de la
Santé Publique94
nous éclaire sur ce point. 91
R. Sebag-Lanoë et C. Trivalle, « Éthique et soins palliatifs : qui, quand, comment ?», Soins Gérontologie, no 44, 2003, p. 36-38. 92
Michel Dupuis, Raymond Gueibe, Walter Hesbeen, La banalisation de l’humain dans le système de soins, Sli Arslan, 2011, p.17, p.102, 160p. 93
Patients atteints de maladie grave ou en fin de vie – Soins palliatifs et accompagnement. Rapport rédigé par l’INPES dans le cadre du Programme de développement des soins palliatifs 2008-2012 [en ligne]. <http://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/933.pdf>. (Consulté le 05/04/16).
41
D’après le premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique :
« Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable.
Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le
seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris.
Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa
vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. »
Deux phrases viennent compléter le dernier alinéa de l'article L. 1110-5 :
« Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en
phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la
cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire
d'abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du
quatrième alinéa de l'article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l'article L.
1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans
le dossier médical. »
L’article L. 1111-13. nous précise quant à lui que :
« Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et
incurable, quelle qu'en soit la cause, est hors d'état d'exprimer sa volonté, le
médecin peut décider de limiter ou d'arrêter un traitement inutile, disproportionné
ou n'ayant d'autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette
personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de
déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l'article L. 1111-
6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives
anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical.
De plus, « Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa
fin de vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. ».
En effet, ces différents articles traitent de la décision prise lors de la fin de vie du
patient concernant l’arrêt de traitements et l’obstination déraisonnable. Cette
94
Dossiers législatifs - LOI n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Fait à Paris, le 22 avril 2005. [en ligne]. <https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=BF84F19CEB52890A2C45F0C1F04F3E39.tpdjo09v_3?idDocument=JORFDOLE000017758874&type=contenu&id=1&typeLoi=&legislature=>. (Consulté le 05/04/16).
42
décision est vraiment importante car elle engage plusieurs sujets. Au vue de ces
textes, j’ai trouvé pertinent de développer en annexes trois notions s’y référant : les
directives anticipées, la personne de confiance et la procédure collégiale. Je me suis
basé sur des articles écrits dans le Code de la Santé Publique95
concernant les droits
des malades et la fin de vie pour expliquer ces notions (Annexe IV).
Ce que je retiens de l’accompagnement du patient en fin de vie est que ce dernier
devrait être pris en charge de manière holistique, et dans un but de satisfaire son
autonomie. En effet, la loi Leonetti, définitivement adopté en janvier 2016, précise que
le patient a des droits concernant sa fin de vie et a une liberté d’agir de ce point de vue.
Toutefois, une notion qui apparaît régulièrement dans cette loi est celle de « dignité ».
En effet, nous entendons régulièrement des expressions telles que « mourir dans la
dignité », « une mort digne », « il ne méritait pas cette mort, il n’est pas mort
dignement ». Ainsi, j’ai décidé de développer cette notion afin de continuer mon
éclairage dans mes recherches conceptuelles.
3.3. La dignité
J’ai émis le choix dans un premier temps d’introduire cette analyse sur la dignité par
l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 : « Tous
les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de
raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de
fraternité »96
.
La dignité serait donc un droit dont tous les êtres humains seraient bénéficiaires, de
manière égale. Je vous propose de débuter cette étude sur la dignité par l’étymologie de
ce terme. Il nous vient du latin « dignitas » signifiant « digne ».
Selon le Dictionnaire Larousse97
, la dignité est définit comme le « Respect que
mérite quelqu'un ou quelque chose » ou bien l’ « Attitude empreinte de réserve, de
95
Ibid. 96
Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948, 01 août 2014. [en ligne]. <http://www.textes.justice.gouv.fr/textes-fondamentaux-10086/droits-de-lhomme-et-libertes-fondamentales-10087/declaration-universelle-des-droits-de-lhomme-de-1948-11038.html>. (Consulté le 05/04/16). 97
Définition : dignité. [en ligne]
43
gravité, inspirée par la noblesse des sentiments ou par le désir de respectabilité, le
sentiment que quelqu'un a de la valeur ».
Par ailleurs, des textes de lois proposent ce terme dans de nombreux articles comme
les deux suivants relevés dans le Code de la Santé Publique sur les droits de la
personne98
:
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du
système de santé fixe (Art. L. 1110-5.) : «(…) Les professionnels de santé mettent en
œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer une vie digne jusqu’à la mort. »
De plus, l’article L. 1110- 2. Précise que « La personne malade a droit au respect
de sa dignité. ».
La dignité relèverait donc d’une disposition que possède tout être humain au respect.
Elle sera le dénominateur commun à tout homme. Elle est donc liée intimement au
respect mais aussi à la valeur que l’on porte sur l’être humain.
Pour enrichir cette explication sur la dignité, j’ai désiré m’appuyer sur un rapport de
l’Agence Régionale de Santé région PACA sur le droit au respect de la dignité99
(Annexe V).
Pour résumer cet extrait de rapport, je me permettrai de citer trois extraits
d’ouvrages rédigés par différents auteurs.
Selon Durand, G, il est essentiel de distinguer l’homme, de « le regarder vraiment
comme un autre, autre identique à moi, porteur de la même humanité, de la même
dignité que moi 100
»
< http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dignit%C3%A9/25525>. (Consulté le 05/04/16). 98
Code de la Santé Publique. Chapitre préliminaire : Droits de la personne. [en ligne]. <https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idArticle=LEGIARTI000006685741&idSectionTA=LEGISCTA000006170991&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20090722>. (Consulté le 05/04/16). 99
Rapport sur le droit au respect de la dignité. ARS région PACA. [en ligne]. <http://www.ars.paca.sante.fr/fileadmin/PACA/Site_Ars_Paca/Soins_et_accompagnement/Droits_des_patients/Droits_des_usagers/Le_droit_au_respect_de_la_dignite.pdf>. (Consulté le 05/14/16). 100
Durand, G., Introduction générale à la bioéthique. Histoire, concepts et outils, Paris, Le Cerf, 1999, p. 405.
44
Pour Thomas De Koninck. « Tout homme est à chaque instant, quelle que soit sa
condition, une personne et en possède toute la dignité 101
»,
Je terminerai par une citation de Kant affirmant que :
« Il y a une loi morale universelle, et cette loi s’exprime dans la conscience de la
dignité de la personne et du respect auquel, en tant qu’être humain, elle a droit.
Toutes les choses qui peuvent être objets du besoin ou du désir ont un prix, mais
tout ce qui a un prix peut être remplacé par autre chose, par une chose équivalente.
Ce qui est seul irremplaçable, c’est la personne, et c’est pourquoi elle n’a pas de
prix : elle a une dignité, et le respect de cette dignité, chacun en convient, est le
signe de la véritable appartenance à l’humanité. Traiter une personne comme une
chose est le signe de l’inhumanité même102
».
La notion de dignité est donc essentielle dans l’accompagnement du patient en fin
de vie. La prise en compte de la dignité humaine est essentielle dans la relation à l’autre,
au patient. Toutefois, elle n’est pas la seule à avoir une importance. Effectivement, la
distance que l’on peut entretenir avec l’autre peut aussi avoir un effet sur la prise en soin
qu’on lui propose. Ainsi, je vous invite à continuer cet éclairage conceptuel par
l’analyse de la « distance relationnelle ».
3.4. La distance relationnelle
3.4.1. La distance
Je commencerai par définir ce qu’est la distance. Selon le Dictionnaire Larousse, la
distance désigne l’ « Intervalle qui sépare deux points dans l'espace103
» ou l’ «
101
DE KONINCK, Thomas, LAROCHELLE, Gilbert, La dignité humaine, philosophie, droit, politique, économie, médecine. Presses Universitaires de France, 175p. 102
Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Delagrave, 1965, p. 150. Benjamin Pitcho Valérie Depadt, Droits de la personne malade, dignité du soin, publié le 18 Juillet 2011. <http://www.espace-ethique.org/ressources/editorial/droits-de-la-personne-malade-dignit%C3%A9-du-soin>. (Consulté le 05/04/16). 103
Définition : distance. Dictionnaire Larousse. [en ligne]. <http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/distance/26042>. (Consulté le 26/03/16).
45
Intervalle, espace qui sépare deux ou plusieurs personnes104
» ou encore l’ « Écart, la
différence entre deux choses, deux personnes, leurs statuts, leurs qualités, etc.105
».
La distance relie donc deux éléments, deux personnes. Il serait donc intéressant
d’étudier de plus près la notion de relation qui s’y réfèrerait.
3.4.2. La relation
Etymologiquement, le terme relation nous est emprunté du latin « relatio » qui est l’
« action de rapporter un fait, un témoignage » et le « lien, rapport »106
.
Le Dictionnaire Larousse désigne la relation comme un « Caractère, un état de deux
ou plusieurs choses entre lesquelles existe un rapport » ou un « Lien d'interdépendance,
d'interaction, d'analogie, etc. » ou une « Liaison assurée par un moyen de transport,
une voie de communication » ou une « Personne qu'on connaît, avec laquelle on a des
rapports mondains, professionnels, etc. »107
Selon Hartup (1988) et cité par Sorsana (1999), il y aurait une nuance entre
l’interaction et la relation. Pour lui, l’interaction se définit par :
«Des rencontres significatives entre individus, mais qui restent ponctuelles, alors
que les relations sont une accumulation d’interactions entre individus qui durent et
qui impliquent des attentes, des affects et des représentations spécifiques… On peut
définir une relation comme une succession d’interactions s’inscrivant dans une
continuité et un lien ; chaque interaction est affectée par les interactions passées et
affecte à son tour les interactions futures.»108
.
D’après Ficher (1996) :
«La notion d’interaction suppose une mise en présence concrète de deux personnes
qui vont développer entre elles une succession d’échanges ; la notion de relation est
104
Ibid. 105
Ibid. 106
Etymologie de la relation. [en ligne]. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. < http://www.cnrtl.fr/etymologie/relation>. (Consulté le 26/03/16). 107
Définition : relation. [en ligne]. < http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/relation/67844>. (Consulté le 27/03/16). 108
SORSANA (C) Psychologie des interactions sociocognitives Ed Armand Colin Paris 1999 (4-1 p 47, 4-2 p 27).
46
plus abstraite et désigne une dimension de la sociabilité humaine… elle révèle des
facteurs cognitifs et émotionnels à l’œuvre109
».
Certaines recherches, réalisées à partir de situations concrètes de type description et
analyse, ont montré que suivant le but de l’interaction (aide, éducation…), on pouvait
identifier différents types de relations infirmière-patient110
: relation de civilité, de soins,
d’empathie, d’aide psychologique, thérapeutique, éducative et de soutien social).
(Annexe VI).
Nous avons donc vu qu’il existait différents types de relations. Il est clair que
l’infirmière participe à l’élaboration de celles-ci. Cette participation nécessite une
certaine implication. Ainsi, je développerai cette dernière notion que je trouve
nécessaire à l’avancée de mon travail de recherche.
3.4.3. L’implication
Je débute cette analyse de la notion d’implication par la vision qu’en a Kelman. Il
définit trois dimensions essentielles de l’implication :
- « La soumission ou l’échange (« compliance or exchange ») : l’implication du
sujet serait sous l’influence des récompenses reçues en échange du travail
- L’identification ou l’affiliation (« identification or affiliation ») : le sujet
s’implique dans son travail car il souhaite être membre du groupe.
- L’internalisation (« internalisation ») : cette dimension traduit la congruence
des valeurs individuelles et organisationnelles »111
.
NEVEU et THEVENET distinguent l’implication en quatre catégories :
- « L’implication dans l’organisation : se réfère à la dévotion et à la loyauté
envers l’organisation.
109
FISCHER (G – N) Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale Ed Dunod Paris 1996 (5-1 p 31, 5-2 p 124). 110
Monique FORMARIER, LA RELATION DE SOIN, CONCEPTS ET FINALITÉS, RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 89 - JUIN 2007. 111
KELMAN HC. (1958). « Compliance, identification and internalization : three processes of attitude change », In : Conflict Resolution, vol. II, n°1, 1958, pp. 51-60.
47
- L’engagement dans le travail : se réfère à la place du travail dans la vie
quotidienne en termes d’attachement et d’engagement.
- L’implication dans la carrière et la profession : se réfère à l’importance que le
sujet lui accorde.
- L’approbation de l’éthique du travail : se réfère à la valeur intrinsèque du
travail considéré comme une fin en soi»112
.
De ce fait, la distance relationnelle que l’on adopte avec un patient et l’implication
dans le soin influencerait la manière dont nous pourrions prendre en charge le patient. Je
prenais en charge la patiente depuis une semaine et avais créé des liens avec elle. Par
ailleurs, il est évident qu’accompagner un patient en fin de vie n’est pas chose aisée.
Je conclurai cette partie en soutenant le fait que l’accompagnement du patient en fin
de vie est une prise en soin de la personne de manière globale. Le patient est considéré
aussi bien sur le plan physique que psychologique. Pour cela, ce travail de fin de vie
requiert une collaboration avec différents soignants au bénéfice du patient.
Suite à ces différentes recherches théoriques, j’ai émis une hypothèse qui pourrait
répondre à ma question de recherche définitive :
Une conception des soins infirmiers centrés principalement sur leur dimension
curative serait une barrière à l’accompagnement du patient en fin de vie.
Après réflexion ainsi qu’à l’aide des recherches théoriques effectuées en amont, je
pense que le fait de penser le soin comme quelque chose de purement technique a
entravé mon accompagnement de la patiente.
Je vous propose désormais de continuer cette recherche avec la seconde phase
décrivant la phase pratique et méthodologique du travail.
112
NEVEU JP et THEVENET M. L’implication au travail, Paris, Editions Vuibert, Coll. Entreprendre, 2002.
48
DEUXIEME PARTIE : METHODOLOGIE ET PRATIQUE DE
L’ENQUETE SUR LE TERRAIN
4. Méthodologie de l’enquête
4.1. Présentation et objectifs de l’enquête
Suite à mes recherches conceptuelles, j’ai décidé de mener une enquête exploratoire
au sein de différents services. Cela dans le but de recueillir informations et ressentis de
différents infirmiers concernant ma problématique qui est la suivante : en quoi les
représentations du soin infirmier peuvent-elles influencer l’accompagnement d’un
patient en fin de vie ? De plus, cela me permettra à l’issue de cette enquête, d’apporter
un élément de réponse à mon hypothèse. Cet élément de réponse affirmera, infirmera ou
nuancera mon hypothèse.
Etant dans une démarche d’initiation à la recherche, je suis conscient que cette
enquête ne sera pas représentative du fait du nombre très limité de personnes y
participant. Toutefois, je pense que cela pourra me donner un aperçu de ce qu’est la
recherche et de plus, ce sera une étape majeure dans ma professionnalisation.
Ainsi, j’ai souhaité m’entretenir avec des infirmières dans plusieurs services dans le
but de récolter des éléments d’analyse concernant mes différents axes de recherches.
4.2. Choix des lieux d’investigation
Le choix des lieux d’entretien est un point élémentaire de l’enquête exploratoire. En
effet, je ne les ai pas choisis de manière aléatoire. Leur choix s’est fait en lien avec ma
situation et ma problématique. Effectivement, je traite des représentations du soin
infirmier et de l’accompagnement du patient en fin de vie. Il m’a donc semblé pertinent
d’interroger des infirmières concernées par ces aspects. Par ailleurs, j’ai choisis
d’effectuer des entretiens dans six services différents dans le but de recevoir des visions
variées d’infirmières exerçant dans différents cadres et conditions. Egalement, ces lieux
d’hospitalisation représentent le passage de nombreuses personnes âgées qui, de plus,
49
peuvent être en fin de vie. Ces services sont : le court séjour gériatrique, le SSR, la
pneumologie, les urgences, la chirurgie viscérale et les soins continus.
4.3. Choix de la population investiguée
Mon choix quant à la population ciblée s’est justifié par la place que peuvent avoir
les infirmières dans la prise en charge des patients en fin de vie. De plus, j’ai souhaité
m’entretenir avec des soignantes ayant un minimum de cinq ans d’expériences
professionnelles. J’estime en effet que cette durée d’exercice permet un certain recul
nécessaire sur sa profession et ses pratiques. En outre, étant étudiant infirmier, il m’a
paru judicieux d’interroger des infirmières afin de me projeter dans ma future profession
et ainsi, m’enrichir des expériences de chacune.
4.4. Choix et élaboration de l’outil d’enquête
Afin de mener à bien cette enquête, j’ai décidé d’effectuer des entretiens. Cette
méthode m’a semblé tout à fait intéressante dans la mesure où mon travail est centré
principalement sur les notions de représentations, d’émotions et d’accompagnement.
C’est dans cet aspect que l’entretien prend tout son sens. A travers cet outil, nous
pouvons interagir avec notre interlocuteur, le voir avec ses émotions, l’écouter
s’exprimer, rebondir sur d’autres éléments. Je pense que la communication non-verbale
exprimée lors des entretiens est un plus pour l’analyse de ces entretiens par la suite.
C’est donc d’un point de vue qualitatif que j’ai choisi l’entretien.
Je n’ai pas choisi le questionnaire car je pense que cet outil serait plus approprié à
des enquêtes où l’étude quantitative est très présente. Je n’ai pas trouvé que ce type
d’étude était nécessaire dans mon cas. Néanmoins, j’émets l’opinion comme quoi il
serait intéressant d’ajouter le questionnaire dans ce travail si l’échelle de la population
investiguée était beaucoup plus importante.
Je vous présente désormais l’élaboration de mon entretien. Au total, huit questions
principales apparaissent. La huitième est une question d’ouverture laissant place au
libre-parlé des infirmières. Au sein même de ces différentes questions apparaissent des
questions dites « de relance » afin de recentrer l’échange autour de la question
50
principale et permettre la reformulation de la question principale à certains moments. En
dessous de chaque question sont précisés mes objectifs liés à ces questions.
4.5. Guide d’entretien
Question 1 : Dans un premier temps, pourriez-vous me décrire de manière brève votre
parcours professionnel ?
Cette question apparaît ici en tant que première approche avec le soignant afin
d’introduire cet entretien. Cela me permet aussi d’avoir un aperçu de l’expérience de
l’infirmière et sur ses bénéfices.
a) Qu’est-ce qui vous a motivé pour travailler dans ce service ?
Ici, mon but est d’apprécier la raison de la prise de poste dans ce service. Si la
dimension technique l’intéressait ou bien la dimension relationnelle.
Question 2 : Comment définiriez-vous le soin infirmier ?
La deuxième partie de mon travail est centrée sur les soins infirmiers. Ainsi, j’ai
souhaité avoir des témoignages sur la représentation que peuvent avoir les infirmières
sur les soins infirmiers et les comparer avec mes recherches théoriques effectuées sur
ce point.
a) Quelles en sont vos représentations ?
Je souhaitais savoir si les infirmières dissociaient l’aspect technique et relationnel
de notre profession et comparer leur réponse avec la question principale. Cela me
permettrait de savoir si leurs représentations influenceraient leur définition des soins
infirmiers.
b) Comment ont-elles évoluées au cours de votre carrière ?
A travers cette question, je voulais savoir si l’expérience pouvait faire évoluer ou
changer leurs représentations initiales.
51
Question 3 : Comment ces représentations se manifestent-elles lors de votre approche
du patient en fin de vie ?
Je recherchais ici si les représentations des infirmières pouvaient influencer leur
prise en charge du patient.
a) Comment les utilisez-vous dans votre travail au quotidien ?
Cette question de relance vise à préciser la première au cas où elles l’auraient mal
comprise.
Question 4 : Quelles-ont été vos émotions durant l’accompagnement de patients en fin
de vie ?
Je recherchais si les représentations de ces infirmières influençaient leurs émotions,
comme ce fut le cas dans ma situation.
a) Quelle place leur attribuez-vous dans le soin infirmier ?
Je cherchais à savoir dans quelle mesure les infirmières investissaient leurs
émotions dans leur pratique.
Question 5 : Comment définiriez-vous l’accompagnement du patient en fin de vie dans
le soin ?
L’objectif de cette question est de me renseigner sur ce qu’est l’accompagnement
pour ces infirmières et de comparer cela avec leur représentation du soin infirmier.
a) Selon vous, quelles barrières pourraient entraver l’accompagner du patient en fin
de vie ?
Je cherche à savoir dans ce cas s’il peut exister des freins à l’accompagnement
autres que l’hypothèse que j’ai émis. Cela interviendrait en guise d’ouverture dans ma
vision de voir les barrières à l’accompagnement.
52
b) Que mettez-vous en place lorsque certains points de vue diffèrent au sein de
l’équipe à propos de l’accompagnement d’un patient en fin de vie ?
Je pointe ici l’aspect de la communication au sein de l’équipe soignante concernant
l’accompagnement du patient en fin de vie, indépendamment des différences d’opinions
qu’il pourrait y avoir concernant une décision.
Question 6 : Quelle relation adoptez-vous avec le patient en fin de vie ?
Cette question me permet d’apprécier la distance relationnelle qu’adopte
l’infirmière avec le patient. Je me demande si la distance relationnelle pourrait
influencer l’accompagnement du patient.
a) Quelle distance relationnelle entretenez-vous avec ces patients ?
Cette question est une reformulation de la première et permet par la même occasion
d’approfondir cet aspect de la distance relationnelle. Cela m’amène doucement vers la
prochaine question, plus sensible, portant sur la mort.
Question 7 : Quelles sont-vos représentations de la mort ?
Je m’interroge sur leurs représentations de la mort et sur l’influence qu’elles
peuvent avoir sur les émotions ainsi que sur leur prise en charge du patient en fin de
vie.
a) Comment ont-elles évolué au fil de votre carrière ?
Ici, je veux savoir si l’expérience permet de faire évoluer les représentations de la
mort.
b) Que ressentez-vous lors de la mort d’un patient dont vous vous êtes occupé ?
En lien avec l’objectif de la question de relance précédente, je souhaite savoir ici si
l’expérience peut modifier la gestion des émotions de l’infirmière. De plus, je me
53
demande si le fait de l’avoir pris en charge pouvait influencer ses émotions et sa prise
en charge.
Question 8 : Souhaiteriez-vous ajouter d’autres éléments pouvant compléter cette
entretien ?
Je propose aux infirmières lors de cette dernière question amenant une
discussion libre sur un aspect que je n’aurais pas abordé et/ou qu’elles souhaiteraient
soulever. Cette question met un terme à cet entretien.
54
5. Analyse des entretiens
5.1. Présentation des résultats d’enquête
--- Homme
--- Femme
--- Entretien test
IDE
Entretien
Test
(soins
continus)
IDE 1
(pneumologie)
IDE 2
(chirurgie
viscérale)
IDE 3
(SSR)
IDE 4
(urgences)
IDE 5
(CSG)
Genre Femme Femme Femme Femme Homme Femme
Age 36 ans 23 ans 33 ans 60 ans 27 ans 40 ans
Année
du
diplôme
2001
2014
2004
1997
2015
2001
Choix Personnel Personnel Institutionnel Institutionnel Personnel Institutionnel
Question 1 : Dans un premier temps, pourriez-vous me décrire de manière brève
votre parcours professionnel ?
D’après ce tableau récapitulatif du parcours professionnel de ces infirmières, nous
pouvons constater plusieurs éléments. Sur 6 infirmières interrogées, 5 sont des femmes
et 1 infirmier est un homme. Leur âge varie entre 23 et 60 ans. Leurs années
d’expérience en tant qu’infirmière vont de 9 mois à 39 ans. Par ailleurs, nous nous
apercevons que le choix de service dans lequel elles exercent actuellement se répartie
égalitairement entre le choix institutionnel et le choix personnel. En effet, 3 de ces
soignants exercent dans leur service à l’heure actuel par choix institutionnel et 3 autres
exercent par choix personnel.
55
a) Qu’est-ce qui vous a motivé pour travailler dans ce service ?
A travers cette question, je voulais savoir si c’était plutôt la dimension technique qui
intéressait ces infirmières ou bien la part relationnelle de la profession. Celles n’ayant
pas choisi de travailler dans leur service actuel m’ont dit qu’elles n’avaient pas de
motivations particulières du fait du choix institutionnel. Il est donc intéressant
d’analyser les réponses de celles qui ont fait le choix d’y travailler. L’élément qui
ressort dans leurs trois entretiens est la diversité du travail. Elle se traduit par des
réponses telles que : « C’est la diversité du service113
», « on voit de tout114
», « Ce que
j’aime dans ce service, c’est la diversité des situations que tu peux rencontrer115
», « Tu
fais tout ! T’es touche-à-tout116
», « et puis à de nouveaux soins117
».
Le deuxième point que j’ai relevé est le travail en équipe. En effet, une infirmière
s’est vue motivée pour travailler dans son service de par cet aspect. Cela se traduit par
les citations suivantes : « le travail en collaboration avec les aides-soignantes118
»
comme motivation et « un bon travail en équipe119
».
Par ailleurs, 1 infirmière a décidé de travailler dans son service, en plus de la
diversité des soins, pour le double aspect de la profession : technique et relationnel.
Pour elle, « C’est plein de choses au niveau technique qui m’ont motivé. Et puis toute
la prise en charge aussi de l’onco’. Début, entre les deux et puis vers la fin de vie120
».
Ainsi, nous nous apercevons que pour ces infirmières, les motivations pour travailler
au sein d’un service sont nombreuses. Toutefois, c’est la diversité des soins qui est
décrit comme un facteur majeur de leurs motivations. C’est ainsi que j’ai été amené à
leur demander leur définition et leurs représentations du soin infirmier.
113
Entretien test, p.1 de la retranscription. 114
Ibid. 115
Entretien 5, p. 1 de la retranscription. 116
Ibid. 117
Entretien 1, p.1 de la retranscription. 118
Entretien test, p.1 de la retranscription. 119
Ibid. 120
Infirmière 1, p.1 de la retranscription.
56
Question 2 : Comment définiriez-vous le soin infirmier ?
a) Quelles en sont vos représentations ?
Le premier point que j’ai relevé est que pour 4 infirmières sur 6, les soins infirmiers
sont liés aux soins techniques. 1 des infirmières traduit le soin comme « des actes, des
compétences ». Toutefois, 2 pensent que ces soins ne relèvent pas que de la technique.
Ainsi, l’aspect relationnel est présent chez 5 infirmières sur 6 et est cité de plusieurs
manières telles que : « les soins relationnels121
», « savoir écouter, entendre122
»,
« nursing, relation d’aide123
». Par ailleurs, les 6 infirmiers affirment que ce sont des
soins, quelque chose que l’on apporte à un patient.
1 infirmière apporte un élément supplémentaire qui est la famille. Pour elle, le
patient doit être pris en charge dans sa globalité : « Et puis voilà toute sa famille, c’est
vraiment dans sa globalité124
». De plus, pour elle, le patient et la maladie ne font pas
qu’un mais sont deux éléments bien distincts : « Quand tu l’accueilles, par rapport à ce
qu’il est lui réellement et par rapport à sa maladie125
».
Enfin, 2 infirmières pensent que le soin infirmier n’est pas quelque chose de simple
et qu’il est très vaste.
De surcroit, un autre infirmier126
a répondu que pour lui : « C’est tout ce que tu
apportes au geste que tu réalises auprès de ton patient », puis « Tout est un soin
infirmier dès lors que t’es à côté du patient ». De plus, il souligne que « même la
technicité, c’est un soin qu’avec ce que tu y apportes » en ajoutant que « c’qui fait d’un
geste technique un soin c’est ton positionnement soignant. C’est la manière dont tu
apportes les choses, c’est l’intention que tu mets dans tes gestes ». Pour résumer les
propos de cet infirmier, le soin infirmier ne serait pas clivé entre les soins dits
« techniques » et les soins relationnels. Pour lui, il y a une continuité entre ces deux
dimensions du soin. En effet, il insiste sur le fait que le soin est appelé en tant que tel à
partir du moment où l’on apporte sa présence au patient. De plus, c’est le
121
Entretien test, p.2 de la retranscription. 122
Entretien 3, p. 1 de la retranscription. 123
Entretien 5, p. 1 de la retranscription. 124
Entretien 1, p.1 de la retranscription. 125
Ibid. 126
Entretien 5, p.2 de la retranscription.
57
positionnement de l’infirmier face au patient, son attitude qui fait qu’un geste peut être
considéré comme un soin.
b) Comment vos représentations ont-elles évoluées au cours de votre carrière ?
Suite à cette question, j’ai pu mettre en évidence deux types de réponses.
Premièrement apparait le manque d’assurance dans les soins et une conception du soin
infirmier centrée principalement sur la dimension technique. Effectivement, 2
infirmières soulèvent le fait que ces deux éléments ont été des freins à la prise en charge
du patient. J’ai retenu certaines de leurs expressions mettant en lumière cet aspect : «
pour moi, les soins c’étaient les soins techniques où j’faisais127
», « il fallait que j’y
arrive, sinon ça n’allait pas128
» ou encore « peur de pas savoir-faire129
».
Par ailleurs, cette conception du soin avait des répercussions sur la prise en charge
du patient. Sous cet angle, la première infirmière dit : « J’prenais pas trop le temps de
discuter avec mon patient à ce moment-là130
». La seconde quant à elle ajoute : « Je
prenais pas le temps de lui parler131
». Cependant, les deux affirment que l’expérience
venait modifier cette conception initiale du soin infirmier et ainsi accorder une part plus
importante à la dimension relationnelle dans le soin. Si bien qu’une des deux admet
que : « C’est plus le geste technique qui est important132
».
Deuxièmement, la représentation du soin infirmier évolue pour 2 autres infirmières
de par une conception initiale de la profession différente de ce qui se passe réellement.
L’une admet que « Moi j’pensais qu’c’était beaucoup plus facile133
» tandis que l’autre
pense que « quand on sort de l’école on y voit tout rose134
».
Ainsi, les représentations ont évolué pour la majeure partie de ces infirmières soit en
partant d’une « idéalisation » de la profession à une vision plus objective du métier. Soit
par une conception du soin infirmier basée principalement sur la dimension technique à
une ouverture sur une « prise en charge globale » du patient mettant en avant la 127
Entretien test, p.2 de la retranscription. 128
Ibid. 129
Entretien 2, p.2 de la retranscription. 130
Ibid. 131
Entretien test, p.2 de la retranscription. 132
Ibid. 133
Entretien 3, p.3 de la retranscription. 134
Entretien 6, p.2 de la retranscription.
58
dimension relationnelle. Cela m’amène à la troisième question concernant le lien entre
les représentations des soins et la pratique soignante.
Question 3 : Comment ces représentations se manifestent-elles lors de votre
approche du patient en fin de vie ?
a) Comment les utilisez-vous dans votre travail au quotidien ?
Plusieurs éléments étaient récurrents dans les réponses des infirmières. Pour 5
d’entre elles, leur représentation du soin se manifeste chez le patient en fin de vie par
une prise en compte de ses besoins. Une infirmière s’exprime sur ce point en disant
que : « J’essaye de me demander de quoi il peut bien avoir besoin135
». Une seconde
ajoute : « Quel aspect du soin il a besoin le patient qui est en face de moi ?136
».
Dans un second temps, j’ai remarqué que le facteur temps se manifestait dans
l’accompagnement du patient en fin de vie chez plusieurs infirmières. L’une d’entre
elles précise : « Je prends peut-être plus le temps de faire mes soins137
». Toutefois, 1
infirmière ajoute : « J’ai l’impression de pas être suffisamment auprès du patient. Et de
pas être suffisamment à l’écoute. Par manque de temps en fait. Je trouve que ça nous
frustre138
». Il semble évident que pour cette infirmière, le temps est un élément
essentiel à l’accompagnement du patient. Ce manque de temps vient même frustrer cette
soignante.
Par ailleurs, une infirmière met en avant l’aspect suivant :
« Soit tu t’dis le soin c’est quelque chose de technique. Donc lui j’ai rien à faire
auprès d’lui. Tu délaisses un peu la prise en charge. Soit tu t’dis le soin, c’est
quelque chose qui est au-delà d’ça, qui est au-delà de l’aspect technique […] Si tu
135
Entretien 3, p.3 de la retranscription. 136
Entretien 5, p.3 de la retranscription. 137
Entretien 2, p.2 de la retranscription. 138
Entretien 6, p.2 de la retranscription.
59
clives ta représentation du soin, tu vas vite t’arrêter à la prescription du
médecin139
».
Pour résumer ses propos, la représentation que l’infirmier se fait du soin
influencerait nos actions et par conséquent la prise en charge du patient. Je vous propose
maintenant une analyse de la quatrième question traitant des émotions des infirmières
durant l’accompagnement du patient en fin de vie.
Question 4 : Quelles-ont été vos émotions durant l’accompagnement de patients en
fin de vie ?
Suite à cette question, de nombreux avis ont été exprimé par les infirmières.
Plusieurs de ces avis possédaient des similarités. Toutefois, certaines réponses venaient
sortir du lot et apportaient donc une certaine ouverture et un développement du sujet.
La difficulté à gérer l’accompagnement d’un patient en fin de vie apparait pour 4
infirmières sur 6. Une infirmière parle de « peine140
». Une seconde se dit « triste141
»
lors d’une telle situation. Une troisième enfin ajoute : « C’est compliqué. J’ai beaucoup
de mal à gérer…142
». Toutefois, une infirmière précise que :
« C’est plus facile avec un patient aussi. Y’a des patients qui nous renvoient des
choses, qui nous touchent plus au niveau émotionnel parce que j’ai plus de
difficultés. Je m’identifie mais ça pourrait être voilà mon père, ma mère, mon
grand-père qui nous renvoient des choses donc là c’est un p’tit peu plus, c’est
plus difficile143
».
D’après ce propos, les émotions varieraient selon le patient dont nous nous
occupons.
Le second point ressortant suite à cette question est l’évolution de la gestion des
émotions au fil du temps. En effet, 2 infirmières disent avoir eu du mal durant les
139
Entretien 5, p.3 de la retranscription. 140
Entretien 3, p.3 de la retranscription. 141
Entretien 4, p.3 de la retranscription. 142
Entretien 3, p.3 de la retranscription. 143
Entretien test, p.3 de la retranscription.
60
premiers mois, les premières années de leur carrière professionnelle. Elles avouent par
la suite avoir été plus aptes à gérer ces émotions face au patient en fin de vie. L’une des
infirmières dit : « Au départ j’avais plus de mal justement à aller vers des patients
comme ça. J’savais pas trop me situer, quoi dire parce que des fois y’a rien à dire, on
sait que c’est la fin, ils le savent […] avec l’expérience, avec le temps, c’est plus
facile144
». La seconde vient ajouter : « Au début c’était un peu la tristesse. Parce que
quand t’es jeune t’as pas vraiment l’habitude de prendre en charge ce genre de
pathologies […] Et puis après ça évolue, t’arrives à te positionner et prendre de la
distance145
».
Pour résumer ces deux témoignages, l’expérience jouerait un rôle dans la gestion
des émotions dans une situation d’accompagnement en fin de vie. Par ailleurs, elle
permettrait une prise de distance par rapport à la situation et au patient facilitant cette
gestion d’émotion. Cela m’amène au troisième point qui est ressorti suite à cette
question : la prise de distance.
3 infirmières sur 6 disent prendre de la distance dans la relation au patient. Une
infirmière146
dit à ce propos : « Après faut aussi mettre une barrière parce que faut faire
la part des choses » avant d’ajouter « Essayer d’se protéger aussi. Pas tout se prendre
en pleine figure ». L’infirmier quant à lui adopte une position ferme et décidée
concernant la gestion de ses émotions face au patient en fin de vie : « J’essaye de pas en
avoir, de pas trop m’investir […] J’me détache […] Emotionnellement,
émotionnellement je m’investis pas […] Tu me verras pas pleurer sur la mort d’un
patient. Tu me verras pas bondir de joie parce qu’un patient il est mort ».
b) Quelle place leur attribuez-vous dans le soin infirmier ?
Cette question a suscité un développement important des réponses des infirmières.
Le premier point qu’il me semble important de mettre en avant est que 3 infirmières sur
6 accordent une place centrale des émotions dans le soin infirmier. L’une d’entre elle
affirme : « Moi j’les privilégie toujours147
». Cependant, ces émotions présentent des
144
Entretien test, p.3 de la retranscription. 145
Entretien 2, p.3 de la retranscription. 146
Entretien 6, p.2 de la retranscription. 147
Entretien 2, p.4 de la retranscription.
61
limites pour 3 infirmières sur 6. En effet, ces infirmières ressentent le besoin d’en parler
à leurs collègues de travail ou passer le relai si nécessaire lors de situations difficiles sur
le plan émotionnel. Une infirmière dit :
« J’en ai discuté avec mes collègues en onco’, on verse des larmes avec la famille
parfois parce qu’il y a des situations qui nous touchent […] Je pense qu’il faut pas
les négliger parce que tu peux pas être un tout-puissant. Il faut pas oublier que nous
on est, justement au contraire, on est vraiment, un être plein d’émotions148
».
Une seconde dans le même sens vient ajouter : « Faut que ça sorte en plus, faut que
t’en parle à tes collègues… On en parle beaucoup entre nous, tu sais en réunion en
transmissions donc ça aide ! Parce que bon t’es obligé hein, on est humain ! 149
».
Toutefois, l’une d’entre elle nuance ce propos en ajoutant : « Même si faut pas non
plus en déborder, faut pas t’laisser aller par tes émotions 150
».
Par ailleurs, une autre infirmière ajoute une limite à ces émotions : le temps. En
effet, elle admet que :
« On prend pas forcément l’temps après d’en discuter… par manque de temps
encore, c’est pas évident. Enfin, j’trouve des fois qu’on a un mal-être, qu’on
l’exprime pas forcément. Qu’on l’garde pour soi […] J’pense que des fois ça ferait
du bien d’exprimer ce qu’on pense sur un patient151
».
Pour résumer, les émotions auraient certaines limites. Elles auraient besoin de
s’exprimer, d’être partagées pour peut-être mieux être acceptées par la suite. Ensuite, le
temps serait une barrière à l’expression des émotions selon une infirmière.
Enfin un infirmier ajoute qu’il n’accorde pas de place aux émotions. Toutefois, il
ajoute qu’il faisait preuve d’empathie dans l’accompagnement de patients en fin de vie.
Par ailleurs, une phrase m’a marqué. Il m’a dit : « Quand j’monte dans ma voiture,
j’allume le poste, j’suis plus à l’hôpital152
». Ainsi, les émotions occuperaient une place
148
Ibid. 149
Entretien 3, p.4 de la retranscription. 150
Entretien 2, p.4 de la retranscription. 151
Entretien 6, p.4 de la retranscription. 152
Entretien 5, p.3 de la retranscription.
62
importante chez les infirmières. Toutefois, ces dernières n’ont pas toujours le temps de
les exprimer bien que le besoin ressenti par un certain nombre est évident. De plus, les
émotions devraient être maîtrisées pour que les infirmières ne soient pas submergées par
celles-ci et que ces émotions influencent négativement la prise en charge du patient.
Je vous propose désormais de découvrir l’analyse que j’ai faite grâce à la prochaine
question concernant l’accompagnement du patient en fin de vie.
Question 5 : Comment définiriez-vous l’accompagnement du patient en fin de vie
dans le soin ?
Plusieurs avis se rejoignaient concernant les définitions de l’accompagnement en
fin de vie données par les infirmières. Ainsi, pour 4 infirmières, cela tourne autour de la
relation au patient à travers les soins de confort et d’hygiène, la communication par le
toucher, l’écoute, l’observation. Pour résumer, l’accompagnement du patient en fin de
vie nécessiterait une utilisation de tous nos sens. Ensuite, 2 infirmières sur 6 pensent
que l’accompagnement du patient de fin de vie rime avec la réponse à ses besoins.
L’une dit : « Qu’il soit apaisé et qu’on réponde à ses besoins153
». La seconde ajoute :
« C’est être là pour lui pour lui apporter… bah en fait euh ce qu’il a besoin154
».
Ainsi, la communication avec le patient en fin de vie serait essentielle. Une
infirmière155
tient même à préciser : « je continue, de lui parler » avant d’ajouter :
« pour qu’il parte digne ». Une seconde infirmière décrit l’accompagnement du patient
en fin de vie comme suit : « Aider une personne dans la dignité et à partir
tranquillement156
». La notion de dignité apparaît donc dans 2 entretiens sur 6. Ce
terme, subtil car étant difficile à décrire pour moi a été détaillé dans la phase
conceptuelle précédemment établie. Comme nous l’avions donc vu précédemment,
plusieurs références viennent aborder la notion de dignité. Parmi elles, la Déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen ou bien la loi du 4 mars 2002. Cette notion étant
décrite comme le respect que l’on porte à l’individu, un individu à part entière.
153
Entretien test, p.5 de la retranscription. 154
Entretien 6, p.4 de la retranscription. 155
Entretien test, p.5 de la retranscription. 156
Entretien 3, p.4 de la retranscription.
63
Par ailleurs, 1 infirmière vient apporter un élément complémentaire concernant
l’accompagnement du patient en fin de vie. Pour elle, l’accompagnement ne se limite
pas au patient seulement. Son entourage prend pour cette infirmière toute sa place dans
cet accompagnement et mérite une prise en charge particulière. Selon elle : « Il y a pas
que la personne. Y’a la famille, y’a l’entourage157
». Ce propos vient compléter la
dimension de prise en charge du patient dans sa globalité abordée précédemment.
Effectivement, le patient n’est pas qu’un ensemble d’organes ou une pathologie. Il est
bien un être possédant des pensées, des idées, des opinions, des besoins psychologiques
et des émotions. Cette prise en charge psychologique est selon moi primordiale à un bon
accompagnement du patient en fin de vie.
De plus, une infirmière ajoute que l’accompagnement du patient en fin de vie ne
peut se réaliser de manière efficace que si un travail en équipe solide est effectué en
amont, avec l’aide d’un médecin compétent. Je cite cette infirmière : « Je pense pas
qu’on puisse accompagner un patient en fin de vie sans qu’on puisse être accompagné
soi-même avec un bon médecin […] J’pense qu’il faut être une équipe pour bien
accompagner le patient en fin d’vie158
».
Néanmoins, cet accompagnement peut présenter différentes barrières pouvant le
rendre moins efficace, de moindre qualité. Nous allons donc voir cet aspect concernant
les barrières à l’accompagnement du patient en fin de vie lors de la prochaine question
de relance.
a) Selon vous, quelles barrières pourraient entraver l’accompagner du patient en
fin de vie ?
Ainsi, pour 3 infirmières sur 6, les émotions et le vécu personnel feraient office de
barrière à l’accompagnement du patient en fin de vie. L’une dit : « Alors des fois des
barrières émotionnelles où on se sent, où la situation est difficile pour nous en
s’identifiant, on a du mal, c’est trop dur pour nous, c’est une barrière, un mécanisme de
défense159
». Une seconde ajoute :
157
Entretien 5, p.3 de la retranscription. 158
Entretien 4, p.4 de la retranscription. 159
Entretien test, p.6 de la retranscription.
64
« Déjà le vécu. Tu ressens toi-même ton vécu et euh si la personne te rappelle
quelqu’un ou quand t’arrives pas à la prendre en charge […] Et tes sentiments
aussi parce que y’a pas que les émotions, y’a les sentiments que tu ressens autour
de la personne et qui fait que t’y arrives pas160
».
La troisième infirmière complète. Cette fois-ci, l’ambiance était plus riche
émotionnellement. Avant de répondre à ma question, elle m’a confié le fait qu’elle
espérait que sa réponse reste anonyme. Ce qu’elle allait me confier était à priori très
personnel, ce que j’entendais. Je cite :
« Là où j’peux pas bien accompagner et ça passe, si tu veux c’est si cette personne
qui est en fin d’vie me rappelle mes proches qui ont été en fin d’vie. J’ai eu ma sœur
qui est décédée jeune, qui était en soins palliatifs. Et quand si tu veux, j’rencontre
une personne qui a la même pathologie, et je sais qui rentre en fin d’vie […] Là j’ai
vraiment du mal ».
Pour elle, les décès de membres de sa famille ont été un frein dans sa prise en
charge de patients en fin de vie. Lorsqu’elle s’occupe de ces patients, cela lui évoque les
décès de ses proches. Elle ne peut s’empêcher de repenser à eux ce qui provoque une
souffrance psychologique importante chez elle.
La seconde barrière est la barrière du temps. Effectivement, 3 infirmières ont
affirmé que le manque de temps pouvait entraver l’accompagnement du patient en fin
de vie. L’une affirme que : « On a moins le temps de se poser auprès du patient161
».
Une seconde ajoute :
« Pour moi c’est l’manque de temps […] T’ais plus le temps, de prendre le temps de
t’occuper d’ces gens-là. Tu vois que ça soit vraiment que t’es pas l’choix d’fermer
la porte et voilà. C’est ça qui m’fait peur, c’est que t’ais plus l’temps […] Si t’as
pas d’temps, si t’es toute seule à gérer tout un service, tu peux pas passer du temps
à écouter les gens, la famille, écouter le reste. T’as pas l’temps ! Il faut qu’ça
s’enchaine, t’as d’autres patients. Tu prends plus l’temps ! Et j’ai peur qu’on soit
160
Entretien 2, p.5 de la retranscription. 161
Entretien test, p.6 de la retranscription.
65
arrivé à ça quoi qu’on est plus l’temps de prendre le temps quoi ! C’est triste quoi.
Maintenant c’est rentabilité, faut s’dépêcher162
».
La troisième enfin conclue :
« Encore le manque de temps j’pense. Parce que j’pense que des fois on est pris
dans le travail, et qu’on peut pas être partout à la fois. Et je pense que ça doit
négliger sur l’accompagnement […]. Mais bon après j’aimerais avoir plus le temps
de faire mieux les choses163
».
Le troisième élément soulevé par 2 infirmières est le manque de personnel. Je pense
que cet élément peut être lié au second dans le sens où le manque de personnel aurait
pour conséquence une charge de travail plus importante pour les infirmières. L’une
d’entre elles précise : « C’est le fait qu’on réduise le personnel et qu’à côté d’ça t’ais
plus le temps164
».
Quatrièmement, la famille représenterait une barrière à l’accompagnement du
patient en fin de vie pour 2 infirmières sur 6. L’une dit : « Bah j’dirais la famille, peut-
être la famille aussi. Si elle comprend pas si son proche il est en fin d’vie. Tu peux pas
faire un bon accompagnement de toute façon, tu peux pas165
». La seconde ajoute :
« Y’a certaines familles qui sont difficiles, qui comprennent pas pourquoi certains
soins sont pas faits. C’est des fois difficile de prendre en compte complètement l’patient
et justement la famille166
».
Ainsi, la famille et les conditions de travail pourraient être des barrières à cet
accompagnement. L’environnement serait donc un élément majeur à la prise en charge
du patient.
Enfin, je terminerai avec le propos d’un infirmier affirmant qu’une mauvaise
conception du soin pourrait être une barrière à l’accompagnement du patient en fin de
vie. Selon lui : « Si tu conçois ton soin comme quelque chose de technique. Si tu conçois
162
Entretien 3, p.4 de la retranscription. 163
Entretien 6, p.4 de la retranscription. 164
Entretien 3, p.4 de la retranscription. 165
Entretien 4, p.4 de la retranscription 166
Entretien 6, p.4 de la retranscription.
66
ton soin comme quelque chose qui va toujours guérir ton patient, tu peux vite te dire «
Bah ouais il est foutu, j’peux plus rien faire pour lui »167
».
Ce dernier propos se rapproche de mon hypothèse. Toutefois, il est vrai que les
autres propos s’avèrent tout à fait intéressants. Je vous propose désormais d’étudier les
réponses à la prochaine question concernant les pratiques soignantes face aux opinions
différentes au sein des équipes.
b) Que mettez-vous en place lorsque certains points de vue diffèrent au sein de
l’équipe à propos de l’accompagnement d’un patient en fin de vie ?
Les réponses à cette question furent presque toutes unanimes : la communication au
sein de l’équipe permet de faire face aux différences d’opinions. En effet, 5 infirmières
sur 6 affirment que la discussion, les échanges au sein d’une équipe permettent une
meilleure prise en charge du patient dans ses derniers instants. Une infirmière dit : « On
essaye d’aller dans le même sens. Une fois que c’est vraiment une fin de vie, qu’on sait
qu’il n’y a pas d’acharnement, on est toutes dans le même objectif, le bien être du
patient168
». Une autre infirmière ajoute que parfois, il est nécessaire de faire appel à des
éléments extérieurs au service comme les équipes de soins palliatifs.
Ainsi, le dialogue au sein d’une équipe permettrait une efficacité de travail. De
surcroît, une infirmière affirme même que : « La réunion d’équipe qu’on avait fait après
ça avait fait du bien quoi parce qu’on s’était senti écouté169
».
Toutefois, cette chance qu’ont les soignants de pouvoir échanger au sein de leur
équipe respective n’est pas donnée à tout le monde. En effet, une infirmière
m’avoue que dans son service : « Chacun fait à sa sauce […] On se permet pas assez de
temps pour échanger en fait. Et ça serait bien que ce soit fait mais bon […] C’est pas
évident non plus170
».
Ainsi, l’accompagnement du patient en fin de vie nécessiterait un investissement de
par une relation à l’autre empreinte d’émotions, de ressentis personnels. Toutefois, je
167
Entretien 6, p.6 de la retranscription. 168
Entretien test, p.6 de la retranscription. 169
Entretien 3, p.4 de la retranscription. 170
Entretien 2, p.6 de la retranscription.
67
me suis demandé quelle influence peut avoir cette distance relationnelle entretenue entre
l’infirmière et le patient en fin de vie lors de son accompagnement.
Question 6 : Quelle relation adoptez-vous avec le patient en fin de vie ?
Suite à cette question, trois points majeurs ont été mis en évidence. Le premier
point révèle que 5 infirmières sur 6 disent adopter une distance relationnelle entre elles-
mêmes et le patient. Dans cette optique, une infirmière affirme qu’il faut : « Essayer de
se protéger, de pas trop s’impliquer […] Il faut pas que je rentre chez moi et que je
pense trop. Quand j’arrive plus à faire la part des choses entre la vie privée, chez moi
et que je ramène le boulot à la maison, c’est qu’il y a un souci171
».
Une seconde ajoute que le fait de ne pas montrer ses émotions serait un moyen
de créer cette distance relationnelle.
Une autre infirmière affirme que :
« On va trop être proche et c’est là que le soin sera pas bon. Parce que du coup
on va vraiment négliger les barrières parce que mine de rien on doit quand
même avoir des barrières hein. On doit quand même avoir une distance
relationnelle. On peut pas tutoyer les gens comme ça, on peut pas être proches
d’eux non plus172
».
Pour cette infirmière, la proximité relationnelle n’est pas bénéfique au soin. De
plus, elle pense que le tutoiement pourrait influencer la proximité relationnelle. Dans le
même registre, une autre infirmière dit utiliser le vouvoiement afin de respecter cette
« relation soignant/soignée ». Ce terme a été utilisé à deux reprises comme réponse à
cette question. Je me demande toutefois s’il existe une relation bien établie entre
l’infirmière et le patient. En effet, chaque patient possède ses particularités. Chaque
patient est unique. Comment alors fixer un mode de fonctionnement, un comportement
établi alors que chaque personne possède des besoins différents ? Cela m’amène à
171
Entretien test, p.7 de la retranscription. 172
Entretien 2, p. 7 de la retranscription.
68
m’intéresser au second point majeur concernant la distance relationnelle entre infirmière
et patient qui est la variabilité d’attitude, de positionnement soignant selon le patient.
4 infirmières sur 6 affirment que la distance relationnelle qu’elles adoptent varie
d’un patient à l’autre. L’une s’exprime de la manière suivante : « Mais après c’est pas
pour tous les patients, y’a des patients où c’est plus facile entre guillemets de se
détacher parce qu’il n’y a pas cette même relation de confiance. Après tout dépend si
ça fait longtemps qu’on a le patient ou pas173
». Ainsi, la durée de la prise en charge du
patient entrerait aussi en compte. Selon cette soignante, plus longue serait la prise en
charge d’un patient dont on se serait occupé, plus la distance relationnelle adoptée avec
ce patient serait faible. En effet, plusieurs infirmières ont dit s’être « attachée aux
patients ».
C’est donc le troisième point qui est ressorti dans les réponses des infirmières. Il
concerne la proximité relationnelle. 3 infirmières sur 6 disent adopter une posture
relationnelle proche du patient. Toutefois, cette proximité relationnelle influence la vie
personnelle chez 2 infirmières. La première dit être allée à l’enterrement d’un des
patients qu’elle a pris en charge et qui est décédé dans le service. Pourtant, elle ajoute :
« Mais j’me suis mis au fond, j’me suis pas mis devant, tu vois ? C’est quand même
garder la distance. J’étais là pour rendre un hommage à c’monsieur ou à cette dame
parce que voilà, je m’étais attaché à eux174
». Cette infirmière était proche du patient
mais a selon elle, gardé une distance au moment de l’enterrement. La seconde affirme :
« J’avais même beaucoup de mal à décrocher de chez moi175
».
Ainsi, pour 2 infirmières sur 6, la proximité relationnelle influence la vie
personnelle. La deuxième avait visiblement des difficultés et ne se sentait pas à l’aise
car elle repensait à certaines situations vécues à l’hôpital chez elle. La première quant à
elle dit avoir rendu un hommage au patient. De ce fait, elle ne s’est pas arrêtée à la prise
en charge du patient à l’hôpital mais a continué de l’accompagner jusqu’à son
enterrement.
173
Entretien test, p.7 de la retranscription. 174
Entretien 3, p.6 de la retranscription. 175
Entretien 4, p.3 de la retranscription.
69
Enfin, une infirmière dit ne pas vraiment savoir quelle distance relationnelle elle
adopte avec les patients en fin de vie. Pour elle, ce n’est pas évident de se positionner.
J’ai partagé son avis car je pense que la distance relationnelle dépend de chaque patient
que l’on prend en charge. Cette infirmière par exemple présente des difficultés au
niveau de son positionnement dans la relation avec un certain type de patient : « Moi
j’ai du mal avec les sujets jeunes. C’est mon truc à moi hein. Et j’ai toujours tendance,
j’pense, à être trop là avec eux ! A tout le temps aller les voir, si ça va176
».
Ainsi, la distance relationnelle dépendrait de nombreux facteurs, notamment
personnels. De plus, elle serait différente selon le patient. Cependant, un évènement
viendrait entrer en jeu dans la relation entre l’infirmière et le patient : le décès du
patient. J’aborderai la question de la mort dans la prochaine question faisant référence
aux représentions qu’ont les infirmières de cet évènement.
Question 7 : Quelles sont-vos représentations de la mort ?
En écrivant cette question, je m’attendais à ce que les infirmières évoquent des
expériences de mort de patients ou d’entourage et que l’ambiance s’alourdisse, devienne
plus triste lors des entretiens. Pourtant, ce ne fut pas le cas. En effet, 5 infirmières sur 6
ont ri lorsque que je leur ai posé la question. En faisant le lien entre leur rire avec leur
posture, leur faciès et leur gestuelle, j’ai compris que ce n’était ni un rire de moquerie,
ni un rire suite à quelque chose de drôle, mais un rire de gêne. En effet, la plupart de ces
infirmières étaient en difficulté pour répondre à cette question. Il m’a fallu la reformuler
à plusieurs reprises pour qu’elles comprennent son sens. Une infirmière m’a dit que les
représentations de la mort étaient propres à chacun, individuelles177
. Je n'ai pas voulu
approfondir la réponse par peur d’entrer dans une sorte de curiosité et d’insistance.
Les représentations de la mort pour les infirmières étaient globalement
similaires. 4 infirmières sur 6 voient la mort comme « la fin de la vie ». 1 infirmière dit
quant à elle que la mort fait partie de la vie et que c’est un processus logique178
.
176
Entretien 2, p. 7 de la retranscription. 177
Entretien 4, test, p.8 de la retranscription. 178
Entretien test, p.7 de la retranscription.
70
Un autre élément ayant été soulevé lors des réponses des soignants fut la
différence de représentations de la mort selon le sujet. Pour 2 infirmières, la mort
occupait une place différente selon l’âge du sujet. Pour les deux infirmières, la mort
d’un patient âgé était considérée comme plus acceptable et moins douloureuse
émotionnellement pour elle que celle d’un patient jeune. L’une d’entre elle confirme
cela en disant :
« Quelqu’un des jeunes c’est pas normal. Comme j’te disais quelqu’un de plus
âgé ça me paraît logique de mourir. On le sait, on naît, on va mourir […] Après
quelqu’un de jeune c’est dramatique, c’est horrible, quelqu’un de plus âgé, 90
ans, 95 ans, c’est normal !179
».
La seconde infirmière ajoute :
« C’est des personnes relativement âgées donc c’est plus le cours de la vie quoi.
Tu t’dis c’est des gens qui ont eu une belle vie… c’est différent […] C’est des
personnes relativement âgées donc c’est plus le cours de la vie quoi. Tu t’dis
c’est des gens qui ont eu une belle vie… c’est différent180
».
Ainsi, ces deux infirmières pensent que le sujet âgé entretient un lien plus
logique avec la mort de par un âge avancé. En ce qui concerne le sujet jeune, cet
évènement vient marquer une rupture avec le cours « normal » de la vie qui veut que
l’on naisse puis que l’on meurt à un certain âge. Là encore, la proximité relationnelle
entretenue avec l’autre joue un rôle dans les émotions ressenties par l’individu.
Enfin, 2 soignantes ont fait ressortir la dimension religieuse de la mort.
Toutefois, cette dimension est vue comme un problème dans les deux cas, mais
exprimée de deux manières différentes. Ainsi, la première infirmière dit que : « Dans
l’équipe t’as toujours des idées culturelles, cultuelles, religieuses qui mettent leur
nez181
». La seconde quant à elle affirme : « Le problème c’est voilà… sur les religions,
t’as différentes interprétations d’la mort182
».
179
Ibid. 180
Entretien 6, test, p.4 de la retranscription. 181
Entretien 4, p.8 de la retranscription. 182
Entretien 3, p.6 de la retranscription.
71
Ainsi, la mort pourrait être liée à la religion. Toutefois, chaque personne possède
des idées, des appartenances différentes sur le sujet.
Au fil des années, l’infirmière acquiert de nouvelles compétences, des
connaissances supplémentaires. De plus, elle gagne en expérience et peut avoir une
vision différente sur les soins, mais aussi sur la mort. Cela m’amène à la prochaine
question sur l’évolution des représentations de la mort chez ces infirmières depuis leur
début de carrière.
a) Comment ont-elles évolué au fil de votre carrière ?
Les avis sont partagés dans les réponses. Effectivement, 3 infirmières ont affirmé
avoir vu une évolution de leurs représentations concernant la mort tandis que 3 autres
ont dit ne pas en avoir eu.
Parmi les 3 ayant vu leurs représentations évoluées, l’une affirme que : « J’trouve
qu’on s’blinde aussi un peu quoi, avec les années. On prend de l’expérience aussi.
Après on va pas dire ça fait rien mais on apprend à faire avec183
». Une seconde
infirmière complète en disant :
« J’ai plus de facilité maintenant, ça me faisait peur. En plus dans un service
comme ça on est là pour la réanimation. On est censé sauver des vies quoi. Donc
c’est un petit peu frustrant, on a travaillé, on a fait ce qu’on a pu, on a tout fait et ça
a pas marché donc on se remet un petit peu en question […] Et maintenant, j’ai plus
la même vision des choses. C’est plus valorisant pour moi d’accompagner
correctement quelqu’un en fin de vie, la famille, plutôt que de faire une
réanimation, une intubation. Après ça c’est de la technique, on maîtrise, c’est la
même chose. Alors que l’accompagnement est plus important184
».
Ainsi, l’expérience permettrait d’avoir un rapport à la mort différent. Si bien que
cela serait aussi en lien avec nos représentations du soin comme l’indique la seconde
infirmière pour qui la mort représentait une peur.
183
Entretien 6, p.4 de la retranscription. 184
Entretien test, p.7 de la retranscription.
72
Concernant les trois autres infirmières, l’une d’entre elles dit ne pas avoir vu
d’évolution dans ses représentations à la mort car elle a déjà été confrontée à celle-ci
lors de sa jeunesse. L’infirmier quant à lui dit ne pas avoir vu d’évolution dans ses
représentations. Toutefois, il vient apporter une nuance à son propos. Il ajoute :
« Elles ont évolué dans la prise en charge du patient dans le sens où on essaye de
respecter les cultes […] Voilà, on essaye de traiter tout le monde sur le même pied
d’estale. Peu importe la religion qu’il a eu, peu importe les idées qu’il aurait pu
avoir185
».
Ainsi, les représentations que l’infirmière a de la mort peuvent évoluées ou pas
selon son vécu personnel. Par ailleurs, l’expérience jouerait un rôle dans l’évolution de
ces représentations à travers les échanges au sein de l’équipe soignante ainsi que les
différentes prises en charge de patients possédant des cultes et des religions différentes.
De plus, cette confrontation à la mort peut toucher le soignant émotionnellement. En
particulier si ce dernier s’est occupé d’un patient en particulier. C’est ce que j’ai cherché
à savoir dans la prochaine question concernant le ressenti de l’infirmier face à la mort
d’un patient.
b) Que ressentez-vous lors de la mort d’un patient dont vous vous êtes occupé ?
Les émotions des soignantes étaient très communes. En effet, j’ai pu mettre en
évidence trois éléments importants regroupant les types de réponses des infirmières.
Le premier aspect regroupe les émotions que j’appellerai « difficiles ». Il regroupe la
tristesse, la peine et la frustration. Ce sont 5 infirmières sur 6 qui ont ressenti au moins
une de ces émotions lors de la mort d’un patient dont elles se sont occupées. Selon l’une
d’entre elles :
« Ça fait mal, c’est dur […] Tu t’imagines la vie qu’ils ont eu […] Tu vas par
exemple sur un arrêt cardiaque, t’essayes tout ce que tu peux et qu’ils reviennent
pas. Donc t’as pas réussi, t’es pas l’médecin. Mais tu vois ça comme des échecs
quoi. C’est pas évident à gérer « … », mais j’pense que j’y arriverai jamais (rires).
Mais j’espère pas aussi me blazer par rapport à ça, par rapport à la mort. Et pour
185
Entretien 4, p.8 de la retranscription.
73
moi une infirmière il faut qu’y ait des sentiments. Une infirmière qui ressent rien
face à la mort, c’est triste186
».
A priori, cette infirmière présente des difficultés d’ordre émotionnel lors du décès de
certains patients. Par ailleurs, elle dit ressentir le décès d’un patient mort d’un arrêt
cardiaque comme un échec après des efforts effectués pour réanimer ce patient. De plus,
elle affirme que les émotions tiennent une place importante dans la profession
infirmière. Pour elle, l’infirmière doit avoir des sentiments.
Pour 2 autres, ce ressenti dépend du patient et du contexte du décès. L’une dit : «
Tout dépend des patients, y’a des patients avec qui je vais plus m’attacher, créer des
liens187
». Une autre ajoute : « Forcément un peu d’peine euh… Après si vraiment
c’était une mort attendue, et que l’accompagnement s’est bien passé et que le patient a
pas souffert, on est satisfait euh, quelque part. Après si ça s’est pas bien passé, euh,
c’est quand même frustrant188
».
Par ailleurs, 3 infirmières partagent le fait qu’elles peuvent ressentir des émotions
positives suite au décès d’un patient dont elles se sont occupées. Une infirmière
affirme :
« Bah parfois du soulagement quand c’est des prise en charge trop difficiles. Parce
que je me dis ça y est, voilà, c’était compliqué mais… Est-ce qu’on a bien fait ou est-ce
qu’on a pas bien fait en tous cas quand on a l’impression que les patients ont été
soulagé et sont partis sans souffrance. Là c’est un soulagement pour nous j’pense
comme pour la famille, comme pour eux189
».
De plus, une autre vient ajouter :
« Des fois, si il y a des familles qui nous entendent elles doivent se dire qu’on est un
petit peu cinglés parce qu’on rigole, y’a ce côté où on dédramatise un peu. Mais
après on est obligé, c’est pour nous, c’est aussi un moyen de protection, un moyen
186
Entretien 3, p.7 de la retranscription. 187
Entretien test, p.8 de la retranscription. 188
Entretien 6, p.5 de la retranscription. 189
Entretien 2, p. 9 de la retranscription.
74
de défense, pour essayer de dédramatiser un petit peu les choses et voilà, discuter
en équipe190
».
Pour résumer, tous les soignants ressentent des émotions lors du décès d’un patient
dont ils se sont occupés auparavant. En effet, des liens se sont créés, une certaine
affinité s’est instaurée.
Par ailleurs, pour faire le lien avec la partie conceptuelle sur les représentations de la
mort à l’heure actuelle, je pense que les réactions de ces infirmières au moment où je
leur ai posé la question n’étaient pas anodines. Effectivement, elles reflétaient tout à
fait les éléments présents dans mon apport théorique. Le fait de changer de sujet,
comme si l’on repoussait la mort. Dans ce sens, une infirmière s’exprime en disant : « Il
faut enlever un petit peu les tabou autour de la mort et essayer d’accompagner au
mieux le patient, les familles pour dédramatiser191
». Les représentations de la mort ont
donc évolué dans notre société.
Question 8 : Souhaiteriez-vous ajouter d’autres éléments pouvant compléter cette
entretien ?
Suite à cette question, 1 infirmière a souhaité revenir sur la dimension
relationnelle de la profession d’infirmière. Elle affirme : « Il y a aussi le côté relationnel
qui est très important et qui est une grosse partie de notre boulot, et très
intéressante192
».
Une seconde quant à elle relève la différence entre la dimension enseignée
durant la formation et la pratique réelle sur le terrain. Puis elle a ajouté la différence de
comportement que le soignant peut avoir avant d’avoir vécu une situation et lorsqu’il la
vit réellement :
« C’est pas ce qui est dans les livres qui… Après y’a peut-être des situations à
l’heure actuelle que tu penses qui vont pas te toucher dans l’accompagnement
190
Entretien test, p.8 de la retranscription. 191
Ibid. 192
Ibid.
75
en fin d’vie. Puis quand tu vas être devant l’patient, tu vas t’dire « J’y arrive
pas, comment j’fais ? Est-ce que j’ose demander de l’aide ou est-ce que j’ose
pas ? Comment j’fais ? »193
».
Enfin, deux infirmières soulèvent le questionnement que provoque le sujet de
l’accompagnement du patient en fin de vie et de la mort. L’une affirme que :
« Ça te travaille, ça te questionne. Tu te dis comment j’vais mourir ? Est-ce que
j’vais souffrir ? Est-ce que j’vais pas souffrir ? Est-ce que j’vais la voir venir ? Pas la
voir venir ? Donc c’est normal. C’est pas pour rien que ça ressort souvent dans les
mémoires194
».
Cette question qui clôture cet entretien a fait ressentir des points essentiels dont
j’avais traité durant mon travail de recherche.
Je vous propose désormais la synthèse de cette analyse d’entretien qui sera conclue
par une ouverture sous forme de question afin d’ouvrir de nouvelles perspectives de
recherches.
5.2. Synthèse de l’analyse de recherche
De nombreux éléments ont été mis en évidence lors de ces entretiens. Des
réponses ayant des points communs entre elles, d’autres possédants des différences.
Finalement, ils ont tous été enrichissants et bénéfiques pour mon travail. Je vais
désormais mettre en lumière les points centraux qui ressortent de ces entretiens. Le
premier point concerne les représentations du soin infirmier par ces soignants. Le
second traite de l’accompagnement qui s’accompagne des émotions et de la distance
relationnelle. Le troisième et dernier point est lié à la mort et aux représentations qu’en
ont les infirmières.
A propos des représentations du soin infirmier, j’ai constaté que les infirmières
en possédaient une double conception. La première correspond à la dimension
193
Entretien 2, p. 9 de la retranscription. 194
Entretien 4, p.9 de la retranscription.
76
technique, la seconde à la dimension relationnelle. Ces deux dimensions se
complèteraient et seraient utilisées au bénéfice du patient. Par ailleurs, la prise en charge
globale du patient incluant son entourage et sa famille est apparue à plusieurs reprises
au cours de certains entretiens. Cela vient donc confirmer l’existence de deux
dimensions complémentaires du soin infirmier prenant en compte les besoins physiques,
psychologiques et sociaux du patient. Un infirmier relève qu’un clivage de ces
dimensions serait négatif et ne permettrait donc pas une prise en charge globale de
l’individu.
De plus, la plupart des infirmières ont vu leurs représentations du soin
infirmier évoluer au fil du temps. J’ai constaté que cette évolution ne se faisait que dans
un sens. C’est-à-dire qu’elles partaient au début de leur carrière d’une représentation du
soin basée sur la dimension technique puis ont évolué vers une conscience, une
appropriation d’un aspect se voulant plus relationnel. Ainsi, l’expérience aurait une
place dans l’évolution des représentations du soin infirmier.
Enfin, j’ai pu remarquer qu’il pouvait y avoir un lien entre représentations du
soin infirmier et pratiques soignantes. En effet, les infirmières pensant que soins
infirmier rimaient avec une synergie entre dimension technique et relationnelle disaient
prendre en charge les patients de manière globale. Cela veut dire qu’elles prenaient en
compte les besoins physiques, psychologiques et sociaux du patient. Néanmoins, je n’ai
pas pu affirmer le contraire car aucune de ces infirmières ne considéraient le soin
infirmier comme quelque chose relevant purement de la technique.
Je vais désormais aborder l’analyse concernant l’accompagnement du patient
en fin de vie par les infirmières.
Le premier élément de cette partie concerne les émotions ressenties par les
infirmières quand elles accompagnent un patient en fin de vie. La difficulté qu’ont ces
infirmières à accompagner ces patients ressort à de multiples reprises. Elles disent
ressentir de la frustration, de la peine et/ou de la tristesse. La frustration serait due à
l’écart entre l’attente de ces infirmières concernant l’avenir du patient, l’espoir de vie
avec la réalité qui est la mort du patient. La peine et la tristesse seraient quant à elles
due à la mort du patient. Un être est partie alors que des liens s’étaient créés créant alors
77
un sentiment de manque pour l’infirmière. De plus, la majorité des infirmières accordent
une place importante des émotions dans la profession et dans leur pratique
professionnelle.
Néanmoins, les émotions nécessiteraient parfois qu’elles soient exprimées par
certaines infirmières. En outre, la communication au sein de l’équipe soignante a été
abordée. Elle jouerait un rôle dans l’écoute et l’échange des émotions vécues par ces
infirmières. Une infirmière dit même se sentir écouter lors de réunions en équipe195
.
Toutefois, certaines barrières viendraient entraver cet accompagnement du
patient en fin de vie. La première serait le vécu personnel de l’infirmière, riche en
émotions et réinvestissant certaines situations passées douloureuses. La seconde
concernerait les conditions de travail prenant en compte le manque de temps ainsi que le
manque de personnel soignant. De ce fait, les infirmières n’auraient pas le temps d’être
présentes comme elles le souhaiteraient auprès du patient en fin de vie. Le dernier point
soulevé par un infirmier serait une mauvaise conception du soin centré sur la dimension
technique. Ce dernier point est celui que je traite dans mon hypothèse.
Le second élément faisant partie de l’accompagnement du patient en fin de vie
est la distance relationnelle mise en place par les infirmières.
Une grande majorité des infirmières interrogées affirment adopter une distance
relationnelle de par le vouvoiement, ou en passant moins régulièrement devant la
chambre du patient.
Une petite partie des infirmières quant à elles avouent être proches voire très
proches du patient au niveau relationnel. Toutefois, cette proximité relationnelle peut
devenir une limite lorsqu’elle influence la vie personnelle du soignant. C’est le cas pour
ces infirmières se disant proches du patient. L’une affirmant avoir du mal avec le décès
des patients en fin de vie si bien qu’elle est même allée aux funérailles de l’un d’entre
eux. Une seconde infirmière dit présenter des difficultés pour faire la part des choses.
Cela se manifeste par la pensée de certains patients hors travail. Elle dit avoir du mal à
ce niveau-là.
195
Entretien 3, p.6 de la retranscription.
78
Puis, certaines infirmières affirment que cette distance relationnelle entretenue
avec le patient en fin de vie varie selon ce patient, son âge, selon la situation et le vécu
personnel de l’infirmière.
Cependant, la mort reste un évènement présent dans les soins. Je vais donc
vous faire part de mon analyse sur ce sujet ainsi que sur les représentations qu’en ont les
infirmières.
Dans un premier temps, je tenais à préciser que la question abordant les
représentations de la mort a présenté des difficultés pour toutes les infirmières. Cette
difficulté s’est traduite par un sentiment de gêne manifesté par des rires. J’ai souhaité
traiter de ce sujet à la fin de l’entretien car je savais que ce point était sensible dans la
mesure où il pouvait toucher émotionnellement ces soignants. Toutefois, ils n’ont pas
été émus lorsqu’ils répondaient à cette question. De plus, je m’attendais à plus de
développement et de contenu sur cette question.
Pour une majorité des infirmières, la mort du patient est vécue comme un
évènement négatif. Pour la minorité, elle est vécue de manière plus positive et ces
infirmières expliquent cela en termes de soulagement pour l’entourage, le patient lui-
même ainsi que pour l’infirmière et les soignants. Ce soulagement se manifeste
notamment lorsque le patient a souffert durant ses derniers instants de vie.
Par ailleurs, le ressenti de la mort peut être vécu différemment selon le patient.
Son âge entre en jeu dans la plupart du temps. En effet, un individu qui décède à un
jeune âge, particulièrement les enfants et les adolescents, touchera émotionnellement de
manière plus importante les infirmières qu’un patient âgé. Pour elles, la mort doit
arriver le plus tard possible. Une mort jeune n’est pas quelque chose de normale pour
ces soignantes. Je suppose aussi que ces infirmières ont des enfants et que, lorsqu’elles
sont confrontées au décès d’un enfant, elles repensent aux leurs.
Pour conclure, l’expérience jouerait un rôle dans l’évolution des
représentations qu’ont les infirmières par rapport à la mort. La mort serait relativisée au
cours d’une carrière mais pas pour toutes les infirmières. Certaines disent avoir des
représentations similaires en début de carrière et à l’heure actuelle. Toutefois, il
n’empêche que la mort touche très souvent émotionnellement les infirmières.
79
LIMITES DU TRAVAIL DE RECHERCHE
Durant cette phase méthodologique dans laquelle j’ai effectué des entretiens
auprès d’infirmières, il s’avère que j’ai fait face à plusieurs limites.
La première est d’ordre quantitatif. En effet, j’ai interrogé six infirmières. Ce
nombre est donc très faible. Les résultats me donnent donc un aperçu des pensées de
certaines infirmières mais je ne pourrais me permettre de généraliser ce que j’ai récolté
comme contenu. Ainsi, ces résultats ne sont pas représentatifs.
Dans un second temps, bien que j’ai essayé de varier la population investiguée,
je n’ai interrogé des infirmières que de six services différents. Ainsi, il aurait été
intéressant d’élargir cette population en allant chercher des visions dans des
environnements différents.
Ensuite, j’ai présenté des difficultés à être objectif sur certains propos émis par
ces infirmières. Parfois, je voulais prendre position afin de rebondir sur ce qu’elles
avaient dit. Par ailleurs, j’étais en désaccord avec certains propos qui allaient à
l’encontre de mes opinions. Ainsi, je souhaitais rester neutre pendant l’entretien mais je
revenais sur ces points quand l’entretien était terminé.
Par ailleurs, il se trouve que j’ai abordé le thème de la mort lors de mon
entretien. Manifestement, une gêne s’est installée lorsque les infirmières devaient
répondre à ma question. Cette gêne se manifestait par un silence, des demandes de
reformulations et selon moi, à un non développement des réponses. De ce fait, je pense
que j’aurais pu dans un premier temps partager mon expérience concernant des
situations où j’ai rencontré le décès de patients ce qui aurait facilité la parole des
soignantes en posant un climat de confiance.
Enfin, je pense que mon manque d’expérience à mener des entretiens a été une
limite. D’ailleurs, le fait de m’écouter lors de la retranscription des entretiens fut une
réelle prise de conscience des défauts de langages qui m’étaient propres. Ainsi, je me
suis rendu compte au fil de ces entretiens que je devenais plus à l’aise, dans une plus
grande écoute active de l’autre et plus synthétique dans mes propos. Arrivant à la fin de
ce travail de recherche, je vous propose la conclusion que j’ai élaborée.
80
CONCLUSION
Au début, je considérais ce travail de fin d’étude comme un « travail en plus »,
une simple formalité. Cela m’a mis en difficulté dans un premier temps car je le
repoussais toujours. Je faisais preuve de procrastination. Ce travail n’a donc pas été le
fruit d’une année mais de quelques mois. Néanmoins, je me suis aperçu que ce n’était
pas un simple travail, mais un cheminement dans une réflexion s’inscrivant dans un
processus de professionnalisation.
Durant ce stage, j’ai vécu une situation. Une situation dans laquelle j’étais
totalement impliqué et qui m’a marqué. Je m’en souviendrai pour le restant de mes
jours. Cette situation a réellement changé ma manière de voir le monde, de voir les
autres, de me voir moi-même. En réalisant ce travail, j’avais l’impression de tout voir
d’un point de vue différent. En effet, j’essayais de prendre le recul nécessaire afin de
faire passer le message que je voulais communiquer. Tout cela sans pour autant être
dans une émotivité excessive biaisant ce travail de recherche de par une implication
émotionnelle trop importante.
Cette situation m’avait questionné sur de nombreux points. Si bien que j’ai
décidé d’aborder ceux qui étaient les plus pertinents pour mon questionnement et pour
mon futur travail en tant qu’infirmier, professionnel de santé.
J’ai donc explicité les concepts de représentations, d’émotions et
d’accompagnement. J’ai ensuite émis une hypothèse selon laquelle une conception des
soins infirmiers centrée principalement sur leur dimension curative serait une barrière à
l’accompagnement du patient en fin de vie. Cette étude théorique m’a permis d’éclairer
ma situation et m’a amené à confronter ces recherches et mon hypothèse avec des
infirmiers. Cela dans un but d’échange, de partage mais aussi afin de confirmer,
d’infirmer ou même de nuancer mon hypothèse.
Ainsi, suite à ces entretiens, j’ai été en mesure de constater que les infirmières
avaient des visions différentes sur le soin infirmier, ses représentations et sur
l’accompagnement du patient en fin de vie. De plus, une de mes questions se trouvant
dans mes entretiens traitait des barrières qui pouvaient entraver l’accompagnement du
81
patient en fin de vie. Pour moi, et d’après mon hypothèse, la barrière était la conception
du soin infirmier basée principalement sur son aspect technique. Néanmoins, les
différentes réponses à cette question m’ont permis de nuancer mon hypothèse.
Effectivement, je me rends compte que d’autres barrières à l’accompagnement
du patient en fin de vie peuvent apparaître. Par exemple, je peux citer le vécu personnel
accompagné d’émotions pouvant entraver cet accompagnement. Les conditions de
travail difficiles peuvent aussi être un frein dans la mesure où le manque de temps, de
moyens humains et le stress peuvent influencer cet accompagnement. Enfin, une
proximité relationnelle importante peut avoir une influence sur l’accompagnement du
patient en fin de vie. Cela provoquant des émotion, une implication telle que l’infirmier
serait dans une implication émotionnelle excessive et influencerait l’accompagnement.
Les émotions sont en effet très présentes lors de la prise en charge de certains patients,
d’accompagnement en fin de vie. Ainsi, ce travail m’a amené à apercevoir d’autres
perspectives de recherches, toujours sur le thème de l’accompagnement. La question qui
m’interroge et qui mériterait selon moi un autre travail de recherche serait la suivante :
Dans quelle mesure les émotions pourraient-elles influencer
l’accompagnement du patient en fin de vie ?
Parfois, je me demande quelle profession aurais-je pu exercer mise à part celle
d’infirmier. Avant cette formation, je souhaitais être utile pour l’autre. En réalité, je ne
savais pas ce qui se cachait derrière « être utile ». De plus, je ne savais pas qui était cet
« autre ». Ma formation, mes rencontres, mes échanges ainsi que mon questionnement
perpétuel m’ont permis de trouver quelques réponses à ces éléments. Je ne prétendrai
pas avoir tous les éléments de réponses à mes interrogations. Néanmoins, j’ai acquis
durant ces études une démarche de réflexion me permettant d’arriver à ces réponses,
toujours avec le sens du questionnement.
Durant cette formation, j’ai découvert un univers à part entière, celui du soin. Un
univers riche en échanges, en émotions. Un univers profond où l’on entre en relation
avec des êtres sensibles. Au fil de ma formation, je me suis rendu compte que
finalement, nous sommes tous pareil. Chaque personne possède des besoins, des envies,
82
des aspirations. Chaque individu est sensible et peut du jour au lendemain, passer de
plein d’énergie, en bonne santé à quelqu’un de faible et sur qui la maladie s’est abattue.
J’ai donc appris à être humble, reconnaissant envers les autres et à aimer, encore
plus. Cette formation et ce mémoire m’ont beaucoup apporté et m’ont amené à me
questionner sur plusieurs éléments tels que la vie, la mort, la maladie, la santé, mon
avenir, mon rôle dans la société.
Enfin, je peux affirmer que mes représentations du soin infirmier ont évolué,
passant d’une vision principalement technique à un aspect riche de relationnel et
d’accompagnement. Désormais, je m’efforce de donner du sens à ma pratique et essaye
de me questionner constamment sur ce que je fais, pourquoi je le fais et pour qui je le
fais. Je souhaite devenir cet infirmier, celui dans une écoute particulière du patient, étant
dans l’observation et dans l’accompagnement de l’être humain. Je souhaite être ce
professionnel, qui durant sa formation, a compris le sens d’une profession.
83
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88
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Formation en soins infirmiers dans le cadre de l’UE 3.4 S4 : Initiation à la démarche de
recherche. 2011.
89
LISTE DES ANNEXES
Annexe I : Représentations de la mort
Annexe II : Les soins infirmiers (Code de la Santé Publique)
Annexe III : Rapport de l’INPES sur les soins palliatifs
Annexe IV : Rapport de l’ARS PACA sur le droit au respect de la dignité
Annexe V : Les différentes relations de soin
Annexe VI : Recommandations de l’HAS sur l’accompagnement des patients en fin de
vie et de leur proche
90
Annexe I : Représentations de la mort 196
« Autrefois, la mort avait une forme, un cadre, une habitude, une pratique dans
lesquels le mourant, le cadavre, les angoisses, les personnes endeuillées et le temps du
deuil prenaient place. Cette forme organisait l’ensemble. Chacun savait, quand la mort
arrivait, la place qu’il devait tenir […] La mort n’est pas seulement interdite, elle est
devenue une langue morte, oubliée, disparue
Ainsi, s’est imposé progressivement un nouvel idéal, l’idéal moderne: mourir sans
s’en rendre compte, faire disparaître la mort et le mort du champ social.
Il nous faut tenir compte de trois évolutions pour expliquer la dépossession
progressive de la mort. L’individu autrefois maître de sa mort, en a été progressivement
dépossédé. Il l’accompagnait; aujourd’hui il la subit.
Au XVIIe siècle, l’homme occidental était encore régisseur de ses derniers moments.
Et puis, progressivement, il a commencé à partager ses derniers moments avec sa
famille. Elle a commencé à avoir un rôle plus important en assurance une double
protection: protéger le mort des autres, protéger le mort de lui-même.
Deuxième dépossession: la médecine. La médecine progressivement s’est intégrée,
s’est imposée dans la chambre mortuaire au point de “contrôler” le corps. D’où,
aujourd’hui une mort qui se fait à l’hôpital et non plus dans la chambre mortuaire.
Troisième moment de cette histoire de la dépossession mortuaire: de consciente la
mort est devenue progressivement inconsciente. L’idéal de la bonne mort, autrefois
c’était de la vivre. Or, aujourd’hui, nous dit en constat Luc Ferry, le philosophe: “la
mort est sans pourquoi, sans appel ni au-delà”. Si cette mort est sans pourquoi, sans
appel ni au-delà, alors effectivement pourquoi, d’une certaine façon, la vivre? Mieux
vaut la taire, la cacher, ne pas en faire état.
196
Le Guay Damien, Représentation actuelle de la mort dans nos sociétés: les différents moyens de l'occulter, [en ligne]. Études sur la mort 2/2008 (n° 134), p. 115-123. < https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2008-2-page-115.htm>. (Consulté le 03/04/16).
91
Tout a été montré sauf l’essentiel: les morts eux-mêmes. Nous sommes là en
présence d’une mort sans cadavre, de l’idée presque irréelle de la mort, d’une
dramatique en l’absence de ces milliers de drames individuels [...] Dans les médias
d’information, la mort est partout, les morts nulle part.
Désormais, avant tout dans les « policiers » américains, les « méchants » sont
tués sans affects, comme s’il s’agissait d’un jeu de cour de récréation. Tuer ne veut plus
rien dire. Le « héros » « élimine » sans émotion, sans « état d’âme ». Les « méchants »,
eux, « disparaissent » dans une mise en scène esthétisante.
Trop de mort tue la mort. Un recours excessif au “second degré”, à la
“parodie”, à ces images qui ne sont pas vraisemblables, favorise une séparation de
l’imaginaire d’avec la réalité. Les repères se brouillent, les distinctions s’estompent
[…] Devant ces spectacles, le voyeur télévisuel n’éprouve rien
L’excès conduit à la banalisation, au trop-plein et donc à la disparition. La
mort, ainsi, est devenue invisible pour être médiatiquement sur-visible. La vraie mort,
celle de nos vies quotidiennes, a disparu au profit de la mort-parodie, la mort-
spectacle, la mort-élimination, la mort-ludique, la mort-grand-guignolesque. En
somme: l’excès médiatique dissimule».
92
Annexe II : Les soins infirmiers (Code de la Santé Publique)197
« Les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs, intègrent qualité
technique et qualité des relations avec le malade. Ils sont réalisés en tenant compte de
l'évolution des sciences et des techniques. Ils ont pour objet, dans le respect des droits
de la personne, dans le souci de son éducation à la santé et en tenant compte de la
personnalité de celle-ci dans ses composantes physiologique, psychologique,
économique, sociale et culturelle :
1° De protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé physique et mentale des
personnes ou l'autonomie de leurs fonctions vitales physiques et psychiques en vue de
favoriser leur maintien, leur insertion ou leur réinsertion dans leur cadre de vie familial
ou social ;
2° De concourir à la mise en place de méthodes et au recueil des informations utiles
aux autres professionnels, et notamment aux médecins pour poser leur diagnostic et
évaluer l'effet de leurs prescriptions ;
3° De participer à l'évaluation du degré de dépendance des personnes ;
4° De contribuer à la mise en œuvre des traitements en participant à la surveillance
clinique et à l'application des prescriptions médicales contenues, le cas échéant, dans
des protocoles établis à l'initiative du ou des médecins prescripteurs ;
5° De participer à la prévention, à l'évaluation et au soulagement de la douleur et de la
détresse physique et psychique des personnes, particulièrement en fin de vie au moyen
des soins palliatifs, et d'accompagner, en tant que de besoin, leur entourage ».
197
Code de la Santé Publique. Article R4311-2 Codifié par: Décret 2004-802 2004-07-29 en ligne]. <https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006913889&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20130103>. (Consulté le 16/04/16).
93
Annexe III : Rapport de l’INPES sur les soins palliatifs 198
« Face à l’épreuve de la maladie grave et des handicaps difficiles à vivre et/ou
à la perspective de la mort, les Français expriment : des peurs : souffrir inutilement, ne
plus pouvoir dire ce que l’on veut, subir un acharnement thérapeutique, être abandonné
et mourir seul ; et des attentes : être soulagé de la souffrance, faire reconnaître sa
volonté même quand on n’est plus en état de l’exprimer, refuser ou arrêter tout
traitement déraisonnable, être entouré et accompagné.
La loi fixe les conditions de décision de limitation ou d’arrêt de traitement :
- La loi insiste sur l’importance de la volonté du patient;
- L’appréciation de la pertinence du projet thérapeutique et l’analyse du rapport
bénéfice/risque relèvent de la responsabilité médicale;
- La loi distingue deux situations: celle où le malade est capable d’exprimer sa
volonté et celle où il n’en est pas capable (art. 5)
- La capacité du patient à « être autonome » ou à « s’autodéterminer » doit être
appréciée de manière adaptée (5). Le médecin donne l’information, il vérifie que
le patient soit capable d’écouter, de comprendre puis de s’autodéterminer
- Si le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, la loi introduit l’obligation
d’une procédure collégiale. (art. 9; décret d’application du 6 février 2006) : «
La décision est prise par le médecin en charge du patient ; après concertation
avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin,
appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature
hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant ; L’avis
motivé d’un deuxième consultant est demandé par ces médecins si l’un d’eux
l’estime utile ».
Mais cette procédure ne dispense pas de rechercher la volonté du patient
(directives anticipées, avis de la personne de confiance, avis des proches) ».
198
Rapport rédigé par l’INPES dans le cadre du Programme de développement des soins palliatifs 2008-2012. Patients atteints de maladie grave ou en fin de vie – Soins palliatifs et accompagnement. [en ligne]. <http://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/933.pdf>. (Consulté le 05/04/16).
94
Annexe IV : Rapport de l’ARS PACA sur le droit au respect de la dignité199
Directives anticipées
Depuis la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, l’article
L.1111-11 prévoit que :
« Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle
serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les
souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation
ou l'arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment. A condition qu'elles aient
été établies moins de trois ans avant l'état d'inconscience de la personne, le médecin en
tient compte pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement la
concernant. ».
Le patient aurait donc des droits concernant sa fin de vie. Dans le cas des directives
anticipées, il serait libre d’anticiper une impossibilité d’exprimer sa volonté par un
écrit en y citant ses volontés dans le cas de cette situation. En ce qui concerne mon
analyse, la patiente n’avait pas émise de directives anticipées. Dans ce cas, deux autres
facteurs entrent en jeu : la personne de confiance et la procédure collégiale.
Personne confiance
L’article 8 du Code de la santé Publique concernant les droits des malades et la fin de
vie cite que :
« Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et
incurable, quelle qu’en soit la cause et hors d’état d’exprimer sa volonté, a désigné une
personne de confiance en application de l’article L. 1111 6, l’avis de cette dernière,
sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des
directives anticipées, dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement
prises par le médecin».
199
Dossiers législatifs - LOI n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Fait à Paris, le 22 avril 2005. [en ligne]. <https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=BF84F19CEB52890A2C45F0C1F04F3E39.tpdjo09v_3?idDocument=JORFDOLE000017758874&type=contenu&id=1&typeLoi=&legislature=>. (Consulté le 05/04/16).
95
Cette personne de confiance a donc une réelle influence sur la situation du patient et
aide à déterminer la décision prise par le médecin, en collaboration avec l’équipe
soignante. Je vous propose donc une recherche définissant la procédure collégiale.
La procédure collégiale
D’après l’article 5 concernant les droits du malade et la fin de vie et après le
quatrième alinéa de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, il est inséré un
alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de
traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir
respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que
la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de
ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été
consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le
dossier médical. »
Ainsi, avant de prendre une décision de limitation ou d’arrêt de traitement
pouvant faire penser à une obstination déraisonnable, le médecin doit se concerter avec
l’équipe soignante obtenir l’avis d’au moins un autre médecin, appelé comme
consultant. Il ne doit exister aucun lien hiérarchique entre le médecin en charge du
patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est demandé par ces
médecins si l’un d’eux l’estime utile (décret d’application 120 modifiant l’art. 37 du
Code de déontologie médicale).
Pour compléter cette approche de la procédure collégiale, j’ajoute une citation
de revue écrite par Alain de Broca, nous confirmant l’importance de la démarché
collégiale dans une situation de fin de vie d’un patient : « En effet, toute situation
complexe, en particulier quand la question du refus ou de l’arrêt des thérapeutiques se
pose, peut rapidement mener au conflit, rendant nécessaire une médiation. La
démarche en éthique clinique permet ainsi l’élaboration des possibles de chacun ».
96
Annexe V : Les différentes relations de soin 200
« Le respect de la dignité est un principe à valeur constitutionnelle, proclamé
dans la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Il signifie que toute personne
doit être traité avec respect, considération et égards.
En droit de la santé, il revêt deux significations :
- le respect de la volonté de la personne. Imposer des soins à une personne est
considéré comme contraire à sa dignité. Ainsi, le principe de dignité a permis la
reconnaissance du droit de consentir aux soins.
- le respect de la personne elle-même et de ses droits. Il a permis l’essor
progressif de l’ensemble des droits des usagers garantis par les textes. On peut citer : le
droit à l’information, le droit à la qualité des soins et de la prise en charge, les droits
relatifs à la fin de vie, la lutte contre la douleur et l’accès aux soins palliatifs, le secret
médical etc.
Ce principe implique :
- le droit d’être traité avec égards/ la bientraitance
- le respect de l’intégrité physique de la personne
- le droit à une fin de vie digne : le respect de la dignité de la personne et le refus
de l’acharnement thérapeutique ont conduit au développement des soins palliatifs. C’est
également sur ce fondement que la loi Léonetti du 22 avril 2005 a consacré les droits
relatifs aux personnes en fin de vie.
- le respect de la dignité jusqu’à la mort : la personne décédée jouit d’une
certaine protection puisqu’il est interdit de pratiquer certains actes médicaux sur un
défunt. Par exemple, il est interdit d’effectuer des prélèvements sur un défunt, sauf
consentement exprès de son vivant. En matière de don d’organe, la loi est plus souple
puisqu’elle pose le principe du consentement présumé. Il signifie que la personne est
200
ARS région PACA. Rapport sur le droit au respect de la dignité. <http://www.ars.paca.sante.fr/fileadmin/PACA/Site_Ars_Paca/Soins_et_accompagnement/Droits_des_patients/Droits_des_usagers/Le_droit_au_respect_de_la_dignite.pdf>. (Consulté le 05/14/16).
97
présumée avoir consenti au don d’organe, sauf si elle a manifesté son opposition de son
vivant ».
98
Annexe VI : Recommandations de l’HAS sur l’accompagnement des patients en fin
de vie et de leur proche201
1. « La relation de civilité
C’est une interaction. Elle se situe en dehors du soin, elle répond à un code culturel
et social ritualisé ou chaque interlocuteur, sans en être toujours conscient, joue un rôle
(gentillesse, courtoisie, politesse)
2. La relation de soins
Elle peut être simple interaction ou relation suivant les interactants, leur
connaissance mutuelle, le contexte dans lequel se situe le soin : domicile, service
hospitalier, bloc opératoire… Cette relation est la plus fréquente en milieu hospitalier.
Support d’échanges avec le patient ou sa famille, elle est mise en œuvre par le soignant
pendant les soins techniques ou de confort. Elle est centrée sur le pré- sent, sur l’acte
technique, sur l’activité en cours, sur le devenir immédiat du patient : traitement,
confort, douleur, planning de soins, visite médicale… Elle est essentiellement de type
informatif. Au cours des échanges formels ou informels, elle peut être source
d’informations importantes données par le patient.
3. La relation d’empathie (cf. chapitre empathie)
4. La relation d’aide psychologique
Rogers résume ainsi les finalités de la relation d’aide : «La relation d’aide
psychologique est une relation dans laquelle la chaleur de l’acceptation et
l’absence de toutes contraintes, de toutes pressions personnelles de la part de
201
FORMARIER Monique, LA RELATION DE SOIN, CONCEPTS ET FINALITÉS, RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS, [en ligne]. < http://fulltext.bdsp.ehesp.fr/Rsi/89/33.pdf>. (Consulté le 29/04/16).
99
l’aidant, permet à la personne aidée d’exprimer au maximum ses sentiments, ses
attitudes et ses problèmes202
».
Dans son ouvrage, la relation d’aide, Hetu précise que : «La relation d’aide
s’articule autour de trois composantes : 1) Une défaillance de la personne qui restreint
son autonomie en limitant sa capacité à répondre aux exigences ordinaires du cadre
social commun. 2) cette défaillance intime induit un besoin d’aide de la part des
institutions médicales ou sociales plus important que celui auquel répondent les aides
ordinaires. 3) Ce besoin particulier articulé aux fragilités spécifiques de la personne
enclenche une personnalisation de l’aide203
.»
5. La relation thérapeutique
Cette relation est utilisée en psychiatrie auprès de patients souffrants de pathologies
mentales ou de conduites addictives. Elle a pour but de soigner le patient. Elle est
réalisée dans le cadre d’un projet de soins thérapeutique, toujours sur prescription
médicale.
6. La relation éducative
Relation très utilisée par les soignants, elle est mise en œuvre, lorsque que pour des
raisons de santé, le patient doit changer d’habitudes de vie (régime alimentaire, rythme
de vie…) subir un sevrage (alcool, drogues, tabac…) ou doit pratiquer des auto – soins
(injection, sondage…). Elle comprend à la fois une approche psychologique qui repose
sur la connaissance de la personne et de son entourage (représentations, affects,
ressources, capacités, besoins), une approche cognitive (ce que la personne doit
intellectuellement connaître et si besoin mémoriser) et une approche technique
(maîtrise des gestes techniques, habilité manuelle).
7. La relation de soutien social
Cette relation est tout à fait particulière car il s’agit plutôt d’une relation famille,
entourage – patient. Le rôle du soignant se situe à l’interface entre le patient et sa
202
ROGERS Carl, La relation thérapeutique, les bases de son efficacité In «Bulletin de psychologie» n° 17 1963 (p. 12). 203
HETU (J-L) La relation d’aide Ed Gaëtan Morin Boucherville-Québec 3ème ed 2000, (20-1 p 51, 20-2 p 37).
100
famille (aidants naturels). Le soignant peut apporter un soutien direct au patient mais il
peut aussi aider la famille204
».
204
Ibid.
101
Annexe VI
Voici donc les différentes recommandations émises par l’HAS205
:
- « Le projet de service doit formaliser les procédures qui relèvent de
l’engagement de soin jusqu’au bout.
- Veiller à préserver la bonne distance ou juste présence dans la relation de soin
en clarifiant les rôles et les responsabilités respectifs.
- Privilégier un travail en équipe. Prévenir l’isolement des professionnels de santé
(notamment la nuit).
- Instaurer au sein des services une fonction de médiation, de préférence en
binôme.
- Soutenir les professionnels de santé dans leur investissement auprès de la
personne en fin de vie, favoriser les échanges et la concertation y compris à la suite
d’un décès.
- Soutenir les professionnels de santé dans les périodes de rupture et de crise. Des
équipes mobiles et de proximité formées à cette mission peuvent assumer cette fonction.
- La présence régulière de psychologues compétents et intégrés à la vie du service
semble s’imposer, tout en évitant une «psychologisation » excessive de la relation de
soin.
- Sensibiliser les professionnels de santé aux modalités des pratiques
multidisciplinaires dès la formation initiale. Les former aux méthodologies et
développer les travaux de recherche dans ce champ du soin ».
205
Conférence de consensus, TEXTE DES RECOMMANDATIONS L’ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES EN FIN DE VIE ET DE LEURS PROCHES [en ligne], Mercredi 14 et jeudi 15 janvier 2004, Faculté Xavier-Bichat – PARIS. <http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_272290/fr/accompagnement-des-personnes-en-fin-de-vie-et-de-leurs-proches Accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches>. (Consulté le 05/014/16).
102
BEN-RAZLI Malik MAI 2015
DIPLOME D’ETAT INFIRMIER
ETABLISSEMENT DE FORMATION : IFSI Montceau / Le Creusot
Derrière le sens d’une profession
Mots clés : Représentations, soins, infirmier, émotions, accompagnement, mort, fin de vie, sens.
Keywords: Representations, caring, nurse, emotions, support, death, end of life, meaning.
L’IFSI de la CCM n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les mémoires : ces opinions doivent
être considérées comme propres à leurs auteurs.
Qui ne s’est jamais questionné sur le
sens de ses actes ? Pourquoi ? Quand ?
Comment ? Pour qui ? Ce travail de
recherche vise à éclairer le sens d’une
profession, celle d’infirmière. Ainsi, je
suis parti d’une situation vécue en stage
sur laquelle je me suis questionné.
Ce travail est divisé en deux parties. La
première est la phase conceptuelle et
traite des représentations, des soins
infirmiers et de l’accompagnement du
patient en fin de vie.
La seconde partie contient une phase
méthodologique incluant des entretiens
menés avec des infirmières, leur analyse
puis les résultats obtenus.
Ces derniers nous montrent que le soin
infirmier possède différents aspects,
complémentaires, et en faveur du
patient.
Who hasn’t ever been questioning oneself
about the sense of one’s acts? Why? When?
How? For who? This essay is applied to
enlighten the sense of a profession, the
nurse’s. So, I started from a situation I lived
and that interrogated me.
This work is divided into two parts. The first
one is the conceptual phase and deals with
representations, nurses’ cares and the
support of the end of life patient.
The second part contains a methodological
phase including interviews leaded with
nurses, their analysis and the results
obtained.
Those results show us that nurse’s caring
possesses different and compatible aspects
in favor of the patient.