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Chaque note recèle un grain de Grenade ou de Cata- logne, un fragment d’ombre ou de touffeur solaire. On vibre en Castille au son de la séguidille, en l’hon- neur du paso, on se prend à chanter la saeta de Cadix… Quelle technique pourrait suffisamment échauffer nos sangs et inspirer nos doigts, si nous ne nous sommes imprégnés au préalable de toutes ces images et de l’âme de l’Espagne, de ses Goya, de ses Zurbaran, de ses Velasquez? Il faut donc d’abord sentir et ressentir cette musique pour l’interpréter ; avant même d’aborder toute considération pianistique, il est nécessaire de l’insérer dans nos fibres intimes. En préambule, voici un premier conseil très simple : écoutez comme la grande pianiste espagnole Alicia de Larrocha nous raconte ces histoires successives. Dans la façon de jouer de cette grande dame, vous entendrez battre tout le cœur de l’Espagne. Nous allons donc suivre ce recueil au fil de ses pro- vinces. Chacune a son caractère bien défini, chaque pièce de la Suite espagnole d’Albeniz possède une atmosphère propre au lieu qu’elle dépeint et requiert donc une “technique” particulière. Cependant, s’il faut absolument parler de “technique”, rappelons le mot de Neuhaus sur l’art du piano, qui soulignait la parenté entre le mot “technique” et le mot grec τεχυη qui veut dire “art” en général. Quelques conseils généraux de méthode et de travail avant d’entreprendre un voyage à travers les régions de l’Espagne, grâce à une œuvre empreinte de joie retenue, de sensualité brûlante et de nostalgie. Travailler la Suite espagnole d’Albeniz 68 PIANO n° 23 • 2009-2010 PÉDAGOGIE D epuis plusieurs années, au fil des conseils que nous proposons pour interpréter les grandes œuvres du répertoire pianistique, nous avons été invariablement inspiré par cette idée directrice : il ne saurait être question de dis- socier ce que l’on appelle de façon générale la “tech- nique” de notre instrument, le piano, de la musica- lité, du vrai sentiment de la musique et du soin que nous devons apporter à l’interprétation dans les moindres détails. Albeniz a composé la Suite espagnole sur une assez longue période, environ une dizaine d’années. Tout a commencé par un concert qu’il donna le 24 jan- vier 1886 à Madrid, au cours duquel il joua une Suite espagnole en trois mouvements : Serenata, Sevillana et Pavana-Capricho. Le succès fut tel qu’il décida de com- pléter l’ouvrage. Au fil du temps, Albeniz ajouta des pièces jusqu’à en compter huit, et ce n’est qu’en 1901 que parut le recueil complet. Avec cette Suite infiniment poétique et raffinée d’Isaac Albeniz, plus que jamais peut-être, nous touchons à cette “musique pure” au sein de laquelle aucun effet extérieur n’est de mise. Ici, la notion de technique visi- ble passe au second plan, s’effaçant au profit de la sub- tilité des atmosphères, des méandres de l’âme et de l’infinie finesse de cette musique teintée tout à la fois de sensualité, de joie retenue et de nostalgie. coll. Henlé

Travailler la Suite espagnole - La Lettre du musicien · 2014-11-28 · Heinrich Neuhaus, dans L’Art du piano,écrivait: «Las de revenir toujours sur le sujet rebattu de la syn-cope,

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Chaque note recèle un grain de Grenade ou de Cata-logne, un fragment d’ombre ou de touffeur solaire.On vibre en Castille au son de la séguidille, en l’hon-neur du paso, on se prend à chanter la saeta deCadix… Quelle technique pourrait suffisammentéchauffer nos sangs et inspirer nos doigts, si nous nenous sommes imprégnés au préalable de toutes cesimages et de l’âme de l’Espagne, de ses Goya, de sesZurbaran, de ses Velasquez?Il faut donc d’abord sentir et ressentir cette musiquepour l’interpréter ; avant même d’aborder touteconsidération pianistique, il est nécessaire de l’insérerdans nos fibres intimes.

En préambule, voici un premier conseil très simple:écoutez comme la grande pianiste espagnole Aliciade Larrocha nous raconte ces histoires successives.Dans la façon de jouer de cette grande dame, vousentendrez battre tout le cœur de l’Espagne.

Nous allons donc suivre ce recueil au fil de ses pro-vinces. Chacune a son caractère bien défini, chaquepièce de la Suite espagnole d’Albeniz possède uneatmosphère propre au lieu qu’elle dépeint et requiertdonc une “technique” particulière. Cependant, s’ilfaut absolument parler de “technique”, rappelons lemot de Neuhaus sur l’art du piano, qui soulignait laparenté entre le mot “technique” et le mot grec τεχυηqui veut dire “art” en général.

Quelques conseils généraux de méthode et de travail avant

d’entreprendre un voyage à traversles régions de l’Espagne, grâce à une œuvre empreinte de joieretenue, de sensualité brûlante

et de nostalgie.

Travaillerla Suite espagnole

d’Albeniz

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PÉDAGOGIE

D epuis plusieurs années, au fil des conseilsque nous proposons pour interpréter lesgrandes œuvres du répertoire pianistique,nous avons été invariablement inspiré par

cette idée directrice: il ne saurait être question de dis-socier ce que l’on appelle de façon générale la “tech-nique” de notre instrument, le piano, de la musica-lité, du vrai sentiment de la musique et du soin quenous devons apporter à l’interprétation dans lesmoindres détails.

Albeniz a composé la Suite espagnole sur une assezlongue période, environ une dizaine d’années. Tout acommencé par un concert qu’il donna le 24 jan-vier 1886 à Madrid, au cours duquel il joua une Suiteespagnole en trois mouvements: Serenata, Sevillana etPavana-Capricho. Le succès fut tel qu’il décida de com-pléter l’ouvrage. Au fil du temps, Albeniz ajouta despièces jusqu’à en compter huit, et ce n’est qu’en 1901que parut le recueil complet.

Avec cette Suite infiniment poétique et raffinée d’IsaacAlbeniz, plus que jamais peut-être, nous touchons àcette “musique pure” au sein de laquelle aucun effetextérieur n’est de mise. Ici, la notion de technique visi-ble passe au second plan, s’effaçant au profit de la sub-tilité des atmosphères, des méandres de l’âme et del’infinie finesse de cette musique teintée tout à la foisde sensualité, de joie retenue et de nostalgie.

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PÉDAGOGIE

Syncope

Maintenant, cherchons ce qui nous frappe dans lechant de la main gauche. L’un des traits essentiels quenous allons retrouver tout au long de ces pages – pro-fondément essentiel au caractère de cette musique –,c’est la syncope.La syncope est comme un symbole, comme uneimage de ce déhanché de la danseuse provocante quis’approche et s’éloigne alternativement de son cava-lier afin d’aiguillonner son désir.

Heinrich Neuhaus, dans L’Art du piano, écrivait :«Las de revenir toujours sur le sujet rebattu de la syn-cope, j’ai résumé par une plaisanterie enfantine toutà fait appropriée, même pour des adultes, semble-t-il :“Madame Syncope est une personne définie, elle aun visage, une expression, un caractère qu’il est inad-missible de confondre”1.»

Par ailleurs, rappelons toujours la nécessité de «pro-jeter les notes longues», afin que le chant ne s’éteignepas trop tôt. Le son s’éteint naturellement au piano:c’est une raison supplémentaire pour appuyerMme Syncope sur la deuxième croche du temps, afinque le son continue de résonner sous les égrènementsde guitare et ne s’éteigne pas trop tôt. On peut imagi-ner la trajectoire d’une balle qu’on lance en l’air et quidoit retomber suffisamment loin.

☞ N’oubliez jamais d’appuyer sur la syncope !

Dissonances. Comment écouter votre morceau?

Notre premier devoir, comme interprète, est évidem-ment de faire entendre toutes les notes voulues par lecompositeur ; les notes, mais aussi leurs rencontres !Ce que l’on nomme donc les harmonies. Parfois, des

GRANADA (Serenata)Commençons donc par Grenade, aux pieds de l’Alham-bra, capitale de l’Andalousie, l’un des berceaux du fla-menco en Espagne. Sur le mont Sacromonte, célèbrepour ses grottes où les gitans jouaient de leur guitare, ons’enivrait de flamenco. Au 19e siècle, on y assistait aux“zambras”, ces fêtes où régnait l’ivresse de la danse etdu chant, célébrées elles-mêmes depuis le 16e siècle. Laguitare y était reine. Dès lors, rien d’étonnant à ce quecette première pièce débute par ces accords égrenésnonchalamment à la main droite, comme joués par uneguitare. C’est la main gauche qui déclame avec chaleurson chant (exemple 1).

Égrener l’accompagnement

Ne nous y trompons pas: il n’est pas si facile d’arpé-ger régulièrement un accord, sans “bouler” les notes!Veillez tout particulièrement à ne pas presser le pas-sage du quatrième au cinquième doigt. Ce sont cesdeux notes d’aigu, la et do, que nous aurions sponta-nément tendance à jouer presque ensemble. C’estque ces doigts sont naturellement moins agiles. Com-mencez donc par étudier ces accords égrenés de maindroite séparément, afin d’assurer leur régularité par-faite. Il est d’ailleurs utile d’imaginer un tout petit souf-flet allant vers l’aigu, afin que l’on perçoive bien cesnotes jouées par les quatrième et cinquième doigts.Veillez aussi à ne pas garder ces accords coincés aufond des touches. Au contraire, arrachez-les souple-ment, ramenez les doigts. Pour cela, faites un petitmouvement circulaire, en glissant la pulpe sur lestouches, comme si vous vouliez ramener le bout desdoigts vers la paume de la main. Mais surtout, écou-tez la régularité!

☞ Aimez les notes aiguës et écouteztoujours leur clarté, cela développeral’agilité de vos 4e et 5e doigts.

Deux premières mesures de Granada : égrenez l’accompagnement sans bouler les notes aiguës. Appuyez la syncope Exemples musicauxtirés de :Albeniz,Suite espagnoleop.47édition Urtext,G. Henle Verlag,Munich,(édition d’Ullrich Scheideler,doigtés deRolf Koenen)© 2005, avec l’aimableautorisation de l’éditeur.

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rencontres harmoniques sont provoquées par unenote jouée et une note non jouée, mais seulement pro-longée. Les pianistes inexpérimentés ont tendance àécouter surtout les rencontres produites par des notesharmoniques effectivement jouées en oubliant les ren-contres avec les notes qui durent, qui résonnent(retards, anticipations, syncopes, notes décalées…).C’est un principe de base, très simple qui doit vousservir pour toute musique de piano: efforcez-vous depercevoir toutes les rencontres verticales entre lesnotes, pas seulement avec des notes jouées. Autre-ment dit, développez votre écoute harmonique.

Ici, habituez votre oreille aux dissonances: non seule-ment celle qui est formée entre le ré au pouce gaucheet le do au pouce droit, mais aussi entre le fa tenu à labasse, ou le fa dans l’accord de main droite et le mibécarre, deuxième note du triolet. Cela forme une sep-tième majeure, assez dure, et une neuvième mineure,terriblement rêche. Si vous voulez apprendre vite,votre oreille doit bien s’habituer à tous ces frottementsafin, en quelque sorte, qu’elle n’ait plus peur ensuitede la dissonance… En somme, notre oreille ne peut«avancer» vers les notes suivantes que si elle n’a aucun«doute», ni «regret» coupable sur ce qu’elle vientd’entendre. C’est très important (exemple 2).

☞ Lorsque vous apprenez un nouveaumorceau, n’hésitez pas à insister surl’écoute des dissonances produites par lesnotes jouées et les notes prolongées.

C’est l’arpeggiando de la main droite qui donne la régularité du tempo

Ici, naturellement, le chant principal est présenté à lamain gauche et l’accompagnement est dévolu à lamain droite, qui vous donnera la régularité du tempo.Calez-vous en quelque sorte sur la main droite et sursa pulsation pour vous donner la vitesse régulière dumorceau. Bien souvent, le chant représente le “cœur”de la musique. Simultanément, l’accompagnement,avec sa vitesse régulière, en est le pouls, la “raison”.Une belle interprétation ne se laisse pas déborder parle sentiment. Le cœur sent, mais la raison (représen-tée par le tempo régulier) tient la bride et doit maîtri-ser le trop-plein d’émotion.

☞ L’accompagnement, avec sa vitesserégulière, doit maîtriser le temps. Il évite que l’émotion ne débordeanarchiquement.

Où mettre la pédale ?

Que voulez-vous faire avec la pédale? Si vous la gar-dez sur la nouvelle basse, fa, à la troisième mesure ettout en jouant le triolet, alors cela mélangera les deux“fa” dont nous avons parlé avec le mi du triolet ! C’esttrès dissonant! L’autre solution, pour éviter ces frot-tements, est de la mettre après le mi. Choisissez ceque vous aimez à l’oreille, très précisément.Une réflexion soigneuse sur la façon dont nous vou-lons mettre la pédale est toujours source de grandsprogrès. Souvent, la pédale superpose justement desnotes qui forment entre elles des dissonances (parexemple les notes de passage ou broderies avec lesnotes réelles). Notre oreille doit apprendre à assu-mer pleinement ces dissonances, à ne pas en être cho-quée, ou alors, si elles paraissent trop dures, il fautchanger le pied plus subtilement!

☞ Etudiez soigneusement votre façon de mettre la pédale : cela consiste à développer votre écoute harmonique.

Thème nostalgique, Meno mosso, mesure 33

Bien entendu, la tentation serait ici de gloser sur labeauté de ce thème. Mais les mots à cet égard ne sontque de peu d’efficacité. Voyons donc plutôt la parti-tion d’Albeniz.

Construction de l’œuvre

Dans “Granada”, comme d’ailleurs dans tout ce cycle,il est très important de comprendre, à travers les car-rures, la logique du discours, cette histoire qu’on nousraconte, et de faire sentir à l’auditeur que nous avonsnous-même compris. Si nous ne comprenons pas laconstruction de l’œuvre, l’auditeur, intuitivement, leperçoit et se sent mal à l’aise.Albeniz nous montre d’ailleurs lui-même la voie,puisqu’il écrit une double barre, deux fois, pour enca-drer le thème (mesure 37 et mesure 45).Sentez bien et faites sentir ce relâchement de la ten-sion à la fin de la huitième mesure, ainsi que le nou-veau départ au début du groupe suivant. Autrementdit, «ponctuez» votre interprétation (exemple 3)!

☞ La ponctuation musicale est la condition essentielle pour que le discours soit déclamé de façon intelligible et émouvante.

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PÉDAGOGIE

9e mineure

7e majeure

Exemple 2 : la troisième mesure de Granada : les dissonances

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PÉDAGOGIE

Bien entendu, ici aussi, et au risque de répéter unevérité constante pour notre instrument, il faut fairesonner les notes longues dont le son, projeté vers lefutur, ne doit en aucun cas être dévoré par les notesde l’accompagnement.

Synchronisation dans les mordants et autres petites notes

Apprenez également à savoir exactement commentsynchroniser les ornements avec l’autre main. Faitesbien tomber la note d’arrivée du mordant avec la maingauche (ou sur la pulsation, si, comme c’est le cas ici,elle maintient une note prolongée). Procéder ainsidonne souvent plus de vivacité et, précisément, demordant, à la phrase. Néanmoins, chez Chopin, ilarrive que ce soit la “petite” note, ou encore la pre-mière note d’un accord arpégé, que l’on doive jouersur le temps. (Le problème se pose par exemple dansla Barcarolle de Chopin, qui multiplie les ornementsdans un contexte harmonique très fourni.) En tout cas,il faut choisir tout cela très consciemment.

☞ L’écoute des synchronisations est trèsimportante pour la technique du piano. Undéfaut de synchronisation dû à un simplemordant peut engendrer un vrai décalageet, par suite, des problèmes techniques.

Et rappelons encore cette chose importante: ici aussi,dans ce thème de toute beauté, c’est l’accompagne-ment qui doit donner la vitesse de votre déclamation.Le thème est très lyrique et notre cœur bat au son dece flamenco. Mais le risque est de se laisser déborderpar l’émotion. Gardez votre sang-froid. Ne perdezpas le pouls de la musique, cette main gauche synco-pée qui donne ce bercement si nostalgique. Plus cepouls sera régulier, plus votre chant sera émouvant.

Cette mélodie magnifique d’Albeniz s’apparente àce que l’on appelle le cante jondo, le “chant pro-fond”, un type de flamenco très ancien. Quant àl’esprit, écoutons le grand poète Federico GarciaLorca (1898-1936), justement né à Vaqueros, toutprès de Grenade, qui fut un temps le contemporaind’Albeniz (1860-1909) :

«Le cante jondo vient des races gitanes, traver-sant le cimetière des années et les frondes desvents fanés. Il vient des premières larmes et dupremier baiser…»

Quelle plus belle langue que celle-ci pour illustrer lanostalgie de cette mélodie centrale de la “Granada”d’Albeniz?

CATALUÑA (A mi querida madre)

“Cataluña” est, au sein de la série de la Suite espagnole,la première pièce écrite par Albeniz. Elle ne présentepas de difficultés majeures autres que purement musi-cales. Le sous-titre «A mi querida madre» (“A machère mère”) en indique d’ailleurs déjà l’esprit: il doit yavoir beaucoup de tendresse dans le balancement de cethème ternaire. Le travers dans lequel pourraient tom-ber les pianistes inexpérimentés, serait de transformerla croche pointée et la double croche, de défigurer cerythme en raccourcissant la note brève. Donnez bientout son poids à la double croche, ne la raccourcissezpas et commencez-la donc suffisamment tôt. Cela vaut,bien sûr, pour toute musique (exemple 4, page suivante).

☞ Dans les rythmes du type figure pointéesuivie d’une note brève, prenez soin de bien donner tout son poids sonore à la note brève afin que la mélodie ne soit pas avalée.

8 mesures

relâcher repar tir

Exemple 3 : mesures 33 à 48 : racontez une histoire ! Ponctuez votre musique (détendez et diminuez, respirez, puis repartez)

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Apprendre les harmonies

Cela va de soi, il faut apprendre les harmonies.Mesure 39, régalez-vous des saveurs éminemmentravéliennes que l’on entend ici. Mesure 40, n’y a-t-ilpas quelque parenté harmonique avec le début de laPavane de la Belle au bois dormant de Ma mère l’oye,de Ravel (exemple 5)?

Inspirez-vous donc de cet exercice de vocabulairemusical. Il est salutaire : dans les notes queMme Auguste Boissier prenait lors des leçons depiano données par Franz Liszt à sa fille Valérie, elleremarquait : « Il [Liszt] veut qu’on ramène tous lespassages possibles à certaines formules fondamen -tales d’où découlent toutes les combinaisons que l’onrencontre2…»

☞ Plus notre vocabulaire de formulesmusicales (cadences, harmonies,tournures typiques d’un compositeur) est étoffé, plus nous apprenons vite.

A ce propos, Albeniz a toujours soutenu avoir ren-contré Liszt en 1880 à Budapest et avoir été encou-ragé par le Maître. Nous savons aujourd’hui que cetterencontre n’eut pas lieu (voir p. 45).

Attention à la main gauche !

Revenons à la partition. A la mesure 47, le thème de“Cataluña” réapparaît, accompagné d’une maingauche très fournie, indéniablement difficile. Com-ment la jouer ? D’abord, soyez très exigeant avecvous-même pour les doigtés (exemple 6).Ensuite, le plus important est de bien balancer lamain par temps, surtout sans écraser chaque note, nivous crisper le moins du monde, pas plus les doigts

que le poignet. Pour cela, il faut vous concentrer pourrelâcher et débloquer complètement le poignet avantla première double croche de chaque temps (à 6/8).En effet, relâcher ce poignet avant le temps est lacondition pour que notre main puisse ensuite pesersur la note du temps (qui est aussi la première notede chaque petit phrasé).Ajoutons que, parfois, ce très léger geste du poignetdoit s’effectuer sur une touche noire (en hauteur). Il

PÉDAGOGIE

72 • PIANO n°23 • 2009-2010

harmonies ravéliennes

Exemple 5 : mesures 39 à 41 de Cataluña comparées avec le début de la Pavane de la Belle au bois dormant de Ma mère l’oye de Ravel

Pavane de la Belle au bois dormant

Prima

Secunda

Exemple 4 : ne raccourcissez pas la double croche et donnez-lui son poids (comme dans le mot : « Klem-pe-rer ! »)

sans raccourcir

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PÉDAGOGIE

est donc moins aisé à exécuter, car il faut auparavantremonter encore un peu plus haut.La souplesse du poignet est vraiment l’un des élé-ments majeurs de la technique du piano. Mais c’est làun élément qui n’est pas mécanique. Le mouvementdu poignet est profondément lié à la musicalité: à lanuance, à la phrase, à l’accentuation, au rythme. Ajou-tons que, bien évidemment, ces gestes doivent êtreminuscules, à peine perceptibles à l’œil nu (exemple 6).

☞ Il est capital, d’une manière générale, de garder le poignet toujours souple etdisponible pour le mouvement, relâché.Bloquer le poignet avant une noteimportante, c’est être sûr de l’étrangleravant même l’émission du son.

SEVILLA (sevillana)La danse sévillane remonte aux origines du flamenco.Comme toute danse espagnole, elle représente plusou moins une métaphore du jeu amoureux entrel’homme et la femme, cette ambiguïté du rapproche-ment et de l’éloignement.Commencez par repérer le mouvement des voix, les-quelles progressent en mouvements tantôt contraires,tantôt parallèles. Pourquoi est-ce si important? Parceque nos mains, sur le clavier, sont en quelque sorteinversées (aller vers les aigus, c’est aller vers le petitdoigt à la main droite, mais vers le pouce, à la maingauche). En conséquence, notre cerveau répugne, parexemple, à jouer le mouvement parallèle, car celarevient à aller dans le même sens pour les notes, maissans utiliser les mêmes doigts. De là les antiques exer-cices de Hanon pour développer cette capacité du cer-

veau et nos réflexes. Mais il vaut tellement mieux jouerla Suite espagnole, en réfléchissant à ces mouvementsde voix!Ici, apprenez d’abord la partie médiane d’alto, enremarquant le mouvement qu’elle réalise avec la basse:ce mouvement est-il parallèle ou contraire (exemple 7)?

Ensuite, intégrez le mouvement parallèle entre lesparties extrêmes: basse et chant aigu.Voyons maintenant, encore plus subtilement, le mou-vement des doigts eux-mêmes : la partie d’alto n’estpas aisée, car elle contraint le pouce à jouer plusieursnotes à la suite. Examinez aussi le tout petit mouve-ment qui doit être effectué par le deuxième doigt,entre le deuxième et le troisième temps. Il doit passerdu mi bémol au fa dièse très rapidement. Puis se rele-ver vite de la touche, car ce même fa dièse doit êtreimmédiatement répété. Hélas, nous n’avons vraimentpas beaucoup de temps pour cela! Voilà aussi le genrede choses que vous pouvez minutieusement analyserafin d’apprendre sans perdre de temps, d’acquérirrapidement le morceau “dans vos doigts” (exemple 8).

☞ Observez bien le mouvement que doiteffectuer chaque doigt d’une note à l’autre. Réfléchissez le plus possible au lieu de répéter pour rien !

L’élément rythmique de la danse

On trouve dans “Sevilla”, bien évidemment, une bassetrès dansante, presque syncopée, avec un appui par lanoire sur le troisième temps. Exercez-vous beaucoup àexécuter cette main gauche seule, avec son rythme bienrégulier et balancé. Il y a un secret: rebondissez avec ledoigt sur le deuxième temps, afin de pouvoir reprendre

peser alléger peser alléger

Exemple 6 : mesures 47 à 49 de Cataluña : une main gauche fournie ; alléger pour le son et pour le poids (sensation)

Exemple 7 : premier système de Sevilla : effectuez les déplacements avec les plus petits mouvements possibles des doigts

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de la hauteur au-dessus des touches. Il faut à tout prixéviter de s’engluer au fond de la touche (exemple 9).

☞ Quand le rythme est dansant et vif, sachez utiliser le rebond du doigt, qui nous permet de reprendre de la hauteur et d’aller vite nous placer sur les notes suivantes.

Pédale de tonique

Il y a ici un élément important du discours harmo nique:il s’agit de la pédale de tonique sol, à la basse. Elle vadurer jusqu’à la modulation en si bémol, mesure 11,tandis qu’au-dessus, Albeniz écrit l’accord de domi-nante. Mozart lui-même superpose très souvent, dansses cadences, cette basse tonique et l’accord de domi-nante. La fonction dominante est en quelque sorte enretard pour sa résolution. Il faut bien faire entendre ceriche frottement des deux fonctions. Mais ici, étantdonné que l’écartement est grand pour notre maingauche, la tendance serait de ne pas répéter cette notede basse. Veillez à bien répéter ce sol grave. Ecoutez etgoûtez bien cette richesse harmonique!

☞ Faites entendre les fonctions harmoniquesqui se superposent les unes aux autres.Ne négligez pas cette richesse !

Une écoute très détaillée

Nous en avons parlé à propos de la mesure 3 de “Gra-nada”. Ici aussi, il faut évidemment écouter très endétail les moindres rencontres de notes, par exemple,mesure 4, le triolet de doubles croches qui crée un“trois pour deux” avec la main gauche. Ce décalagecrée de nouvelles rencontres harmoniques. Intégrezbien dans votre oreille toutes les minuscules ren -contres harmoniques (en particulier dissonantes) quece rythme décalé produit (exemple 10).

☞ Habituez votre oreille à toutes lesrencontres harmoniques. Détaillez votreécoute, vous gagnerez un temps infini.

Modulation

Maintenant, dans la deuxième page, mesures 31 à 32,sentez la façon dont module Albeniz. Comment passe-t-il d’une tonalité à l’autre? Il expose un accord com-prenant un mi bémol, avant d’aboutir en ré. Nouscroyons aller vers ré mineur, avec une harmonie napo-litaine du deuxième degré. N’est-ce pas profondémentmélancolique? Mais, ô surprise, nous arrivons sur un rémajeur lumineux. Voilà tout le génie. Albeniz nous ditici, en quelque sorte, que rien n’est jamais définitive-ment acquis ni perdu, ni dans la vie ni dans la musique(pas plus la joie que la peine!). Ainsi, par ces moyensharmoniques, la musique se fait le miroir de la vie.

☞ Considérez toujours le mécanisme parlequel le compositeur module. Commentfait-il pour passer d’une tonalité à l’autre?

CADIZ (saeta)Descendons maintenant encore plus au sud de l’Es-pagne, en dessous de Séville, à Cadix, non loin dudétroit de Gibraltar. Comment apprendre cette nou-velle mélopée imbibée de soleil et de déhanchementsprovocants ? Avant d’aborder la Belle de Cadix3,comme toujours, procédons par étapes. N’en est-ilpas de même pour toute démarche de séduction?Par quoi commencer ? Je dirais : par la vision d’en-semble (tout déchiffrer en entier), puis, avant d’entrer

PÉDAGOGIE

Exemple 9 : mesures 3 et 4 de Sevilla : respiration et rebond de la main gauche

22(5)

Exemple 8 : le 2e doigt passe très vite du mi bémol au fa dièse

74 • PIANO n°23 • 2009-2010

Exemple 10 : mesure 4 : le trois pour deux génère quatre rencontres harmoniques à lui seul

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PÉDAGOGIE

PIANO n°23 • 2009-2010 • 75

dans le détail, découper notre musique par fragments,par carrures de mesures correspondant à la logiquede la composition (exemple 11).

☞ Commencez toujours par une visiond’ensemble. Voyez les grands blocs de thèmes et de tonalités.

Thème, main droite

Détaillons à présent le thème lui-même. Ce qui nousfrappe, là encore et avant tout, c’est la syncope aumilieu du deuxième temps. Elle est la petite cellulede base de ce morceau, le clin d’œil provocateur quidonne toute la sensualité à ce thème.Si nous utilisons un mauvais geste pour l’exécuter,même si l’intention musicale est bonne, nous ne pour-rons pas jouer! Si l’on veut faire sonner le deuxièmetemps (comme nous l’avons expliqué à propos de“Cataluña”), il faut impérativement relâcher le poi-gnet, le laisser remonter de façon naturelle avant dejouer la note forte (je dis à mes élèves de “dévisser lepoignet”: on peut imaginer de dévisser un petit bou-lon imaginaire sur le côté du poignet).Si vous bloquez le poignet sur le premier fa, avantla note forte, jamais vous ne pourrez donner suffi-samment de son à cette syncope. En réalité, commele disent les philosophies asiatiques, il faut beau-coup plus d’énergie intérieure pour dominer notrepuissance, notre force, que pour les laisser nousdéborder.Liszt lui-même tenait énormément à cette souplessedu poignet. «Il veut qu’on joue entièrement et sansexception du poignet, en faisant ce qu’on appelle“main morte” sans que le bras y entre pour rien, maisqu’à chaque note la main tombe du poignet sur lanote, comme par un mouvement élastique4.»

dissonances

Exemple 11 : les deux premiers systèmes de Cadiz : détendez complètement le poignet avant chaque syncope

☞ Bloquer votre poignet avant une noteforte, c’est comme vouloir crier alors qu’on vous étrangle !

De même, dans la deuxième mesure du thème,mesure 6, il faut appuyer ce la blanche qui bénéficiedu soufflet sur le deuxième temps. Mais il y a unpiège, car cette note longue est sur une touche noireet non sur une blanche. Ainsi, sentez qu’il faut mon-ter au deuxième étage du clavier pour le faire sonneret qu’a priori, cela n’est pas naturel.Ainsi, comme le dit encore Neuhaus, pour bien jouer,il faut connaître la musique, connaître notre corps,mais connaître aussi l’instrument piano.

☞ N’oubliez pas qu’il est moins naturel de jouer une note forte lorsqu’on va d’unetouche blanche (basse) à une touche noire(haute), car alors l’attraction terrestrecontredit le transfert du poids.

Synchronisation des deux mains

A l’évidence, dans la deuxième mesure du thème,mesure 6, nous voilà confrontés à un problème, lesdeux rythmes de gauche et droite. Soyons pragma-tiques, écoutez bien: vous faites tomber le la doublecroche d’aigu entre le la et le ré du triolet de maingauche. En réalité, ce n’est qu’un trois pour deux.La solution, pour rendre ce rythme (nous l’avons déjàsouligné pour “Sevilla”), est d’écouter absolumenttoutes les rencontres harmoniques, y compris cellesqui sont créées par le décalage des notes. Par exem-ple, dans la mesure 8, il faudra s’habituer à écouter ladissonance du si prolongé à droite, avec le la, puis ledo, à gauche. Cela fait infiniment plus de rencontresde sons que les simples notes jouées ensemble!

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Mettre la pédale. Nous avons trois mains !

Par ailleurs, il est un troisième personnage dont nousdevons tenir compte dès le début, pour apprendre: lapédale. Rien ne dit que, lorsque nous devons appuyerfort une note, et nous servir de la pesanteur de hauten bas pour la faire sonner, il faut avoir un mouve-ment réflexe dans le même sens et simultanémentécraser le pied sur la pédale! C’est même souvent lecontraire. Voyez comme, ici, les gestes sont contradic-toires entre la main et le pied.Il faut par exemple, mesures 7 et 8, garder le piedenfoncé, tandis que la main gauche joue des notesdétachées. Au contraire, entre la mesure 7 et lamesure 8, il faut solidement tenir le chant pour jouerlegato (pendant que la gauche détache des notes),mais en revanche, il faut changer la pédale, donc,remonter le pied. Main droite… main gauche…pied… Quelle synchronisation compliquée de gestesà première vue antinomiques! Mais tous ces détailsdoivent être bien assimilés par notre corps si nousvoulons faire sonner ce thème de “Cadiz”.

☞ Faire un geste à une main, un geste différent à l’autre main, puis un troisième avec le pied, est une coordination physique difficile et complexe ; il faut s’y entraîner dès le début.

Legato par une seule voix, celle qui est possible

Il est aussi très utile de savoir lier un chant par uneseule des parties en présence, lorsque ce n’est paspossible avec les autres parties. Ici, liez les octavespar la partie supérieure de l’octave. Ce cas de figurese présente sans cesse dans la musique (voyez l’étude

PÉDAGOGIE

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en tierces de Chopin, les études en sixtes, en octaves,sans parler de la deuxième étude de l’opus10 avec leschevauchements des doigts “faibles”).

☞ Dans un chant à plusieurs voix liées,(utilisant beaucoup le pouce, par exemple), apprenez à lier parfaitement avec une partie et acceptez de ne pas le faire avec les autres.

La main gauche

Stravinsky disait qu’il y avait trois choses importantesen musique: «Sincerity, sincerity and sincerity.» Sousforme de boutade, nous pourrions transposer et ajou-ter que, sur le plan technique (et celui de la mémoire),il y a trois choses qui sont indispensables pour quenous soyons sûrs de notre jeu : «La main gauche, lamain gauche, et encore la main gauche !»… Ici,connaissez parfaitement votre main gauche sur tousles plans ; que ce soit pour le contenu (les notes, l’har-monie…), mais aussi pour le “comment” la jouer :les accents très particuliers, les nuances, la façon demettre la pédale ! Bref, rendez toujours belle etvivante la main gauche!Par ailleurs, faites très attention à ses doigtés :mesure 8, par exemple, portez grande attention audoigté qui utilise le 3e doigt dans l’accord de ladeuxième croche du deuxième temps; il est indispen-sable pour préparer la main à jouer la suite.

☞ Veillez à toujours rendre la main gauchemusicale et belle par elle-même, à la savoir parfaitement par cœur, et respectez scrupuleusement le doigté.

Le soin des détails

Voilà, dans l’ensemble, tout ce qu’il faut pour bienjouer ce thème, avec précision. Cela fait beaucoup!Mais on peut ajouter que plus on avance dans la pré-paration d’une belle exécution, plus on doit entrerdans les détails pour savoir comment toucher et faireentendre chaque note. Avez-vous le trac ? Si vous faites ce travail minutieux et très conscient pourchaque note, au moment de jouer, votre trac vousparaîtra beaucoup plus maîtrisable, car, vos sensa-tions ayant été musicalement travaillées, elles vien-dront vous porter secours, même si, intérieurement,vous ressentez de l’angoisse, voire une pure et sim-ple panique.

☞ Aucun détail n’est infime pour le musicien. C’est l’équilibre entre la vision d’ensemble et le soin des détails qui fait un grand interprète.

La Schola CantorumFondée en 1896

Rentrée 2009 / 2010Département Piano

Cours réguliers – Master-classes – Perfectionnement

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Tel : 0143545674 – Fax : 0143297870www.schola-cantorum.com – [email protected]

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PÉDAGOGIE

ASTURIAS (leyenda)

Nous voici remontés dans le nord de l’Espagne, dansla principauté des Asturies.Transcrite pour guitare par Andres Segovia, cettepièce célébrissime a été rendue universellementpopulaire par ce grand artiste. La version pour l’ins-trument à six cordes est peut-être encore plus connueque l’originale pour piano conçue par Albeniz. Aucœur de cette musique hypnotique, détachée et obsé-dante, à mon sens, c’est la mort qui est à l’œuvre; soncaractère fatal et implacable, matérialisé par le tempo,doit obséder l’auditeur. Autant dire que l’exécutionde cette pièce ne souffrira pas la moindre erreur d’an-ticipation ni de mémoire, faute de quoi, tout sonimpact serait perdu.

Un poème célèbre peut sans doute illustrer opportu-nément l’esprit de cette musique: l’ode funèbre inti-tulée: Llanto por Ignacio Sanchez Mejias composéepar Federico Garcia Lorca. Au travers de cetteœuvre, Lorca pleure l’un de ses amis, torero mortdans l’arène. Il conte l’histoire de ce jeune hommequi expira après deux jours d’agonie, à la suite d’uncoup de corne reçu dans les arènes de Manzanarès.C’était à cinq heures du soir (« A las cinco de latarde»), heure fatidique de la tombée du jour (Schu-mann ne disait-il pas lui-même : « Il faut créer pen-dant qu’il est encore jour»)?Voici un extrait du poème de Lorca:

A cinq heures du soir.Il était juste cinq heures du soir.Un enfant apporta le blanc linceulA cinq heures du soir.Le panier de chaux déjà prêtA cinq heures du soir.Et le reste n’était que mort,Rien que mort à cinq heures du soir…Le glas commença à sonnerA cinq heures du soir.Les cloches d’arsenic et la fuméeA cinq heures du soir.Dans les recoins, des groupes de silenceA cinq heures du soir.Et le taureau seul, le cœur offert !A cinq heures du soir.Quand vint la sueur de neigeA cinq heures du soir,Quand l’arène se couvrit d’iodeA cinq heures du soir,La mort déposa ses œufs dans la blessureA cinq heures du soir.A cinq heures du soir.Juste à cinq heures du soir5.

Ce poème est naturellement symbolique de notrepropre mort.

Comment aborder ce chef-d’œuvre ?

Tout d’abord, déchiffrez en entier pour vous faire uneidée de la difficulté. Mais surtout, ne jouez pas tropvite! Ne vous laissez en aucun cas aller au plaisir facile,à vous griser de l’apparente facilité technique, du faitqu’il y a peu de notes. L’essentiel est l’anticipation, lavision et “l’écoute à l’avance” de la musique.Cela ne pourra s’acquérir que par un patient et trèsprudent travail de compréhension de la logique et descarrures musicales, dès le début. Voyez tout de suiteles brusques tournants décisifs dans le développementdu motif, ou ses irrégularités, qui font tout le géniepar lequel Albeniz développe la cellule de base.Voyez, par exemple, la mesure 4 : Albeniz écrit à labasse trois notes: la-si-do.Notre inconscient, lorsque nous repartons sur le mêmela, a fortement tendance à vouloir répéter cette mêmefigure: trois notes, la-si-do. Or, Albeniz, fait volte-face:il n’écrit que deux notes: la-si, afin tout simplement deretomber juste, de pouvoir réexposer le thème sur lepremier temps de la mesure suivante. Comme tout vatrès vite, il est indispensable que nous ayons bien ana-lysé cela afin d’acquérir les bons réflexes (exemple 12).

De même, comparez la mesure 11 et la mesure 15. Cesont des mesures qui sont à la même place, mais voyezoù se trouve le changement: la sur la deuxième bassela première fois, mais do sur la deuxième basse ladeuxième fois.Voilà le genre de travail par lequel il est indispensablede commencer pour apprendre “Asturias”. Sans cela,nous risquons fort de nous embrouiller dans cettefigure hypnotique qui tourne sans cesse autour d’elle-même, avec un caractère implacable et terrifiant.

Contrôle du rythme

Par ailleurs, il faut, bien entendu, garder un tempotrès fixe et immuable. Or, ce qui nous échappe la plu-part du temps, ce sont les temps faibles. Surveillezspécialement ceci : que vous entendez et contrôlezbien le son sur chaque pulsation, en particulier sur lestemps faibles. Ils ne doivent pas vous échapper. Legrand pianiste Dinu Lipatti, attachait, dit-on, beau-coup d’importance à ces temps faibles.

☞ Dans un tempo implacable et rapide,surveillez spécialement les notes qui tombent sur les temps faibles.

Retour du début, enrichi. Accords lointains à atteindre vite

A partir de la mesure 17 le motif du début revient,mais il est cette fois étoffé par les octaves. Il ne va ces-ser ensuite de bénéficier d’une texture de plus en plus

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riche, en particulier grâce à ces accords qu’il fautaller chercher très loin sur le clavier et qui représen-tent de grands déplacements. Il faut aller cherchertrès vite ces accords, extrêmement distants, vers legrave pour la main gauche et vers l’aigu pour la maindroite. Cela représente une vraie difficulté technique(exemple 13).

Il faut pourtant que l’auditeur soit brutalement saisid’horreur par ces accords : une fois les banderillesplantées dans le dos de l’animal, on peut imaginer lespremiers coups de corne du taureau furieux qui faitmouche, engageant subitement le processus mortelpour le torero. Ces accords sont là pour nous surpren-dre. Ils illustrent l’accroissement brutal du drame, lamort qui s’avance. C’est dire s’il importe de ne pas lesrater! Le poème de Lorca suggère l’image:

Et la cuisse avec la corne désoléeà cinq heures du soir.Le glas commença à sonnerà cinq heures du soir.

Pour que votre corps, que votre bras prennent bienl’habitude de ces déplacements, il est essentiel de vouscontraindre à jouer toutes les notes de ces accords trèsensemble, parfaitement synchronisées à l’oreille. Eneffet, pour jouer toutes ces notes très ensemble, vousserez également forcés de déplacer tout votre bras àl’avance pour vous positionner, vous placer très vite(au dixième de seconde près!), juste au-dessus de l’ac-cord avant de l’attaquer verticalement.Autrement dit, la technique sera ici une conséquencede votre exigence à l’égard de vous-même, de votrediscipline dans votre façon de vous entraîner. Toutetechnique du déplacement procède, bien entendu, del’acquisition d’un réflexe et de la mémoire du corps,mais cette mémoire vient d’elle-même si elle est lerésultat d’une volonté musicale très rigoureuse.C’est d’ailleurs là, de mon point de vue, l’un desgrands principes généraux de la technique pianis -tique: il faut avoir un très haut degré d’exigence avecsoi-même sur la qualité et la précision de ce que nousvoulons entendre.

PÉDAGOGIE

deux fois trois fois

et repar t comme au début

change puis : trois notes, deux notes (pour retrouver la mesure)

change

une fois

exemple 12 : trois premiers systèmes d’Asturias : repérez comment la musique est “fabriquée”

Exemple 13 : mesures25 à 27 d’Asturias : attaquez verticalement à la dernière seconde. Synchronisez vos harmonies !

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PÉDAGOGIE

En ce sens, la technique ne se voit pas vraiment, ellen’est pas extérieure à nous, elle réside plutôt dans ladiscipline que nous nous imposons quotidiennement.

☞ Même lors de grands déplacementslatéraux, veillez à la synchronisationabolue des accords et donc à la verticalité.

Une autre considération pour réussir ces déplace-ments lointains a déjà été exprimée: ne boulez pas letroisième temps, le temps faible, qui les précède.Ecoutez les troisièmes temps et vous ne raterez pasces accords.Enfin, gardez le buste bien droit et surtout évitez detrop vous pencher vers l’avant et de faire des mouve-ments parasites, qu’ils soient du buste ou de la tête.Cela vous empêcherait d’évaluer correctement les dis-tances. Liszt insistait beaucoup pour que ses élèvesmaintiennent la tête droite: «Il veut que le corps soitdroit et la tête plutôt en arrière que baissée. Il exigecela impérieusement6.»

Pour résumer, “Asturias”, sur le plan technique, pro-cède principalement de ces deux difficultés: compren-dre la construction thématique pour pouvoir l’anticiper,et se placer très à l’avance sur les grands déplacements,en écoutant la rigoureuse simultanéité des harmonies.

ARAGON (fantasia)La province d’Aragon est située au-delà des Pyré-nées, à l’ouest de la Catalogne.

Mêmes notes ensemble aux deux mains

Avec le début de cette pièce, voici un exercice deHanon, mais un Hanon de génie! Le thème est dou-blé, joué parallèlement par les deux mains. Ne vaut-ilpas mieux jouer cette belle musique que des exercicesarides? L’écriture, qui dépeint une jota de cette pro-vince, est d’ailleurs l’une des plus pianistiques de cerecueil qui, par ailleurs, évoque tellement la guitare.Ici, l’exercice est en l’occurrence non seulement des-tiné aux doigts, mais surtout à l’écoute! Il est en effetassez difficile de percevoir des notes semblables, quece soient les mêmes notes jouées aux deux mains àdistance d’une ou deux octaves, ou des octaves jouéespar une seule main. Concentrez-vous sur le timbreparticulier de chacune. Le grave n’a pas le même tim-bre que l’aigu. Ecoutez leur synchronisation parfaite.N’hésitez pas à répéter plusieurs fois les notes verti-calement, exactement comme un sculpteur qui peau-fine avec des petits coups de burin la forme dans lapierre : sculptez aussi votre sonorité verticalement.(Pensez à l’accordeur, qui répète plusieurs fois lamême note, afin d’entendre son battement.)

Exemple 14 : mesures 5 à 8 : voyez comme un grand compositeur “brise” parfois la mesure

4 croches, afin de retomber dans la mesure

Exemple 15 : mesures 21 à 24 : cherchez le mode andalou et mettez-le dans votre oreille d’abord sous sa forme la plus simple

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☞ Entraînez-vous à répéter plusieurs fois un même accord ou des doubles notesafin de bien percevoir le dosage et la synchronisation des sons.

Mesure 5 : oublier la mesure

Mesure 5, Albeniz brise la mesure. Il écrit non pluspar mesure ou deux mesures, mais bien par deuxtemps! Voyez la symétrie, et ne soyez jamais esclavede la mesure. Bien souvent les compositeurs écriventprovisoirement contre la mesure pour donner de ladiversité, pour éviter la monotonie (c’est souvent ceque font Schumann et Brahms) (exemple 14).

☞ Sachez vous affranchir des barres de mesure lorsque le motif estcontradictoire avec celles-ci.

Le passage en mode andalou

Les mesures 21 à 24 sont une sorte de parenthèse,plus douloureuse ou inquiétante, au sein de la gaietéde l’Aragon (exemple 15).Cela s’exprime par le mode qui est inhabituel et nousdéstabilise. Il s’agit du mode andalou comprenant unetierce majeure ou mineure (ici mi bémol ou mi bécarre)et un second degré à distance de seconde mineure.Ce mode très typique peut contenir la seconde aug-mentée (ici : ré bémol-mi bécarre qui donne cet aspectsi oriental). Jouez séparément pour vous mettre celadans l’oreille, c’est essentiel pour apprendre ce pas-sage: do-ré bémol-mi bécarre (ou mi bémol), fa, sol,la-bémol, si-bémol, do.

Un mode est comme une couleur, un nouveau lan-gage. Que l’on travaille Debussy ou Ravel, et singuliè-rement Messiaen, il est essentiel d’identifier lesmodes employés dans leur forme la plus simple et deles jouer à part pour s’y habituer.

☞ Nous sommes très habitués, de manièregénérale, à la musique tonale. Maishabituez-vous aussi à la musique modale.

CASTILLA (seguidillas)Voulez-vous apprendre immédiatement ce début? Iln’y a que deux notes à apprendre: fa dièse, qui est unretard harmonique, et la sensible mi dièse, qui vientensuite dans la mesure 3 (exemple 16).

Castagnettes

Pour apprendre “Castilla”, l’essentiel est de bienentendre et sentir la couleur très caractéristique ettrès espagnole de deux belles harmonies qui vontrevenir sans cesse tout au long de ce morceau: l’ac-cord de quinte et sixte : fa dièse-do dièse-ré dièse(mesure 5); l’accord de neuvième majeure renversée:sol dièse-do dièse-ré dièse-mi dièse-si (mesure 7).

Apprenez par cœur ces deux accords. Ces harmoniespleines de couleurs sont transposées dans de nom-breuses tonalités. Il deviendra ensuite un jeu d’enfant,de les repérer: en fa dièse au début, puis en do dièsemesures 31 et 32, en la majeur, mesure 57, en rémineur, mesure 61, en mi mineur, mesure 65, en domajeur, mesure 70.

☞ Exercez-vous séparément aux mêmespassages ou aux mêmes accordstransposés, mais qui, du fait des touchesblanches et noires, n’ont pas le mêmerelief sur le clavier.

Si vous vous exercez sur tous ces passages à part, celavous donnera du même coup une mémoire des tona-lités, aussi une mémoire visuelle, bref une mémoirede construction du morceau. Cette mémoire-là est laplus fiable (exemple 17).

PÉDAGOGIE

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Exemple 16 : début de Castillas : écoutez le fa dièse qui est un retard, puis sa résolution sur le mi dièse, lui-même “note sensible”

Exemple 17 : deux accords des mesures 5 et 7transposés dans quelques-unes de ces tonalités

mes.5 : harmonie de faavec une 5te et une 6te

mes.7 : harmonie de 9e majeuredeuxième renversement

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PÉDAGOGIE

“Castilla” n’est pas vraiment difficile. Une fois ceséléments identifiés, qu’est-ce qu’apprendre, dans unpremier temps? C’est essentiellement apprendre lesenchaînements d’harmonies. Comme pour toutes lesautres pièces, sentez le mouvement parallèle oucontraire des voix.

☞ Pour apprendre une œuvre, assimilez les enchaînements d’accords,sentez et écoutez les attractions des notes entre elles, demandez-vous : « Où va chacune, où se dirige-t-elle?»

De l’électricité dans les doigts

Comme dans “Granada”, pour égrener avec préci-sion et énergie ces nouveaux accords de guitare, utili-sez la préhension des doigts. Ils doivent se repliervivement vers la paume de la main, comme si l’onpressait un fruit. Ce geste les rend sensibles et stimulela sensation des pulpes des doigts.

Les notes identiques

Enfin, Castilla nous donne l’occasion de rappelerencore une fois ce conseil : lorsque des notes sembla-bles doivent être rejouées, surtout, veillez toujours àne pas rester coincé dans le fond des touches. Laissezla touche remonter librement et rapidement jusqu’enhaut, afin que la note puisse rejouer. On n’a pas beau-coup de temps! Mais, dans cette séguidille, c’est celaqui fait tout le chic : ces notes répétées. Ce sont ellesqui évoquent les castagnettes.

☞ Sentez la note remonter sous votre doigtlors des notes répétées.

CUBA (capricho)

La Suite espagnole se termine par Cuba, qui faisaitpartie de l’Espagne à l’époque où Albeniz l’a compo-sée. C’est pourquoi on la retrouve ici.Le thème si heureux et teinté de plénitude de cecapricho n’est pas si facile, ne serait-ce que par le faitdu chevauchement des mains. Commencez par bienjouer la main droite, en respectant les doigtés qui per-mettent la liaison de ces octaves par la partie du haut.Cela est essentiel. De même, pour la main gauche, lesdoigtés permettent de préparer la position suivante.Les doigtés, ici, sont particulièrement importants(exemple 18).

Puis jouez les deux mains ensemble. La difficultévient aussi du sol de main gauche qui doit à la foisêtre rejoué très vite par les deux mains et être tenucomme une note longue. Comment faire? Vous devezà nouveau placer votre pouce gauche sur ce sol aprèsl’avoir joué avec la main droite, afin qu’il se prolonge.Disposez-le sur sa pointe, le plus possible vers le cou-vercle du piano.Cependant, l’une des difficultés principales, ici, etcomme je l’ai souvent dit pour toute cette œuvre, est deconcilier l’aspect si évidemment mélodique, lyrique ethorizontal de cette magnifique mélodie, et l’exigencede verticalité requise néanmoins, à cause des octaves,des synchronisations ou des décalages entre les deuxmains.

☞ Même si vous sentez la courbe mélodique, surveillez la synchronisationverticale de votre musique.

Exemple 18 : début de Cuba : doigts longs sur les touches noires, doigts courts sur les blanches. Il y a moins de trajet à faire !

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Jouez tout cela très soigneusement et prudemmentau début. Sans faire la moindre faute. Commentpourrions-nous développer une mémoire musculairesatisfaisante si, une ou deux fois sur trois, nous chan-geons de doigté ou de liaison, de pédale, d’accentua-tion. Petit à petit, le corps intègre les sensations.Encore faut-il que ce soient les bonnes!

Enfin, un dernier conseil qui paraîtra cocasse et quin’en est pourtant pas moins fondamental. N’oubliezpas que tout ce que l’on répète s’apprend, les bonnescomme les mauvaises choses; en conséquence, exer-cez-vous au tempo que vous pouvez mais…

☞ Ne faites jamais de fautes !

CONCLUSIONLa Suite espagnole d’Albeniz est un kaléidoscope decouleurs harmoniques et de saveurs écrasées de soleil.Timbres, dissonances savamment dosées et rythmessyncopés y tiennent une place importance. Pourapprendre cette œuvre, il faut bien sûr faire un grandeffort de concentration, de mémoire et d’intelligence.

Mais cette œuvre est d’une telle beauté qu’il faut aussi,surtout, beaucoup d’amour pour la jouer. «La solitudequi enveloppe les œuvres d’art est infinie et il n’estrien qui permette de moins les atteindre que la cri -tique. Seul, l’amour peut les appréhender», disaitRilke en 1903 à son jeune poète, Franz Xaver Kappus.Quelques grands principes de technique et deméthode peuvent nous aider à aborder une aussi bellemusique et nous faire gagner du temps pour l’étude.Il y va donc de notre dignité d’artisan de la musiquede les connaître et de nous en servir à bon escient,avant même de devenir cet artiste qui fera chanter lecœur de l’Espagne.

Alexandre Sorel

notes1 Heinrich Neuhaus, L’Art du piano, Paris, Van de Velde 1971, p. 61.2 Mme Auguste Boissier, Liszt pédagogue, Paris, Honoré Champion,

1993, p. 78.3 L’expression fait allusion à l’opérette, La Belle de Cadix,

de Francis Lopez, donnée à Paris au lendemain de la Libération, avec Luis Mariano dans le rôle-titre.

4 Mme Auguste Boissier, Liszt pédagogue, Paris, Honoré Champion,1993, p. 48.

5 Traduction originale du poème en français ; Sylvie Corpas et NicolasPewny (traduction agréée par la Fondation et les héritiers de GarciaLorca).

6 Mme Auguste Boissier, Liszt pédagogue, Paris, Honoré Champion,1993, p. 16.

PÉDAGOGIE

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Music – Our Passion.Isaa

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Suite espagnole op. 47Ed.: Scheideler · Doigtés: Koenenbroché HN 783 € 18,—«Ferme-t-on les yeux que l’on sesent pris de ver-tige sous l’effetd’une pareille richesse d’inven-tionmusicale.» C’est Claude Debussy lui-même qui s’exprime avec un tel enthousiasme au sujet d’Albéniz, le cofondateur du style national espagnol. La «Suite espagnole» pour piano est sans nul doute sa composition la plus populaire. Elle reflète comme à travers un kaléidoscope les rythmes et mélodies de diverses régions d’Es-pagne, et même Cuba est représenté à travers la dernière pièce. Le si populaire «Asturias» est également inclus à la collection.

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