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Tribunal administratif Numéro 37281 du rôle
du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2015
Ire chambre
Audience publique du 3 février 2016
Recours formé par
Monsieur ...et consort,
…,
contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile
en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37281 du rôle et déposée au greffe du tribunal
administratif le 14 décembre 2015 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour,
inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …
(Kosovo), et de Madame ..., née le … à … (Kosovo), tous deux de nationalité kosovare,
demeurant ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de
l’Immigration et de l’Asile du 4 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé de leurs
demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la
réformation de la décision du même jour portant refus de leur accorder le statut de la
protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la
même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal
administratif en date du 23 décembre 2015 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Ardavan Fatholahzadeh déposé au greffe du
tribunal administratif en date du 7 janvier 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et
Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives.
Le 21 août 2015, Monsieur ...et Madame ..., ci-après désignés « les consorts …-... »,
introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et
européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai
2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-
après « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations des consorts ...-... sur leurs identités et l’itinéraire suivi pour venir au
Grand-Duché de Luxembourg furent actées dans un rapport du service de police judiciaire,
2
section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, du même jour,
conformément à l’article 8 de la loi du 5 mai 2006.
Le 4 novembre 2015, Madame ... fut entendue par un agent du ministère des Affaires
étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se
trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Monsieur ...fut
entendu pour les mêmes raisons en date des 4 et 25 novembre 2015.
Par décision du 4 décembre 2015, notifiée par courrier recommandé expédié le
7 décembre 2015, le ministre de l’Immigration et d’Asile, désigné ci-après par « le ministre »,
informa les consorts ...-..., qu’il avait été statué sur le bien-fondé de leurs demandes de
protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1)
a), et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leurs demandes avaient été refusées comme non
fondées tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2015, les
consorts ...-... ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée
du ministre du 4 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection
internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même
décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leurs demandes de
protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la
même décision.
Le tribunal relève à titre liminaire qu’en date du 28 décembre 2015 a été publiée au
Mémorial A la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la
protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », abrogeant la loi du
5 mai 2006 et sans prévoir de dispositions transitoires relatives aux questions de compétence
et de procédure ou quant aux voies de recours.
Une nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de
modifier les formes ou la procédure du recours, mais elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la
recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la
décision a été prise. En résumé, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de
mesures transitoires, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée1.
Ainsi, à défaut par le législateur d’en avoir autrement disposé, l’existence et la nature
des recours ouverts en l’espèce, sont régies par la loi du 5 mai 2006.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de
protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée
Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en
annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de
protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a
valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur les
demandes de protection internationale des consorts ...-... dans le cadre d’une procédure
accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les
formes et délai de la loi.
1 Jurisclasseur, Procédure civile, fasc. 61, Application dans le temps des lois de droit judiciaire privé, n°72, date de dernière mise à jour : 4
janvier 2013.
3
A l’appui de leur recours concernant ce volet de la décision, les demandeurs estiment d’abord
que ce serait à tort que le ministre, pour traiter leurs demandes de protection internationale
dans le cadre d’une procédure accélérée, s’est notamment basé sur le fait que le Kosovo figure
sur la liste des pays d’origine sûr fixés par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007
fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5mai 2006 relative au droit
d'asile et à des formes complémentaires de protection, modifié par le règlement grand-ducal
du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de
pays d’origine sûrs au sens de la loi. Ils considèrent en effet que ledit règlement grand-ducal
serait illégal. Ainsi, ils s’emparent de la volonté affichée par l’Union européenne
d’harmoniser la politique d’asile pour considérer qu’à défaut de liste commune minimale, il
ne pourrait y avoir aucune harmonisation, puisque l’établissement d’une liste nationale de
pays d’origine sûrs conduirait nécessairement à une discrimination tant du point de vue du
pays d’origine que du point de vue des Etats chargés d’instruire la demande d’asile. Dans cet
ordre d’idées, ils exposent que ce serait surprenant que le Luxembourg ait pu établir une telle
liste, alors que les Etats membres de l’Union européenne ont échoué à établir une liste
commune dans ce sens.
Par ailleurs, ils affirment que la notion de « pays d’origine sûr » aurait toujours été
fortement critiquée et rappelle que l’UNHCR aurait estimé que l’application de cette notion
devrait être limitée et inclure la possibilité réelle de réfuter une présomption de sécurité. Les
demandeurs soulignent que l’UNHCR aurait dès lors retenu que chaque cas devrait être
examiné individuellement quant au fond et qu’il faudrait des critères clairs pour déterminer à
quel moment un pays peut être inclus dans une liste commune des pays d’origine sûrs.
Ils soulignent encore que dans son avis du 3 mai 2005 sur le projet de loi relatif au droit
d’asile et à des formes complémentaires de protection, le Conseil d’Etat a proposé de
supprimer la possibilité de fixer une liste de pays d’origine sûrs.
Ils relèvent que l’adoption d’une liste des pays d’origine sûrs serait contraire à
l’article 3 de la Convention de Genève, alors qu’elle conduirait à une discrimination entre
réfugiés en raison de leur nationalité.
Les demandeurs reprochent également au règlement grand-ducal de rester muet quant
aux critères d’après lesquels la liste a été établie, de sorte que la pluralité des sources exigée
par la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes
minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États
membres, ne saurait être valablement vérifiée. Finalement, les demandeurs affirment que
d’après l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006, la désignation de pays d’origine sûr se ferait
pour chaque pays après un examen détaillé de la situation particulière dudit pays. Le
règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité ne désignerait cependant pas un pays,
mais il établirait une liste de pays d’origine sûrs sans indiquer clairement avec une motivat ion
requise par des dispositions légales applicables en la matière pour quels motifs valables le
Kosovo doit être considéré comme un pays sûr, de sorte qu’il n’existerait pas de garantie qu’il
y a effectivement eu un examen pays par pays comme le prévoit la loi. Ils concluent que le
règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 serait illégal et inapplicable, tant pour violation
de l’article 3 de la Convention de Genève que pour violation des dispositions communautaires
dont la directive 2005/85/CE.
Ils soulèvent encore que le Kosovo ne remplirait pas les critères permettant son
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inscription sur la liste des pays d’origine sûrs.
Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs insistent, en ce qui concerne la
qualification du Kosovo comme étant un pays d’origine sûr, sur le fait qu’il incomberait au
ministre de réévaluer régulièrement la situation des Etats qualifiés de pays d’origine sûrs en
se basant notamment sur les éléments factuels communiqués régulièrement tant par les
demandeurs d’asile que par les organisations humanitaires et non gouvernementales. Ils
citent une résolution du Parlement européen adoptée en date du 11 mars 2015 et intitulée
« Le processus d’intégration européenne du Kosovo », un article sur l’état des lieux des
négociations, publié sur le site internet www.touteleurope.eu, en date du 13 mars 2015, ainsi
qu’un article paru le 25 juin 2015 sur le site Ritimo intitulé « Une indépendance contestée et
incomplète, et une souveraineté limitée : un Etat sans Etat » pour relever une situation
générale de corruption régnant au Kosovo et pour discréditer la protection que peuvent
apporter les autorités nationales aux victimes d’agressions.
Les demandeurs reprochent ensuite au ministre d’avoir retenu à tort qu’ils auraient
soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de
l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au
statut conféré par la protection internationale au sens de l’article 20 (1) a).
Ainsi, en se référant au contenu de leurs déclarations auprès de l’agent compétent du
ministère des Affaires étrangères et européennes, ils rappellent que leur départ aurait été
motivé par les menaces et agressions subies par certains membres de la communauté
albanaise. Ils se réfèrent à trois incidents particuliers pour étayer leur propos. Tout d’abord, ils
expliquent que, début mai 2015, Monsieur ...aurait été violemment agressé par deux inconnus
d’origine albanaise alors qu’il était en train de paître les vaches sur un champ. Il se serait
rendu ensemble avec sa compagne à la police mais les agents de police leur auraient refusé
toute aide. Le mois suivant, des inconnus, qu’ils estiment faire partie de l’armée kosovare du
KFOR, leur auraient coupé l’électricité, de sorte qu’ils auraient vécu pendant plus d’un mois
sans électricité, ils auraient d’ailleurs également été privé d’eau. Finalement, ils expliquent
que, début juillet, Monsieur ...aurait été chassé du bus et agressé par deux inconnus d’origine
albanaise.
Les demandeurs sont d’avis que ces agissements constitueraient des actes de
persécutions au sens de la Convention de Genève et que contrairement à l’appréciation faite
par le ministre, ils auraient exposé des questions d’une certaine pertinence. Dans leur
mémoire en réplique, les demandeurs font encore état d’une « crainte par association » dans
leur chef au motif que d’autres membres de la minorité ethnique serbe auraient été agressés, à
l’instar de Monsieur .... Les demandeurs insistent finalement sur le fait que les autorités de
leur pays ne seraient manifestement pas en mesure de les protéger efficacement en cas de
retour.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur les
demandes de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure
accélérée.
En ce qui concerne les dispositions légales applicables et à prendre en considération
dans le cadre de l’examen au fond de ce volet de la décision, il échet de décider que dans la
mesure où le tribunal est valablement saisi d’un recours en annulation dirigé contre ce volet
de la décision déférée, seules les dispositions afférentes de la loi applicable au jour où le
5
ministre a pris la décision sont à examiner par le tribunal afin de vérifier la légalité de ce volet
de la décision lui soumise. Ainsi, dans le cadre de ce volet de l’instance, et malgré le fait
qu’elle ait été abrogée par la loi du 18 décembre 2015, seule la loi du 5 mai 2006 peut trouver
application.
Il y a lieu de rappeler que le tribunal saisi d’un recours en annulation vérifie si les
motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette
décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir,
ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés et dans ce
cadre, il lui appartient d’abord de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, en ce
compris la procédure ayant abouti à la décision litigieuse, avant de se livrer, par le biais de
l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
Force est ensuite de relever qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée
sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels :
« (1) Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection
internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des
questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à
déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la
protection internationale ;
(…)
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente
loi ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20, paragraphe (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006,
le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie
de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont
sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande en
obtention d’une protection internationale, ou encore si le demandeur provient d’un pays
d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Par ailleurs, les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de
protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article
20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une
seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
Plus particulièrement, en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1) précité, visant
l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de relever qu’un
pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du
5 mai 2006 dans les conditions suivantes :
« (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen
de la demande de protection internationale.
6
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes
(3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de
protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un
demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence
habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de
penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe
(2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union
européenne, soit par règlement grand-ducal ».
Dans ce cadre, s’agissant du moyen tendant à ce que le tribunal n’applique pas le
règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 dans la présente affaire, il échet tout d’abord de
rappeler que le rôle du tribunal consiste à vérifier que la norme réglementaire incriminée est
conforme aux lois, et le cas échéant, d’en écarter l’application, mais non de contrôler
l’exactitude matérielle des faits pris en considération et d’annuler le cas échéant la disposition
réglementaire. Ainsi, à défaut de violation alléguée d’une quelconque disposition légale par
un règlement grand-ducal, le tribunal n’est pas autorisé à en refuser l’application dans un cas
concret.
Or, aux termes de l’article 21, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 : « Un règlement
grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe
généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève.
Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays
d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des
droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés ».
Au vu de l’habilitation légale accordée par la disposition légale précitée au pouvoir
réglementaire de prendre un règlement grand-ducal en vue de la désignation d’un pays
comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, au vu des moyens et arguments
développés par une partie demanderesse, de vérifier si le règlement grand-ducal a été pris en
conformité à l’article 21, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 fixant le champ d’application de ladite disposition.
En ce qui concerne les développements des demandeurs consistant à affirmer que le
règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne serait pas conforme à l’article 3 de la
Convention de Genève, il y a lieu de rappeler que cet article consacre le principe de non-
discrimination des réfugiés et dispose que « Les Etats contractants appliqueront les
dispositions de cette convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion
ou le pays d’origine ». Or, s’il peut certes y avoir une discrimination prima facie, alors qu’il
peut sembler que les personnes cherchant refuge dans un pays disposant d’une liste de pays
sûrs ne bénéficieraient plus d’un examen individuel de la situation actuelle de leur pays
d’origine, il convient cependant de relever que, d’une part, l’inscription d’un pays sur une
telle liste constitue l’aboutissement de l’examen de la situation de ce pays, certes non pas à un
niveau individuel, mais à un niveau réglementaire et, d’autre part, qu’en l’espèce, le ministre,
7
au-delà du constat de l’inscription du Kosovo sur la liste des pays d’origine sûrs, a procédé à
une analyse in specie de la situation actuelle des demandeurs dans le contexte de la situation générale de ce pays.
Ainsi, il résulte de la lecture de la décision ministérielle déférée que les demandes des
demandeurs ont fait l’objet d’un examen individuel et que tant en ce qui concerne la décision
de statuer sur les demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure
accélérée, qu’en ce qui concerne le refus de leur accorder la protection internationale, le
ministre a non seulement pris en compte l’origine des demandeurs, mais a fait un examen
précis de leur situation individuelle, notamment sur la toile de fond de la situation sécuritaire
et légale du Kosovo. En effet, la décision ministérielle entreprise n’est pas basée sur le simple
motif que les demandeurs proviennent d’un pays considéré comme étant d’origine sûr, mais
bien au contraire sur de nombreux motifs différents, correspondant aux critères contenus dans la Convention de Genève.
Les demandeurs, comme relevé ci-avant, reprochent en outre au règlement grand-ducal
en cause de rester muet quant aux critères d’après lesquels la liste est à établir, de sorte que la
pluralité des sources exigée par la directive 2005/85/CE ne saurait être valablement vérifiée.
De même, ils reprochent au règlement grand-ducal de contrevenir aux dispositions de l’article
21 (4) de la loi du 5 mai 2006, alors qu’en établissant une liste des pays d’origine sûrs, il
n’existerait pas de garantie qu’il y ait eu effectivement un examen pays par pays comme
l’exigerait la loi. Sur base de ces affirmations, les demandeurs invoquent dès lors un manque
de motivation au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007. Force est au tribunal de
rappeler que contrairement à ce qui est imposé pour les décisions administratives
individuelles par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sur la procédure à suivre
par les administrations relevant de l’Etat et des communes, inapplicable en matière
réglementaire, aucun texte n’oblige l’administration à formuler de manière expresse et
explicite les motifs gisant à la base d’un acte à caractère réglementaire, dont toutefois le motif
doit être légal et à cet égard vérifiable par la juridiction administrative2. S’agissant en l’espèce
d’un acte à caractère réglementaire, il peut valablement contenir sa motivation dans son
exposé des motifs et son commentaire des articles, lesquels contiennent par ailleurs une
motivation explicite en ce qui concerne les sources et critères retenus pour qualifier certains
pays comme pays d’origine sûrs, motivation qui n’a pas fait l’objet de critiques de la part des
demandeurs3.
Au vu des développements qui précèdent, le moyen quant à la contrariété du règlement
grand-ducal du 21 décembre 2007 aux dispositions de la directive 2005/85/CE et à l’article 3
de la Convention de Genève laisse d’être fondé. Le tribunal se doit donc d’appliquer le
règlement grand-ducal du 21 décembre 2007.
En l’espèce, il est constant en cause que ce dernier retient le Kosovo comme
constituant un pays d’origine sûr. Or, il se dégage des éléments du dossier que les
demandeurs ont la nationalité kosovare et qu’ils ont habité au Kosovo avant de venir au
Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de statuer en
l’espèce dans le cadre de la procédure accélérée.
Comme le tribunal vient de le rappeler au niveau des principes, dès lors que
l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du règlement grand-ducal du 21 décembre
2 Cour adm. 23 février 2006, n° 20173C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 95. 3 trib. adm. 24 septembre 2009, n°25522 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Etrangers, n° 101, et autres références y citées
8
2007, fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5mai 2006 relative
au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, ne constitue qu’une
présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de
l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, un examen de la situation individuelle du demandeur
de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour
le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance
est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de
l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de
la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui
soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables
permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de
sa situation personnelle.
En l’espèce, force est de constater que les demandeurs n’ont apporté aucune raison
valable de penser que leurs droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans
leur pays d’origine sans que les autorités de leur pays d’origine ne puissent leur fournir une
protection appropriée.
Le tribunal est aussi amené à constater qu’il ressort des déclarations des demandeurs
que les agents de police les auraient éconduits lorsqu’ils auraient essayé de dénoncer la
première agression subie par Monsieur ...et que, par la suite ils n’auraient plus essayé de
solliciter la protection de la police, tout en prétextant que les autorités kosovares ne pourraient
leur offrir une quelconque protection.
Force est cependant de constater qu’il se dégage des explications fournies par la partie
étatique que, s’ils avaient eu l’impression que leurs plaintes n’auraient pas été accueillies avec
le sérieux nécessaire, les demandeurs auraient pu s’adresser à un autre poste de police ou à
des autorités supérieures, tel que par exemple l’Inspectorat de Police, lequel est compétent
pour accueillir toute plainte envers les forces de l’ordre pour se plaindre d’un traitement
discriminatoire. Il s’ensuit que les demandeurs ne sont pas fondés à soutenir qu’ils n’auraient
aucune possibilité de recourir contre les actes dont ils ont été victimes, pour ainsi justifier le
défaut d’avoir recherché plus activement la protection des autorités de leur pays d’origine, de
sorte qu’en l’absence d’éléments pertinents à cet égard relatifs à la situation personnelle des
demandeurs, il est vain d’invoquer une situation générale de corruption pour discréditer la
protection que peuvent apporter les autorités nationales aux victimes d’agressions.
C’est dès lors à bon droit que le ministre, après analyse de leur situation concrète, a
conclu que les demandeurs sont originaires d’un pays d’origine sûr, et qu’il a pu statuer sur
leurs demandes de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue
par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que le recours relatif à ce volet est à rejeter,
sans qu’il n’y ait lieu d’analyser si les conditions du point a) de l’article 20 (1) de la loi du
5 mai 2006 sont réunies.
Dès lors, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur les demandes de
protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être
fondé.
2. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une
protection internationale
9
Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en
réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans
le cadre d’une procédure accélérée, un recours en réformation a valablement pu être dirigé
contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation, ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la
loi, est recevable.
Le tribunal rappelle que le recours en réformation est l’attribution légale accordée au
juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de
l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se
substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution
formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement
contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de
droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer,
voire à refaire – indépendamment de la légalité – l’appréciation de l’administration, mais elle
l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date
de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à
apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration
et des administrés concernés4.
Il s’ensuit que le tribunal est amené à appliquer la loi du 18 décembre 2015, dans le
cadre du recours en réformation introduit contre la décision du 4 décembre 2015 refusant aux
consorts ...-... l’octroi de la protection internationale, étant relevé que si la numérotation des
dispositions pertinentes relatives aux conditions d’octroi de la protection internationale a
changé, leur contenu est resté identique.
A l’appui de ce volet de leur recours, les demandeurs se basent sur les mêmes faits
que ceux invoqués dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer
sur leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée. Ils
se basant sur un rapport de 2014 sur le Kosovo du European Country of origin Information
Network respectivement sur différents articles de presse publiés sur internet, notamment un
article paru le 11 septembre 2012 intitulé « Le Kosovo, indépendant et souverain », un article
paru le 10 septembre 2012 sur le site internet presseurop intitulé « Un peu plus indépendant
mais pas encore entièrement », un article paru le 27 janvier 2015 sur le site internet de Le
Monde intitulé « Nouvelle manifestation contre un ministre serbe au Kosovo, des dizaines de
blessés » ainsi qu’un rapport de l’UNHCR publié le 30 novembre 2011 intitulé
« Kosovo :information sur la force policière, y compris sa structure ; la procédure à suivre
pour déposer une plainte contre la police et la réceptivité relativement aux plaintes », afin
de décrire la situation générale au Kosovo. En prenant appui sur l’article 31 de la loi du
5 mai 2006, les consorts ...-... font plaider qu’en refusant leurs demandes de protection
internationale, le ministre aurait commis une erreur d’appréciation alors que contrairement
aux conclusions ministérielles, ils auraient subi des harcèlements de la part de la population
albanaise tout en précisant que le Kosovo ne pourrait pas faire bénéficier ses citoyens d’une
protection effective. Ils auraient ainsi fait l’objet de violations graves et répétées des droits
de l’Homme dans leur pays d’origine en raison de leur origine ethnique serbe. La nature des
persécutions ainsi subies par eux devrait être regardée comme résultant de mesures
administratives mises en œuvre de manière discriminatoire au sens des articles 31 (1) et 31
(2) b) de la loi du 5 mai 2006.
4 Cour adm. 21 août 2013, n° 31952C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Recours en réformation, n°11
10
A titre subsidiaire, ils estiment remplir les conditions pour l’octroi d’une protection
subsidiaire.
Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le
ministre a refusé le statut de protection internationale.
Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015,
anciennement article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se
définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection
subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi, anciennement article
2 d) de la loi du 5 mai 2006, comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il
craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses
opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du
pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de
la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées
hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte,
ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, anciennement
l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, : « Les actes considérés comme une persécution au
sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour
constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits
auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou
b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de
l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à
ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, anciennement
l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves
peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du
territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux
points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas
accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. »,
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et aux termes de l’article 40 de la même loi, anciennement l’article 29 de la loi du 5 mai
2006, : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être
accordée que par :
a) l’Etat, ou
b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui
contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils
soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le
faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non
temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au
paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la
persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire
effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une
persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une
partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2),
le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de
l’Union européenne en la matière.»
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de
réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des
critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la
religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social,
que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre
2015, anciennement article 31(1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes
qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant
entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier
comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de
la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les
persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection
de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le
fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le
demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est de relever que les faits à la base de la demande de protection internationale
des demandeurs sont motivés par le fait qu’ils sont d’origine ethnique serbe, de sorte que les
actes peuvent être considérés comme ayant été motivés par un des critères de fond définis à
l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, anciennement article 2 d) de la loi du 5 mai 2006,
à savoir, l’appartenance à un certain groupe social.
Si les faits à la base de leur demande de protection internationale peuvent être
considérés dans leur ensemble comme étant de nature à atteindre le degré de gravité tel
qu’exigé par l’article 42 a) de la loi du 18 décembre 2015, anciennement article 31 (1) a) de la
loi du 5 mai 2006, du fait de leur répétition et des circonstances qui les ont entourées, les
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demandeurs restent cependant en défaut de rapporter la preuve d’une absence de protection de
la part des autorités de leur pays.
La notion de « réfugié » implique, outre nécessairement des persécutions dans le pays
d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée
refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y
a pas accès.
Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la
protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une
crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection
internationale5. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des
autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du
contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit
international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de
l’État fait défaut6.
Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 40 (2) de la loi du
18 décembre 2015, anciennement article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, définit la protection
comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective
et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés
au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la
persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire
effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une
persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ». Si
une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une
structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les
actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à
cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un
examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans
le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la
volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à
identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence
n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de
l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures
policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de
structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, tel que relevé auparavant, la notion de protection de la part du pays d’origine
n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte
de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la
poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour
maintenir un certain niveau de dissuasion.
L’argument exposé par les consorts ...-... tiré du fait que la police serait constituée
uniquement d’Albanais ne peut tenir, étant donné qu’il ressort du rapport de « Police
Inspectorate of Kosovo », cité par la partie étatique, que tous les groupes ethniques sont
représentés au sein de la police kosovare et d’après le rapport « Police Integration in North
5 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100. 6 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
13
Kosovo :Progress and Remaining Challenges in Implementation of the Brussels Agreement »
cité également par la partie étatique, dans la municipalité de Gnjilane, dont fait partie Pasjane,
d’où sont originaires les demandeurs, de 167 officiers de police, 20 sont d’ethnie serbe,
devant permettre aux demandeurs de se retrouver devant un interlocuteur d’une autre ethnie
que l’albanaise.
Au vu également des conclusions reprises au 1er volet de ce jugement, il s’ensuit qu’il
n’est dès lors pas prouvé que l’Etat kosovar n’aurait pas été à même d’apporter la protection
prévue par la loi à l’égard des demandeurs.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le
ministre a refusé d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un
statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du
18 décembre 2015, anciennement article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne
pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout
apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs
sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays
d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence
habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article
50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne
pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection
de ce pays ».
L’article 48 de la même loi, anciennement article 37 de la loi du 5 mai 2006, énumère,
en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; ou
la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur
dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne
d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions
que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ
d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent à
au moins une des hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et
que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40
de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes
au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la
protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire
que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les
atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant
d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le
demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il
s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une
présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront
en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être
renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que
ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en
14
définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel
de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
A l’appui de leurs demandes de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les
mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leurs demandes de reconnaissance du statut de
réfugié. Ils font soutenir en outre qu’à défaut de définition légale contenue dans l’article 37 de
la loi du 5 mai 2006, devenu article 48 de la loi du 18 décembre 2015, des notions de torture
et de traitements inhumains ou dégradants, il conviendrait de se reporter à l’interprétation
donnée par la Cour européenne des droits de l’homme à partir des dispositions de l’article 3
de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).
Ils estiment ainsi avoir déjà subi des atteintes graves dans leur pays d'origine et considèrent
que le fait de vivre dans la crainte permanente de subir de telles atteintes graves constituerait
un véritable traitement inhumain, sinon dégradant, au sens de l’article 3 de la CEDH.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.
Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de leurs demandes de
reconnaissance du statut de réfugié, force est de constater qu’il a été retenu qu’il n’est pas
démontré que les autorités kosovares seraient dans l’incapacité de fournir aux demandeurs
une protection adéquate au sens de l’article 40 (2) de la loi du 18 décembre 2015,
anciennement article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, : en effet, tout comme la notion de
« réfugié », celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » implique,
outre nécessairement des atteintes graves, ou à tout le moins le risque d’atteintes graves, une
absence de protection dans le pays d’origine, de sorte que les demandeurs ne sauraient faire
valoir un risque réel de subir ni les atteintes graves définies à l’article 48 précité,
anciennement article 37 de la loi du 5 mai 2006, ni les traitements inhumains et dégradants
visés par l’article 3 de la CEDH.
Le tribunal est amené à constater qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles
d’établir qu’il existerait des sérieuses raisons de croire que les consorts ...-... encourraient, en
cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir la peine de mort ou
l’exécution, ou encore des menaces graves et individuelles contre leurs vies ou leurs
personnes en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a
retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire
qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du
18 décembre 2015, anciennement article 37 de la loi du 5 mai 2006, et qu’il leur a partant
refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 g) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le
ministre a déclaré les demandes de protection internationale sous analyse comme non
justifiées, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
3. Quant au recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire
Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation
contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre
contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle
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litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai
prévus par la loi, est recevable.
De même que pour le premier volet du recours sous examen, il échet également dans le
cadre de ce troisième volet de faire exclusivement application de la loi du 5 mai 2006.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du
ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la
notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant
illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a
rejeté les demandes de protection internationale des demandeurs, il a également valablement
pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs,
le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du
4 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans
le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle
du 4 décembre 2015 portant refus d’une protection internationale aux demandeurs ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du
4 décembre 2015 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président,
Michèle Stoffel, juge,
Anne Foehr, attaché de justice délégué
16
et lu à l’audience publique du 3 février 2016 par le premier vice-président, en présence
du greffier Marc Warken
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original
Luxembourg, le 03/02/2016 Le Greffier du Tribunal administratif