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1 Tribunal administratif Numéro 37281 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2015 I re chambre Audience publique du 3 février 2016 Recours formé par Monsieur ...et consort, , contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006) ___________________________________________________________________________ JUGEMENT Vu la requête inscrite sous le numéro 37281 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2015 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le à (Kosovo), et de Madame ..., née le à (Kosovo), tous deux de nationalité kosovare, demeurant ensemble à L-, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même jour portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ; Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 décembre 2015 ; Vu le mémoire en réplique de Maître Ardavan Fatholahzadeh déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 janvier 2016 ; Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ; Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives. Le 21 août 2015, Monsieur ...et Madame ..., ci-après désignés « les consorts -... », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci- après « la loi du 5 mai 2006 ». Les déclarations des consorts ...-... sur leurs identités et l’ itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées dans un rapport du service de police judiciaire,

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Tribunal administratif Numéro 37281 du rôle

du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2015

Ire chambre

Audience publique du 3 février 2016

Recours formé par

Monsieur ...et consort,

…,

contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile

en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37281 du rôle et déposée au greffe du tribunal

administratif le 14 décembre 2015 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …

(Kosovo), et de Madame ..., née le … à … (Kosovo), tous deux de nationalité kosovare,

demeurant ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de

l’Immigration et de l’Asile du 4 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé de leurs

demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la

réformation de la décision du même jour portant refus de leur accorder le statut de la

protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la

même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal

administratif en date du 23 décembre 2015 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Ardavan Fatholahzadeh déposé au greffe du

tribunal administratif en date du 7 janvier 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et

Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives.

Le 21 août 2015, Monsieur ...et Madame ..., ci-après désignés « les consorts …-... »,

introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et

européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai

2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-

après « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des consorts ...-... sur leurs identités et l’itinéraire suivi pour venir au

Grand-Duché de Luxembourg furent actées dans un rapport du service de police judiciaire,

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section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, du même jour,

conformément à l’article 8 de la loi du 5 mai 2006.

Le 4 novembre 2015, Madame ... fut entendue par un agent du ministère des Affaires

étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se

trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Monsieur ...fut

entendu pour les mêmes raisons en date des 4 et 25 novembre 2015.

Par décision du 4 décembre 2015, notifiée par courrier recommandé expédié le

7 décembre 2015, le ministre de l’Immigration et d’Asile, désigné ci-après par « le ministre »,

informa les consorts ...-..., qu’il avait été statué sur le bien-fondé de leurs demandes de

protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1)

a), et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leurs demandes avaient été refusées comme non

fondées tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2015, les

consorts ...-... ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée

du ministre du 4 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection

internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même

décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leurs demandes de

protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la

même décision.

Le tribunal relève à titre liminaire qu’en date du 28 décembre 2015 a été publiée au

Mémorial A la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la

protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », abrogeant la loi du

5 mai 2006 et sans prévoir de dispositions transitoires relatives aux questions de compétence

et de procédure ou quant aux voies de recours.

Une nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de

modifier les formes ou la procédure du recours, mais elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la

recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la

décision a été prise. En résumé, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de

mesures transitoires, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée1.

Ainsi, à défaut par le législateur d’en avoir autrement disposé, l’existence et la nature

des recours ouverts en l’espèce, sont régies par la loi du 5 mai 2006.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de

protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée

Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en

annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de

protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a

valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur les

demandes de protection internationale des consorts ...-... dans le cadre d’une procédure

accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les

formes et délai de la loi.

1 Jurisclasseur, Procédure civile, fasc. 61, Application dans le temps des lois de droit judiciaire privé, n°72, date de dernière mise à jour : 4

janvier 2013.

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A l’appui de leur recours concernant ce volet de la décision, les demandeurs estiment d’abord

que ce serait à tort que le ministre, pour traiter leurs demandes de protection internationale

dans le cadre d’une procédure accélérée, s’est notamment basé sur le fait que le Kosovo figure

sur la liste des pays d’origine sûr fixés par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007

fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5mai 2006 relative au droit

d'asile et à des formes complémentaires de protection, modifié par le règlement grand-ducal

du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de

pays d’origine sûrs au sens de la loi. Ils considèrent en effet que ledit règlement grand-ducal

serait illégal. Ainsi, ils s’emparent de la volonté affichée par l’Union européenne

d’harmoniser la politique d’asile pour considérer qu’à défaut de liste commune minimale, il

ne pourrait y avoir aucune harmonisation, puisque l’établissement d’une liste nationale de

pays d’origine sûrs conduirait nécessairement à une discrimination tant du point de vue du

pays d’origine que du point de vue des Etats chargés d’instruire la demande d’asile. Dans cet

ordre d’idées, ils exposent que ce serait surprenant que le Luxembourg ait pu établir une telle

liste, alors que les Etats membres de l’Union européenne ont échoué à établir une liste

commune dans ce sens.

Par ailleurs, ils affirment que la notion de « pays d’origine sûr » aurait toujours été

fortement critiquée et rappelle que l’UNHCR aurait estimé que l’application de cette notion

devrait être limitée et inclure la possibilité réelle de réfuter une présomption de sécurité. Les

demandeurs soulignent que l’UNHCR aurait dès lors retenu que chaque cas devrait être

examiné individuellement quant au fond et qu’il faudrait des critères clairs pour déterminer à

quel moment un pays peut être inclus dans une liste commune des pays d’origine sûrs.

Ils soulignent encore que dans son avis du 3 mai 2005 sur le projet de loi relatif au droit

d’asile et à des formes complémentaires de protection, le Conseil d’Etat a proposé de

supprimer la possibilité de fixer une liste de pays d’origine sûrs.

Ils relèvent que l’adoption d’une liste des pays d’origine sûrs serait contraire à

l’article 3 de la Convention de Genève, alors qu’elle conduirait à une discrimination entre

réfugiés en raison de leur nationalité.

Les demandeurs reprochent également au règlement grand-ducal de rester muet quant

aux critères d’après lesquels la liste a été établie, de sorte que la pluralité des sources exigée

par la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes

minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États

membres, ne saurait être valablement vérifiée. Finalement, les demandeurs affirment que

d’après l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006, la désignation de pays d’origine sûr se ferait

pour chaque pays après un examen détaillé de la situation particulière dudit pays. Le

règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité ne désignerait cependant pas un pays,

mais il établirait une liste de pays d’origine sûrs sans indiquer clairement avec une motivat ion

requise par des dispositions légales applicables en la matière pour quels motifs valables le

Kosovo doit être considéré comme un pays sûr, de sorte qu’il n’existerait pas de garantie qu’il

y a effectivement eu un examen pays par pays comme le prévoit la loi. Ils concluent que le

règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 serait illégal et inapplicable, tant pour violation

de l’article 3 de la Convention de Genève que pour violation des dispositions communautaires

dont la directive 2005/85/CE.

Ils soulèvent encore que le Kosovo ne remplirait pas les critères permettant son

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inscription sur la liste des pays d’origine sûrs.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs insistent, en ce qui concerne la

qualification du Kosovo comme étant un pays d’origine sûr, sur le fait qu’il incomberait au

ministre de réévaluer régulièrement la situation des Etats qualifiés de pays d’origine sûrs en

se basant notamment sur les éléments factuels communiqués régulièrement tant par les

demandeurs d’asile que par les organisations humanitaires et non gouvernementales. Ils

citent une résolution du Parlement européen adoptée en date du 11 mars 2015 et intitulée

« Le processus d’intégration européenne du Kosovo », un article sur l’état des lieux des

négociations, publié sur le site internet www.touteleurope.eu, en date du 13 mars 2015, ainsi

qu’un article paru le 25 juin 2015 sur le site Ritimo intitulé « Une indépendance contestée et

incomplète, et une souveraineté limitée : un Etat sans Etat » pour relever une situation

générale de corruption régnant au Kosovo et pour discréditer la protection que peuvent

apporter les autorités nationales aux victimes d’agressions.

Les demandeurs reprochent ensuite au ministre d’avoir retenu à tort qu’ils auraient

soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de

l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au

statut conféré par la protection internationale au sens de l’article 20 (1) a).

Ainsi, en se référant au contenu de leurs déclarations auprès de l’agent compétent du

ministère des Affaires étrangères et européennes, ils rappellent que leur départ aurait été

motivé par les menaces et agressions subies par certains membres de la communauté

albanaise. Ils se réfèrent à trois incidents particuliers pour étayer leur propos. Tout d’abord, ils

expliquent que, début mai 2015, Monsieur ...aurait été violemment agressé par deux inconnus

d’origine albanaise alors qu’il était en train de paître les vaches sur un champ. Il se serait

rendu ensemble avec sa compagne à la police mais les agents de police leur auraient refusé

toute aide. Le mois suivant, des inconnus, qu’ils estiment faire partie de l’armée kosovare du

KFOR, leur auraient coupé l’électricité, de sorte qu’ils auraient vécu pendant plus d’un mois

sans électricité, ils auraient d’ailleurs également été privé d’eau. Finalement, ils expliquent

que, début juillet, Monsieur ...aurait été chassé du bus et agressé par deux inconnus d’origine

albanaise.

Les demandeurs sont d’avis que ces agissements constitueraient des actes de

persécutions au sens de la Convention de Genève et que contrairement à l’appréciation faite

par le ministre, ils auraient exposé des questions d’une certaine pertinence. Dans leur

mémoire en réplique, les demandeurs font encore état d’une « crainte par association » dans

leur chef au motif que d’autres membres de la minorité ethnique serbe auraient été agressés, à

l’instar de Monsieur .... Les demandeurs insistent finalement sur le fait que les autorités de

leur pays ne seraient manifestement pas en mesure de les protéger efficacement en cas de

retour.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur les

demandes de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure

accélérée.

En ce qui concerne les dispositions légales applicables et à prendre en considération

dans le cadre de l’examen au fond de ce volet de la décision, il échet de décider que dans la

mesure où le tribunal est valablement saisi d’un recours en annulation dirigé contre ce volet

de la décision déférée, seules les dispositions afférentes de la loi applicable au jour où le

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ministre a pris la décision sont à examiner par le tribunal afin de vérifier la légalité de ce volet

de la décision lui soumise. Ainsi, dans le cadre de ce volet de l’instance, et malgré le fait

qu’elle ait été abrogée par la loi du 18 décembre 2015, seule la loi du 5 mai 2006 peut trouver

application.

Il y a lieu de rappeler que le tribunal saisi d’un recours en annulation vérifie si les

motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette

décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir,

ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés et dans ce

cadre, il lui appartient d’abord de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, en ce

compris la procédure ayant abouti à la décision litigieuse, avant de se livrer, par le biais de

l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.

Force est ensuite de relever qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée

sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels :

« (1) Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection

internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des

questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à

déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la

protection internationale ;

(…)

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente

loi ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20, paragraphe (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006,

le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie

de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont

sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande en

obtention d’une protection internationale, ou encore si le demandeur provient d’un pays

d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.

Par ailleurs, les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de

protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article

20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une

seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.

Plus particulièrement, en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1) précité, visant

l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de relever qu’un

pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du

5 mai 2006 dans les conditions suivantes :

« (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen

de la demande de protection internationale.

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(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes

(3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de

protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un

demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence

habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de

penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe

(2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union

européenne, soit par règlement grand-ducal ».

Dans ce cadre, s’agissant du moyen tendant à ce que le tribunal n’applique pas le

règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 dans la présente affaire, il échet tout d’abord de

rappeler que le rôle du tribunal consiste à vérifier que la norme réglementaire incriminée est

conforme aux lois, et le cas échéant, d’en écarter l’application, mais non de contrôler

l’exactitude matérielle des faits pris en considération et d’annuler le cas échéant la disposition

réglementaire. Ainsi, à défaut de violation alléguée d’une quelconque disposition légale par

un règlement grand-ducal, le tribunal n’est pas autorisé à en refuser l’application dans un cas

concret.

Or, aux termes de l’article 21, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 : « Un règlement

grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe

généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève.

Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays

d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de

sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des

droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés ».

Au vu de l’habilitation légale accordée par la disposition légale précitée au pouvoir

réglementaire de prendre un règlement grand-ducal en vue de la désignation d’un pays

comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, au vu des moyens et arguments

développés par une partie demanderesse, de vérifier si le règlement grand-ducal a été pris en

conformité à l’article 21, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 fixant le champ d’application de ladite disposition.

En ce qui concerne les développements des demandeurs consistant à affirmer que le

règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne serait pas conforme à l’article 3 de la

Convention de Genève, il y a lieu de rappeler que cet article consacre le principe de non-

discrimination des réfugiés et dispose que « Les Etats contractants appliqueront les

dispositions de cette convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion

ou le pays d’origine ». Or, s’il peut certes y avoir une discrimination prima facie, alors qu’il

peut sembler que les personnes cherchant refuge dans un pays disposant d’une liste de pays

sûrs ne bénéficieraient plus d’un examen individuel de la situation actuelle de leur pays

d’origine, il convient cependant de relever que, d’une part, l’inscription d’un pays sur une

telle liste constitue l’aboutissement de l’examen de la situation de ce pays, certes non pas à un

niveau individuel, mais à un niveau réglementaire et, d’autre part, qu’en l’espèce, le ministre,

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au-delà du constat de l’inscription du Kosovo sur la liste des pays d’origine sûrs, a procédé à

une analyse in specie de la situation actuelle des demandeurs dans le contexte de la situation générale de ce pays.

Ainsi, il résulte de la lecture de la décision ministérielle déférée que les demandes des

demandeurs ont fait l’objet d’un examen individuel et que tant en ce qui concerne la décision

de statuer sur les demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure

accélérée, qu’en ce qui concerne le refus de leur accorder la protection internationale, le

ministre a non seulement pris en compte l’origine des demandeurs, mais a fait un examen

précis de leur situation individuelle, notamment sur la toile de fond de la situation sécuritaire

et légale du Kosovo. En effet, la décision ministérielle entreprise n’est pas basée sur le simple

motif que les demandeurs proviennent d’un pays considéré comme étant d’origine sûr, mais

bien au contraire sur de nombreux motifs différents, correspondant aux critères contenus dans la Convention de Genève.

Les demandeurs, comme relevé ci-avant, reprochent en outre au règlement grand-ducal

en cause de rester muet quant aux critères d’après lesquels la liste est à établir, de sorte que la

pluralité des sources exigée par la directive 2005/85/CE ne saurait être valablement vérifiée.

De même, ils reprochent au règlement grand-ducal de contrevenir aux dispositions de l’article

21 (4) de la loi du 5 mai 2006, alors qu’en établissant une liste des pays d’origine sûrs, il

n’existerait pas de garantie qu’il y ait eu effectivement un examen pays par pays comme

l’exigerait la loi. Sur base de ces affirmations, les demandeurs invoquent dès lors un manque

de motivation au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007. Force est au tribunal de

rappeler que contrairement à ce qui est imposé pour les décisions administratives

individuelles par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sur la procédure à suivre

par les administrations relevant de l’Etat et des communes, inapplicable en matière

réglementaire, aucun texte n’oblige l’administration à formuler de manière expresse et

explicite les motifs gisant à la base d’un acte à caractère réglementaire, dont toutefois le motif

doit être légal et à cet égard vérifiable par la juridiction administrative2. S’agissant en l’espèce

d’un acte à caractère réglementaire, il peut valablement contenir sa motivation dans son

exposé des motifs et son commentaire des articles, lesquels contiennent par ailleurs une

motivation explicite en ce qui concerne les sources et critères retenus pour qualifier certains

pays comme pays d’origine sûrs, motivation qui n’a pas fait l’objet de critiques de la part des

demandeurs3.

Au vu des développements qui précèdent, le moyen quant à la contrariété du règlement

grand-ducal du 21 décembre 2007 aux dispositions de la directive 2005/85/CE et à l’article 3

de la Convention de Genève laisse d’être fondé. Le tribunal se doit donc d’appliquer le

règlement grand-ducal du 21 décembre 2007.

En l’espèce, il est constant en cause que ce dernier retient le Kosovo comme

constituant un pays d’origine sûr. Or, il se dégage des éléments du dossier que les

demandeurs ont la nationalité kosovare et qu’ils ont habité au Kosovo avant de venir au

Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de statuer en

l’espèce dans le cadre de la procédure accélérée.

Comme le tribunal vient de le rappeler au niveau des principes, dès lors que

l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du règlement grand-ducal du 21 décembre

2 Cour adm. 23 février 2006, n° 20173C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 95. 3 trib. adm. 24 septembre 2009, n°25522 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Etrangers, n° 101, et autres références y citées

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2007, fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5mai 2006 relative

au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, ne constitue qu’une

présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de

l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, un examen de la situation individuelle du demandeur

de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour

le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance

est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de

l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de

la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui

soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables

permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de

sa situation personnelle.

En l’espèce, force est de constater que les demandeurs n’ont apporté aucune raison

valable de penser que leurs droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans

leur pays d’origine sans que les autorités de leur pays d’origine ne puissent leur fournir une

protection appropriée.

Le tribunal est aussi amené à constater qu’il ressort des déclarations des demandeurs

que les agents de police les auraient éconduits lorsqu’ils auraient essayé de dénoncer la

première agression subie par Monsieur ...et que, par la suite ils n’auraient plus essayé de

solliciter la protection de la police, tout en prétextant que les autorités kosovares ne pourraient

leur offrir une quelconque protection.

Force est cependant de constater qu’il se dégage des explications fournies par la partie

étatique que, s’ils avaient eu l’impression que leurs plaintes n’auraient pas été accueillies avec

le sérieux nécessaire, les demandeurs auraient pu s’adresser à un autre poste de police ou à

des autorités supérieures, tel que par exemple l’Inspectorat de Police, lequel est compétent

pour accueillir toute plainte envers les forces de l’ordre pour se plaindre d’un traitement

discriminatoire. Il s’ensuit que les demandeurs ne sont pas fondés à soutenir qu’ils n’auraient

aucune possibilité de recourir contre les actes dont ils ont été victimes, pour ainsi justifier le

défaut d’avoir recherché plus activement la protection des autorités de leur pays d’origine, de

sorte qu’en l’absence d’éléments pertinents à cet égard relatifs à la situation personnelle des

demandeurs, il est vain d’invoquer une situation générale de corruption pour discréditer la

protection que peuvent apporter les autorités nationales aux victimes d’agressions.

C’est dès lors à bon droit que le ministre, après analyse de leur situation concrète, a

conclu que les demandeurs sont originaires d’un pays d’origine sûr, et qu’il a pu statuer sur

leurs demandes de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue

par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que le recours relatif à ce volet est à rejeter,

sans qu’il n’y ait lieu d’analyser si les conditions du point a) de l’article 20 (1) de la loi du

5 mai 2006 sont réunies.

Dès lors, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur les demandes de

protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être

fondé.

2. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une

protection internationale

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Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en

réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans

le cadre d’une procédure accélérée, un recours en réformation a valablement pu être dirigé

contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation, ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la

loi, est recevable.

Le tribunal rappelle que le recours en réformation est l’attribution légale accordée au

juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de

l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se

substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution

formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement

contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de

droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer,

voire à refaire – indépendamment de la légalité – l’appréciation de l’administration, mais elle

l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date

de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à

apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration

et des administrés concernés4.

Il s’ensuit que le tribunal est amené à appliquer la loi du 18 décembre 2015, dans le

cadre du recours en réformation introduit contre la décision du 4 décembre 2015 refusant aux

consorts ...-... l’octroi de la protection internationale, étant relevé que si la numérotation des

dispositions pertinentes relatives aux conditions d’octroi de la protection internationale a

changé, leur contenu est resté identique.

A l’appui de ce volet de leur recours, les demandeurs se basent sur les mêmes faits

que ceux invoqués dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer

sur leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée. Ils

se basant sur un rapport de 2014 sur le Kosovo du European Country of origin Information

Network respectivement sur différents articles de presse publiés sur internet, notamment un

article paru le 11 septembre 2012 intitulé « Le Kosovo, indépendant et souverain », un article

paru le 10 septembre 2012 sur le site internet presseurop intitulé « Un peu plus indépendant

mais pas encore entièrement », un article paru le 27 janvier 2015 sur le site internet de Le

Monde intitulé « Nouvelle manifestation contre un ministre serbe au Kosovo, des dizaines de

blessés » ainsi qu’un rapport de l’UNHCR publié le 30 novembre 2011 intitulé

« Kosovo :information sur la force policière, y compris sa structure ; la procédure à suivre

pour déposer une plainte contre la police et la réceptivité relativement aux plaintes », afin

de décrire la situation générale au Kosovo. En prenant appui sur l’article 31 de la loi du

5 mai 2006, les consorts ...-... font plaider qu’en refusant leurs demandes de protection

internationale, le ministre aurait commis une erreur d’appréciation alors que contrairement

aux conclusions ministérielles, ils auraient subi des harcèlements de la part de la population

albanaise tout en précisant que le Kosovo ne pourrait pas faire bénéficier ses citoyens d’une

protection effective. Ils auraient ainsi fait l’objet de violations graves et répétées des droits

de l’Homme dans leur pays d’origine en raison de leur origine ethnique serbe. La nature des

persécutions ainsi subies par eux devrait être regardée comme résultant de mesures

administratives mises en œuvre de manière discriminatoire au sens des articles 31 (1) et 31

(2) b) de la loi du 5 mai 2006.

4 Cour adm. 21 août 2013, n° 31952C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Recours en réformation, n°11

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A titre subsidiaire, ils estiment remplir les conditions pour l’octroi d’une protection

subsidiaire.

Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le

ministre a refusé le statut de protection internationale.

Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015,

anciennement article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se

définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection

subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi, anciennement article

2 d) de la loi du 5 mai 2006, comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il

craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses

opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du

pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de

la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées

hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte,

ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, anciennement

l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, : « Les actes considérés comme une persécution au

sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour

constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits

auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou

b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de

l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à

ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, anciennement

l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves

peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du

territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux

points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas

accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. »,

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et aux termes de l’article 40 de la même loi, anciennement l’article 29 de la loi du 5 mai

2006, : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être

accordée que par :

a) l’Etat, ou

b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui

contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils

soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le

faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non

temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au

paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la

persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire

effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une

persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une

partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2),

le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de

l’Union européenne en la matière.»

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de

réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des

critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la

religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social,

que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre

2015, anciennement article 31(1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes

qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant

entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier

comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de

la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les

persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection

de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le

fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le

demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est de relever que les faits à la base de la demande de protection internationale

des demandeurs sont motivés par le fait qu’ils sont d’origine ethnique serbe, de sorte que les

actes peuvent être considérés comme ayant été motivés par un des critères de fond définis à

l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, anciennement article 2 d) de la loi du 5 mai 2006,

à savoir, l’appartenance à un certain groupe social.

Si les faits à la base de leur demande de protection internationale peuvent être

considérés dans leur ensemble comme étant de nature à atteindre le degré de gravité tel

qu’exigé par l’article 42 a) de la loi du 18 décembre 2015, anciennement article 31 (1) a) de la

loi du 5 mai 2006, du fait de leur répétition et des circonstances qui les ont entourées, les

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demandeurs restent cependant en défaut de rapporter la preuve d’une absence de protection de

la part des autorités de leur pays.

La notion de « réfugié » implique, outre nécessairement des persécutions dans le pays

d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée

refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y

a pas accès.

Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la

protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une

crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection

internationale5. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des

autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du

contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit

international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de

l’État fait défaut6.

Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 40 (2) de la loi du

18 décembre 2015, anciennement article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, définit la protection

comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective

et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés

au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la

persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire

effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une

persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ». Si

une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une

structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les

actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à

cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un

examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans

le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la

volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à

identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence

n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de

l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures

policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de

structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, tel que relevé auparavant, la notion de protection de la part du pays d’origine

n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte

de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la

poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour

maintenir un certain niveau de dissuasion.

L’argument exposé par les consorts ...-... tiré du fait que la police serait constituée

uniquement d’Albanais ne peut tenir, étant donné qu’il ressort du rapport de « Police

Inspectorate of Kosovo », cité par la partie étatique, que tous les groupes ethniques sont

représentés au sein de la police kosovare et d’après le rapport « Police Integration in North

5 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100. 6 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

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Kosovo :Progress and Remaining Challenges in Implementation of the Brussels Agreement »

cité également par la partie étatique, dans la municipalité de Gnjilane, dont fait partie Pasjane,

d’où sont originaires les demandeurs, de 167 officiers de police, 20 sont d’ethnie serbe,

devant permettre aux demandeurs de se retrouver devant un interlocuteur d’une autre ethnie

que l’albanaise.

Au vu également des conclusions reprises au 1er volet de ce jugement, il s’ensuit qu’il

n’est dès lors pas prouvé que l’Etat kosovar n’aurait pas été à même d’apporter la protection

prévue par la loi à l’égard des demandeurs.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le

ministre a refusé d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un

statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du

18 décembre 2015, anciennement article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne

pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout

apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs

sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays

d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence

habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article

50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne

pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection

de ce pays ».

L’article 48 de la même loi, anciennement article 37 de la loi du 5 mai 2006, énumère,

en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; ou

la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur

dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne

d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions

que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ

d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent à

au moins une des hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et

que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40

de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes

au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la

protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire

que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les

atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant

d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le

demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il

s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une

présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront

en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être

renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que

ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en

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définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel

de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

A l’appui de leurs demandes de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les

mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leurs demandes de reconnaissance du statut de

réfugié. Ils font soutenir en outre qu’à défaut de définition légale contenue dans l’article 37 de

la loi du 5 mai 2006, devenu article 48 de la loi du 18 décembre 2015, des notions de torture

et de traitements inhumains ou dégradants, il conviendrait de se reporter à l’interprétation

donnée par la Cour européenne des droits de l’homme à partir des dispositions de l’article 3

de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

Ils estiment ainsi avoir déjà subi des atteintes graves dans leur pays d'origine et considèrent

que le fait de vivre dans la crainte permanente de subir de telles atteintes graves constituerait

un véritable traitement inhumain, sinon dégradant, au sens de l’article 3 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de leurs demandes de

reconnaissance du statut de réfugié, force est de constater qu’il a été retenu qu’il n’est pas

démontré que les autorités kosovares seraient dans l’incapacité de fournir aux demandeurs

une protection adéquate au sens de l’article 40 (2) de la loi du 18 décembre 2015,

anciennement article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, : en effet, tout comme la notion de

« réfugié », celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » implique,

outre nécessairement des atteintes graves, ou à tout le moins le risque d’atteintes graves, une

absence de protection dans le pays d’origine, de sorte que les demandeurs ne sauraient faire

valoir un risque réel de subir ni les atteintes graves définies à l’article 48 précité,

anciennement article 37 de la loi du 5 mai 2006, ni les traitements inhumains et dégradants

visés par l’article 3 de la CEDH.

Le tribunal est amené à constater qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles

d’établir qu’il existerait des sérieuses raisons de croire que les consorts ...-... encourraient, en

cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir la peine de mort ou

l’exécution, ou encore des menaces graves et individuelles contre leurs vies ou leurs

personnes en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a

retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire

qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du

18 décembre 2015, anciennement article 37 de la loi du 5 mai 2006, et qu’il leur a partant

refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 g) de ladite loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le

ministre a déclaré les demandes de protection internationale sous analyse comme non

justifiées, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

3. Quant au recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire

Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation

contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre

contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle

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litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai

prévus par la loi, est recevable.

De même que pour le premier volet du recours sous examen, il échet également dans le

cadre de ce troisième volet de faire exclusivement application de la loi du 5 mai 2006.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du

ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la

notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant

illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a

rejeté les demandes de protection internationale des demandeurs, il a également valablement

pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs,

le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du

4 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans

le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle

du 4 décembre 2015 portant refus d’une protection internationale aux demandeurs ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du

4 décembre 2015 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président,

Michèle Stoffel, juge,

Anne Foehr, attaché de justice délégué

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et lu à l’audience publique du 3 février 2016 par le premier vice-président, en présence

du greffier Marc Warken

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original

Luxembourg, le 03/02/2016 Le Greffier du Tribunal administratif