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Réforme du collège : la novlangue obligatoire Tribune publiée le 21 avril 2015 Par Julia Sereni, chercheur associé au CERU (Centre d'études et de recherches universitaires), collaboratrice parlementaire et ancienne membre de cabinet ministériel. «Aller de soi et de l'ici vers l'autre et l'ailleurs». Non, ce n'est pas le titre de la brochure d'une secte post-Raélienne mais bien celui des nouveaux programmes de collège pour les langues étrangères et régionales (cycle 4, page 17). Ce jargon «pédagogiste» fait son grand retour dans les nouveaux programmes scolaires pour l'école primaire et le collège. Ainsi, dans la section consacrée à l'éducation physique et sportive le lecteur apprend avec bonheur que l'élève ne nage pas, non, il «traverse l'eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête» (page 22). Pas question non plus de s'adonner à de vulgaires jeux de raquettes, l'objectif c'est de «rechercher le gain d'un duel médié par une balle ou un volant» (page 23). Toujours dans cette section l'élève est invité lors des activités de combat à «vaincre un adversaire en lui imposant une domination corporelle symbolique et codifée». Une prose digne des plus belles pages de Cinquante nuances de Grey. Au-delà de ces citations absconses qui amusent et inquiètent les réseaux sociaux, ces programmes sont le révélateur d'une réalité bien plus inquiétante: la déconnexion consommée entre ceux qui les rédigent et les autres, qui les subissent au quotidien. En effet, comment ne pas s'inquiéter du fait que personne, au sein du conseil supérieur des programmes, n'ait perçu le caractère risible des intitulés et la vacuité du vocabulaire employé? Choix conscient ou non, l'emploi d'une telle novlangue est par essence le produit d'une idéologie déréalisante, c'est également un moyen de tenir à l'écart les parents en rendant, par l'utilisation d'un charabia scientiste, extrêmement compliqué ce qui pourrait être simple et clair. Au fond, les programmes sont réalisés non pas pour les élèves et les enseignants, mais bien au nom d'une certaine concep- tion du système éducatif, d'une certaine idée de l'enfant. Dans ce document, l'élève est défini dès les premières pages (p.3) non plus par son statut d' «apprenant» mais déjà par celui d' «adoles- cent» qui «vit un nouveau rapport à lui-même» et donc doit être placé par les enseignants dans un «climat de confiance». Il n'est plus là pour apprendre -activité rétrograde et tellement verticale, mais pour être au monde, «manifester sa sensibilité», «questionner le monde» (page 7 et suivante). On est dans la quintessence même du pédagogisme qui célèbre l'idée selon laquelle l'enfant doit construire son propre savoir -ce qui explique donc fort logiquement l'absence de clarté des programmes et l'effacement progressif de leur contenu. Le but est de bannir au maximum toute référence à des connaissances sûres et précises. Le café pédagogique, tribune militante du «pédago- gisme» se félicite d'ailleurs de cet abandon «des longues énuméra- tions de connais- sances à acquérir» jugées par ailleurs élitistes. Ainsi, la grammaire et ses règles imposées, sont remplacées par «l'étude de la langue» qui n'est que la version réchauffée de «l'obser- vation réfléchie de la langue» introduite par Jack Lang dans les programmes de 2002. Fini les règles apprises par coeur, c'est à «l'enfant» d'observer les phrases pour «dégager des régularités, et formuler des règles», l'objectif, comme le précisait un document de formation destiné aux enseignants, est ainsi de «mettre en mots leur pensée et leur sensibilité». Les futurs programmes rajoutent la consigne suivante «l'inflation terminologique doit être évitée» (page 10), ce qui signifie qu'il n'est pas opportun de s'attarder sur des termes trop techniques comme le complément d'objet et autres COD. C'est le ménage par le vide. Bien sur, ce pédago- gisme est lui-même le paravent de l'égalita- risme. Puisque la transmission du savoir reste vécue comme une violence reproductrice d'inégalités, c'est à la transmission elle-même que l'on s'attaque pour diminuer les inégalités. Cruel syllogisme, qui justifie pêle-mêle les attaques envers les classes préparatoires, le latin, la culture générale, les classes européennes, les internats d'excellence... Tout cela s'opérant au nom de la «liberté pédagogique de l'enseig- nant», à qui il faut donc souhaiter bon courage, mais dont on ne doute pas qu'il pourra faire sien cet objectif, asséné comme un clin d'œil: «l'abstraction et la modélisation sont bien plus présentes désormais, ce qui n'empêche pas de rechercher les chemins concrets qui permettent de les atteindre» (Les objectifs de la formation du cycle 4, page 4). “On est dans la quintessence même du pédagogisme qui célèbre l'idée selon laquelle l'enfant doit construire son propre savoir.” “Ces programmes sont le révélateur d'une réalité bien plus inquiétante: la déconnexion consommée entre ceux qui les rédigent et les autres, qui les subissent au quotidien.” “ Ce pédagogisme est lui-même le paravent de l'égalitarisme ”

Tribune : Réforme du collège : la novlangue obligatoire

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Tribune de Julia Sereni, chercheur associé au CERU, collaboratrice parlementaire et ancienne membre d'un cabinet ministériel, parue sur FigaroVox.

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  • Rforme du collge : la novlangue obligatoire

    Tribune publie le 21 avril 2015

    Par Julia Sereni, chercheur associ au CERU (Centre d'tudes et de recherches universitaires), collaboratrice parlementaire et ancienne membre de cabinet ministriel.

    Aller de soi et de l'ici vers l'autre et l'ailleurs. Non, ce n'est pas le titre de la brochure d'une secte post-Ralienne mais bien celui des nouveaux programmes de collge pour les langues trangres et rgionales (cycle 4, page 17). Ce jargon pdagogiste fait son grand retour dans les nouveaux programmes scolaires pour l'cole primaire et le collge.

    Ainsi, dans la section consacre l'ducation physique et sportive le lecteur apprend avec bonheur que l'lve ne nage pas, non, il traverse l'eau en quilibre horizontal par immersion prolonge de la tte (page 22). Pas question non plus de s'adonner de vulgaires jeux de raquettes, l'objectif c'est de rechercher le gain d'un duel mdi par une balle ou un volant (page 23). Toujours dans cette section l'lve est invit lors des activits de combat vaincre un adversaire en lui imposant une domination corporelle symbolique et codife. Une prose digne des plus belles pages de Cinquante nuances de Grey.

    Au-del de ces citations absconses qui amusent et inquitent les rseaux sociaux, ces programmes sont le rvlateur d'une

    ralit bien plus inquitante: la dconnexion consomme entre ceux qui les rdigent et les autres, qui les subissent au quotidien. En effet, comment ne pas s'inquiter du fait que personne, au sein du conseil suprieur des programmes, n'ait peru le caractre risible des intituls et la vacuit du vocabulaire employ?

    Choix conscient ou non, l'emploi d'une telle novlangue est par essence le produit d'une idologie dralisante, c'est galement un moyen de tenir l'cart les parents en rendant, par l'utilisation d'un charabia scientiste, extrmement compliqu ce qui pourrait tre simple et clair. Au fond, les programmes sont raliss non pas pour les lves et les enseignants, mais bien au nom d'une certaine concep-tion du systme ducatif, d'une certaine ide de l'enfant.

    Dans ce document, l'lve est dfini ds les premires pages (p.3) non plus par son statut d' apprenant mais dj par celui d' adoles-cent qui vit un nouveau rapport lui-mme et donc doit tre plac par les enseignants dans un climat de confiance. Il n'est plus l pour apprendre -activit rtrograde et tellement verticale, mais pour tre au monde, manifester sa sensibilit, questionner le monde (page 7 et suivante). On est dans la quintessence mme du

    pdagogisme qui clbre l'ide selon laquelle l'enfant doit construire son propre savoir -ce qui explique donc fort logiquement l'absence de clart des programmes et l'effacement progressif de leur contenu.

    Le but est de bannir au maximum toute rfrence des connaissances sres et prcises. Le caf pdagogique, tribune militante du pdago-gisme se flicite d'ailleurs de cet abandon des longues numra-tions de connais-sances acqurir juges par ailleurs litistes.

    Ainsi, la grammaire et ses rgles imposes, sont remplaces par l'tude de la langue qui n'est que la version rchauffe de l'obser-vation rflchie de la langue introduite par Jack Lang dans les programmes de 2002. Fini les rgles apprises par coeur, c'est l'enfant d'observer les phrases pour dgager des rgularits, et formuler des rgles, l'objectif, comme le prcisait un document de formation destin aux enseignants, est ainsi de mettre en mots leur pense et leur sensibilit. Les futurs programmes rajoutent la consigne suivante l'inflation terminologique doit tre vite (page 10), ce qui signifie qu'il n'est pas opportun de s'attarder sur des termes trop techniques comme le complment d'objet et autres COD. C'est le mnage par le vide.

    Bien sur, ce pdago-gisme est lui-mme le paravent de l'galita-risme. Puisque la

    transmission du savoir reste vcue comme une violence reproductrice d'ingalits, c'est la transmission elle-mme que l'on s'attaque pour diminuer les ingalits. Cruel syllogisme, qui justifie ple-mle les attaques envers les classes prparatoires, le latin, la culture gnrale, les classes europennes, les internats d'excellence...

    Tout cela s'oprant au nom de la libert pdagogique de l'enseig-nant, qui il faut donc souhaiter bon courage, mais dont on ne doute pas qu'il pourra faire sien cet objectif, assn comme un clin d'il: l'abstraction et la modlisation sont bien plus prsentes dsormais, ce qui n'empche pas de rechercher les chemins concrets qui permettent de les atteindre (Les objectifs de la formation du cycle 4, page 4).

    On est dans la quintessence mme du pdagogisme qui clbre l'ide selon laquelle l'enfant doit construire son propre savoir.

    Ces programmes sont le rvlateur d'une ralit bien plus inquitante: la dconnexion consomme entre ceux qui les rdigent et les autres, qui les subissent au quotidien.

    Ce pdagogisme est lui-mme le paravent de l'galitarisme