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Tous droits réservés © Les Presses de l’Université du Québec, 1999 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 19 juin 2022 01:57 Nouvelles pratiques sociales Étude de l’efficience cognitive des parents en protection de la jeunesse Micheline Fournelle Le tiers secteur Volume 12, numéro 1, printemps 1999 URI : https://id.erudit.org/iderudit/301444ar DOI : https://doi.org/10.7202/301444ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université du Québec ISSN 0843-4468 (imprimé) 1703-9312 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Fournelle, M. (1999). Étude de l’efficience cognitive des parents en protection de la jeunesse. Nouvelles pratiques sociales, 12(1), 197–216. https://doi.org/10.7202/301444ar Résumé de l'article Plusieurs auteurs soulignent comme caractéristique de certains parents négligents l'existence d'une faiblesse intellectuelle. Par ailleurs, Audy, concepteur du modèle d'intervention Actualisation du potentiel intellectuel (API), note que certains individus, ayant manqué de médiation dans l'enfance, souffriraient du syndrome de privation de médiation (SPM) qui se caractérise, entre autres, par un manque d'efficience cognitive (Audy, Ruph et Richard, 1993 : 157). Nous avons fait une étude descriptive de la clientèle d'un service de protection et vérifié si elle présentait les caractéristiques du SPM et avons expérimenté le programme API auprès d'un groupe de parents négligents.

Étude de l’efficience cognitive des parents en protection

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Tous droits réservés © Les Presses de l’Université du Québec, 1999 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 19 juin 2022 01:57

Nouvelles pratiques sociales

Étude de l’efficience cognitive des parents en protection de lajeunesseMicheline Fournelle

Le tiers secteurVolume 12, numéro 1, printemps 1999

URI : https://id.erudit.org/iderudit/301444arDOI : https://doi.org/10.7202/301444ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Les Presses de l'Université du Québec

ISSN0843-4468 (imprimé)1703-9312 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleFournelle, M. (1999). Étude de l’efficience cognitive des parents en protectionde la jeunesse. Nouvelles pratiques sociales, 12(1), 197–216.https://doi.org/10.7202/301444ar

Résumé de l'articlePlusieurs auteurs soulignent comme caractéristique de certains parentsnégligents l'existence d'une faiblesse intellectuelle.Par ailleurs, Audy, concepteur du modèle d'intervention Actualisation dupotentiel intellectuel (API), note que certains individus, ayant manqué demédiation dans l'enfance, souffriraient du syndrome de privation de médiation(SPM) qui se caractérise, entre autres, par un manque d'efficience cognitive(Audy, Ruph et Richard, 1993 : 157).Nous avons fait une étude descriptive de la clientèle d'un service de protectionet vérifié si elle présentait les caractéristiques du SPM et avons expérimenté leprogramme API auprès d'un groupe de parents négligents.

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Étude de l'efficience cognitive des parents en protection de la jeunesse

Micheline FOURNELLE Centre d'actualisation du potentiel intellectuel

Plusieurs auteurs soulignent comme caractéristique de certains parents négligents l'existence d'une faiblesse intellectuelle.

Par ailleurs, Audy, concepteur du modèle d'intervention Actualisation du potentiel intellectuel (API), note que certains indi­vidus, ayant manqué de médiation dans l'enfance, souffriraient du syndrome de privation de médiation (SPM) qui se caractérise, entre autres, par un manque d'efficience cognitive (Audy, Ruph et Richard, 1993: 157).

Nous avons fait une étude descriptive de la clientèle d'un service de protection et vérifié si elle présentait les caractéristiques du SPM et avons expérimenté le programme API auprès d'un groupe de parents négligents.

Parmi les nombreux facteurs qui concourent à la négligence, plusieurs auteurs mentionnent un problème cognitif chez le parent. C'est ce facteur qui attira notre attention lors d'une étude descriptive faite au Centre jeunesse des Laurentides. Un premier volet d'étude consistait à établir le profil d'efficience cognitive le plus fidèle possible des parents impliqués dans les articles 38 et 38.1 de la Loi de la protection de l'enfance et de la jeunesse (LPEJ) sur tous les alinéas. Cette étude, faite en collaboration avec le Centre de recherche en API, a été supervisée par Pierre Audy, concepteur de ce modèle d'intervention

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au Québec. Un second volet portait sur une intervention faite auprès de parents négligents dont l'efficience est faible. Après évaluation de l'efficience, les sujets ont reçu un programme de 20 heures pour ensuite être réévalués et les résultats ont été comparés avec ceux d'un groupe témoin.

L'objectif général de l'expérimentation du programme API était de démontrer la validité et la pertinence de son utilisation en service social et en service de protection. Les objectifs spécifiques étaient d'identifier le besoin de cette clientèle en matière de médiation1 et de mesurer les effets du pro­gramme sur l'efficience cognitive et sur leur vie personnelle.

CARACTÉRISTIQUES DES PERSONNES NÉGLIGENTES

«Les analyses réalisées [...] ont montré chez les familles concernées, une association entre négligence et statut socio-économique faible, famille éclatée, carences cognitives et affectives, antécédents de négligence chez les parents, usage abusif de drogues, d'alcool ou de médicaments» (Gouvernement du Québec, 1 9 9 1 : 55).

Plusieurs auteurs relèvent, parmi les facteurs liés à la négligence, des problèmes cognitifs chez le parent (Drotar, Malone et Newark, dans McLaren, 1989: 3 ; MSSS, 1 9 9 1 : 55 ; Wolfe, 1989: 28 ; Palacio-Quintin, 1994: 6).

MODÈLE D'INTERVENTION UTILISÉ

L'Actualisation du potentiel intellectuel a été conçue pour répondre aux pro­blèmes d'échecs et d'abandons scolaires. « Il permet de compenser en partie l'effritement du tissu social » causé par divers événements sociaux (Audy, Ruph et Richard, 1993 : 151).

Pour concevoir son modèle, Audy s'est inspiré des travaux de Feuerstein (1979, 1980) et de Sternberg (1986). Ces auteurs ont démontré

[...] l'influence de l'efficience cognitive2, c'est-à-dire la maîtrise d'un ensemble de stratégies de résolution de problème (SRP)3 comme facteur déterminant la

1. « La médiation est une intervention humaine qui vise à filtrer, organiser et rendre signifiants certains stimuli qui seraient autrement inutilisables par le sujet qui construit son intelligence. » (UQAT, lexique des termes en API.)

2. L'efficience est la « capacité de résoudre un problème nouveau avec un minimum de temps, d'énergie et de ressources et avec un maximum d'aisance, d'assurance et de plaisir». (UQAT, lexique des termes en API.)

3. «Toute opération mentale ayant atteint le stade de l'habileté et de l'habitude mentale. » (UQAT, lexique des termes en API.)

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performance intellectuelle des individus [...]. Le développement cognitif est le produit de l'interaction entre l'organisme et l'environnement à partir de deux sources de stimulations extrinsèques : les stimuli de l'environnement eux-mêmes et la médiation.!...] Des améliorations considérables au niveau des performances intellectuelles peuvent être obtenues dans la mesure où des éducateurs-trices s'attaquent de façon systématique aux « déficits cognitifs » qui entraînent les sous-performances. Ainsi, la modifiabilité de la structure cognitive dépend fonda­mentalement d'expériences d'apprentissage médiatisé. (Audy, 1992a : 2-4)

L'hypothèse d'Audy stipule que certains individus ayant manqué de médiation dans l'enfance souffriraient du « syndrome de privation de médiation (SPM) qui se caractérise par une faible motivation intrinsèque, une faible estime de soi, une difficulté à se concentrer, une pauvreté de concepts, de signification et de principes de vie, de même qu'un manque d'efficience» (Audy, Ruph et Richard, 1993: 157). Ce syndrome pourrait être à la base de la détérioration du tissu social entraînant une chaîne de causalité de divers problèmes sociaux. Il est probable que

[...] les principaux facteurs à l'origine de cette accélération de l'effritement du tissu social québécois au cours des trente dernières années [sont] l'effondrement des balises religieuses, l'urbanisation massive et rapide de même que la montée en flèche des valeurs individualistes et matérialistes au détriment des valeurs collectives et spirituelles, ce qui a ébranlé notre cohésion sociale. L'effritement du tissu social se traduit par une dislocation rapide du réseau de soutien et de médiation entre les membres de la famille et de la parenté. Cette transmission culturelle ou médiation diminue graduellement en quantité et en qualité. (Audy, Ruph et Richard, 1993: 157-159)

Ainsi, beaucoup de parents ayant eux-mêmes manqué de médiation ne peuvent transmettre à leurs enfants que les stratégies qu'ils maîtrisent, ce qui est parfois insuffisant pour assurer une bonne efficience, base essentielle à la réussite scolaire et à la résolution de problèmes.

Quatre-vingt-trois SRP sont essentielles au bon fonctionnement d'un individu. Un test-diagnostic sur 24 stratégies de base permet de dévoiler les manques ou les faiblesses dans l'utilisation des opérations mentales. C'est sur celles-ci que l'éducateur ou l'éducatrice s'attardera. À la suite de la médiation, « un changement permanent s'opère ». Muni d'un répertoire de réponses plus complet et mieux adapté, l'individu devient plus efficient ; il change « sa façon d'appréhender la réalité, de la structurer et d'y interagir» (Audy, 1992a : 3). Une fois les apprentissages bien intégrés, il transfère ces habiletés dans son quotidien et des effets se répercutent dans toutes les dimensions de sa vie, et cela, parce que «graduellement l'ennui, la frustration, le désintérêt, le retrait et la violence sont supplantés par la soif de connaître » (Audy, Ruph et Richard, 1993 : 162).

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L'objectif de l'API est de donner à l'individu une meilleure efficience, ce qui « permet la manifestation d'un niveau de fonctionnement plus conforme à son potentiel» (Audy, 1992a : 4). Durant la médiation, l'accent est mis sur le processus plutôt que sur le contenu, l'amélioration de l'efficience fonction­nelle étant le principal objectif. À l'aide de mises en situation, d'exercices choisis4, l'apprenant développe l'habileté et l'habitude d'utiliser ses opérations mentales afin de les rendre stratégiques. Le transfert des apprentissages est ensuite facilité. Les techniques suivantes sont utilisées : motiver, encourager, démontrer le changement, donner de la signification aux concepts, rendre conscient le processus cognitif, faire des liens avec le vécu, faire la promotion de la stratégie enseignée, prescrire la mise en pratique des stratégies apprises.

Selon Audy, toute personne a du potentiel intellectuel en réserve et peut l'actualiser à tout âge. En outre, l'API se préoccupe de transmettre les prin­cipes de vie5.

Il pourrait même être nuisible, pour un individu et la société dans laquelle celui-ci évolue, d'améliorer son niveau d'efficience cognitive alors qu'il est sans principe ou guidé par de faux principes (ex. : « pas vu, pas pris»). Les principes de vie [...] sont rattachés [...] aux 27 valeurs à la base de la croissance humaine. (Audy, 1994b: 130-131)

L'API est un modèle éducatif qui a ses limites. Il ne peut remplacer la thérapie dont une personne pourrait avoir besoin, ni l'enseignement de comportements plus adéquats. Il travaille sur l'ontosystème du client (ses habiletés et ses déficits cognitif s) et prépare le terrain à l'apprentissage. Ce modèle ne tient pas compte non plus des conditions de vie qui pourraient être un obstacle à l'apprentissage. Des conditions de vie précaires peuvent-elles ralentir ou empêcher le développement des processus cognitifs ? Ce modèle, ayant donné de bons résultats dans le milieu éducatif, nous laissait croire à des succès possibles avec d'autres clientèles.

MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

Pour les fins de cette étude, nous avons retenu le mode d'échantillonnage typique intentionnel qui consiste à faire une sélection à partir des dossiers des intervenants selon certaines caractéristiques, soit les manifestations du syndrome de privation de médiation déjà mentionnées. Cela nous permettait de faire une bonne analyse des besoins de la clientèle en matière de médiation

4. Ces exercices servent à développer des processus cognitifs. Ils ne sont jamais évalués.

5. Il s'agit de « règles de conduite qui guident l'être humain dans les décisions de son vécu quotidien [...], ex. agir envers les autres comme on aimerait voir les autres le faire envers soi. » (UQAT, lexique des termes en API.)

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et d'identifier les parents pouvant avoir besoin de ce programme, ce qui peut être utile si l'organisme souhaite l'offrir par la suite.

La participation des sujets à l'étude était volontaire. L'anonymat et la confidentialité des résultats des tests ont été assurés à l'aide d'une lettre de consentement approuvée par le contentieux et signée par tous les participants.

Constitution des groupes. Elle a été faite après l'évaluation de l'efficience cognitive à partir des alinéas de l'article 38 et 38.1 de la Loi de la protection de l'enfance et de la jeunesse (LPEJ), chaque dossier étant déjà identifié par l'organisme. Trois groupes ont ainsi été formés : un groupe de parents identifiés à la problématique de la négligence (alinéas a, b, c, d et e), un autre groupe de parents d'enfants ayant des troubles de comportement (alinéa h) et un troisième constitué d'hommes suivant une thérapie à la suite d'un délit d'abus sexuels (alinéa g et s). Les trois groupes totalisaient 54 sujets.

Groupes expérimentaux. La formation de ces groupes a été faite à partir des parents du groupe négligence, de la disponibilité et de la motivation des parents à s'engager dans un processus d'apprentissage. Au départ, huit parents recevaient le programme API, en groupes de quatre. Ces parents ont aussi reçu les services réguliers du Centre jeunesse.

Groupe témoin. D'autres parents du groupe négligence ont servi de groupe témoin. Leur participation à l'étude se limitait à être évalués à deux reprises, espacées d'au moins trois mois. Ces parents ont reçu seulement les services réguliers du Centre jeunesse.

Groupe «typique». Nous avons constitué un groupe «typique», c'est-à-dire « normal ou fonctionnant relativement bien dans la société ». Ce groupe a servi de comparaison avec les groupes étudiés. Il a été ainsi constitué : nous avons choisi 14 sujets au hasard en sélectionnant un sujet sur quatre d'un échantillon de 60 sujets d'une étude faite par le Centre de recherche en API. Ces sujets sont des employés de service ayant un emploi stable depuis 15 à 20 ans, faisant partie des salariés moyens et étant pour la plupart des parents.

L'instrument de mesure. Le test intitulé « Profil d'efficience spontanée (PES)», fait partie de l'approche par l'API ; il fait ressortir le degré d'utili­sation spontanée des SRP lorsqu'une personne est mise en situation de résoudre un problème. Il «ne fait pas appel aux connaissances, ni à une culture spécifique et ne mesure pas le produit d'une performance intellec­tuelle» (Audy, 1 9 9 5 : 6). Il mesure 14 stratégies d'observation dont la moyenne établit un quotient d'efficience en observation (QEO), cinq stratégies d'élaboration de solutions pour un quotient d'efficience en élaboration (QEE) et cinq stratégies de réponses (application de la solution) pour un quotient d'efficience en réponse (QER) et la moyenne des 24 stratégies donne le quotient d'efficience global (QEG).

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Les études effectuées par le Centre de recherche en API et les chercheurs de TUQAT ont démontré que le PES est un instrument valide6

et fidèle7, capable de prédire les échecs scolaires avec exactitude. D'une part, les « normes du PES sont basées sur plus de 3 000 sujets. Dans la pratique, plus de 50 000 sujets l'ont passé» (Audy, 1995c : 5), ce qui a permis d'éta­blir des profils d'efficience selon l'âge. D'autre part, plusieurs études ont été faites auprès d'adultes de différents milieux socio-économiques. Ce même test (après 3 mois) a servi de post-test pour mesurer les stratégies acquises lors des leçons. Nous avons retranché 3 % du QEG pour compenser l'effet de retest. Ces tests ont été corrigé par un correcteur professionnel du Cen­tre de recherche en API pour en assurer l'uniformité.

Le contenu du programme a été élaboré à partir des résultats des tests des sujets et en tenant compte de l'obligation d'insérer dans le programme certaines stratégies dont l'acquisition est nécessaire à l'apprentissage d'autres stratégies. Nous avons aussi inclus au programme quelques principes de vie choisis en fonction des besoins observés chez les participants. Tous ont reçu le même programme.

ANALYSE DES RÉSULTATS

Volet 1 : L'étude descriptive

Scolarité. Les chiffres indiquent un fort taux de décrochage scolaire chez cette clientèle avant la fin du secondaire, soit 53 ,7% de tous nos sujets d'étude (n = 54).

Motivation. Nous avons constaté une forte corrélation entre la moti­vation et la scolarité. En effet, les parents les plus scolarisés se disent désintéressés et à l'inverse, les moins scolarisés se disent motivés ou très motivés à suivre un tel programme. Cela nous amène à penser que le besoin de médiation serait naturellement ressenti chez les personnes moins scolarisées et qu'il activerait la motivation de ces dernières à combler leur déficit.

Quotients d'efficience globale des groupes étudiés au prétest. Pour établir des pourcentages normatifs qualifiés de faible (0 à 29,9%), moyen (30 à 49,9%) et fort (50% et plus), nous nous sommes référés aux études menées par l'UQAT et le Centre de

6. La validité prédictive au regard de la réussite scolaire est de 0,84. (FRIGON, AUDY, LAURENCELLE et SlMARD, 1996)

7. La fidélité instrumentale s'établit à 0,94 et la fidélité test-retest (après cinq mois) est de 0,70 chez des groupes homogènes. (AUDY, FRIGON et LAURENCELLE, 1996)

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recherche en API qui établit une moyenne de quotient d'efficience globale à 41 % chez les élèves de 12 ans et à d'autres études conduites avec des adultes de différents milieux : des employés de bureau (n = 75) cotant à 44 %, des cols bleus (n = 112) cotant à 47 % et des professeurs (n = 608) dont la moyenne est de 5 8 % (La Ferté et Audy, 1994).

FIGURE 1

Distribution des quotients d'efficience globale des groupes étudiés au prétest

Profil du groupe négligence

Scolarité et motivation. Ce groupe est le moins scolarisé de tous ; notre échantillon (n = 25) affiche un taux de décrochage scolaire de 72 %. Parmi les diplômés, 20 % ont un diplôme d'études secondaires et 8%, un diplôme d'études collégiales. On retrouve, chez ce groupe, le plus fort taux de motivation, soit 92%.

Profil d'efficience. Le groupe négligence se démarque des autres groupes par sa forte proportion de QEG faibles (32 %). Ils sont sous la «normale» des quotients d'efficience des adultes puisqu'ils n'atteignent pas «la moyenne des élèves de 12 ans qui se situe à 41%». La moitié de ces QEG faibles sont entre 1 0 , 1 % et 17,6% et se rapprochent de la moyenne du profil d'efficience d'enfants du premier cycle du primaire (La Ferté et Audy, 1994). De même, 52 % de ces parents ont un QEG moyen et 16% ont un QEG fort.

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Quant à la comparaison avec le groupe typique, les deux groupes présentent une différence de 10,4% au QEG, ce qui constitue un écart important puisque la moyenne du groupe négligence de 36 ,6% ne dépasse pas celle de l'élève moyen de 6e année (41 %) alors que la moyenne du groupe typique est de 47 % et dépasse légèrement « celle de l'adulte moyen qui est de 43%» (La Ferté et Audy, 1994). On note aussi une différence marquée à l'avantage du groupe typique sur toutes les stratégies sauf sur les stratégies 1-3 (comparer les données), 1-6 (regrouper par ensembles), 1-7 (faire des liens ou interpréter) et 1-8 (extrapoler) où l'on ne note aucune différence signifi­cative8 et la stratégie 1-14 (qualifier) où ce groupe de parents a une note nettement supérieure à celle du groupe typique.

Profil du groupe troubles de comportements (TC)

Scolarité et motivation. Parmi les sujets de ce groupe (n = 18), seulement 38,9% n'ont pas de diplôme d'études secondaires et 61,1 % ont un diplôme quelconque : 44,4% au secondaire et 16,7 % au collégial. Ce sont 8 3 , 3 % d'entre eux qui sont motivés à suivre le programme.

Profil d'efficience. Les deux-tiers de ce groupe présentent des QEG moyens et l'autre tiers, des QEG forts. Aucun d'entre eux n'a un QEG faible.

En comparaison avec le groupe typique, au QEG, leurs moyennes se rapprochent (45,6% et 46,4%) mais leurs forces et faiblesses diffèrent. Le groupe TC regroupe davantage par ensembles (1-6), interprète (1-7) et qualifie (1-14) davantage, observe davantage ce qui manque (I-10), compte plus les données (1-13), situe mieux les informations dans le temps (1-16) et définit mieux le problème à résoudre (E-2). Par contre, le groupe typique observe de façon plus complète et précise (1-2), sélectionne mieux les éléments essentiels (1-4), tient compte de plus d'une chose à la fois (1-18), conserve mieux en tête le problème (E-Il), se sert mieux de sa logique (E-14), est plus précis dans sa réponse (0-2) et utilise mieux les outils de communication (0-9).

Profil du groupe abus sexuel (AS)

Scolarité e t motivation. Chez ce groupe (n = 11), 36,4% des sujets n'ont pas de diplôme d'études secondaires et 36,4 % en ont un ; 9 % ont un diplôme d'études collégiales et 18,2 %, un diplôme universitaire. Nous retrouvons parmi ce groupe les plus hauts degrés de scolarité ainsi que la plus faible motivation à suivre le programme, soit 54,6 %.

8. Tout écart de 10 % ou plus.

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Profil d'efficience. Chez ce groupe, 18,2 % des sujets sont parmi les QEG faibles, 5 4 , 5 % parmi les moyens et 2 7 , 3 % parmi les forts.

Ce groupe ainsi que le groupe typique possèdent des QEG identiques, mais on note des différences notables dans leurs profils. Le groupe AS obtient une note nettement supérieure pour les stratégies suivantes : comparer les données (1-3), faire des liens ou interpréter (1-7), décomposer en sous-ensembles (1-9), remarquer et combler ce qui manque (I-10), compter les données semblables (1-13), qualifier (1-14), situer les informations dans le temps (1-16), anticiper le problème à résoudre (E-I) et le définir avec précision (E-2). Par contre, le groupe typique présente une moyenne nettement supé­rieure sur cinq stratégies : sélectionner les éléments essentiels (1-4), conserver en tête le problème (E-Il), recourir à la preuve logique (E-14), préciser la réponse (0-2) et utiliser adéquatement les outils de communication (0-9). Il ressort clairement que le groupe AS est plus efficient à l'observation des données, si l'on fait exception de la stratégie 1-6 (regrouper par ensembles), où il est presque égal au groupe typique, et à la sélection des éléments essentiels (1-4), où il est nettement plus faible que le groupe typique. Il serait intéressant, éventuellement, de pousser plus loin l'analyse de ce phénomène pour comprendre pourquoi une personne qui a tendance à se laisser distraire par les détails (1-4) présente plus souvent le profil de négligence ou d'abus sexuel.

Comparaison générale. On constate que la moyenne en réponse du groupe typique est supérieure de plus de 20 points par rapport à la moyenne des trois groupes étudiés. Le groupe typique a plus de facilité à préciser la réponse (0-2) et à utiliser adéquatement les outils de communication (O-l0). De même, il élabore mieux, car il a plus de facilité à anticiper (E-I), à définir (E-2) et à conserver en tête le problème à résoudre (E-11) et les données qui l'accompagnent ainsi qu'à recourir spontanément à la preuve logique (E-14). Par contre, en ce qui concerne la note globale, seul le groupe négligence est nettement inférieur aux autres groupes.

Faire des liens (1-7), qualifier (1-14). La perception d'un lien entre les données (1-7) est une interprétation de même que toute qualifi­cation (1-14) (p. ex., «il est beau»). Certaines interprétations relèvent du jugement et sont parfois positives (p. ex., «il est heureux») ou négatives (p. ex., «c'est malpropre»). D'autres sont des liens de causes à effets. Nous avons constaté, dans le contenu des réponses des sujets, un nombre nettement plus élevé d'interprétations prenant la forme de jugements chez les groupes étudiés que chez le groupe typique.

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TABLEAU 1

Interpréter (1-7) et qualifier (1-14)

Groupes atypiques Groupe typique Négligence Trouble Abus Groupe

de sexuel typique compor­tement

(n = 25) (n=18) (n=ll) (n = 14) Résultats

Jugements+ 62/25 = 2,4 55/18 = 3,06 28/11 = 2,55 17/14=1,2 TC>AS>N>GT 8 1

Jugements- 23/25 = 0,92 54/18 = 3,00 23/11 = 2,09 6/14 = 0,43 TC>AS>N>GT

TOTAL: 85/25 = 3,40 109/18 = 6,06 51/11 = 4,64 23/14 = 1,64 TC>AS>N>GT

En effet, la moyenne de jugements des 54 sujets étudiés s'élève à 4,54 jugements/personne comparativement au groupe typique (1,64 jugement/ personne). Il semble que la qualification (1-14) et l'interprétation (1-7) faites sous forme de jugements soient surutilisées par cette clientèle et qu'elles soient plus souvent utilisées négativement.

Volet 2 : L'expérimentation du modèle API

Profil des sujets expérimentaux. La majorité de nos participants (cinq sur six) ont pour unique source de revenus leurs prestations d'aide sociale, ce qui signifie des conditions de vie précaires. Aussi, la majorité est peu scolarisée : un est analphabète, trois sont sans diplôme d'études secondaires, deux possèdent un diplôme d'études de 5e et 6e secondaire.

Résultats de l'intervention. Après seulement 20 heures d'intervention, le groupe expérimental a fait un gain net de 13,7% en efficience cognitive (une fois enlevé 3 % pour l'effet du retest) tandis que le groupe témoin n'a presque pas évolué (3,2%). Ces gains ont varié chez nos sujets entre 12 ,3% et 32,1 %.

Nous constatons, à la figure 2 que le groupe expérimental a fait des gains sur toutes les stratégies évaluées. Toutes se sont améliorées signi-ficativement, sauf cinq stratégies dont les gains sont inférieurs à 10%; ce sont les suivantes : sélectionner les éléments essentiels (1-4), remarquer et combler ce qui manque (I-10), qualifier (1-14), bien conserver en tête le pro­blème (E-Il) et bien conserver en tête tous les éléments du problème (E-13).

Le gain à la stratégie 1-4 (sélectionner les éléments essentiels) est néan­moins important, compte tenu du fait que la stratégie 1-2 (observer de façon complète et précise) s'est nettement améliorée. Toute augmentation à la stratégie 1-2 a tendance à faire baisser la moyenne en 1-4 puisqu'un sujet qui

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Impact du programme sur les participants. Selon l'avis des inter­venants assignés à ces dossiers, au début de l'intervention, cinq parents sur six présentaient des signes d'impulsivité et tous se sont améliorés sur ce point. À la suite de la médiation, ces parents ont été rencontrés moins souvent et leurs cas, perçus comme étant moins lourds ; quatre dossiers ont été fermés : deux à la fin du programme, deux autres, trois et quatre mois après l'intervention alors que chez le groupe témoin, un seul dossier a été fermé dans ce même laps de temps. En outre, les participants témoignent avoir une plus grande confiance en soi, plus d'ordre, d'organisation et de réflexion. Ils se disent être moins impulsifs et avoir une meilleure communication avec leurs enfants.

PERTINENCE DU MODÈLE EN PROTECTION DE LA JEUNESSE

Malgré la Loi sur la protection de la jeunesse et le travail acharné des intervenants, le problème des enfants négligés demeure encore très présent à l'heure actuelle. «Au Québec, plus de la moitié des situations d'enfants pris en charge pour l'application de mesures de protection en vertu de la LPJ le sont pour un motif de négligence. » (MSSS, 1 9 9 1 : 53) Il est évident que beaucoup de troubles de l'enfance sont causés par la négligence et les mauvais traitements infligés aux enfants (McLaren, 1989 : 3).

Plusieurs chercheurs se sont penchés sur les facteurs sociaux et socioéconomiques en cause dans la problématique de la négligence. Les causes de la négligence sont multiples. Nous ne pouvons imputer aux struc­tures sociales et aux conditions de vie qu'elles imposent aux familles, toute la responsabilité de cette problématique, car nous observons que les familles pauvres ne sont pas toutes négligentes. Sans pour autant minimiser l'impor­tance des conditions de vie comme facteur lié à la négligence, nous croyons que les valeurs transmises ou l'absence de valeurs transmises, la façon dont les parents ont eux-mêmes été éduqués ainsi que le manque d'efficience cognitive pourraient bien constituer des facteurs importants dans la problé­matique de la négligence.

Dans une étude sur la première année d'activité de la protection de la jeunesse, le Dr Gloria Jéliu de l'Hôpital Sainte-Justine à Montréal exposait les résultats de trois années de traitement d'enfants maltraités et négligés. Elle concluait :

Que deviendront-ils dans dix ans, dans vingt ans? [...] Leur avenir est aussi le nôtre : ils font partie de notre patrimoine humain, et à ce titre, ils devraient être

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[...], considérés comme notre bien collectif le plus précieux... D'autant plus que les taux de natalité ont fortement chuté au Québec, [...] leur impact, comme adultes dans la société, sera d'autant plus grand que leur représentation y sera plus grande [...]

En effet, la moitié de ces enfants (51 %) fréquentent des classes spéciales : de récupération (37 %), pour mésadaptés socio-affectifs (7%), ou pour déficients (7 %) [...] leurs résultats à divers tests présentent une performance intellectuelle lente, des difficultés visuomotrices et d'organisation spatiale, de même qu'une certaine faiblesse de raisonnement pratique et, enfin, des problèmes sérieux de communication verbale. (Martin et Messier, 1982: 54-56)

Or, plusieurs de ces facteurs se retrouvent chez une personne souffrant du syndrome de privation de médiation ; le manque de performance intel­lectuelle, les problèmes d'organisation spatiale, la faiblesse de raisonnement pratique et les problèmes de communication verbale en sont des manifestations. Selon McLaren,

[...] on présume que les problèmes de ces enfants sont une conséquence des mauvais traitements ; or, ils peuvent être liés à certains traits de la personnalité qui prédisposent l'enfant à être maltraité (Pearce et Walsh, 1984). Pour Crittenden (1985), [...] les enfants maltraités ne sont pas foncièrement différents des autres à la naissance, il est possible que leur comportement ultérieur contribue à perpétuer la maltraitance à leur égard. (McLaren 1989: 1)

Ces traits particuliers pourraient-ils être les manifestations du syndrome de privation de médiation ?

Ces dernières années, une grande diversité de modèles d'intervention sont apparus et ont été appliqués à ces clientèles. Parmi tous ces modèles, aucun ne travaille à combler le déficit des processus cognitifs, caractéristique soulignée par plusieurs auteurs comme existant parfois chez cette clientèle. Nous croyons donc que l'approche par l'actualisation du potentiel intellectuel peut aider à combler ce manque.

EXPLICATION DU COMPORTEMENT DE NÉGLIGENCE PAR L'APPORT THÉORIQUE DE LAPI

Ma formation en efficience cognitive et mon expérience auprès des parents négligents m'ont amenée à établir des liens entre négligence et efficience. En effet, les connaissances théoriques de l'API sur le processus cognitif nous permettent d'expliquer le comportement de négligence, chez un parent manquant d'efficience, de la façon suivante : certaines stratégies de résolution de problème (SRP) sont essentielles à la reconnaissance d'un problème. Sans l'habileté et l'habitude de les utiliser, la prévoyance ou la prévention est impossible. Ces SRP sont: l'exploration systématique des données

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(1-5) du problème, la sélection des éléments essentiels (1-4), la perception des liens existants entre les données (1-7) ainsi que la capacité de faire des relations virtuelles (1-8) ou hypothèses. Toutes ces stratégies de l'observation sont nécessaires à l'anticipation d'un problème (E-I) de même qu'à sa définition (E-2). Un déficit à ces niveaux pourrait empêcher, | par exemple, la perception des besoins d'un enfant ou d'un danger à prévenir I qui apparaîtrait pourtant évident à une personne efficiente.

La prévention est le comportement contraire au comportement de négligence et elle naît de l'anticipation d'un problème. On sait que beaucoup d'accidents arrivent aux enfants par négligence et que la prévention est un comportement absent chez certains de ces parents. C'est que l'anticipation d'un problème fait défaut. Ce comportement est donc à développer pour contrer la négligence et il peut être développé par l'apprentissage des SRP.

Voyons un exemple pour illustrer le processus cognitif. Une mère est assise dans son fauteuil ; à côté, dans la cuisine, elle peut voir la cuisinière sur laquelle il y a une casserole d'eau bouillante dans laquelle elle fait cuire des spaghettis ; la poignée est tournée vers l'extérieur de la cuisinière. Son enfant de deux ans s'étire pour voir et sentir ce qu'il y a dans la casserole et dit : «Bon, bon, manger», saisit la poignée de la casserole et la renverse sur sa tête. Même si la mère a vu toute la scène, elle n'a pas bougé, ni parlé. Elle n'a même pas ressenti d'inquiétude par rapport à la situation. Pourquoi? Que s'est-il passé ?

Regardons un peu ce qui se passe dans le processus cognitif d'un indi­vidu moyen, efficient et prévenant dans un cas semblable. D'abord, une observation complète et précise des données (1-2), ceci à l'aide de l'exploration systématique des données (1-5), ensuite, parmi les données observées, il sélectionne les éléments essentiels (1-4) : la casserole et son contenu bouillant, la poignée tournée vers l'extérieur (situer dans l'espace, 1-15) de la cuisinière, l'enfant qui joue autour (situer dans l'espace, 1-15) et qui s'y intéresse (interpréter, 1-7) puisqu'il dit : « Bon, bon, manger. »

Un élément devient essentiel ou pertinent seulement si la personne est capable d'interpréter (1-7) correctement ce qu'elle observe et de faire des hypothèses (1-8) : par exemple, la possibilité qu'il puisse l'atteindre et la renverser. Ou bien alors si la personne a déjà vécu ou a déjà été témoin d'un tel incident dans le passé, cet élément pourra être perçu comme étant essentiel. Une bonne interprétation (1-7) ressemblerait à : « il tourne autour de la casserole et dit : "bon, bon, manger", j'pense qu'il s'intéresse à ce qu'il y a dedans». Ensuite, elle extrapole (1-8) sur ce qui s'est passé avant et ce qui peut arriver après : « il était pas assez grand pour l'atteindre il y a 6 mois quand il faisait ça, mais il a grandi et peut-être que maintenant il le peut. Et s'il l'atteignait et la renversait sur lui ? » OUPS ! C'est là que la notion de danger

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survient (la définition du problème, E-2) ainsi que son anticipation (E-I) se font. Elle s'accompagne ensuite d'une élaboration (E-15) et vérification (E-16) de différentes hypothèses de solution et avant que l'accident ne survienne, un geste préventif est posé (résolution du problème anticipé).

Néanmoins, le processus cognitif n'est pas linéaire comme pourrait le laisser croire un tel exposé. Les SRP sont utilisés dans l'ordre où elles sont sollicitées et peuvent s'activer simultanément. Ce qui me semble clair, c'est que certaines stratégies, dont l'anticipation d'un problème (E-I) et sa définition (E-2), ont besoin de certaines conditions pour être activées. Chez la personne inefficiente, ses faiblesses au regard des stratégies de l'obser­vation font qu'elle ne perçoit pas les éléments pertinents au problème. Le danger n'étant pas perçu, quand l'observation n'est pas complète et précise, aucune action préventive ou élaboration d'une solution (E-15) n'est engagée, car le processus cognitif ne s'active tout simplement pas. Elle voit sans regarder. Le problème se situe donc dans la phase de l'observation du processus cognitif.

Il en est de même pour les besoins des enfants qui, souvent, ne sont pas perçus par les parents négligents. Une mère à qui j'ai demandé pourquoi son bébé pleurait, m'a répondu : «il a mauvais caractère». Je lui ai alors dit que les pleurs d'un bébé sont un langage et qu'il essaie de lui dire que quelque chose ne va pas. Elle me répond : « Lui, il pleure pour rien, il se fait les pou­mons», alors que le bébé se frottait les yeux. Il semble qu'elle soit incapable de percevoir le langage non verbal de son bébé et de l'interpréter. Alors, pour elle, il n'y a pas de problème.

L'étude du processus cognitif démontre que la maîtrise d'un ensemble de stratégies de résolution de problème est nécessaire afin de pouvoir anti­ciper un problème et d'autres stratégies encore, pour élaborer une solution et agir de façon préventive.

CONCLUSION

Il aurait été intéressant de pouvoir généraliser les profils d'efficience à l'ensemble de la population étudiée en choisissant plutôt un mode d'échan­tillonnage aléatoire et proportionnel au nombre de dossiers actifs mais le temps alloué pour cette étude (six mois) nous a limitée. De même, il aurait été pertinent d'expérimenter le programme sur un plus grand nombre de sujets.

Toutefois, les résultats des tests indiquent que le degré d'efficience cognitive des parents est un facteur important, surtout dans la problématique

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de la négligence ; 44 ,4% des sujets évalués ont une efficience de moins de 40 %9 et 6 2 , 5 % de ces derniers sont des parents négligents, 2 5 % appar­tiennent au groupe TC et 12 ,5% au groupe AS. Il apparaît évident qu'un bon nombre de parents présentent une efficience faible indiquant des besoins d'intervention à ce niveau. La faible efficience des parents serait-elle, plus souvent qu'on ne le pense, à la base des mauvais traitements et de la négli­gence? Ainsi, «incapable d'arriver à trouver des solutions à ses problèmes, l'individu en arrive à user de la violence pour les résoudre » (Tremblay, 1990: 3). Le parent inefficient pourrait-il, en situation de stress, percevoir les coups ou les punitions comme seules solutions lorsqu'il joue son rôle d'éducateur? L'incapacité à imaginer d'autres solutions (1-8) pourrait-elle amener le parent à réagir sans se poser de questions ?

L'expérimentation du modèle auprès de parents défavorisés (cinq sur six) a démontré qu'il est possible de développer le potentiel intellectuel même dans un contexte où la précarité financière et les conditions de vie étaient, comme nous aurions pu le croire, défavorables au développement intellectuel.

Devant le succès de l'application du programme API, nous croyons que l'augmentation de l'efficience cognitive pourrait contribuer à diminuer les comportements de négligence. Les objectifs poursuivis dans le contexte de la protection de la jeunesse sont la réinsertion de l'enfant dans son milieu familial avec l'assurance que sa sécurité et son développement ne seront plus compromis. L'API prépare le terrain à l'apprentissage en donnant au sujet les outils nécessaires pour apprendre, comprendre et raisonner de façon efficiente. En augmentant l'efficience cognitive, nous croyons qu'il est possible d'augmenter la capacité des parents à faire des liens (1-7) entre comportements et conséquences et d'apprendre de nouveaux comportements parentaux. Il nous apparaît donc important de travailler à développer chez eux une forme d'efficience cognitive, puisque celle-ci peut être liée à un comportement de négligence. De plus, en augmentant l'efficience cognitive des parents, nous favorisons le retour à la médiation naturelle, transmission de l'efficience du parent à l'enfant à partir de ses interactions avec l'enfant et à travers ses jeux. C'est ainsi que nous croyons pouvoir prévenir la négligence de la génération suivante, objectif indirectement visé par le milieu organisationnel.

Un tel programme pourrait s'inscrire à l'intérieur d'un ensemble de programmes conçus à l'intention des parents et visant un processus de crois­sance continue, et sa participation pourrait être offerte, après évaluation de l'efficience cognitive, aux parents qui en ont besoin, comme alternative aux

9. Le niveau moyen des élèves de 12 ans est de 41 % et celui de l'adulte québécois moyen est de 43%. (AUDY, 1996d)

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mesures volontaires actuellement en vigueur dans les CPEJ et présentée comme un programme de croissance.

Le schéma suivant présente les conséquences du syndrome de privation de médiation sur la société en général. Il illustre

[...] les principaux maillons d'une longue chaîne de relation de cause à effet, voire même l'impact sur la société de la baisse de l'efficience cognitive d'un grand nombre de citoyens. [...][ Selon lui, rétablir les mécanismes de médiation pourrait avoir] un impact favorable sur la diminution des symptômes inquiétants de la crise actuelle, tels que le chômage, la pauvreté, l'abandon scolaire, la violence, la dépression, le suicide, etc. [...]. Conscient de l'urgence de la situation, une équipe de formateurs de l'UQAT travaille sans relâche à former un réseau de médiateurs et médiatrices compétents qui pourront compenser les effets néfastes de la baisse de la médiation dans les familles québécoises. [Ce projet collectif pourrait s'avérer] capable de mobiliser l'ensemble des Québécois et [comme il est souhaité], déboucher d'ici l'an 2000 sur une amélioration significative du climat social, de la réussite scolaire et donner une position concurrentielle à nos entreprises québécoises dans le contexte de la mondialisation de l'économie. En théorie, dit-il, une intervention au niveau de n'importe lequel des maillons de la chaîne de cause à effet du schéma A pourrait contribuer à améliorer la situation. (Audy, Ruph et Richard, 1993: 157-161)

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