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HISTOIRE DE L’ART N O 84-85 2019/2020 133 Pamela BIANCHI Stratégies digitales et muséalisation du virtuel Le cas du MoRE Ce qui est en cause, ce n’est pas la conservation du passé, mais la réalisation de ses espérances 1 . L’institution muséale serait en train de vivre, selon Yves Bergeron, sa quatrième révo- lution. Dite « numérique 2  », cette révolution serait née à la suite de la redéfinition de la notion de patrimoine 3 et de l’essor des nouvelles technologies dans les pratiques muséologiques contemporaines. Ces deux facteurs, étroitement associés, auraient notam- ment engendré une nouvelle caractérisation du musée et de la muséologie en général. Ainsi, tandis que la « boulimie frénétique à vouloir tout conserver, tout préserver » de la société contemporaine devient « “pensable” à défaut [d’être] “possible” 5  » grâce à la dématérialisation progressive des collections, cette même utopie du stockage, ou « impulsion d’archivage 6  », se traduit par l’émergence croissante d’autres objets cultu- rels (matériels et immatériels) et, par conséquent, de nouvelles formes de patrimoine. En définitive, bien que « tout ce qui est patrimonialisé [ne soit] pas muséalisé 7  », de nouveaux éléments à conserver et de nouvelles modalités de préservation et d’exposi- tion prennent forme au sein d’une institution muséale dont la dimension numérique devient de plus en plus marquée. « Culture numérique et dématérialisation de la culture – poursuit Bergeron – [conduisent] à [de] nouvelles stratégies digitales » qui, tout en facilitant les processus d’archivage et de documentation, rapprochent les musées des bibliothèques et des archives 8 . En d’autres termes, la conception d’un patrimoine élargi, immatériel et virtuel laisserait apparaître « une conscience globale, certes immatérielle, mais universelle et en grande partie virtuelle, car non pleinement actualisée », capable de réunir ces institutions sous un langage commun, uniformisé et numérique. En particulier, le rapprochement des responsabilités et des tâches muséales de celles des archives et des bibliothèques, s’il se voit comme le résultat de l’hybridation des pratiques muséologiques (de plus en plus centrées sur la nécessité de séduire un public informatisé), vient également dépas- ser l’espace traditionnel du musée. La géographie du champ muséal s’élargit en effet, tant dans sa dimension physique (musées virtuels, expositions hors murs, en réalité augmentée, etc.) que dans son ontologie 10 . De même, puisque la numérisation des pro- cessus de muséalisation concerne tant les champs de la conservation et de l’indexation que ceux de la création et de l’exposition, l’on remarque l’hybridation des dispositifs mis en œuvre : des plateformes digitales d’archivage qui se font espaces d’exposition, des interfaces numériques conçues telles des dispositifs expographiques, ou encore des expôts virtuels, exhibés numériquement hors les murs du musée 11 . Cette situation s’avère plus intéressante encore lorsque l’on passe de la muséalisation du virtuel à la numérisation de l’objet de musée. Le présent article se positionne au sein ÉTUDES

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HISTOIRE DE L’ART NO 84-85 2019/2020 133

Pamela BIANCHI

Stratégies digitales et muséalisation du virtuelLe cas du MoRE

Ce qui est en cause, ce n’est pas la conservation du passé, mais la réalisation de ses espérances1.

L’institution muséale serait en train de vivre, selon Yves Bergeron, sa quatrième révo-lution. Dite « numérique2 », cette révolution serait née à la suite de la redéfinition de la notion de patrimoine3 et de l’essor des nouvelles technologies dans les pratiques muséologiques contemporaines. Ces deux facteurs, étroitement associés, auraient notam-ment engendré une nouvelle caractérisation du musée et de la muséologie en général. Ainsi, tandis que la « boulimie frénétique à vouloir tout conserver, tout préserver4 » de la société contemporaine devient « “pensable” à défaut [d’être] “possible”5 » grâce à la dématérialisation progressive des collections, cette même utopie du stockage, ou « impulsion d’archivage6 », se traduit par l’émergence croissante d’autres objets cultu-rels (matériels et immatériels) et, par conséquent, de nouvelles formes de patrimoine. En définitive, bien que « tout ce qui est patrimonialisé [ne soit] pas muséalisé7 », de nouveaux éléments à conserver et de nouvelles modalités de préservation et d’exposi-tion prennent forme au sein d’une institution muséale dont la dimension numérique devient de plus en plus marquée.

« Culture numérique et dématérialisation de la culture – poursuit Bergeron – [conduisent] à [de] nouvelles stratégies digitales » qui, tout en facilitant les processus d’archivage et de documentation, rapprochent les musées des bibliothèques et des archives8. En d’autres termes, la conception d’un patrimoine élargi, immatériel et virtuel laisserait apparaître « une conscience globale, certes immatérielle, mais universelle et en grande partie virtuelle, car non pleinement actualisée9 », capable de réunir ces institutions sous un langage commun, uniformisé et numérique. En particulier, le rapprochement des responsabilités et des tâches muséales de celles des archives et des bibliothèques, s’il se voit comme le résultat de l’hybridation des pratiques muséologiques (de plus en plus centrées sur la nécessité de séduire un public informatisé), vient également dépas-ser l’espace traditionnel du musée. La géographie du champ muséal s’élargit en effet, tant dans sa dimension physique (musées virtuels, expositions hors murs, en réalité augmentée, etc.) que dans son ontologie10. De même, puisque la numérisation des pro-cessus de muséalisation concerne tant les champs de la conservation et de l’indexation que ceux de la création et de l’exposition, l’on remarque l’hybridation des dispositifs mis en œuvre : des plateformes digitales d’archivage qui se font espaces d’exposition, des interfaces numériques conçues telles des dispositifs expographiques, ou encore des expôts virtuels, exhibés numériquement hors les murs du musée11.

Cette situation s’avère plus intéressante encore lorsque l’on passe de la muséalisation du virtuel à la numérisation de l’objet de musée. Le présent article se positionne au sein

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de cette réflexion et vise à approfondir la relation entre les pratiques muséologiques et la culture digitale. En particulier, il insiste sur le potentiel heuristique du numérique dans les procédés muséographiques contemporains, et étudie le cas d’un musée numé-rique, le MoRE12 (Museum of Refused and Unrealized Arts Projects), qui a misé sur la dialectique entre l’espace virtuel et les pratiques muséologiques traditionnelles pour définir un dispositif contemporain de recherche et de création.

Le MoRE : le musée des projets d’œuvres non réalisés

L’archivation produit autant qu’elle enregistre l’événement13.

Dans le sillage du processus de virtualisation14 de ces trente dernières années, le MoRE est un musée virtuel qui réunit, conserve et expose numériquement les projets d’œuvres15 des xxe et xxie siècles qui n’ont pas été réalisés pour diverses raisons : une censure, un refus lors d’un concours, un manque de financement, un changement d’intentions. Né en 2012 de la collaboration entre deux chercheurs italiens (Elisabetta Modena et Marco Scotti) et l’université de Parme, le MoRE reçoit, en 2018, le prix italien i8 pour les espaces d’exposition indépendants et, à cette occasion, est « exposé » physiquement au MAXXI (Museo nazionale delle arti del xxi secolo) de Rome.

Loin d’être la simple plateforme virtuelle d’un musée ayant un siège physique et archi-tectural, le MoRE se présente comme une véritable institution numérique, un musée/site web (fig. 1) qui s’est approprié le langage numérique pour en faire un instrument de conservation, d’exposition et de médiation. Via la plateforme Omeka, pensée pour l’archivage de collections et la mise en œuvre d’expositions en ligne, ce musée répar-tit ses activités à l’intérieur d’espaces virtuels dédiés à l’exposition, au stockage et à la recherche. Sa collection se compose exclusivement de matériel numérisé ; les documents physiques (pour l’essentiel, carnets de notes, images de synthèses, descriptions et esquisses) restent la propriété des artistes qui ne donnent au MoRE que les droits d’exposition du matériel numérisé. Entièrement accessible sous forme de plateforme d’archivage électro-nique, cette collection recueille des documents consultables grâce à une série de balises qui permettent, par ailleurs, d’identifier les raisons de la non-réalisation.

Bien que ce musée rentre sans difficulté dans le flux historique des réflexions concep-tuelles américaines des années 1970 et des projets expérimentaux d’archivage du non-fini16, ses origines sont à rechercher dans la 20e Conférence internationale de l’ICOFOM17, en 2004, dédiée au patrimoine immatériel. Dans ce contexte, l’historienne de l’art italienne Marina Pugliese envisageait un musée de projets où « l’archivage et la documentation se substitue[raient] à l’existence matérielle de l’œuvre18 ». Dix ans plus tard, Pugliese souligne les correspondances19 entre sa vision du musée et le MoRE, en insistant sur le potentiel heuristique d’un tel propos muséologique. En effet, ce musée réunit en soi l’idée d’archive20 numérique21 et les procédés qui sont propres à l’institution muséale (sélectionner, acquérir, conserver, cataloguer, étudier, exposer et transmettre), à travers la mise en œuvre d’un langage uniformisé (la numérisation des documents) qui se fait simultanément dispositif de conservation et moyen de diffusion. En revanche, Modena et Scotti, non sans vouloir faire de la numérisation du patrimoine l’un des préceptes de cette institution, ont également insisté sur la spécificité et la nature du patrimoine à conserver. En s’intéressant uniquement aux documents réalisés pour l’étude préalable à la conception d’une œuvre, le MoRE a fait du non-réalisé l’objet de son intérêt. Bien que les études ou œuvres inachevées aient pu, de longue date, intégrer le champ muséal22, l’unicité de ce musée réside dans son intérêt exclusif pour ce type d’objet.

Ici, la notion d’inachevé, à laquelle celle de projet renvoie, se rapproche de celle de virtuel, entendu non dans son lien à tout ce qui est de l’ordre du numérique, mais dans son sens premier de « potentiel ». À l’instar du projet, qui représente « la première

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rédaction de ce qu’on a l’intention de faire », le virtuel, dérivé du latin virtualis, désigne le potentiel, ce qui n’est qu’en puissance, autrement dit ce « qui possède toutes les conditions essentielles à son actualisation23 ». À l’intérieur de ce musée/site web, la « muséalisation du virtuel24 » engendre ainsi un changement statutaire25 : les documents composant le projet, tandis qu’ils passent concrètement de la condition matérielle à la condition numérique, vivent également un déplacement qui, de la condition virtuelle d’œuvres potentielles, les rapproche de celle d’œuvres à part entière. Ni substitut ni simple documentation, le projet, au sein du MoRE, est traité à la fois comme un objet autonome et comme un cadre interprétatif pour réfléchir autour « des limites du système de l’art [et] des liens avec le marché de l’art26 ». Si généralement le musée, en tant qu’institution, « ne présente pas seulement de beaux objets, mais invite avant tout à en comprendre le sens27 », le MoRE semble ici revenir sur l’idée de virtuel (non encore réalisé) dont il protège le droit d’auteur28. En effet, ces projets, en tant qu’idées laissées au stade potentiel, pourraient, un jour, être réalisés, comme cela a été le cas du Proposal for the Olympic Park Gateways de Jeremy Deller. L’idée de l’artiste anglais était d’installer une structure ressemblant au site de Stonehenge à l’entrée du parc olympique à Londres, en 2012 ; si elle n’a pas été retenue à l’époque, elle a cependant été réalisée (et réadaptée) en 2018, pour l’exposition personnelle que la Fondazione Nicola Trussardi de Milan a consacrée à l’artiste dans le parc milanais CityLife29.

Dans le cadre du MoRE, l’absence de réalisation (non intentionnelle) devient la condition qui présuppose la muséalisation des projets, lesquels, en tant qu’œuvres vir-tuelles – en attente de réalisation –, s’actualisent en œuvres grâce à leur thésaurisation à l’intérieur du propos scientifique du MoRE et à leur mise en exposition.

La collection : du document à l’œuvreMatérialisée ou pas, l’idée en elle-même vaut autant comme œuvre d’art que le pro-duit fini. Toutes les étapes en jeu – gribouillis, esquisses, dessins, repentirs, modèles, études, pensées, conversations – présentent de l’intérêt30. 

Le MoRE serait en train de réaliser ce qu’Anne Bénichou suggérait en réfléchissant à la valeur du document en art : « [Il faudrait que] le statut et la valeur documentaire des documents d’artistes soient repensés et que l’on puisse inclure dans le champ de la documentation ceux qui en semblent le plus éloignés : les documents qui construisent

Fig. 1. Page d’accueil du site web du MoRE (capture d’écran, 2019). © MoRE.

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des œuvres fictives, ceux qui consistent en des œuvres idéales qui n’ont jamais été matérialisées, les cours holistiques qui légitiment la vie en œuvre d’art, etc.31. » En revanche, se présentant comme une plateforme numérique qui diffuse et conserve à la fois, le MoRE dépasse ce procédé d’inclusion, pour engendrer un processus de muséalisation qui, ne se consacrant qu’aux projets d’œuvres, semble suggérer une sorte d’« esthétisation du document32 ». En effet, le projet, tout en demeurant un moyen per-mettant de décrire33 les étapes créatives de l’approche heuristique de chaque artiste, acquiert une autonomie qui relève de l’œuvre d’art. Comme ils ne sont liés à aucune œuvre réalisée, mais représentent la seule idée d’une œuvre possible, ces documents dépassent leur rôle documentaire, perdent leur condition traditionnelle de secondarité vis-à-vis de l’œuvre et s’inscrivent à l’intérieur d’un propos muséographique qui consi-dère leur dimension d’unicité et d’autonomie. Parce que les œuvres n’ont jamais été réalisées, la valeur esthétique des projets porte tant sur l’idée d’expôt autonome que sur le rapport que ces derniers entretiennent avec l’œuvre virtuelle qu’ils décrivent. Cela se fait plus évident encore lorsque l’on comprend que, pour certains projets du MoRE, les documents rassemblés se composent de travaux préparatoires et également d’éléments postérieurs34 à la conception du projet. Dans ces cas, le plus souvent, le projet se constitue grâce à un travail heuristique d’analyse, de choix et d’organisation des documents mis en place par l’artiste, qui relève de l’œuvre d’art et qui dilate la temporalité de sa conception. Les projets d’Ugo La Pietra Casa per uno scultore35 et Nodi Urbani sont en ce sens emblématiques. Le premier se compose de plusieurs croquis que La Pietra réalise entre 1960 et 1962 pour la création de la maison de Carmelo Cappello ; le second d’une quinzaine de dessins (1965-1966) décrivant de possibles interventions dans le paysage. En couvrant plusieurs années d’activité de La Pietra, ces documents ne représentent pas que des travaux non réalisés, mais viennent suggérer une sorte de temporalité élargie du processus créatif, dépassant le seul cadre d’un projet auto-nome. S’ils décrivent des thématiques spécifiques, chères à l’architecte/artiste, ces deux projets s’inscrivent en effet dans un travail réflexif et historique réalisé par La Pietra et les « conservateurs » du MoRE.

Le passage de l’objet réel à la numérisation de ces documents entraîne ensuite un dialogue entre les notions de contenu et de forme, qui rapproche l’ontologie du MoRE au propos conceptuel des artistes américains des années 1970. À ce sujet, l’exposition36 que Mel Bochner organise à la School of Visual Arts de New York en 1966, Working

Fig. 2. Mel Bochner, Working Drawings and Other Visible Things on Paper Not Necessarily Meant to Be Viewed as Art, 1966, 4 carnets à feuilles mobiles identiques, contenant chacun 100 photocopies de notes d’atelier, de dessins de travail et de diagrammes recueillis et photocopiés par l’artiste, présentés sur 4 sellettes, taille déterminée par l’installation, New York, Museum of Modern Art. Vue de l’exposition à la School of Visual Arts de New York (2-23 décembre 1966) avec Mel Bochner. © Mel Bochner, avec l’aimable autorisation de l’artiste.

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Drawings and Other Visible Things on Paper Not Necessarily Meant to Be Viewed as Art (fig. 2), apparaît comme le paradigme expographique repris aujourd’hui par le MoRE. En expo-sant les photocopies des « dessins préparatoires et autres choses visibles sur papier, non nécessairement destinés à être vus comme art » (fig. 3), l’artiste américain explicitait, à l’époque, le processus créatif en s’interrogeant sur sa valeur artistique. Ce faisant, non seulement il réfléchissait aux modalités de présentation des documents opérant tels des signes sémiotiques, mais il transposait l’attention de l’artefact au processus narratif, de la valeur esthétique de l’œuvre à son rôle de cadre interprétatif.

Aujourd’hui, le MoRE semble poursuivre dans la même lignée conceptuelle amé-ricaine en proposant des stratégies muséologiques, à l’égard de la culture numérique contemporaine, qui s’intéressent au potentiel artistique du processus créatif. Ainsi, dans ce musée, le passage de l’objet réel à sa version numérique engendre une transformation pour laquelle « ce qui était une forme dans [le monde réel] devient un contenu [dans le contexte numérique]37 ». Tout en étant, pour la plupart, des notes, des descriptions et des esquisses, ces projets se définissent souvent grâce à leur structure textuelle ou schématique et dans leur lecture progressive. L’œuvre se dévoile notamment à l’issue d’un processus de relecture critique de la notion de projet et dans la temporalité d’une compréhension graduelle. Les sept projets donnés au MoRE par Cesare Pietroiusti, dont la pratique s’inscrit à l’intérieur d’un champ de la création contemporaine qui a trait au potentiel heuristique du mot, de la littérature et de la description, suggèrent ce processus. Le Museo degli artisti dimenticati (« musée des artistes oubliés », 2000 ; fig. 4) et Progetti per una mostra retrospettiva (« projets pour une exposition rétrospective », 2000-2003)38 se pré-sentent, par exemple, sous forme de descriptions minutieuses rédigées par l’artiste dans des carnets de notes. Elles précisent ses intentions concernant la possibilité de réaliser une exposition d’artistes oubliés par le système de l’art et une exposition rétrospective où exposer aussi des artistes dont les œuvres ressemblent aux siennes. Ces projets, tout en se révélant à la suite d’un processus de lecture, dépassent, en revanche, la simple idée énoncée

Fig. 3. Mel Bochner, Working Drawings and Other Visible Things on Paper Not Necessarily Meant to Be Viewed as Art, 1966, vue de l’exposition à la School of Visual Arts de New York, détail. © Mel Bochner, avec l’aimable autorisation de l’artiste.

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pour se faire porteurs d’une réflexion sur des thèmes propres au système de l’art, tels que ceux de l’unicité de l’œuvre et de la propriété intellectuelle39.

Finalement, les projets du MoRE, faute de pouvoir se matérialiser dans les formes qu’ils décrivent, se donnent à voir sous une autre matérialité (image, concept, script40) qui tient lieu d’œuvre. Un tel passage, comme l’explique Anne Bénichou au sujet du statut du document en rapport à l’œuvre d’art, « va générer des modalités très diverses de consignation et de diffusion des idées qui prendront la forme de systèmes de docu-mentation, non dépourvus de qualités visuelles41 ». Le MoRE apparaît comme l’un des systèmes de documentation envisagés par Bénichou, où la nature contingente et simul-tanément perméable des statuts (documentaire et artistique) des éléments numérisés met finalement en discussion les conventions institutionnelles qui sont à l’œuvre dans un musée, telle la distinction entre des catégories épistémologiques, ou les modalités de leur mise en œuvre.

L’exposition : du virtuel au réel, du contenu à la formeÉtudier la notion d’exposition, au sein d’une institution comme le MoRE, nécessite d’opérer une distinction entre les concepts d’exposition numérique et d’exposition du numérique. Tout en présentant des documents qui bénéficient de la culture numérique pour trouver et expérimenter une nouvelle apparence artistique, le MoRE exploite l’espace numérique en le concevant comme une interface expographique. En revanche, il ne profite de l’architecture spatiale du Web que partiellement, en l’envisageant comme un simple dispositif de diffusion. Au lieu d’agencer les projets à l’intérieur d’une scénogra-phie numérique simulant des espaces architecturaux, comme l’a fait, par exemple, la Tate

Fig. 4. Cesare Pietroiusti, « Museo degli artisti dimenticati », vers 2000, carnet de notes numérisé, MoRE. © MoRE.

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Gallery de Londres en 2012, avec l’exposition The Gallery of Lost Art 42 (fig. 5), le MoRE, depuis son ouverture, se limite à regrouper des projets, sélectionnés préalablement, sous un thème spécifique, en les exposant sous forme d’œuvres archivées (une fiche de lecture). Ce faisant, il définit une sorte de protocole expographique (fig. 6) pour lequel le design d’espace et les modalités d’accrochage numérique demeurent intangibles.

Au fil des années, le MoRE, en gardant toujours le même type de scénographie, a expérimenté des formules expographiques hétérogènes. L’exposition One MoRE Year, par exemple, inaugurée en 2013 pour commémorer le premier anniversaire du musée, est à considérer comme une exposition manifesto du musée. Organisée en une suite de salles/pages web (fig. 7), ayant chacune une thématique spécifique (l’archive, les motivations du non-réalisé, le rôle du commissaire, etc.), l’exposition réunit une série de projets pour illustrer visuellement les thèmes principaux sous-jacents au MoRE. Depuis cette exposition, le musée a proposé des expositions personnelles (comme celle dédiée à Liliana Moro), laissé carte blanche aux artistes et développé des sujets spécifiques, comme Unrealized Paintings. Cette exposition, dédiée aux projets d’œuvres picturales jamais réalisées, s’est intéressée à la question du non-réalisé en peinture, en étudiant la manière dont les catégories épistémologiques principales, abbozzo43 et œuvre, agissent au sein de ce cadre théorique. Dans la même perspective, l’institution a réalisé des expositions issues de propositions publiques, comme Proposals, Dreams and Utopias from Zagreb, qui fait suite à la résidence de recherche du MoRE au sein du MSU (Muzej Suvremene Umjetnosti [musée d’art contemporain]) à Zagreb. Invité à explo-rer la scène artistique de la ville, le comité scientifique du MoRE a découvert une série

Fig. 5. Page d’accueil du site web de The Gallery of Lost Art, Londres, Tate Gallery (capture d’écran, 2019). © Tate.

Fig. 6. Page web du projet de Cesare Pietroiusti, « Museo degli artisti dimenticati », vers 2000, MoRE (capture d’écran, 2019). © MoRE.

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de projets artistiques inachevés remontant aux années 1950, qui ont été ensuite exposés dans les deux musées et donc sous deux formes différentes, l’une numérique et l’autre physique. Enfin, dans le but d’élargir le champ d’action et de réflexion, le MoRE a depuis étendu ses recherches à l’histoire des expositions, en donnant vie à une nouvelle section dédiée aux projets d’expositions jamais réalisés.

Toutes ces formules, qui mettent en scène une série d’informations sous forme de liste de projets (peu propice à la mise en forme scénographique), témoignent du potentiel heuristique de l’archive lorsqu’elle est insérée dans un discours théorique. En effet, le MoRE semble ici dépasser la logique schématique de la liste (basée sur l’idée de thésaurisation) pour faire de l’archive un lieu ayant valeur d’exposition.

Finalement, tout en étant un musée entièrement centré sur l’idée d’inachevé, ce musée apparaît également comme un projet de recherche qui dépasse le seul enjeu muséologique. Cet aspect est plus clair encore lorsque l’on pense que le MoRE a été récemment exposé comme un « objet », lors de la remise du prix italien i8 pour les lieux d’art indépendants, au MAXXI. L’exposition, titrée WunderMoRE 44, a physique-ment réuni tous les projets de la collection du musée dans la salle du rez-de-chaussée du musée romain. Carnets de notes, esquisses, images, temporairement prêtés par les artistes, ont été ainsi encadrés et accrochés (en deux configurations différentes pen-dant la période d’exposition), afin de suggérer l’idée de Wunderkammer (fig. 8) par un effet de surabondance et de dépaysement perceptif. Les commissaires ont cherché à matérialiser le volume physique de la collection du MoRE en donnant une idée de l’ampleur que tous ces projets auraient pu avoir. Simultanément, pour ne pas occulter la nature digitale du musée, ils ont fourni, à côté de chaque document accroché, un code QR renvoyant à la page internet du MoRE, dédiée au même projet sous sa forme numérique. En révélant la nature duale, physique et virtuelle, de ces documents, cette exposition a joué avec des temporalités et des spatialités diverses, mais parallèles, qui ont mobilisé la relation des spectateurs aux œuvres. En fusionnant ces deux réalités, WunderMoRE « [a quitté] la logique du discours pour basculer dans celle du visuel et du spatial45 », en donnant ainsi la possibilité d’expérimenter deux modalités différentes d’appréhension d’une œuvre. Si l’accrochage « à papier peint », typique des cabinets d’amateurs du xviie siècle, organisé au MAXXI, a donné à voir l’épaisseur de la collec-tion du MoRE, en privilégiant la vision d’ensemble à la rencontre intime avec le simple projet, le code QR a permis, au contraire, de revenir à la lecture de l’unité simple

Fig. 7. Page web de l’exposition One MoRE Year. Opere dalla collezione del Museum of Refused and Unrealised Art Projects, MoRE (commissaires : Elisabetta Modena, Marco Scotti et Francesca Zanella) (capture d’écran, 2019). © MoRE.

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et d’expérimenter ainsi une rencontre intime avec l’œuvre. Le processus de lecture des documents numérisés a été ainsi articulé avec l’expérience spatiale et esthétique des spectateurs dans les espaces du MAXXI. Finalement, le MoRE s’y est donné à voir comme un musée qui tire parti du numérique pour expérimenter d’autres formats expographiques vis-à-vis d’une catégorie d’œuvres dont le caractère virtuel (potentiel) semble s’harmoniser avec la nature virtuelle (numérique) de l’archive web.

Le musée virtuel des œuvres virtuellesCe livre est né du désir de lecture. Je me suis mis à l’écrire en pensant aux livres que j’aimerais lire. Je me suis dit alors : la meilleure façon d’avoir ces livres c’est de les écrire. Pas un livre, mais dix, l’un après l’autre, et tous à l’intérieur du même livre. Et chaque fois que je commençais, dans ce roman, un nouveau roman, ce qui me poussait, c’était encore et toujours le désir de lecture46. 

Tout en se consacrant à un sujet bien identifié, le MoRE apparaît comme un musée qui se centre sur les formes, les enjeux et les limites potentielles de l’institution muséale contemporaine. Il a misé sur l’immanence plurielle d’une œuvre, orchestrée par diverses conditions d’exposition, pour étudier aujourd’hui la capacité d’un expôt à se manifester sous diverses formes et à travers divers langages.

En regroupant des œuvres possibles, ce musée évoque la structure diégétique du roman d’Italo Calvino Si par une nuit d’hiver un voyageur qui, en réunissant dix récits interrompus et jamais terminés, laisse au lecteur la liberté de terminer chaque roman à sa convenance. À l’image du livre de Calvino, où l’acte de « collecter » des romans non terminés « fait glisser l’attention sur l’action même de raconter47 », dans le cadre du MoRE, le propos de regrouper les projets d’œuvres non encore réalisés oriente l’attention vers le processus créatif en tant que tel. Ici, l’archive48 s’est révélée tout autant un dispositif de conservation et de diffusion (dans sa capacité à offrir un modèle d’archivage qui est

Fig. 8. Vue de l’exposition WunderMoRE, MoRE (commissaires : Ilaria Bignotti, Elisabetta Modena, Valentina Rossi, Marco Scotti et Anna Zinelli), dans le cadre du projet « The Independent », Rome, MAXXI, 7 mars – 8 juillet 2018. © Photo Silvia Bidoli, courtesy Fondazione Maxxi.

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142 STRATÉGIES DIGITALES ET MUSÉALISATION DU VIRTUEL

à la fois fonctionnel et visuel) et une méthode49 de création (dans sa capacité à fournir un protocole de sélection et de mise en exposition). Finalement, bien qu’il relève de la définition typique du musée, le MoRE s’appréhende plutôt comme une forme hybride entre projet de recherche en histoire de l’art et création muséale, qui propose de nou-velles formules d’exposition et de présentation du document archivé. Avec l’ambition d’étudier « des critères d’importance historique, scientifique [et] des modèles d’expo-sition et de conservation digitaux en relation à la recherche historique et artistique50 », sa recherche est axée notamment sur l’articulation entre la culture digitale, le système de l’art, la production artistique et les processus de muséalisation. Ainsi, agissant tantôt comme un lieu de conservation, tantôt comme un lieu de production de contenus, le MoRE finit par interroger, d’une part, la capacité des nouvelles technologies à favoriser la conservation et la diffusion du patrimoine immatériel, et par sonder, d’autre part, la manière de mettre à profit ces pratiques vis-à-vis du système muséologique contemporain.

Pamela Bianchi est historienne de l’art et docteure de l’université Paris 8, où elle est rattachée au labora-toire Arts des images et art contemporain (AI-AC). Ses recherches incluent l’histoire de l’espace et de l’archi-tecture d’exposition, les théories de l’exposition et les études muséographiques. Elle est l’auteure de l’ouvrage Espaces de l’œuvre, espaces de l’exposition. De nouvelles formes d’expérience dans l’art contemporain (Paris, Connaissances et Savoirs, 2016).

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143HISTOIRE DE L’ART NO 84-85 2019/2020

NOTES

1. T. W. Adorno et M. Horkheimer, La Dialectique de la raison (Amsterdam, 1947), Paris, Gallimard, 2000, p. 17.

2. Yves Bergeron situe la première révolution au xviiie siècle, lorsque le musée émerge en tant qu’institution culturelle, puis la deuxième dans la seconde moitié du xxe siècle, avec l’introduction de la Nouvelle Muséologie, puis enfin la troisième révolution dans les années 1990, où il associe les musées/marques au néolibéra-lisme. Y. Bergeron, « Musées et muséologie : entre cryogénisation, ruptures et transformations », dans F. Mairesse (dir.), Nouvelles tendances de la muséologie, Paris, La Documentation française, 2016, p. 229-246, ici p. 240.

3. Notamment depuis 2004 et la conférence de l’ICOFOM autour du patrimoine immatériel. H. K. Vieregg, B. Sgoff et R. Schiller, Museology and Intangible Heritage II: 20th International Symposium of ICOM, Munich, Museums-Pädagogisches Zentrum, « ICOFOM Study Series », 2004. Voir également : N. Heinich, La Fabrique du patrimoine : de la cathédrale à la petite cuillère, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2009.

4. S. Chaumier, « Pourquoi la muséologie ne devra plus être une composante du patrimoine », dans F. Mairesse (dir.), Nouvelles tendances de la muséologie, p. 68.

5. R. Robin, La Mémoire saturée, Paris, Stock, 2003, p. 441.

6. H. Foster, « An Archival Impulse », October, no 110, 2004, p. 3-22.

7. F. Mairesse, « Muséalisation. Regards & Analyse », dans A. Desvallées et F. Mairesse (dir.), Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin, p. 254.

8. Le lien entre musées, archives et bibliothèques n’est mis en ques-tion qu’au xviiie siècle, lorsque les musées se différencient selon des catégories distinguées et les collections se voient démantelées pour être réparties dans les bibliothèques et musées spécifiques.

9. B. Deloche, « L’irruption du numérique au musée : de la muséo-logie à la noologie », dans F. Mairesse (dir.), Nouvelles tendances de la muséologie, p. 145-158, ici p. 153-154.

10. Voir à ce sujet la nouvelle définition du musée proposée par l’ICOM. Tandis que celle qui est en vigueur (datant de 2007) insiste sur la clarification des activités muséales et sur la nature du patri-moine (« Le musée est une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation »), la définition examinée actuellement semble plutôt miser sur la polyvalence de l’institution et élargir davantage son champ d’action. « Les musées sont des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques, […] ils sont les dépositaires d’artefacts et de spécimens pour la société. Ils sauvegardent des mémoires diverses pour les générations futures et garantissent l’égalité des droits et l’égalité d’accès au patrimoine pour tous les peuples. […] Ils sont participatifs et transparents, et travaillent en collaboration active avec et pour diverses com-munautés afin de collecter, préserver, étudier, interpréter, exposer, et améliorer les compréhensions du monde […] » ; « Définition du musée », ICOM, s. d. [URL : http://icom.museum/fr/activites/normes-et-lignes-directrices/definition-du-musee].

11. Voir à ce sujet l’exposition The Gallery of Lost Art à la Tate Gallery de Londres en 2012, le projet ARtours du Stedelijk Museum d’Amsterdam (« ARtours », V2, 2010- [URL : http://v2.nl/archive/works/artours]) ou encore l’exposition WeARinMoMA du MoMA

de New York (« Oct 9th 2010: Augmented Reality Art Invasion! », SNDRV, 2010 [URL : http://www.sndrv.nl/moma]).

12. MoRE [URL : http://www.moremuseum.org/omeka]. Pour plus d’information sur le MoRE, voir Ricerche di S/Confine. Oggetti e pratiche artistico/culturali, no 3 : F. Zanella (dir.), Per un museo del non realizzato. Pratiche digitali per la raccolta, valorizzazione e conservazione del progetto d’arte contemporanea, 2014 [URL : http://www.ricerchedisconfine.info/dossier-3/dossier3-2014.pdf].

13. J. Derrida, Mal d’archive : une impression freudienne, Paris, Galilée, 1995, p. 34.

14. P. Levy, Qu’est-ce que le virtuel ?, Paris, La Découverte, 1998 ; C. Paul (dir.), New Media in the White Cube and Beyond: Curatorial Models for Digital Art, Berkeley, University of California Press, 2008 ; B. Graham et S. Cook, Rethinking Curating: Art After New Media, Cambridge, MIT Press, 2010.

15. La plupart d’entre eux sont des projets pour des installations, performances, vidéos ou œuvres d’art public.

16. Voir : Salon des Refusés (2003), exposition organisée à la Fondazione Bevilacqua La Masa, à Venise, par Roberto Pinto, qui a sondé le thème des projets non réalisés d’art public, en analysant les processus de création et les divers événements de planification liés à la création d’une œuvre. Unbuilt Roads: 107 Unrealized Projects, projet d’archivage qui rassemble depuis la fin des années 1990 les descriptions de projets non réalisés de plusieurs artistes historiques. Créée par Hans Ulrich Obrist et Guy Tortosa, l’archive a été publiée sous forme de livre en 1997. En 2006, les deux auteurs ont donné vie à une recherche axée sur le processus d’exposition de l’œuvre inachevée : Agency of Unrealized Projects (Londres, Serpentine Gal-lery, 2006). Pour ce projet, Obrist a travaillé en collaboration avec la plateforme numérique e-flux et la Serpentine Gallery de Londres, en cherchant à documenter des œuvres non réalisées au moyen de publications et d’archives numériques. Pour un approfondissement d’autres cas, voir M. Scotti, « Unbuilt art. Appunti per un dibattito sul non realizzato », Ricerche di S/Confine, no 3, 2014, p. 19-30.

17. Dans l’ensemble de textes (sorte de manifesto) qui inaugure le MoRE, l’on trouve le lien entre ce musée et la conférence de l’ICOFOM. Cf. M. Pugliese, « Una proposta per l’arte contemporanea: il “museo dei progetti” », Ricerche di S/Confine, no 3, 2014, p. 41-44.

18. M. Pugliese, « Une proposition pour l’art contemporain : le musée de projets », dans Vieregg, Sgoff et Schiller, Museology and Intangible Heritage II, p. 67-69, ici p. 68.

19. Voir à ce sujet la journée d’étude organisée par le MoRE en colla-boration avec le Museo del Novecento, à Milan, le 21 novembre 2013, « Per un museo del non realizzato. Pratique digitale per la raccolta, valorizzazione e conservazione del progetto d’arte contemporanea ».

20. « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité. » Code du patrimoine, article L211-1.

21. Pour l’adoption d’une interface standard (fiche d’archivage) utilisée pour toutes les œuvres de la collection.

22. Le non-réalisé du MoRE relève d’une condition involontaire et due à des causes extérieures, éloignée des œuvres intentionnelle-ment non finies pour lesquelles cette condition a été choisie comme état final d’achèvement. Sur le thème de l’inachevé dans l’art, voir

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144 STRATÉGIES DIGITALES ET MUSÉALISATION DU VIRTUEL

la récente exposition au MET Breuer de New York consacrée au non finito : Kelly Baum (dir.), Unfinished: Thoughts Left Visible, cat. expo. (New York, MET Breuer, 18 mars – 4 septembre 2016), New York, The Metropolitan Museum of Art, 2016.

23. « Virtuel, -elle », CNRTL, 2012- [URL : http://www.cnrtl.fr/definition/virtuel].

24. Deloche, « L’irruption du numérique au musée », p. 153.

25. « Le processus de muséalisation ne consiste pas à prendre un objet pour le placer au sein de l’enceinte muséale […] un objet de musée n’est pas seulement un objet dans un musée. À travers le changement de contexte et le processus de sélection, de thé-saurisation et de présentation s’opère un changement du statut de l’objet. Celui-ci, d’objet de culte, d’objet utilitaire ou de délectation […] devient à l’intérieur du musée, témoin matériel et immatériel de l’homme et de son environnement, source d’étude et d’exposition, acquérant ainsi une réalité culturelle spécifique. » Desvallées et Mairesse, Dictionnaire encyclopédique de muséologie, p. 251.

26. E. Modena, « MoRE Museum. Ceci n’est pas un musée », Ricerche di S/Confine, no 3, 2014, p. 1-18, ici p. 8.

27. Mairesse, « Muséalisation. Regards & Analyse », p. 252.

28. Modena, « MoRE Museum. Ceci n’est pas un musée », p. 7

29. Voir le site web de la Fondazione Nicola Trussardi [URL : http://www.fondazionenicolatrussardi.com/en/mostre/sacrilege] et celui du MoRE [URL : http://www.moremuseum.org/omeka/items/show/12].

30. S. Lewitt, « Paragraphs on Conceptual Art », Artforum, no 5/10, été 1967, p. 79-83 ; trad. fr. : « Alinéas sur l’art conceptuel », dans C. Har-rison et P. Wood (dir.), Art en théorie, 1900-1990, Paris, Hazan, p. 911.

31. A. Bénichou, « Ces documents qui sont aussi des œuvres… », dans id. (dir.), Ouvrir le document. Enjeux et pratiques de la docu-mentation dans les arts visuels contemporains, Dijon, Les presses du réel, 2010, p. 47-76, ici p. 71.

32. Ibid., p. 47.

33. Le document, d’un point de vue étymologique, sous-entend l’idée d’authenticité, de trace testimoniale et d’élément ayant une valeur didactique.

34. Voir le projet de Cesare Pietroiusti, Inviti. Il se compose de la page d’un carnet de notes, où l’artiste a soigneusement décrit ses intentions, et de deux publications (illustrant l’œuvre non réalisée) qui suivent la conception du projet de quelques années ; C. Pietroiusti, « Inviti », MoRE [URL : http://moremuseum.org/omeka/items/show/42].

35. U. La Pietra, MoRE [URL : http://moremuseum.org/omeka/items/show/37].

36. M. Bochner invite artistes, mathématicien, architecte, musicien, chorégraphe, etc., à lui envoyer des dessins préparatoires, des plans, des partitions, des croquis. À la suite d’un travail de sélection, il expose ensuite les photocopies de ces travaux, organisées en quatre classeurs sur quatre socles blancs. Voir M. Bochner, « An Interview with Elayne Varian » (1969), dans Solar System and Rest Rooms. Writings and Interviews, 1965-2007, Cambridge/Londres, The MIT Press, 2008.

37. B. Groys, « From the Form-Giver to the Content Provider », dans L. Giusti et N. Ricciardi (dir.), Museums at the Post-Digital Turn, Milan, Mousse Publishing, 2019, p. 57.

38. « Cesare Pietrousti », MoRE [URL : http://moremuseum.org/omeka/collections/show/14].

39. Dans les notes pour l’exposition rétrospective : « LES ARTISTES COMME MOI. Si je deviens célèbre, je fais une exposition de tous

les artistes qui ont fait un travail semblable au mien, qui voulaient faire ou ont dit qu’ils avaient imaginé des projets que j’ai réalisés plus tard, qui prétendent que j’ai volé leurs idées. » C. Pietroiusti, « [Progetti per una mostra retrospettiva] », MoRE [URL : http://moremuseum.org/omeka/items/show/44]. Nous traduisons.

40. « Le script est tout document utilisant une écriture, qui ne relève pas d’un système notationnel rigide (par exemple la partition musicale), et qui fixe un scénario pouvant être écrit, mais aussi dessiné et photographié, servant à guider la réinstallation des œuvres, et à préserver leur mémoire ou leur pérennité. » D. Semin, Le Peintre et son modèle déposé, Genève, Musée d’art moderne et contemporain, 2001, cité par F. Couture, « Réexposition et pérennité de l’art contemporain », Culture & Musées, no 16, 2010, p. 141.

41. Bénichou, « Ces documents qui sont aussi des œuvres… », p. 57.

42. The Gallery of Lost Art [URL : http://galleryoflostart.com]. Exposition numérique, sur un an, qui a orchestré une série de documents témoignant de l’histoire de quarante chefs-d’œuvre de l’art moderne aujourd’hui disparus, divisée en dix catégories représentant dix types d’œuvres manquantes : volées, détruites, rejetées, non réalisées, mises de côté, disparues, dégradées, retravaillées, éphémères et censurées. L’espace virtuel a été orga-nisé et théâtralisé en une archive spatialisée que le spectateur pouvait découvrir et arpenter numériquement afin d’accéder aux ressources. Chaque œuvre a été présentée à travers des photogra-phies d’archives, des articles de presse, des critiques, des rapports de témoins oculaires, des croquis et des lettres personnelles. Le site web/espace d’exposition offrait également une plateforme d’interaction et de discussion.

43. « Non finito (terme italien ; mot à mot : inachevé) : caractère de l’ouvrage ou des parties d’ouvrage laissées à l’état d’abbozzo. La notion est d’abord négative, mais à la suite des initiatives de Michel-Ange, après 1500, elle tend à être associée à la vigueur de l’inspiration (furor ) et se trouve ainsi valorisée. » A. Chastel, Le Grand Atelier, Paris, Gallimard, 1965, p. 374.

44. Voir la page web dédiée à l’exposition : « The Independent: MoRE Museum of Refused and Unrealised Art Projects », MAXXI, 2018 [URL : http://www.maxxi.art/en/events/the-independent-more-museum-of-refused-and-unrealised-art-projects].

45. J. Davallon, « Peut-on parler d’une “langue” de l’exposition scientifique ? », dans B. Schiele (dir.), Faire voir, faire savoir. La muséologie scientifique au présent, Québec, Musée de la civili-sation, 1989, p. 47-59.

46. I. Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur (1979), trad. fr. D. Sallenave et F. Wahl, Paris, Seuil, 1995.

47. M. Polacco, « Se una notta d’inverno un viaggiatore : il testo e i suoi modelli », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa. Classe di Lettere e Filosofia, série III, vol. 21, no 3/4, 1991, p. 995-1029, ici p. 1003.

48. Le tournant formel et ontologique que l’idée d’archive a vécu ces dernières années permet aujourd’hui d’interroger les modalités de son intégration dans les institutions muséales et les change-ments conséquents. Voir A. Bénichou, Un imaginaire institutionnel. Musées, collections et archives d’artistes, Paris, L’Harmattan, 2013.

49. Voir S. Osthoff, Performing the Archive: The Transformation of the Archive in Contemporary Art from Repository of Documents to Art Medium, New York, Atropos, 2009.

50. « MoRE Museum: A Short Bio », Ricerche di S/Confine, no 3, 2014, p. 113-115, ici p. 113.