5
1S16 J Chir 2008,145 – Hors-série 1 • © 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Article original Tumeurs digestives et bévacizumab J. Bennouna Centre René-Gauducheau - Nantes Correspondance : J. Bennouna, Centre René Gauducheau, Site Hospitalier Nord bd J. Monod, 44805 Saint Herblain cedex. e-mail : [email protected] Des progrès significatifs ont été accomplis au cours des dix dernières an- nées dans le traitement des cancers colorectaux métastatiques. La démons- tration d’une amélioration de la survie grâce à l’utilisation d’un anti-angiogé- nique, le bévacizumab, est l’une de ces avancées majeures. Après avoir retracé l’histoire et l’état du développement de cet anticorps monoclonal en cancérolo- gie, le présent exposé sera centré sur son apport en cancérologie digestive. Historique Eu égard à la très large implication du VEGF dans l’angiogenèse tumorale, le bévacizumab fait actuellement l’objet d’une utilisation ou d’un développe- ment dans des modèles très divers de tu- meurs malignes : les données les plus complètes se rapportent aux cancers du poumon, du côlon, du rein et du sein. Etant donné le rôle décisif joué par l’angiogenèse dans le cancer du rein, c’est à cette indication que se rapporte la première publication, en 2003, d’une utilisation du bévacizumab en clinique humaine et la démonstration, en mono- thérapie, d’une augmentation de la sur- vie sans progression [1]. L’année sui- vante, paraissait dans New England Journal of Medicine l’étude pivotale de Hurwitz et al. dans les cancers colorec- taux métastatiques en première ligne [2]. L’association du bévacizumab à une chimiothérapie faisait la preuve d’une prolongation statistiquement et clini- quement significative de la survie. Trois ans plus tard, l’étude randomisée de l’ECOG apportait la même démonstra- tion en deuxième ligne métastatique [3]. Dans les cancers pulmonaires évo- lués ou métastatiques, en première ligne de traitement, la place du bévacizumab, en association à une chimiothérapie contenant un dérivé du platine, a été va- lidée par deux études distinctes, dont l’une non encore publiée, présentée en 2007 à l’ASCO [4,5]. Dans les formes épidermoïdes, toutefois, le risque d’hé- moptysie foudroyante interdit son utili- sation. C’est encore en 2007 que l’étude AVOREN, présentée en séance pléniè- re à l’ASCO, a montré que l’adjonction de bévacizumab à l’interféron alfa per- mettait un doublement de la survie sans progression dans les cancers du rein métastatiques [6]. Dans le cancer du sein en première ligne métastatique, une augmentation de la survie sans progression a été dé- montrée (résultats non publiés) lorsque le bévacizumab était associé au pacli- taxel [7,8]. Traitements ciblés dans les cancers colorectaux métastatiques : les grandes dates L’année 2004 a marqué définitive- ment l’avènement des thérapeutiques ciblées dans les cancers colorectaux, avec la publication de deux essais cli- niques en association à la chimiothé- rapie, l’un avec le cétuximab [9], l’autre avec le bévacizumab [2]. Dans l’étude de Hurwitz et al. [2], la chimio- thérapie associée au bévacizumab comportait de l’irinotécan, du 5- fluoro-uracile (5FU) et de l’acide foli- nique, selon un schéma IFL assez lar- gement utilisé outre-Atlantique. L’an- née suivante, l’annonce des résultats de l’essai E3200 de l’ECOG, publiés sous leur forme définitive en 2007, montre que le bénéfice du bévacizu- mab est également significatif lorsqu’il est associé à un schéma FOLFOX4 (oxaliplatine, fluoro-uracile, acide fo- linique) en 2 e ligne métastatique [3]. Ici encore, un bénéfice significatif est obtenu non seulement en termes de survie sans progression, mais aussi de survie globale (figure 1). En 2007, lors du symposium de l’ASCO consacré aux tumeurs digesti- Figure 1. Chimiothérapie IFL avec ou sans bévacizumab dans les cancers colorectaux métastatiques en première ligne. D’après Hurwitz et al. [2]. RO = Réponse objective. 45% IFL + Bevacizumab 35% IFL + Placebo Taux de R.O IFL +/- Bevacizumab dans les CCRM n=815 1ère ligne % sans progression % survie 100 80 60 40 20 0 100 80 60 40 20 0 HR = 0,54, p < 0,00001 Médiane : 6,2 vs 10,6 mois HR = 0,65, p = 0,00003 Médiane : 15,6 vs 20,3 mois Groupe de traitement Groupe de traitement IFL/Placebo IFL/BV IFL/Placebo IFL/BV Survie sans progression (mois) Survie globale (mois)

Tumeurs digestives et bévacizumab

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Tumeurs digestives et bévacizumab

1S16

J Chir 2008,145 – Hors-série 1 • © 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Article original

Tumeurs digestives et bévacizumab

J. Bennouna

Centre René-Gauducheau - Nantes

Correspondance :

J. Bennouna, Centre René Gauducheau, Site Hospitalier Nord bd J. Monod,44805 Saint Herblain cedex.e-mail : [email protected]

Des progrès significatifs ont étéaccomplis au cours des dix dernières an-nées dans le traitement des cancerscolorectaux métastatiques. La démons-tration d’une amélioration de la surviegrâce à l’utilisation d’un anti-angiogé-nique, le bévacizumab, est l’une de cesavancées majeures. Après avoir retracél’histoire et l’état du développement decet anticorps monoclonal en cancérolo-gie, le présent exposé sera centré sur sonapport en cancérologie digestive.

Historique

Eu égard à la très large implicationdu VEGF dans l’angiogenèse tumorale,le bévacizumab fait actuellement l’objetd’une utilisation ou d’un développe-ment dans des modèles très divers de tu-meurs malignes : les données les pluscomplètes se rapportent aux cancers dupoumon, du côlon, du rein et du sein.

Etant donné le rôle décisif joué parl’angiogenèse dans le cancer du rein,c’est à cette indication que se rapportela première publication, en 2003, d’uneutilisation du bévacizumab en cliniquehumaine et la démonstration, en mono-thérapie, d’une augmentation de la sur-vie sans progression [1]. L’année sui-vante, paraissait dans

New EnglandJournal of Medicine

l’étude pivotale deHurwitz et al. dans les cancers colorec-taux métastatiques en première ligne[2]. L’association du bévacizumab à unechimiothérapie faisait la preuve d’uneprolongation statistiquement et clini-quement significative de la survie. Troisans plus tard, l’étude randomisée del’ECOG apportait la même démonstra-tion en deuxième ligne métastatique [3].

Dans les cancers pulmonaires évo-lués ou métastatiques, en première lignede traitement, la place du bévacizumab,en association à une chimiothérapiecontenant un dérivé du platine, a été va-lidée par deux études distinctes, dont

l’une non encore publiée, présentée en2007 à l’ASCO [4,5]. Dans les formesépidermoïdes, toutefois, le risque d’hé-moptysie foudroyante interdit son utili-sation.

C’est encore en 2007 que l’étudeAVOREN, présentée en séance pléniè-re à l’ASCO, a montré que l’adjonctionde bévacizumab à l’interféron alfa per-mettait un doublement de la survie sansprogression dans les cancers du reinmétastatiques [6].

Dans le cancer du sein en premièreligne métastatique, une augmentationde la survie sans progression a été dé-montrée (résultats non publiés) lorsquele bévacizumab était associé au pacli-taxel [7,8].

Traitements ciblés dans les cancers colorectaux métastatiques : les grandes dates

L’année 2004 a marqué définitive-ment l’avènement des thérapeutiques

ciblées dans les cancers colorectaux,avec la publication de deux essais cli-niques en association à la chimiothé-rapie, l’un avec le cétuximab [9],l’autre avec le bévacizumab [2]. Dansl’étude de Hurwitz et al. [2], la chimio-thérapie associée au bévacizumabcomportait de l’irinotécan, du 5-fluoro-uracile (5FU) et de l’acide foli-nique, selon un schéma IFL assez lar-gement utilisé outre-Atlantique. L’an-née suivante, l’annonce des résultatsde l’essai E3200 de l’ECOG, publiéssous leur forme définitive en 2007,montre que le bénéfice du bévacizu-mab est également significatif lorsqu’ilest associé à un schéma FOLFOX4(oxaliplatine, fluoro-uracile, acide fo-linique) en 2

e

ligne métastatique [3].Ici encore, un bénéfice significatif estobtenu non seulement en termes desurvie sans progression, mais aussi desurvie globale

(figure 1).

En 2007, lors du symposium del’ASCO consacré aux tumeurs digesti-

Figure 1. Chimiothérapie IFL avec ou sans bévacizumab dans les cancers colorectaux métastatiques en première ligne. D’après Hurwitz et al. [2].RO = Réponse objective.

45%IFL +Bevacizumab

35%IFL + Placebo

Taux de R.O

IFL +/- Bevacizumab dans les CCRM n=815

1ère ligne

% s

ans

prog

ress

ion

% s

urvi

e

100

80

60

40

20

0

100

80

60

40

20

0

HR = 0,54, p < 0,00001 Médiane : 6,2 vs 10,6 mois

HR = 0,65, p = 0,00003 Médiane : 15,6 vs 20,3 mois

Groupe de traitement Groupe de traitementIFL/PlaceboIFL/BV

IFL/PlaceboIFL/BV

Survie sans progression (mois) Survie globale (mois)

JCHIR Roche.book Page 16 Jeudi, 3. janvier 2008 2:42 14

Page 2: Tumeurs digestives et bévacizumab

1S17

J Chir 2008,145 – Hors-série 1 • © 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Article original

ves, ont été annoncés les résultats mis àjour de l’étude BICC-C qui montre, en-tre autres résultats, que le bévacizumabassocié au schéma FOLFIRI en premiè-re ligne métastatique permet d’obtenirune médiane de survie sans progressionde 11,2 mois, résultat encore supérieurà celui de l’association de bévacizumabet d’IFL (modifié) [10]. Toujours en2007, lors de la réunion de l’AACR, uneétude présentée par Peeters et coll. amontré qu’une autre thérapeutique ci-blée, le panitumumab, anticorps mono-clonal dirigé contre le récepteur del’EGF, est efficace chez des patients ré-sistants à la chimiothérapie convention-nelle [11]. Enfin, l’étude NO16966, ac-tualisée en 2007 à l’ASCO, amène às’interroger sur la définition de la chi-miothérapie de référence en premièreligne métastatique, à savoir FOLFOX4ou XELOX associé au bévacizumab[12, 13,14].

Étude princeps : IFL ± bévacizumab

L’étude a comparé, chez plus de 800patients atteints d’un cancer colorectalen première ligne métastatique, unechimiothérapie par irinotécan, fluoro-uracile et acide folinique (IFL) au mêmeschéma avec le bévacizumab [2]. L’étu-de était randomisée avec groupe témoinrecevant un placebo. Le taux de réponsea été de 45 % dans le groupe bévacizu-mab contre 35 % dans le groupe place-bo. Le bévacizumab a permis d’obtenirune augmentation statistiquement si-gnificative de la survie globale (médiane20,3 mois contre 15,6 mois,

p

< 0,001).La médiane de survie sans progressionétait de 10,6 mois contre 6,2 mois,(

p

< 0,00001).

Étude BICC-C

Dans la phase initiale de l’étudeBICC, trois schémas de chimiothérapieincluant l’irinotécan et le 5FU ont étécomparés chez des patients atteints decancer colorectal en première ligne mé-tastatique : IFL de l’étude précédente,modifié pour améliorer la tolérance, Ca-pIri (capécitabine + irinotécan) et FOL-FIRI. Après la démonstration de l’ap-port du bévacizumab, le protocole a étéamendé pour que celui-ci soit ajoutédans tous les groupes et le bras CapIri aété fermé aux inclusions en raison d’uneefficacité inférieure aux deux autres

schémas. Présentés en 2007 à l’ASCO,les résultats des deux groupes de patientsayant reçu le bévacizumab, soit avec IFLmodifié (

n

= 60), soit avec FOLFIRI (

n

= 57), sont très nettement en faveur del’association bévacizumab-FOLFIRI[10]. La médiane de survie sans progres-sion dans ce dernier groupe était de 11,2mois contre 8,3 mois avec IFL modifié.La médiane de survie globale n’était pasencore atteinte alors qu’elle n’était quede 19,2 mois avec IFL. Le taux de ré-ponse objective s’élève à 63 % (53 %avec IFL, moins de 50 % avec les troisschémas de chimiothérapie sans bévaci-zumab). Avec 87 %, le taux de survie àun an est le plus élevé jamais atteint danscette population de patients.

Bévacizumab en 2

e

ligne métastatique : essai E3200

Avec une chimiothérapie de typeFOLFOX4, le bévacizumab augmentele taux de réponse objective (21,8 %contre 9,8 %, p < 0,0001), prolonge lasurvie sans progression (médiane 7,2mois contre 4,8 mois, p < 0,0001) etprolonge la survie globale (12,9 moiscontre 10,8 mois, p = 0,0018) [3]. L’étu-de a également permis de démontrerque le bévacizumab ne devait pas êtreemployé en monothérapie, mais en as-sociation à la chimiothérapie. La poso-logie de bévacizumab était ici de 10 mg/kg tous les 14 jours. Des données ulté-rieures donnent à penser que 5 mg/kgtous les 14 jours (dose-intensité de2,5 mg/kg par semaine) est une posolo-gie suffisante.

FOLFOX4 vs XELOX en 1

ère

ligne métastatique : étude NO16966

Présentée en 2006 à l’ESMO et en2007 à l’ASCO, l’étude NO16966 ad’abord comparé deux schémas de chi-miothérapie : soit FOLFOX4 classique,soit XELOX, associant la capécitabine,dérivé du 5FU actif par voie orale, etl’oxaliplatine. Cette première phase del’essai a inclus entre juin 2003 et mai2004 un millier de patients, atteints decancer colorectal métastatique déjà trai-tés auparavant. Secondairement, unamendement a été introduit pour éva-luer par randomisation l’apport du bé-vacizumab dans ces deux groupes, selonun schéma 2 x 2. Entre février 2004 etfévrier 2005, 1400 patients ont été in-clus.

Les résultats d’ensemble

(figure 2)

ont montré un bénéfice du bévacizumabsignificatif, mais d’amplitude plus mo-deste qu’avec une chimiothérapie à basede CPT-11, la médiane de survie sansprogression étant de 9,4 mois avec le bé-vacizumab contre 8 mois dans les deuxgroupes n’en ayant pas reçu (

p

= 0,0023).L’analyse par sous-groupe de randomi-sation pour la chimiothérapie a montréque le bénéfice était plus marqué dans legroupe XELOX (9,3 mois contre 7,4mois,

p

= 0,0026) que dans le groupeFOLFOX (9,4 mois contre 8,6 mois,

p

= 0,187). Comment faut-il interpréterces résultats ? Quelles sont leurs consé-quences pour les décisions thérapeuti-ques ? Les débats sont encore ouverts.L’une des questions importantes pour lapratique consistera à définir quel est, endehors du 5FU et de l’acide folinique, lemeilleur partenaire du bévacizumab :l’irinotécan ou l’oxaliplatine.

Études d’observation

Les études de cohorte ont l’intérêtd’apporter des informations sur le deve-nir de patients moins sélectionnés queceux inclus dans les études de phase IIIet de refléter plus fidèlement les situa-tions rencontrées en pratique clinique.

BRiTEL’étude BRiTE a colligé les obser-

vations de près de 2000 patients ayantreçu le bévacizumab en association àune chimiothérapie, quel qu’en soit letype, en première ligne métastatique.La mesure principale était le délai jus-qu’à progression.

La cohorte la plus nombreuse estcelle des patients traités par un schémaFOLFOX (plus de la moitié de l’effec-tif). Les autres avaient reçu soit la sim-ple association de 5FU en bolus et d’aci-de folinique, soit une combinaison de5FU et d’acide folinique (ou de capéci-tabine) avec l’irinotécan (IFL ou FOL-FIRI) ou avec l’oxaliplatine (FOLFOXou XELOX).

Les résultats d’ensemble sont re-marquablement cohérents avec ceux desétudes randomisées [15,16]. La média-ne de survie sans progression est de 10mois et la médiane de survie globale de27 mois. Plus d’un patient sur trois a re-çu trois agents actifs.

Une question cruciale se pose deplus en plus souvent aujourd’hui : lors-qu’un patient progresse après un traite-

JCHIR Roche.book Page 17 Jeudi, 3. janvier 2008 2:42 14

Page 3: Tumeurs digestives et bévacizumab

Tumeurs digestives et bévacizumab J. Bennouna

1S18

Figure 2. Survie sans progression (SSP) dans l’étude NO16966 : cancer colorectal en deuxième ligne métastatique. A.Chimiothérapie FOLFOX4 ou XELOX vs même chimiothérapie + bévacizumab. B.XELOX vs XELOX + bévacizumab. C.FOLFOX4 vs FOLFOX4 + bévacizumabITT : intention de traitement – IC : intervalle de confiance – HR : hazard ratioIFL : irinotécan, 5-fluoro-uracile, acide folinique

0 5 10 15 20 25Mois

SS

P e

stim

éeHR = 0,83 [IC à 97,5% 0,72–0,95] (ITT)p = 0,0023

9,48,0

100

80

60

40

20

0

FOLFOX+placebo/XELOX+placebo N=701; 547 événementsFOLFOX+bévacizumab/XELOX+bévacizumab N=699; 513 événements

Étude NO16966 : Survie Sans ProgressionFOLFOX4/XELOX vs FOLFOX4/XELOX + Avastin®

Sous-groupe XELOX HR = 0,77 [IC à 97,5% 0,63–0,94] (ITT)

p = 0,0026

9,37,4

100

80

60

40

20

0

0 5 10 15 20 25Mois

SS

P e

stim

ées

SS

P e

stim

ées

XELOX+placebo N=350 ; 270 événements

XELOX+bévacizumab N=350 ; 258 événements

Étude NO16966 : Survie Sans ProgressionFOLFOX4/XELOX vs FOLFOX4/XELOX + Avastin®

Sous-groupe FOLFOX HR = 0.89 [IC à 97,5% 0,73–1,08] (ITT)

p = 0,1871

9,48,6

FOLFOX+placebo N=351 ; 277 événements

FOLFOX+bévacizumab N=349 ; 255 événements

100

80

60

40

20

0

0 5 10 15 20 25

Mois

A

B

C

ment de première ligne ayant comportédu bévacizumab, faut-il reprendre cetraitement avec la chimiothérapie dedeuxième ligne ? Bien qu’il ne s’agissepas d’une étude randomisée, l’étudeBRiTE apporte d’importants élémentsde réponse. Elle montre en effet que lamédiane de survie est d’un an supérieu-re chez les patients qui ont reçu du bé-vacizumab après la première progres-sion (32 mois) que chez ceux qui n’enont pas reçu (20 mois). De même, lamédiane de survie sans progression estde 19,2 mois contre 9,5 mois. Ces don-nées suggèrent que la résistance à la chi-miothérapie de première ligne ayantcomporté du bévacizumab n’est pas sy-nonyme de résistance ultérieure à cetagent.

First BEATDans l’étude observationnelle First-

BEAT, près de 2000 patients atteints decancer colorectal métastatique ont reçu,en première ligne thérapeutique, unechimiothérapie (5FU et capécitabine,FOLFOX, XELOX ou FOLFIRI) as-sociée au bévacizumab (2,5 mg/kg parsemaine, à raison d’une perfusion toutesles deux ou trois semaines), jusqu’à pro-gression [17]. La médiane de survie sansprogression est de 10,8 mois pour l’en-semble de la cohorte, le résultat le plusfavorable étant celui du sous-groupetraité par FOLFIRI (n = 504), avec 11,6mois.

Parmi les patients avec localisationssecondaires initialement non réséca-bles, 11,2 % ont pu être ensuite opérésavec un objectif curatif et 8,9 % étaientclassés R0 (résection en tissu sain). Sil’on considère uniquement les cas avecmétastases hépatiques exclusives, cestaux s’élèvent respectivement à 14,5 %et 11,5 %.

ToléranceAvec près de 4000 patients, les étu-

des BRiTE et First-BEAT représententune vaste base de données pour l’éva-luation de la tolérance [18,19].

L’effet indésirable le plus fréquentest l’hypertension artérielle (35 % despatients). Elle atteint ou dépasse rare-ment le grade 3 (18,5 % dans l’étudeBRiTE, 4,6 % dans l’étude First BEAT).L’hypertension préexistante n’est pasune contre-indication au traitement.Moyennant une prise en charge adéqua-te, l’hypertension n’est pas non plus un

JCHIR Roche.book Page 18 Jeudi, 3. janvier 2008 2:42 14

Page 4: Tumeurs digestives et bévacizumab

1S19

J Chir 2008,145 – Hors-série 1 • © 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Article original

motif d’arrêt du traitement. L’incidencedes perforations digestives a été identi-que dans les deux cohortes, de 1,7 %. Lerisque de thromboses artérielles est aug-menté de façon significative, mais l’inci-dence absolue reste faible, inférieure à2 % dans les deux cohortes. En revan-che, l’incidence des événements throm-bo-emboliques veineux n’est pas plusélevée avec le bévacizumab qu’avec unechimiothérapie seule.

Autres tumeurs digestives

Cancers du pancréasPour le bévacizumab, une étude ran-

domisée de phase III a été conduite chez590 patients atteints de carcinome pan-créatique inopérable [20]. La chimio-thérapie associée était la gemcitabine àla posologie de référence. Les résultatsmontrent l’absence de bénéfice de l’ad-jonction de bévacizumab à cette chi-miothérapie sur la survie.

Dans une étude randomisée portantsur 569 patients, un inhibiteur de l’EGF,l’erlotinib, a été évalué en association àla gemcitabine [21]. Un bénéfice de sur-vie globale faible, non cliniquement si-gnificatif, mais statistiquement significa-tif a été démontré : la survie médianepasse de 5,91 à 6,37 mois (soit un béné-fice de 12 jours…) et la survie à un ande 17 % à 24 % (p = 0,025).

Au vu de ces résultats, l’étude AVI-TA a été mise en place pour évaluer l’in-térêt d’une association d’erlotinib et debévacizumab en association à la gemci-tabine.

Cancer de l’estomacEn phase II, le bévacizumab a été as-

socié à l’irinotécan et au cisplatine pourle traitement de carcinomes gastriquesou œsogastriques inopérables ou métas-tatiques. Les résultats ont été publiés en2006 et montrent un temps médian jus-qu’à progression de 8,9 mois [22]. Avecles réserves qui s’imposent à l’égard descomparaisons historiques et d’une étu-de ayant comporté seulement 47 pa-tients, ce délai semble supérieur à celuide la même chimiothérapie utilisée seu-le. De même, la médiane de survie estsupérieure à 1 an, alors que les étudesde phase III avec des chimiothérapiesincluant le cisplatine font état d’une mé-diane ne dépassant pas 10 mois. Ces

données restent bien sûr à confirmerdans une étude plus vaste de phase III.

Le risque de perforation digestive auniveau de la tumeur primitive pourraitêtre limitant : 3 cas sur 47 dans cetteétude, alors que les taux habituellementrapportés dans les cancers colorectauxne dépassent pas 2 %. Deux de ces pa-tients étaient en phase de progressiontumorale, mais le troisième était répon-deur. L’incidence des événementsthromboemboliques a été de 23 %. Leplus souvent asymptomatiques, ils neparaissent pas plus fréquents qu’avec lachimiothérapie seule, si l’on se réfèreaux 30 % rapportés avec irinotécan etcisplatine seuls [23].

D’autres essais comparant une chi-miothérapie seule ou associée au béva-cizumab sont en cours dans les cancersde l’estomac et de la jonction œsogas-trique. Dans les formes localement évo-luées ou métastatiques, l’essai randomi-sé de phase III BO20904 comporteraune chimiothérapie associant la capéci-tabine et le cisplatine. Le critère de ju-gement principal sera la survie. En si-tuation adjuvante et néo-adjuvante,l’étude MAGIC2 du Medical ResearchCouncil se situe dans la lignée de l’essaiMAGIC, qui avait montré la valeurd’une chimiothérapie péri-opératoirede type ECF (épirubicine, cisplatine,5FU) dans les tumeurs gastriques opé-rables [24]. Il est prévu d’inclure danscet essai 1100 patients atteints d’adéno-carcinome opérable de l’estomac ou dela région œsogastrique. Les trois cyclesde chimiothérapie préopératoires etpostopératoires, de type ECX (épirubi-cine, cisplatine, capécitabine), seront ounon associés au bévacizumab. Les pa-tients du groupe bévacizumab rece-vront un traitement d’entretien par bé-vacizumab seul à raison de 6 perfusionsespacées de 4 semaines. Un intervalle li-bre de 8 semaines sera respecté entre ladernière perfusion de bévacizumab etl’intervention, de 8 à 10 semaines entrel’intervention et le traitement adjuvantpostopératoire.

HépatocarcinomeLe développement du bévacizumab

dans les hépatocarcinomes est encoreen phase II. Lorsqu’il a été employé seuldans les hépatocarcinomes inopérables,le taux de réponse chez 30 patients a étéde 10 % et le temps médian jusqu’à pro-gression de 6,5 mois [25]. En associa-tion à la gemcitabine et à l’oxaliplatine,

le taux de réponse objective a été de20 % et le temps médian jusqu’à pro-gression de 9,6 mois [26]. Seul le sora-fénib a fait la preuve à ce jour, dans uneétude randomisée de phase III, d’uneaugmentation de la survie globale dansl’hépatocarcinome [27].

Radio-chimiothérapie et bévacizumab

L’association du bévacizumab à untraitement incluant une radiothérapierepose sur des bases rationnelles solides,comme l’a indiqué G. Tobelem. La su-rexpression du VEGF est en effet asso-ciée à une radiorésistance.

Dans les cancers du rectum, on amontré que le bévacizumab augmentele flux sanguin irriguant la tumeur, ré-duit la pression interstitielle intratumo-rale et diminue la densité vasculairemoyenne.

L’ensemble des ces effets contribueà augmenter la chimiosensibilité et laradiosensibilité.

Plusieurs études de phase I ont étémises en place pour explorer l’impactclinique de ce concept.

Dans les cancers évolués du pan-créas, inopérables, plusieurs paliers dedose de l’association de capécitabine etde bévacizumab ont été testés en asso-ciation à une irradiation de 50,4 Gy[28]. L’étude a démontré la faisabilité dece schéma et quatre patients ont pu bé-néficier secondairement d’une duodé-no-pancréatectomie. La médiane desurvie globale, toutes cohortes confon-dues, a été de 11,6 mois, le taux de sur-vie à 1 an de 45,8 % et le taux de répon-se objective de près de 20 %.

Une autre étude de phase I associedans les cancers du rectum le bévacizu-mab à une radio-chimiothérapie conco-mitante (50,4 Gy en 28 fractions, capé-citabine et oxaliplatine) [29]. La toxicitélimitante est la diarrhée. Deux patientssur 11 étaient en réponse complète his-tologique. Une étude de phase II est encours.

Conclusion

Dans les cancers du côlon métasta-tiques, l’efficacité du bévacizumab a étédémontrée en première comme endeuxième ligne. La question de la duréedu traitement n’est toutefois pas tran-chée. Des arguments théoriques plai-dent en faveur d’une poursuite du trai-

JCHIR Roche.book Page 19 Jeudi, 3. janvier 2008 2:42 14

Page 5: Tumeurs digestives et bévacizumab

Tumeurs digestives et bévacizumab J. Bennouna

1S20

tement jusqu’à progression, mais lespreuves cliniques du bien-fondé de cet-te pratique manquent encore. De mê-me, il n’est pas formellement démontréque l’on doive poursuivre le bévacizu-mab après échappement à une premièreligne de traitement, même si les résul-tats des études d’observation sont favo-rables. Enfin, seules les études randomi-sées de phase III en cours (AVANT,NSABP-C08, ECOG 5202, QUASAR2, dans le cancer du côlon, AVF3105Sdans le cancer du rectum…) permet-tront de situer l’intérêt du bévacizumabdans une stratégie de traitement adju-vant pour les formes opérables.

Dans les autres situations, les étudesdoivent encore être poursuivies.

Références

1. Yang JC, Haworth L, Sherry RM, et al.A randomized trial of bevacizumab, ananti-vascular endothelial growth factorantibody, for metastatic renal cancer. NEngl J Med 2003;349:427-34.

2. Hurwitz H, Fehrenbacher L, NovotnyW, et al. Bevacizumab plus irinotecan,fluorouracil, and leucovorin for metasta-tic colorectal cancer. N Engl J Med2004;350:2335-42.

3. Giantonio BJ, Catalano PJ, Meropol NJ,et al. Bevacizumab in combination withoxaliplatin, fluorouracil, and leucovorin(FOLFOX4) for previously treated me-tastatic colorectal cancer: results fromthe Eastern Cooperative OncologyGroup Study E3200. J Clin Oncol2007;25:1539-44.

4. Sandler A, Gray R, Perry MC, et al. Pa-clitaxel-carboplatin alone or with bevaci-zumab for non-small-cell lung cancer. NEngl J Med 2006;355:2542-50. Erratumin: N Engl J Med 2007;356:318.

5. Manegold C, von Pawel J, Zatloukal P,et al. Randomised, double-blind multi-centre phase III study of bevacizumab incombination with cisplatin and gemcita-bine in chemotherapy-naïve patientswith advanced or recurrent non-squa-mous non-small cell lung cancer (NS-CLC): BO17704. 2007 ASCO AnnualMeeting Proceedings Part II. J Clin On-col 2007;25(18S):LBA7514.

6. Escudier B, Koralewski P, Pluzanska A,et al. A randomized, controlled, double-blind phase III study (AVOREN) of be-vacizumab/interferon-α2a vs placebo/in-terferon-α2a as first-line therapy in me-tastatic renal cell carcinoma. 2007 ASCOAnnual Meeting Proceedings Part I. JClin Oncol 2007;25(18S):abstract 3.

7. Miller KD. E2100: A phase III trial ofpaclitaxel versus paclitaxel/bevacizumabfor metastatic breast cancer. Clin BreastCancer 2003;3:421-2.

8. Miller KD, Wang M, Gralow J, et al. Arandomized phase III trial of paclitaxelversus paclitaxel plus bevacizumab asfirst-line therapy for locally recurrent or

metastatic breast cancer: a trial coordina-ted by the Eastern Cooperative Oncolo-gy Group (E2100). Breast Cancer ResTreat 2005;94(suppl 1):S6(abstract 3).

9. Cunningham D, Humblet Y, Siena S, etal. Cetuximab monotherapy and cetuxi-mab plus irinotecan in irinotecan-refrac-tory metastatic colorectal cancer. N EnglJ Med 2004;351:337-45.

10. Fuchs CS, Marshall J, Mitchell EP, et al.Updated results of BICC-C study com-paring first-line irinotecan/fluoropymi-dine combinations ± celecoxib in mCRC:clinical data cut-off September 1, 2006.2007 Gastrointestinal Cancers Sympo-sium, Abstract 276.

11. Peeters M, Van Cutsem E, Siena S, et al.A phase 3, multicenter, randomized con-trolled trial (RCT) of panitumumab plusbest supportive care (BSC) vs BSC alonein patients (pts) with metastatic colorec-tal cancer (mCRC). Proceedings of the98th Annual Meeting of the AmericanAssociation for Cancer Research,2007:abstract CP-1.

12. Cassidy J, Clarke S, Rubio ED, et al. Firstefficacy and safety results from XELOX-1/NO16966, a randomized 2x2 factorialphase III trial of XELOX vs FOLFOX4+ bevacizumab or placebo in first-linemetastatic colorectal cancer (MCRC).Ann Oncol 2006;17(suppl 9):LBA3.

13. Saltz L, Clarke S, Diaz-Rubio E, et al.Bevacizumab (Bev) in combination withXELOX or FOLFOX4: updated efficacyresults from XELOX-1/ NO16966, arandomized phase III trial in first-linemetastatic colorectal cancer. J Clin On-col 2007 ASCO Annual Meeting Procee-dings (Post-Meeting Edition). Vol 25,No 18S (June 20 Supplement),2007:4028.

14. Emmanouilides C, Sfakiotaki G, An-droulakis N, et al. Front-line bevacizu-mab in combination with oxaliplatin, leu-covorin and 5-fluorouracil (FOLFOX) inpatients with metastatic colorectal can-cer: a multicenter phase II study. BMCCancer 2007;7:91.

15. Kozloff M, Hainsworth J, Badarinath S,et al. Survival of patients (pts) withmCRC treated with bevacizumab incombination with chemotherapy: Resultsfrom the BRiTE registry. 2007 ASCOGastrointestinal Cancers Symposium,Abstract 375.

16. Grothey A, Sugrue M, Hedrick E, et al.Association between exposure to bevaci-zumab (BV) beyond first progression(BBP) and overall survival (OS) in pa-tients (pts) with metastatic colorectalcancer (mCRC) : results from a large ob-servational study (BRiTE). ECCO 2007,Barcelone, 23-27 septembre.

17. Berry S, Cunningham D, Michael M, etal. Preliminary efficacy of bevacizumabwith first-line Folfox, Xelox, Folfiri andfluoropyrimidines for mCRC : firstBEATrial. ECCO 2007, Barcelone, 23-27 septembre.

18. Sugrue MM, Yi J, Purdie D, et al. Se-rious arterial thromboembolic events(sATE) in patients (pts) with metastaticcolorectal cancer (mCRC) treated withbevacizumab (BV): Results from the BRi-TE registry. 2007 ASCO Annual Mee-

ting Proceedings Part I. J Clin Oncol2007;25(18S):abstract 4136.

19. Van Cutsem E, Michael M, Berry S, etal. Preliminary safety and efficacy of be-vacizumab with first-line FOLFOX, XE-LOX, FOLFIRI, and capecitabine formCRC: First BEATrial. 2007 ASCOGastrointestinal Cancers Symposium,Abstract 346.

20. Kindler HL, Niedzwiecki D, Hollis D, etal. A double-blind, placebo-controlled,randomized phase III trial of gemcitabi-ne (G) plus bevacizumab (B) versus gem-citabine plus placebo (P) in patients (pts)with advanced pancreatic cancer (PC): Apreliminary analysis of Cancer and Leu-kemia Group B (CALGB). 2007 ASCOAnnual Meeting Proceedings Part I. JClin Oncol 2007;25(18S):abstract 4508.

21. Moore MJ, Goldstein D, Hamm J, et al.Erlotinib plus gemcitabine comparedwith gemcitabine alone in patients withadvanced pancreatic cancer: a phase IIItrial of the National Cancer Institute ofCanada Clinical Trials Group. J ClinOncol 2007;25:1960-6.

22. Shah MA, Ramanathan RK, Ilson DH, etal. Multicenter phase II study of irino-tecan, cisplatin, and bevacizumab in pa-tients with metastatic gastric or gastrœ-sophageal junction adenocarcinoma. JClin Oncol 2006;24:5201-6.

23. Shah MA, Ilson D, Kelsen DP. Throm-boembolic events in gastric cancer: highincidence in patients receiving irino-tecan- and bevacizumab-based therapy. JClin Oncol 2005;23:2574-6.

24. Cunningham D, Allum WH, StenningSP, et al. Perioperative chemotherapyversus surgery alone for resectable gas-trœsophageal cancer. N Engl J Med2006;355:11-20.

25. Schwartz JD, Schwartz M, Lehrer D, etal. Bevacizumab in unresectable hepato-cellular carcinoma (HCC) for patientswithout metastasis and without invasionof the portal vein. 2006 ASCO AnnualMeeting Proceedings Part I. J Clin On-col 2006;24(18S):abstract 4144.

26. Zhu AX, Blaszkowsky LS, Ryan DP, etal. Phase II study of gemcitabine and oxa-liplatin in combination with bevacizu-mab in patients with advanced hepatocel-lular carcinoma. J Clin Oncol2006;24:1898-903.

27. Llovet J, Ricci S, Mazzaferro V, et al. So-rafenib improves survival in advancedHepatocellular Carcinoma (HCC) : Re-sults of a Phase III randomized placebo-controlled trial (SHARP trial) 2007ASCO Annual Meeting ProceedingsPart I. J Clin Oncol 2007;25(18S):LBA1.

28. Crane CH, Ellis LM, Abbruzzese JL, etal. Phase I trial evaluating the safety ofbevacizumab with concurrent radiothe-rapy and capecitabine in locally advancedpancreatic cancer. J Clin Oncol2006;24:1145-51.

29. Czito BG, Bendell JC, Willett CG, Mor-se MA, Blobe GC, Tyler DS, et al. Beva-cizumab, oxaliplatin, and capecitabinewith radiation therapy in rectal cancer:Phase I trial results. Int J Radiat OncolBiol Phys 2007;68:472-8.

JCHIR Roche.book Page 20 Jeudi, 3. janvier 2008 2:42 14