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type="BWD"sais-je ?

RIEN

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KARL ZÉRO

type="BWD"Que sais-je? RIEN

SEUIL

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Je sais que je ne sais rien.

SOCRATE.

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Du côté de chez Karl

Préface de Marcel Proust

Comme mes crises d'étouffement avaient atteint

leur paroxysme, depuis deux jours que j 'étais à Bolbec, - par les effets conjugués du climat éner- vant, aigre et cotonneux que la côte normande cache, sous des embellies brèves et des irisations

fugaces (comme une fiancée masque, jusqu'au mariage, un caractère violent et querelleur sous des mines gracieuses et de romanesques silences - selon le bon adage inculqué par maman : « Pot de terre avant la messe, port de fer à tout le reste ! », et ceux, également annihilants et amers, de ma rup- ture d'avec Albertine; dont l 'absence donnait à

mes jours la tessiture d'une tunique de Nessus (mais que j'eusse filé moi-même, avec délices, des années durant) - étouffements qui m'obligeaient à garder la chambre, adhérant aux draps rêches du lit d'hôtel sans jamais y trouver le repos, dans la mor- tuaire pénombre des persiennes closes et les

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inutiles volutes de l'« eucalyptus-Legras » ; comme un Akhénaton redevenu Aménophis, prisonnier de son palais désert (à cela près que le Soleil dont j'avais, pour ma perte, établi l'unique culte, n'était pas même le radieux disque Aton ; mais le lunaire et changeant visage d'une jeune fille, dont chaque nouveau matin altère le fragile éclat ; « culte unique », cruellement voué à la plus profane - et la plus éparse - des créatures de ce monde) ; je déci- dai de regagner la ville au plus tôt.

Je fis téléphoner à Odilon de venir le soir même. Les lieux où nous avons vivement souhaité d'être

(notre imagination n'en conservant que les attraits pour mieux en exciter notre impatient désir), - sou- hait stérile, puisque c'est nous-même et non tel ou tel lieu que nous brûlons d'abandonner - , ces palais rêvés redeviennent sable; et ces sables d'or, poussières qui piquent; et ces lieux d'élection, ces Capharnaüm où glissent serpent et scorpion. Ainsi de la personne que nous avions rêvé de « possé- der ». (Alors qu'on ne «possède» rien, jamais, et surtout dans l'étreinte physique - courte lutte de nageurs ivres, qui croient chacun que l'autre pos- sède la perle.) C'est notre rêve, d'elle ou de lui, qu'il nous faudrait étreindre, - non une chair épi- leptique.

J'avais prié Odilon de me prendre à la brasserie Les Vapeurs. J'étais curieux de la connaître

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puisque Saint-Loup et Bloch la tenaient en égale estime. (« Allez-y goûter les crevettes chaudes, c 'est bien amusant. Et leur sole est parfaite », m'avait assuré Robert.)

« Comment, tu n'as jamais mangé aux Vapeurs ! » avait rugi Bloch, à qui l'indignation et la stupeur donnaient l'aspect d'un de ces molosses en métal brûlant, préposés jadis à la garde du « Saint des saints » du Temple.

« Mais, mon petit Marcel ! Tu ne connais rien à rien ! Qu'Éos aux doigts de pourpre illumine ton front microcéphale ! Que Zéphyros et Baréas pous- sent ta barque vivement vers ce nouvel Olympe où, chaque soir, les Dieux se mêlent aux mortels ! » Sa métaphore signifiait que, dans cet établissement, on côtoyait des artistes et des écrivains ; ainsi que deux autres catégories, au statut plus flou, si leur rayonnement égalait - voire dépassait, selon Bloch - celui des précités : les « Créatifs », et les « Vedettes ».

Et c'est là en effet que le sort me fit croiser Karl Zéro ; qui devait prendre dans ma vie - et ce livre - la prééminence qui revenait à ce jeune homme d'exception, - que, d'abord, je tins pour un goujat. Le garçon déposait l'entrée devant moi (une « salade niçoise » où le bataillon se composait des pommes de terre et des haricots du précédent ser- vice, froids et repeints à la vinaigrette sans huile ;

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tandis que l'avant-garde caracolait par-dessus, offrant au dîneur naïf - par l'artistique disposition de deux anchois, une feuille de laitue, un demi-œuf dur et trois rondelles de tomate - une illusion de

fraîcheur et de variété). Ce qui faisait dire à Nissim Bernard : « Une niçoise, ça? On devrait l'appeler... salade marseillaise ! » ; blague dont il ne se lassait pas, depuis vingt ans (qu'il l'avait entendue de sir Rufus Israël).

Je venais d'engager une fourchette - précaution- neuse - dans cette pyramide, dressée à la gloire de l'Illusion culinaire, quand retentit sur l'avenue un charivari indicible. On eût dit, au bruit, un groupe de matelots de retour d'Insulinde (et en rapportant le délire local, l'amak, qui change l 'homme en bête). Les barrissements, les hululements, les feule- ments et les abois emplissaient l 'air: comme un Mardi gras à la clinique du Dr Blanche, ou la Symphonie des Mille exécutée par un zoo.

« C'est les gars de Canal Plus ! » me confia le serveur. Ce jeune Normand, vivante réplique du Mercure attachant ses talonnières de Jean-Baptiste Pigalle (mais ayant troqué le pétasse contre une tenue plus conforme à son état), semblait au der- nier degré de l'extase. Eût-il envisagé quelque apparition mariale, ou le billet gagnant du Loto sportif, que son gracieux visage n'aurait pas reflété une telle émotion. Tant le rêvé prime le vécu. La

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bande d'Apaches (c'est ce que la dénomination sibylline de l 'Hermès du Cotentin m'inclinait à attendre) arrivait à notre hauteur, - « gueulant comme des ânes rouges », aurait dit Oriane. Qui, se piquant de parler comme ses fermières (lesquelles, depuis cent ans, parlaient tout autrement), finissait par passer pour une Québécoise, en séjour dans son propre hôtel. Trois figures se détachaient du groupe vociférant. Un beau jeune homme aux allures de collégien, que démentait un regard de comptable lobotomisé. Une sorte de prêtre vêtu en laïc, pous- siéreux et dodu, l'œil aussi bienveillant qu'absent derrière des lunettes de fer. Enfin venait un garçon d'une stupéfiante présence, dont l'intensité capti- vait. De loin, il ressemblait à un croque-mort de la Mafia. De plus près, à un jeune businessman alba- nais, qui aurait servi dans l'armée italienne : tenue stricte, dérision profonde. De face, à la Volonté faite homme - mais avec le sérieux de l'adoles-

cence (seul âge où l 'on se tue pour des motifs métaphysiques), étroitement mêlé à la compréhen- sion de la maturité. C'était Karl Zéro : un enfant et

un père, un « type implacable » et un homme bon, l'intransigeance bienveillante.

Il me parut, en le détaillant, que je l'avais tou- jours connu, - et que je ne saurai jamais, sur cette terre, qui il était au fond. Karl Zéro : royauté et néant en un nom.

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Un sentiment étrange faisait battre mon cœur : comme une machine en pleine action, mais immo- bile sur elle-même. Je songeai que l'arrivant aurait

pu - tout en lui le montrait - adopter la vieille devise : Nec spe, nec metu.

Voilà pourquoi, moi qui abhorre les préfaces, j 'ai fait celle-ci.

Marcel Proust

p.c.c. Raoul Rabut

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P o u r q u o i M a r g u e r i t e D u r a s

p o r t e - t - e l l e u n c o l r o u l é ?

Dans Le Col R, son prochain roman de huit pages (à paraître quand elle l'aura écrit aux Éditions de Minuit), Marguerite Duras évoquera enfin son col roulé. Élément vestimentaire typiquement duras- sien, le large « col boule » de laine mélangée restait un mystère pour ses innombrables admirateurs. Ses phrases courtes et ciselées dévoileront, avec tact et tendresse, le pourquoi de cette habitude étrange et fascinante. Voici, en attendant, les six hypothèses qui peuvent expliquer ce col roulé qu'elle n'a pas quitté depuis cinquante-deux ans.

A : Marguerite Duras porte un col roulé qui lui soutient la tête. Sous la couche de laine est dissi-

mulée une sorte de minerve en Placoplâtre destinée à éviter l'affaissement du crâne génial, notamment sous le coup d'une grande fatigue (due à la relec- ture d'un de ses livres, par exemple).

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B : L'auteur de L'Amant est affligée d'un phéno- mène de « non-parler intermittent », une maladie bénigne aussi appelée aphonie et généralement subséquente à une trop forte ingestion de cachous Lajaunie. Elle fait donc enregistrer par une comé- dienne enrouée ce qu'elle veut dire e t cache dans son col roulé un magnétophone minuscule de type OSS 117 pour donner le change à la télévision. Cette hypothèse expliquerait la difficile compré- hensibilité des pensées de Marguerite Duras, sa doublure oubliant des mots lorsqu'elle lui enre- gistre ses déclarations.

C : Marguerite ne quitte plus son col roulé en hommage à un homme qu'elle a beaucoup aimé et qui en avait un magnifique qu'il ne pouvait pas retirer non plus. On sait peu de chose de cet «amant» , il était chauve, de teint couperosé et pauvre comme Zob.

D : Marguerite Duras est une passionnée. Lorsqu'elle parle, la fulgurance de sa pensée, les impressionnantes ellipses de son intellect supé- rieur provoquent une poussée déglutive de ses glandes sudoripares et lacrymales. Un filet de bave s'échappe sans interruption de sa bouche... Quelques éponges de type Spontex habituellement dissimulées dans son col boule permettent de

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j o u r n a l e n s l ip et e n c h a u s s e t t e s , c a c h é p a r v o t r e b u r e a u ?

R. GICQUEL : O n a r a c o n t é b e a u c o u p d e c h o s e s f aus se s s u r ce t t e a f fa i re . O n l ' a é n o r m é m e n t d é f o r -

m é e , a m p l i f i é e p o u r m e nu i re . E n fai t , c e l a n ' e s t

a r r ivé q u ' u n e fo is : ce j o u r - l à , u n e j e u n e p r é s e n t a -

t r ice spéc ia l i s t e d e la B o u r s e fa i sa i t ses d é b u t s . Je

v o u l a i s l ' a m u s e r , la d é t e n d r e , l a f a i r e u n p e u

rêver. . . J e m e su is m i s e n sl ip, e t e l le l ' a m a l pris.

E l l e m ' a a u s s i t ô t d é n o n c é . Ç a lui a s e r v i . E l l e

s ' a p p e l a i t O c k r e n t .

KARL ZÉRO: Q u e f a i t e s - v o u s d e p u i s q u e v o u s

a v e z a r rê té le j o u r n a l ?

R. GICQUEL: Mai s . . . Je c o n t i n u e ! Eh oui . . . C ' e s t

d r a m a t i q u e . . .

KARL ZÉRO : Q u e v o u l e z - v o u s d i re ? Q u e la C i n q

v o u s a fai t des p r o p o s i t i o n s ?

R. GICQUEL: L a C i n q e t b e a u c o u p d ' a u t r e s

c h a î n e s . . . M a i s j ' a i r e f u s é e t j ' a i e u r a i s o n : l a

p r e u v e , e l l es v o n t d i s p a r a î t r e et m o i j e suis t o u j o u r s

là ! E h oui . . . C ' e s t d r a m a t i q u e . . .

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KARL ZÉRO : A m o i n s q u e j e ne v o u s tue !

R. GICQUEL : C ' e s t sûr, m a i s v o u s n ' ê t e s p a s là

p o u r ça . V o u s ê t e s là p o u r p o s e r d e s q u e s t i o n s .

C ' e s t ça qui es t d r a m a t i q u e .

KARL ZÉRO: J ' oub l i a i s . . . A l o r s c o m m e ça, v o u s

c o n t i n u e z à p r é s e n t e r le 20 h e u r e s ?

R. GICQUEL: E h oui . . . A 2 0 h e u r e s t a p a n t e s , j e

p r é s e n t e les n o u v e l l e s e n d i r ec t d a n s le l i v i n g - r o o m

p o u r G e r m a i n e , m a f e m m e , Br ig i t t e , m a fi l le, les

j u m e a u x P i f e t P o u f , e t T i c le c h i e n . J e f a i s l a

m u s i q u e a v e c m a b o u c h e , pu i s j e d is c o m m e ç a :

G e r m a i n e , Br ig i t te , P i f e t P o u f et Tic , b o n s o i r !

T o u t d e su i t e , les t i t r es ! C o m m e r c e ! L a S u p é -

r e t t e f e r m e r a s e s p o r t e s s a m e d i d è s 15 h e u r e s !

Fa i t s d i v e r s : on n ' a t o u j o u r s p a s iden t i f i é le v o l e u r

qui a f ini le p o u l e t ! É t r a n g e r : les M u z u g l o n fon t

t r o p d e b r u i t ( c e s o n t n o s v o i s i n s ) ! C o l o n i e s :

m a r d i , n o u s i r o n s c h e z t a n t e U r s u l i n e à N o g e n t !

M é t é o : m o n a r t h r i t e m e l a n c e , v a y a v o i r d e la

p lu i e ! D r a m a t i q u e , n o n ?

KARL ZÉRO : F o r m i d a b l e ! M a i s c e j o u r n a l , v o u s

le p r é s e n t e z e n s l ip ?

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R. GICQUEL : Non, nu. Mais ça ne choque per- sonne. Mon public a les idées larges. D'ailleurs, Pif et Pouf sont naturistes. Et quand les Muzuglon viennent, je mets un bonnet. Eh oui ! C'est (...).

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Qu'est-ce que la langue de bois ?

Dans la perspective du XXVIII congrès du Parti communiste français qui devrait se tenir en 1994, les Éditions Assimil vont mettre en vente la pre- mière méthode audiovisuelle de langue de bois. Sabir étrange et très imagé apparu sous Lénine vers 1917 pour permettre aux membres du Parti de n'être compris que d'eux-mêmes, le but de la langue de bois a été parfaitement atteint, comme en témoignent les récents sondages qui donnent 0 % d'espérance de vote au PCF en 95.

Il fallait donc réagir. Le Comité central l 'a com- pris, et Georges Marchais lui-même, dans une volonté d'ouverture et de rénovation contrôlées, a demandé aux Éditions Assimil de mettre cette

méthode en chantier. On comprend maintenant mieux le sens des mises en garde répétées du Premier secrétaire : « Les Français veulent entendre un autre langage... »

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En exclusivité, voici un extrait de cette méthode

extrait de la première cassette (niveau social- traître) :

« Ceci est votre premier cours de langue-de-bois. Lisez attentivement la phrase française ci-dessous. Pénétrez-vous de son sens et de son importance :

En avant vers une victoire totale du collectivisme

dans la lignée exemplaire des grands frères soviets !

Voici maintenant sa traduction en langue de bois. Lisez-la une fois puis répétez-la sans tenir compte de l'accent tonique que nous étudierons dans une seconde leçon :

En avant les sapins vers un platane feuillu riche en sciure dans la forêt puissante des frères peu- pliers géants et bouleaux nains !

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C o m m e n t J o h n n y a - t - i l r e n c o n t r é A d e l i n e ?

Au mariage de son fils, David. Ce 5 septembre 1989, à 10 h 30 pile, Johnny (qui ne s'était pas couché de la nuit pour être sûr de se réveiller) gare sa Harley-Davidson sur le parvis de la mairie de Saint-Martin-de-Bocherville. Les ennuis commen-

cent, car si le mariage civil a bien lieu à la mairie, c'est à celle de Freneuse-sur-Risle à 274 kilomètres de là ! C'est donc - sans forcer - avec une demi-

heure de retard que Johnny arrive à la cérémonie, qui est terminée. Histoire de ne pas s'être déplacé pour rien, le « chanteur abandonné » assiste à un autre mariage. C'est malgré tout la larme à l'œil qu'il sortira sur le perron pour la traditionnelle photo en compagnie de Pedro et Sandra Rodriguez, les jeunes mariés.

Pendant ce temps, son fils, David, inquiet de ce retard et pour la santé mentale de son père, effectue une tournée des bars et des bowlings de la région.

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C'est dans un de ces lieux de perdition qu'il tombe nez à nez avec Nathalie Baye. La célèbre actrice est dans un état second, ivre de la mauvaise vinasse

dont elle s'est ballonnée pour oublier sa fureur de ne pas être invitée au mariage. L'oubli est aussitôt réparé, et Nathalie rassérénée propose à David de devenir sa maîtresse sur-le-champ pour fêter ça !

En un clin d'œil, elle a en elle quelque chose de Tennessee !

Et la jeune Estelle ? Et ses parents ? Et Sylvie ? Tous patientent dans le chœur de l'abbaye de saint Martin, riant nerveusement aux facéties de Carlos

qui jongle avec des hosties pour tenter de détendre l'atmosphère.

Soudain, un grand bruit près du confessionnal ! Un clochard édenté et barbu qui s'y était assoupi vient de s'effondrer de tout son long. S'accrochant à saint Martin, il parvient à se redresser mais, secoué par un hoquet, se met à dégobiller dans le bénitier ! Chacun se précipite pour relever Jean- Jacques Debout ! On l'assied, on lui fait respirer des aisselles et là, stupeur ! Ça n'est pas Jean- Jacques qui est assis, mais Léon, le père de Johnny ! Tony Scotti, le mari de Sylvie, un Italien qui a le sang chaud et une moumoute, se précipite sur lui, des flammes dans les yeux ! Ce qui devait arriver arriva ! Dans la lutte, son man-top prend feu !

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Plein de sang-froid, Long Chris lui sauve la vie en lui urinant sur la tête !

Pendant ce temps, Johnny est arrivé, mais ne prête aucune attention à la scène. Il n'a d'yeux que pour Adeline, la fille du courageux urineur. Il faut dire qu'elle est désirable, l'innocente -Adeline, san- glée dans sa jaquette de skaï, esclave et reine du désir qui, en un clin d'œil, submerge Johnny ! Un désir violent, un accès de vigueur insensé, comme il n'en avait pas connu depuis ses treize ans, à l'époque où, en compagnie de Long Chris, il volait des mobylettes pour les pénétrer par le réservoir !

Jean-Philippe et Christian se destinaient tous deux à un CAP de commis boucher lorsque, venue d'outre-Atlantique, la mode du yéyé explosa, déra- cinant leur génération. Le cheveu ripoliné au sain- doux, ils américanisèrent aussitôt leurs noms en

Joni et Long Cris. De ces folles années, Johnny a gardé sa belle

allure, dans ses costumes repassés de toile mou- lante de jeans, une mèche rebelle et peroxydée sur l'œil. Aussi n'a-t-il aucun mal à enjôler la jeune Adeline...

Dès lors, le destin est en marche. Adeline enfourche le destrier de métal de l'Idole...

Quelques heures et beaucoup trop de verres de mousseux plus tard, Long Chris rentre dans l'élé- gante maison « Broad & Kaufman » qu'il s'est fait

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construire (à la force du poignet) dans le Juvisy résidentiel ! Là, dans la pénombre, il tombe nez à nez avec le bellâtre nu ! Johnny ! Horreur ! Qu'a- t-il en main ? Une sorte de micro sans doute ! En

train de chanter dans ce micro, Adeline, son bébé, est elle aussi dans la tenue où il l'a vue naître ! Elle

se jette à genoux pour implorer son père ! Trop tard, Christian Blondieau, dit Long Chris,

ivre de haine, vient d'arracher le micro des mains

du chanteur belge ! Stupeur, le micro saigne !

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Quel rapport entre Lavilliers et Laguiller ?

Un homme au puissant torse musclé, luisant de sueur, s 'époumone dans une ruelle miséreuse : « De n'importe quel pays, de n'importe quelle cou- leur... » C'est le cri éternel de Bernard Lavilliers à

une ravissante naïade sud-africaine, qui lui répond en écho : « Eh la coloso pignolo solo loso... » Cette scène superbe, tirée du clip de « La musique est un cri qui vient de l'intérieur» de Bernard Lavilliers, a amorcé le brutal revirement de la carrière du

chanteur. Qui pouvait penser que ce revirement politique soudain le conduirait en quelques mois à devenir... trotskiste ?

Depuis toujours, Bernard Lavilliers connaît le poids des mots : à quatre ans déjà, alors qu'un exhibitionniste lui proposait des bonbons, il l'avait refroidi en lui répondant : « Dégage ou je te masse la face ! » Un sens de la formule qui swingue, de la

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rime enlevée, du texte qui fonce et rebondit comme un uppercut...

Devenu chanteur, ses thèmes de prédilection (lui, la boxe, lui, le full-contact, lui) lui ont valu la crainte et le respect des journalistes et du show-biz. Mais ces derniers temps, Bernard a dépassé les limites. « Ma vieille », sa nouvelle chanson enga- gée, ne sera diffusée par aucun média pendant la campagne électorale : il y prend trop nettement position en faveur d'Arlette Laguiller, la passiona- ria trotskiste :

Avec son vieux pardessus râpé Elle s'en va toujours l'hiver, l'été Ma vieille... Les travailleuses-les travailleurs Comptent sur elle pour les trente-cinq heures Ma vieille...

Quand on constate, au regard des sondages, que l'éternelle candidate malchanceuse n 'a aucune

chance de dépasser les 2 %, on se demande com- ment le chanteur espère entrer au Top 50 avec une chanson à sa gloire. Quelle mouche a bien pu le piquer ?

Pour le savoir, partons pour Chamalières, lieu de naissance de Bernard Lavilliers. Il faut savoir qu'en patois auvergnat le son « gue » et le son « ve » se prononcent indifféremment « ke », déformation labiale héritée d'une très ancienne implantation saxonne. Lavilliers comme Laguiller se prononcent

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« Lakilié » en phonétique auvergnate. VGE, député de Chamalières, en a d'ailleurs énormément souf- fert, son nom étant imprononçable pour la plupart de ses électeurs (qui finiront par l'appeler « le vieux nul » pour simplifier). C'est aussi pour cette raison que le « Tékéké », entendez le TGV, ne passera pas par Le Puy. Mais quel rapport avec le protest song de Bernard Lavilliers, direz-vous ?

Élémentaire : Bernard et Arlette « Lakilié » sont

parents, puisqu'elle est la nièce de son oncle, la cousine de son cousin et la fille de sa mère et de

son père, c'est-à-dire sa soeur ! Tout petits, ils se produisirent ensemble sous le

pseudonyme de « Bernard, Paul and Ariette » dans des kermesses patronales de la région. Leur numéro, constitué de reprises des succès des Quatre Barbus arrangés à la mode « folk » de l'époque (pipeau et guitare), leur vaudra une cer- taine renommée. Succès d'estime qui encouragera Bernard à persévérer dans le vocal, tandis que Paul (leur chien savant) meurt d'une pneumonie et qu'Arlette passe à la Trappe, un ordre catholique particulièrement sévère où l'on n'accepte pas les femmes. Révoltée par cette injustice, puis d'autres, puis par tout, Arlette Lakilié se lance alors dans la politique. D'abord aux côtés d'Alain Poher, puis avec Krivine et Geismar pour finir seule, jugeant ces maîtres à penser indignes du formidable-élan-

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populaire-et-démocratique-qu'elle-sent-frémir- dans-les-cœurs-des-travailleurs-et-des-travailleus.

Les mauvaises langues diront qu'en vue des élec- tions de 95 Bernard Lakilié s'est souvenu qu'il avait une sœur dans l'espoir d'un secrétariat d'État à la Chanson et aux Sports de combat, si elle est élue. D'autres laisseront entendre que c'est Arlette qui a fait un pitoyable calcul électoral : si tous ceux qui écoutent Bernard (même malgré eux, à la radio) votent pour moi, j 'a i une bonne chance d'être encore là au second tour...

Deux hypothèses stupides, bien sûr, qui font bien peu de cas de l'amour fraternel, tardif certes, mais réel, qu'éprouve le petit frère pour « sa vieille » sœur. D'ailleurs, au lendemain du premier tour du scrutin, même si Arlette n'est plus en lice, Bernard chantera encore sûrement « Ma vieille » dans ses

galas. Et lorsque vous l 'entendrez à votre tour poussée par son fabuleux organe, vous aurez la preuve que Bernard ne l'avait pas enregistrée par pur arrivisme putassier.

Voilà, c'est fini. Merci d'avoir donné 33 francs pour « Rien ».

Grâce à vous, la recherche avance... D 'ici à quelques saisons, je ferai encore appel à

votre générosité pour continuer à me bourrer les poches. Mettez de côté dès à présent.

Karl.

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