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Typologie des crises financières Thème 6 : Les crises financières par Arnaud Parienty, Ecoflash 132/133, nov./déc. 1998 (extrait) Un excès d’émission monétaire (financement du déficit budgétaire par la "planche à billets") entraîne l’inflation qui tend à faire diminuer le taux de change. Craignant l’insolvabilité du pays débiteur, les créanciers se retirent. On peut distinguer en théorie cinq types principaux de crises financières, même si elles sont souvent imbriquées en pratique. 1) Les crises liées à la politique économique Dans le modèle canonique de Krugman, un excès de création monétaire (généralement lié à la monétisation de déficits budgétaires excessifs) rend le taux de change insoutenable. Les réserves de change s'épuisent à tenter de le défendre, jusqu’au moment où la crise de change éclate. C'est un peu le scénario européen de 1992-93. 2) La panique financière Elle peut intervenir lorsque les dettes à court terme dépassent les actifs à court terme et s'il n'y a pas de prêteur en dernier ressort crédible. Selon Sachs, il devient alors rationnel pour les prêteurs de retirer leurs capitaux, s’ils constatent que les autres créanciers en font autant, et ce, même s'ils avaient été disposés à maintenir leurs engagements. La crise aurait donc pu être évitée. La crise mexicaine est une illustration possible de ce type de crise. Il peut sembler illogique d'associer le terme de panique à un comportement individuel rationnel, mais l'irrationalité découle ici de l'addition de ces comportements (effet de composition). L’exagération de la spéculation boursière à la hausse provoque tôt ou tard un retournement. 3) L'éclatement d'une bulle spéculative On parle de bulle lorsque le prix des actifs diverge de manière de plus en plus prononcée de leur valeur fondamentale, définie comme la somme actualisée des flux de revenus anticipés que d'actif doit générer, par exemple, sur le marché des actions, lorsque le PER (rapport cours/bénéfice) ne cesse de progresser. Les bulles révèlent un surendettement des agents analysé par Irving Fischer dans un article de 1933 à propos de la crise de 1929. Reprenant cette analyse, Minsky distingue trois structures possibles : hedge (dette

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Typologie des crises financières Thème 6 : Les crises financières

par Arnaud Parienty, Ecoflash n° 132/133, nov./déc. 1998 (extrait)

 

Un excès d’émission monétaire (financement du déficit budgétaire par la "planche à billets") entraîne l’inflation qui tend à faire diminuer le

taux de change.

 

 

Craignant l’insolvabilité du pays débiteur, les créanciers se retirent.

On peut distinguer en théorie cinq types principaux de crises financières, même si elles sont souvent imbriquées en pratique.

1) Les crises liées à la politique économique

Dans le modèle canonique de Krugman, un excès de création monétaire (généralement lié à la monétisation de déficits budgétaires excessifs) rend le taux de change insoutenable. Les réserves de change s'épuisent à tenter de le défendre, jusqu’au moment où la crise de change éclate. C'est un peu le scénario européen de 1992-93.

2) La panique financière

Elle peut intervenir lorsque les dettes à court terme dépassent les actifs à court terme et s'il n'y a pas de prêteur en dernier ressort crédible. Selon Sachs, il devient alors rationnel pour les prêteurs de retirer leurs capitaux, s’ils constatent que les autres créanciers en font autant, et ce, même s'ils avaient été disposés à maintenir leurs engagements. La crise aurait donc pu être évitée. La crise mexicaine est une illustration possible de ce type de crise. Il peut sembler illogique d'associer le terme de panique à un comportement individuel rationnel, mais l'irrationalité découle ici de l'addition de ces comportements (effet de composition).

L’exagération de la spéculation boursière à la hausse provoque tôt ou tard un retournement.

3) L'éclatement d'une bulle spéculative

On parle de bulle lorsque le prix des actifs diverge de manière de plus en plus prononcée de leur valeur fondamentale, définie comme la somme actualisée des flux de revenus anticipés que d'actif doit générer, par exemple, sur le marché des actions, lorsque le PER (rapport cours/bénéfice) ne cesse de progresser. Les bulles révèlent un surendettement des agents analysé par Irving Fischer dans un article de 1933 à propos de la crise de 1929. Reprenant cette analyse, Minsky distingue trois structures possibles : hedge (dette couverte par des revenus) spéculative (des revenus couvrent les intérêts mais pas le capital à rembourser), et Ponzi (couverture des engagements par la dette). Le passage de hedge à spéculative s'explique par les opportunités de profit qui naissent en période d’euphorie ; on passe à la structure Ponzi lorsque les emprunteurs sont obligés de céder des actifs pour solder leur dette, ce qui provoque une baisse du prix de ces actifs et l'inversion des anticipations. C'est la situation étudiée par Fisher sous le terme de debt-deflation. La crise japonaise en est une bonne illustration dans sa première phase.

Les institutions de crédit ont pris des risques excessifs en accordant des concours à des emprunteurs peu fiables. Par le jeu des cascades de dettes, leur défaillance met en péril tout le système.

4) Hasard moral

Dans le modèle de Akerlof et D. Romer, lorsque des banques sous-capitalisées ou peu régulées peuvent emprunter en bénéficiant de garanties publiques, elles ont toutes chances de prendre des risques excessifs. Ils appliquent ce modèle à la crise des caisses d'épargne américaines. Paul Krugman présente les choses ainsi : si un prêt ou un placement est très risqué, il peut rapporter beaucoup, mais avec une

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faible probabilité ; son espérance de gain, guide normal de la décision, est donc faible. Mais, si les pertes éventuelles sont couvertes par les autorités monétaires, il est inutile de se préoccuper du cas où les choses tourneraient mal. L'espérance de gain est alors remplacée comme guide de la décision par la valeur du gain en cas de succès, que Krugman appelle valeur "Pangloss". Vient cependant un moment où les risques apparaissent pour ce qu'ils sont : de mauvais risques. Les agents envisagent alors la mobilisation de la garantie implicite dont bénéficient les intermédiaires financiers, et se rendent compte qu'elle ne pourra pas être mobilisée compte tenu de l'importance des sommes en jeu. Selon Krugman, ce mécanisme a joué un rôle essentiel dans la crise asiatique.

Face aux difficultés d’un emprunteur important, ses différents créanciers essaient à tout prix d’être les premiers à récupérer leur mise et, ce faisant, provoquent la défaillance du débiteur, d’où des problèmes pour tous et finalement un assèchement relatif des ressources disponibles.

5) Sauvetage catastrophique (traduction libre de disorderly workout)

Selon Sachs, ce type de crise intervient lorsque l'insolvabilité d'un emprunteur provoque une compétition des créanciers pour tenter de limiter leurs pertes. L'assèchement du marché des fonds prêtables entraîne alors l'accumulation de faillites.

Suivant le type de crise financière auquel on a affaire, les conséquences et les actions à entreprendre ne sont pas les mêmes. L'éclatement d'une bulle ou la dissipation du hasard moral améliorent théoriquement l'allocation des ressources. Il faut donc laisser la crise assainir l'activité. Par contre, la contraction injustifiée du crédit en cas de panique ou de sauvetage catastrophique amène la nécessité d'une intervention publique. Il semble que le FMI du moins dans un premier temps ait fait une erreur de diagnostic, répondant à la situation par un programme d'ajustement structurel, comme s'il avait affaire à une crise du premier type (politique économique), ce qui n'est pas le cas.

La transmission de la crise financière par le commerce international

Thème 6 : Les crises financières

par Christian de Boissieu, Les Cahiers français n°289, La documentation française, janvier-février 1999, pp. 26 à 28 (extrait)

 

Les entrées de capitaux fournissent des devises utiles pour, par exemple, importer.

Le ralentissement de la croissance voire, plus grave, la récession dans les pays émergents ont pour effet de réduire les importations de ces pays. […] Le Japon réalise un peu plus de 20% de ses exportations vers les quatre "dragons" (Hongkong, Corée du Sud, Singapour, Taïwan), contre 11% pour les États-Unis et seulement 3% pour l’Union européenne. […] Pris dans une acception large, l’effet-revenu peut désigner, dans le contexte privilégié ici, l’ensemble des facteurs déterminant le pouvoir d’achat et la demande solvable des pays émergents. Il faut alors regarder, à côté de la croissance, l’évolution de leurs capacités financières, les mouvements des prix du pétrole et des autres matières premières, etc. La crise financière a provoqué une fuite des capitaux hors de nombreux marchés émergents et un tarissement des flux d’investissement de portefeuille. Juste une illustration fournie par l’Institut de Finance Internationale (IIF) de Washington : ces flux nets, qui atteignaient 33,4 milliards de dollars au cours de l’année 1996 pour l’ensemble des pays

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émergents, sont tombés à 10,7 milliards (estimation provisoire) pour 1998. Ce changement traduit un durcissement de la contrainte externe et pèse forcément sur la capacité d’importation. […] Quant à la perte de pouvoir d’achat résultant de l’effondrement des prix du pétrole et de nombre de matières premières, elle grève lourdement la demande solvable et la capacité d’importation des pays producteurs. Il y a là une autre variété de cercle vicieux : la crise internationale, en pesant sur la demande face à une offre en abondance et en accentuant de ce fait les phénomènes de surcapacité, accentue les pressions déflationnistes qui, à leur tour, alimentent la surcapacité.

Un bas taux de change de la monnaie domestique rend les exportations moins onéreuses pour les clients du reste monde et renchérit les produits importés. Les pays asiatiques dévaluateurs devraient donc améliorer le solde de leur balance commerciale après le délai nécessaire à la restructuration des flux commerciaux.

L’effet-prix et le canal de la compétitivité

La crise financière internationale a été marquée depuis juillet 1997 par la chute libre des monnaies de nombreux pays émergents.[…] Mais cette inflexion de la compétitivité-prix sans parler de la compétitivité hors prix ou structurelle autrement redoutable à appréhender, intervenait après une phase inverse de surévaluation du baht thaïlandais, de la roupie indonésienne, du rouble, etc, elle-même engendrée par un ancrage trop rigide au dollar américain. […] La dégringolade des devises asiatiques, par son impact sur les rapports de compétitivité-prix, était susceptible d’agir sur les flux d’importations et d’exportations, avec les délais habituels formalisés par la courbe en J (dégradation initiale du solde commercial, car le renchérissement des importations précède le coup de fouet donné aux exportations). Mais elle pouvait aussi doper l’investissement direct, rendu bon marché par la chute des devises. On peut citer le cas de telle ou telle entreprise multinationale (exemple, pour la France, de Lafarge) ayant affiché depuis plusieurs trimestres ses intentions et souvent ses premières initiatives pour racheter telle ou telle firme en Asie du Sud-Est. […]

Le canal du commerce international en pratique

En apparence du moins, les faits ne contredisent pas les hypothèses théoriques : avec le délai attendu, la crise s’est accompagnée au cours de 1998 d’une aggravation du déficit extérieur américain (le déficit mensuel en données CVS a pu atteindre 1718 milliards de dollars, au lieu de 1213 milliards auparavant), d’une légère réduction de l’excédent commercial de la zone euro et d’une très sensible amélioration du solde extérieur de plusieurs pays émergents les plus touchés par le choc asiatique. […] 

 Voir aussi dans les autres thèmes :- Le scénario catastrophe d'une crise mondiale (thème 5)

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La transmission de la crise par les canaux bancaires et financiers Thème 6 : Les crises financières

par Christian de Boissieu, Les Cahiers français n°289, La documentation française, janvier-février 1999, pp. 28 à 31 (extrait)

 

La diminution de l’investissement et de la consommation des pays en crise réduit leurs importation, donc leur demande aux autres pays dont la croissance peut par conséquent se trouver affectée.

Dans le monde actuel, caractérisé par la parfaite mobilité des capitaux et la globalisation financière, la propagation des chocs se fait plus rapidement par la finance que par le commerce. […]

La situation des banques et le comportement d’offre de crédit

La crise des pays émergents a eu à la fois comme l’une des causes mais aussi l’une des conséquences, la détresse de leurs systèmes bancaires : des banques fragilisées en Asie - y compris au Japon - par l’effondrement de la bulle immobilière, le non respect des règles prudentielles élémentaires […], le poids de la corruption, etc. Des causes voisines ont provoqué les mêmes effets en Russie, avec en plus une dimension particulière née de l’implication écrasante des banques russes dans le marché des bons du Trésor (les GKO). La détresse de nombreux systèmes bancaires émergents a pu provoquer, ici ou là, des phénomènes de tarissement du crédit (credit crunch), forme extrême des comportements de rationnement : dans cette configuration, les banques en viennent à refuser du crédit, y compris aux emprunteurs les moins risqués. Là où il existe, le credit crunch a forcément des conséquences négatives pour 1’économie réelle, en clair pour l’investissement, la croissance et l’emploi. On comprend donc que la crise des systèmes bancaires dans nombre de pays d’Asie, d’Europe de l’Est puisse avoir des implications non seulement pour la croissance chez eux, mais aussi, par ricochet, pour la croissance mondiale. […] Quant à l’incidence des engagements bancaires sur des pays émergents directement touchés par la crise, elle n’est pas la même selon les systèmes bancaires considérés. Les banques japonaises étaient déjà bien mal en point avant juillet 1997, elles le sont davantage depuis. Le Japon aura été, en 1998, le seul pays à connaître un credit crunch, au sens strict défini plus haut. Dans ce type de configuration, la détresse du système bancaire contribue à la récession, l’accentue et la prolonge … Le contexte est différent dans les autres pays du G7. Pour les banques françaises, allemandes, américaines, les crédits non performants accordés à certains pays émergents en difficulté ne sont certes pas une bonne nouvelle, mais les pertes en question peuvent être relativement bien digérées grâce à la bonne santé générale de ces banques, aux profits qu’elles affichent et aux ajustements (y compris les multiples restructurations) effectués. […]

A la recherche de la sécurité, les capitaux ont fui l’Asie et se sont reportés sur les marchés occidentaux, générant une forte pression de la demande de titres sus l’offre et donc un accroissement des cours, d’où une diminution du rendement (la valeur du titre se trouve au dénominateur du

rendement).

Les marchés financiers, courroie de transmission privilégiée

Avec la globalisation financière, les chocs sont susceptibles de se transmettre en temps réel d’une place financière à l’autre. En pratique, la crise des marchés émergents a exercé sur les marchés financiers des pays développés deux catégories d’effets jouant en sens inverse : un effet de report, et un effet de contamination. De l’équilibre instable entre ces deux effets a dépendu l’incidence de la crise financière sur la demande intérieure, en particulier la consommation des ménages, dans les pays du G7, via des effets de richesse plus ou moins délicats à définir et à

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Victime de l’amputation de leur richesse par la crise financière asiatique, les agents des autres pays peuvent être tentés de réduire leurs propres dépenses afin de reconstituer leur patrimoine, d’où un risque de propagation de la crise.

quantifier.

L’effet de report

L’effet de report exprime le fait que les capitaux fuyant le théâtre d’opérations de la crise ont eu tendance à se diriger vers Wall Street et les places européennes. Dans cette optique, par un phénomène de vases communicants, les turbulences financières à Séoul, Hongkong, Djakarta, etc ont alimenté la bulle financière sur les marchés les plus avancés et expliqué les performances de 1998. Des performances enregistrées à la fois sur le marché des actions et sur le marché obligataire avec des écarts à relever. Car l’instabilité financière, en 1997-1998 comme à l’occasion des turbulences précédentes, s’est en fait accompagnée de deux comportements classiques.- Le report vers la qualité (flight to quality), les investisseurs ayant tendance à se réfugier dans les bons du Trésor et les obligations des États considérés comme les meilleures signatures (Trésor américain, allemand, français). Il en est résulté une chute marquée des taux de rendement des obligations d’État, et le creusement corrélatif des primes (spreads) exigées des autres signatures, y compris celles jugées traditionnellement honorables par le marché. […]- Le report vers la liquidité, c’est-à-dire soit des titres financiers à court terme, soit des actifs à plus longue échéance mais dotés de marchés secondaires actifs. […]

Effet de contamination

Quant à l’effet de contamination, il exprime la solidarité entre les places financières. […] Ce canal de transmission suscite des effets de richesse négatifs nés des corrections boursières. […] Vu le poids du financement par actions, ils sont nettement plus forts aux Etats-Unis qu’en France ou en Allemagne. Mais, même aux Etats-Unis, la correction sensible à la baisse de l’indice Dow Jones a eu un impact négatif limité sur la consommation des ménages, alors que celle-ci avait été très stimulée par les plus-values boursières enregistrées auparavant. 

 Voir aussi dans les autres thèmes :- Le scénario catastrophe d'une crise mondiale (thème 5)

La crise de 1997 Thème 6 : Les crises financières

par Arnaud Parienty, Ecoflash n° 132/133, nov./déc. 1998 (extrait)

 

Comptant sur une croissance économique élevée et donc une plus-value sur les titres, les investisseurs continuaient à acheter des valeurs asiatiques malgré le faible

Les manifestations

Le terme de crise recouvre la baisse soudaine et marquée des indices boursiers et des taux de change dans plusieurs pays asiatiques.

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rendement. Cette pression de la demande entraînait elle-même la hausse des cours, d’où un phénomène autoentretenu (anticipations autoréalisatrices). Lorsque les opérateurs prennent conscience de l’exagération du mouvement, ils commencent à vendre et provoquent le

retournement.

 

La fuite des capitaux provoque un surplus d’offre de monnaie domestique contre devises, d’où une tendance à la diminution du taux de change que les opérateurs anticipent en vendant leurs avoirs en monnaie domestique (mouvement cumulatif).

 

Les autorités peuvent réagir de deux manières :- laisser diminuer le taux de change mais les intermédiaires financiers ne pourront supporter le remboursement de leurs dettes en devises (par exemple, il leur faudra beaucoup plus de monnaie domestique pour se procurer les dollars nécessaires) ;- soutenir le taux de change en attirant les capitaux par des taux d’intérêt élevés mais les entreprises, étouffées par le coût du crédit, n’honoreront plus leurs dettes auprès des intermédiaires financiers qui se verront condamnés par l’insolvabilité de leurs clients.

Ainsi, un dollar vaut 3000 roupies indonésiennes au printemps 1997 et 12000 un an plus tard. Il passe dans le même temps de 25 à 55 bahts thaïlandais, alors que le won coréen perd 35% et le ringgit malaisien 30%.La capitalisation boursière des places asiatiques baisse brutalement à l'automne 1997. la chute atteint 84% en Thaïlande, 70% en Corée, 63% en Malaisie, 58% en Indonésie.Les prix immobiliers s'effondrent aussi et les firmes immobilières cotées à Bangkok perdent 92% de leur valeur en un an.

Les faillites d'intermédiaires financiers se multiplient. Plus problématique encore est le fait que cette crise brutale n'a pas été suivie du rebond rapide que beaucoup attendaient et que les deux premiers mois de 1998 permettaient d'espérer. La rechute des monnaies et, surtout, des marchés financiers a été assez générale.

Cette crise financière s'étend à la sphère réelle. La croissance de la Malaisie, de l'Indonésie et de la Thaïlande était de 8 à 9% en 1995, 6 à 8% en 1996. Elle est de 7% en Malaisie, 5% en Indonésie et nulle en Thaïlande pour 1997. En 1998, le ralentissement devrait être sensible dans ces trois pays, mais aussi aux Philippines et en Corée : Thaïlande et Indonésie connaîtront une récession marquée, pour la première fois depuis bien longtemps.

Pour apprécier ces données, il faut avoir à l'esprit le fait que ces économies sont taillées pour une croissance rapide. Ainsi, le chômage qui commence à toucher les ouvriers javanais ou la région de Bangkok est fort peu indemnisé, et les jeunes diplômés de Bangkok ne sont pas préparés à devoir se battre pour trouver un emploi.

Le scénario

La crise s'est déroulée selon le scénario suivant :

Dans un premier temps, les marchés d'actifs se retournent. Les arbres ne montant pas jusqu'au ciel, les bulles spéculatives qui se sont développées sur divers marchés d'actifs depuis le début des années 1990 se résorbent brutalement.Ce retournement a pour conséquences de freiner les ardeurs des investisseurs (qui acceptaient des taux d'intérêt réels de 5% sur la foi de perspectives de croissance élevées et d'un lien maintenu avec le dollar) et de détériorer gravement la situation des banques, qui est aujourd'hui le principal obstacle à une reprise. Néanmoins, il est important de remarquer que le prix des actifs atteint son pic en Thaïlande en 1993. Il serait donc erroné d'analyser la crise thaïlandaise comme l'explosion d'une bulle. Cette interprétation est certainement plus juste pour la Malaisie.

La perte de confiance des prêteurs étrangers entraîne une inversion des flux de capitaux dramatique. En Thaïlande, les sorties de capitaux courts atteignent 12,6% du PIB en 1997. Malgré la poursuite de l'investissement direct, la balance des capitaux privés accuse un déficit de plus de 10 points de PIB. Le baht ne peut donc plus rester accroché au dollar comme il l'était. Malgré les efforts de la banque de Thaïlande et une aide des autres banques centrales de la région, le baht chute. C'est la crise des changes en Thaïlande. C'est là que la crise se joue : dès lors que les prêteurs étrangers ont acquis la conviction que le taux de change du baht est insoutenable, les sorties de capitaux s'accélèrent et la crise est inévitable. La question est de savoir si

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les anticipations s'inversent par un mouvement de panique ou par suite de la dégradation des fondamentaux.

Un jeu de dominos fatal dans un troisième temps a étendu la méfiance des prêteurs aux autres pays asiatiques pour deux raisons :

o les exportations de ces pays étant concurrentes, ceux qui ne dévaluent pas perdent leur compétitivité. Si le baht perd 30% de sa valeur, il paraît impossible que les exportations, malaisiennes puissent se maintenir.

o les engagements des banques japonaises, taïwanaises ou coréennes en Asie du Sud Est sont très importants, notamment en Indonésie. Ajoutons l'élément psychologique qui empêche un temps les opérateurs de voir que Singapour est solide et Taïwan à l’écart de la crise. Enfin, le piège se referme. Puisque les intermédiaires financiers sont endettés à court terme en devises, les autorités sont prises dans un terrible dilemme : si elles laissent la monnaie chuter, les, dettes exprimées en monnaie locale explosent. Si elles défendent leur monnaie en élevant fortement les taux d'intérêt, les charges financières dérapent. Dans les deux cas, les intermédiaires financiers sont condamnés par leurs dettes et leurs créances douteuses. L’injection d'argent frais fourni par le FMI ne peut évidemment pas régler le problème, d'autant que de regrettables tergiversations vont initialement marquer son action.

 

 Voir aussi dans les autres thèmes :- Le scénario catastrophe d'une crise mondiale (thème 5)

La crise financière profite au dollar Thème 6 : Les crises financières

par Pierre-Antoine Delhommais, Le Monde, 15 juin 1998 (extrait)

 

Les pays asiatiques en crise réduisent leurs importations en provenance du Japon, d’où un ralentissement supplémentaire de la production de ce pays et un solde de la balance commerciale en régression qui entraîne une tendance à la diminution du taux de

change.

 

Un bas taux de change du yen rend les exportations japonaises moins onéreuses pour les clients du reste

Presque un an jour pour jour après la dévaluation du baht thaïlandais, qui avait marqué le début de la crise monétaire et boursière en Asie du Sud-Est, les marchés financiers internationaux traversent une nouvelle tempête dans laquelle la chute de la devise japonaise semble jouer un rôle clef. La monnaie nippone a fortement baissé, cette semaine, pour tomber vendredi 12 juin jusqu'à 144,75 yens pour 1 dollar, son cours le plus faible depuis huit ans. Avec une baisse de 1,3% de son PIB au premier trimestre, le Japon est officiellement entré en récession. Ni les Américains, ni les Européens ne semblent décidés à intervenir pour enrayer la chute du yen. Le mark a lui aussi cédé du terrain face au dollar en raison des craintes croissantes d'une défaillance de Moscou sur sa dette : l'Allemagne a des engagements financiers importants en Russie. […]

Alors que le gouvernement japonais avait tenté jusqu'à présent de minimiser l'ampleur de la crise économique dans l'archipel, les statistiques de croissance du premier trimestre publiées vendredi ont au contraire

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monde et renchérit les produits importés dans ce pays.

confirmé sa gravité. Le produit intérieur brut (PIB) a reculé de 1,3% après une baisse de 0,4% au cours des trois derniers mois de l'année 1997. Même si le vice-ministre de l'Agence de planification économique (EPA), Shimpei Nukaya, a préféré parlé de "stagnation sévère", la deuxième puissance économique du monde se retrouve donc officiellement, pour la première fois depuis vingt-trois ans, en récession, celle-ci se définissant comme la contraction de l'activité durant deux trimestres consécutifs.

La situation est d'autant plus préoccupante que la chute du yen entraîne toute la région dans une spirale dévaluationniste. Le baht thaïlandais, le won sud-coréen, la roupie indonésienne, le ringgit malaisien suivent la monnaie japonaise à la baisse, ce qui a pour conséquence d'aggraver les difficultés économiques de ces pays. En retour, ces dernières ralentissent l'activité commerciale et industrielle au Japon, fragilisent le système financier nippon et affaiblissent davantage le yen.

Les opérateurs de marché préférent se débarrasser de leurs yens, de surcroît assortis de rendements extrêmement bas (0,5% à trois mois), pour se porter vers les monnaies de pays présentant à la fois de meilleures performances économiques et des risques financiers moindres, en premier le dollar. […]

Jeudi, le secrétaire d'Etat américain au Trésor Robert Rubin, personnage très influent sur les marchés, a déclaré que les Etats-Unis interviendraient "au moment opportun, pas avant", en ajoutant que "les monnaies suivent les fondamentaux et qu'au Japon les fondamentaux sont perturbés depuis longtemps". Cette attitude marque une importante rupture dans la politique de change américaine : jusqu'alors, la Maison Blanche dénonçait avec force la faiblesse de la devise nippone, coupable selon elle d'aggraver le déficit commercial des Etats-Unis vis-à-vis du Japon. Aujourd'hui, l'administration américaine semble considérer que la dépréciation du taux de change est le seul moyen dont dispose Tokyo pour relancer son économie et qu'il n'y a pas d'alternative à la dévaluation monétaire ; elle considère surtout qu'une opération, même musclée, sur le marchés des changes serait vouée à l'échec compte tenu des difficultés économiques actuelles du Japon. Il ne sert à rien, selon Washington, d'aller contre les forces de marché. […]

La chute du yen et les désordres financiers qui en résultent sur les places émergentes (Russie, Brésil, Afrique du Sud) provoquent, comme cela avait été déjà le cas à l'automne 1997, un afflux de capitaux sur les marchés d'emprunts occidentaux, les investisseurs cherchant des placements de protection. Ce mouvement se traduit par une nette détente des taux d'intérêt à long terme, qui se situent à leur plus bas niveau de l'année : 4,82% en France pour les rendements à 10 ans, 5,64% pour les échéances à 30 ans aux Etats-Unis. Les obligations européennes paraissent toutefois moins bien placées que leurs homologues américaines pour profiter durablement de ce flight to quality. Les pays de l'Euroland, en particulier l'Allemagne, se trouvent directement exposés au risque de défaillance de la Russie sur sa dette. Les investisseurs semblent d'ailleurs déjà le prendre en compte, à en juger par le recul cette semaine des devises européennes face au dollar (1,8050 mark et 6,0550F vendredi soir).

Thème 6 : Les crises financières

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La propagation de la crise de l’automne 1998par Pierre-Antoine Delhommais, Le Monde, 10 Octobre 1998, p.20 (extrait)

 

[…] La crise financière gagne chaque jour en intensité et en gravité. Les places boursières ont à nouveau plongé, jeudi 8 octobre, tandis que les marchés de taux d'intérêt et de change enregistraient de très violentes secousses.

La Bourse de Paris a terminé la séance en baisse de 4,45%, tandis que Francfort reculait de 4,98%. Londres a perdu 2,69%, Madrid 2,84%, Amsterdam 3,43%, Milan 4,61% et Stockholm 6,65%. Si Wall Street, pour sa part, n'a abandonné que 0,13% en clôture, elle perdait plus de 3% en milieu de journée, dans une atmosphère de panique où même le système de cotations de la Bourse de New York a donné, par instants, des signes de faiblesse.

Lorsque le taux de change d’une monnaie diminue, les banques centrales peuvent intervenir pour contrecarrer cette tendance en achetant de la devise en difficulté et en en vendant d’autres (accroissement de la demande et réduction de l’offre).

Le rendement des titres diminue mécaniquement quand augmente leur cours (qui se trouve au dénominateur du rendement).

La séance a été plus mouvementée encore sur le marché des devises. Après être tombé jusqu'à 5,32 francs dans la matinée, le dollar est brusquement remonté à 5,50 francs dans l'après-midi à la suite de rumeurs d'intervention non confirmées des banques centrales. Face au yen, le billet vert, qui avait déjà perdu 9% la veille, a brièvement glissé jusqu'à 112 yens (soit 8 % de baisse supplémentaire) avant de se redresser et de se stabiliser à 116 yens. De mémoire de cambiste, une telle volatilité des cours n'avait jamais été observée.

Pour la première fois, le mouvement de panique a touché les marchés obligataires. Mais le fait le plus important est que, à présent, ces derniers avaient profité de la tempête monétaire et boursière internationale. Effrayés par la chute des actions et par la déstabilisation du système financier mondial, les investisseurs avaient acheté en masse, au cours des derniers mois, des emprunts d'Etat, qui constituent un placement très sûr en raison de la qualité de l'émetteur. Ce phénomène, que les spécialistes ont l'habitude de désigner sous le terme de flight to quality (fuite vers la qualité) s'était traduit par une baisse spectaculaire des taux d'intérêt à long terme dans les grands pays industrialisés. Ils étaient tombés à des niveaux historiquement bas.

Mais les obligations d'Etat s'écroulent à leur tour et les rendements se tendent fortement. Le taux de l'obligation assimilable du Trésor (OAT) à dix ans est ainsi passé, depuis le début de la semaine, de 3,93% à 4,50%. Dans le même temps, celui du bon du Trésor à 30 ans, qui constitue l'échéance de référence outre-Atlantique, remontait de 4,70% à 5,01%. Cette hausse, si elle devait se prolonger, serait une mauvaise nouvelle supplémentaire pour les économies occidentales : le coût des investissements et des emprunts immobiliers s'en trouverait nettement renchéri. Comment expliquer un tel renversement de tendance sur les marchés obligataires ?

Pour compenser leurs pertes enregistrées sur les marchés financiers émergents et sur les Bourses occidentales, expliquent les analystes, les investisseurs professionnels et les banques vendent aujourd'hui en catastrophe les titres sur lesquels ils avaient engrangé des plus-values depuis le début de l'année, ce qui était le cas de leurs portefeuilles d'obligations. Ils sont à la recherche désespérée des liquidités pour faire face à leurs engagements financiers et pour ne pas se retrouver en

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situation de défaut de paiement.

Ce sauve-qui-peut généralisé sur les marchés d'actions et d'obligations n'est pas sans conséquence sur le marché des changes. Car, depuis plusieurs années, les grands gestionnaires internationaux avaient mis à profit les taux extrêmement bas au Japon (moins de 1 %) : ils avaient emprunté en masse des yens pour financer leurs achats de titres américains et européens. Contraints aujourd'hui de céder ces derniers, ils vendent en grande quantité des dollars et des devises européennes pour disposer des yens nécessaires au remboursement de leurs emprunts contractés au Japon. Le résultat de ces opérations de marché complexes est l'envolée de la monnaie japonaise. […]

Analyse de la crise boursière de 1998 Thème 6 : Les crises financières

par Jean-Luc Biacabe, Les Cahiers français n°289, La documentation française, janvier-février 1999, pp. 41 à 44 (extrait)

 

Durant un semestre [le second de 1998], WaIl Street et les autres places boursières du monde auront successivement connu une descente aux enfers puis une renaissance qui les ramène en début d’année 1999 à des niveaux proches, voire supérieurs, à ceux du début de l’été 1998.

Les mouvements boursiers depuis le milieu des années 90

Du milieu des années 90 jusqu’à la crise de l’été 1998, les cours boursiers sur les grandes places mondiales ont connu un mouvement fortement haussier, mouvement largement initié par New York. Les progressions de cours, entre le 1er janvier 1995 et le point le plus haut atteint au cours de l’été 1998, se sont échelonnées de 102% à Londres à 148% pour Francfort, en passant par 120% à Paris et 143% à New York !

Dès la fin de 1996, face à cette envolée des cours aux Etats-Unis, le président de la Banque centrale américaine, Alan Greenspan, avait commencé à dénoncer "l’exubérance irrationnelle" des marchés, appelant à des corrections. Pourquoi, malgré cette mise en garde, les marchés ont-ils continué leur progression ? On ne peut répondre à cette question sans brièvement rappeler comment se forme le cours d’une action ni rendre compte des débats alors en cours aux Etats-Unis sur la "nouvelle économie". Très schématiquement, le cours d’une action doit refléter la valeur actualisée des bénéfices futurs d’une entreprise. Le taux d’actualisation retenu est le plus souvent le taux d’intérêt à long terme. Les anticipations sur l’activité économique, mais aussi sur l’inflation et les orientations à venir de la politique monétaire, sont donc les matériaux qui guident les prises de position des boursiers américains. C’est sur cette base qu’Alan Greenspan avait fondé (et fonde toujours) son diagnostic. Mais d’autres éléments plus structurels ou psychologiques peuvent venir interférer avec ces mécanismes. A partir du milieu des années 90, les acteurs économiques et financiers américains ont ainsi commencé à prendre conscience que le cycle économique en cours ne ressemblait pas aux précédents. Alors qu’une phase d’expansion de trois à quatre années finit toujours pas dégénérer en surchauffe inflationniste, la hausse des prix

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restait (et reste) toujours faible malgré la baisse du taux de chômage. On en vint progressivement à considérer que les nouvelles technologies de l’information et de la communication étaient en train de modifier radicalement le mode de fonctionnement de l’économie américaine.

La forte croissance économique laisse augurer de bons résultats pour les entreprises, donc des dividendes élevés tandis que l’absence d’inflation permet d’anticiper une politique monétaire de

taux d’intérêt modérés.

 

La diminution du prix des importations (devises asiatiques moins chères en monnaie domestique et effondrement des cours des matières primaires) repousse encore les craintes d’inflation et donc de durcissement de la politique monétaire.

Associé à de faibles perspectives d’inflation, ce diagnostic a fini par générer des anticipations de hausses des profits qui ne pouvaient que soutenir les cours. Au total, et si l’on adopte ces points de vue, le mouvement haussier passé de Wall Street était rationnel, sa vitesse et son ampleur traduisant l’optimisme des opérateurs.

L’impact de la crise asiatique

Avec le déclenchement de la crise asiatique, l’évolution des cours boursiers est entrée dans une nouvelle phase. Bénéficiant de la recomposition massive des portefeuilles des fonds d’épargne, les bourses occidentales ont profité du rapatriement de capitaux jusqu’alors investis en Asie (flight to quality) Par ailleurs, la vague de désinflation initiée par les dévaluations des monnaies asiatiques et la chute du prix des matières premières a conduit à un renversement complet des anticipations sur l’évolution des politiques monétaires américaine puis européennes. Ces deux mouvements favorables ne pouvaient que déboucher sur de nouvelles progressions des valeurs boursières. A la veille de l’été 1998, le mouvement avait pris une telle ampleur que certains observateurs commençaient même à considérer la crise asiatique comme un événement bénéfique. Eloignant les risques de surchauffe économique, elle allait permettre aux économies américaine et européennes de poursuivre sur la voie de l’expansion. C’est dans ce contexte que survint la crise boursière de la fin de l’été. Il est toujours tentant de rechercher un événement, une décision qui explique le retournement psychologique d’un marché. On sait que, dans le cas présent, c’est la menace d’insolvabilité de la Russie qui fit soudainement prendre conscience aux marchés de l’ampleur du risque "systémique". Il est cependant clair que la Russie ne fut que la goutte d’eau dans un processus largement avancé de montée des risques, en particulier dans le secteur bancaire.

Quoi qu’il en soit, près d’un an après le début de la crise asiatique (juillet 1997), les marchés boursiers occidentaux ont semblé découvrir que les grandes valeurs de la cote, en particulier dans le secteur bancaire ou les biens d’équipement, pourraient avoir à payer chèrement leurs engagements dans ces pays. […] 

 Voir aussi dans les autres thèmes :- Pourquoi la Bourse s’envole-t-elle ? (thème 4)

Les conséquences de la crise boursière de 1998 pour la sphère financière

Thème 6 : Les crises financières

par Jean-Luc Biacabe, Les Cahiers français n°289, La documentation française, janvier-février 1999, p.47 (extrait)

 

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Incapables de recouvrer certaines créances sur les pays en crise, les banques occidentales pouvaient être conduites à réduire les crédits consentis à leurs clients des pays développés afin d’afficher un meilleur rapport entre leurs fonds propres et les concours qu’elles

accordent.

 

Afin de ne pas asphyxier les établissements financiers en difficulté, les banques centrales ont pratiqué une politique monétaire bienveillante (taux d’intérêt modéré, refinancement aisé).

S’il est commode de rapprocher la dernière crise de 1998 du krach de 1987, les évolutions intervenues entre temps ont sensiblement modifié le contexte, en particulier dans le secteur financier. Les derniers événements ont ainsi mis en exergue deux phénomènes nouveaux. Comme l’avaient déjà souvent analysé les travaux de recherche sur les risques systémiques, le secteur bancaire est apparu, dans les dernières secousses boursières, au cœur du mécanisme de transmission de la crise financière vers la sphère réelle. Selon le scénario catastrophe le plus souvent évoqué, l’accumulation de créances douteuses sur l’Asie aurait pu (pourrait ?) déboucher sur un credit crunch, les banques faisant soit faillite, soit étant obligées. par les marchés de redresser très rapidement leurs ratios d’exploitation. Cette contraction du crédit, à son tour, aurait induit une baisse de l’activité sur le modèle des enchaînements à l’œuvre au Japon. De fait les valeurs bancaires ont bien été parmi les plus touchées durant la dernière crise boursière, en Europe plus qu’aux Etats-Unis. Mais, si aucun enchaînement infernal ne s’est finalement déclenché, en particulier après l’extension de la crise asiatique à la Russie, c’est bien parce que les autorités monétaires ont été sensibles au risque systémique et ont rapidement réagit, en particulier en infléchissant leur politique monétaire en un sens plus accommodant Comme n’importe quelle entreprise cotée, les banques apparaissent désormais soucieuses de leur valorisation boursière, ne serait-ce que parce que leur développement futur en dépend. Les exigences du ratio Cooke peuvent en effet les conduire à lever des capitaux pour accroître leur offre de crédits. Dans le cas de la France, on peut ajouter que la privatisation de la plupart des grandes banques commerciales a changé la nature des relations du secteur avec les marchés.

Un autre phénomène révélé par la crise boursière est l’ampleur des risques occasionnés par le développement des marchés de produits dérivés depuis une décennie et par celui des hedge funds, nouveaux acteurs majeurs sur les marchés. Par les effets de domino que la défaillance d’un opérateur peut engendrer, par l’importance des effets de levier qu’offrent ces nouveaux produits, les scénarios catastrophes ont soudainement gagné en crédibilité. La menace de faillite du fond américain LTCM à la mi-septembre et la vitesse de réaction des autorités monétaires ont constitué une bonne illustration de ces risques potentiels qui menacent désormais l’ensemble du système financier international.

Comment freiner les excès de la spéculation ?Thème 7 : La nécessaire régulation

Alternatives économiques, n° 126, avril 1995 (extrait)

 

Pour réduire [le] risque collectif, […] deux voies sont possibles. La première consisterait à mettre, selon l’expression de James Tobin (prix Nobel 1981) "un peu de sable dans les rouages", pour réduire la volatilité excessive de ces fonds. On peut y parvenir en augmentant les dépôts de garantie (deposits) exigés des intervenants qui achètent ou vendent sur les marchés de produits dérivés. Ainsi, leur intervention deviendrait plus coûteuse, puisqu’immobilisant des capitaux plus importants. Si le deposit n’est que de 10% - cas le plus fréquent actuellement -, l’effet de levier est de 10 : avec 1000F, je peux acheter ou vendre des contrats pour 10.000F. Pour peu que j’effectue un aller-retour spéculatif réussi, me rapportant 1 ou 2% des contrats sur lesquels j’interviens, la rentabilité devient

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exceptionnelle, puisque 1000 F effectivement déposés m’auront rapporté 100 ou 200 F en un ou deux jours.

En augmentant le deposit, on réduit donc cet effet de levier. Mais c’est pour cette raison que se sont développés les marchés d’options : ils permettent de tourner l’obstacle du deposit tout en offrant un effet de levier encore plus important : une faible variation du cours d’une action engendre une variation beaucoup plus importante du cours des options de vente ou d’achat.

Si le marché des actions devient moins rentable, les opérateurs vendent pour acheter ailleurs, par exemple sur celui des obligations qui, du fait de la pression de la demande, tendront à

augmenter.

 

Un ratio de solvabilité est un rapport minimal que les banques doivent respecter entre les fonds qu’elles possèdent en propre et les crédits qu’elles ont consentis (qui comportent toujours un risque de non remboursement) ; voir par exemple la définition du ratio Cooke.

C’est pourquoi James Tobin propose une taxe faible - 0,5% - mais qui, prélevée sur chaque transaction en devise, pourrait augmenter considérablement le coût de la spéculation : "Le montant de cette taxe serait trop faible pour décourager les opérations commerciales ou les mouvements de capitaux non spéculatifs", écrit-il dans le dernier Rapport sur le développement humain (éd. Economica, 1994). Certes, cela ne supprimerait pas la spéculation interne, puisque seuls seraient concernés les marchés dérivés en devises, cependant, la baisse des cours boursiers (par exemple) se traduirait par une hausse des cours sur un autre marché, et non plus par une fuite des capitaux, puisque les fonds quittant un marché interne n’auraient pas intérêt à se placer sur un marché externe. Le principal obstacle est qu’il faudrait qu’une telle taxe soit levée par tous les pays. On en est loin et chacun attend que les autres commencent.

D’où la deuxième voie, celle dite de la réglementation prudentielle. Elle vise à imposer aux opérateurs, et notamment aux banques, le respect d’un certain nombre de règles : ratio de solvabilité impliquant de proportionner les engagements au montant des capitaux propres (c’est-à-dire propriété de l’institution financière), appels de marge (c’est-à-dire augmentation du deposit toutes les fois que les variations de cours le font tomber en-dessous d’une proportion déterminée), surveillance des marchés, comptabilité transparente, etc. Force est de reconnaître que toutes ces mesures, déjà largement appliquées, n’ont pas empêché les choses de dégénérer. 

 Voir aussi dans les autres thèmes :- Les nouveaux produits dérivés (thème 2)- L’explosion des produits dérivés (thème 2)- 2 000 milliards de dollars d'échanges quotidiens (thème 5)- La crise de 1997 (thème 6)