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1 Mission en Palestine et Israël du 23 avril au 2 mai 2018 Association France Palestine Solidarité de Lorraine Sud École du Camp de réfugiés de Jénine 'Ministère de la fronde de Jénine' (Ouizarat el naquafa) qui devient 'Ministère de la culture' de Jénine si l'on change une seule lettre, (Ouizarat el thaqafa), Fada’ Samar, Mohammed Chalbi et Ta’rin Sundur (noms des auteurs de la fresque). « C’est nous qui subissons l’oppression et qui rions. Vous qui êtes libres, vous semblez si graves ! Allez, détendez-vous ». Un conseiller municipal de Ya’bad

Un conseiller muni ipal de Ya’ ad · ler muni ipal de Ya’ ad. Préface Tout p ojet politi ue, u'il enfeme les peuples ou les libè e, ne peut fai e l'économie des moyens de communication

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Mission en Palestine et Israël du 23 avril au 2 mai 2018

Association France Palestine Solidarité

de Lorraine Sud

École du Camp de réfugiés de Jénine

'Ministère de la fronde de Jénine' (Ouizarat el naquafa) qui devient 'Ministère de la culture' de

Jénine si l'on change une seule lettre, (Ouizarat el thaqafa), Fada’ Samar, Mohammed Chalbi

et Ta’rin Sundur (noms des auteurs de la fresque).

qafa

« C’est nous qui subissons l’oppression et qui rions. Vous qui êtes libres, vous semblez si graves ! Allez, détendez-vous ».

Un conseiller municipal de Ya’bad

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Préface

Tout projet politique, qu'il enferme les peuples ou les libère, ne peut faire l'économie des moyens de communication nécessaires à y adhérer. Le projet colonial israélien ne fait pas exception et depuis 1948, il a eu le temps de se développer dans le cadre d'une propagande efficace qui a su s'adapter au passage du siècle nouveau. S'il repose sur les mêmes fondamentaux, un voyage en Palestine et en Israël permet de se rendre compte à quel point cette propagande est habile et vous rend aveugle au réel. Deux petites anecdotes pour illustrer le propos. Dimanche 29 avril, lors de la visite de l'ancienne mosquée d' Al Khalisa, ville rayée de la carte et devenue Kyriat Shmona, le guide local nous raconte l'histoire de la ville. Rien apparemment ou à peine n'a existé avant le 14 mai 1948. Le guide n'aura pas non plus utilisé une seule fois les mots Palestinien ou Palestine. A peine les Arabes sont-ils cités. Le Palestinien n'existe pas. Lundi 30 avril à Tel-Aviv. Nous sommes à l'Abraham's Hostel et nous feuilletons le programme des excursions proposées à des routards par cette chaîne d'hôtels pour visiter la Palestine. On y propose depuis Tel-Aviv deux destinations, Hébron et Naplouse. On peut même manger avec une famille palestinienne au sourire accueillant. La présentation des deux voyages n'évoque ni la colonisation ni les violences totalement occultées dans la forme et le propos. Le voyageur passe ainsi d'un pays cool (Israël) dans un autre pays cool (Palestine) que le premier ne colonise pas. C’est vraiment cool ! Que ce soit le départ du Giro ou la Gay Pride instrumentalisée, Israël vend son image de marque. Israël, c'est vraiment très cool. Le Palestinien est devenu l'indigène de la réserve, la bête de zoo. On pourrait multiplier les exemples mais on continuerait à se retrouver effaré devant un tel cynisme. De quoi déprimer...parfois. En face de la propagande cependant, revêches il y a les faits. Ce qu'on constate tout simplement. Ce que le pouvoir israélien tente méthodiquement d'occulter ou de manipuler. Ce qui résiste à la propagande israélienne. Et les faits, ce sont des hommes et des femmes qui agissent et témoignent. Ce Palestinien par exemple, rencontré dans la vieille ville de Naplouse et qui nous montre comment il reconstruit avec des moyens dérisoires un vieil hammam détruit par l'armée la plus morale du monde. A peine plus tard, toujours à Naplouse la rencontre d'un millionnaire palestinien qui nous fait visiter son hôtel. Que de contrastes entre cette détermination patiente et cette réussite sociale. Que de talents et d'énergie qui trouveraient leur place dans une Palestine indépendante et créatrice d'emplois, libérée du contrôle et de l'étouffement de son économie par Israël. Et puis, il y a les femmes, les Palestiniennes et les Israéliennes. Elles ont été présentes pendant tout notre séjour. Il faudrait les citer toutes pour rendre hommage à leur courage. Qu'elles soient directrices, responsables d'association ou de comité, membres de la coopérative des femmes, institutrices, conseillères municipales, animatrices ou psychologues, palestinienne ou israélienne, chacune résiste à sa façon à la colonisation et à la propagande mensongère que ce soit à Jérusalem, à Wadi Fukin, à Beit Dajan, Ya'Bad, Jénine ou Tel-Aviv.

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Ce voyage a aussi été l'occasion de passer plus de temps du côté israélien pour mieux comprendre la situation de « l'intérieur ». Un grand merci à Who Profits et Windows Channel for Communication qui œuvre pour le dialogue entre Palestiniens et Israéliens, un dialogue fondé sur la reconnaissance de l'autre et de la réalité coloniale. Un grand merci aussi à Ephraïm Davidi du Parti Communiste Israélien pour la présentation passionnante et fouillée de la société et des partis politiques israéliens.

Ont participé à la mission organisée par l'AFPS de Lorraine Sud en Palestine et Israël du 23 avril au 2 mai 2018 : André Bréfort, Patrick Cailmail, Philippe Durand, Annie Grandcolas, Christian Hallinger, Gérard Jeaugeon, Patrice et Sahjanane Klis, Christiane Marchal, Guy Perrier, Philippe Plane et Evelyne Rochotte-Daou. Patrice

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RENCONTRE AVEC LA CIVIC COALITION FOR PALESTINIAN RIGHTS IN JERUSALEM (CCPRJ) :

À BEIT HANINA, dans la partie de Jérusalem-Est, à proximité du mur de séparation avec la

CISJORDANIE, direction Ramallah.

1 -Présentation par AMINA ABDELHAQ de l’histoire politique de Jérusalem pour les périodes

1917-1948 (protectorat Britannique) et 1948-1967 avec la partition de Jérusalem et la

création de Jérusalem-Ouest par la destruction d’une quarantaine de villages entrainant

l’expulsion de quelques 80 000 Palestiniens.

Depuis 1967, l’expansion Israélienne s’est traduite par l’annexion de Jérusalem-Est et

l’extension de la superficie de la ville passant de 5,5km2 à 70km2, avec application de la loi

israélienne.

Juste après la guerre des six jours en 1967, le recensement de la population palestinienne s’est

déroulé sur un jour et demi et le décompte n’a retenu que les personnes physiquement

présentes, excluant de fait 30 000 Palestiniens absents à ce moment (pour diverses raisons,

familiales, professionnelles, études,…).

La politique menée par ISRAËL vise essentiellement à inverser la balance démographique par

une « israélisation/dépalestinisation » de la population.

Outre le recensement arbitraire minorant le nombre d’habitants, des stratégies de transfert

de populations ont été mises en œuvre par la confiscation de terrains au bénéfice des

Israéliens, le refus des permis de construire pour les Palestiniens, le développement parallèle

des colonies visant à encercler les zones de vie des Palestiniens (15 colonies illégales créées

à Jérusalem-Est depuis 1967, 28 dans le district).

Sur le plan foncier, les projections de découpage Israéliennes de 1979 ne prévoyaient que 13%

pour la partie palestinienne.

En termes de population, les objectifs fixés à atteindre à Jérusalem sont de 60% d’Israéliens

pour 40% de Palestiniens, en excluant 150 000 Palestiniens par divers stratagèmes : laisser à

l’abandon des localités et en tarir la population, exclure des agglomérations palestiniennes du

district de Jérusalem, appliquer la « loi des absents » et occuper des logements non habités

même provisoirement, retirer le statut de résident aux Palestiniens partis vivre en Cisjordanie

, et surtout intégrer au « Grand Jérusalem » les 4 grandes colonies israéliennes, par nature

illégales (152000 habitants) , reliées à Jérusalem-Ouest par les nouvelles lignes de tramway.

Le Mur de séparation annexe de surcroît des terres de l’espace palestinien, accroît

considérablement les déplacements (points d’entrée, autorisations, checkpoints), met en

danger les populations en cas d’urgence médicale, entrave la liberté de circuler et obère la vie

sociale, familiale, professionnelle. Cela est particulièrement vrai pour les agglomérations

palestiniennes qui font partie de Jérusalem mais situées à l’extérieur du Mur.

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Jérusalem – Est

Mercredi 25 avril 2018

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Pour les Palestiniens vivant à Jérusalem-Est et traités comme des exilés sur leurs propres

terres , les conditions de vie, déjà précaires, se dégradent de manière accrue par le fait que

les impôts payés (le non-paiement pouvant entrainer l’expulsion ) ne reviennent que pour

35% en termes de services ou d’infrastructures.

Les écoles, anciennes, sont délabrées, exiguës et n’offrent pas de bonnes conditions

d’enseignement et d’hygiène.

A la pauvreté, condition majeure des habitants, s’ajoutent les contrôles, les humiliations et les

mesures iniques des autorités israéliennes.

Selon notre interlocutrice de la CCPRJ, la situation est tellement précaire et la pression

tellement forte, qu’au moindre incident, une explosion de colère de la population peut se

produire.

2-Présentation de la Civic Coalition For Palestinian Rights in Jerusalem :

Cette coalition, qui regroupe une quinzaine d’associations spécialisées implantées en Israël et

en Cisjordanie, a été créée en 2005.

Ses missions, au nombre de trois, visent :

- à mettre en garde contre la politique de colonisation et les lois et plans qui en découlent,

- à informer les populations et à lutter contre les méfaits induits,

- à apporter une aide juridique avec le concours de 4 avocats et à intervenir légalement, en

plus d’agir auprès des institutions de l’UE et de l’ONU.

La coalition Civique insiste sur le fait que les Palestiniens ne forment qu’un seul peuple et qu’il

faut se prémunir du piège sémantique consistant à fragmenter les Palestiniens, faisant une

différence entre ceux de Gaza, ceux de Jérusalem, ceux de Cisjordanie, ou encore les bédouins

L’action majeure de la Coalition Civique est d’apporter une aide matérielle et morale aux

populations sur la base d’un leitmotiv : l’occupation est illégale.

Evelyne et Christian

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Association MADAA dans le quartier de Silwan, Jérusalem- Est, soutenue par une

association allemande. http://www.madaasilwan.org/

La directrice-adjointe, Sahar Basi, visage et sourire lumineux sous le foulard, nous accueille.

Elle nous présente d’abord son quartier. Triste ironie du sort : Silwan dont le nom signifie

« tranquillité d’esprit » est le quartier de Jérusalem-Est le plus menacé et le plus harcelé par

les Israéliens. C’est le plus étendu et le plus ancien des 12 villages palestiniens constituant

Jérusalem-Est. Situé au sud-est de la vieille ville, il compte 55 000 habitants dont 70% vivent

sous le seuil de pauvreté, harcelés par les 500 colons qui s’y sont installés illégalement.

L’annexion de Jérusalem-Est après 1967 et le bouclage qui interdit rencontres et échanges

entre Palestiniens de Cisjordanie et ceux de Jérusalem a contribué à la dégradation du niveau

de vie. Bien que les Palestiniens paient leurs taxes, seulement 25% de cet argent est utilisé

pour le quartier. Pas de parking, pas de terrain de jeux (seulement pour les colons) pas de

jardin d’enfants, pas de bibliothèque, le ramassage des ordures seulement deux fois par

semaine. Les infrastructures sont laissées à l’abandon : nous l’avons constaté lors du violent

orage qui s’est abattu sur la ville. Les pluies diluviennes ont submergé les routes, ont inondé

Silwan qui se trouve dans une vallée. Notre chauffeur a passé la nuit à éponger sa maison et

à aider ses voisins. En ce qui concerne les écoles elles sont très délabrées et les Israéliens

interviennent dans les programmes scolaires. 45% des jeunes de Jérusalem ont quitté l’école

prématurément.

Mais le pire n’est pas là : en effet, Silwan est considéré par les Israéliens comme le noyau

originel de la cité de David construite il y a 3 000 ans. [Silwan= fontaine de Siloé] Sans

ménagement pour les Palestiniens qui occupent le quartier depuis des générations, une

officine gouvernementale a entrepris des fouilles et installé un parc d’attraction

archéologique. « C’est ici que tout a commencé » clament les affiches. Forages et creusement

de tunnel, outre les nuisances occasionnées, minent le terrain et sapent les maisons qui se

fissurent ou s’effondrent sans émouvoir les Israéliens. Au contraire.

En effet, depuis 2009 les autorités israéliennes ont envoyé des ordres d’évacuation

concernant 88 maisons (1500 personnes). A Batan al-Hawa, un quartier de Silwan, 30 familles

sont menacées d’expulsion. La plupart des familles refusent les d’éventuelles compensations

qui d’ailleurs sont dérisoires (2 nuits d’hôtel et 3 mois d’hébergement). En cas de démolition,

c’est la famille qui doit en payer les frais (70 000 shekels) Les pressions des Israéliens, menées

conjointement par le gouvernement et des colons religieux fanatiques sont de plus en plus

odieuses et violentes :

A cause de la loi des absents, on ne peut quitter sa maison (même pour assister à un mariage)

sans courir le risque de la voir occupée par des colons. Si une personne quitte la maison,

cela « justifie » l’appropriation d’une pièce par un colon qui peut en plus monopoliser les

toilettes.

Les enfants sont souvent arrêtés au motif qu’ils auraient lancé des pierres, notamment contre

les caméras de surveillance. 24 mineurs ont été arrêtés entre mars et mai 2018 à Jérusalem,

surtout à Silwan. Ils peuvent être emprisonnés à partir de 12 ans, interrogés à partir de 8 ans.

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Silwan, quartier de Jérusalem - Est

Mercredi 25 avril 2018

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En violation du droit israélien, elles ont lieu la nuit sans sommation après fracturation de la

porte d’entrée. Les enfants sont emmenés pieds et mains liés, la tête couverte, gardés

plusieurs heures ou plusieurs jours. Ils sont frappés, gardés dans de toutes petites cellules.

Libérés sous caution (5000 shekels), certains n’ont plus le droit de sortir et ne peuvent aller à

l’école. L’attente du jugement peut durer plusieurs années, entretemps certains sont devenus

adultes et écopent de peines plus lourdes.

Malgré ce tableau notre hôtesse demeure calme, sourit en entendant nos questions

(naïves ?) et en arrive au but de l’association :

- Principalement l’accueil des enfants pour les laisser le moins de temps possible dans

ces rues dangereuses et tenter de soulager les traumatismes. Des activités culturelles,

sportives, manuelles et artistiques ainsi qu’un soutien psychologique sont proposés

souvent par des professionnels. D’ailleurs nous avons rencontré une naturopathe

française qui passe plusieurs mois par ans bénévolement et offre soins et massages

- Un soutien aux femmes : améliorer le niveau de vie par l’artisanat, la cuisine,

développer la confiance en soi pour mieux résister aux check-points et à la loi des

absents. En effet, beaucoup sont seules, des hommes ont été tués ou emprisonnés,

certains même sont restés en dehors de Jérusalem annexée et ne peuvent revenir.

- Ouverture d’une bibliothèque

Le repas est délicieux, Sahar nous quitte car elle part en mission pour l’Espagne.

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Le quartier de Silwan

à Jérusalem - Est

Evelyne et Christian

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Nous arrivons à Wadi Fukin, petit village de 1400 habitants (1000 en 2014), s’étendant sur 125

hectares. Depuis 1948, ce village a été détruit 3 fois par l’armée israélienne, créant un exode

vers le camp de réfugiés de Dheisheh à Bethléem. Les villageois venaient cultiver

clandestinement leurs terres et s’enfuyaient après. Entre 1948 et 1952, 12 paysans ont été

assassinés. A partir de mars 1952, tous sont revenus au village et ont reconstruit leur maison.

Ils ne voulaient pas quitter leurs terres, et ce malgré la présence de l’armée israélienne.

Depuis la construction de Betar-Illit, de nouvelles colonies sont sorties de terre, enserrant le

village dans un carcan de béton. Toutes ces colonies vont être reliées par une route qui

empiètera encore sur les terres du village.

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Bethléem – Wadi Fukin

Jeudi 26 avril 2018

Notre journée démarre avec un aperçu du mur

de séparation (8 m de haut) à Bethléem. C’est

un monstre de béton et de grillage, support de

nombreux graffs. Ce « mur de la honte »

englobe Betar Illit, (2ème plus grande colonie

israélienne en Cisjordanie) fondée en 1985,

peuplée essentiellement par des Juifs ultra-

orthodoxes.

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Nous sommes reçus par Ibrahim MANASRA, responsable des cultures.

RWDS œuvre également pour la création d’un salaire minimum. La vente se fait

essentiellement de bouche à oreille. Une page Facebook permet également d’écouler les

produits, notamment en période de ramadan. Les femmes sont payées au nombre d’heures

travaillées (12 shekels de l’heure) et la coopérative ne fait pas de bénéfices. Vu le manque de

machines dans la coopérative, les femmes doivent apporter leur matériel personnel.

Les villageois ont plein de projets (agriculture biologique, compost, renouvellement du

système d’irrigation…).

Les groupes AFPS de l’Est ont financé la création de bassins de rétention d’eau (la création de

puits étant interdite par Israël) et la mise en place d’un système de goutte à goutte pour

l’irrigation. Des colons, au mépris des Palestiniens, viennent s’y baigner. Ils agressent les

enfants pour les faire partir. Le fils d’Ibrahim, âgé de 10 ans, a été enlevé par des colons. Son

papa a pénétré dans les colonies pour récupérer son fils au bout de 3 heures.

Il y a trois ans l’armée israélienne a détruit le système de goutte à goutte. Avec l’aide d’une

association de Béthléem, ils ont pu le reconstruire.

Des oliviers millénaires ont été déracinés pour la création de routes et les Palestiniens qui

arrosent la nuit sont les cibles de tirs sauvages des colons. Les villageois demandent la

continuité de l’aide par l’AFPS, comme le renouvellement du système d’irrigation d’eau.

Wadi Fukin est non seulement envahi par les colons, mais comme il est situé en zone B et C,

ses habitants n’ont pas le droit de transmettre leurs terres à leurs enfants. L’avenir de ces

enfants est fortement compromis voire bouché. Mais les Palestiniens s’accrochent à leur terre

et jamais ne se résigneront à l’abandonner.

Ne les oublions pas.

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Wadi Fukin vit

essentiellement de sa

culture maraichère

biologique, des oliviers,

des ruches et des vergers

Une coopérative gérée par

le groupe RWDS (Rural

Women’s Development

Society) composé de 14

femmes Palestiniennes,

s’occupe de la

transformation des

produits (légumes et

fruits). Elle commercialise

des confitures sous le nom

de ALHKOUMA.

Annie et Christiane

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C’est le responsable du conseil municipal qui nous accueille et nous présente Beit Dajan qui est située près de Naplouse à environ 10 km à l'Est. Beit Dajan (4000 habitants) n’a pas assez d’habitants pour être officiellement une commune. Toutefois un conseil de 9 membres élus, bénévoles qui représente diverses sensibilités (Fatah, communistes…) la dirige. Il y a deux femmes parmi les élus. Le Hamas n'a pas participé aux élections. Le budget de la commune s'élève à 4 millions de shekels, soit 1 million d’euros environ, provenant essentiellement de la vente d’électricité et d’eau. Jusqu’à présent la commune a travaillé en autofinancement sans emprunt, sans apport extérieur. La superficie de Beit Dajan est de 28000 dunums (2800 ha), majoritairement en zone C, pas de surface en zone A, un peu en zone B. 60 % de la zone C sont inexploités. Une station d’épuration traite les eaux usées. Les principaux équipements de la commune sont les suivants :

•Un dispensaire avec un docteur à temps partiel (2 jours par semaine), une pharmacie intégrée

•Une pharmacie indépendante, privée

•2 écoles primaires pour les garçons

•1 école pour les filles, une seconde est en projet. Pour ces écoles (garçons et filles) le programme est défini par l’Autorité palestinienne sans ingérence d’Israël (pour le moment). Pour les études supérieures, les étudiants peuvent se rendre à Naplouse qui est à proximité et dispose d’une faculté de médecine ou bien à l’université d’Abu Dis à Jérusalem sinon ils doivent se rendre en Jordanie, Égypte, Ukraine… Les principaux emplois locaux sont dans l'administration et le commerce. Il y a un centre maraîcher à Naplouse dont 40% des travailleurs viennent de Beit Dajan. Il y a aussi 300 personnes qui travaillent en Israël mais aucun dans les colonies et Beit Dajan boycotte les produits des colonies israéliennes. Les deux problèmes majeurs de Beit Dajan sont : 1.L’eau 2.La zone C

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Beit Dajan

Vendredi 27 avril 2018

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Un seul point d’eau commun est disponible pour Beit Dajan (4000 habitants) et pour la commune voisine de Beit Fourik (16000 habitants). 40 % des besoins en eau sont couverts par ce point d’eau (27 m³/heure) ; les autres 60 % proviennent d’un contrat signé avec l’autorité de l’eau de Naplouse et sont acheminés par camion de Naplouse à Beit Dajan. Une partie des maisons de la commune possèdent un réservoir rempli par ces camions et l’eau de pluie (300mm d’eau de pluie par an) Le coût de l’eau transportée par camion est de 6 $ par m³, 1 $ pour l’eau, 5$ pour le transport. Pour réduire le coût de cette eau, une autre solution était possible en acheminant l’eau par une canalisation de 7 km de long qui arrivait d’une vallée voisine jusqu’à Beit Dajan. 2 km ont été posés mais Israël a interdit la poursuite de ce projet en détruisant la canalisation et en détournant l’eau pour une de ses colonies situées à proximité. Le projet en discussion entre l'AFPS et la municipalité consiste en la construction de réservoirs sur une période de 4 ans pour les maisons n’ayant pas de réservoir dont 10 réservoirs prévus en 2018. Ces réservoirs en béton de forme cubique ou en forme de poire ont une capacité de 80 m³ et sont enterrés. Le coût de construction d’un réservoir est estimé à 4000/5000 dollars. La main d’œuvre est prise en charge par la famille et le financement des matériaux par un collectif de groupes locaux de l’AFPS (Nancy, Alsace…), de collectivités locales et l'agence de l’eau. Ce collectif prend également en charge le salaire d’un coordinateur du projet. Issa devrait en être le contrôleur financier. Chaque demande est conditionnée par l’établissement d’un dossier et par un suivi régulier de l’avancement du projet. Toutes les demandes des familles sont recensées par une commission municipale qui décidera de la priorité à donner à chaque demande en fonction de la composition de la famille. Deux autres critères ont été retenus : le caractère monoparental de la famille et le handicap. Cette rencontre de Beit Dajan a été très positive et instructive. Le comité qui pilote la commune nous paraît très dynamique, semble bien gérer la commune et avoir de nombreux projets. Après cette visite de Beit Dajan , nous avons rencontré dans le souk de Naplouse un Palestinien qui a lancé le projet de restaurer par ses propres moyens un très ancien hammam, détruit par l'armée israélienne et complètement en ruine, et qui sera complété par un hôtel. Ce Palestinien qui a deux frères martyrs et un troisième en prison depuis 15 ans est animé par une volonté sidérante. Quel contraste entre la modestie des moyens disponibles et l'ampleur du projet. Ici, on reste, on reconstruit. On ne part pas, on résiste. André et Gérard 11

Canalisation percée par les israéliens

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André et Gérard

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Une belle leçon de vie et de résistance. Nous sommes accueillis par le maire de Ya'Bad le docteur Samer Aboubakr et le conseil municipal qui compte une douzaine de personnes.

Ya'Bad compte une population de 18000 habitants à laquelle, il faut en ajouter 18000 autres qui correspondent aux villages environnants. Les infrastructures comprennent un poste de police, un poste de défense, dix écoles, un dispensaire pour les soins courants et une banque. La municipalité compte aussi une association sportive et une association de femmes. Les activités agricoles sont centrées sur la culture du tabac et de l'olivier, celle-ci nécessitant peu d'eau. Monsieur Sharif Mohamad Herzala nous fait le point sur la fabrication de charbon qui, fabriqué à partir du bois local représentait une autre source de revenus importante : elle a occupé jusqu'à 2000 personnes. Prospère jusqu'en 1948, elle a progressivement décliné, les fabricants devant s'approvisionner auprès des Israéliens qui en 2016 ont totalement mis fin à l'approvisionnement. La population de Ya'Bad, comme celle de nombreuses villes palestiniennes est très diplômée, les formations universitaires étant assurées soit en Palestine soit à l'étranger. Chaque jour, 2000 personnes vont travailler à l'extérieur de la commune. Le nombre de chômeurs s'élève à 3000 personnes. La colonisation israélienne et sa stratégie d'étouffement des Palestiniens se manifestent de différentes façons. Deux colonies Mevo Dotan 1 et 2 se sont développées à l'entrée de l'unique route qui mène à la commune, ces dernières aisément reconnaissables au portique d'entrée et au drapeau blanc et bleu d'Israël. Leur économie repose sur la fabrication de revêtements de sols, pièces automobiles et d'armement et de masques à gaz. 25% des terres palestiniennes ont été confisquées au profit des colons. Un check-point installé sur la route d'accès permet de contrôler, d'interdire et de bloquer l'entrée des Palestiniens sur leurs propres terres. D'autres points de contrôle peuvent s'ajouter à celui-ci selon les besoins de la situation et le bon-vouloir du colonisateur. L'interdiction de creuser de nouveaux puits limite la production agricole et l'activité économique des Palestiniens.

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Ya’bad

Samedi 28 avril 2018

Avant de commencer la visite de la

commune et la présentation des projets

en cours, le maire souligne la réussite de

l'échange de novembre 2017 entre les

jeunes Palestiniens et Français à Nancy

qui devrait pour 2019 permettre la visite

de jeunes Français dans sa commune puis

il nous donne des informations pour mieux

comprendre la situation de sa ville

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A cet étouffement économique, vient s'ajouter la violence de l'oppression coloniale : agressions physiques des habitants par l'armée d'occupation et les colons, arrachage des oliviers, pénétrations à l'intérieur de la commune ; encore récemment des enseignants et des élèves de l'école la plus éloignée ont été agressés par des jets de gaz lacrymogènes et des coups de feu. En 2017 : Fouad Turkmen, âgé de 16 ans, et Nouf Infayat, une jeune fille âgée de 14 ans ont été tués, quatre enfants entre 12 et 15 ans ont été emprisonnés, des étudiant arrêtés. Sous prétexte de sécurité, les Palestiniens subissent la loi de l'arbitraire. L'armée d'occupation fabrique elle-même ses preuves en laissant des couteaux dans les maisons palestiniennes pour ainsi justifier ses interventions. Les représentantes de l'association des femmes prennent aussi la parole pour nous expliquer que la femme palestinienne a des droits, qu'elle est instruite et libre. Elle est à la fois femme, mère, fille et soeur. Elle est associée à son époux avec lequel la solidarité est forte dans la résistance. Elle est la base de la société et paie souvent le prix fort par la mort de ses proches. Les femmes s'étonnent de la représentation stéréotypée dont elles sont l'objet et du manque de soutien des féministes européennes. La première visite concerne une école primaire de filles, la plus ancienne de Ya'Bad construite en 1936. Elle regroupe 470 élèves réparties en 17 classes de 30 élèves qui suivent le programme d'enseignement palestinien. Face au développement démographique, les locaux sont insuffisants, en mauvais état et souffrent de multiples pénuries : les salles qui abritent chacune autour de 40 élèves sont trop petites , l’école manque de matériel scolaire de base, de moyens pour financer les ateliers et équipement. Au total, la commune compte 5 écoles pour filles et 5 pour garçons, dont une pour les réfugiés gérée par l'UNRWA, 1 collège pour filles et 2 pour garçons. 60% des enfants continuent les études après l'école primaire.

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Une école à Ya’bad

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Nous visitons ensuite différents projets en cours : le stade de football récemment construit et dont le financement de l’équipement est en discussion avec le Conseil Départemental 54. Un terrain est aussi prévu pour la construction d’un hôpital par les Italiens et financé par des pays arabes. Nous terminons par la visite d’un champ de panneaux solaires qui représente une capacité de production de 1 mégawatt. Une extension des installations est en cours qui devrait permettre une hausse à 2,4 mégawatts et une plus grande indépendance énergétique.

Avant de partir pour Jénine, nous partageons un pique-nique dans les collines avec le conseil municipal. Devant l’énormité des besoins de la commune dans de nombreux domaines, les multiples priorités et l’impact violent de la colonisation, nous sommes un peu assommés. Du côté des Palestiniens, l’heure est à la plaisanterie et au rire. Un conseiller conclut : « C’est nous qui subissons l’oppression et qui rions. Vous qui êtes libres, vous semblez si graves ! Allez, détendez-vous».

Patrice et Sahjanane

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Un exemple remarquable de détermination et de patience. En fin d'après-midi, nous arrivons à Jénine pour la visite du camp de réfugiés et la rencontre avec Madame Farha Abu Al Heja, présidente de l'association Not to Forget Women. Nous sommes accueillis dans les locaux de l'association, par ses animatrices et une foule d'enfants avec chants, danses et lectures de poèmes de Mahmoud Darwich.

L'association est née en 2002 suite aux massacres perpétrés dans le camp et aux conditions terribles dans lesquelles vivait la population avec coupures d'eau et d'électricité par l'armée d'occupation. Les enfants ont vécu les horreurs de la répression : arrestation du père, de la mère ou assassinat des membres de leur famille, punition collective par destruction des maisons des résistants, intervention de l'armée israélienne équipée de chiens hargneux la nuit dans les domiciles des familles. « Not to Forget Women » a pour objectif de mettre en place une écoute, un accueil et de fournir un peu d' « oxygène » et une enfance aux victimes de ces exactions, femmes et enfants dont le père est souvent emprisonné. Le terrain a été financé par le Ministère des Affaires Etrangères du Luxembourg et la construction du centre par des fonds japonais. Dans le camp d'une superficie d’environ 0,5 km2 qui compte 16000 habitants, l'association assure la prise en charge de 270 femmes et enfants. Son animation et sa gestion sont assurées par des bénévoles ou des salariés modestement payés.

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Jénine

Samedi 28 avril 2018

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L'impact des situations traumatisantes sur les enfants peut prendre différentes formes : énurésie, pleurs, angoisses au crépuscule, repli sur soi-même, fatigue et somnolence durant les cours, manque et difficultés de concentration, violence, manque de repas réguliers... Pour y remédier, un éventail d'activités a été mis en place : écoute des mères qui sombrent dans le désespoir parfois proche de la folie, soutien scolaire et activités sous forme de jeux, programmes psychologiques, excursions à l'extérieur du camp. Les enfants viennent trois jours par semaine au centre. L'association fournit des repas aux familles les plus pauvres et aide les femmes à développer une activité autour de la broderie. Le camp dispose aussi d'une école et d'un dispensaire de l'UNRWA mais l'école manque d'enseignants pour certaines matières. Deux projets sont à l'ordre du jour dans l'association. D'abord, une exposition de photos accompagnées de textes parlant de la vie quotidienne des réfugiés et réalisée par Joss Dray. Son nom : « La liberté commence ici ». Un second projet concerne un camp d'été afin de sortir les enfants de leur environnement. Patrice et Sahjanane

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Nous terminons la journée chez Madame Najat Abugutwa , membre du comité populaire du camp et membre du Centre des femmes. Elle et sa sœur, psychologue à « Do not forget », nous accueillent pour le dîner et la nuit.

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Sur les traces d’Al Khalisa à Kiryat Shmona

On peut se demander pourquoi nous avons choisi de consacrer une journée à la visite de Kiryat Shmona, cette ville israélienne de 24000 habitants située à la frontière libanaise à l’extrême nord-est du pays. Il se trouve que Kiryat Shmona est jumelée avec Nancy depuis 1984 et qu’elle a été construite sur un village palestinien, Al Khalisa, détruit à la suite de la Nakba de 1948. L’objectif de la visite était de retrouver des traces du village palestinien détruit.

Pour cela, nous avions pour guide la personne qu’il fallait, Eitan Bronstein. Ce dernier a fondé en 2001 l’association Zochrot dédiée à faire connaître aux Israéliens la mémoire de la Nakba. Il a travaillé jusqu’en 2014 dans cette association et ensuite en 2015, il a fondé avec sa compagne, Eléonore Merza, une nouvelle association, De-Colonizer, avec un objectif plus large, qui est d’étudier tous les aspects de la situation coloniale en Israël et au Golan. L’extension au Golan s’explique par le fait qu’Eléonore a un père syrien, alors que sa mère est juive algérienne. Eitan et Eléonore ont d’ailleurs écrit un livre "Comment dit-on 'Nakba' en hébreu?" qui revient sur l’expérience inédite de Zochrot pour mettre le discours sur la Nakba et la question des réfugiés palestiniens au cœur de la société israélienne. Ce livre sera disponible en français à l’automne.

Eitan nous a présenté en détail une production majeure de De-Colonizer, une carte intitulée « Colonialism in destruc(a)ction ». Cette carte montre sur la Palestine historique et le Golan toutes les localités juives et palestiniennes détruites depuis le début de l’immigration sioniste à la fin du 19ième siècle jusqu’à aujourd’hui et elle intègre aussi les localités palestiniennes menacées d’être détruites.

C’est avec plaisir que ce dernier nous accompagne pour la visite et commente les

nombreuses photographies qui constituent l’essentiel du musée.C’est en 1906 que le

bâtiment a été construit pour accueillir la mosquée du village d’Al Khalisa. Après 1948,

quand les premiers immigrants juifs ont pris possession du village, la mosquée a été

transformée en salle des fêtes et c’est seulement an 1989 qu’elle est devenue un musée. Ce

dernier retrace à travers des photos toute l’histoire de l’immigration juive dans la région

dans les années 50. A l’époque, les dirigeants israéliens sont allés chercher en Afrique du

Nord des juifs sépharades et en Asie des juifs mizrahim pour peupler les régions frontalières

du Néguev et du nord d’Israël. Les agents du Mossad se rendaient sur place et électionnaient

les hommes et les femmes les plus forts physiquement.

Kiryat Shmona

Dimanche 29 avril 2018

Revenons à notre visite

proprement dite. Par une

recherche effectuée sur Internet,

nous savions qu’il restait au

moins un bâtiment intact du

village d’Al Khalisa, la mosquée

(Figure 1) qui est maintenant un

musée dédié à l’histoire de Kiryat

Shmona. Eitan avait pris rendez-

vous avec Haïm Eliaz, un employé

de la municipalité préposé au

musée.

Figure 1 – La mosquée transformée en musée

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La cohabitation entre des populations venues d’horizons très divers y est difficile.Dans la

région de Kiryat Shmona, ces immigrants fournissent une main d’œuvre à bon marché pour

les kibboutz alentour. Ils travaillent dur dans les champs de coton et dans les industries textiles

qui commencent à se construire. Les habitants des kibboutz ont un comportement colonial et

raciste vis-à-vis de ces nouveaux immigrants. On est donc loin de l’image d’Épinal des

kibboutz, foyers de socialisme.

Quand Haïm nous le dit, on sent toute la rancœur qu’il éprouve vis-à-vis des kibboutzim. En

même temps, il souligne que les nouveaux immigrants ont contribué de façon essentielle à la

construction d’Israël et qu’ils sont attachés à ce pays. Cette domination des kibboutz se

manifestait aussi au niveau politique car la municipalité de Kiryat Shmona a été dirigée durant

les 5 premières années par des maires issus des kibboutz. Il y en aura trois et c’est seulement

le quatrième maire qui sera issu de la nouvelle immigration : il était algérien. Une anecdote

qui est révélatrice de cette déchirure entre les racines arabes de certains immigrants et le

nouveau moule auquel on leur demandait de se plier : pendant longtemps, ils ont utilisé le

nom arabe du village, Al Khalisa, plutôt que le nom juif, Kiryat Shmona. Il y a d’ailleurs une plaque

dans le musée qui dit « de la porte de l’immigration à Al Khalisa ».

La réalité est donc bien loin du

discours officiel sur les juifs

fuyant l’antisémitisme des pays

arabes. Les premiers

immigrants arrivés à Kiryat

Shmona en 1949 sont des juifs

yéménites. Les premières

années, les conditions de vie

sont très dures. Les immigrants

sont logés dans des camps de

transit sous des tentes ou dans

des baraquements. Dans tout

Israël, on construit à l’époque

52 camps de transit (Ma’abarot

en hébreu). Figure 2 – Les baraquements d’un camp de transit à Kiryat Shmona

Tous ces immigrants, quand ils sont arrivés à Kiryat

Shmona, n’avaient aucune idée de là où ils arrivaient,

et compte tenu des conditions d’accueil, plusieurs ont

cherché à repartir, notamment les plus riches issus

d’Iran et d’Irak. Des camions les remmenaient dans

d’autres régions d’Israël mais les conditions de

transport étaient très périlleuses, ce qui était voulu

pour les dissuader de repartir. Au début, il n’y avait

aucune infrastructure sociale dans les camps de transit

(écoles et hôpitaux) et c’est petit à petit qu’elles ont

été mises en place par les kibboutz aux alentours (voir

photos). Le musée montre aussi un aspect important

de la vie à Kiryat Shmona : comme la ville est à la

frontière avec le Liban, dès les années qui ont suivi la

guerre du Liban, elle a été bombardée par les

katiouchas utilisées par les groupes armés palestiniens

depuis le Liban.

Figure 3 - Reste de roquette Katioucha 18

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Le musée est aussi intéressant par ce qu’il ne dit pas que par ce qu’il dit. Ainsi, il fait

commencer l’histoire de Kiryat Shmona en 1948 mais ne dit rien de ce qu‘il y avait avant.

Quand nous avons demandé à Haïm, ce qu’étaient devenus les habitants palestiniens d’Al

Khalisa, il a simplement répondu qu’ils étaient dans les camps de réfugiés du Liban mais

comment et pourquoi ils sont arrivés là-bas, nous n’aurons pas la réponse. C’est Eitan qui nous

donnera quelques éléments à ce sujet. Al Khalisa est un très vieux village palestinien. Déjà, au

16ième siècle, il comptait 160 habitants. Juste avant 1948, le village comptait 2134 habitants

palestiniens. Ils ont tous été expulsés le 11 mai 1948 durant l’opération Yiftach de la force

Palmach, le corps d’élite de la Haganah. Ils avaient pourtant proposé auparavant un accord à

la Haganah pour préserver le village. Ygal Allon qui commandait alors la force Palmach a refusé

cet accord. Les maisons du village ont été détruites par la suite dans le cadre d’un plan général

de destruction des villages palestiniens, qui s’est étalé de 1965 à 1970. Du cimetière

musulman à côté de la mosquée, il ne reste plus de trace.

Si le musée ne parle jamais des Palestiniens, on devine leur existence à travers certains indices

qui laissent entendre que les Palestiniens et les arabes en général sont toujours les agresseurs

violents des juifs. Ainsi, une affiche présentant l’histoire de Kiryat Shmona mentionne bien

l’existence du village d’Al Khalisa mais en le présentant comme un repaire de gangsters qui

ont assassiné des juifs. La même affiche parle du massacre de 18 personnes en 1974 et des

bombardements des katiouchas depuis le Liban. Tout un panneau du musée montre des

photos des dégâts causés par les katiouchas et au pied du panneau, il y a même un reste d’une roquette tirée par une katioucha.(Figure 3)

Après la proclamation d’Israël, elle est devenue une maison des jeunes et elle est maintenant une école supérieure. De cette visite, nous retiendrons que les traces du passé palestinien de la ville sont bien maigres mais selon Eitan, c’est plutôt rare qu’il reste en Israël autant d’indices d’un village palestinien qui a été détruit. En général, l’État s’est attaché à faire disparaître toute trace de ce passé peu glorieux pour Israël.

Mis à part la mosquée, il reste deux autres bâtiments du village palestinien, l’école de garçons et le caravansérail. Nous les avons visités tous les deux. L’école est à l’abandon mais par contre le caravansérail a été rénové et il abrite actuellement une école d’enseignement supérieur. A l’origine, c’était une maison construite au 19ième siècle par Youssef Hussein, connu comme le cheikh des cheikhs. En 1948, elle appartenait à Kamal Hussein. Une partie servait à loger la famille et une autre partie les voyageurs. Les immigrants juifs l’appelaient « le palais ». En 1929, les Britanniques en avaient fait un commissariat de police.

Figure 4 – Le caravansérail transformé en école

19 Guy

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Rencontre avec Etsi Micenmacher de l’association « Who profits from the occupation »

Ce centre de recherche a été créé en 2007 par CWP “The coaliton of women for peace ", une

coalition qui a vu le jour en 2000 et qui regroupe 10 associations de femmes palestiniennes et

israéliennes. En 2013, « Who profits », grâce à la professionnalisation croissante de ses

chercheurs est devenue une organisation indépendante, tout en continuant à collaborer avec

l’association.

« Who profits» enquête sur l’implication économique dans l’occupation. Car CWP s’est rendu

compte que les arguments politiques et éthiques contre l’occupation ne suffisaient pas, il faut

recentrer la lutte vers l’économie. L’association espère qu’en faisant connaître les entreprises

et les sociétés qui tirent profit de l’occupation, elle provoquera un changement dans l’opinion

publique et dans les pratiques des entreprises dans le but de mettre fin à l’occupation. Cette

initiative contribue à soutenir la campagne BDS qui a prouvé son efficacité : Orange s’est ainsi

retirée des colonies israéliennes.

A l’origine du projet, l’article d’un historien sur une entreprise, sous-traitante d’une

multinationale dans la colonie de Modiin-Illit. Cette entreprise n’employait que des femmes

ultrareligieuses qui trouvaient pratique de pouvoir travailler à la maison tout en gardant leurs

nombreux enfants. En contrepartie elles ne recevaient qu’un salaire de misère. D’où a germé

l’idée chez CWP de s’intéresser aux entreprises et d’étudier leurs rapports annuels.

Les colonies ne produisent rien, elles ont peu d’entreprises (essentiellement agricoles) mais

la création des colonies est une grande entreprise. Et de nombreuses sociétés profitent de

l’occupation, elles ont souvent leur siège social à Tel Aviv, près de l’aéroport.

Ainsi, dans les colonies et grâce à elles beaucoup de monde s’enrichit:

- Les entreprises impliquées dans la construction Caterpillar et aussi dans la destruction

de maisons (un bulldozer An IDF Caterpillar D9 a été spécialement conçu pour la

destruction des maisons). D’autres groupes industriels dont Volvo ont vendu du

matériel de destruction des maisons à l’armée israélienne.

- les banques qui concèdent les prêts à ces entreprises font des profits et deviennent

propriétaires en cas de faillite. Ce sont des banques israéliennes ou étrangères

(Dexia)

- des entreprises de service (téléphonie et le transport…)

- les entreprises qui construisent le Mur (DAF, Kenworth, Taavura,Isuzu)

Tel-Aviv

Lundi 30 avril 2018

Caterpillar D9 de

l’armée israélienne

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- des entreprises agricoles : les produits de la vallée du Jourdain sont exportés de

préférence en Chine ou en Inde en tout cas dans les pays peu regardants sur la

provenance des produits. L’Europe exige un étiquetage des produits agricoles venant

des colonies mais n’applique pas sa réglementation. D’ailleurs un ministre avait

demandé à la Knesset un rapport sur l’impact de l’étiquetage « produits des colonies »

sur les ventes. Il est très faible.

- la création de zones industrielles pour l’exportation : cela constitue un moyen de

s’approprier le territoire même si ces terres restent vides, souvent seulement occupées par

des bureaux

- les entreprises de surveillance des Palestiniens : Hewlett Packward (HP) remplacé par DXC a

fourni contre profit caméras de surveillance, systèmes de reconnaissance par cartes d’identité biométriques aux checkpoints, elle s’occupait aussi de l’installation et de la maintenance de ces systèmes et de la base de données du ministère de l’intérieur par les filiales Matrix et Tact Testware, illégalement installées dans la colonie de Modiin Illit. A cela s’ajoutent les systèmes de surveillance par la marine israélienne qui contribue au blocus de Gaza. HP a également participé au projet illégal « Smart city » da la colonie d’Ariel en Cisjordanie. (60km au nord-ouest de Jérusalem)

L’économie captive Les bases juridiques de l’emprise économique d’Israël sur la Palestine sont celles des accords d’Oslo 1993 et du protocole de Paris (annexe économique) de 1994. Ce sont des accords léonins, acceptés par les Palestiniens dans l’espoir qu’ils seraient le début d’un processus de paix. Arafat l’avait cru temporaire mais un négociateur plus méfiant avait quitté la délégation. Ces accords scellent a dépendance de l’économie palestinienne vis-à-vis d’Israël. Il s’agit d’une réglementation très complexe qui change tout le temps, tout passe par les lois draconiennes d’Israël, les Palestiniens n’ont droit à rien et finissent par acheter aux Israéliens. En effet :

- Israël prélève des taxes sur toutes les activités économiques dans les territoires - Israël a le monopole sur les fournitures d’énergie (électricité, pétrole, gaz), les autres

pays n’ont pas le droit de fournir la Palestine - Israël a installé 4 champs de panneaux solaires sur le territoire palestinien - Israël exploite les ressources naturelles de Palestine, comme les carrières de pierre et

quand elles sont épuisées, y enfouit les déchets dangereux - L’industrie pharmaceutique palestinienne est complètement étouffée par celle des

Israéliens qui sature le marché de médicaments sans être installée dans les territoires

La Banque Mondiale a publié un rapport sur le rôle délétère de l’occupation sur l’économie palestinienne mais cela ne sert à rien. Rapport coût/bénéfice de la colonisation Les colonies coûtent cher mais rapportent beaucoup et tous les gouvernements qui se sont succédé en Israël sont et ont été complices de la colonisation. C'est une « course au plus offrant », à celui qui sera plus tolérant avec les colons, pour gagner des voix.

En effet les colons bénéficient de nombreux avantages. D’abord, ils ne paient pas d’impôts

locaux, quasiment pas de loyer. En outre, c’est l’Etat par le biais de différents ministères qui

injecte beaucoup d’argent.

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Par exemple, le ministère de la défense a une section réservée à la colonisation très opaque

qui prépare les terres à occuper et prend en charge les clôtures et la sécurité, le ministère de

l’agriculture fournit de l’argent, entre autres, pour acheter les machines, le ministère du

tourisme subventionne l’ « agriculture ancienne »etc.

Les relations économiques d’Israël avec les autres pays

Israël a un statut privilégié par rapport aux autres exportateurs, par des accords de coopération économique. L’accord entre l’UE et Israël devait aussi profiter à l’économie palestinienne, ce qui n’est pas le cas. La « liste noire » des entreprises complices de l'occupation a été fournie par l'ONU aux gouvernements, mais elle n'est pas publiée. Les investissements étrangers en Israël ne sont pas contrôlés, ce qui a permis le blanchiment d'argent sale, surtout par des achats de logements. Des transactions interdites passent par l’Espagne. La campagne sur les transports publics à Jérusalem Il y a actuellement des projets d'extension de la ligne principale du tram (ligne rouge), et de création de deux nouvelles lignes (verte et bleue). Ces lignes relieront les colonies à Jérusalem, afin de mieux les intégrer à la ville. Il y a actuellement 250 000 colons autour de Jérusalem. Ces trams traverseront illégalement la frontière (ligne verte), seront installés sur des terrains appartenant aux Palestiniens, et serviront exclusivement aux Israéliens. C'est le tram de l'apartheid. Le tram se construit en partenariat entre l'Etat israélien et les entreprises étrangères. Véolia, s'est retiré, mais il y a aussi Alstom, Unilever, a décidé de déménager son usine de Barkan installée dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, vers les territoires des frontières internationales de 1948. L'AFPS a intenté un procès contre Alstom et l'a perdu car cette entreprise, en tant qu'entreprise privée, n'était « pas concernée par les conventions de Genève » qui interdit l’investissement dans les territoires occupés militairement. D'autres entreprises françaises sont sur les rangs : SYSTRA, EGIS Rail, qui sont pourtant contrôlées par l'Etat français. Il y a aussi un projet de téléphérique pour relier les colonies à Jérusalem. Il existe un projet de ligne de chemin de fer à grande vitesse reliant Tel Aviv à Jérusalem, passant en certains endroits en Cisjordanie occupée. Des compagnies publiques étrangères participent à ce projet : Deutsche Bahn, Moscow Metrostroy qui sont des entreprises publiques, mais aussi des entreprises privées comme Pizzarotti (Italie). Le village de Beit Surik a appelé au secours contre ce projet. Pour terminer, signalons que les compagnies israéliennes sont fières de leur réussite. Pas besoin de lanceur d’alerte pour avoir les informations. Comme elles sont cotées en bourse, elles publient leurs rapports que l’on trouve sur internet. A consulter avec intérêt : https://whoprofits.org/content/about-who-profits Et https://electronicintifada.net/ indiqué par Etsi

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Philippe

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Windows Channel for Communication

Windows Channel for Communication est une association unique qui met en relation les Palestiniens des deux côtés de la ligne verte, ainsi que les Israéliens. Elle est née en1990, à la suite de la première Intifada, et comprenait alors des juifs et des arabes, en Israël, protestant contre l'occupation. C’est Ruti, une des fondatrices, qui nous reçoit dans un parc public de Tel-Aviv. A l'époque de l'apartheid en Afrique du Sud il existait un magazine en trois langues. Windows Channel for Communication est partie de cette idée pour créer un espace de communication entre juifs et arabes. Le ministère de l’éducation n’avait aucun projet dans ce sens, la société n’était pas prête. Personne n'y croyait, et par conséquent personne ne voulait investir de fonds dans une telle entreprise, jusqu'au processus d'Oslo, où l'espoir d'une paix possible rendait encore plus nécessaire une éducation à la paix. Le premier magazine est sorti en 1995 à Jaffa. Il comportait des textes écrits par des jeunes des 13 à 16 ans, avec une totale liberté de sujet et de ton, soutenus par des adultes, pour mieux se connaître mutuellement. Des gens qui travaillaient en Cisjordanie et à Gaza ont alors amené ce magazine chez eux et ont commencé à y écrire. Des milliers de jeunes Gazaouis lisaient le magazine et y écrivaient. Ce qui leur était demandé était de parler simplement de leur vie, sans s'invectiver mutuellement. Ce qu'ils apprenaient dans ce dialogue était en totale contradiction avec ce qu'ils avaient appris avant. Le rôle des adultes de l’association était d'aider ces jeunes à gérer leurs émotions. Ils écrivaient ensemble et parfois seuls, dans leur langue maternelle. Leurs textes étaient publiés et traduits en arabe, en hébreu et en anglais. Ils écrivaient d'abord leur colère, leur peur, et ce n'était qu'après qu'ils pouvaient écouter les autres. Ils lisaient aussi ensemble, car ces lettres pouvaient les mettre très mal à l'aise. Ils avaient alors besoin de partager l'émotion provoquée par ces lettres. Les enfants de Jaffa ont réalisé combien des enfants de Gaza à 65km de chez eux pouvaient souffrir à cause d’Israël. Ils se sont demandé pourquoi ils ignoraient le fait jusqu’alors, pourquoi ce qu’ils apprenaient dans ces les lettres contredisaient les infos diffusées par les médias. Qui disait la vérité ? Ainsi, durant la deuxième Intifada, en 2002, il y avait un groupe de jeunes de 12 à 13 ans qui écrivaient dans le magazine, depuis le camp de réfugiés de Tulkarem. L'association reçut et publia une lettre d'une fillette disant « je veux faire des études pour devenir ingénieure nucléaire. Je pourrai alors fabriquer une bombe atomique pour tuer tous les juifs.», qui provoqua la colère des jeunes juifs. Ruti a alors fait un travail de médiation : il fallait d'abord les laisser exprimer leur colère, puis essayer de comprendre : « Pourquoi a-t- elle écrit cela ? ». La colère est un sentiment légitime. Il est nécessaire de l'exprimer pour pouvoir la surmonter. Le discours émotionnel peut alors faire place à un discours réfléchi et empathique.

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Tel-Aviv

Lundi 30 avril 2018

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Les jeunes ont également eu besoin de lire les informations pour pouvoir comprendre : « Quelle est la responsabilité d'Israël dans la souffrance des jeunes Palestiniens ? Pourquoi ne savions nous pas tout cela ? » . L'alternative était la suivante : « Allons-nous donner une réponse émotionnelle sans tenir compte de l'autre, ou allons-nous réfléchir à ce qu'il vit ? ». Ils ont pu ensuite écrire ensemble une réponse à cette lettre : « Nous comprenons ta colère et ta haine. Nous voulons te parler. ». L’écriture est déjà une médiation, quand j’écris j’ai le choix :

- ou bien j’écoute mon émotion et je renvoie la violence - ou bien, je me pose, je peux effacer, je fais l’effort de comprendre et de partager,

j’explique davantage pourquoi j’ai une réaction aussi violente. Ils lui ont donc demandé d’expliquer, elle a raconté son histoire : les chars blindés dans le camp de réfugiés, les morts… Ils ont alors partagé une relation des faits, puis ont montré de l'empathie. Finalement il a été possible de les faire se rencontrer, plusieurs mois plus tard. Ce n’est qu’ensuite ils ont pu parler de cet échange. Après ce processus, la jeune fille ne voulait plus « tuer tous les juifs » : elle voulait seulement tuer tous les soldats. Elle pouvait faire la différence entre les deux. C'était un net progrès. Maintenant, cette jeune fille a 27 ans et vit à Naplouse. La communication continue de manière constructive, même si parfois les interlocuteurs s'énervent. Le processus de la rencontre : Les programmes conçus après les accords d’Oslo imaginaient que les gens allaient se rencontrer tout de suite. Mais c’est un processus qui prend du temps. Dans les années 90, les Israéliens disaient : « Avançons, oublions le passé ! », mais c’était facile pour eux d’oublier le passé, beaucoup moins pour les jeunes Palestiniens qui n’osaient pas dire qu’ils n’aimaient pas ce programme. Il a fallu repartir sur d’autres bases, conçues par les deux parties. Au début les jeunes étaient attirés par l'idée de devenir journaliste, puis l'objectif est devenu plus politique : « Comment trouver des solutions ? ». Avant de permettre une rencontre physique entre deux groupes de part et d’autre de la frontière, on doit développer leur capacité de communication et de résolution des conflits. Bien deux mois de préparation sont nécessaires au cours desquels lettres et photos sont échangées. Les participants partagent leurs motivations à se rencontrer, créent un climat de confiance. Les rencontres se déroulent durant des séminaires de deux à trois jours, suivis de d'échanges pendant deux ans. Lors du premier séminaire, ils parlent d'eux. Il leur est demandé d'exprimer leurs propres idées, leur histoire et leur expérience personnelle Lors du deuxième séminaire, ils partagent l'histoire de leur famille. Les autres peuvent leur poser des questions. Windows leur demande un discours personnel, une démarche de journaliste pour poser des questions à leur famille (qui, quoi, où, comment, quand) pour échapper au discours dominant de leur communauté : « Où sont nés leurs grands- parents ? Où sont- ils allés ensuite ? Ont-ils émigré ? » Les jeunes doivent recueillir des faits réels, des explications. Il leur faut donc des mois pour recueillir les informations nécessaires. Ils peuvent alors découvrir les racines du conflit, puis son développement : c'est « l'arbre du conflit ». Chaque nouvelle info appelle d'autres questions, ils peuvent remonter jusqu’au temps biblique.

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Les jeunes des deux sociétés sont aveuglés par de nombreux préjugés. Du côté israélien : « Le pays était vide lorsque nous sommes arrivés » ; « Israël donne du travail aux arabes » ; « Les arabes viennent d'un autre pays »... Les arabes, de leur côté, pensent que tous les juifs avaient été chassés par les Romains et que ceux d’aujourd’hui viennent d’ailleurs. Les jeunes finissent par apprendre que beaucoup de juifs sont là depuis l’antiquité, que certains sont même devenus musulmans ou chrétiens, ou ont vécu ici avec des chrétiens et des musulmans durant des siècles. Ils apprennent que musulmans et juifs ont lutté ensemble contre les croisés, que les musulmans, après les Perses, ont accepté la présence des juifs (auparavant proscrits sous l'empire romain à partir du IV° siècle), que les Ottomans ont même encouragé les juifs à s'installer. Les jeunes découvrent que Juifs et Arabes musulmans seraient ainsi cousins. D’ailleurs beaucoup de Palestiniens du sud savent qu’ils sont descendants de juifs, ce qui n’est pas connu de la société israélienne. Les sionistes enseignent des mythes tels que : « les juifs viennent tous du même groupe ethnique, et descendent des juifs de l'antiquité. ». La réalité est tout autre, car les juifs viennent de tous les pays du monde. La famille de Ruti par exemple est d'origine marocaine. La réalité, nous dit- elle, est que nous sommes un même peuple, divisé dans ce pays en trois religions. Ici, il est difficile pour les gens aujourd'hui de distinguer religion et nation. Il est nécessaire de comprendre ce passé pour construire un avenir. Il existe un véritable lavage de cerveau, un conditionnement par les politiques et les medias et Ruti ajoute que Netanyahou se permet de diffuser de fausses nouvelles injurieuses à l’égard des arabes même après avoir été averti qu’elles étaient fausses. A partir de telles désinformations les Israéliens en arrivent à dire que les arabes sont les héritiers du nazisme, qu'ils les haïssent non pas à cause de l'occupation, mais du seul fait qu'ils sont juifs.

Windows Channel aujourd'hui : http://www.win-peace.org/ Actuellement il y a un blog et une page Facebook mais plus de revue. Windows se tourne de plus en plus vers les enseignants, car ce sont eux qui construisent l'avenir mais la plupart d'entre eux véhiculent les mythes aggravant le conflit. Il faut trouver des écoles avec lesquelles travailler. Il y a cependant des motifs d'espérer : certains jeunes israéliens ayant participé aux programmes ont refusé l'armée, ou ont refusé de faire leur service militaire dans les territoires occupés. Il faut cependant rester très prudent, car les auteurs d'articles pourraient être menacés. Windows doit aussi faire attention à ne pas être infiltré par des « taupes » Cependant, le plus grand risque est médiatique : Ruti a ainsi été présentée par les media comme ennemie de l’État d'Israël.

Le financement : Le financement reste un gros problème. Beaucoup d’Européens ne croient plus qu'un changement soit possible. Ils veulent des résultats tangibles mais le travail de Windows porte sur le long terme.

Nous avons besoin de gens qui comprennent que le long terme est essentiel. Comment la paix serait- elle possible si les gens ne se parlent pas ?

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Philippe

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Rencontre avec Ephraïm Davidi du Parti Communiste Israélien

Présentation du Parti Communiste Israélien (PCI)

Ephraïm nous parle d'abord du journal du PCI, « l'Unité » (Al Ittihad) C'est un quotidien depuis 1978, le seul quotidien communiste de tout le Proche Orient, le seul quotidien en langue arabe en Israël ; il tire à 7000 exemplaires en moyenne. Il est hebdomadaire en hébreu. Le projet est de le transformer en journal en ligne sur Internet. C'est aussi la seule publication vraiment de gauche en Israël. Il s'agit d'une gauche pluraliste recouvrant tout l'éventail de la gauche. De fait le PCI s'associe avec tous les mouvements sociaux de gauche. Il a vécu dans la clandestinité durant 30 ans, dès l'occupation britannique. Il ne donne ni de noms, ni de chiffre d'adhérents. Il y en a vraisemblablement plusieurs milliers. Ils sont dans une quasi clandestinité car il est difficile d’être communiste dans la société israélienne. Ainsi il n'y a que 20 adhérents déclarés officiellement. C'est grâce aux voix du PCI à la Knesset que les accords d'Oslo sont passés. Il y a 4 à 6 députés du PCI depuis 1948. Ils y sont considérés comme les « pestiférés », ainsi que les députés arabes. Le PCI n'a jamais eu de membres au gouvernement, car il est ouvertement antisioniste. Suite à la répression des manifestations pour la Terre en 1976, le PCI a pris l’initiative de créer le front Haddash (Front Démocratique pour la Paix et l’Égalité). Avigdor Liebermann représente l'extrême droite laïque. Il est soutenu par les Russes. Il aimerait voir disparaître le parti Communiste et a obtenu qu’il y ait un pourcentage de voix minimum pour avoir des députés à la Knesset mais le PCI a répondu à cette menace en faisant une liste d'unité (la Liste Unie) avec le parti nationaliste palestinien Balah, une liste arabe pour le changement, et un parti islamiste. Le mouvement islamiste en Israël est divisé : au Nord, il refuse de participer aux élections et au sud, il est représenté par le parti qui est dans la Liste Unie. Celui-ci se bat pour les droits de la femme, contre l'arme atomique, pour les droits des travailleurs et des bédouins, très défavorisés. La plateforme électorale de la Liste Unie est celle de Haddash. A la Knesset, il y a des alliances ponctuelles, selon les votes, avec le Meretz (sionistes de gauche), par exemple pour voter le SMIC (5000 NSI pour 42h), ou sur des questions environnementales. Le PCI a des relations avec le Parti Communiste Palestinien, avec lequel il formait un seul parti initialement, et toutes les forces de gauche palestiniennes ; les partis communistes des pays voisins, le PC Jordanien et Irakien, allié avec les nationalistes chiites. Il n'a pas de relation avec le Hamas ou le Hezbollah ou le Djihad Islamique, qui refusent de parler avec des communistes.

Les manifestations du 1er Mai Le PCI organise plusieurs manifestations, dans différents lieux. Cela a commencé le 28 avril à Nazareth, où la manifestation organisée par le front Haddash a rassemblé 12000 personnes. On pouvait y voir des femmes voilées portant un drapeau rouge, des pasteurs protestants, des rabbins, des religieux musulmans. Le parti communiste y était le seul parti laïc.

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Tel-Aviv

Mardi 1er mai 2018

Ephraïm, parfaitement francophone, nous reçoit

chaleureusement dans le modeste local du Parti

Communiste à Tel Aviv. Il répond à nos questions à brûle-

pourpoint.

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Le 1er mai, les manifestations se déroulent à Saint-Jean d’Acre et à Jérusalem. A Tel Aviv, il y aura une manifestation le 4 mai avec d’autres forces politiques (Meretz notamment) et des associations de solidarité avec les réfugiés. De fait il y a au sud de Tel Aviv un quartier très pauvre, comprenant les réfugiés africains menacés actuellement d’expulsion, (Ephraïm parle de « déportation »). A Tel-Aviv, il y a eu récemment les élections des comités de quartier qui ont été gagnées par la gauche. Même si ces comités n’ont pas beaucoup de pouvoir, cette victoire est importante.

L'évolution politique en Israël Il y a une fascisation de la société israélienne par le haut, l’extrême-droite n’étant pas encore en mesure de mobiliser largement les masses. Une loi a été adoptée en première lecture à la Knesset : Israël serait désormais l’«État du peuple juif. » Si la loi passe en deuxième lecture, cela signifie une aggravation de la discrimination vis-à-vis des citoyens palestiniens. Selon Ephraïm, il n’existe pas d’apartheid vis-à-vis des Palestiniens d’Israël, même si Israël en prend le chemin. Par contre, cet apartheid est bien réel vis-à-vis des Palestiniens des territoires occupés. Les Palestiniens d'Israël bénéficient en théorie des mêmes droits mais sont victimes de discriminations du fait du racisme « ordinaire » (pour le travail, le logement et autres droits). Les immigrants russes ont constitué un soutien à l’extrême-droite mais ce n’est plus vrai pour leurs enfants dont les sensibilités politiques se répartissent de la même façon que dans l’ensemble de la société israélienne. Les Français immigrants en Israël sont environ 170 000. Ils sont mal vus et considérés comme des « délinquants » ; ils sont relativement pauvres et repartent souvent en France pour bénéficier de droits sociaux qui n'existent pas en Israël. Les colonies Elles sont en crise. 1/3 des colons sont des fanatiques violents. 1/3 sont des ultra-religieux qui vont dans les colonies à cause de la pénurie de logements à Jérusalem, faute de mieux. 1/3 vont dans les colonies tout simplement pour avoir un logement, peu taxé, bénéficiant de services comme les écoles, pas chers puisque la terre est volée donc « gratuite ». Le problème des colonies est qu’elles sont protégées par l’armée et cette présence militaire est de plus en plus lourde. Les jeunes aspirent à habiter en Israël même. La stratégie palestinienne Il y a trois options chez les Palestiniens : celle du Fatah qui est de chercher à avancer par des petits pas. Il y a l’option « iranienne » qui s’appuie sur l’idée que la Palestine doit revenir aux musulmans. La conséquence est qu’il faut se confronter à l’occupation juive. Au niveau économique, cette option s’appuie sur un modèle néo-libéral. Enfin, la troisième option est celle qui combine la libération nationale avec la libération sociale. Malheureusement, cette troisième option a du mal à se développer à cause de la division de la gauche palestinienne

Faut-il viser un État ou deux États ?

Ce n'est pas un débat local. La position du PCI est pour deux États, avec un droit au retour des réfugiés et Jérusalem-Est comme capitale de la Palestine. Dans la situation actuelle, un État reviendrait à capituler devant l’idée du Grand Israël prônée par l’extrême-droite. Un seul état serait un renforcement de l'apartheid

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Philippe