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UN CURÉ LA SAINTE VIERGE - excerpts.numilog.com

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UN CURÉ ET

LA SAINTE VIERGE

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En couverture, recto : le chevet de l'ancienne église et l'église du Mesnil-Saint-Loup. verso: la statue de Notre-Dame de la Sainte Espérance au temps du Père Emmanuel.

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Abbé Georges de NANTES

U N C U R É ET

LA SAINTE VIERGE

LA VIE DU PÈRE EMMANUEL Curé du Mesnil-Saint-Loup (1849-1903)

RENAISSANCE CATHOLIQUE CONTRE - RÉFORME CATHOLIQUE 10 260 SAINT - PARRES - LÈS - VAUDES

(FRANCE)

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1985 © La Contre-Réforme Catholique

10 260 Saint-Parres-lès-Vaudes, France.

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AVANT-PROPOS

Les petits frères et petites sœurs du Sacré-Cœur ont offert, pour sa fête, à l'abbé Georges de Nantes, leur fondateur, cette édition de la vie du Père Emmanuel, Curé du Mesnil-Saint-Loup (1849-1903), écrite jadis par lui sous forme d'articles sans signature dans le Bulletin de l'Œuvre de Notre-Dame de la Sainte Espérance (Nouvelle Série, janvier 1960 à avril 1962).

On a rejeté en postface la Lettre dédicatoire qui ouvrait l'édition originale (infra, p. 141).

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LETTRE À MES FRÈRES ET SŒURS EN RÉPONSE À LEUR DÉDICATOIRE *

Mes frères, mes sœurs, Je suis très touché de votre cadeau de fête, cadeau utile

et bienfaisant, mais trop inattendu ! Ma surprise est totale, d'une initiative et d'un travail clandestin qu'on peut dire à la limite du permis et du défendu. J'en suis très heureux pour ce qu'il fera connaître du Père Emmanuel dont on n'exaltera jamais assez la mémoire et l'œuvre remarquable. J'en suis moins satisfait en ce qui me concerne car, vraiment, vous avez dû hausser mes paroles et mes œuvres pour les comparer, avec une exagération manifeste, à celles de ce saint prêtre. Et qui plus est, votre Dédicatoire, en tête du livre, me fait passer devant lui !

Je crois donc sage et nécessaire, au fil de ma lecture, de redresser quelques-unes de vos gentillesses par trop inexactes. Les autres échappent à toute mensuration précise, laissons-les à l'appréciation des lecteurs.

J'ai moins aidé mon voisin et vénéré ami, l'abbé Chambrillon, curé du Mesnil-Saint-Loup à l'époque, que je n'en ai été moi-même conseillé, instruit de mon ministère et soutenu dans les moments difficiles, comme aussi par mes confrères du doyenné, l'abbé Henri Couche tout particulièrement, l'abbé Grossin, le chanoine Feugé, notre doyen...

Entre les deux curés du Mesnil que vous évoquez et le curé de Villemaur que je fus, les différences l'emportent, hélas ! sur les ressemblances, comme les vies de saints laissent loin derrière elles les récits de vies ordinaires. Le Père Emmanuel a rempli * Voir infra p. 141.

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son ministère si humble, si laborieux, si dévoué, plus de cinquante ans (1849-1903). L'abbé Chambrillon allait toucher les trente ans et il les aurait gaillardement dépassés, s'il n'avait été arraché à sa paroisse (1947-1975). Quant aux abbés Couche et Grossin, je les ai toujours connus, l'un curé de Macey, Montgueux et autres lieux, l'autre curé de Rigny-le-Féron, Bérulle et Cérilly, j'ai l'impression qu'ils sont bien partis pour le cinquantenaire ! Que sont, en regard de ces dévouements sans limites, les cinq ans passés à Villemaur, où il est vrai que j'espérais demeurer toujours (1958-1963)?

Et le reste est à l'avenant de la durée. On ne compare pas l'incomparable, et l'imitation à ses modèles, sans que la perfection de ceux-ci ne jette de cruelles lumières sur la médiocrité, voire la nullité de celle-là. À peine devrait-on lui décerner un « prix d'encouragement » !

De même il me faut ramener mes pèlerinages au Mesnil, de cette grandeur mystique que vous y voyez, à la toute prosaïque raison d'une confession hebdomadaire que j'aimais, il est vrai, préparer en marchant et compléter par une action de grâces à Marie, ma Dame de la Sainte Espérance. Allez voir à l'église : le confessionnal est au fond de ce même bas-côté dont l'autel de la Vierge occupe le haut bout.

Il y a un peu de vrai dans le reste de ce que vous dites, et avec trop d'affection pour que je me fâche. Le vin est tiré, comme dit l'autre, il faut donc le boire... Votre tirage est fait? Eh bien, laissons aller ce petit livre. Toutefois, veuillez transporter vos pages « dédicatoires » à la fin, pour laisser au Père Emmanuel, l'admirable, l'incomparable Curé du Mesnil-Saint-Loup, la première place, et veuillez également joindre à votre lettre trop élogieuse, cette note, quoique réprobatrice, affectueuse. Ce qu'il y a de vrai, et que vous dites bien, c'est qu'entre tous ces curés de campagne, du siècle dernier et d'aujourd'hui encore, dont j'eus la joie et l'honneur d'être le moindre, dont je veux demeurer le confrère, tenait, tient toujours contre vents et marées, le lien si fort de la foi catholique, mère de toutes les charités.

Votre père et frère Georges de Jésus

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« Qu'ils sont beaux les pieds qui annoncent la Bonne Nouvelle 1 »... Nous dirions en langage moderne: « Quelle démarche admirable, et qu'il est beau le messager du Bon Dieu ! » On lui appliquerait volontiers ce que l'Épouse du Cantique des cantiques chante de son Roi, accourant vers elle pour l'appeler à sortir de sa torpeur et retrouver ses sentiments tendres et ardents des premiers jours : « J'entends mon Bien-Aimé. Voici qu'il vient, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines... Voici qu'il se tient derrière notre mur ; il guette par la fenêtre, il épie par le t rei l l is . »

Quelles que soient les apparences si humbles et chétives parfois, ou si dépourvues de poésie, le prêtre qui arrive dans le champ de labeur que lui a confié au nom de Dieu son évêque, ce prêtre est grand, et beau, sa démarche a quelque chose d'émouvant que les âmes ne ressentent que bien plus tard et dont elles ne sentiront toute la magnificence qu'au ciel.

«Ils sèment dans les larmes, ils récolteront dans la joie et l'arrivée d'un curé de campagne, comme celle de JÉSUS parmi les humains, passe bien inaperçue ; ceux-là mêmes qui y sont presque indifférents ne sont-ils pas quelquefois ceux qui en doivent profiter le plus et y trouver ensuite les plus merveilleuses prédilections divines ? Il y en a qui ont touché à peine leur casquette ou, de leur cuisine, ont soulevé un coin de rideau pour voir passer le nouveau curé et qui, bien après, reconnaîtront dans ce jour celui de la plus grande grâce de leur vie, jour béni où ils et elles ont reçu un père et un pasteur pour les conduire à leur Seigneur et Sauveur JÉSUS-CHRIST. Je connais une paroisse bien près du Mesnil, où est descendu un prêtre naguère, au milieu de la froideur et de la défiance ; il y a vécu de sombres années puis les consolations sont venues et d'amples récoltes. Maintenant qu'il s'en est allé rejoindre son Maître, nombre d'âmes vivent de ses enseignements (1) Is 52 7. — (2) Ct2 8-9. — (3) Ps 125 5. — (4) En majuscules dans le texte.

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et de son exemple ; elles lui doivent le meilleur de ce qu'elles sont. Et il arrive que les souvenirs des premiers temps reviennent. On se lamente doucement : « Dire que nous n'allions même plus à la Messe... dire qu'on lui a refusé ceci et cela... le pauvre ! »

Par bonheur, Dieu nous a donné au siècle dernier deux images aussi fortes, aussi émouvantes l'une que l'autre, de cette arrivée dans sa paroisse du Messager de la Bonne Nouvelle. C'est le pauvre Jean-Marie Vianney qui cherche le chemin d'Ars et le demande à un gamin qui garde ses moutons. Dialogue simple de paysans, mais que déjà la sainteté intime du jeune prêtre illumine d'une clarté céleste : « Tu m'as montré le chemin d'Ars ; eh ! bien je te montrerai le chemin du ciel. » Limpidité d'une page d'Évangile, où l'enfant personnifie toute une paroisse indécise, somnolente mais de bien bonne volonté au fond ! où le prêtre laisse paraître aussitôt son unique pensée, issue d'une Volonté supérieure : « Père, ceux que Tu m'as donnés, Je veux qu'ils soient aussi avec Moi, là où Je suis, pour qu'ils contemplent eux aussi Ta Gloire. »

C'est le Père Emmanuel montant d'Estissac dans la neige et chantant la Messe de Minuit à peine arrivé, dans la petite église du Mesnil pour la Noël 1849. Cet homme, dans ce paysage rude et à cette heure, c'est aussi d'un réalisme, d'une simplicité, mais d'une puissance d'évocation peu commune. Arriver dans sa paroisse, prêtre depuis deux jours, une veille de Noël, pour chanter la naissance du Sauveur et annoncer à ses fidèles, comme aux bergers de Bethléem la Bonne Nouvelle d'une ère de grâce, de pardon et de salut... Un prêtre comme l'abbé André dut trouver là, immédiatement, l'occasion providentielle de livrer le secret de son âme, la soif de son cœur, à ce petit troupeau étonné et sceptique. Eux disaient : « Il chante trop bien ; il n'est pas pour rester », mais lui savait que le grain de blé, lancé par le semeur, reste où il tombe et meurt dans la terre qui l'a reçu pour porter du fruit. Il y a dans la réflexion des mesnillats, surpris et un peu émerveillés, ce son d'humilité mais aussi de désenchantement qui n'appartient qu'à ces gens de la terre peu habitués à être gâtés par personne, ni par les saisons, ni par les gens des villes... C'est trop beau !

L'abbé André, lui, ne l'entendait pas ainsi : qu'avait-il qu'il n'ait reçu de Dieu ? et s'il l'avait reçu, n'était-ce pas avec la vocation de le donner aux autres et presque de préférence aux plus abandonnés ? (1) Gérard Besançon, curé de Villemaur de 1951 à 1958 (t 23 février). — (2) Jn 17 24.

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Non, il n'était pas pour partir, ce jeune prêtre qui chantait si bien sa Messe de Minuit, mais pour demeurer là cinquante ans et plus, pour y donner JÉSUS et s'y donner lui-même jusqu'à la mort.

A-t-il eu, tandis qu'il débouchait des bois, sur le chemin d'Estissac à Faux, et découvrait la bourgade écrasée sous la neige, quelque vision d'avenir, quelque révélation ? Le Curé d'Ars n'avait-il pas connu en un tel moment que sa paroisse serait un jour trop petite pour contenir les foules qui y accourraient ! Peut-être en ces jours où la liturgie rappelle la prophétie antique : « Et toi, Bethléem, la Féconde, tu n'es pas la plus petite parmi les terres de Juda... », peut-être, le futur Père Emmanuel a songé à l'avenir. Nous ne savons pas s'il en a eu le pressentiment, mais ce premier regard de l'apôtre sur les bergeries de son troupeau n'a pu manquer d'être chargé d'un immense amour et d'une intense décision de la volonté. Il les a aimés, ces maisons et leurs habitants inconnus encore, d'un seul coup, totalement, d'une charité surnaturelle. Il n'a pas découvert ce champ de labeur avec la mentalité d'un représentant de commerce, ce merce- naire qui ne frappe aux portes et ne palabre que dans l'espoir d'un gain matériel et dont le sourire est étudié; ni celle d'un propagandiste qui se fait fort, avec sa technique bien étudiée, de convaincre rapidement le monde et de l'amener à ses idées. Comme l'apôtre, avec la Sagesse dont l'Esprit-Saint remplissait son cœur à cet instant, l'abbé André a su les aimer, ses futurs paroissiens, dans la vision de Dieu, tels qu'ils étaient appelés à être, non dans leur médiocrité actuelle, décevante pour tout autre, mais dans la perfection à venir que Dieu leur offrait par grâce. Au jeune prêtre ainsi pourvu de raisons surnaturelles, il était facile de « prendre de l'agrément » en visitant son petit monde et parcourant les rues, parce qu'il découvrait dans ces êtres, plus que les misères présentes, les beautés que la grâce céleste avait déposées en eux à l'état de germe et que son ministère ferait croître et fructifier, s'ils voulaient bien. Et tout de suite, jeté en prière, éperdu de confiance en la Miséricorde divine, l'abbé André ne douta point qu'ils voulussent bien.

On a beaucoup écrit pour le centenaire du Curé d'Ars : s'il vivait en notre temps, qu'aurait-il fait ?... et chacun de répondre avec de très bons arguments qu'il aurait précisément agi comme nous trouvons bon et en un mot qu'il n'aurait pu avoir ni d'avis ni de comportement autres que les nôtres ! C'est une élégante façon

(1) Mt 2 6.

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de se mettre sous la conduite des saints que de les accommoder préalablement à nos manières de voir et à nos caprices.

Il vaudrait mieux garder à la pensée la démarche de ces apôtres véritables, arrivant dans leurs paroisses. Ils sont christophores... ils portent en eux le Christ et ils n'ont d'autre volonté que de Le donner ; ils s'appuient pour cela sur Dieu seul. Ils le prient à genoux dans la neige ou sur la terre dure, les yeux baignés de larmes d'émotion et de joie, à la vue de leur petite paroisse, remplis d'un immense amour pour ce pauvre troupeau auxquels ils sont envoyés, riches seulement des biens surnaturels, les seuls que personne ne puisse mépriser.

Oui, c'est cela qui frappe, après cent ans et après mille, qu'il s'agisse de saint Pierre et saint Paul arrivant à Rome ou de Jean-Marie Vianney et de l'abbé André : cette différence de potentiel, cette qualité éminente de futur pasteur par rapport à ses brebis ! Qu'un prêtre digne de ce nom a de sagesse, l'esprit librement déployé comme un grand miroir face au ciel immense ! Qu'il a de facultés d'aimer et d'énergie pour délivrer les pauvres créatures de leurs entraves, lui qui pour cette œuvre s'est d'abord libéré de tout lien avec la terre ! La misérable carriole qui porte les meubles du vicaire d'Écully, comme le havresac du jeune prêtre de Troyes ne contiennent que leurs hardes et leur bréviaire ; mais leurs vraies richesses sont dans leur cœur et dans leur intelligence, et c'est de tels biens que riches et pauvres de la terre ont soif ! Même d'un point de vue tout naturel, qui ne reconnaîtrait cette supériorité éminente ? qui ne désirerait parmi les simples et les bonnes gens profiter d'un tel père venu à eux pour les servir ? Aussi l'œuvre sera facile, elle réussira...

Tout de même, à quelle peine ! dans quelles incroyables épreuves ! Il semblerait que ce doive être bien vite un succès complet, mais toute l'histoire de l'Église et la vie des Saints sont là pour dire le contraire. Ce jeune prêtre qui arrive y a pris garde et son regard vers le Mesnil où tout dort sous la neige n'est pas de ceux qui préludent à une idylle sentimentale, mais à un grand combat contre ces puissances invisibles qu'en pareilles circonstances évoquait saint Paul. Le troupeau est là, qui semble dormir, mais l'Ennemi aussi est présent à la scène, guette l'arrivée du pasteur et le toise. Pauvre curé de campagne, serre bien dans ta main le crucifix, que serais-tu sans l'aide de Dieu ?

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«VOYEZ-VOUS, MONSIEUR, ICI NOUS NE SOMMES PAS TRÈS DÉVOTS : OH ! POUR LA MESSE, NOUS N'Y MANQUONS PAS ; MAIS NOUS AIMONS BIEN, APRÈS LA MESSE, ALLER AU CABARET BOIRE LA PETITE GOUTTE. »

C'était près de la mare, à l'entrée du pays sur la route d'Estissac et, pour le jeune prêtre, son premier contact, direct, avec les âmes de ses brebis. Cette sorte de confession paraissait d'avance pleine d'absolution. Mais c'est là où ce brave Huguenot surnommé Lacroix se trompait... Il voyait les choses comme il voulait, en surface, à moindre peine, et se donnait ainsi qu'à ses amis bien aisément l'absolution. Probablement aussi, en son cœur sensible — très sensible — l'abbé André la désirait donner, se trouvait entraîné à la donner. Mais oui ! Ces gens étaient de braves gens, bien excusables, et sans doute d'excellent cœur. Alors, que leur demander de plus ! Leurs vertus faisaient bien le poids dans l'autre plateau de la balance ! L'élan affectueux du nouveau curé le poussait à s'accommoder d'eux et comme il les a aimés tous, en cet instant, il les aimera jusqu'à la fin sans être arrêté jamais par ce que d'autres auraient appelé des déceptions, des désillusions. Ce vrai et bon pasteur se trouvera toujours en face du Souverain Juge du côté de ses brebis, avec cette tendre compassion qu'on trouve si souvent chez le véritable homme de Dieu; cette compassion qui est la fleur de l'humilité et que les saints éprouvent à l'égard des pécheurs lorsqu'ils se sentent eux-mêmes pécheurs comme leurs frères.

Et de les voir monter ensemble la rue enneigée, tous deux, le jeune et le vieux, le bonhomme et son curé qui ralentit son pas vif et se met déjà au rythme de ses paroissiens, on croirait deux amis, qui s'estiment bien l'un l'autre et se font confiance.

Mais au vrai, un autre sentiment descendu du haut de sa pensée jusque dans son cœur a saisi le prêtre. Il est docteur ici et non pas avocat ni courtisan. Son regard, qu'il a pénétrant, perce les apparences et va jusqu'à l'âme. La surface des choses est bien comme l'homme a dit, mais le fond des cœurs, de quoi est-il fait ? À qui appartient-il ? (1) Dom Bernard Maréchaux, Vie du Père Emmanuel, édité au Mesnil-Saint-Loup, par Estissac (Aube), au Monastère des Pères Bénédictins-Olivétains, 3 éd. (1935), p. 41.

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Non ! le prêtre ne vient pas ici pour juger et condamner tel paroissien, telle famille ; mais cependant, si le Maître l'envoie, c'est tout de même pour les éclairer sur eux-mêmes, leur révéler de quel regard Dieu les considère et comment Il juge, LUI, leur conduite.

À d'autres prêtres, il faut un grand effort pour se rappeler leur théologie morale, beaucoup de luttes intimes pour oser l'enseigner et proclamer à tous et à chacun la gravité de leurs péchés. Celui qui a fait son Séminaire un peu distraitement ne s'assoit pas sans effroi dans le Confessionnal du Curé d'Ars... et tout confessionnal est comme celui-là dès que s'y assoit un prêtre de JÉSUS-CHRIST pour combattre Satan et ramener gros poisson ou brebis perdue. L'abbé André, lui, s'est préparé avec sérieux, depuis des années, à cette rencontre. Il a tout assimilé de sa théologie comme le docteur sa science médicale pour délivrer le juste diagnostic, convaincre le malade de se soigner, puis lui ordonner et faire suivre la meilleure thérapeutique.

Sans doute, l'abbé André se souvient-il d'une autre rencontre, celle de la femme adultère que les Juifs présentent à JÉSUS dans une expérience cruciale. Lui, que dira-t-il ? Va-t-il excuser ? Mais alors, pourquoi est-il venu ?.. ou bien condamnera-t-il ? Mais dans ce cas, quoi de nouveau dans son Évangile ? L'abbé André a médité, durant le grand temps de silence replié sur soi du Séminaire, cette scène mystérieuse. Il a entendu le pardon du Maître, mais avec l'Évangéliste il a deviné que JÉSUS paierait cette dette et tant d'autres de Son Sang. L'abbé André a pleuré de reconnaissance et, maintenant qu'il a reçu le pouvoir de pardonner à son tour, il n'oublie pas que cela coûte cher et qu'il ne faut pas gâcher, jeter à terre ce Sang Précieux. Il sait que JÉSUS l'a envoyé pour pardonner, non pas de lui-même, par faiblesse sentimentale, mais en Son Nom et par Sa Croix.

Oui, mon brave Huguenot, je te pardonnerai, songe le jeune curé en remontant la rue et pendant sa première prière dans la petite église déserte, mais pas comme tu penses, à la sauvette, gratis. Comme la femme adultère, comme Sainte Madeleine et comme Saint Augustin, comme la foule innombrable de ceux qui ont lavé leur robe dans le Sang de l'Agneau, mon bon Lacroix, toi aussi, tu recevras ton pardon mais en sachant de quels crimes tu es absous et QUI te pardonne et à quel prix !.. pas comme cela, par amabilité, lâchement, pour te laisser continuer, aveugle, à tituber sur le chemin de l'Enfer.

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Quatre-vingt-dix-neuf prêtres sur cent, et encore un petit coin du cœur du centième, voudraient bien humainement que les péchés de leur peuple ne soient pas plus graves que l'opinion ne les juge. Quel apaisement ce serait... et à quel tourment ! Ce que tous laissent faire, comment l'estimer un crime ! Va-t-il falloir condamner tout le monde ? L'enfer serait-il si grand que cela ? Peut-être que les professeurs de Séminaire y regardent de trop loin... et le bras de Dieu est-il si puissant qu'il puisse faire revenir à la perfection une si molle humanité ? Ainsi la terrible tentation envahit le cœur du malheureux pasteur d'âmes ; s'il consentait jamais, le diable serait presque vainqueur.

Aussi le prêtre selon le cœur de Dieu gémit en lui-même. C'est sa théologie qui le renseigne sur l'état de son troupeau et non le qu'en dit-on. C'est la parole de Dieu qui le fait frémir, lui dévoilant le fond surnaturel de toutes choses. Il dépasse cette médiocrité humaine, cette énorme ignorance et cette irréflexion qui semblent excuser tant de vies peu chrétiennes. Il voit comment le Prince de ce Monde utilise toutes ces armes, dans ce climat d'abandon sur ce champ de bataille favorable, et comment il triomphe sans avoir combattu. Satan entraîne, enchante, fait vite et sans bruit, demandant seulement à ne pas être dérangé. Que surtout le prêtre n'aille pas faire du tapage et réveiller les gens !

Un autre amour, un autre regard s'enflamme dans le cœur, dans les yeux du saint curé, du jeune et saint curé de vingt-trois ans. Il voit la plaie, bénigne d'apparence, mais devine le mal au plus profond. Un temps viendra où il l'expliquera à son peuple et toute sa vie ne sera pas de trop pour travailler à l'en guérir. Quoi ! cinquante ans de vie pour détourner les hommes du café et les femmes de la coquetterie ? L'apôtre sourit: oui, sans doute ! car cela, ou autre chose, en soi ce n'est rien, mais en réalité ce sont les menottes et les chaînes dont se sert le démon pour emmener les pauvres chrétiens en enfer. Alors, cinquante ans, ce ne sera pas de trop !

Il y aura les pensées à éveiller pour qu'elles découvrent le mal et le péril. Il y aura les cœurs à réchauffer et enflammer pour leur faire enfin décider de renoncer à leurs petites habitudes vicieuses, c'est-à-dire au démon, à ses pompes et à ses œuvres. Tout cela pourra se faire, si Dieu veut, avec le sourire du Saint Enfant JÉSUS et de sa douce Mère.

Et puis il y aura encore à combattre le démon, à l'affronter après qu'il aura été dénoncé, à le chasser des limites de la paroisse,

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1 Édition, le 23 avril 1985,

par l'imprimerie de la Maison Saint-Joseph

à Saint-Parres-lès-Vaudes, France.

Dépôt légal: 2e trimestre 1985. Éditions C.R.C.

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