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-- 591 -- UN EXEMPLE DE SEQUENCE D'ESTRAN DANS LE PORTLANDIEN DU JURA MERIDIONAL. par Paul BERNIER * R6sum6 L'6tude des calcaires portlandiens de la coupe du barrage de Vouglans (Ain) a permis d'6tablir une succession th6orique des s6diments (s6quence virtuelle) et de la comparer avec les s6diments actuels de la plaine d'estran ~ l'ouest d'Andros (Bahamas) dont la bathym6trie est tr6s pr6cise. Ceci permet de montrer comment certains calcaires port- landiens du Jura m6ridional 6voluent du subtidal peu profond au supratidal, cr6ant de courtes s6quences rythmiques n'atteignant parfois que quelques d6cim6tres. Abstract The study of the portlandian limestones of the Vouglans dam outcrop in the southern Jura mountains has provided the elements to establish the theoretical succession of the sediments (virtual sequence) and to show the similarities with the recent western Andros tidal fiats. Their respective bathymetry is here compared, allowing to think that a part of the jurassian portlandian limestones are located from the shallow subtidal to the supratidal, creating short rhytmic sequences, sometimes only a few centimeters high. I - Introduction (0 Leg calcaires du Kimm6ridgien-Portlandien dans le Jura m6ridional sont divis6s en deux s6quences majeures [(1) et (2)]. La premiere s6quence correspond h l'installation d'un r6cif barri~re puis ~ sa disparition, tandis que la deuxi~me sdquence est divis6e en un grand hombre de petites s6quences rythmiques annonciatrices des facies margino-littoraux de la limite Jurassique-Cr6tac6 (3). L'un des faci6s les plus marins de cette deuxi~me s6quence correspond au calcaire "tubulures'. C'est , en effet,dans ce faci6s qu'ont 6t6 r6colt6es les rares Gravesia connues dans le Jura (4), permettant d'attribuer un ~ge portlandien inf~rieur ~ ce facies. (1) Les ~l~ments de cette note ont ~t6 prgsent6s sur le terrain (20 - 22 avril 1979) aux participants de l'excursion dans le Jura m~ri- dional conduite par P. Bernier et Ch. Gaillard (5), clans le cadre du lie Symposium international sur les Algues fossiles, Paris 1979, organis~ par le Professeur A:F. Poignant. * "Centre de pal~ontologie stratigraphique et pal~o~cologie de l'Universit6 Claude-Bernard, associ6 au C,N.R.S. (LA 11)", 43 bd du 11 novembre, 69621 Villeurbanne, France. G6obios n ° 12 -fasc. 4 p. 591 - 595, 2 fig. Lyon, aofit 1979

Un exemple de sequence d'estrandans le Portlandien du Jura meridional

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U N E X E M P L E DE S E Q U E N C E D ' E S T R A N

DANS LE P O R T L A N D I E N DU J U R A M E R I D I O N A L .

par

Paul BERNIER *

R 6 s u m 6

L'6tude des calcaires portlandiens de la coupe du barrage de Vouglans (Ain) a permis d'6tablir une succession th6orique des s6diments (s6quence virtuelle) et de la comparer avec les s6diments actuels de la plaine d'estran ~ l'ouest d'Andros (Bahamas) dont la bathym6trie est tr6s pr6cise. Ceci permet de montrer comment certains calcaires port- landiens du Jura m6ridional 6voluent du subtidal peu profond au supratidal, cr6ant de courtes s6quences rythmiques n'atteignant parfois que quelques d6cim6tres.

A b s t r a c t

The study of the portlandian limestones of the Vouglans dam outcrop in the southern Jura mountains has provided the elements to establish the theoretical succession of the sediments (virtual sequence) and to show the similarities with the recent western Andros tidal fiats. Their respective bathymetry is here compared, allowing to think that a part of the jurassian portlandian limestones are located from the shallow subtidal to the supratidal, creating short rhytmic sequences, sometimes only a few centimeters high.

I - I n t r o d u c t i o n (0

Leg calcaires du Kimm6ridgien-Portlandien dans le Jura m6ridional sont divis6s en deux s6quences majeures [(1) et (2)].

La premiere s6quence correspond h l'installation d'un r6cif barri~re puis ~ sa disparition, tandis que la deuxi~me sdquence est divis6e en un grand hombre de petites s6quences rythmiques annonciatrices des facies margino-littoraux de la limite Jurassique-Cr6tac6 (3). L'un des faci6s les plus marins de cette deuxi~me s6quence correspond au calcaire

"tubulures'. C'est , en effet,dans ce faci6s qu'ont 6t6 r6colt6es les rares Gravesia connues dans le Jura (4), permettant d'attribuer un ~ge portlandien inf~rieur ~ ce facies.

(1) Les ~l~ments de cette note ont ~t6 prgsent6s sur le terrain (20 - 22 avril 1979) aux participants de l'excursion dans le Jura m~ri- dional conduite par P. Bernier et Ch. Gaillard (5), clans le cadre du lie Symposium international sur les Algues fossiles, Paris 1979, organis~ par le Professeur A:F. Poignant.

* "Centre de pal~ontologie stratigraphique et pal~o~cologie de l'Universit6 Claude-Bernard, associ6 au C,N.R.S. (LA 11)", 43 bd du 11 novembre, 69621 Villeurbanne, France.

G6obios n ° 12 -fasc. 4 p. 591 - 595, 2 fig. Lyon, aofit 1979

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L'~tude d~taill~e de la lithologie des calcaires constituant cette deuxi~me s~quence au barrage de Vouglans, penner d'en saisir les conditions de gen~se et de les comparer ~ celles qui prevalent dam la plaine d'estran (6) ou "tidal flats" de la cbte ouest d'Andros (Bahamas).

II - La s~quence de mar6e de la plaine d'estran ~ Andros (fig. 1 - B).

La plaine d'estran d'Andros est constitu6e par une succession de facies littoraux ~voluant depuis la zone sub- tidale jusqu'~t la zone supratidale. D~jh E. Shinn et alii [(7), (8) et (9)], puis r~cemment c.-D. Gebelein (10) ont d6fini les termes constitutifs de cette s6quence que j!ai pu observer moi-m~me, guid~ par ce dernier, lors du 3e Symposium international sur les R~cifs Coralliens, Miami, 1977.

A - Z o n e subtidale 1. La base de la s~quence peut 6tre constitu6e par les s~diments ~ agr~gats (grapestones) et pellets avec herbiers

Thalassiaet prairies ~ algues vertes udot~ac6es.

2. Puis viennent des pelmicrites bioturb~es par des ann~lides polych~tes (Marphysia).

B - Zone intertidale 3. La zone intertidale inf6rieure est constitu6e de pelmicrites li6es ~ la pr6sence d'une abondante faune d'inver-

t6br6s. Les coprolithes de cmstac6s abondent mais se lithifient rarement au contraire des pelotes f~cales d'ann61ides.

4. La zone intertidale sup6rieure est form6e de lamines ou lits gris constitu6s d'une succession de tapis algaires et de boues ~ pellets. Ce sont des laminites cryptalgaires, au sens de J-.D. Aitken (11), ou sMiments algo-laminaires de C. Monty [(12) et (13)] non lithifi6s.

C - Passage de la z o n e intertidale ~t la z o n e supratidale. 5. A c e niveau, apparaissent des signes de lithification et le d6veloppement d'une croOte superficielle. Cette

derni&e consiste en l'association de tapis algaires et de boues ~ pellets, et contient jusqu'h 80 % de protodolomite. De couleur sombre, elle pr6sente souvent des fentes de dessiccation.

D. Z o n e supratidale. 6. La croftte des bords des chenaux de marde peut ~tre recouverte par des laminites gt algues bleues, faiblement

dolomitiques et provenant de l'activit6 de mar6es et temp6tes. En outre, au niveau des marais en bordure des hammocks [ou hummocks (6)], les s6diments sont faits de lits gris de 1 fi 3 cm, avec fentes de dessiccation, fenestrae, gast6ropodes terrestres. La v6g6tation herbeuse et les plantes halophytes (salicornes) sont fr6quentes et retiennent les particules.

III - La s6rie lithologique du Portlandien du barrage de Vouglans (Ain). (IGN MOIRANS XXXII-28, 1/50000, x = 8 5 5 , 7 0 0 k m , y = 1 6 0 , 9 0 0 k m ) .

Comme nous l'avons montr6 pr6c6demment (3), les calcaires du Portlandien montrent une succession de termes lithologiques dont la r6p6tition introduit de petites s6quences rythmiques traduisant les mouvements saccad6s de la plate-forme. I1 s'ensuit que les arr6ts de s6dimentation avec surface durcie, parfois 6rod6e, sont fr6quents en fin de s6quence. Au-dessus de tels arr6ts, les faci6s 6voluent du subtidal au supratidal.

A - La s~quence virtuelle (fig. 1 - A) . La succession virtuelle des termes lithologiques des calcaires portlandiens ~ Vouglans a pu ~tre 6tablie comme

suit : 1. Biomicrite ~ intrabiospafite h foraminif~res benthiques et algues dasycladac~es. C'est dans un tel horizon

qu'est situ~ le niveau-type de Montenegrella florifera BERNIER (14).

micrites lamin6es fenestr6es, ~t Charo- phytes

dolomicrite

laminites cryptal- gaires et tapis algaires ondui6s

pelmicrites ~ galets mous

biomicrites bioturb6es

A S6quenee virtuelle Barrage de Vouglans

- - ,.ch ~ c h / / .

Z, f , ~

~ / /

-/ / ,

3 oo / o o I o o

°° I ° ° l

;

biomicrites . -~ . ~ % " • ~ . ~ .

3

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4

B S6quence verticale

Plaine d'estran Andros Bahamas (d'apr6s C.D. Gebelein, 1977)

sddiments micritiques ~ fenestr6s ~ fentes de ~ - dessiccation et Gast6-

- - ropodes pulmon6s

,,/ ' T / L ' / /

• / ./_.-- laminations ~ 80 % / / - de protodolomite

/ ~ / -" / 7" / / " / FF-:. /- / . / , . /

s6diments lamin6s i i~= - T - - ' = ~finementl i t6s:altemance

de tapis d'algues blenes et de boues/t pellets

O O I O O O O . . . . . . boues ~ pellets d'ann~lides

I o o { o o l

D o O o

o o C 7 ~ l °° ~ o~ boues~i pellets bioturb6es

3g prairies ~ Thalassia et Algues vertes

;g

Fig. 1 - S6quenee virtuelle du Portlandien au Barrage de Vouglans, compar6e/t la succession verticale des s6diments sur la plaine d 'estran/l l 'Ouest de l'ile d 'Andros (Bahamas).

2. Biomicrite bioturbde. Ce sont les calcaires ~ "tubulures". Les "tubulures" ont un diam6tre centim6trique et sont fr6quemment dolomitis6es. Elles proviennent de la bioturbation du s6diment pa r u n crustac6 du type Thalassinoides dont W.-J. Kennedy et al. (15) sugg~rent qu'il vivait juste au-dessous de la zone intertidale ou ~ la limite de celle-ci.

3. Pelmicrite ou pelsparite fi coprolithes de crx~stac6s (Favreina) et galets mous bris6s.

4. Micrites lamin6es. Elles peuvent 6tre de types divers, c'est-g-dire qu'il est possible d'observer soit des laminites cryptalgaires soit des laminites stromatolitiques fi ondulations p6riodiques appetdes aussi tapis algaires (algal-mats).

5. Dolomicrite, le plus souvent lamin6e. Parfois, il peut y avoir recristallisation de celle-ci entrainant une alt6ra- tion m6canique et conduisant fi des replats herbeux dans le paysage.

6. Micrite lamin6e et fenestr6e, parfois riche en charophytes (tiges et oogones). Les laminations sont soulign6es parfois par les craquelures horizontales (sheet-cracks).

On voit ainsi, dans la figure 1, la concordance qui existe entre la s6quence virtuelle propos6e ci-dessus et la s6quence r6elle actuelle observ6e aux Bahamas. Une telle similitude n'est pas fortuite et la plate-forme jurassienne au Portlandien dans ce secteur est soumise fi des oscillations agissant sur un milieu ~ la limite de l'6mersion, de sorte que des modifications bathym6triques de quelques d6cim6tres peuvent avoir des cons6quences tr~s grandes sur le type de s6di- mentation. La comparaison avec la plate-forme bahamienne permet d'introduire des donn6es bathym6triques relatives pr6cises concernant chacune des unit6s lithologiques.

N °

B V O

12

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Lithologie Terme s~quentiel

6

20cm I

11

10

7 7- / //

5

5

4

2

-'-4" 2

5

3 =_1

4

2

Evolution bathym~trique

Su In1 er Tr. ISu[

I : 3 4 5 1 6

/

F

I

J 7--

1 l

Fig. 2 - Succession lithologique observ6e dans la coupe du Barrage de Vouglans (Ain).

B - La succession r6elle des s6diments (fig. 2) La coupe du barrage de Vouglans pr6sente une soixantaine de m6tres d'6paisseur. La succession lithostratigra-

phique de cette coupe a 6t6 publi6e r6cemment (10) de sorte que seule la base de la s6rie a 6t6 d6taill6e iei pour la n6ces- sit6 de la d6monstration.

La s6quence virtuelle n'apparaff jamais de fa~on complete dans la coupe du barrage de Vouglans. Toutefois, chaque s6quence dl6mentaire montre des s6diments qui se succ6dent dans le temps toujours dans le m6me ordre. Leur r6p&ition, d'une s6quence fi l'autre, constitue des rythmes s6dimentaires dont l'analyse bathym6trique montre qu'ils ~voluent depuis le subtidal peu profond jusqu'~ l'intertidal, voire supratidal, en quelques centim6tres parfois.

Conclusion

1 - La coupe du barrage de Vouglans permet d'observer clairement la succession de termes lithologiques ~ la limite de l'6mersion. L'observation de telles s6quences d'estran d6passe le cadre local car elles peuvent ~tre retrouv6es dans de nombreuses coupes du Jura m6ridional, particuli6rement dans la Haute-Chafne (th6se en cours). L'exemple de Vouglan~ compar~ h celui de la plate-forme bahamienne, permet de mieux saisir les ph6nom6nes d6crits pr6c6demment h Culoz (Ain) (3). La plate-forme portlandienne 6tait constamment ~ la limite de l'exondation dans ce secteur, et les faci6s d'6mersion, mieux que temporaires, correspondent ~ des 6v6nements majeurs qui se traduisent par le type-m6me de la s6dimentation. Les fentes de dessiccation qui peuvent apparaRre sont un aspect 6ventuel de l'~mersion, non la r6gle.

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2 - Sur un plan plus g6n6ral, la comparaison de la s6dimentation sur la plate-forme portlandienne avec celle de la plaine d'estran de l 'ouest d 'Andros ne n6cessite pas d'envisager une amplitude de mar6e importante eomme celle connue dans la Baie du Mont-Saint-Michel, par exemple. La plaine d'estran bahamienne repr6sente une surface de plusieurs centaines de km 2, alors que l 'amplitude de la mar~e n 'y exe~de pas 70 cm. De ce fair, il n'est pas non plus n6cessaire d'envisager des pulsations de grande ampleur de la plate-form e. En effet, des ruptures modifiant le milieu de quelques d~cim~tres peuvent se traduire par l 'apparition de conditions bathym~triques extr~mement diff6rentes allant du subtidal au supratidal. On constate, eniVm, une 6volution verticale du d~p6t du plus marin vers le moins marin, ce qui signifie des approfondissements, m~me faibles mais brutaux, suivis de comblements lents permettant l'instaUation de diff6rents termes lithologiques successifs.

R6f6rences bibliographiques

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